Idéalement, Ash espérait que cette rencontre où les suivantes débouchent sur un partenariat entre les deux petites entreprises, mais il n'en était pas encore là.
Il avait rendez-vous avec Vivianne Abelas, une érudite ayant bien plus de connaissances que son âge laisser supposer. Comment connait-il ce nom ? Après avoir questionné quelques-unes de ses relations sur les moyens d’obtenir drogues et produits en tout genre, il est ressorti lors d’une conversation avec un jeune homme de la Cabale. La dame Abelas serait un prodige dans le domaine et son contact ne tarissait pas d’éloges.
C’est donc avec grand intérêt, beaucoup d’attente et une pointe de curiosité, que le jeune homme l’avait invité à l’Insomnie pour parler affaires. Pour ce type de rendez-vous, il préférait utiliser les bureaux de l’étage : moins de passage, pas de vis à vis et donc, bien plus discret.
La pièce dans laquelle il allait l’accueillir était un bureau de taille respectable. Richement et chaleureusement meublé : deux sofa se faisant face à face autour d’une table basse sur laquelle était posé quelques collations, un grand bureau et son fauteuil devant la fenêtre au bout de la pièce, une grande bibliothèque remplis de livres qu’Ash n’avait même pas ouvert mais qui étaient présent pour la présentation et les apparences, ainsi qu’un petit buffet rempli de boissons et petites choses à grignoter.
Les murs étaient recouverts de tentures sombres et sobres, de grands rideaux semi-opaques occultaient la lumière qui provenait de l’extérieur et une belle moquette atténuant les bruits de bas se trouvait sur le sol. Une pièce correspondant tout à fait à l’idée qu’on se fait d’un bureau d’une riche maison close : chaleureux, sobre et tape à l'œil en même temps, le tout dans les détails et la discrétion.
Lorsque l’heure du rendez-vous fût venu, le jeune homme descendit dans le hall pour accueillir son invité. C’est une splendide jeune femme à la longue cheveulure bleuté qui se pointa à l’heure dîtes.
Esquissant une courte révérence, Ash l’accueilli avec un grand sourire :
- Dame Abelas, je suis ravi de vous accueillir à l’Insomnie, je m’appelle Ash Soven, nous avions rendez-vous. Si vous voulez bien me suivre s’il vous plaît ?
Il ferma les portes du cabaret derrière lui -pour ce type de rendez-vous, il préférait les prévoir alors que le cabaret était encore fermé afin qu’il n’y ai pas l’énorme foule qui se presse dans les couloirs de l’établissement- et avec galanterie, accompagna son invité dans les couloirs de l’étage jusqu’au bureau préparé :
- Laissez moi vous dire que l’on a pas lésiné sur les compliments vous concernant et j’étais curieux de faire votre rencontre. Et je dois vous avouer que je suis encore plus comblé de pouvoir faire affaire avec une magnifique femme telle que vous.
Amère, Vivianne poussa la porte de l’Insomnie. Les relents boisés et les parfums suaves vinrent rapidement lui picoter le nez. Vivianne n’aimait pas les endroits comme ça ou plutôt, elle n’aimait plus. Lorsqu’on avait vécu aussi longtemps qu’elle, on finissait par se lasser des lieux de plaisir conventionnels. Même si à travers les siècles, de nouveaux établissements fleurissaient, quand on en avait fait le tour, 10 fois, on n’y trouvait plus le même intérêt. Elle ne les dénigrait pas, non, ils lui étaient simplement indifférents, fades, dépassés. C’était un peu le cas de tout ce qui était décrit comme de l’amusement par le reste du monde aux yeux de Vivianne. Elle trouvait son plaisir ailleurs, particulièrement dans les pleurs désespérés des jeunes ingénues qu’elle rencontrait au fil du temps.
Le gérant était plutôt bel homme, en même temps sa plastie devait considérablement l’aider à trouver du personnel qu’on aurait envie de goûter. Les gérants de cabaret étaient rarement laids d’après ce qu’avait vu Vivianne. Et s’ils l’étaient, ils faisaient un saut à sa boutique pour y remédier. Une potion de changement d’apparence ou un élixir plus durable et le tour était joué. Il devenait presque idiot d’être laid dans un monde ou on pouvait choisir son physique en buvant une potion, si on avait les moyens. Vivianne sourit à son interlocuteur, profitant de sa flagrante jeunesse pour paraître la plus inoffensive possible. Elle laissa couler son manteau bleu océan qu’elle confia à un employé, révélant une robe turquoise qui taillait près de son corps. Une avalanche de prêt-à-porter pour une dealeuse de drogue, mais elle voulait se donner une image de luxe et non de criminelle, et puis c’était un collègue de la cabale qui venait la trouver, elle pourrait le fidéliser pour d’autres produits …
« C’est un plaisir de vous rencontrer également, dit-elle en pinçant les bords de robe dans une élégante révérence, je suis agréablement surprise d’avoir aussi affaire à un interlocuteur distingué. Ceux qui achètent mes produits ont quelques problèmes de vie … et d’hygiène d’habitude. »
En même temps, à force de fournir tous les drogués de la capitale et du village perché, elle ne pouvait que s’attendre à faire face à des rebuts. Mais les pires d’entre eux, elle les laissait à Lyf, la petite garde qui lui jetait ses regards meurtriers à chaque fois qu’elle lui fournissait une livraison. Regard qui se muait bien vite en absence quand la dose tant attendue lui était donnée. Pathétique raclure.
« J’espère que notre amie commune va mieux ? Sa blessure s’était bien refermée, j’ose espérer que ses mouvements n’en ont pas été affectés. Si c’est le cas, je m‘excuse d’avoir été la cause de sa convalescence et je vous fournirai les potions adéquates pour sa guérison. »
Diane avait bien récupéré après s’être fait embrocher par un carreau d’arbalète en traître. Vivianne avait eu peur que cela lui porte préjudice, mais ses bons soins avaient réussi à lui éviter une retraite anticiper. Quoique cela aurait pu lui donner les clés de sa libération.
L’enchanteresse s’assit gracieusement au bureau du gérant, baladant son regard sur la pièce qui allait accueillir leurs discussions. Elle finit par tourner son regard vers Ash.
« Bien, j’ai cru comprendre que vous cherchiez des produits « d’agréments » pour vos clients. Je suis en mesure de les fournir suivant ce que vous désirez offrir à votre clientèle. De quoi parlons-nous exactement ? Simples aphrodisiaques ? Substance euphorisante pour pousser à la consommation ? Des choses plus dangereuses ? »
- Haha, votre clientèle ne doit effectivement pas être tous les jours des plus agréables d’après ce que vous me décrivez. J’espère donc que ce rendez-vous vous sera plaisant.
Il sourit en indiquant le chemin vers le bureau :
- Sinon pour notre amie, elle se porte bien. Elle a repris les représentations peu de temps après les évènements, je ne l’ai forcé en rien mais elle m’a affirmé pouvoir reprendre ces activités.
Bien évidemment, Ash n’avait pas été ravie de voir que la danseuse vedette du cabaret avait du prendre des congés de convalescence. Nombre des clients du rez-de-chaussée venaient pour la voir et le chiffre d’affaires avait légèrement baissé pendant la période où elle ne pouvait pas danser. Cependant, il préférait nettement qu’elle ne se surmène pas et qu’elle se rétablisse correctement que de risquer un mauvais pas a cause d’une blessure encore douloureuse sur les planches de la scène. L’homme d’affaire parlait en premier : il avait naturellement réprimandé la danseuse pour cette folie mais passé le coup de la surprise, il avait tout mis en place pour qu’elle puisse guérir convenablement et qui ne lui reste aucune cicatrice. Après tout son corp était son outil de travail, il fallait en prendre soin.
Ils arrivèrent dans le bureau et s’installèrent, Vivianne dans un des confortables fauteuils face au bureau, laissant place à Ash de l’autre côté. Avant de s’installer il demanda néanmoins :
- Souhaitez vous quelque chose à boire ? Alcool ou sans alcool, nous avons à peu près tout ce qui se fait en ville ici.
Le mini-bar de la pièce était limité, mais si son invité le désirait il pourrait aller demander des verres au bar du cabaret qui proposait une carte assez vaste. Bien qu’il n’était pas possible de trouver toutes les boissons d’Aryon, notamment certaines spécialité, en revanche la plupart des alcools ou boissons ‘classiques’ étaient disponibles.
Tout en servant -ou non- à boire à la demoiselle, il répondit à sa question :
- Effectivement, après quelques incidents malencontreux, j’ai décidé d’interdire toute substance provenant de l’extérieur du cabaret. Cependant certains de mes clients y sont très friands et je me dois de répondre à leur demande. Je recherche donc un, une plutôt, fournisseuse pour ce type de produit.
Il se prit également un verre d’hydromel : très légèrement alcoolisé et peu sucré malgré les apparences. Puis il déposa les boissons sur le bureau et alla s’installer en face, faisant face à la Vivianne pour reprendre :
- Pour l’instant, j’aimerais découvrir un petit panel de vos produits, aphrodisiaque principalement ou euphorique. Rien d’accoutument à outre mesure pour l’instant. Et côté illégal… nous auront tout le loisir d’en discuter après avoir eu un premier retour des premières choses que vous me proposez.
Bien que son invité faisait partie de la cabale et qu’elle était une source fiable. Ash ne pouvait se fier que sur ce qu’on lui disait d’elle et cela ne lui suffisait pas à lui accorder sa confiance et son marché. Il voulait voir de lui-même les résultats et la qualité, avoir les retours de ses clients -vu qu’après tout, ce sont seront les principaux consommateurs- avant de s’engager dans quoi que se soit.
Vivianne avait bien détaché ce dernier mot, comme s’il était l’élément le plus important du cocktail qu’elle demandait. Elle avait pris cette habitude de tout boire glacé, particulièrement quand il s’agissait d’alcool. Elle trouvait que cela la réchauffait d’une certaine manière, bien que ce ne soit qu’une illusion. Elle accueillit son verre avec un sourire et trempa ses lèvres un court instant avant de le reposer sur le bureau pour parler affaires. Elle commença par sortir une petite boîte de son sac contenant quelques fioles, à peine trois.
« Je suis venu avec quelques échantillons, cela ne représente pas une grande diversité, mais ce sont pour moi des produits de base qui feront probablement l’affaire pour un cabaret aussi connu. Le premier contient du Lucis, l’une de mes spécialités. Il est produit à base du champignon du même nom, puis traité pour en diminuer les effets. C‘est un excellent euphorisant qui, employé dans un contexte plutôt érotique, est un très bon aphrodisiaque. »
Elle déboucha la fiole et en renversa une infime partie sous forme de poudre noire et laissa Ash faire ce qu’il voulait avec. L’échantillon étai trop infime pour envoyer quelqu’un sur la lune, mais juste assez important pour éveiller quelques sensations. Elle déboucha ensuite la deuxième fiole et renversa une poudre à l’aspect doré.
« La deuxième est une préparation de champignons hilarants, c’est un excellent ajout à la carte de n’importe quel établissement puisqu’ils permettent d’offrir des sensations assez uniques à vos clients. Ils permettent d’obtenir un état d’euphorie assez cours contrairement à la première, mais plus puissant et qui peut très bien agrémenter une soirée à plusieurs. »
Elle sortit enfin la dernière fiole et renversa son contenu sur la table. Il ne s’agissait pas vraiment d’une poudre, mais plutôt d’un petit tas de fines pelures d’agrume.
« Et enfin nous avons les zestes de citrus toxique. Ne vous fiez pas à son nom assez effrayant, la peau de ce « fruit » provoque des hallucinations assez violentes. C’est pourquoi je vous conseille de le faire consommer à vos clients sous forme de gâteaux cuit avec juste un peu de zeste et d’autres agrumes pour en garder une consommation récréative sans voir vos clients faire des bad trips. Je déconseille fortement de le consommer pure. »
Elle lui jeta un regard assez direct pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas intérêt à goûter ça maintenant où elle serait obligée de l’attacher. Elle avait fait le tour de ses substances les plus récréatives sans pour autant mettre en danger le consommateur. Pour ce qui était de son autre exigence, cela allait être un peu plus compliqué …
« Quand vous dites accoutumance, vous parlez de dépendance ? Si c’est le cas, seul le Lucis provoque une dépendance plus ou moins forte selon la recette. Si vous n’en voulez aucune, je vous ferais des recommandations sur les doses, les prises et les conditions nécessaires pour éviter que vos clients ne deviennent accros. Je peux également solidifier la substance pour qu’elle soit sous forme de pastille, ce qui rendrait le dosage plus facile pour vous. Il n’y aurait plus qu’à compter les pilules. Le Lucis est une substance nouvelle que j’ai développée et la législation est encore assez vague sur celle-ci. Les autres sont connues depuis longtemps. Les champignons hilarants sont légaux, mais pas le citrus toxique. Enfin, pour ce qui est de l’accoutumance, et je veux dire par-là, la tolérance au produit, je pourrais vous donner des recommandations pour que les effets restent puissants et significatifs. C’est pourquoi je vous recommande d’avoir une carte variée pour éviter que vos clients ne prennent toujours la même et qu’elle finisse par ne plus faire effet. C’est plus simple que d’augmenter les doses à la tête du client si vous voyez où je veux en venir. »