Evidemment, ça devrait être une surprise pour personne. Aller infiltrer des cannibales dans une grotte au fin fond des montagnes, au nord du Royaume, pas besoin d’être un génie pour se rendre compte que ça va pas trop être l’éclate. Alors que là, même s’il fait pas encore très chaud, le climat océanique, la mer qui lèche langoureusement le sable fin et blanc de la plage, et le soleil qui brûle au zénith, à moins d’une invasion de léviathans, a priori, ça devrait pas trop mal se passer.
A mes côtés, une charmante rousse a les yeux fixés sur le casino haut de gamme qui nous fait face, et dans lequel on va essayer de pas trop faire tache. Elle, ça devrait aller : elle bosse quand même avec des pontes, dont mes patrons font plus ou moins partie d’ailleurs. Pas qu’elle soit particulièrement au courant, évidemment, mais elle doit bien s’en douter : on lui a collé un gars qu’elle connaît pas dans les pattes, dans des circonstances qui laissent assez peu de place à l’imagination. J’veux dire, j’suis clairement pas le neveu de son vieux mentor venu se déciller et prendre du bon temps au chaud.
Quoique, le bon temps au chaud, j’serais pas contre…
Du topo que j’ai eu, sur un simple parchemin piégé ce coup-ci, un membre de la Commission a des dettes étonnamment pharamineuses pour l’établissement de jeu qui s’appelle le Pinplume Doré, et encourage par ailleurs certains de ses collègues à y aller avec lui. On en voit dans les bas-fonds, des comme ça, avec des sommes évidemment infiniment plus faibles, mais l’idée est la même : le joueur compulsif est au fond du trou, et un des moyens qu’il a pour continuer à alimenter son addiction, c’est d’attirer des gens dans le traquenard avec lui.
Mais la Commission, ils ont d’autres rapports, j’suppose, pasqu’ils trouvent quand même que c’est bizarre et p’tet pas que des jeux tout à fait innocents, si tant est qu’il soit possible d’avoir de l’innocence dès lors que le pognon circule. M’enfin là, il tourne que dans un sens, et si l’ensemble de la Commission pouvait éviter d’être endettée vis-à-vis d’un tripot, ça serait quand même mieux.
Entre en lisse Amaryllis, chargée d’aller jeter un œil avec son statut de consultante en conseil de la Commission. Et le p’tit Indrani, pasque quand même, faut être un peu pro. Pour ça que j’suis sûr qu’elle se dit que j’suis pas juste un gars lambda qu’on lui a fourré dans les pattes. Pas que ça ait une grande importance : elle oubliera vite.
J’lui adresse un signe de tête.
« On y va, Amaryllis ? »
Avec son assentiment, je lui tends galamment mon bras, et le portier ouvre poliment la porte. A l’intérieur, heureusement, c’est pas trop kitsch. C’est là qu’on voit que c’est vraiment friqué, en vrai. Quelques dorures discrètes, pas mal de boiseries, et des cristaux de lumière qui créent plusieurs ambiances suivant là où on se trouve. Sur le côté, y’a un grand bar-restaurant avec des serveurs en livrée, et une estrade sur laquelle un piano joue une balade romantique pour accompagner une chanteuse en longue robe rouge fendue.
Ce coup-ci, j’ai eu une avance sur frais, alors ma bourse de cristaux est bien chargée. A gauche, une roulette tourne et provoque le crépitement de la boule blanche qui saute de case rouge en case noire, sous le regard des parieurs. Les poignées argentées ralentissent peu à peu, et tout s’immobilise sans un bruit sur le sept noir, déclenchant pas mal de tristesse autour de la table, alors que la croupière ramasse stoïquement les cristaux d’assez belle valeur qui étaient répartis sur les autres cases, gravées sur le tapis vert. De la monnaie vient se poser directement sur le rouge, le noir, le 00. Même les bords de la table de jeu sont ouvragés, avec un genre de fresque en relief montrant des nymphes, des monstres marins, et un bateau qui semble lutter contre une tempête alors qu’un kraken essaie de l’attraper furieusement. Alors qu’on fait le tour pour trouver une place, et aussi pour chercher notre cible, j’suppose, j’vois le nom, doré, ‘’La chasse au trésor’’, avec un putain de lettrage.
Ben tiens. J’aurais plutôt dit le naufrage, moi.
« Ca te tente, ou tu préfères d’abord allez prendre un verre, mon cœur ? »
Ton sur ton, que j’suis.
Un membre de la Commission, passant la majorité de son temps à l’Archipel. Officiellement, c’est parce-qu’il est censé garder un œil sur cet endroit et y apporter une certaine expertise administrative. Officieusement, c’est surtout parce-qu’il est un grand joueur et que son lieu à lui, son repaire, c’est le Pinplume Doré. Un casino de l’Archipel, assez réputé pour son ambiance luxe et ses gros clients, principalement de la noblesse. Jan, lui n’était pas noble, il touchait un beau salaire, certes, mais restait réputé pour avoir des difficultés financières. Amaryllis savait qu’il avait recours à des opérations en collaboration avec le casino pour attirer de nouveaux clients, ou plutôt pigeons, et en l'occurrence, certains de ses collègues. Et en retour le casino lui fournissait quelques réductions pour alimenter son addiction au jeu - et aussi ses nombreuses dettes. C’était un type plutôt malin à vrai dire, si ce n’était qu’il était freiné par ses vices, mais du genre endetté, il était aussi assez facilement manipulable, et Amaryllis se l’était plus ou moins mis dans la poche pour qu’il la supporte. Oh, “rien d’illégal”, un petit chèque dans les moyens de la consultante, en tant qu’amie, pour l’aider. Rien de professionnel. Et quelques mots bien enrobés et choisis pour faire croire qu’elle était amicale envers lui, alors qu’en réalité elle s’en fichait complètement. Il était assez malin pour ne pas être trop investi de son côté pour ne pas que ça ait l’air trop louche pour autant. Il faut que ça ait l’air d’être son véritable avis, après tout.
Le souci, c’était surtout que ce type était allé trop loin dans son vice, et visiblement, des soupçons pesaient sur le casino, comme sur Jan, alors qu’il invitait plus de gens ouvertement. Et que cela commençait à baver à côté sur la Commission comme des flambeurs de cristaux. Ca, et des rumeurs d’utilisation d’argent public pour du jeu. Et des rumeurs sur le casino pour du potentiel trafic de quelques substances peu légales, sans que rien n’ait pu être démontré. Et d’un côté Amaryllis pouvait comprendre, ce type était tellement assoiffé de cristaux qu’il vendrait sûrement sa propre mère pour continuer à jouer.
On l’avait donc collée avec ce dossier dans les pattes. Ce dossier, et un brun qui ne lui disait rien. Ce qui était une nouvelle particulièrement mauvaise puisque cela ne lui laisserait pas tout le contrôle, ni la possibilité de magouiller selon ses intérêts. Ou du moins, pas librement. Le plan, c’était de se faire passer pour des clients aisés - aidés d’une jolie bourse de cristaux payée par le Royaume pour aider à se fondre dans la masse des nobles et autres marchands à succès. Et voilà qu’elle se retrouvait dans une robe de soirée noire très élégante, laissant apparaître son dos et ses épaules. Quelques bijoux, un collier serti d’une améthyste, quelques bagues dorées - contre-mouflet, sceau magique, anneau de pensée, mais ça, ce n’était pas marqué dessus, mais c’était toujours pratique -, et quelques petits bracelets d’une couleur assortie. Et un petit sac à main avec quelques affaires et quelques autres babioles magiques parfaitement légales, même si la tentation d’amener son paquet de Cartacousur au casino avait été tentant. La consultante avait également eu besoin d’utiliser des talons cette fois-ci, ce qu’elle détestait, tant les porter n’était pas agréable. Elle restait une femme d’armes, avant d’être noble, même si elle en avait également reçu l’éducation. Le pire, c’était qu’elle avait dû se séparer temporairement de sa lame et de sa bague Tsépi, ce qu’elle détestait, et lui donnait l’impression d’être nue, dans le mauvais sens du terme. Pas le sens agréable où on fait des cabrioles en privé.
« Allons-y. »
Bras dessus bras dessous comme un joli couple, ce qui par contre ne pose aucun souci à Amaryllis contrairement à beaucoup d’autres choses, ils s’avancèrent dans le fameux Pinplume Doré. Sous couverture pour le casino, pas vraiment pour Jan même s’il avait assez peu vu Amaryllis au final, ils avaient l’air dans l’esprit du lieu. Toutes les machines magiques, bruyantes et lumineuses, les jeux de cartes, de tout de façon fournis par le casino pour éviter la fraude - ou permettre aux croupiers de frauder. Pas de traces de Jan dans les environs, alors autant faire un petit tour des lieux pour ça.
« Je suis bien tentée par un petit verre, chéri. On pourra aller jouer ensuite. »
Après tout, ce serait con de ne pas utiliser le budget. Il était là pour ça. Amaryllis s’approcha alors du bar avec son cavalier, tandis que sur la scène l’orchestre continuait de jouer une musique d’amour un peu mièvre, mais qui convenait parfaitement à leur couverture.
Le bar, quant à lui, semblait ouvragé dans un bois tropical de l’Archipel un peu plus rosé. Finement sculpté dans un thème toujours légèrement aquatique, garni de dorures certainement fausses mais assez bien entretenues pour garder l’illusion, plusieurs barmans en uniforme s’affairaient derrière à servir les clients de cocktails et autres boissons finement présentées avec de nombreux accessoires. Petit parasols, verres givrés avec du sucre rappelant la couleur du breuvage, petites pailles ou autres présentations un peu loufoques, tout semblait y être. Le prix aussi, d’ailleurs, semblait y être. Pas plus fréquenté que cela pour autant, l’endroit semble dépourvu de piliers de bar. Ce qui n’est pas trop le principe d’un casino de tout de façon.
« Un Sex on the Beach pour moi, s’il vous plaît. »
Aucun sous-entendu alors que la plage est juste à côté. C’est un vrai cocktail. Amaryllis laissa son compagnon choisir sa boisson, sans plus regarder le prix que cela. De tout de façon, c’était trop cher. S’éloignant de l’endroit avec leur prix alcoolisé en main, directement vers la fameuse “chasse au trésor”, elle profita d’être dans un endroit peu fréquenté pour murmurer discrètement quelques mots à l’oreille de son collègue.
« Pas de traces de notre homme, pour l’instant. »
Elle ne regardait pas non plus chaque recoin de l’endroit, préférant jouer la cliente occasionnelle de ce casino découvrant un peu les lieux pour garder un regard un peu baladeur - même ailleurs que vers certains décolletés pouvant même faire pâlir le sien en comparaison. Arrivée à ce fameux naufrage, elle avança déjà quelques cristaux, une somme correcte pour débuter, sur le rouge. Nouveau tour de l’appareil, tous les joueurs étaient fixés sur la bille dansant dans le cercle. La bille s’arrêta sur le 18, rouge. Un petit sourire, elle pouvait comprendre le côté addictif de la chose, surtout quand les cristaux rentraient du bon côté.
« 18, rouge, pair, et manque. »
Laissant les gains se redistribuer alors qu’elle venait de doubler sa mise, elle laissa à nouveau ses yeux se balader dans l’endroit. La salle principale était immense, et possédait de plus une mezzanine, ainsi que plusieurs pièces annexes. Certaines semblaient avoir une utilité assez évidente, toilettes ou endroits pour le staff de l’endroit. Mais une aile semblait garnie de petites salles privées. De même, il y avait certainement quelque part une aile administrative et le bureau du directeur de l’endroit. Si Jan n’était pas dans la salle principale, il était peut-être en train de magouiller du côté administratif, ou bien dans une salle privée. L’attention d’Amaryllis fut d’ailleurs attirée par quelques type venant d’entrer dans le casino. Bien habillés, ils avaient néanmoins ce petit air un peu mafieux, pas vraiment celui de touristes. Un petit signe du pied à son amant de la journée, pour qu’il suive son regard brièvement. Bien entendu, la rousse n’allait pas le maintenir vers eux bien longtemps. Jan n’en faisait pas partie, mais ils montèrent sans hésiter vers la mezzanine. Visiblement, d’autres salles étaient sûrement accessibles d’en haut.
Amaryllis reprit une gorgée de son cocktail, se préparant à jouer son prochain coup maintenant que les gains avaient été redistribués. Après tout, rien ne pressait, et se mettre à les suivre d’un coup serait sûrement bien trop louche.
Côté espions, c’est pas trop l’ambiance, vu qu’on est usé jusqu’à la corde par le turbin, et que les avantages sont rares. Mais j’garde la tête sur les épaules, littéralement, alors j’évite de trop ouvrir ma gueule.
« Je vais prendre une Île Longue, s’il vous plaît. »
J’ai même fait l’effort de parler correct’, c’est dire à quel point je prends mon travail à cœur.
La spécialité locale, indique le petit symbole sur la carte à côté du nom. Mélange de pleins d’alcools blancs, le gars me fait ça en jonglant avec son shaker sous mon regard faussement intéressé. J’serais bien curieux de le voir faire la même avec des couteaux, dont j’suis actuellement cruellement dépourvu. Saloperie de fouille à l’entrée. J’ai juste un planteur à la ceinture, pasque, quand même, ça se fait pas de demander aux gens de tout enlever. Enfin, pas le premier soir, j’veux dire. Je crois ?
A la table de jeu, j’laisse la rousse faire la première mise. J’suis moyennement chanceux, à ce genre de jeux de hasard, mais si le but, c’est de se faire repérer en tant que flambeurs potentiels, on peut aussi bien gagner que perdre sans que ça soit bien gênant, à mon avis. Elle signale les nouveaux arrivants, et j’les calcule vite fait. J’pense pas que ce soit des gentils, mais ça veut pas dire pour autant que c’est eux les méchants.
Par contre, le fait qu’ils se dirigent vers d’autres salles, dans lesquelles y’a manifestement d’autres tables de jeux, ça veut dire qu’on est dans le petit bassin actuellement, avec les gens de peu, et c’est clairement pas là qu’on va trouver notre gugusse et ses petites affaires. Avec un sourire charmeur, je pose quelques cristaux sur le cinq, et sur le noir. Quand la boule s’arrête sur une case rouge sans le moindre rapport, je hausse les épaules, et j’me demande si le bousin est truqué. Probablement pas, en réalité. La probabilité de base est suffisamment faible, et ils ont largement de quoi détecter la magie ici. Ça doit même faire partie de leurs protections de base.
En levant les yeux, j’vois un balcon qui surplombe la pièce, et qui offre une belle vision de l’ensemble de la grande salle. Y’a p’tet quelques angles morts, mais d’autres renfoncements à l’étage indiquent probablement d’autres personnes chargées de surveiller. Une gorgée de mon cocktail me confirme qu’il est toujours aussi bon, et qu’il a pas volé son titre de spécialité locale. Mon regard furète autour, les yeux baladeurs, et s’arrêtent systématiquement une fraction de seconde plus longtemps sur les nanas. Déjà pasque c’est pas mal, et ensuite pasque c’est le rôle du personnage. L’utile et l’agréable, toujours.
Distraitement, j’pose une nouvelle mise, alors que mes mirettes tombent sur les machines magiques. Quand on est passé à côté, elles faisaient un bruit démoniaque, le genre hyper-excitant et bruyant, qui te coupe complètement du monde. Ils appellent ça des pa-chine-ko. Je crois. Et les types qui y jouent ont l’air des camés qu’on peut voir dans les bas-fonds, à la recherche de leur prochaine dose. Sauf que là, ils sont un peu mieux habillés. Plus ils ont l’air abîmés par le jeu, plus leurs sapes sont pas terribles, comme de bien entendu, jusqu’au moment où on leur refusera l’entrée. De ce que je comprends du fonctionnement de la machine, qui n’a rien d’évident, le gars injecte des cristaux et tire le manche de l’appareil, et là y’a pleins de petites billes qui tombent d’en haut et tournent dans les petits picots derrière une paroi en verre. Les joueurs regardent ça d’un air hypnotisé en serrant les poings, et le jeu m’a l’air encore moins intéressant que la roulette : tu mets juste la monnaie et t’attends de voir si tu gagnes, y’a pas de talent, ni de réflexion, juste de la chance, si tant est que ce soit le cas. Et suivant là où les p’tits billes passent, ça fait des bruits et des lumières qui les rendent fous et leur font pousser des petits cris ou des gémissements craintifs. Difficile de cacher le sentiment de supériorité que j’ai à les observer.
Encore, une table de poker ou de blackjack, mettons, mais alors ça…
La bourse s’allège petit à petit, tout comme nos verres, et si Amaryllis a la chance de continuer à gagner, c’est pas vraiment mon cas, mais ça n’a pas vraiment d’importance.
« On va prendre une recharge ? C’est pas grave de perdre, je te dirais bien qu’au moins je suis heureux en amour, mais à voir tes gains, je ne suis pas sûr que ce soit le plus opportun. »
« Oh visiblement, s’il y a une personne cocue aujourd’hui, c’est bien moi. C’est plutôt à moi de me poser des questions. »
Elle avait prononcé cela d’une façon assez ironique sur la route vers le bar, plus comme une taquinerie que comme un début d’engueulade. Il fallait dire qu’elle n’avait pas particulièrement la foi de se mettre à jouer une fausse dispute de couple au milieu d’un casino huppé. Même si ça ne devait pas être si rare que ça tout de même. Là n’était pas l’objectif.
La rouge commanda donc un nouveau verre, le même, puisqu’il avait été plutôt bon, bien que peut-être un peu léger en alcool. Il fallait dire que pour elle qui avait l’habitude des liqueurs et spiritueux forts, beaucoup d’alcools avaient l’air légers. Et elle n’avait pas forcément assez l’habitude des cocktails pour juger efficacement.
Son regard s’attarda rapidement sur les autres tables de l’endroit. Elles étaient nombreuses, pas toutes actives en ce moment - il fallait dire qu’il y avait certainement plus d’activité en soirée qu’en journée. Notamment, il y avait bien un petit groupe jouant au poker, assez disparate. Il y avait ces gens avec ces lunettes magiques contre le soleil qui avaient fait fureur l’été dernier, un objet magique visiblement autorisé, permettant de masquer leur regard. Ils semblaient jouer de façon composée sur la belle table en bois massif couverte de feutrine verte, laissant les cartes se plier légèrement pour prendre connaissance de leur jeu sans y retoucher de la partie. D’autres, visiblement en train de se faire plumer, étaient bien plus expressifs. Visiblement des amateurs. Qui faisaient sûrement le bonheur de ces habitués qui n’avaient sûrement rien de mieux à faire que de plumer les rares vacanciers hivernaux osant s’aventurer en ces lieux.
Amaryllis se retourna vers son compagnon.
« Dis-moi chéri, et si on allait un peu visiter les autres recoins du casino? J’ai l’impression qu’ils ont d’autres tables et machines en haut, et peut-être aussi des salles privées. Tu ne penses pas que l’endroit pourrait être bien pour célébrer notre mariage? »
Une demande assez anodine, mais qui laissait beaucoup d’espace à l’enquête, sûrement vers l’acceuil. Mais en attendant, coupe à la main, la rouge se dirigeait déjà vers le haut des marches. Visiblement, seule une partie du haut semblait accessible, des rubans délimitant l’entrée de salles annexes et d’autres machines de chaque côté. Chaque entrée gardée par un agent de sécurité se tenant droit, avec un petit papier consistant sûrement en une liste d’invités et de salles liées. Assurément que les types d’avant étaient passés par là et avaient leur nom de marqué sur une de ces feuilles. La rouge s’avança vers l’un des agents.
« Excusez-moi monsieur, s’agit-il de salles privées? Sont-elle réservables? »
« C’est bien ça madame, vous pouvez consulter l'accueil pour plus d’informations. »
« D’accord, mais il y a des tarifs je suppose? Des salles de différentes tailles? Ce serait pour un évènement. »
« Comme je vous l’ai dit, Madame, il faut voir avec l'accueil pour les tarifs ou la capacité des différentes salles. Je ne suis que là pour réguler les entrées. »
« Très bien, merci à vous. »
Légèrement patibulaire, il restait heureusement assez courtois et professionnel puisque le lieu l’exigeait. En attendant, elle laissait à son compagnon de mission l’occasion de peut-être loucher discrètement vers le papier des invités et des salles plutôt que vers des décolletés qui se faisaient plus rares en haut - même si la vue plongeant vers le bas de la salle ne devait pas être très horrible. En tout cas, Amaryllis ne pouvait pas le distraire bien plus longtemps sans passer pour une grosse chieuse et attirer trop fortement l’attention des gardes ensuite. Elle se tourna donc une nouvelle fois vers Vrenn, glissant une nouvelle fois son bras sous le sien.
« On va aller voir ça, chéri? »
Peut-être encore des informations à choper à l'accueil sur la disponibilité des salles, et peut-être loucher sur le registre pour voir un certain nom apparaître… Il y avait, selon elle, quelque chose à creuser de ce côté. Et un verre à continuer de vider en descendant les marches.
Parfois, c’est drôlement pénible, de devoir travailler contre des professionnels, des vrais. Autant, la majeure partie du temps, les gens se protègent un peu au feeling, avec ce qu’ils savent, autant parfois, on tombe, pas de bol, sur un truc beaucoup plus systématique, comme dans ce casino de merde. Oh, le coin est incroyable, pour peu qu’on ait les pépettes de s’y amuser, en respectant les règles, mais pour le boulot d’enquête et d’espionnage, les blocages sur les pouvoirs, la sécurité omniprésente et, sans trop de doutes, les types qui te matent d’en haut pour s’assurer que tu prépares pas une arnaque, ça rend pas les choses faciles.
M’enfin, c’pour ça qu’Amaryllis est là, ajoutant du liant et de l’huile pour qu’on puisse se glisser partout.
Pendant qu’elle discutait avec le planton de l’entrée, j’ai louché comme jamais sur la liste, et le gars qu’on cherche était dessus. Dans les escaliers, alors que j’lui tiens galamment le bras, j’reprends la parole.
« Salle trois ou huit, l’éclairage était pas terrible. »
Elle hoche la tête en reprenant une gorgée. Vrai qu’ils sont pas mal, ces cocktails. Ça me rappelle l’époque où je fêtais dignement mes meilleures affaires, à flamber la plus grande partie de mes gains sur plusieurs jours de fête frénétique. Fallait bien vivre. En chemin, on s’arrête quelques secondes pour suivre la fin d’un gros coup à la roulette, un gars manifestement totalement beurré accompagné de trois jeunes femmes beaucoup trop jolies qui lui gloussent dans les oreilles. Au moins, ce monde n’a pas changé, et bougera probablement pas de sitôt.
A l’accueil, un homme et une femme se chargent de saluer les nouveaux arrivants et de répondre aux questions. Les deux sont carrément beaux, et j’suppose qu’on choisit celui qu’on préfère suivant son appétence personnelle. Avec un léger sourire en coin, j’me dirige vers le mec, accompagné de ma chère et tendre de la journée.
« Bonjour Monsieur.
- Bonjour. Nous chercherions des informations sur la possibilité de réserver certaines salles pour un événement ?
- Bien entendu. Nous permettons pour des occasions spéciales telles que les mariages, les anniversaires, les célébrations religieuses, de louer tout ou partie du casino… Par contre, pour le tout, c’est assez coûteux. »
J’ai un p’tit rire. Pas sûr que la Couronne nous rince là-dessus.
« Une salle, normalement, cela devrait nous suffire.
- Bien sûr. C’est pour quel type d’événement ?
- Nos un an de mariage, n’est-ce pas, mon cœur ? »
Grand sourire à ma gauche. Mais oui, mon chou, déjà un an, c’est fou, hahaha.
« Est-ce que vous savez combien d’invités sont prévus ?
- Pas encore, nous nous demandions s’il était envisageable d’avoir une présentation des salles, peut-être les visiter… Nous voulons nous assurer que tout soit parfait, vous comprenez.
- Et c’est parfaitement normal ! Si vous le souhaitez, nous pourrons également écarter provisoirement les tables de jeu, ou, au contraire, en ajouter, suivant l’ambiance désirée. Nous avons également des spectacles prévus qui…
- Oh, ça serait merveilleux ! Que j’le coupe sans vergogne. Une visite guidée, peut-être ?
- Bien sûr, j’appelle ma collègue. »
Cinq minutes passent, et une nana d’une quarantaine d’années, le genre austère mais avec un sourire beaucoup trop chaleureux pour être crédible, se radine enfin avec un parchemin et une plume en main.
« Enchantée, je suis Nia. Je vais vous présenter rapidement les salles et nous jetteront un œil rapide à l’intérieur. Certaines sont actuellement occupées par des invités de marque, donc il serait de bon ton de ne pas les déranger. »
Ouais, maman, cause toujours.
« Bien sûr, nous ne voudrions pas les gêner, tout comme nous espérons que nous ne le serons pas quand nous fêterons nos un an, que je rétorque avec un clin d’œil pour adoucir un peu. »
Elle se contente d’un son neutre et passe devant nous pour nous guider jusqu’à la sécurité, qui nous reconnaît et nous laisse passer avec un hochement de tête. Les deux premières salles sont standard, on trouve des raisons vagues de pinailler sans qu’elles nous empêchent d’accéder à la suite, et on se retrouve ensuite dans la pièce numéro trois, dans laquelle Jan se trouve peut-être. J’laisse Amaryllis se démerder pour le repérer, et lui faire signe, histoire qu’on achève de totalement se taper l’incruste ici alors qu’on devrait pas y être.
En tout cas, le coin est plutôt ultra sympa. Pas de rouge, cette fois, l’ambiance est carrément forestière, avec de grands arbres dans des pots, sans doute magiques, un genre de lierre, vrai ou faux je saurais pas dire, qui pend au plafond et fait une canopée à travers laquelle un faux soleil laisse échapper quelques rayons. Ou p’tet que c’est une verrière et le vrai beau blond au-dessus. Reste que ça donne une lumière un peu verte, plein de nature autour, et qu’on se croirait vraiment en plein milieu de la grande Forêt. Les tables de jeu sont éparpillées au détour du simili-dédale de buissons, même si on arrive à bien avoir une vue dégagée. Y’a sûrement des coins un peu plus isolés, et j’espère très fort que Jan se casse pas dans un recoin obscur où on pourra pas le voir.
« Le cachet ici est incroyable, tu ne trouves pas, chérie ? »
Enfin bref, ils avaient déjà réussi à récupérer quelques informations et confirmer la présence de leur homme en ces lieux, maintenant, elle laissa tranquillement son prétendu mari cuisiner l'accueil avec leur projet de fête de mariage. Amaryllis, même si intérieurement cela la dégoûtait un peu, jouait un peu la femme surexcitée de cette fête et de l’endroit, plus enthousiaste là où le brun avait un côté un peu plus impatient. Elle l’accompagna entièrement dans le mensonge. Il fallait qu’ils passent pour de bons pigeons potentiels, mais qu’ils aillent en même temps droit au but. Amaryllis n’allait pas jouer la stupide non plus, mais la perfectionniste. Celle qui voulait que tout soit parfait, qu’aucun détail ne soit laissé au hasard. La visite pouvait alors commencer.
« Oui, en effet, c’est vraiment ravissant comme endroit, et ça a l’air plutôt spacieux en plus! Même si je ne sais pas si ça suffira pour inviter vraiment tout le monde… »
L’ambiance était très sympathique, verdoyante, peut-être un peu dense, le côté labyrinthique donnant au lieu une taille qu’il n’avait certainement pas. Mais cela brisait la vue. Quoi qu’il en était, la salle était malheureusement bien vide. La rouge avait bien aperçu un petit numéro 4 en entrant, ce qui était potentiellement bon signe. Néanmoins, aucun signe d’activité dans la pièce d’à côté.
« Dites-moi madame, l’endroit est-il bien insonorisé? Le bruit n’est-il pas un souci ici ou faudra-t-il se tenir ? »
« Oh, ne vous inquiétez pas madame, les salles sont séparés par un matériau spécial permettant de réduire fortement le bruit, dans les deux sens. Vous ne serez pas dérangés, et ne dérangerai personne! En plus, il y a des cristaux de son permettant de diffuser diverses ambiances, d’une ambiance naturelle jusqu’à des morceaux de musique de votre choix! »
Démonstration à l’appui, Nia diffusa une petite ambiance champêtre ou forestière dans l’endroit qui alla sublimer encore un peu plus l’endroit. Amaryllis joua la personne assez ravie de la démonstration, avant de passer au sujet suivant : La restauration et les croupiers.
« Et… pour se désaltérer et se sustenter, comment est-ce-que cela se passe? Y a-t-il des croupiers pour certaines tables? »
« Tout à fait! Nous avons différentes offres avec différents types de tables, vous pouvez y faire votre sélection bien entendu. Et pour la restauration, suivez-moi. Il y a un petit bar au fond de la pièce… Là aussi cela dépend de l’offre, certaines possèdent jusqu’à deux boissons offertes pour chaque convive, d’autres sont simplement à payer directement au bar. »
Quelques petits détours et les voilà arrivés devant le-dit bar. Bien intégré au décor, une grande planche dégagée de bois clair sert visiblement à servir les boissons et les plats directement ici. Une carte similaire à celle en bas est même visible un peu sur le côté. Le reste du bar est géré dans une végétation assez abondante, une sorte de lierre magique dissimulant la structure en la rendant assez organique. Derrière le bar, bien que dissimulé, on devine quelques endroits de stockage pour l’alcool, la nourriture, et encore derrière, une porte qui a d’ailleurs mal été refermée, laissant transparaître un couloir de service assez sombre. Certainement mal décoré. En même temps, c’était un couloir de service, ils étaient austères par définition. Mais d’un autre côté, ce couloir là était une aubaine, surtout en cette période de la journée où la fréquentation des salles devait être quasiment inexistante…
Cela donnait une idée à Amaryllis, qui prit le temps de poser son verre au bar, examiner un peu les lieux d’un air visiblement intéressé même si elle l’était bien plus par les bouteilles qu’elle devinait derrière le bar. Sans en donner l’air, elle se tenait néanmoins prête, telle un fauve prêt à bondir sur sa proie. Nia lui tourna le dos, les invitant à reprendre la suite de la visite… Amaryllis s’élança, d’un mouvement souple et puissant, bien dosé, elle assomma la pauvre hôtesse d’un coup bien placé à l’arrière du crâne avant même qu’elle ne puisse émettre le moindre cri. Un geste qui n’était pas particulièrement sorcier pour quelqu’un comme elle qui avait pratiqué les armes pendant plusieurs décénnies. Elle accompagna délicatement sa chute pour éviter qu’elle ne s’écrase au sol, avant de la laisser allongée sur la moquette verte et bien entretenue de l’endroit.
« Oh non, c’est terrible! Madame Nia? Vous m’entendez? Vous allez bien? »
Une fois assurée qu’elle avait bel et bien rejoint le pays des rêves, l’air d’Amaryllis se fit plus neutre, alors qu’elle se retourna vers le brun.
« Tu n’as jamais rêvé de devenir un serveur de casino? Notre homme connaît mon visage, alors j’espère qu’il ne connaît pas le tien, mais il aura certainement besoin d’un petit rafraîchissement, non? Il doit y avoir des vestiaires au bout de ce couloir avec de quoi te changer… »
Amaryllis désigna le couloir de service, avant de reporter son attention sur l’hôtesse inconsciente. Ils n’avaient pas non plus toute la journée, mais la consultante serait stupide de laisser passer une telle occasion. Peut-être avait-elle exécuté son plan unilatéralement et un peu précipitamment, mais il n’était pas trop tard pour faire marche arrière, si Vrenn ne s'en sentait pas capable. Ou n'approuvait pas ses méthodes.
« Je vais rester avec madame, si des gens arrivent, je ferai la paniquée face au malaise et je dirai que tu es allé chercher de l’aide. Un ami médecin dans la salle, ou un truc du genre. Et que tu as juste mis du temps à le trouver. »
Et si elle commençait à montrer des signes de réveil, elle pourrait potentiellement la renvoyer faire un tour dans le monde des rêves tant qu'ils étaient seuls. Et, d’ailleurs, pour rajouter un petit peu de malaise à cette pauvre Nia, Amaryllis lui administra quelques doses de ses cornes qui rapetissèrent légèrement alors qu'elle la toucha rapidement au niveau de la nuque pour contrôler son pouls, stable. Cela devrait la faire se sentir étrange au réveil, un peu groggy, et aidera à faire passer l’hypothèse du malaise. Parce-qu’elle aura aussi à convaincre Nia elle-même, quand elle se réveillera.
« Ca te va? Désolée, j’ai pas vraiment pu t’en parler avant… Chéri.»
« T’façon on patinait, ma biche. A toute. »
J’me retiens de lui dire que j’ai largement de quoi me faire passer pour un serveur dans ma besace, entre les vêtements qui pourraient y ressembler, et le déguisement magique. Ce dernier remplace bien en cas d’urgence, si les gens n’y regardent pas de trop près, mais j’sais pas trop comment ça se comporterait vis-à-vis de tous leurs détecteurs.
J’m’engouffre dans le couloir, paré à utiliser tout ce que j’ai pu accumuler de matos si jamais je croise quelqu’un. Mais l’après-midi, ça doit quand même être des heures assez creuses, pas au point du matin cela dit, vu que y’a personne. Après avoir découvert trois débarras à produits d’entretien et à balais, j’arrive enfin dans un genre de vestiaire, qui sur mon plan mental doit pas être bien loin de la salle principale. Pas loin, y’a une autre porte avec un pictogramme incontestablement féminin. Vestiaire numéro deux, donc.
Les casiers sont alignés proprement, chacun avec leur verrou. Une simple formalité, pour le rossignol noir, et j’les ouvre et referme les uns à la suite des autres jusqu’à en trouver un qui contient une tenue qui semble m’aller à peu près. Dans le reste du rangement, j’trouve des babioles sans grand intérêt, le genre qu’on fout là pour pas se les trimballer en permanence : un mouchoir en tissu pas tout à fait propre, des trucs pour se débarbouiller, une bague avec le symbole du casino dessus, bref, les conneries habituelles.
J’me change rapidement, en mettant les affaires par-dessus les miennes, et j’me sens frappé d’une pensée à la con. Pas possible que tous les gens qui bossent là soient aussi bloqués dans l’utilisation de leurs pouvoirs, si ? Genre le cuistot ou le barman, c’est sûr qu’il peut utiliser ses talents, non ? J’essaie de me rappeler si j’ai vu des dingueries, mais y’a rien qui me vient.
Dans le doute, je rouvre les casiers métalliques avec leur peinture verte qui s’écaille. Heureusement que personne se radine. Ceux qui sont vides, je les referme direct, mais ceux qui le sont pas, j’inspecte plus en détail. Généralement, dans la porte, ou dans une poche facilement accessible du complet qu’ils portent, les serveurs, y’a toujours la bague. En la rapprochant de mon talisman magique, j’vois bien que ça réagit un peu.
Est-ce que ça permet l’utilisation des pouvoirs, ou d’ouvrir des portes inaccessibles autrement ? Pas la moindre idée. P’tet qu’Amaryllis saura un peu mieux, ou voudra tenter sa chance. Dans le doute, j’en empoche une de plus, j’ressers mon nœud papillon, et j’aligne les pans de ma veste, avant de jeter un coup d’œil dans la glace. Un coup de peigne magique pour plaquer mes tifs comme ceux des grouillots, et j’m’approche de la porte du vestiaire des femmes, mais y’a des voix à l’intérieur. Tant pis, temps de retrouver ma copine.
Au total, j’en ai p’tet pour… cinq minutes ? J’espère que y’a pas eu de couille.
J’entrouvre la porte, et j’vois Amaryllis toujours agenouillée à côté de Nia, dans une posture éplorée, mais le coin était suffisamment discret pour que personne se radine.
« Psst. Les larbins ont tous cette bague, j’sais pas si elle permet d’utiliser la magie sans alerter les détecteurs ou d’ouvrir des portes, mais prends-la au cas où. On laisse Machine ici et on essaie d’aller se promener ? Même avec les détecteurs, je devrais pas faire forte impression. »
D’habitude, mon pouvoir est assez diffus pour rien déclencher, et de toute façon, j’suis pas vraiment capable de l’arrêter. Mais vu que y’a rien qui s’est mis à gueuler et clignoter en route, j’pense pas qu’on va se souvenir que j’suis venu avec la rousse, si j’traîne pas trop à côté. J’pose doucement la main sur l’épaule d’Amaryllis, et j’active la Coupure Karmique.
« Tous les serveurs, Truque y compris, devraient t’avoir oubliée maintenant. J’essaie d’attraper un plateau et de trouver notre homme, j’te laisse à tes affaires, chérie ? »
Elle trouvera bien un truc à faire, hé.
Avec un hochement de tête un peu brusque –c’est qu’on bosse, nous– on s’sépare, et j’demande deux cocktails au pif au bar, qui me sont servis en deux-deux. Un bras dans le creux du dos, et le plateau en équilibre dans l’autre main, je joue mon numéro de funambule et m’dirige sans hésiter vers la porte suivante, et son garde de sécurité. Un clignement des yeux, et c’est le moment de tenter le coup du Déjà-Vu : je suis sûr que ce gorille m’a vu les jours précédents et sait parfaitement que j’bosse ici… non ?
Bien sûr que si, et j’suis récompensé par l’absence d’alerte magique.
Il hausse un sourcil.
« D’habitude, les plateaux ne circulent pas entre les salles.
- Il a commandé, puis s’est barré ailleurs quand il a vu un ami à lui, je lui cours après depuis deux minutes, quelle angoisse…
- Allez vas-y.
- Courage.
- Toi aussi. »
Quel plaisir, d’avoir des amis. Et des cibles, genre le type avec un cigare qui fait des grands gestes à une table de blackjack, en montrant frénétiquement les jetons d’un maigrichon qu’a pas l’air bien sûr de lui. Je refile les cocktails à deux poules de luxe en leur disant qu’ils sont offerts par un gars plus loin, et j’ramasse des coupes de champagne avant d’aller voir mon bonhomme, et de servir tranquillement toute la table, en laissant traîner mes oreilles.
« … là, tu doubles ta mise, les chances de perdre sont assez faibles alors que la banque va sauter.
- Tu es sûr ? Jusqu’à présent…
- Tu n’as juste pas eu de chance ! Mais la chance, ça tourne, comme la roue !
- Oui, oui, la roue tourne, mais elle n’a pas encore tourné, là…
- Je ne te croyais pas si froussard. Tu as peur de quoi ?
- De tout perdre.
- Peur de gagner ! C’est de ça que t’as la pétoche ! »
Ouais, bon, il encourage à jouer, quoi. J’ai vidé mon plateau, alors faut que j’trouve d’autres occupations, et j’espère que Chérie va se rendre utile, pasque même si j’lui ai mis le grappin dessus, j’sais pas trop quoi faire d’autre à ce stade, à part le traîner dans un coin sombre et lui casser la gueule.
« Les détecteurs ne sont pas si sensibles que cela, dans ce cas, je pense. Ou bien ils cherchent uniquement certains types de magies. Ou encore ils sont désactivés dans cette salle car non utilisée. En tout cas ça sera certainement utile. Surtout si tu peux avoir accès à toutes les salles du staff. »
Si les bagues immunisaient aussi à de potentiels détecteurs, cela laissait bien entendu tout le loisir aux croupiers de tricher. Mais ils n’étaient pas vraiment là pour incriminer le casino… Encore que. Amaryllis hocha la tête, réfléchissant à ses options pour la suite de ses affaires. Elle avait désormais une bague, qu’elle ferait mieux de garder assez discrète car une cliente possédant une bague avec le symbole du casino risquait peut-être de faire tiquer certains serveurs. Elle pourrait toujours la mettre aux moments les plus importants.
Redescendant vers l'accueil, elle vérifia bien que les deux ne se rappelaient pas d’elle, et décida cette fois-ci de se présenter non plus en tant que cliente cherchant à célébrer ses noces, mais bien en tant qu’elle-même. Amaryllis Tylwaen, invitée par Jan Tulmey. Et oui, elle venait de l’intérieur car elle l’avait cherché dans la salle principale, mais elle ne l’avait pas trouvé. Donc elle venait juste demander où il était. Était-elle annoncée? Non, bien entendu, elle venait un peu par surprise, elle était de passage à l’Archipel, et s’était dit qu’elle pouvait bien lui rendre visite en passant. En tant que collègue.
Son annonce se passait assez bien, et elle dut juste patienter le temps qu’un membre du staff du casino aille l’annoncer à Jan. Le temps pour elle de subir encore et toujours cette musique d’amour mièvre au piano, entêtante, dans laquelle elle ne voyait pas énormément de différences depuis avant. Elle commençait un peu à en être agacée à vrai dire, tant les accords et le rythme étaient fade. Quitte à donner une musique d’amour, elle préférait celles plus rythmées, laissant les danses se faire plus endiablées, comme des passes martiales, proches et éloignés subitement, forçant une communication gestuelle bien plus poussée que de juste se coller et de tourner en rond à deux. Alors elle espérait vraiment que cette musique ne se fasse pas aussi entendre dans la salle de Jan, parce-qu’elle en avait un peu assez.
Après quelques instants, le serveur du casino revint, pour l’accompagner en haut et la laisser entrer dans la salle de leur cible. Pas énormément de gens, mais Jan semblait être le centre de l’attention, le roi de la pièce. Il se tourna vers la rouge alors qu’elle les rejoignait, tandis que le regard d’Amaryllis qui balayait la pièce remarqua son homme déjà bien présent en train d’effectuer son faux travail. Parfait.
« Oh, Amaryllis, je ne t’attendais pas! Je ne pensais pas que les casinos étaient vraiment ton environnement. »
« Oh, ce n’est pas trop dans mes habitudes, mais je profitais de quelques vacances à l’archipel pour visiter des anciens compagnons d’arme, et je me suis dis que je pourrais en profiter pour passer te rendre visite, puisque tu parles toujours à tout le monde de ce fameux casino! Je suis venue un peu tôt, malheureusement, la saison chaude avec la plage juste à côté aurait été encore plus agréable. »
« Tu aurais pu me prévenir un peu avant, mais ce n’est pas grave, viens, viens, installe-toi. Tu sais jouer au blackjack, non? »
Poussif, il avait l’air d’avoir envie de la voir jouer, la traînant vers la table de jeu avec une main dans le dos pour la laisser s'asseoir. Lui-même par contre, ne semblait pas vraiment y poser les fesses. Un peu plus loin, d’autres machines à sous tournaient de temps en temps alors que ses invités les actionnaient avec quelques jetons. Amaryllis se laissa aller, s’installa, jouant la débutante au jeu, se laissant se faire expliquer les règles, qu’elle connaissait. Tout ça pour passer pour un pigeon. Et ça n’avait pas l’air de déranger Jan, qui l’incitait clairement à jouer plus fort, perdre plus de cristaux.
Après quelques instants et de petites parties, il regarda tout de même le serveur qui était encore dans la salle.
« Vous pouvez nous laisser, je pense, monsieur, nous sommes tous servis. »
« Oh, pourquoi? Autant profiter d’avoir quelqu’un d’ici pour nous servir autant que l’on veut, non? Et puis, il est plutôt mignon, n’est-ce-pas mesdames? »
Les deux dames avec leur verre en main gloussèrent légèrement en regardant le serveur, l’une d’elles rougissant peut-être un peu plus qu’une autre. Quel tombeur, déjà marié, et toujours séducteur à peine avait-il commencé son nouveau métier. Quoi qu’il en était, Jan réembraya rapidement sur le Blackjack, où Amaryllis décida de jouer des coups parfois volontairement mauvais pour appuyer sur sa fausse inexpérience. Elle connaissait pourtant bien les jeux d’argents, en tant que femme de la nuit à la Capitale. Même s’il étaient rarement aussi réglementés que dans un casino, elle connaissait assez bien les chances du Blackjack, et c’était en général l’un des jeux les plus “neutres” au niveau de la rentabilité. Pourtant, la banque gagnait souvent, contre elle tant que contre les autres. Au point où ça en était louche. Mais beaucoup semblaient ne pas y faire attention. Ca n’empêchait pas de gagner parfois, bien sûr, mais la rouge était presque certaine qu’il y avait anguille sous roche.
Enfilant discrètement sa nouvelle bague à la main gauche, remarquant que le croupier en avait évidemment une lui aussi, elle profita d’une distribution de cartes et de ramassage de jetons pour laisser sa main rencontrer celle de l’employé, tandis que ses cornes rapetissèrent un petit peu à nouveau. Quelques petites doses de ses cornes discrètement données au croupier tandis que personne n’y faisait attention, elle retira rapidement sa main en s’excusant rapidement et faiblement, avant de continuer à faire comme si de rien n’était.
Amaryllis décida ensuite de jouer un peu plus sérieusement, tandis que le croupier, visiblement un peu plus perturbé et un peu pâlot continuait de distribuer correctement les cartes, sûrement par habitude. Néanmoins, ses coups étaient bien moins logiques en tant que banque. Chaque croupier au blackjack savait exactement quoi faire dans chaque situation, mais sous l’effet des cornes d’Amaryllis, la réflexion et les calculs statistiques devenaient évidemment un peu plus compliqués. Lors d’une main particulièrement tendue, Amaryllis cru voir l’une des cartes changer alors qu’il était en train de la poser. Cela s’était joué à quelques centièmes de secondes, et Amaryllis sembla être la seule à l’avoir remarqué. Elle dirigea son regard améthyste droit vers l’employé, qui, mal à l’aise, termina la main avant de décréter une pause sous le regard légèrement suspicieux de Jan. Le croupier se leva, se dirigea vers les tunnels à l’arrière des salles. Amaryllis, profitant de son anneau de pensée, et toujours avec la bague du casino sur elle, dirigea quelques pensées vers son camarade d’enquête.
* Le croupier trichait, je pense. Jan est peut-être de mèche et prend peut-être une commission sur les gains en incitant les gens qu’il invite à jouer. Je l’ai fait aller mal, suis-le et interroge-le. Verbalement. *
Amaryllis se releva pour éviter que Jan n’empêche le croupier de partir.
« Oh, je peux comprendre, il a aussi droit à une petite pause. Et puis, j’ai déjà perdu assez de cristaux comme cela, je pense. Je venais aussi pour un peu parler avec toi, pas forcément jouer toute la journée. Je ne pense pas que j’ai les finances pour de tout de façon! »
Essayant de le happer dans une conversation, détourner l’attention de ce qui venait de se passer, elle voulait juste laisser le champ libre à Vrenn, alors que son regard se baladait rapidement sur les autres machines. Certainement que les machines n’étaient pas un souci : le casino pouvait les régler pour qu’elles soient aussi rentables qu’ils le désiraient sans que ça ne soit de la triche. Le croupier, par contre, avait sûrement recours à des artifices…
Putain, ça m’a surpris quand j’ai entendu la voix d’Amaryllis dans ma tête. Les trucs de télépathie, avec des pastilles, des potions, des objets magiques et autres joyeusetés, là, quand on s’y attend pas, ça fait toujours sursauter : j’ai manqué d’en faire tomber mon plateau, heureusement vide, par terre. Ça l’aurait foutu mal, déjà que j’ai rien à faire ici et que j’ai une notion que très approximative du boulot de serveur.
De ce que j’ai compris au bout de vingt ans d’expérience à consommer côté client, faut faire la gueule, être désagréable, servir rapidement, draguer les copines des gars assis, et globalement donner l’impression de soulever le monde à chaque fois qu’on fait un pas. Autant dire que j’maîtrise le rôle à la perfection.
Après, un croupier qui triche, est-ce que ça fait pas partie de l’expérience qu’on recherche quand on va au casino ? Toujours est-il qu’on a enfin un début de piste, et que c’est à moi d’aller confirmer ça. J’commence déjà à réfléchir à quels objets magiques j’vais sortir de mon sac sans fond, qui commence à être tellement plein que j’ai peur qu’il craque aux entournures.
L’employé part en titubant légèrement, et se fait remplacer fissa par quelqu’un d’autre, en faisant signe que ça va pas terrible. La sécurité jette un œil aux sceaux de détection, et j’me dis qu’on a bien fait de se munir des bagues. Rien à voir, rien à faire. Le croupier passe une porte de service, et j’le rejoins ostensiblement avec un verre d’eau.
« Hé, ça va aller ?
- Je me sens bizarre, brusquement patraque…
- Oh mince, c’est le repas de ce midi qui passe pas ? Moi-même…
- J’ai pas mangé.
- Ah. Tant pis, alors.
- Huh ? Comment ça ? »
C’est le moment où j’le brutalise ? P’tet pas encore.
« Nan, rien. Tu crois qu’ils t’ont vu, à la table ?
- Hmmm… je pense pas. Ils ont dû se dire que c’était un jeu de lumière ou quoi. Pour ça aussi qu’il valait mieux prendre une pause… Je te connais ?
- Bien sûr. »
Un coup de Déjà-vu, en tout cas, le rassure tout de suite.
« En cheville avec le mec de la Commission, non ?
- Hein ? De quoi tu parles ?
- T’inquiète, on m’a dit, pour que j’allonge bien les verres, pour les encourager.
- T’es bizarre, un peu, non ?
- Non ? »
Il plisse les yeux. Je crois que c’est le moment, du coup. J’l’attrape par les cheveux, et j’lui écrase le pif contre le mur, et il peut pas gueuler avec ma pogne qui recouvre le bas de visage. Quand il rouvre les yeux, il voit en gros plan la pointe de mon couteau, et comprend qu’on n’est pas là pour un cours de chant.
« Allez, je repose la question. Est-ce que vous êtes en combine avec le vieux de la Commission ?
- N… non.
- Beebop, mauvaise réponse. »
Le globe de vérité qu’est posé contre son cou affiche pas une couleur satisfaisante.
« La sécurité va venir et…
- Personne va venir te sauver, mon gars. Réponds à la question en disant la vérité ou je t’en recolle une. »
Il essaie de loucher sur le globe, mais parvient pas à le voir. J’soupire.
« C’est un globe de vérité, si tu mens, je le sais. Alors accouche, j’ai pas envie de foutre du sang sur mon costume. »
Il cherche dans mes yeux si j’bluffe, mais visiblement, il y trouve pas la réponse qu’il attendait, pasqu’il finit par déglutir visiblement.
« Il bosse avec le casino, il nous ramène des clients et nous aide à les tondre, pour éponger une partie de ses dettes. C’est le chef de salle qui m’a prévenu, et qui le tient du patron.
- Ben voilà, c’était pas si dur.
- Du coup, vous allez me laisser partir ?
- Bien sûr. »
Et puis quoi encore ? Le manche de mon couteau tombe trois ou quatre, ou cinq, allez, sur l’arrière de son crâne, jusqu’à ce qu’il bouge plus. Pas de sang sur ma chemise, tout va bien. Lui, par contre… Faudrait pas que je le laisse là, ça ferait mauvais genre. J’le choppe sous les aisselles, et j’le traîne plus loin, genre y’a sûrement une salle de pause ou quoi, faut juste espérer qu’elle soit vide…
Coup de bol, elle l’est.
Y’a des bancs au centre, pour s’asseoir et se changer, des casiers le long des murs, d’une couleur bleue un peu dégueulasse, et des miroirs pour s’assurer qu’on est beau et présentable. A l’odeur, ça doit être les nanas, ici, vu les effluves de parfums floraux. Y’a une p’tite fenêtre façon soupirail, pas le genre par lequel on pourra s’enfuir. J’ouvre un des casiers avec le rossignol, et j’bourre mon bonhomme dedans avant de refermer d’un coup sec. Ça fera bien l’affaire.
Dans la grande salle, j’attire l’attention d’Amaryllis, puis j’regarde son bonhomme, et je hoche la tête. Ouais, il est dedans jusqu’au cou. Reste à voir si on considère la mission accomplie ou si on creuse un peu davantage pour lui sortir les couilles du feu.
Et là aussi, inciter ses collègues ou amis à jouer n’était pas vraiment illégal non plus. Encore fallait-il prouver que Jan touchait des cristaux de cet accord qui revenait du coup à une sorte de travail au black. D’ailleurs, son coéquipier, revenant dans la salle après quelques minutes, hocha de la tête pour lui faire comprendre que ses soupçons étaient bien confirmés. Maintenant, est-ce-qu’ils avaient vraiment de quoi creuser plus loin en tant qu’infiltrés? Amaryllis n’en était pas si certaine, à moins d’aller fouiller dans les comptes du casino et de ceux de Jan, qu’ils n’allaient évidemment pas dévoiler ainsi. A moins aussi de choper Jan et de le faire parler.
« Je vais aller prendre l’air un moment. »
Elle avait parlé assez fort pour être entendue de Vrenn aussi, et profita de cette excuse pour s’éclipser un instant, allant s’arrêter en face d’une petite baie vitrée donnant sur la mer et la plage. Le sable fin en volutes laissait place à une eau turquoise d’une pureté et d’une couleur qu’on ne pouvait trouver que dans les îles du Sud. Du moins, naturellement. Elle avait déjà vu des installations magiques visant à le reproduire mais elles n’avaient clairement pas le même cachet. Surtout avec le ciel bleu et ses petits nuages blancs mouvants fusionnant presque avec la mer bleue à l’horizon.
Rejointe par son compagnon de mission loin d’oreilles indiscrètes - profitant peut-être de l’excuse d’aller se faire servir, elle parla donc à mi-voix.
« Donc, il touche des cristaux du casino? Il utilise des fonds de la Commission pour jouer? Les deux? Dans tous les cas, il faudrait les extraits de compte des deux partis pour pouvoir le prouver efficacement. »
Mais cela passait en général par un tas de demandes compliquées, et elle préférait laisser ce genre de travail à la justice et aux personnes en charge de récupérer ce genre de documents - pas aux enquêteurs de terrain comme eux. L’autre solution était d’aller loucher dans les documents secrets du casino, mais l’opération était assez risquée, et certainement assez peu légale.
« Et puis, est-ce-qu’on embarque notre homme? Ou bien on ramène juste les preuves et la déposition? Je peux éventuellement réussir à le faire sortir hors du bâtiment pour l’embarquer et éviter un scandale général dans l’établissement. »
Parlant toujours à mi-voix pour éviter d’éventuelles oreilles indiscrètes, elle laissa échapper un léger soupir. Ce serait bête de ne pas profiter de l’endroit alors qu’ils y étaient, d’ailleurs. Une fois le travail bien fait, ils avaient bien le droit de prendre un peu de temps pour eux, non?
« Et puis on serait bêtes de ne pas profiter de l’endroit une fois que le travail sera fait. »
Avec ses propres cristaux, et pas en notes de frais, évidemment. L’idée n’était pas de finir comme Jan avec des enquêteurs aux fesses.
J’rejoins Amaryllis, et on échange les nouvelles.
« Ouais, le croupier a été obligé, grâce des objets magiques que j’ai, de cracher que Jan épongeait une partie de ses dettes en attirant des nouveaux clients et en les encourageant à perdre. Avec sa position à la Commission, son influence doit être non-négligeable et du coup, ceux qui veulent s’attirer ses faveurs doivent se sentir forcés de raquer. Pas dit que ça diminue vraiment les dettes de notre coco par contre. »
Le paysage dehors est sympa, mais moins que la vue j’ai à portée.
« Pour ce qui s’agit de le prouver, le chef de salle et le croupier pourront sans doute confirmer, et Jan aussi s’il passe à la potion de vérité. P’tet que sa position le rend assez sensible pour mériter un coup de sérum ? Ça m’étonnerait pas en tout cas. Ou p’tet qu’il sera juste subtilement mis dehors, pour pas faire de vagues, mais ça devient des considérations politiques qui m’échappent et m’indiffèrent, à ce stade. »
Faudrait que j’vire ce costume, j’suis pas censé tailler le bout de gras avec une cliente en particulier, et si un chef vient me chier dans les bottes pour que j’aille servir des mojitos fraise, j’sens que ça va salement me gonfler assez vite.
« Le bonhomme est rangé dans un casier dans les couloirs de service, en train de faire sa meilleure sieste, donc on risque de galérer salement à le faire sortir, sans compter que l’utilité sera pas extraordinaire. Si y’a besoin de davantage, genre les livres de comptes, j’suppose que d’autres gens viendront les récupérer… On aura au moins confirmé que y’a une couille dans le potage, et c’est finalement tout ce qu’on attendait de nous. Les suites de l’affaire, c’est bien à eux de décider, pas à nous, ou en tout cas pas à moi. »
J’suppose que ça va finir sur la table de Zah, et celle de Furi. P’tet plus haut, mais ça m’étonnerait, honnêtement. Puis après, y’a tellement de ministères, de services rattachés à la Couronne, ça doit être blindé d’emplois fictifs, donc ils dégoteront bien quelqu’un pour bosser un jour ou deux et faire les vérifications qui s’imposent.
Quand Amaryllis propose de profiter du cadre de rêve de la mission, je hoche la tête. Le bateau repart que le lendemain, sûrement une histoire de marée, donc on aurait effectivement tort de se priver. Après tout, on n’a pas toujours l’occasion de s’amuser dans les casinos de l’Archipel. Faut juste que je réussisse à me débarrasser de mon costume de larbin pour reprendre mes sapes de client et…
Un détour par les chiottes suffit pour régler ce léger souci, et le plateau de service est dans mon sac sans fond. J’le balancerai dehors, ou à la gueule de quelqu’un histoire de rigoler un coup. J’retrouve ma rousse et j’me demande un truc.
« En théorie, on devrait pouvoir rester dans ce casino, surtout si on monte, vu qu’ils auront tendance à avoir oublié pas mal de choses, mais pour être sûr de notre coup, on pourrait aller à celui d’en face, non ? »
Elle acquiesce, pasque c’est plus sûr, et qu’on n’a pas de raison de prendre de risque à ce stade. Le casino, un plutôt un des casinos d’en face, est globalement sur le même modèle, avec les mêmes tarifs. Les seuls changements, c’est la déco et les costumes du petit personnel. Davantage coloré ici, avec des carreaux rouges et bleus, deux couleurs que j’aurais pas forcément associées, et une imagerie qui est censée rappeler celle du Palais Royal. J’suis un peu sceptique mais vu que j’y ai pas masse mis les pieds, j’me dis, pourquoi pas. En tout cas, les gens sont adorables quand ils voient nos cristaux, et on vaque de table de jeu en machine à cristaux, avec de fréquents allers-retours par le bar histoire de rester bien hydratés, avec la chaleur.
C’est surprenant pour personne quand on se retrouve dans les étages, dans une suite, et que le haut de sa robe glisse doucement pour révéler davantage puis tout un petit mont que j’connais et dont je me souviens bien. J’hésite à la faire se rappeler des fois précédentes, mais y’a un plaisir pas si coupable à pas le faire, et les heures défilent.