Lovis Farley
Combien de fois n’a-t-elle pas dû prononcer ces deux mots ces derniers temps ?
Les bras croisés sur la poitrine, un panier de fruits au creux du bras, Enora observait l’un de ses rares voisins avec sévérité. Nullement intimidé par cette jeune effrontée – néanmoins bien adorable – l’agriculteur enfonça une fois de plus sa bêche dans la terre, telle une ultime provocation envers la jeune femme qui dû se résoudre à l’évidence. Cette dernière poussa un long et profond soupire, simple expression de sa lassitude. Les bras levé en signe d’abandon, elle s’avança une fois de plus sur les terres du vieux couple, n’accordant qu’un simple regard à l’homme un peu trop téméraire à son goût.
« Vous me semblez être en pleine forme aujourd’hui. Je suppose que vous n’avez plus besoin de mes services ? » Elle marque une pause, juste le temps nécessaire pour que l’homme se tourne vers elle, curieux. « Je m’en vais de ce pas annoncer à votre chère et tendre Caly que mon travail à vos côtés est terminé. Vous vous débrouillez très bien sans moi. »
Ses lèvres se tirent en un sourire angélique, là où les yeux de l’agriculteur – prénommé Mio – s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise. Un instant. Juste un instant. L’homme reprit vite contenance en entendant le rire de la demoiselle. La menace était pourtant réelle, mais Enora savait parfaitement qu’abandonner ses voisins - alors que l'un n'est pas totalement rétabli - aurait été bien indigne de sa petite personne.
« Vous ne devriez pas autant forcer sur votre jambe. J’admire votre courage mais votre convalescence risque de durer plus longtemps que prévu si vous continuez à vous acharner de la sorte. »
Sa voix est douce, bienveillante, tout comme le sourire qu’elle lui adresse. Mio a toujours été un homme têtu et travailleur ; même blessé, il ne peut s’empêcher de gigoter, de mettre la main à la pâte. Si c’est une très grande qualité aux yeux de la paysanne, c’est également un très gros défaut à partir du moment où il joue un peu trop avec sa santé.
Caly ne tarda pas à pointer le bout de son nez, saluant la jeune Orefall avec le sourire le plus chaleureux qui soit, avant d’aller tirer les oreilles de son mari. Un spectacle qui ferait presque oublier le sérieux de la situation. Et surtout, l’homme qui s’approche doucement du petit trio…
Si seulement...
L’acquisition et le dressage d’un familier étaient décidément plus longs que prévu. Après avoir acheté ton hibou, tu pensais que le dressage serait simple. L’homme t’ayant vendu le familier t’avait assuré que les femelles étaient très sérieuses dans leur travail et douce. Pourtant, l’animal que tu avais reçu était têtu et ne semblait pas du tout vouloir t’écouter. Il faut admettre qu’apprendre que tu t’étais fait avoir, était très irritant. Non seulement, on t’avait vendu un messagerbou mâle, mais selon tes collègues, tu avais payé bien plus que tu aurais dû. Ce qui aurait dû être un investissement pour te permettre de plus facilement communiquer avec les gens vivants loin de ton cabinet était maintenant un vrai mal de tête. Cela dit, même si le hibou ne semblait pas vouloir livrer tes lettres, il était affectueux et aimait sa nouvelle demeure. Peut-être si quelqu’un connaissant bien ce genre de créature t’aidait, le dressage serait plus facile.
Malheureusement pour toi, ton horaire était bien chargé et tu n’avais pas le temps de chercher un spécialiste en messagerbou. Donc, n’ayant pas de cristal de communication, tu libéras ta journée pour retourner aux plaines et rendre visite au vieux couple s’occupant de terres agricoles. Selon tes notes et tes souvenirs, la jambe de Mio était dans un très lamentable état à la suite de la rencontre avec le sceral. Tu pouvais encore te souvenir du moment où tu l’avais rencontré et que ton regard s’était posé sur son bandage horriblement appliquer. Avec une telle blessure, Luz lui avait prescrit beaucoup de repos. Interdiction de travailler pour une semaine minimum. Même si sept jours pouvaient sembler longs pour quelqu’un d’aussi travaillant que Mio, ce temps de repos était nécessaires. Maintenant, que sept jours étaient passés, une petite vérification n’était pas une mauvaise idée. Pour que Mio et Marko puissent retourner à leur travail sans soucis, il était important de vérifier que les blessures soient bel et bien guéries.
Même si tu connaissais le chemin et que celui-ci n’était pas bien long, tu n’aimais pas voyager si loin de la capitale. Tu étais peut-être en forme et en santé, mais les routes inégales de terre te donnaient mal aux pieds. Peut-être étaient-ce tes chaussures qui n’étaient pas faites pour de longs trajets, mais… Il faut dire que tu n’étais pas fait non plus pour de longs trajets. Au bout d’un moment, tu commenças à voir les terres agricoles familières. Comme la dernière fois, l’odeur de ferme frappa ton nez et tu grimaças. Mais cette grimace ne dura qu’une demie seconde. À l’horizon, tu pouvais voir le vieil agriculteur ainsi que sa femme accompagner d’une demoiselle que tu ne reconnus pas.
« Bonjour, Caly. Bonjour Mio. Pardonner ma visite non annoncée. »
Avant même que tu puisses demander si tu interrompais quelque chose, Caly abandonna l’oreille de son mari et se tourna vers toi. Son sourire sembla s’agrandir et elle ne perdit aucune seconde pour s’approcher et t’enlacer dans une étreinte chaleureuse.
« Lovis ! Je suis si contente de vous revoir. Ne vous excusez pas et venez, entrez. »
« Ah, Lovis, content de vous revoir… Vous n’êtes pas accompagné de votre collègue ? »
« Non, pas aujourd’hui. Cependant, je vois que vous avez de la visite. »
Tu redirigeas ton attention vers la demoiselle et tu lui offris un grand sourire.
« Bonjour mademoiselle. Je suis le docteur Lovis Farley, enchanté de faire votre connaissance. »
Lovis Farley
Ce n'est que lorsque Mio mentionna une collègue que le cristal tomba. Mais bien sûr ; le médecin ! Ils lui en avaient parlé, de leur accident et de ces deux individus qui s'étaient déplacés pour venir les soigner. De quoi surprendre la jeune Orefall qui n'est pas habituée à autant d'attention de la part du peuple vivant à la capitale.
Méfiante, mais elle ne montre rien, sourit poliment. Peut-être même amicalement.
« Bonjour monsieur. Mais tout le plaisir est pour moi ! Enora Orefall pour ma part, je suis l'une de leurs voisines. »
Une fois rentrés dans la maison, Mio se montra étonnement plus docile que d'habitude, présentant sans trop rechigner sa blessure plutôt bien traitée.... même si on pouvait voir que les bandes n'étaient pas aussi blanches qu'elles devraient l'être.
« Il se soigne mais comme je vous l'ai déjà dit, il est têtu. Il ne peut pas s'empêcher de travail. » dit Caly tout en prenant le panier qu'Enora lui avait apporté. « Voulez-vous un jus de fruits, Lovis ? Ceux des Orefall sont un véritable délice ! »
« Vous en faites trop, Caly. »
Enora enfonça sa tête dans ses épaules, mimant une certaine gêne. En réalité, elle sait ce que vaut leurs marchandises et elle en est fière. Si on vient souvent vers eux, et qu'ils n'ont pas trop à se plaindre pour des paysans, ce c'est pas pour rien après tout.
Sourire aux lèvres, la jeune femme se tourne vers le médecin, attentive à ce qu'il fait.
« Mio était encore en train de travailler quand je suis arrivée. Rien de trop difficile, mais il a du mal à rester assis sans rien faire. Vous pensez que ça va aller pour sa jambe ? » demande-t-elle, soucieuse.
Si seulement...
Des patients têtus, tu connais bien. Mio n’était ni le premier et certainement pas le dernier à croire que tes recommandations n’étaient que de simple suggestion. En généraux, les plus têtus étaient les jeunes adultes, plus précisément les aventuriers. Tu en avais plus d’un qui se croyait invincible. Quelle bande d’imbéciles. Si l’on veut rester un aventurier longtemps, il est primordial de garder un corps en santé. Comment pourront-ils s’enfuir d’une créature s’ils ont des problèmes respiratoires ? Comment bien éviter les coups d’un bandit s’ils ont des problèmes de jointure ? Ils sont encore jeunes, mais ils ne pensent pas que les blessures du présent affecteront un jour les capacités physiques de leur corps dans quelques années.
Pour ce qui est de Mio… Il faisait partie d’une autre catégorie de têtu. Il faisait partie de ces gens qui n’arrivent simplement pas à se reposer. Même malgré son âge, il n’arrive pas à rester en place. Pour lui, il y a toujours quelque chose à faire. Il faut avouer qu’il doit y avoir beaucoup de tâches quotidiennes à faire sur ces terres, mais ce n’est pas à lui de tout faire. Surtout lorsqu’il est blessé. Tu lances un léger regard de frustration vers l’homme, puis secoues la tête.
« Il faut apprendre à se reposer. Si vous ne vous reposer pas, comment votre blessure va-t-elle guérir ? Arrêtez ce que vous faite et rentrons à l’intérieur. »
En tant que docteur, il faut bien que tu le réprimandes. Sa santé est après tout ton principal souci. Une fois au salon, tu demandes fermement, mais poliment de voir la blessure. Ce n’est pas joli, mais c’est beaucoup mieux qu’avant. Dans quelques jours, il pourra continuer de travailler sur ses terres comme bon lui semble.
« Je prendrai bien un verre s’il vous plaît. »
La marche entre leur demeure et la capitale n’était pas des plus longue, mais elle était épuisante… Cela dit, tu pourrais facilement t’épuiser juste en marchant de chez toi jusqu’au grand marché. Tu n’étais sincèrement pas fait pour des activités physiques.
« S’il arrive à se reposer pour les prochains jours, il pourra recommencer à travailler comme il veut. Mais seulement s’il se repose. »
Tu souris chaleureusement vers la jeune femme. Elle semble bien préoccuper par Mio. Il est bien chanceux d’avoir des personnes qui se préoccupent de lui.
« La blessure est presque guérie alors il ne faut pas trop s’en faire. »
À peine avais-tu terminé ta phrase que Caly était de retour avec le jus de fruit ainsi qu’un plateau de biscuit. Était-ce son don qui lui permettait de toujours avoir des desserts à donner à ses invités ? Elle n’était partie que quelques minutes et la voilà avec des biscuits qui semblent frais d’il y a quelques instants.
« Merci beaucoup. »
Sans attendre, tu prends une gorgée du jus. Il n’est pas trop sucré et très désaltérant. Tu peux presque goûter chaque fruit dans le breuvage.
« En effet, c’est délicieux. Vous le faites vous-même ? »