~ Année 987 ~
Il n'est pas bien grand, encore, mais on devine facilement malgré ses vêtements qu'il est plus élancé et frêle que la moyenne. Ses cheveux blonds et courts encadrent un visage souriant lorsqu'il s'adresse aux commerçants, que ceux-ci semblent reconnaître, au regard de la camaraderie dont ils font preuve.
Rien de plus naturel quand on sait que ce garçon a perdu sa mère depuis environ deux années, alors, et que son père n'est plus désormais qu'un ivrogne cloîtré qui ne sort que pour s'abreuver et disparaître des jours durant. L'enfant a simplement pris l'habitude de venir jusqu'à Forteresse, depuis son village à plusieurs kilomètres de cette capitale du nord, une fois par mois, en même temps que quelques caravaniers, pour y acquérir suffisamment de vivres pour subvenir à ses besoins.
Les commerçants avaient l'habitude, par le passé, de le voir passer avec sa mère, et parfois même son père. Ce dernier était un forgeron reconnu de la région, avant sa déchéance : ils connaissaient donc assez bien cette petite famille. La disparition de la mère avait fait grand bruit, lors d'une mission pour la Guilde dans les montagnes. Nombreux étaient donc les marchands à aider le petit gars depuis, surtout en ayant connaissance de l'attitude du père... Ils le considéraient pour ainsi dire comme un orphelin.
Il faisait toutefois preuve d'une maturité pour son jeune âge qui ne pouvait que les encourager à aller dans ce sens. Il ne demandait jamais rien mais acceptait toujours respectueusement les égards bienveillants. En outre, il manipulait intelligemment les finances que sa famille possédait des activités passées de ses parents, sans les dilapider en jouets ou en gourmandises comme d'autres auraient fait à cet âge.
Son seul écart de conduite qu'il semblait s'offrir lors de son passage à Forteresse était la prise d'une bonne boisson chaude, dans une des dernières auberges de la zone marchande. Il y venait avec sa mère, avant, et avait gardé cette habitude. La dame qui gérait le lieu lui offrait toujours sa boisson, par pure compassion, tandis qu'il restait assis tout seul à une petite table près de l'entrée. Il buvait sa boisson tout en parlant tout seul, vraisemblablement, sans jamais retirer son écharpe, manquant parfois de la tâcher, jusqu'à ce que l'heure du retour des caravaniers n'approche.
Il remerciait alors toujours chaleureusement la propriétaire puis repartait pour traverser le bourg en sens inverse tandis que la plupart des étals avaient disparu.
Et c'est exactement ce qu'il était en train de faire ce jour-là.
***
Ramar passe parmi les derniers marchands et les salue tandis qu'ils rangent leurs matériels. Puis il tourne au coin et se retrouve nez à nez avec un petit trio de gamins à peine plus âgés que lui. Le plus grand d'entre eux doit avoir environ dix ans maximum, mais fait une bonne tête de plus que lui.
Bah alors le p'tit ! Regarde où tu marches ! Ou j't'écrabouille la tête ! le menace-t-il en ricanant, provoquant l'hilarité chez les deux autres.
Ramar se renfrogne aussitôt. Il les reconnait. Un des suiveurs est Akor, un de la bande qui le persécute assez souvent dans son village. Il a déjà vu l'autre suiveur auparavant, mais sans le connaître plus que ça. Le dernier, le plus grand, est une petite brute du coin.
Il n'a pas vraiment peur d'eux, il désire seulement qu'ils ne lui piquent rien ou ne lui abîment rien. Il resserre donc sa prise sur sa sacoche et cherche des yeux quelque chose ou quelqu'un pouvant lui venir en aide. Mais comme il ne répond pas, le grand gamin commence à le bousculer en le poussant par l'épaule.
Étant un peu plus petit, Ramar recule d'un pas pour ne pas chuter. Mais son regard s'illumine tout d'un coup.
Ramar, regarde, ses chausses sont tâchées à l'entrejambe. Il est fort probable que cela soit de l'urine. Tu peux demander pour vérifier, elles répondront peut-être ?
La voix féminine de Chimère, son écharpe, vient de lui donner un atout considérable pour se défendre. Bien que la plupart des gens ne le croit pas, le garçon est capable de parler avec les objets, dans son esprit. Pas tous, mais cela lui était bien utile dans certains cas, comme pour savoir quel objet acheter et ne pas se faire arnaquer sur un prix par un marchand plutôt malhonnête voulant profiter de sa bourse, ou comme dans ce genre de situations où ridiculiser un de ses bourreaux pouvait calmer, parfois, le groupe entier et lui apporter la paix. Cela arrivait assez peu qu'une telle opportunité lui soit donnée, mais il ne pouvait pas passer à côté, pour celle-ci !
Mais, ce s'rait pas du pipi, sur ton pantalon ? dit-il simplement en pointant la zone du doigt.
Le temps que l'information ne monte aux cerveaux du trio, l'objet ciblé répondit innocemment à la question, dans l'esprit du petit blondinet, confirmant l'hypothèse, et même plus encore.
Ah, apparemment, tu fais encore pipi au lit, et pas qu'au lit... enchérit-il joyeusement.
Le visage du grand dadais était devenu rouge de honte pendant ces paroles, confirmant involontairement les propos aux deux autres gamins. Les ricanements suivants l'achèvent alors tandis qu'il se couvre et les parties sensibles et le visage pour se cacher.
Mais rapidement, il se remet et le rouge de son visage n'est plus dû à la honte mais à la colère.
Toi !... menace-t-il, un doigt méchamment pointé sur Ramar, tout en s'approchant d'un pas.
Mais avant que le garçon ne puisse réagir, une autre pensée de Chimère lui parvient, changeant la donne.
Ramar, baisse-toi ! Quelque chose t'arrive dessus !
Alors, sans douter le moins du monde des propos, Ramar se baisse jusqu'à avoir la tête entre les genoux, attendant un choc qui n'arriva pas, pas sur lui en tout cas.
Beaucoup d'enfance.
Feat Ramar
C’était une froide journée de la plus froide quatre saisons, le feu de d’âtre crépitait joyeusement au rez-de-chaussée de la grande maison familial. Papa était parti travailler tôt, si bien qu’Heather ne l’avait même pas entendu, pourtant de sa chambre elle entendait systématiquement la porte se fermer ou s’ouvrir. Sortant sa petite bouille de l’encadrure de la porte, elle fila en direction du séjour. Karl, le majordome de la famille la salua poliment et tira une chaise de la grande table en pierre gravé. Ce dernier fila en direction de la cuisine pour demander à deux autres domestiques de préparer un copieux petit déjeuner.
La jeune fille chantonnait une mélodie célébrant la saison froide, d’humeur particulièrement joyeuse, elle s’installa confortablement sur la chaise. Il faisait agréablement chaud dans cette pièce, si bien que sa robe de nuit lui arrivant sous les genoux lui suffire. L’une des servantes de la maison déposa sur la table un bol emplit de chocolat chaud et deux tranches généreuse d’une brioche encore tiède. La seconde se dirigea vers la chambre de l’enfant, sans doute pour y faire un brin de ménage. Avalant en quelques traites le lait chocolaté et dévorant en un éclair sa pitance elle alla s’habiller pour enfin rejoindre sa mère à l’étage.
Heather la tanna un peu pour sortir, mais Jane refusa sans broncher. Ou plutôt, elle conditionna cette sortie à quelques heures de jeux d’écriture ensemble. Jane étant autrice, elle passait la majeur partie de ses journées à écrire ou lire, sa fille aimait écrire à ses côtés, tant pour l’invention d’histoire que pour battre la vitesse d’écriture de sa mère avec un plume. Le treizième anniversaire de l’enfant était passé depuis peu, elle avait évoqué le souhait d’aller au pensionnat militaire. Ses parents un peu désarçonné avaient accepté, mais exigeaient d’elle qu’elle se cultive plus qu’elle ne l’était déjà et ce jusqu’à son quatorzième anniversaire.
Ses heures passées avec sa mère canalisaient grandement Heather. Elle si dynamique, qui avait tendance à courir et faire les quatre cents coup, était subitement d’un calme olympien, aussi sage que les tableaux accrochés au premier étage. Au bout du compte elle descendit deux à deux les marches de l’escalier, un sourire trônant fièrement sur son visage enfantin. Armée d’un chaud manteau en peau et en fourrure, elle enfila des bottines souple annonça à pleine voix son départ.
À peine la lourde porte claquée, le froid la saisit instantanément, elle sortie une épaisse écharpe de son manteau et s’enroula dedans. Fin prête à résister aux rafales de vents et aux potentielles chutes de neige elle s’engouffra dans les rues de la forteresse. D’humeur taquine elle observa les environs sans trop savoir qui embêter, assez agile elle sauta sur une caisse d’un marchant qui la houspilla. Puis d’un bond elle s’accrocha au rebord d’une toiture, cette exercice, elle l’avait fait des centaines de fois auparavant, les toits de la ville n’avait plus de secrets pour Heather. Elle arpenta ses derniers sur plusieurs dizaines de minutes sans craindre de glisse ; jusqu’à repérer une bande d’enfants.
Vu d’en haut ils paraissaient un poil plus jeune qu’elle, deux d’entres eux étaient bien connu d’Heather. Ils s’en prenaient souvent en bande à d’autres enfants et visiblement celui avec une drôle d’écharpe blanche n’était pas dans leurs bonne grâce. Sans trop attendre, la fillette aux cheveux rouge s’agrippa au bord d’un toit et saute sur la table du marchand. Ce genre de petites brutes l’énervait tout particulièrement, surtout quand on connait le pouvoir d’Adam, le plus grand des trois. Ce dernier pouvait courir très vite, mais uniquement en cas de fuite, un véritable pouvoir de lâche !
Une fois dans l’allée elle prépara deux boules de neige, boule de neige fourré avec un merveilleux cailloux, autant dire que la personne la recevant aura du mal à s’en remettre. Calculant son coup avec minutie elle lança son premier projectile et rata son tire. La boule fonça droit vers le garçon avec l’écharpe qui d’un réflexe quasi surhumain se baissa. Finalement l’attaque atteignit l’un des garçon qui avait fait un pas de trop. Pleine tête ! Heather toute sourire couru en direction du groupe et hurla à plein poumon.
- Vous allez voir ce que vous allez voir ! Attendez que je vous attrape
Bandant le son de sa voix, elle le déporta derrière le trio infernal. Tant est si bien qu’ils avaient littéralement l’impression qu’une personne dans leurs dos criait dans leurs oreilles. Les marmots se tournaient, tandis que la jeune fille balançait son dernier projectile dans le crâne d’Adam. L’impact toucha si bien que le bruit du caillou produisit un « clonk » très caractéristique. Sans doute que ce dernier aurait un merveilleux bleu doublé d’une bosse pour quelques jours encore. Adam prit de panique se mit, sans grande surprise, à courir, vite et loin. Si rapide qu’il aurait dépassé un animal sauvage !
S’arrêtant au niveau du garçon avec des réflexes incroyable, elle fixait les deux autres et avança d’un pas, puis d’un second. Un sourire désinvolte sur le visage, elle ria un peu moqueuse, avant de baisser un peu la tête vers le premier touché. Elle le dépassait d’à peu près dix centimètres.
- Adam a déjà fui, Toujours un lâche celui-ci ! Soupira-t-elle avant de pousser de l’index la tête enneigé de sa première victime.
- C’est le grand qui nous a dit que… Lança celui contre qui Heather avait jeté son courroux. Il recula en même temps d’un pas tandis que le second détala. La fille l’interrompit en haussant la voix pour prendre l’ascendant. Elle posa ses yeux bleus sur le garçon à écharpe tout en attrapant le col du dernier des agresseurs d’une poigne ferme.
- Hey, tu le connais ce lourdaud ? Tu veux qu’on arrange son cas ?
Oh Heather n’était pas qu’une fille sage, sa nature impulsive l’avait conduit quelques fois à aller se bagarrer. Au grand dam de ces parents qui avait parfois vu leur fille couvert de boue, et la peau avec quelques bleus. Mais c’était aussi ça la vie à la forteresse, quelques coups scellaient des inimitiés et parfois même des amitiés. La fille au cheveux rouge n’était pas de nature violente, mais elle haïssait profondément ce genre d’agissement en groupe.
Pour elle : Ce n’était pas juste.
Alors que les garnements se retournèrent, Ramar se releva et une voix retentit. Une voix d'enfant, de jeune fille, cristalline et autoritaire, mais derrière le trio alors que le projectile leur était venu de face. Chimère fut la première à en formuler l'interrogation, dans l'esprit du petit garçon.
*Tiens, c'est étrange, mais cette voix ne vient pas du bon côté, la jeune fille est derrière toi, Ramar. Ou je deviens folle ?*
Par réflexe, il se retourna pour confirmer ou infirmer les dires de son écharpe. Une jeune fille, plus âgée que lui de quelques années, aux cheveux flamboyants, se préparait à lancer une seconde boule de neige.
T'es pas folle, t'es pas folle... répondit-il simplement, un peu dans la lune, à observer la situation changer ainsi.
Aucun gamin ne réagit à ses mots, mais le plus grand reçut le nouveau projectile à l'arrière de la tête. Se protégeant la tête de ses bras, il s'enfuit alors à toutes jambes, vraiment très vite même.
L'adolescente arriva ensuite près de lui, pestant contre le fuyard, "Adam" apparemment, et s'avança pas à pas vers les deux restants. Elle s'en prit verbalement à sa première victime, l'intimidant sans peur. Elle faisait une tête de plus, rien de bien étonnant, en soi...
*Elle est classe cette petite, elle a du cran.* commenta Chimère dans l'esprit du garçon.
Ce dernier répondit d'un simple mouvement de tête, absorbé par la scène et surtout chagriné par un détail que l'écharpe ne comprenait pas, visiblement. Ils avaient encore beaucoup à apprendre l'un sur l'autre...
La victime recula d'un pas devant l'attitude vindicative de l'adolescente le faisant taire d'un simple regard. Puis celle-ci se tourna, enfin, vers lui, non sans avoir au préalable agrippé le col d'Akor.
Elle avait les yeux d'un bleu intense et quelques tâches de rousseur, s'alliant parfaitement avec sa chevelure mais contrastant fortement avec ses iris, les mettant ainsi plus en valeur et rendant le tout très expressif. Elle lui proposa de s'occuper du cas d'Akor, comme s'il avait envie de se venger sur lui.
Mais ce garçon n'était qu'un suiveur, et le groupe n'avait rien fait de plus que le pousser, jusque là. Ramar n'était pas du genre vengeur, encore moins quand on ne s'en était pas pris à lui réellement. Il avait l'habitude que les autres gamins se moquent de lui et le bousculent. Il s'était déjà pris des coups, même. Toutefois, ce jour, il n'estimait pas que ces gamins lui auraient fait vraiment du mal. Il avait espéré qu'on l'aide, mais un adulte, histoire de les rabrouer, pas une adolescente qui se montrerait presque aussi injuste qu'eux. Elle était incontestablement plus expérimentée qu'eux.
Le petit Ramar fit donc une petite grimace en guise de réponse, avant d'ajouter quelques mots.
Je le connais, mais pas besoin d'le frapper, il est pas si méchant. Merci.
Son ton sentait le reproche à des lieux à la ronde, mais il était difficile d'en comprendre la raison. Il était à la fois reconnaissant envers la jeune fille pour son intervention et mécontent de cette intervention.
*Tu n'es pas très aimable, jeune homme. Tu devrais t'excuser, ou au moins t'expliquer. Je ne comprends pas ce que tu lui reproches, je doute qu'elle le comprenne donc...*
Le ton de l'écharpe était équivoque : elle ne comprenait pas la réaction du garçon, mais elle tentait quand même de le conseiller car, selon elle, il agissait à l'encontre des règles sociales. Et elle savait combien il avait du mal avec ces règles, parfois...
Le petit Ramar prit donc un aspect contrit avant de reprendre, sur un ton d'excuse.
C'est gentil de m'avoir aidé, mais ils sont pas méchants, et j'aurai pu m'en occuper... J'aurai pu régler ça, plus tard... Quand je serai plus grand...
Le garçon baissa les yeux. Il avait comprit les remontrances de son amie, mais il n'arrivait pas à accepter sa propre faiblesse et qu'on se batte pour lui. D'autant plus que...
...Et j'en veux pas à Akor. Il est pas très gentil avec moi, mais il m'a jamais fait de mal encore. Il est juste un peu stupide. Et puis tu aurais pu me toucher à leur place si je m'étais pas baissé !
Il resserra sa prise autour de sa sacoche, comme pour se donner contenance. Il espérait vraiment que l'adolescente se montre compréhensive et se calme. Il ne voulait pas se montrer aussi bête que ceux qui s'en prenaient à lui. Il voulait être meilleur qu'eux.