Ton hurlement se marqua à travers tout le bâtiment, avant que tu ne jettes un regard furieux derrière toi pour viser une personne précise. Pour une fois tu étais dans une tenue confortable, s’adaptant à ton corps masculin. Tu laissas ton dos tomber contre le mur derrière toi avant de pousser un profond soupir, glissant une main sur ton visage.
« Comment ça, vous avez perdu notre arrivage de matériel ? »
Tes orbes d’azur redessinèrent la face penaude qui n’osait croiser ton regard foudroyant. Chacun de tes traits s’était tendu en un rictus peu maîtrisé. Puis tu finis par te redresser en laissant tomber, balayant l’air d’un bref mouvement de la main. Tu n’avais pas envie de perdre ton temps davantage.
« Max, fin Gab, on ferme le cabinet, la livraison est pas là, grognas-tu à travers le bâtiment. »
Le visage de sa sœur se dessina au coin d’un mur, puis elle te fit un signe de la main pour te faire comprendre que le message était bien passé. Tu l’entendis alors remettre tout en place. Tournant alors un regard furieux en arrière, tu dégageas l’intrus en balayant l’air avec tes deux mains.
« Allez ouste, on a plus besoin de vous, et j’ai d’autres projets pour ma journée, grommelas-tu. Vous connaissez la sortie. Et non, je ne signe rien vu que rien n’est arrivé. Alors vous feriez mieux de déguerpir avant que je ne me mette vraiment en colère. »
Les bureaux rangés, et le cabinet vidé, tu refermas la porte derrière toi. Tu n’avais pas la moindre envie d’aller te perdre dans le domicile de ton vieux bouc de père, cependant lorsque Maximilia te jeta un regard, tu grimaças. Elle, elle voulait rentrer.
« Bon, bah on se laisse ici, je rentrerai sûrement ce soir.
- D’accord prends soin de toi, et laisse ta rancune de côté. »
Tu levas les yeux au ciel, poussant un profond soupir de dépit. Puis tu hochas la tête. Tu le faisais surtout pour faire plaisir à ta jumelle, mais tu n’étais pas certain de tenir ta promesse. Et alors que tu la vis s’échapper derrière une ruelle. Un léger sourire flotta sur tes lèvres alors que tu pris la direction opposée. Tant qu’à faire, maintenant que tu avais du temps à perdre, tu pouvais très bien de ton corps d’homme. Au moins, cette fois-ci, tu n’avais pas eu la mauvaise surprise de te changer en plein milieu de la rue dans une robe trop petite. Même si, le fait de t’être réveillé dans une nuisette ce matin t’avait légèrement embarrassé. Mais après tout, tu n’étais plus à ça près.
Tu t’élanças vers les rues commerçantes pour voir si tu ne trouvais pas quelque chose à offrir à la guenon. Tu pouvais bien passer dans son magasin aujourd’hui, alors qu’elle papillonnerait de ses jolies billes d’azur. Tu secouas la tête en grognant. Cette femme te rendait niais, et tu t’étais bien gardé d’évoquer à quiconque l’entrevue que tu avais eu quelques temps plus tôt.
Ou alors, pour la virer de tes pensées, tu allais simplement voir pour t’armer un peu plus correctement que la fine rapière qui t’accompagnait. Elle était pratique, mais pas assez solide. Ton jeune rouplume tout juste sorti de son œuf te tourna autour avant de se poser sur ton épaule, et toi-même te perdit au milieu de la foule.
Est-ce le destin, un coup de chance ou un peu des deux ? Tu ne sais pas tellement, mais Leo finit par flairer quelque chose, alors contente tu le suis. C’est vrai qu’il commence à être l’heure du goûter ! Sauf que plus tu suis ton camarade à la truffe fine plus tu dis qu’il doit être enrhumé. Et après un bon quart d’heure à le talonner il finit par s’arrêter aux pieds d’un jeune homme et tu ne comprends vraiment pas ce qu’il se passe. Tes petits sourcils se froncent alors que tu commences un débat animé avec l’animal… que toi seule peut entendre.
– Tu vois bien que c’est pas un gâteau quand même !
« Friandises ! »
– Leo... C’est un gens ! On peut pas manger une personne !
« Friandises. »
– Tu peux le répéter tout ce que tu veux ! C’est pas un gâteau ! On va devoir chercher pour de vrai...
« Mais... Odeur tout comme friandises... »
– Excusez-moi, tu t’adresses enfin au pauvre jeune homme en face de vous, levant le nez vers lui. Est-ce que vous pouvez lui dire que vous êtes pas un gâteau ?
« Non, en effet, je ne suis pas un gâteau, mais je ne doute pas que ta bestiole n’a pas dû bien assimiler ce que tu lui racontais. Il y a de fortes probabilités qu’il ne comprenne pas ce que je lui raconte. »
Un large sourire étira tes lèvres. Tu étais légèrement contrit que ta journée ne se passe pas si bien. Et ajouté à cela, la rencontre avec une perche avec le cerveau d’une truite, c’était bien parti pour qu’elle n’aille pas en s’arrangeant. Puis sans lui jeter un regard, tu te détournas en ouvrant un carnet entre tes doigts alors que ta scribouilleuse nouvellement acquise s’activa sur la page vierge.
« Rendez-vous du premier jour de la saison froide, troisième lune, tous les rendez-vous annulés, à reporter sur la semaine à venir. Oh, et acheter de nouvelles plantes. »
Tu refermas ton carnet, constant que ta petite Ivara ne t’avait pas suivi. Aussi capricieuse que la jeune femme qui portait le même nom, tu te passas une main lasse sur le visage. Il allait falloir que tu lui expliques que tous les humains n’étaient pas dignes d’intérêt. Vous perdriez très vite votre temps. Retournant sur tes pas, tu saisis la peau du cou de ton familier, avant de jeter un regard vers la dragonne. Aussitôt, le nez rouge plongea ses naseaux dans le tissu de ton pantalon, te faisant ruminer au passage.
« Alors, il va falloir qu’il comprenne seul que je ne suis pas à manger en effet. »
De ta main libre, tu repoussas tes cheveux en arrière avant de soupirer longuement.
« Tu sais quoi, suis-moi, repris-tu un peu vivement. Si ton machin continue à renifler, c’est qu’il doit avoir faim, ou je sais pas quoi. »
Tu déposas la petite rouplume sur ton épaule et elle combla la distance pour t’offrir une caresse du crâne. Puis laissa échapper un petit roucoulement qui te fit lever les yeux au ciel.
« Oui oui Ivara, toi aussi tu vas manger. »
Tu te retournas vers l’hybride en lui lançant un regard perçant de tes saphirs profonds.
« Bon, tu veux manger quoi, la grande perche. Autant qu’on fasse ça bien maintenant qu’on est là. »
– Bien sûr qu’on a faim ! C’est l’heure du goûter. Il trouve juste que tu as une odeur sucrée. C’est pas la peine d’être désagréable comme ça !
Un peu vexée, un peu affamée, très peu envie de faire du pugilat au final, tu t’apprêtes à partir lorsque tu entends qu’il demande ce que tu veux manger. Il t’a aussi appelé ‘grande perche’ ce qui n’arrange vraiment pas ton envie de lui mettre un coup de front dans le nez, mais la faim l’emporte sur l’envie de bagarre. Et même si ce n’était pas le cas, tu es bien trop gentille et timide pour faire ce genre de choses il faut bien l’avouer. Tu gonfles les joues, tiraillée entre ton envie de manger gratuitement et celle de fuir ce type pas du tout sympa.
– Du sucré, commences-tu, la faim a gagné contre ton ego, des tartes. Pleins. À la mure, à la pomme, peut-être même que j’aurais envie d’une part à l’abricot. Je m’appelle Sio, pas ‘grande perche’. Et des petits trucs roulés au raisin là. Et, et, et les petites pâtisseries super bonnes avec le sucre glace dessus !
Comme un petit chiot perdu, tu le suis. Tu ne sais pas où vous allez, mais comme tu pourrais manger un dragon adulte entier, tu veux bien le supporter encore un peu. Puis c’est gratuit alors tu es contente. Tu es un être simple, Sio, il suffit que l’on te parle de nourriture et tu deviens aussi docile qu’il est possible de l’être. Tu trottines. Tu as presque envie de te mettre à courir tellement tu as hâtes, mais tu sais pas où vous allez alors tu ne peux pas le faire.
– Merci... Finis-tu par dire, vaincue.
« Tu peux m’appeler Neil. »
C’était ton nom sous cette forme, et il était hors de question d’en dévoiler davantage. Ton séjour dans la cave de Richter t’avait achevé alors tu te gardas de dévoiler ton identité. Jusqu’à ce que tu sois capable de lui rendre au centuple ce qu’il t’avait fait, ce fils de chien. À cette pensée, tu serras ton poing douloureusement.
Enfin, tu te retournas avec un sourire plus chaleureux pour oublier tes propres tracas. Une légère grimace plus qu’un sourire, mais Maximilia tenait à ce que ton image s’améliore. Et faire semblant n’était pas dans tes cordes. Cela dit, l’hybride était amusante, peut-être un peu bruyante, sûrement assez naïve.
« Je connais divers pâtissiers à la Capitale, chacun d’eux ont un savoir-faire hors norme. On peut tous les faire si tu veux. »
Tu te glissas sur les pavés, silencieusement. C’était une façon de te faire pardonner, toi et ton caractère de cochon. Aussi stupide pouvait-elle être, ce n’était pas sa faute. Au moins elle n’était pas récalcitrante. Ivara grimpa sur le sommet de ton crâne, humant l’air puis se détacha de toi pour se diriger vers la dragonne. Tu la laissas finalement faire, puis tu bifurquas dans une ruelle adjacente. Quelques fragrances sucrées te parvinrent, et tu accéléras le pas, notant au passage que tu pourrais en ramener pour ta jumelle. Elle pesterait sûrement pour tes hanches, mais tu n’en avais rien à faire. C’était bien aussi de pouvoir se faire plaisir.
La porte s’ouvrit sur une mélodie de grelots accrochés, et tu pénétras dans le chaleureux petit café. Des courbes élégantes et des dorures sobres vous accueillait. Des alcôves en bois couvraient un couloir aux couleurs ivoire. Tu gardas la porte ouverte pour inviter Sio à te suivre à l’intérieur. Le temps qu’elle pénètre les lieux, tu te fis pensif. Aussi bien, la guenon apprécierait également ce genre d’endroit. Tu le notas dans un coin de ton crâne, puis te dirigeas vers une table libre.
Le temps de vous installer, tu observas la plaque de la jeune femme, puis tu enfonças ta joue dans l’étau de ta main. Vous aviez le temps de converser un peu avant que vos commandes soient prises.
« Aventurière donc ? J’ai entendu dire que travailler pour la Guilde n’était pas de tout repos. Une raison particulière qui t’a poussée dans cette voie ? »
Non pas que tu étais réellement intéressé par la réponse, car vous ne vous reverrez sûrement jamais après cette journée. Mais c’était l’occasion de s’intéresser à une autre personne qu’à ton propre égo. Sio te semblait un peu jeune, et le danger rôdait partout sur le continent. Une inquiétude ? Légère, après tout tu en avais vu des jeunes aventuriers qui avaient abandonné après avoir perdu un bras contre la première sirène rencontrée.
– Wah ! C’est super bien ! Je devrais me faire des amis pâtissiers aussi.
Ton excitation se transmet à ta petite boule de poils qui semble tout aussi impatiente que toi désormais. Tu prends place sur la chaise, laissant ton Nérouj s’asseoir sur tes cuisses alors que tu commandes suffisamment de nourriture pour nourrir deux bataillons entiers sur trois jours. Mais comme tu ne paies pas, autant prendre TOUT ce qui te fait envie. La question te surprend un peu, tu ne t’attendais pas à ce que cela puisse l’intéresser. Puis tu regardes ailleurs, ne sachant pas vraiment si tu as envie d’expliquer le pourquoi du comment à ce type. Cela dit, il semble y avoir une légère inquiétude derrière la curiosité alors tu hausses un peu les épaules.
– J’ai toujours été protégée par mes ainés. J’ai fait tout bien comme mes parents voulaient, mais j’ai toujours ressenti un besoin de partir, découvrir, apprendre. C’est dur c’est vrai, mais à la guilde on m’aide à devenir plus forte ! Un jour je pourrai aller voir les Dragons Nocturnes.
Les joues rougies, tu récupères un petit gâteau sur le plateau qui vient d’arriver sur la table, alors tu le gobes. Tes yeux se mettent à pétiller d’émerveillement. C’est incroyablement bon ! Tu donnes un fruit à Leo à chaque fois que tu engouffres une douceur. Puis réalisant que tu n’as plus rien dit ensuite, tu te reprends un peu. T’es une petite sauvage, mais c’est pas très grave, tu as l’habitude que les gens te dévisagent, tes cornes, tes écailles et toi.
– Et toi ? Toi, tu fais quoi ?
Tu plantas ta cuillère dans la génoise pour te satisfaire de la crème pâtissière. Puis ton regard se baissa sur l’amoncellement de sucreries qui s’entassaient. Tu grimaças un peu. Elle ne risquait pas de faire une indigestion à manger autant de sucre ? Tu poussas un soupir par le nez, ce n’était pas ton problème. Au pire des cas, tu avais ce qu’il fallait pour agir en fonction.
« La garde n’offre pas un entraînement plus adapté ? Après peut-être que les règles imposées ne te correspondaient pas. »
Tu regardas dans le vide songeur avant de t’adosser plus confortablement dans ton siège, puis reprit une bouchée de ton gâteau.
« Cela dit, si tu cherches un moyen de te libérer de l’emprise familiale, c’est vrai que la Guilde n’est pas une mauvaise idée. »
Tu avais déjà pensé à cette option, mais tu étais trop attaché à ton domicile familial pour essayer d’aller te perdre on ne sait ou dans les montagnes. Non vraiment, avec Maximilia vous étiez fait pour cette vie citadine qui vous correspondait bien. Tu étendis tes jambes sous la table en penchant la tête sur le côté.
« Je suis médecin. »
Tu étais aussi assez jeune maintenant que tu y repensais, et si ta carrière avait pu s’envoler avec aisance, tu le savais que tu ne le devais que grâce aux savoirs que tu avais appris grâce à ta jumelle. Tu levas tes orbes céruléens vers la jeune fille, puis tu te demandas au final ce qui t’avait poussé à inviter une totale inconnue à grignoter quelques sucreries. Peut-être que ça te permettait de sentir autre chose que de l’animosité lorsque tu avais croisé son air ingénu. Elle te faisait d’ailleurs penser à une autre aventurière que tu avais eu l’occasion de croiser par le passé.
Tes sourcils se froncèrent légèrement lorsque tu réalisas que la consonance sonnait étrangement similaire.
« Sio tu disais ? Sio comment ? »
Tu ne pouvais nier qu’il y avait une certaine ressemblance avec la forgeronne qui avait souhaité admirer la forme de ton pouvoir. Un léger malaise te saisit. Ce n’était quand même pas…
Durant ce temps, Ivara sauta de ton épaule pour se jeter sur ton gâteau à peine entamé.
– Je veux pas fuir ma famille ! J’aime beaucoup ma famille. J’aime juste pas la forge.
Et en disant cela tes petits yeux se plissent juste au souvenir de ladite forge. C’est vrai que ça te plaisait pas et que tu es bien plus heureusement maintenant que tu peux te balader ici et là. Découvrir le monde, te faire de nouveaux amis. Leonard aussi ! Tu es bien contente d’avoir ton petit Nérouj avec toi. Tu lui souris lorsqu’il te dit qu’il est médecin. Ça doit être quelqu’un d’important et de bien éduqué... Maintenant tu te sens un peu gauche à manger comme si ta vie en dépendait. Tu essaies donc de te reprendre et de manger plus lentement. Sio, sio comment. Bah Sio. Tu lui as déjà dit ça. Peut-être qu’il te demande ton nom de famille. Oh ! Peut-être qu’il connait ta grande sœur ! Ça ne t’étonnerait pas, elle a l’air de se faire des amis bien plus facilement que toi.
– Zmeï. Sio Zmeï. Comme la forgeronne Sia. C’est ma sœur ainée. J’ai aussi un frère ! Rid, mais on a pas les mêmes parents alors c’est pas un Zmeï.
Tu glisses ensuite quelques pâtisseries dans ton sac sans fond, faisant attention de prendre que celles qui ne feront pas un carnage à l’intérieur de ce dernier avant de te lever. Tu t’inclines un peu maladroitement, ton petit Leo sous le bras. Tu sais que tu dois encore finir tes tâches à la guilde alors tu ne peux pas rester aussi longtemps que tu ne le souhaiterais. De toute façon il n’est pas très sympa alors ça ne te dérange pas tant que ça de filer.
– J’dois rentrer maintenant ! Merci pour le goûter, Neil !
Et tu prends la poudre d’escampette avant qu’il ne change d’avis sur le prix de ce dernier.