Élise se tient dans son bureau, l'air pensive. Ah, la capitale... Il n'y a pas à dire, cette ville est magnifique. Peu importe où elle regarde, elle ne voit que du resplendissant : les habitations des nobles, la place marchande, la fameuse guilde des aventuriers... Et bien entendu, le palais royal. Où que l'on se trouve, on en aperçoit au moins un petit bout. Mais comme partout, il y a de la misère... Oh, elle est bien différente de celle des quartiers dans lesquels Élise a grandi bien sûr, mais elle est bien présente. Juste... Infiniment mieux cachée.

Officiellement, elle se déplace à la capitale pour la mise en vente d'un nouveau produit. Mais dans les faits, elle s'en fiche pas mal. Elle ne s'est pas dérangée jusqu'ici tout ça pour mettre quelques bouteilles en rayon. Non, elle est là pour un projet plus... Ambitieux. La Table d'Émeraude ayant vu le jour il y a quelques mois de cela, il est grand temps d'évaluer son terrain de jeu. La presque totalité des barons du crime du Grand Port sont déjà dans sa poche, il est temps de passer à la vitesse supérieure. Toutefois, il faut faire ça proprement : évaluer la force de la concurrence, la présence de la garde, l'attrait pour ses produits... Bref, beaucoup de tâches ennuyeuses mais nécessaires pour que tout se passe sans accroc. Qui plus est, on parle de la capitale, le centre névralgique d'Aryon. Les criminels, la garde, le commerce... Tout est plus difficile ici. Voilà quelques semaines maintenant qu'elle observe un peu chaque soir les quartiers les plus pauvres. Ce qu'elle cherche, c'est un potentiel consommateur. Quelqu'un qui pourrait faire découvrir les produits de la Table à ses compères et la renseigner sur le marché.

Et ses recherches finirent par porter leurs fruits : Nevaeh Farley, hôtesse à la guilde des aventuriers. Comme quoi, ils ne connaissent pas si bien leurs employés que ça... Elle a déjà chargé un de ses hommes de la filer pour trouver la maison de sa cible, il n'y a plus qu'à lui rendre une petite visite de courtoisie... En temps normal, jamais Élise ne se serait occupée elle-même de ce genre de tâche. Malheureusement pour elle, la seule autre personne en qui elle a suffisamment confiance se trouve actuellement au Grand Port... Comme on dit : à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Elle lâche un petit soupir, avant d'enfiler une longue cape noire. Son masque émeraude en main, elle sort discrètement de sa résidence et se dirige vers les quartiers pauvres. Toutefois, prudence serait de mise : si au Grand Port tout le monde connaît ce masque vert à l'expression dure, ici, il n'en est rien. Il vaut mieux ne l'enfiler qu'au dernier moment. La nuit suffira à couvrir son identité.

Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour rejoindre l'habitation de Nevaeh. Enfin, habitation... Difficile de qualifier un taudis pareil de maison. Un petit amas d'appartements, empilés sur deux étages... Et dire qu'elle aurait pu passer le restant de ses jours dans une bicoque similaire... Un frisson de dégoût lui traverse l'échine. Elle monte les escaliers, s'assurant au passage qu'aucun garde ne soit dans le coin, puis s'arrête devant la troisième porte. Elle tend son doigt devant la serrure, et de petites gouttes de liquides noirs s'introduisent délicatement dans le mécanisme. Un bruit sec retentit et... Tada ! Il n'y a plus qu'à pousser la porte pour entrer. Nevaeh remarquera tout de suite que sa porte a été forcée, mais c'est pour le mieux. Élise cherche à la déstabiliser, sans plus. Inutile donc qu'elle ne prenne conscience de sa présence qu'au dernier moment. Maintenant, il ne lui reste plus qu'à attendre... L'Hécate repère une chaise au milieu de ce qui doit être le salon, enfile son masque, puis s'assied. Pauvre Nevaeh... Si seulement elle se doutait de ce qui l'attend.

Au bout d'une heure, l'ennui d'Élise atteint son paroxysme. Cet appartement est vide, sans substance, monotone. Pas un livre, pas de quoi cuisiner... Aucune occupation. Les murs d'un blanc vieilli ne font qu'accentuer cette sensation insipide qui l'envahit un peu plus à chaque seconde qui passe. Cette opération a intérêt à porter ses fruits, ou l'Hécate aurait besoin d'une thérapie.

Alors que notre antagoniste était à deux doigts de se demander si, finalement, elle n'avait pas assez confiance en l'un de ses laquets pour s'occuper de cette mission, le doux son de pas montants l'escalier vint à ses oreilles. Enfin... Son mal n'aurait pas été vain. Quelle ne fut pas sa déception quand elle se rendit compte qu'il ne s'agissait que du voisin... À défaut de lui apporter satisfaction, ce faux espoir a le mérite de l'avoir bien réveillée. Il faut qu'elle se reprenne, l'ennui la fait trop se relâcher. Elle refait l'inventaire, une fois de plus, de sa sacoche. Reprenons donc... Une flasque vide, du vif-argent, un masque de rechange... Sa dague ? Elle fouille son sac, le retourne sur la table mais... Non, pas de dague en vue. Et merde. Bon... De toute façon, ce n'est pas son abilité au couteau qui changerait grand chose si jamais elle se faisait agresser. À défaut, elle passe le temps en remplissant de petites fioles de son pouvoir, puis les glisse dans sa ceinture. Impossible de s'en servir pour tuer ou blesser sérieusement qui que ce soit, mais l'explosion pourrait lui permettre de fuir si le besoin s'en fait ressentir. De toute façon, si tout se déroule comme prévu, elle n'aura pas besoin d'armes.

De nouveau, les grincements de l'escalier trahissent la présence de celui qui les monte. Enfin, celle qui les monte. Tous les habitants de l'étage sont déjà dans leur appartement. Il ne peut donc s'agir que de Nevaeh, ou d'un voleur. Quelle ne fut pas sa satisfaction quand elle vit une jeune femme pousser la porte d'entrée. Comme Élise, elle n'est pas bien grande et possède un teint pâlichon. Sauf que moi, ce n'est pas à cause de mes consommations. Étrangemment, la jeune femme méprisait profondément ses clients les plus rentables... À sa plus grande surprise, l'Hécate se rend vite compte qu'elle n'est pas la seule à se couvrir le visage. Si tu voulais cacher ton identité, c'est raté jeune fille.

Nevaeh semble étonnamment détendue vis-à-vis de la situation. Sans surprise, elle a repéré avant d'entrer que la serrure a été forcée. Difficile de passer à côté en même temps, puisque celle-ci a explosé. Elle ferme la porte derrière elle, puis jette son sac sur le canapé situé à côté de l'Hécate. Combien de fois sa cible a bien pu être confrontée à ce genre de situations pour réagir ainsi ? Malgré elle, Élise laisse s'échapper un léger rire. Soit elle a aveuglément, sans mauvais jeu de mots, confiance en ses capacités, soit elle est tout simplement inconsciente. Probablement un peu des deux.

-Si tu aimais tant la chaise, il fallait repartir avec avant que je ne revienne chez moi. Enfin. Puisque je suis fatiguée, je te laisse dix secondes pour retourner d’où viens. Sinon, ma dague sera moins clémente que moi.

À défaut d'avoir du bon sens, force est de dire qu'elle a du répondant. Elle n'est peut-être pas si inconsciente que ça, finalement. Quoi qu'il en soit, il faut vite dissiper le malentendu. La jeune hôtesse est entrée dague à la main, et vient de menacer Élise avec. Avant qu'elle ne s'emporte elle aussi, il faut instaurer le rapport de force, et vite. Personne ne prend l'Hécate de haut bien longtemps. Si la situation dégénère, tout le monde y perd.

-Désolée de te décevoir, mais je ne suis pas ici pour ta chaise. Vois-tu Nevaeh... J'ai une offre à te proposer. Une offre que tu ne vas pas vouloir refuser, crois moi. Toutefois...

L'Hécate se lève, et se tient droite devant l'hôtesse, laissant quelques secondes de silence. Elle s'approche alors de Nevaeh, le plus calmement du monde, avant de lui saisir délicatement la main pour lui faire rengainer sa dague. Elle enchaîne alors, d'un ton glacial :

-Je n'ai jamais vu une offre commençant la dague au poing bien se finir. Je ne sais pas à quel genre de criminels tu as déjà eu à faire, mais je peux te jurer qu'ils n'ont rien à voir avec moi.

Élise a beau avoir un physique plutôt chétif, son aura est extraordinairement intimidante. Elle dégage ce quelque chose qu'ont les gens sans limites, ce charisme qui lui a permis de rassembler les criminels du Grand Port en son nom. Elle a parfaitement conscience de l'effet qu'elle a sur les autres, et compte bien en jouer pour arriver à ses fins.

-Bien... Commençons d'un meilleur pied, veux-tu ?

Tout d'un coup, l'intonation d'Élise redevient normale. Sans même laisser le temps à Nevaeh de réagir, elle se dirige vers la petite table au milieu du salon et ouvre sa sacoche. Elle en sort divers produits, tous plus inquiétants les uns que les autres. Normalement, Nevaeh les reconnaîtra tous... À part, bien entendu, la dernière folle. C'était la plus petite d'entre toute, mais le liquide qu'elle contient est magnifique : argenté et très fluide, il reluit de toutes les couleurs. Il s'agit de vif-argent, la spécialité de la Table d'Émeraude dont le secret de fabrication est jalousement gardé par Élise. Et du vif-argent de qualité, qui plus est, qui n'est normalement vendu qu'aux plus riches. Si elle n'accepte pas de l'écouter avec ça sous les yeux, il lui faudrait passer au plan B...

Tandis qu'Élise finit de sortir ses fioles, elle jette discrètement un oeil sur Nevaeh. Visiblement, elle n'a pas été très réceptive au message de l'Hécate... N'a-t-elle donc aucune conscience du danger qui la guette ? Tant pis, il faudra faire avec. Au moins, elle semble avoir compris qu'Élise n'est pas là pour attenter à sa vie. Enfin... Pas cette fois-ci. L'attitude téméraire de l'hôtesse risque de lui coûter cher un jour, elle a de la chance que notre antagoniste n'ait pas envie de contacter quelqu'un d'autre. Hors de question d'encore devoir patienter des heures pour une rencontre qui n'en vaudrait peut-être pas la peine. Nevaeh s'est affalée dans le canapé où elle avait jeté son sac quelques secondes plus tôt, et semble intéressée par les produits d'Élise. Le poisson est ferré, plus qu'à remonter la ligne... L'hôtesse fait une remarque comme quoi elle aurait préféré que la rencontre se fasse dans une taverne. Premièrement jeune fille, l'Hécate n'est pas là pour te vendre quoi que ce soit. Deuxièmement, si les imbéciles qui lui servent actuellement de fournisseurs font leurs échanges en plein milieu d'une taverne, ils ne seront pas bien difficiles à déloger. Élise n'a pas encore posé une seule question, et voilà déjà qu'elle obtient des informations... Cette opération ne sera peut-être pas si inutile que ça, après tout.

-C’est risquer de se promener dans le coin avec autant de… Marchandise. Un vol est si vite arrivé.

C'est drôle, ça sonne presque comme une menace. Partant du principe que ça n'en est pas une, Élise ne peut s'empêcher de laisser s'échapper un petit rire. Après tout, Nevaeh n'a pas totalement tort. Elle n'est pas chez elle ici. En évoquant le nom de la Table d'Émeraude ou de sa dirigeante, l'Hécate, elle ferait au mieux hausser quelques sourcils. Cela dit, heureusement, Élise reste dangereuse même désarmée. Il ne vaut mieux pas foncer tête baissée sur elle, sous peine de finir avec quelques membres en moins.

-C'est gentil de t'inquiéter pour moi et ma marchandise, mais je ne suis pas aussi inoffensive que j'en ai l'air. Préoccupe toi plutôt de ta propre sécurité la prochaine fois qu'une inconnue t'attend chez toi.

Il fut un temps où Élise aurait pu avoir pitié de Nevaeh. La pauvre jeune fille semble complètement déphasée de la réalité, comme si elle se contentait de se laisser porter passivement par le flot des événements. Aucune conscience d'elle-même, aucun intérêt réel pour ce qui se passe. Aujourd'hui, ça ne fait que profondément l'agacer. L'Hécate inspire un grand coup. Après tout, au moins son interlocutrice pose de questions, au moins il sera facile pour un quelconque enquêteur de remonter jusqu'à Élise. Elle s'installe derrière la table, opposée à Nevaeh, puis lui explique les raisons de sa présence en cette belle soirée.

-Vois-tu Nevaeh, je dirige une petite affaire. Nul besoin de t'en expliquer tous les détails, sache juste que je cherche à... Agrandir ma clientèle. Et tu vas m'aider.

Élise marque une petite pause dans son discours, puis saisit la petite fiole de vif-argent. Elle la tient entre deux doigts, l'exposant à la lumière de la lune. Le vif-argent, c'est en quelque sorte sa fierté, la base de tout son empire. Jusqu'à présent, aucun alchimiste n'a réussi à en produire lui-même, ni même à fabriquer quelque chose qui s'en rapproche. Sans ce liquide argenté, la Table d'Émeraude n'aurait jamais pu voir le jour. La Compagnie Vennelis ne fonctionnerait pas aussi bien non plus. Ah, le blanchiment de cristaux...

-Je n'attends qu'une seule chose de toi : tu vas me parler de tes fournisseurs actuels. Dis moi tout ce que tu sais sur eux, même des détails qui te semblent anodins. Pour chaque information que tu m'apportes, tu auras le droit de prendre un des stupéfiants ici présents. Si je vois que tu y donnes assez du tien... Alors tu auras droit à ce que je tiens actuellement dans ma main. Plutôt facile, tu ne trouves pas ?

La stratégie d'Élise est simple : faire d'une pierre deux coups. Non seulement Nevaeh va lui apporter de précieux renseignements sur le trafic de drogue de la Capitale, mais en plus elle fera la publicité du vif-argent auprès d'autres consommateurs. Même si elle prend la décision de ne pas tout de suite marcher sur les plates-bandes des fabricants du coin, elle y gagne quelque chose.

Tssk. Visiblement, le cerveau de Nevaeh n'est pas encore assez ramolli par la drogue pour l'empêcher d'évaluer correctement l'offre d'Élise. La criminelle a déjà usé et abusé de cette technique maintes fois pour obtenir des informations au Grand Port. La plupart du temps, son interlocuteur est prêt à tout à la seconde où elle lui propose ses produits gratuitement. Pire encore, l'hôtesse est méfiante. Il faut croire que ses addictions ne sont pas si fortes que ça... Il faudra que j'aille dire deux mots à mes informateurs. Tant pis, il faut faire avec ce qu'on a ! Après tout, Nevaeh a raison de se méfier d'Élise : elle ne lui veut pas du mal, mais elle se fiche complètement des conséquences que leur échange pourrait avoir sur la vie de l'aventurière. La pauvre jeune fille n'est qu'un pion dans le plan de l'Hécate, du moment qu'elle remplit sa fonction, le reste n'a que peu d'importance.

À défaut de lui parler de ses fournisseurs, Nevaeh lui parle un peu du coin. La description des lieux concorde étonnamment avec celle qu'Élise ferait des quartiers où elle a grandi. Comme quoi, la misère n'a bel et bien qu'un seul visage... L'individualisme, la peur des autres, les commérages... Voilà de quoi lui rappeler quelques bien mauvais souvenirs. Élise a tout fait pour s'extirper de cet enfer. Bien évidemment, elle a réussi... Mais pas sans se salir les mains. Nevaeh lui raconte tout cela, pensant visiblement que l'Hécate est une sorte de novice du crime. Ou peut-être est-ce pour la baratiner en espérant ainsi obtenir la paix ? Après tout, rien ne garantit que la jeune hôtesse ait la moindre information intéressante. Il faut éclaircir ce point, et vite. Si l'aventurière n'a rien à apprendre à Élise, alors tout ceci n'est qu'une énorme perte de temps doublée d'une prise de risque inutile. Car malgré les innombrables précautions prises, elle n'est pas à l'abri d'une rencontre inopportune avec un garde ou un coupe-jarret. Ici, elle n'est personne.

Nevaeh fait alors une remarque... Intéressante. Visiblement, le fait de ne plus avoir de serrure la dérange plus que de raison. Il y a des traces d'infraction, et alors ? L'offre d'Élise doit valoir une bonne dizaine de serrures, il n'y a franchement pas de quoi se plaindre. Pour quelqu'un sans le sous, elle fait vraiment sa difficile... Qui plus est, attirer l'attention sur elle maintenant est probablement la dernière chose qu'Élise souhaite. Elle a pris ses précautions : personne ne l'a vu, et le bruit généré par l'explosion de la serrure était trop faible pour que qui que ce soit l'ait entendu. L'Hécate souffle un grand coup... Tout serait tellement plus facile au Grand Port. Là-bas, elle n'aurait pas besoin de prouver sa compétence, ni de gagner la confiance de qui que ce soit. Sa réputation est déjà faite, et parle pour elle.

-Je comprends ta méfiance envers moi, et libre à toi de ne pas accepter. Je ne te force à rien. Et puis, tu sais, je ne te mens pas : c'est une tâche facile. Si c'était sans danger, il n'y aurait aucune récompenses à la clef.

C'est bien parce qu'il y a des risques à s'informer elle-même qu'Élise est ici ce soir. Passer par un intermédiaire facilement soudoyable est une solution facile et, surtout, peu risquée pour glaner des informations. Si Nevaeh sait tenir sa langue, elle n'a pas grand-chose à craindre.

-Ce que je tiens entre mes mains, c'est du vif-argent. La spécialité du groupe que je dirige. C'est normal que tu ne saches pas ce que c'est, nous ne nous sommes pas encore installé à la Capitale. À nouveau, libre à toi de le refuser mais... Toi qui cherche des sensations, tu passerais à côté de quelque chose.

Si elle n'arrive pas à suffisamment stimuler les addictions de Nevaeh avec ça, elle devra admettre sa défaite. Après tout, on ne peut pas réussir à chaque fois.

-Je te le redemande donc encore une dernière fois, après quoi je m'en irai... Que peux-tu me dire sur tes fournisseurs ?

Élise n'attend plus grand chose de cette discussion. Elle a bien compris que l'hôtesse de guilde est peu renseignée. La seule chose qu'elle espère encore découvrir, c'est éventuellement l'endroit où Nevaeh se fournit...

Finalement, on dirait bien que le discours d'Élise a eu son effet sur Nevaeh. Déchirée entre la peur de subir des représailles et l'envie de découvrir de nouvelles sensations, la pauvre hôtesse est en plein dilemme. Il faut l'achever maintenant... Alors qu'Élise était sur le point de faire mine de paqueter ses affaires, elle entend un "Très bien" quelque peu irrité sortir de la bouche de son interlocutrice. Intérieurement, elle se sent soulagée. Finalement, tout ce cirque n'aura pas été qu'une perte de temps. Au point où elle en est, peu importe ce que Nevaeh peut bien lui dire, elle s'en contentera. Après tout, si jamais elle lui dit n'importe quoi, rien n'empêche l'Hécate de lui rendre une autre visite plus... Explosive.

Elle ne veut que le vif-argent ? Étonnant, mais bon, il n'y a pas de petites économies. Peut-être est-ce par peur de ses fournisseurs ? Après tout, l'Hécate verrait d'un mauvais œil que ses clients achètent ailleurs, et ils pourraient bien en payer le prix. Si les trafiquants du coin sont comme elle, alors l'hôtesse a tout à fait raison de ne prendre que le vif-argent. Élise réévalue Nevaeh... Quelle étrange jeune fille. Elle semble totalement détachée des événements présents, mais se préoccupe beaucoup des risques avenirs. D'une certaine manière, ça doit quand même lui éviter bien des ennuis.

Nevaeh s'attelle alors à expliquer comment elle obtient ses drogues. La première traffiquante dont elle lui parle est une femme se faisant surnommer "la Nymphe", que l'on peut périodiquement contacter dans une auberge. Visiblement, Élise n'est pas la seule à utiliser des pseudonymes... Toutefois, elle ne devrait pas être trop difficile à déloger. Il suffit de profiter de ses moments d'absence, puis de l'évincer à la seconde où elle revient. Si c'est elle la plus grosse trafiquante du coin, installer notre commerce ici ne devrait pas être trop compliqué... Bien entendu, Nevaeh ne connaît pas tous les fabricants de la Capitale, mais une petite place suffira dans un premier temps. Le problème, c'est plutôt le deuxième trafiquant : un certain Aiden, constamment présent sur la Capitale, difficile à trouver soi-même. Si il se permet de choisir qui à le droit de le voir, c'est que son réseau est déjà solide. Typiquement le genre d'adversaire nécessitant plusieurs mois d'efforts intensifs... Il vaut sûrement d'abord sécuriser la domination de la Table sur les Côtes avant de se lancer dans une telle entreprise. Mais j'irai quand même tâter le terrain... Dans le pire des cas, ce n'est que partie remise.

-Et bien, tu vois ? Ce n'était pas si compliqué, si ? Tu as rempli ta part du marché, voilà la mienne. Un petit conseil : assure toi d'être dans un lieu sûr avant d'ingérer ça.

Conscience professionnelle ou semblant de pitié, Élise se demande bien pourquoi elle prend la peine de conseiller Nevaeh... Surtout qu'au vu du tempérament de l'aventurière, cette dernière ne l'écoutera sûrement pas. Élise dépose alors la petite fiole sur la table, puis remet ses affaires dans sa sacoche avant de se lever. Elle est sur le point de partir, quand elle s'arrête soudainement.

-Tant que j'y suis, voilà pour ta porte. Je pense ne pas avoir besoin de le dire, mais tu sais, on n'est jamais trop sûre... C'est aussi pour ton silence.

Sans même se retourner, Élise éjecte avec son pousse un cristal clair, qui atterrit sur la table du salon. Pour Nevaeh, cette somme doit représenter quelques mois de salaire. Largement de quoi l'acheter, donc. L'Hécate sort alors enfin du petit appartement, et soupire. Finalement, elle n'a pas appris grand chose. Mais au moins, elle a une piste. Il faudra se contenter de ça pour l'instant. Tandis qu'elle descend les escaliers, elle repère au loin une silhouette emmitouflée dans une cape similaire à la sienne. Élise lui fait signe de ne pas bouger avant de la rejoindre.

-La voie est libre ?

-La prochaine patrouille passera dans une dizaine de minutes. On a largement le temps de passer. Que faisons-nous de la fille ?

-Laissez la. Elle n'a pas été facile à convaincre, mais j'ai quand même fini par en tirer quelque chose. Gardez la tout de même à l'oeil, au cas où elle aurait la bêtise de me trahir.

-D'accord. Suivez-moi, je vous prie.

Ah, ce bon vieil Eymerick. Toujours aussi efficace. Si Élise n'était pas paranoïaque, elle en aurait déjà fait un Émissaire. Il faut encore un peu plus de temps avant qu'elle ne se décide à lui faire confiance. L'Hécate disparaît dans la pénombre des ruelles, menée par son sbire, pour enfin rentrer chez elle.


Élise se jette sur son lit, épuisée par cette soirée. Entre les heures d'attente et les réactions imprévisibles de Nevaeh, elle n'en peut plus ! Je ne dois pas oublier d'aller engueuler mes informateurs. Le simple fait de devoir faire comprendre leur incompétence à ses subordonnés une fois de plus suffit à la fatiguer de plus belle. Peut-être que cette soirée est un signe ? Peut-être vaut-il mieux se concentrer exclusivement sur les Côtes ? Élise n'est pas superstitieuse, mais d'un côté... On ne peut pas vraiment dire que cette première opération sur la Capitale soit un franc succès. Certes, elle a obtenu deux pistes... Mais parmi les deux pistes en question, une d'entre elle est décourageante. Je n'ai fait que gratter la surface, et je tombe déjà sur une impasse... Peu importe, il ne faut pas abandonner si vite. Dans la semaine, elle enverra quelques laquais enquêter sur la Nymphe et sur Aiden. S'ils reviennent en vie, elle avisera. Sinon... Et bien, il sera temps pour Élise de rentrer au Grand Port.