Lieu : Dans une auberge de village
Événement : Vous vous retrouvez à votre propre mariage, sans que vous ayez été au courant bien évidemment.
Contrainte : Il ne doit jamais y avoir de prénom ou nom (de PJ ou PNJ) dans votre narration (autorisé dans les dialogues).
La robe : WWW
Elle fixait, sans comprendre, l’accoutrement dont on essayait de l'attifer depuis une demi-heure maintenant. La robe qu’elle portait était trop décolletée et lui serrait bien trop la taille. Elle avait l’impression de ne plus avoir le droit de respirer et elle se demandait comment elle allait faire pour ne pas se prendre les pieds dans la longue traîne. On piqua son crâne avec une épingle, sertie d’or et de pierres précieuses qu’elle n’aurait jamais imaginé avoir dans sa chevelure d’or un jour, et elle poussa un petit cri indigné, essayant de se rebeller une nouvelle fois contre ces hommes et ces femmes qui s’affairaient autour d’elle. On essayait de la rendre attrayante, jolie. Non pas que la tâche soit difficile, elle avait hérité d’un physique avantageux, mais la vie n’avait pas été tendre avec elle ces derniers temps et elle en portait les stigmates dans et sur sa chair. Quelqu’un laissa échapper un râle colérique. On ne trouvait plus le fard à paupières, ni même les pinceaux de maquillage en poils de floki. C’était un scandale. Une autre s’exclama qu’elle allait les chercher, on termina de fixer son chignon et on lui demanda si elle n’était pas trop stressée. Elle se rendit compte qu’elle était incapable de prononcer le moindre mot. Pourquoi devait-elle être stressée et qu’était-on en train de lui faire ?
Ce matin-là, elle s’était réveillée, comme à son habitude maintenant que le mercenaire n’était plus, dans son propre lit. Elle avait nourri et caressé ses familiers, puis s’était préparée à sortir pour vivre une journée banale, dans une vie banale et dans un corps sans le moindre hôte indésirable. Elle avait décidé de sortir de la Capitale pour se rendre dans les villages voisins, avec pour objectif principal de retourner voir ses parents qui habitaient à quelques heures de route de la grande ville. En fin de matinée, elle s’était arrêtée devant une auberge tout à fait anodine pour faire une pause. L’auberge s’appelait Aux jeunes mariées ! et, bien qu’elle ne nourrisse aucun projet marital, elle avait choisi d’y prendre son déjeuner. Elle avait payé son repas et, assise à une table reculée et dos au mur, elle avait mangé tout en observant les autres. Elle ne pouvait désormais plus s’en empêcher. Où qu’elle soit, elle aimait analyser ce que les autres faisaient et essayer de deviner quelle pouvait être leur vie. Elle savait que ce trait de caractère était un résidu des activités illégales du feu mercenaire - dont elle avait, à son plus grand regret, hérité.
C’est lorsque cette femme à la peau basanée et aux grands yeux violets s’était permise de s’asseoir à sa table que les choses avaient commencé à dégénérer.
Elle lui avait parlé d’alliances et de destin, une étrange fumée mauve s’était échappée des oreilles de l’étrangère. Cette dernière l’avait intensément fixée et, l’instant d’après, elle s’était retrouvée au premier étage de l’auberge, dans l’une des chambres, avec une armée pour la préparer à…
- Mais enfin, mademoiselle Streÿk, votre mariage ! N’êtes-vous donc pas heureuse, de vous unir à celle qui fait battre votre cœur si fort ? Oh, comme je vous envie. J’ai moi-même maintes fois essayé de convaincre mon compagnon, mais il préfère continuer de batifoler dans les casinos de la Capitale et…
- Mais, enfin, l’interrompit-elle en reprenant la même expression et en ouvrant ses yeux ronds comme des soucoupes, s’il batifole ailleurs, vous devez le rejeter sans ménagement ! N’avez-vous donc pas la moindre once de jugeote ?
- Oh, vous dites ça car vous ignorez que votre future épouse batifole elle aussi certainement avec d’autres personnes pendant que vous avez les yeux tournés ailleurs ! Moi, j’ai cette clairvoyance et, même en le sachant, je ne peux m’empêcher de continuer d’aimer mon brave Georges.
- Vous êtes… Complètement déconnectée de la réalité, souffla la blonde en essayant, une nouvelle fois, d’amorcer un mouvement pour que toute cette mascarade cesse.
Force lui était de constater qu’elle ne pouvait pas bouger. Elle était comme contrainte de subir ce scénario ridicule et qui n’avait aucun sens. Comment pouvait-on la marier contre son gré ? Pourquoi tout le monde semblait penser qu’elle était d’accord avec tout ça et, pire encore, à ce point éprise de sa nouvelle épouse ? Une petite minute… Avait-elle bien entendu « épouse » ? Elle n’avait pas eu de relation amoureuse depuis quelques temps, mais elle était persuadée qu’elle avait toujours eu une attirance fortement marqué pour le sexe opposé au sien. Qui était donc la malheureuse victime ?
Tout ceci ne devait sans doute qu’être une vaste blague mais, quand elle essayait d’y réfléchir, ses souvenirs étaient brumeux, une brume d’une teinte violacée, et elle ne comprenait pas comment elle avait pu se retrouver là autrement qu’en l’ayant espéré toute sa vie. C’était comme si chaque parcelle de son être lui criait qu’elle n’avait fait qu’attendre ce moment. Et, quand elle essayait de se rappeler qui était l’être chère auquel elle allait s’unir, elle ne distinguait que vaguement un sourire angélique et une chevelure aussi dorée que la sienne.
On revint avec les fameux pinceaux en poil de floki et le fard à paupières et on la fit descendre de la petite estrade sur laquelle elle se tenait pour s’installer devant une petite coiffeuse de verre. Elle lui rappelait étrangement celle qu’elle avait elle-même confectionnée dans son petit appartement. Elle effleura la surface scintillante, sursautant lorsqu’on commença à lui appliquer une tonne de produits sur le faciès. Pas une seule partie de son visage n’y réchappa. Elle en avait eu partout : sur son teint, sur ses lèvres, sur ses yeux et même son cou et la naissance de sa poitrine avaient été couvertes de quelques paillettes, discrètes et sophistiquées, qui brillaient de milles feux avec l’élégant pendentif qu’elle arborait et ses discrètes boucles d’oreilles, en perles issues tout droit des cultures de la Ville Aquatique.
On l’aida à se relever pour l’emmener devant un grand miroir. Elle s’observa à plusieurs reprises, ne sachant pas vraiment quoi penser de son accoutrement. Elle était… Belle. Oui, certainement. Le maquillage avait aidé à estomper certaines rougeurs et à la rendre plus rayonnante. Elle ne ressemblait plus à celle qu’elle avait été, quelques minutes auparavant. Elle semblait pleine de vie et elle n’osa même pas toucher à ses cheveux, de peur de défaire les tresses et autres beautés qu’on avait réussi à faire avec sa tignasse d’ordinaire un peu plus indisciplinée.
- Nous y allons ?
- O… Oui, se surprit à répondre la femme sculpteuse de verre.
On la fit descendre dans les escaliers, où personne ne retint ses exclamations de surprise et d’ébahissement à la vue de la Belle. Elle entendit aussi quelques applaudissements et quelques propositions indécentes qui la fit rougir jusqu’aux oreilles. On l’emmena dans les jardins, juste derrière l’auberge et on l’arrêta devant un joli petit autel orné d’une multitude de fleurs très colorées.
Elle n’avait plus qu’à attendre sa promise, qui sera-t-elle ? Elle se sentait un peu gauche. Elle avait peur de ne plus lui plaire. Attendez, quoi ? Mais que se passait-il ? La jeune femme semblait peu à peu se laisser totalement emporter par cette rêverie, cette illusion… Ou en tout cas ce qui lui parvenait maintenant être la réalité. Elle serra un peu plus fort le bouquet de roses blanches qu’on avait refourgué dans ses mains et elle attendit.
Comment j’en suis arrivée là bon sang ?! se demandait-elle en affichant un de ces faux sourires dont la noblesse a le secret pour ne pas faire trop mauvaise impression à son propre mariage. La prêtresse de Lucy présente pour célébrer la cérémonie et bénir leur union commença alors son discours tandis que la blonde tâcha le plus rapidement possible de remettre un peu d’ordre dans le foutoir que constituaient ses pensées.
Réfléchissons… Elle se souvenait bien des nombreuses et longues préparations ayant précédée son arrivée dans les jardins. On lui avait rincé le visage et lavé les cheveux minutieusement, comme si on voulait chasser le moindre grain de poussière de sa peau laiteuse et comme si aucune mèche blonde -aussi fine et imperceptible puisse-t-elle être- ne serait autorisée à s’emmêler avec l’une de ses sœurs. On ne tarda pas ensuite à faire entrer l’homme ayant la lourde responsabilité de coiffer la fameuse chevelure d’or de la noble de la plus élégante des manières. Une tâche qu’il prenait de toute évidence très au sérieux au vu du nombre de fois qu’il recommença son ouvrage à cause d’une "petite erreur totalement impardonnable pour une si belle cérémonie". Tandis qu’il s’affairait à créer le chignon sophistiqué qu’il avait en tête, une véritable brigade de maquille s’occupait d’embellir le visage de la future mariée. En cet instant elle s’était sentie comme un joyau que l’on polissait avec minutie. Par chance, elle avait déjà connue ce genre de manège auparavant et n’en avait pas trop subit le stress. Et.. et cela ne l’avançait à rien de se souvenir de ça. Ça n’expliquait toujours pas comment elle s’était retrouvée à devoir se marier, visiblement de son plein gré. S’il s’était agit d’un mariage politique arrangé par sa mère pour en tirer le meilleur profit pour sa famille, encore, elle aurait aisément compris mais ce n’était pas du tout le cas. Elle n’avait en revanche plus le temps de réfléchir, la prêtresse venait de lui demander si elle acceptait de prendre sa promise pour épouse. Tous les regards étaient tournés vers elle, il n’y avait qu’une seule réponse valable, celle qu’ils attendaient tous pendant un instant qui dut paraitre une éternité avant qu’enfin un - Oui ! franc se fasse entendre. Elle n’avait pas réfléchit, ses lèvres s’étaient ouvertes toutes seules pour annoncer sa réponse. Ses capacités cognitives lui apparaissaient comme mises hors services et ça ne semblait pas vouloir s’améliorer avec le temps.
On apporta les deux superbes bagues serties de pierres précieux brillant d’un éclat à en faire pâlir plus d’un, le tout reposant sur un petit coussin de velours rouge et, contemplatrice d’elle-même comme si elle se trouvait hors de son propre corps, elle échangea les alliance avec sa femme en devenir.
- Vous êtes maintenant unies par les liens sacrés du mariage, vous pouvez vous embrasser.
Un nouveau couperet venait de tomber, un nouveau couperet qui acheva la dernière parcelle de conscience dans l’esprit de la noble qui n’hésita pas un instant à enrouler ses bras autours de la taille de l’autre vedette du jour pour l’embrasser langoureusement. Pourquoi faisait-elle ça ?
Elle était debout, au milieu des autres, toute seule ; ou du moins elle ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’elle la dévisageait, sa promise leva la tête ; elle fléchit involontairement les épaules ; et, quand elle s’arrêta, juste en face, la sculptrice osa de nouveau la contempler.
Elle avait un chignon sophistiqué, dont aucune mèche blonde ne s'échappait, travail d’orfèvre. Le ruban qui le maintenait descendait très bas et semblait presque presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe bascule rouge, en dentelles, laissait voir ses belles et longues jambes fuselées. Elle souriait ; et son nez droit, son menton, et toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu.
Jamais elle n’avait vu cette splendeur de sa peau laiteuse, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Elle considérait le large bouquet qu’elle serrait contre sa poitrine avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Elle souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites.
Mais laissons de côté ces mots d’un auteur d’un autre monde pour se concentrer sur la suite de cette étonnante péripétie.
Ses lèvres étaient douces et sucrées comme le miel. Enhardie par l’action de sa, nouvellement, femme, elle la fit basculer en arrière et sa main trouva seule le chemin jusqu’à l’arrière de sa tête pour s’y plaquer et intensifier le baiser. Elle eut un moment de lucidité durant lequel elle ouvrit les yeux et les écarquilla de surprise. Que faisait-elle ici ? Qui embrassait-elle ? Il lui sembla apercevoir une touche de violet avant de se laisser de nouveau emporter par la chaleur de ce langoureux échange. Autour d’eux, applaudissements et cris de joie le ponctuait. Elle souriait lorsqu’elle s’éloigna de sa dulcinée et qu’elle attrapa son bras pour la conduire là où la foule voulait les emmener. La blonde à la chevelure tressée ignorait ce qu’on attendait désormais d’elles, mais tout semblait avoir été prévu sur mesure.
Bien vite, puisque c’était seulement à quelques pas, elles arrivèrent devant un gigantesque banquet. Il y avait des musiciens, des chanteurs et plusieurs autres artistes qui usaient de leur talent pour amuser la galerie. La tressée, envoûtée par ce spectacle, ne se rendit même pas compte qu’elle était désormais assise au milieu de la plus grande tablée, l’autre à ses côtés.
Elles échangèrent un regard et quelque chose, un minuscule quelque chose, se brisa à l’intérieur d’elle. Elle eut comme l’impression que quelqu’un s’amusait à jouer au petit enchanteur dans sa tête, pour lui faire ressentir mille et une émotions. Cette figure, cette prestance ; il lui semblait savoir qui elle était sans réussir à remettre un nom. Tout en triturant sa bague sertie de pierres précieuses, véritable merveille qui devait valoir une fortune, elle se pencha vers sa compagne pour lui souffler quelques confidences dans le creux de l’oreille.
- Je… Je dois t’avouer quelque chose.
Elle se mordit la lèvre inférieure, levant les yeux pour admirer le faciès enjôleur de celle à qui on l’avait unie. Ce qui s’était brisé sembla se réparer instantanément. Elle en oublia ses premiers mots, plongée dans l’abysse de ce regard auquel elle ne voulait pas se soustraire.
- J’ai fait venir en douce un énorme gâteau, avec un lâché de colombes. Je ne pouvais pas te refuser ça.
Elle effleura tendrement le bout de son nez avec le sien, avant de se tourner vers un homme d’âge mûr qui l’alpaguait pour lui parler. Elle n’arrivait pas à se rappeler où elle l’avait rencontré, mais il semblait bien se connaître puisqu’il la félicita à de nombreuses reprises et complimenta l’apparence des deux mariées, leur souhaitant bonheur et félicité éternels.
- Ivara, Andra, je suis si heureux pour vous.
Le premier prénom, c’était le sien. Elle n’avait aucun doute là-dessus. Le deuxième prénom ne lui disait rien et, pourtant, elle était intimement convaincue qu’elle l’avait toujours su et qu’elle la connaissait. Elle avait l’impression d’être dans un de ces rêves où des événements extraordinaires se produisaient tout en ayant l'air parfaitement normaux. Avait-elle été victime d’amnésie ? Devait-elle s’en inquiéter et prévenir celle qu’elle avait épousée ? « Hé, excuse-moi chérie, mais je ne me souviens pas vraiment de toi… Impossible de lui dire ça non » pensa-t-elle, se débarrassant de cette idée absurde.
- Andra, murmura-t-elle.
Il lui sembla que ce prénom lui convenait à merveilles et qu’elle ne devrait s’en défaire pour rien au monde. Pire encore, elle fut prise du besoin irrépressible de caresser sa joue quand elle fut comme frappée par l’éclair. Subitement, elle la dévisagea avec tout un autre regard.
- On fait quoi ici ? lui demanda-t-elle de but en blanc. Je ne sais pas du tout qui tu…
Mais elle n’avait réussi à lutter que quelques secondes contre cette étrange stase, et elle s’en retourna aussitôt à ses préoccupations plus légères en déposant le dos de ses doigts contre la pommette de l’autre blonde. Autour d’eux, tout le monde s’affairait et des danseurs professionnels se mirent en place devant elles pour débuter leur numéro.
Si la sculptrice réussissait à avoir quelques instants de lucidité, elle n’était cependant pas capable de les maintenir plus de cinq secondes et, surtout, elle ne se souvenait absolument pas de ce qu’elle avait pu dire dans ces moments-là. Elle oscillait entre deux états que nul autre que celle qu’on avait désigné comme étant sa femme ne pouvait voir, de par sa proximité.