La saison douce est maintenant bien ancrée dans cette nouvelle année et nos journées en deviennent plus agréables jour après jour. Je profite de cette petite permission de quelques jours pour passer du temps avec ma famille, du moins ma mère pour être plus précise. Même si elle ne dit rien, mon affectation à Forteresse la chagrine plus qu’elle le souhaite montrer. Bien entendu, en face de moi, elle ne dit rien, comme toujours. C’était une mère, et par définition, ce n’étaient pas aux enfants de s’inquiéter pour ses parents. Je n’étais plus une enfant, loin de là même. J’allais même sur mes trente-huit ans, rien que ça et bientôt l’âge fatidique. Ma carrière était plutôt réussie. J’étais Lieutenant, j’avais un bataillon compétent, je m’y plaisais bien, des frères et sœurs d’armes mais il manquait toujours ce petit quelque chose pour rendre tout ça beau. Le bonheur était partout et Lucy m’a demandé d’accomplir cette mission que je m’efforce de réaliser jour après jour mais est-ce que je pouvais demander plus ?
A ces questions, je m’étais dirigée toute à l’heure au temple de Lucy de la Capitale pour avoir des réponses à mes questions. J’avais la bénédiction de Lucy, chacun à sa destinée, sa voie et le bonheur attend quelque part au bout du chemin. Mais où continue ce chemin, est-il encore long ? J’ai risqué ma vie de nombreuses fois, perdu des amis, des êtres chers et bientôt plus d’épaule sur qui pleurer. Me retrouver seule, voilà ma plus grande crainte ou que personne ne me pleure. Que je ne sois pas seulement ce bras armé, ce bras qui défend les citoyens et autres espèces du royaume. Car oui Lucy aime son prochain, oui chacun a le droit de vivre mais je voulais ma part d’enchantement, d’euphorie… Toutes ces choses qui me donnent envie de me réveiller le matin. Envie de partager ma journée et non remplir ses rapports, ces missives et autres. Parler d’autres choses que stratégie, bandits et autres problèmes dans le Royaume. Une discussion tout simplement.
Mais même cette simple chose semble irréalisable à l’heure actuelle. Je vois encore ma mère me dire toute à l’heure que je devrais sortir et que j’avais l’air pâle. Elle m’a donné encore une fois une de ses potions miracles qui pourrait réveiller un mort. Un miracle pour mon teint et je soupçonne que c’est tout bonnement des vitamines. Je boirais ça sur le chemin avant d’arriver chez elle. Je ne souhaitais pas affronter son interrogatoire à mon retour de ballade.
Je prends alors la grande route commerçante qui mène du temple de Lucy à devant l’Opéra Royal. La nuit était entamée et on pouvait rencontrer quelques personnes qui sortaient du beau bâtiment des arts. Accompagnés ou non d’ailleurs. Beaucoup avaient enfilé leur plus beau atour, j’ai choisi une tenue plus sobre. Pas d’armure, pas d’uniforme de garde. Juste une tenue d’aventurière que j’aime porter plus pratique qu’une robe lorsque je me promène ainsi en ville. Un pantalon en cuir et d’une tunique longue crème. J’avais ma ceinture et d’un bustier en cuir de la même couleur du pantalon par-dessus la tunique. Ma besace sans fond était aussi à ma taille. N’ayant pas pris d’épée avec moi, mes protèges avant-bras étaient cachés sous les manches longues de mon haut. L’enchantement de ses protections me permettait de faire apparaître n’importe quelle arme si nécessaire. Mais personne n’était sensé le savoir, ni même les soeurs du culte qui n’acceptait pas les armes en général. Il était inconcevable que je sors sans arme, si il y avait le moindre problème, il fallait que je puisse intervenir et mes poings ne peuvent pas suffire. Mais là encore, c’était un problème et ce soir, je voulais profiter du calme apparent de la ville. Je renferme un peu mon manteau contre moi. Ce long manteau d’un bleu nuit profond qui me camoufle dans les ombres du crépuscule. Hélas, ma longue chevelure blonde détachée détonnait avec cet effet mais il était bon de ne pas porter la coupe de cheveux réglementaire pour les femmes. Je prends le chemin des amoureux qui descend de l’Opéra vers le Palais puis la maison familiale se trouve non loin, plus au sud. Je double quelques couples et je profite de ce moment pour boire cette potion avant que ma mère ne me donne le fameux sermon. Je fouille dans la besace, attrape la fiole bleue foncée et l’avale cul sec. Au moins, c’était fait et on en parle plus.
Les mains dans les poches de mon manteau, je foule les petits graviers de cette promenade au bord de Luisante. Quelques péniches avaient élu demeure pour la saison voir l’année ou plus encore. L’air était doux, un léger vent faisait virevolter quelques feuilles ainsi que quelques mèches de mes cheveux. C’était agréable et un sourire heureux s’affiche sur mon visage. Cela me rappelle mes tours de garde le long de la grande muraille de Forteresse. Un paysage à couper le souffle, des arbres et des montagnes à perte de vue. Là, c’était plus étriqué mais ça ne gâche en rien à la beauté du moment. Quelques bancs étaient disposés pour les personnes qui souhaitent se reposer ou profiter de la vue. C’est en avançant que je constate une silhouette qui me semble familière sur le banc qui se trouve sous un candélabre magique. Le fonctionnement était assez simple, une pierre magique qui permettait d’illuminer une petite zone ou ici donner un sentiment de sécurité lors de la balade le long du fleuve. Ralentissant ma démarche, la tenue était un premier indice, de noble naissance ou qui avait les moyens de se payer ce genre de tenue. Les mêmes personnes qui sont sortis de l’Opéra il y a peu. Une dame qui se trouve seule dehors à cette heure-ci ? Peut-être une simple pause pour remettre sa chaussure ? Une petite pause d’observation sur le magnifique spectacle que nous propose la Lune sur Luisante. Les oscillations de l’eau faisaient danser le reflet de l’astre, tel un ballet onirique.
Puis j’étais maintenant à quelques pas, la couleur de ses cheveux et de sa peau, les traits de son visage, je pouvais enfin savoir qui elle était. M’arrêtant tout proche d’elle, je finis par dire son nom, surprise.
- Dame Heydell ?
Je me rends compte que j’oublie toutes les politesses et reformule ma phrase.
- Bonsoir Ma Dame mais…
Comment lui dire qu’elle n’avait pas à être là, si tard et surtout sans la moindre escorte. Est-ce le destin de toujours la croiser ainsi ? C’était notre troisième rencontre depuis qu’elle a pris son poste et je ne crois pas au heureux hasard.
- Avez-vous besoin de quelque chose ? Une escorte peut-être ?
Je n’avais pas le droit de lui faire un sermon, ce n’était pas mon rôle. Je n’étais en aucun cas Garde Royal. Juste une simple officier qui passait par là. Je lui suggère simplement qu’elle devrait rentrer chez elle et si il le faut, je traverserais la ville pour la mettre en sécurité.
Je restais là, debout, attendant son ordre. J’espérais intérieurement qu’elle ne me rejete pas mon offre car je serai dans l’obligation de l’escorter de force. Je ne pouvais la laisser repartir seule, si il lui arrivait quelque chose et j'aurais pu faire quelque chose ? Évidemment, ma tenue d’aventurière n’avait pas le clinquant de mon armure mais j’avais essentiellement besoin de mon corps et mes bras.
J’affichais tout de même un sourire et non la colère qui me traverse. Elle s’apaisait au fur et à mesure que je la regardais. La potion de ma mère avait vraiment des bienfaits sur mon tempérament. Je devrais en prendre plus souvent, ça m’évitera les fameuses rides du lion. Je pris alors machinalement ma position d’attente de soldat, prêt à toute éventualité…
Maria, son époux Dimitri, et Cassandra sont assis sur leur banc, spectateurs aux yeux émerveillés par le jeu des acteurs, et les oreilles hypnotisées par les chants cristallins de l’histoire contée par le metteur en scène et ancien chanteur d’opéra le plus renommé du Royaume. Dans ce nouvel acte, la cantatrice lyrique s’élève dans les airs reliée à son compagnon de chant par un fil invisible. Elle s’éloigne de lui et frôle bientôt les rambardes du théâtre qui sont cachées par des nuages de papier. La lumière bleue éclaire son envol. Elle continue de chanter malgré ses pieds qui ne touchent plus le sol. Le gentilhomme l’appelle, formule des mots magiques mais elle n’arrive pas à attraper sa main pour être ramenée à terre. Le couple est séparé par un éclair qui coupe le lien qui les unissait plus tôt. Cet être cher accablé par la perte de son aimée, s’effondre brutalement secoué par le choc, criant de désespoir de manière mélodique…
La scène est lourde, Maria et Cassandra tremblent émues et chargées de l’émotion qu’il y a dans l’air. Aujourd’hui, les réalisateurs adorent augmenter les ressors tragiques, dramatiques, larmoyants, pour choquer et déployer tout leur art de l’amour mélangé à l’abandon d’une histoire impossible. La magie du vent et de la foudre apportent fracas et terreur, avant d’être levées par l’eau de la tristesse qui noie le malheureux attendant la descente de sa belle enchantée, victime d’un mauvais sort jeté par une sorcière.
« Quand le soleil reviendra-t-il éclairer ton visage ? »
Les cinq actes de la pièce s’achèvent sur une tempête de fleurs, qui une fois calmée, laissent retomber ses pétales sur la scène en bois. Les rideaux du théâtre se ferment et s’ouvrent de nouveau sur les comédiens qui saluent les spectateurs pour les remercier de leur attention silencieuse qui se transforme à présent en acclamations nourries par la joie et l’admiration. Un souffle de voix interpelle Cassandra qui applaudit avec vigueur. La ministre et sa famille sont invités à sortir de leur cabine par les employés de la garde du palais, pour leur permettre d’éviter de croiser trop de monde et parce que les temps sont dangereux pour des personnes dont le nom est connu. Il y a toujours des bandits qui courent dans la nature et souhaitent s’attaquer à des membres éminents du gouvernement ou de la couronne. Elle prévient sa sœur et son conjoint, qui comprennent malgré leur déception de ne pouvoir profiter de la liesse de la foule plus longtemps. Ils se lèvent toutefois rapidement pour suivre la troupe de gardes chargés de la sécurité personnelle de Cassandra et de ses proches quand elle est en dehors du Palais.
- Cassandra, j’ai un problème, il faut absolument que je me rende dans des lieux d’aisance, j’ai besoin de me rafraîchir le visage et la pièce a duré trois heures…
Dimitri propose d’accompagner sa femme et elle les regarde s’éloigner accompagnés d’un soldat dans un étage supérieur de la salle d’opéra. Son cristal de communication vibre alors dans son sac qu’elle tient à la main et elle demande la possibilité à ses protecteurs, de pouvoir sortir un instant à l’extérieur pour répondre au calme à cet appel. Elle n’attend pas leur réponse et emprunte l’escalier qui mène au rez-de-chaussée pour rejoindre la sortie. Elle jette un coup d’œil, une dernière fois, aux magnifiques dorures, tapisseries, broderies et tableaux immenses qui décorent les murs de la salle principale de l’opéra. Ces expositions représentent des anciennes pièces jouées par le passé dans ce même endroit, des pièces de théâtre adaptées de livres classiques et des comédies d’opérette inspirées par des compositions musicales.
Deux ou trois personnes la précèdent, elle les reconnaît mais ne fait pas attention, il ne fait pas partie des usages de se mélanger entre différentes classes en dehors du travail. Elle sourit en passant devant eux et les quelques clients regroupés à l’entrée du bâtiment ne l’importunent pas. Bien sûr, trois gardes sont déjà sur ses traces et se font discrets quelques mètres derrière elle. Cassandra a prévenu son interlocuteur de cristal qu’elle a besoin de dix secondes pour mieux l’entendre à distance de plusieurs altitudes longitudinales.
- Je suis disponible, je m’excuse pour cette interruption de notre communication.
Le cristal entre ses mains s’illumine de différentes couleurs tandis que les deux personnes échangent par son intermédiaire. C’est comme si chaque couleur représente une idée différente ou un changement dans le déroulé de leurs pensées partagées à voix haute.
Tandis qu’elle marche au ralenti sur la voie publique, elle décide de traverser la rue et avise un banc libre sur les rives aménagées du fleuve, faisant face au centre culturel de la Capitale. Leur discussion se termine sur un accord, disons une négociation où le parti de Cassandra l’a largement emporté, et elle ramasse dans son sac à main l’objet précieux qui lui sert à communiquer avec tous ses contacts partout dans le royaume. Ses talons portés depuis le début de la journée commencent à lui gêner la peau serrée par le bord de la chaussure. Le soleil s’est couché dans son lit sous terre depuis leur entrée dans la salle de spectacles et la lune pleine envoie des reflets sur les remous légers du fleuve. C’est reposant pour Cassandra de regarder s’agiter les courants doux du fleuve après avoir assisté à un opéra aussi pourvoyeur de tonalité aiguë et de sentiment tragique.
Des pas s’approchent de son banc et elle se retourne. A côté d’elle, c’est Bridget Alnilnam qui l’appelle.
- C’est bien moi, Dame Alnilnam. Quel hasard que vous me trouviez ici, il est rare que je patiente sur un banc dans la Capitale aussi tard le soir.
L’officier s’inquiète de l’absence d’escorte visible autour de la garde des sceaux et se tient en position droite pour répondre à sa commande, si elle est en difficulté pour revenir chez elle cette nuit. Entendant la voix de la ministre, un agent de sécurité sort de ses réflexions sur comment améliorer la surveillance de la zone, et surgit de derrière un arbre qui le dissimulait, alors qu’il faisait mine, ou presque, de fumer une cigarette l’air hagard. Cassandra s’interpose d’un mouvement de la main et fait signe à l’homme de diminuer sa vigilance. Il retourne sans rien dire se promener le long du fleuve et laisse la ministre à sa vie privée.
- Comme vous avez pu vous en rendre compte, je ne suis pas tout à fait seule en réalité car trois agents de protection tournent autour d’un certain périmètre autour de moi pour sécuriser ma sortie. Comment vous portez-vous depuis notre dernière rencontre à la Forteresse ?
Cassandra remarque le changement de tenue de la lieutenante qui a retiré son armure et dénoué ses cheveux blonds qui descendent sur ses épaules. Elle a toujours un regard vif et habité de militaire chevronné mais ses traits semblent apaisés, moins soucieux, elle n’est pas de service assurément. Aux remarques de la lieutenante en qui elle sait qu’elle peut avoir confiance, elle devine que c’est une personne de qualité, humaine et vouée à son métier. C’est un fait qu’elle a déjà repéré lors de leur visite du labyrinthe, une des attractions enchanteresses du festival du solstice.
L’ambiance de méditation autour du fleuve plaît à Cassandra mais elle commence à trouver le temps long et se demande où sont passés Maria et Dimitri. En se tournant pour observer les entrées de l’opéra, elle réalise qu’il n’y a presque personne devant les portes. Comment se fait-il que les spectateurs ne sortent pas des lieux ?
- Je ne souhaite pas refuser votre escorte et nous pouvons marcher sur le chemin qui me rapprocherait à mes appartements, mais il faut tout d’abord que je me renseigne sur la situation de ma sœur Maria Heydell et de son époux qui étaient tout à l’heure avec moi. Nous étions à l’opéra et je suis partie plus vite, pressée par une urgence. J’espère qu’ils n’ont pas cru que je les ai abandonnés car je suis sortie parmi les premières.
Cassandra propose à Bridget de s’asseoir sur le banc à côté d’elle, le temps de contacter sa sœur avec le cristal de communication qu’elle ressort de son sac. Maria se saisit très vite de l’appel et elle apprend qu’un rappel des comédiens vient de se clôturer sur une nouvelle chute de fleurs rouges comme la passion du metteur en scène. Elle est désolée de ne pas avoir pu la joindre pour la prévenir de l’allongement du spectacle mais le silence est d’ordre dans l’art de l’opéra.
- Ma sœur et son conjoint vont très bien, ils vont partir de leur côté dans leur calèche qui les attend dans les écuries proches de l’édifice. Nous avons tout le loisir de faire une partie du trajet à pied avant que ma propre voiture n’arrive pour nous ramener chez moi. Je pourrais demander à vous déposer à votre adresse si elle n’est pas trop loin de notre trajet.
Je ne sursaute pas quand la silhouette tapie dans l’ombre fait son apparition. Je mis quelques secondes à mettre un nom en quelque sorte à ce visage. Je ne connaissais pas tous les gardes royaux et encore moins s' ils étaient en civil. Par réflexe, la ministre lève la main pour montrer qu’il n’y avait rien à craindre à ses escortes. D’un regard, nous nous sommes entendus mes collègues et moi. Chacun avait mis un nom et tout le monde se détendit aussitôt maintenant qu’on était tous du même camp. Je m’étais préparé à sortir mes armes de mes avant-bras si nécessaire et pareil pour le fumeur qui venait en face de moi. Un combat venait de s’éviter à mon plus grand plaisir.
Est-ce Dame Heydell a-t-elle ressenti tout cela pendant cette fraction de seconde ? Je n’en savais guère mais au lieu de ça, je restais concentrée sur elle et ses paroles. Moins insouciante qu’elle n’y paraissait, elle avait sa garde à ses côtés et j’en fus soulagé. Ma proposition de faire escorte pour cette fin de soirée était maintenant caduc mais au fond, je ne souhaitais guère partir. Le temps était doux et cette invitation à l'accompagner était tentante. J’étais de permission et je n’avais pas envie de rentrer chez ma mère, elle serait encore réveillée pour attendre mon retour ainsi que toutes les questions qu’elle me réserve.
Je finis donc par m’assoir suite à l’ordre qu’elle m’a donné. En réalité, il n’y avait aucun ordre sous cette proposition mais ma capacité à respecter les demandes à mes supérieurs est assez forte puis elle faisait partie du gouvernement. En soit, avec mon grade élevé au sein de la Garde, les personnes qui pouvaient me donner des ordres diminuaient au fil du temps. Elle passa son coup de fil et j’essaye de pas y prêter attention. Je comprends aussitôt que sa famille lui a fait faux-bond et qu’elle avait même raté une partie du spectacle, du moins la fin. Mais Cassandra ne montre rien et propose alors que je l’accompagne.
Une invitation ? Un souhait ? J’essaye de pas réfléchir aux tenants et aboutissants. Je finis donc par me lever.
- Ça serait un plaisir de vous accompagner sur un bout de chemin. La saison chaude approche bientôt, autant profiter de ce temps clément en cette belle soirée.
C'est maintenant que je le remarque mais nous n’avons pas besoin de se couvrir chaudement. Une petite écharpe suffit pour protéger son cou et une petite laine ou manteau pour couvrir les épaules. Il est certain que rester des heures assis sur un banc et c’est le rhume assuré le lendemain mais en étant en action, nous ne risquons pas le coup de froid. J’enclenche alors la marche avec la Ministre et je constate que mes trois collègues s’éparpillent et s’éloignent de nous. Ils n’avaient plus besoin d’être à une présence raisonnable pour intervenir en cas d’attaque sournoise. J’étais un bouclier largement suffisant pour protéger la Garde des Sceaux.
J’ai déjà effectué des gardes rapprochées pour des personnes importantes ou plutôt qu’on considérait importante car la nuance pouvait être importante surtout pour l’égo de la personne à protéger. Mais dans ce genre de mission, je devais simplement me contenter de rester en arrière, m’assurer des risques environnants et être capable d’intervenir. Jamais j’avais à entretenir la conversation avec ladite personne. Généralement, elle était accompagnée d’une suite de personnes aussi intéressantes qu’elle. Ici, ça n’avait pas l’air le cas, du moins, je n’ai pas encore eu ce ressenti avec la Ministre. Ai-je fini par m’habituer aux nobles ? Ou simplement avec l’âge, j’ai décidé que ça ne servait plus à rien et prendre ce que Lucy me propose. Peut-être que je devais croiser sa route et prendre le temps de la connaître. Je sais que pour l’instant, je n’ai rien à dire de la politique qu’elle souhaite mettre en place. Active et soucieuse de certains sujets importants, elle ne reste pas dans son canapé doré. Proche de sa famille, ça la rendait plus humaine. Puis la famille ne fait pas partie de la Haute-Noblesse d’Aryon et cette attitude se ressent chez la brune.
Donc ouvrir la conversation… c’était plus difficile que de sortir son épée que de trouver un sujet de discussion.
- Alors…vous allez.. Souvent à l’Opéra ?
Super la fille assurée et chevronnée.
- Ça fait bien longtemps que je n'y suis pas allée. Il faut dire qu’à Forteresse, nous n’avons pas l’honneur d’avoir la belle troupe de la Capitale. Il y a certaines choses mais l’ambiance est plus… montagnard dirons-nous !
Rustique était le vrai mot. Pas des spectacles de rues, non mais quelques petites troupes qui sont de passage ou même la troupe locale. Spectacles de bardes, de danses, du genre de caravanes ambulantes. Pas le prestige de faire partie de la fameuse troupe de l’opéra royal ou de l’orchestre de la Capitale. On faisait ses débuts en province pour essayer de décrocher sa place ici.
- Mais ça fait son charme puis comme ça, si un jour j’ai l’occasion d’assister à une représentation ici, je pourrais en ressortir émerveillée.
Ainsi qu’avoir laisser la moitié de ma paie.
- Enfin pendant mon temps libre, je préfère me reposer un peu plus ou profiter pour m’occuper de mes familiers. Puis maintenant que la saison froide est terminée, les balades sont moins saisissantes !
Sortir avec tissu magique et tout l’équipement pour ne pas mourir de froid était un parcours du combattant. S’habiller ce qu’il faut tout en restant opérationnel aux combats. A cette période de l’année, nous avons de nombreux convois qui sont bloqués dans les flancs enneigés. Insouciants qui ne prennent pas la peine de s’équiper comme il faut ou de faire attention aux signes de la météo, ils s’aventurent dans des terrains dangereux lors d’énormes chutes de neige. C’était notre travail et comme chaque année, on répète les mêmes règles.
- Mais peut-être ne voulez-vous pas entendre mes problèmes de soldat.
Je continue de regarder au loin. Garde Sombart était devant, Shinkai et Stohl derrière nous. Ils se sont éloignés, ils n'entendaient pas notre discussion sauf si un enchantement magique permettait de décupler ce genre de prédispositions. Finalement, tant mieux, cette discussion était presque intime et cela me plaisait plus que je ne le pensais.
- Donc de quoi parlait cette pièce ? Est-ce une nouveauté ou un conte sur l’histoire de notre beau royaume ? Je connais quelques classiques mais ma connaissance sur cet art n’est pas importante. Ce n’est pas le genre de choses qu’on parle dans nos rangs.
C’était même tout l’inverse mais on s’y habituait au fil du temps.
-Enfin, vous voyez ma Dame.
C’est vrai, c’est moi qui la suit pour cette nuit.
Les gardes de sa sécurité personnelle doivent être dans le coin et les deux femmes ne prêtent plus attention à leurs déplacements, que parfois Cassandra a des difficultés à comprendre car en bougeant dans tous les sens, elle ne voit pas comment cela les rend plus alertes et rapides, mais ils ont des consignes et des habitudes de fonctionnement qui leur sont propres. Ils disparaissent et réapparaissent quand elle les regarde. Les passants qui se baladent autour, ils sont peu nombreux à cette heure dans le quartier car de nombreuses voitures sont parties à la fin des derniers spectacles, plissent les yeux, jettent un coup d’œil, fixent la robe de Cassandra mais ne s’attardent pas près d’elle. Les gens connaissent si peu leurs représentants politiques… certains doivent se dire qu’elle est peut-être connue, est-ce une comédienne, une chanteuse ou bien une conteuse de la cour ? Ils n’arrivent pas à se remémorer et s’en vont, continuant à réfléchir à cette rencontre passagère. Cassandra ne ressemble pas totalement à une politicienne ce soir, cela doit être pour ça.
- Nous en avons fini avec la saison des pluies et nous voilà entrant dans les jours de beau temps…
Son cristal de communication la surprend une nouvelle fois dans son sac à main en vibrant à cause d'une sollicitation extérieure… au vu de sa couleur, ce n’est pas la famille ou les amis. A peine la conversation commencée, qu’elle est coupée dans son élan pour répondre à la lieutenante. C’est en réalité la même personne qui l'a contactée à la fin de l’opéra. Elle répond brièvement à une dernière question pour revenir sur sa discussion. Bridget semble toujours faire attention à sa protection dans ses gestes et elle apporte un soutien, car c’est naturel pour elle. Il y a une aura de bienveillance qui se crée autour d’elles alors qu’elles tentent de sortir de leurs préoccupations personnelles.
- Vous avez dû saisir les priorités de cet appel… Nous avons une conseillère qui vient de prendre son poste au Palais Royal et des collègues requièrent déjà son attention sur des sujets anciens. Les points négatifs de la position de ministre, c’est qu’il faut toujours rester joignable et ma famille est au courant. Elle se plaint parfois, quand je reste trop longtemps dans mon bureau ou qu’un appel se prolonge au cours d’un repas familial… Pour moi, ma fonction de ministre m’amène à devoir faire face seule dans certaines situations.
Ils savent que son rêve s’est réalisé quand elle a atteint les plus hautes fonctions de ce ministère.
- Cette troupe ne joue pas à la Forteresse ? C’est dommage il faudrait un lieu pour accueillir des spectacles de cette nature dans le Nord aussi. Cela peut intéresser des écoles qui voudraient par exemple faire découvrir l’opéra et le théâtre à leurs élèves.
C’est étonnant car si Bridget est originaire d’une région très froide, Cassandra a grandi sur les plages des archipels. Elles pourraient évoquer des histoires toutes différentes sur leur vie dans le Royaume.
- Dans les montagnes, vous avez dû apprendre bien d’autres activités que je ne connais pas. Je suis allée une fois à la Forteresse depuis le début de mon siège au ministère de la justice et c’est un de mes meilleurs souvenirs. Retournez-vous souvent à la Forteresse en tant que soldat ?
Cassandra se souvient à présent de son premier jour dans le Palais Royal. Alors qu’elle avait bravé les longs couloirs du bâtiment, elle avait eu un entretien avec la première ministre dans son bureau. Celle-ci cohabite pendant son travail avec divers familiers qui s’amusaient à passer près d’elle quand elles buvaient leur tasse de thé. Elle n’a pas le même appétit pour l’éducation d’animaux de compagnie mais elle avait rigolé pour la première fois avec elle au cours de cette entrevue grâce à ses amis à la parole fluette.
- Avez-vous beaucoup de familiers ? Quels types de personnages peuvent vivre avec vous, lieutenante ? Je pourrais être curieuse un jour que vous me les présentiez quand nous aurons une occasion de nous revoir !
Elle raconte comment elle a rencontré ses différents familiers et comment ils peuvent avoir besoin d’attention. Ne s’attendant pas à passer un autre moment convivial après la pièce d’opéra, Cassandra a laissé l’horloge tourner et la nuit s’assombrit dans le ciel de la Capitale. Elle voit apparaître dans les airs des aiguilles qui font le tour d’un cercle.
- Laissez-moi vous expliquer de quoi retournait l’histoire du spectacle que je viens de voir. Mais avant cela, je vais appeler notre voiture pour prévoir notre retour, car nous allons commencer à fatiguer si nous continuons comme ça à travers tout le centre-ville et jusqu’au port de Luisante.
Les éléments de la trame ne sont pas si faciles à résumer en quelques minutes alors qu’elles attendent le chauffeur du ministère de la Justice. Ils sont tirés d’une poésie de deux pages vieille d’un siècle. Cassandra a proposé de s’asseoir à un arrêt sous un abri, devant une auberge charpentée au style provincial. C’est-à-dire qu’on dirait l’entrée d’une large chaumière entourée de hautes plantes et dont un chemin de pierres mène à la porte principale. Elles pourraient tomber sur ce type de maison en plein milieu de la carte d’une forêt.
Cassandra utilise ses mains pour essayer de décrire l’instant où le corps de l’homme, le comédien principal, retombe de douleur, de voir son aimée envolée à jamais, face à la tristesse de son abandon. Quand elle mime l’éclair qui vrille le décor de la scène, des chevaux aux sabots épais apparaissent dans leur champ de vision. Cela semble être l’un des carrosses royaux. Les gardes dont Cassandra a pris le temps de présenter les identités réelles, Sombart Shinkai et Stohl sortent de leur cachette respective pour attirer la voiture vers eux. Ils souhaitent vérifier l’intérieur avant que quiconque ne parte d’ici.
- Je suis une bonne fille de la Capitale. Mon père était Saphir de la guilde et ma mère, une femme d’une bonne petite famille. Fille de commerçants. Je n’ai mis les pieds à Forteresse en faisant mes classes. Un bien cruel changement d’habitat pour la jeune femme que j’étais mais j’ai appris à m’y faire et au fond, je ne regrette pas du tout !
Forteresse, le Blizzard, le Grand-Nord, toutes ces appellations pour cette région si immense et montagneuse. Oui, elle était hostile et pas aussi clémente que nos belles plaines aryonnaises mais on s’y fait. Puis, personne ne pourra dire que les gens du Nord ne sont pas chaleureux, l’entraide est bien une maxime qu’on garde tous dans nos coeurs.
- Mais oui, c’est certain que là-haut, je n’ai pas appris à déambuler dans les ruelles pavées de notre si belle Capitale. On y apprend la survie, les dangers des saisons. La montagne ne fait pas de cadeau. On dit que la mer reste indomptée et reprend ce qui de droit c’est pareil pour la Montagne à mon humble avis.
Pour avoir fait de nombreuses missions de sauvetage ou de récupérations de malheureux qui n’ont pas su écouter les signes météorologiques, je peux vous assurer qu’une simple pluie peut transformer un ruisseau en un torrent démoniaque.
- Donc vous avez certainement visité que Forteresse mais les environs sont tout aussi magique. Un coucher de soleil sur le sommet Halika est un délice.
Les couleurs étaient les plus belles que j’ai pu voir surtout avec la mer en horizon.
- Un jour, peut-être que vous tenterez l’ascension mais je vous préviens, ce n’est pas une mince affaire !
J’affiche un sourire courtois à cette affirmation et en profite pour jeter un coup d'œil un peu partout. Sa garde rapprochée fait le nécessaire. C’est bien et ça me permet de me détendre un peu.
On continue alors cette discussion sur la montagne et ses dangers quelques instants. Il fallait profiter qu’elle ne reçoit aucun appel cristallique et je comprenais tout à fait sa situation.
- N’ayez crainte Dame Heydell. Le devoir avant tout, non ? Je suis certes en permission mais je peux être mobilisable en tout temps. Un peu comme vous mais on va dire que c’est le prix de nos responsabilités alors faites votre travail si c’est nécessaire. Je ne suis qu’une escorte ce soir.
Croisant les bras derrière le dos, je poursuis ma marche pour rejoindre la grande Place. Cassandra s'occupe de son appel avant de reprendre la discussion portant sur les familiers. Étonnée tout d’abord qu’elle aborde des questions on va dire plus personnelles, je fais le nécessaire pour répondre à sa curiosité.
- J’ai un cheval de guerre Hamlet, ce n’est pas un familier mais mon fidèle destrier depuis de nombreuses années. Sinon j’ai une catosorus, encore adolescente. Parfait alliée pour les missions montagneuses, j’attends qu’elle grandisse pour monter dessus mais je l’entraîne pour diverses missions déjà. D’ailleurs pour parfaire mon équipe, j’ai un kitsune adulte, le protecteur de Lucy, ma catosorus. C’est un binôme remarquable. Le sachant à ses côtés, je me fais beaucoup moins de soucis pour elle qui a des capacités d’attaque plus faible. Ils ont eu de nombreuses heures d’entrainement ensemble pour pallier à diverses situations. Chacun possède des magies pour familier pour compléter le tout. J’ai aussi un laÏum, Lancelot, il a rejoint l’équipe il y a peu. C’est mon éclaireur et je peux partager les sens avec lui. Parfait pour avoir un tour d’horizon de la situation depuis les airs. Bien entendu, ce ne sont pas que des armes à mes côtés, ce sont mes compagnons et je les chouchoute aussi comme il se doit. Si vous le souhaitez, passez à Forteresse pour les voir ou sinon lors de mon prochain passage à la Capitale.
Je ne me fais pas de doute que cette proposition n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Lucy est toujours heureuse de connaître d’autres personnes, surtout les gens du Palais. Je crois que son rêve est de voir la Reine. Elle a compris qu’une haute personnalité nous dirigeait tous. Voir la maîtresse de ma maîtresse m’a t-elle fait comprendre.
On finit par arriver à cette place et on trouve un banc le temps que la voiture de la Ministre arrive. Il était étrange toute cette familiarité et j’essaye de pas y penser. Il faut dire que ce n’était pas la première fois que je la croise et je me surprends à aimer sa compagnie. C’est sûr, je n’avais pas cette image de nos dirigeants. Pensant à des gros mangeurs de petits fours. Mais bon, notre Ministre des Armes avait peut-être plus le gabarit d’avant mais il était toujours affûté d’esprit. Je ne connaissais pas trop les autres ministères, ça ne m’intéressait pas trop sur le fond. Je ne traite qu’avec la Justice au fond ainsi que notre État-Major, le reste était en arrière plan.
- Je vous écoute alors. Racontez moi cette pièce.
Gardant une certaine distance sur le banc, je finis par croiser les jambes et poser mon coude sur mon genou pour caler ma tête. Une position peut-être un peu trop décontractée mais l’entendre raconter la pièce avec passion attire beaucoup trop mon attention. Mimant certains moments et ponctués de certaines onomatopées, je me croyais presque dans la pièce. Quand elle finit, je me surprends à applaudir.
- Finalement, c’est de vous qu’à besoin Forteresse pour donner un peu de culture à tous ses enfants. Vous savez y faire comme oratrice !
Je finis par me lever quand le carrosse finit par arriver. N’étant plus seules a proprement parler car les gardes étaient toujours dans les environs, je reprends une stature plus digne de ma fonction. Droite et à l’affût. Les deux gardes font l’inspection du chariot avant d'acquiescer.
- Votre carrosse est prêt, Ma Dame.
Accentuant le “ Ma Dame” , je m’amuse à jouer à ce petit jeu avec elle. Qu’est-ce qu’il me prend ? Qu’est-ce que m’a donné ma mère comme potion, je suis certaine d’avoir pris la bonne ? Si j’allais trop loin et je dépasse les bornes. J’efface aussitôt ce sourire et reprends un visage plus neutre. Mais je crois que c’était trop tard quand Cassandra m’invite à rentrer avec elle car je n’allais pas rester dehors pendant que nous discutions.
Pas besoin de dire où nous allions, le chariot prend aussitôt la direction de ses appartements certainement et je m’installe en face d’elle dans cet espace qui devient aussitôt plus exiguë. Un léger silence s’installe et elle me demande alors pour détendre l’atmosphère pourquoi mon catosorus s’appelle Lucie.
- C’est une longue histoire mais je vais essayer de la résumer mais je n’ai pas votre talent pour les histoires.
Elle m’invite à continuer.
- J’étais en mission pour attraper un réseau de contrebande d’animaux. Nous avons traqué les individus sur une très grande zone mais nous avons fini par trouver leur repère. Ils y avaient beaucoup d’oeuf en attente et tout le monde le sait, le lien se fait à l’éclosion quand on évoque un nom. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris à ce moment-là, je pensais à notre Sainte, son nom m’a échappé alors que je regardais cet œuf. L'œuf a fini par s’ouvrir et me voilà avec une preuve à conviction attachée à moi par défaut.
Je me rappelle encore de la scène quand ma Capitaine, qui était aussi présente, voit l’oeuf éclore à son plus grand désarroi. Bien entendu, me connaissant parfaitement, elle savait que ce n’était pas voulu et surtout pas mon genre.
- Depuis j’ai cette boule de poils avec moi et je ne changerai rien au monde. Elle est un amour et je rêvais depuis toujours d’avoir ce type de monture. Je trouve qu’elle donne un certain charisme
Puis surtout un certain réconfort mais je n’allais pas évoquer ce point. Mes boules de poil me manquaient au fond.
- Je crois que vous savez tout non ? Est-ce que l’interrogatoire de la Garde des Sceaux est terminé ou veut-elle plus de détails encore ?
Je la voyais réfléchir et attendit sa réponse avec impatiance.
Elle espère ensuite ne pas en avoir trop fait et ne pas avoir ennuyé Bridget Alnilnam avec trop de détails sur le décor, les comédiens et les paroles du chant. Le sourire sur son visage la rassure et quand la brise tardive s’approche des deux femmes, ses longs cheveux blonds se soulèvent un instant. Ils brillent sous la lumière de la lanterne du cocher qui est arrivé. Cassandra lui présente son accompagnatrice et précise qu’elle fera partie du voyage.
Quand elle l’invite poliment à rentrer avant elle dans le carrosse, elle joue le jeu et fait une révérence. Elle monte les marches sans l’aide du chauffeur Rusard, s’installe sur la banquette et se retourne pour faire signe à sa nouvelle connaissance de la rejoindre à l’intérieur.
- Je vous en prie Dame Alnilnam, à votre tour de monter en voiture. Le cocher est prévenu, après m’avoir déposé devant mes appartements, vous pourrez lui demander d’aller où vous voulez, il vous y emmènera.
La cabine se secoue une première fois lorsque les roues heurtent de hauts pavés dans la rue puis se soulève pour reprendre sa route au rythme du trot des chevaux. Cela fait longtemps que la ministre n’est pas revenue seule de soirée, et le cocher ralentit sa course secrètement pour leur donner le temps de discuter. Il peut fumer sa pipe et profiter des dernières lumières en chemin, les portes des maisons et des commerces qui se ferment laissent entrevoir de la vie et du bruit à l’intérieur, quand des habitants en sortent pour rentrer eux aussi chez eux.
Pendant le trajet du retour à la maison, c’est au tour de Bridget de raconter son histoire. Elle apprend que la rencontre entre elle et Lucy fut un heureux hasard, un imprévu lors d’une mission. L’écouter parler de son familier lui fait éprouver l’envie d’en savoir plus sur ses animaux et elle se prend à imaginer adopter une créature fantastique qui est peut-être en attente de son arrivée à sa naissance !
- Je me souviens très bien de Lucy, je l’ai rencontrée plus grande lors de notre traversée du labyrinthe du festival du Solstice. Je me rappelle aussi quand elle avait eu de très bonnes intuitions sur le chemin à prendre quand on tournait en rond dans cette énigme. Lorsque j’ai caressé son pelage avec votre permission, il était tellement doux que cela m’a donné des frissons. Elle sera toujours invitée à venir au Palais, je lui fais confiance.
Un catosorus grandit donc dans le nid protecteur de son foyer. Cassandra est surprise de se représenter cet animal imposant n’être à la naissance qu’un nouveau-né apeuré dans un œuf, pour grandir, prendre de la forme et devenir une monture pour sa maîtresse. Ses griffes redoutables peuvent faire peur à n’importe qui.
- Je n’ai pas encore trop réfléchi à la question mais votre lien avec Lucy, et à présent cette anecdote sur sa naissance, me donne envie de me lancer moi aussi dans une aventure pour trouver la créature à laquelle je suis liée dans ce monde.
Lors d’une expédition improvisée avec Dame du Lys, elle a croisé une fois un feupagnol dans la nature mais elle l’a perdu de vue et elle ne l’a pas retrouvé. Il semblait vivre avec un ami familier, tous les deux étaient sauvages. Depuis cet incident, elle n’a pas eu le temps de s’intéresser aux familiers de compagnie qui pourraient l’aider et l’accompagner pendant son mandat et au cours de sa présence sur terre.
Cassandra et Bridget discutent l’une en face de l’autre dans le carrosse et elle peut discerner des rougeurs qui sont apparues sur ses joues. Elle semble s’amuser de la situation et cela lui fait plaisir d’apprendre à connaître une nouvelle personne de son entourage professionnel plutôt discret en dehors des couloirs du ministère.
- Mes interrogatoires sont toujours très exigeants et durent plutôt longtemps. Vous n’avez pas peur de me suivre seule dans ma voiture alors que je vous mène à un endroit inconnu ? Des ministres au Palais cachent bien leur jeu, faîtes attention.
Il y a des personnages politiques dont Cassandra se méfient, elle n’a pas de preuves irréfutables mais elle se rend compte qu’elle n’est pas la seule personne vulnérable car elle a repéré que la lieutenante a beaucoup de courage mais elle n’était pas protégée quand elle l’a croisée à la sortie du centre des arts de la Ville.
- Puis-je me permettre de vous demander où vous alliez quand je vous ai interrompue dans votre route ? J’espère que je n’ai pas bousculé tous vos plans et que je ne vous ai pas empêché de vous rendre quelque part.
Cassandra aurait bien aimé à ce moment là qu’un Lumios éclaire la cabine en envoyant des lucioles autour du visage de Bridget. Dans son cœur, elle est en train de se transformer en un Kuri-Kuri qui a beaucoup de curiosité mais reste peureux retranché de son côté. La fenêtre ouverte, le chantelune d’Hector le chauffeur commence à piailler sa mélodie et Cassandra rigole de la prévenance de l’oiseau que ne connaît pas Bridget. C’est le signal pour les prévenir qu’elles approchent du quartier de ses appartements.
- Vous entendez ce chantelune ? Il travaille de pair avec le cocher pour me rendre les trajets plus légers. Ne faites pas trop de bruit en parlant, ajoute en murmurant Cassandra, il risquerait d’arrêter son chant, il est plutôt réservé.
La Garde de sceaux semblait plus à l’aise que moi dans ce carrosse. Déjà, il était rare que je monte dans ce genre de moyen de locomotion. C’était surtout réservé pour les bonnes familles et hauts dirigeants comme Cassandra. J’étais plus souvent la personne qui escortait la dite-personne dehors, sous les intempéries quelconques, sur la selle de son fidèle destrier. Je l’avoue c’était bien confortable mais il fallait voué une confiance aveugle à l’extérieur. Est-ce que tous les gens sont aussi insouciants qu’eux ? Faire confiance à des soldats, aventuriers pour les protéger de l’extérieur ? Est-ce un privilège de riche de pouvoir se payer un moment paisible ?
C’était peut-être ça le secret de leur bonheur, le pouvoir de tout s’acheter au péril des autres. Est-ce qu’elle était comme ça la femme qui se trouve en face de moi ? Je me posais une multitude de questions quand soudain, elle décide de rentrer dans un autre jeu. Je m’arrête aussitôt de penser pour lever mes yeux et plonger les miens dans les siens.
Un piège ?
Voici mes premières pensées mais mon coeur bat un peu trop vite quand elle me fait savoir que c’était peut-être elle la plus dangereuse dans cette histoire. Est-ce qu’elle était sérieuse et pourquoi je sens mes joues chauffées un peu ? Est-ce que mon abruti de corps a décidé que c’était peut-être une bonne idée ? Qu’est-ce que j’ai pu boire comme potion tout à l’heure ? Maman, tu vas devoir t'expliquer avec ta potion miracle.
- Est-ce que vous êtes….aussi de ce genre là… Dame Heydell ?
Je ne vis pas la réaction à ma question qu’elle continue sa discussion comme si elle n’avait rien dit.
- Où j’allais ?
Une manière détournée pour me demander si j’allais à un rendez-vous ou simplement, elle était polie. Je ne savais guère. Les nobles avaient la fâcheuse tendance à jouer avec les mots. C’étaient leurs armes. Les mots, les paroles, les gens. Des armes plus subtiles qu’une lame en acier.
- Je… je rentrais chez moi… enfin chez ma mère. Je venais de quitter le temple de Lucy. J’y passe souvent quand je suis de passage à la Capitale.
Avouer que je dors chez ma mère, ça fait un peu étrange sur le coup mais je préférais éclairer le truc.
- Après, je suis basée à Forteresse.. Donc… je n’ai pas de logements ici… puis ça fait toujours plaisir à ma mère de me voir et d'examiner si j’ai de nouvelles cicatrices !
Le bruit d’un chantelune se fait entendre, je m’arrête de parler et mon vis-à-vis m’explique que nous arrivons bientôt chez elle. J’étais quelque peu triste de cette information. Il était rare que je parle avec autre chose qu’un garde ou d’un aventurier. C’était même plaisant de parler avec quelqu’un de la stature de la Ministre. C’était la preuve que j’étais un peu intéressante malgré ma basse naissance. Rien à voir avec elle mais elle semblait tout aussi intéressée par la discussion que moi sauf si c’était un art qu’elle maniait avec perfection du faux-semblant.
- Heureusement que ce n’est pas crocodog qu’il a comme familier, leur chant est strident.
Je souris à ma propre blague alors qu’un silence paisible s’installer sous le chant du Chantelune. C’était doux, délicat, un vrai concerto mais le chariot fini par s’arrêter.
- Nous sommes arrivées Ma Dame. Je pense que ma mission de protection vient de finir malheureusement.
Chacune reste assise à sa place, j’ouvre un peu le rideau pour voir comment c’était dehors. Je ne voyais rien à l’horizon et finit par me lever pour ouvrir la petite porte du carrosse. La calèche se penche un peu et je finis par sortir par la petite ouverture. Mes bottes claquent contre le sol et me retourne pour voir la Ministre.
- Rien à signaler ici. Vous pouvez donc sortir.
Sans comprendre pourquoi, je tendis ma main pour l’aider à sortir. Elle l’attrape chaleureusement, tient sa robe pour descendre pour me rejoindre. La dernière marche étant un peu glissante, elle trébuche légèrement et je maintiens ma prise sur sa main et passe ma main derrière son dos pour éviter toute chute impromptue.
- Les pavés ont toujours été aussi mesquins à la Capitale. Faut faire bien attention dans les environs.
- Je comprends, vivant ici, que vous souhaitiez profiter de ce voyage pour redécouvrir le temple de Lucy, c’est un monument légué par nos ancêtres dont la visite est inoubliable pour notre enrichissement personnel.
Elle visualise le bâtiment, se remémorant sa dernière visite, et l’encens qu’elle a laissé fumer en réfléchissant à ce qu’est la justice, à où elle en est entre sa philosophie et son travail. Le calme de l’endroit ce jour-là était ce dont elle avait besoin car trop entourée par les secousses du Palais et les menaces à sa sécurité, elle souhaitait abandonner le temps.
- J’espère que votre mère se porte bien, elle semble très attentive à votre bien-être ! Ma sœur Maria est plus jeune mais est toujours présente pour moi, elle est ma famille.
Cassandra hésite à mentionner ses parents décédés. Elle se dit que Bridget en a peut-être entendu parler car son histoire est davantage connue depuis qu’elle a été en partie publiée dans une revue par une journaliste. Elle a un doute sur les informations que cette garde a de son passé car tout le monde ne lie pas les journaux ou n’écoute pas les histoires au sujet des autres. Et puis, il est difficile d’y repenser ces derniers jours, il y a des passages dans sa vie où certains souvenirs remontent à la surface et se fixent dans sa mémoire. Ils repartent doucement voguer sur l’eau orientés par le mouvement des vagues, laissant de la place à de nouvelles histoires.
La référence au crocodog casse l’instant de silence provoqué par l’écoute du chantelune et Cassandra rigole spontanément.
- Le crocodog a parait-il la qualité d’être très affectueux mais il est moins discret.
Ce ne serait pas le premier familier de Cassandra, il pourrait mettre un peu de désordre dans son bureau.
Elle ne s’est pas posée de questions en discutant mais elle espère quand le carrosse arrête sa course devant chez elle, qu’elle lui a paru agréable, car elle apprécie sa personnalité. Rencontrer une personne en dehors de son cercle, de sa famille et de son milieu professionnel, lui fait du bien, elle parle d’autres choses mais elle commence à être fatiguée de sa journée. Après un spectacle de près de trois heures, elle a été réveillée au cours de cette balade par la gentillesse de la personne en face d’elle, mais le rêve de sommeil commence à envoyer des alertes sous forme de gyrophares flamboyants.
- La meilleure protection de mon expérience de ministre, répond Cassandra souriante, mimant un applaudissement de ses mains.
Bridget ouvre la portière de la voiture, et une fois à terre, elle tend sa main vers elle pour l’aider à descendre. Ce geste d’attention démontre une nouvelle fois sa politesse habile. Fragilisée par la fatigue ou trop déconcentrée par leur dernier échange de sourire, elle s’y prend mal et glisse un peu sur la dernière marche, honteuse. La jeune femme maintient son équilibre sans hésiter. Cassandra continue de s’appuyer à son bras chaleureux en affrontant la descente.
- Vous me sauvez la cheville Mademoiselle Alnilnam !
Elle relâche son étreinte.
- Vous m’aviez déjà protégée lors du festival du Solstice, je vous exprime une nouvelle fois ma reconnaissance.
Elle fait quelques pas en direction du portail d’entrée devant la cour de sa maison. De grands arbres assombrissent l’allée qui mène à la porte principale. Elle va se retrouver soudainement dans le froid de la nuit et laisser sa compagnie. Un animal qui pourrait produire un doux feu lumineux pourrait améliorer ses retours chez elle et rendre les salutations chaleureuses. Il l’attendrait dans son foyer endormi.
- Nous sommes à mon domicile, l’heure de nos aux revoir… Quittez-vous la Capitale demain ?
Regardant sa sacoche portée sous le bras, elle se demande si elle va pouvoir la recontacter à travers son cristal de communication pour prendre des nouvelles. Bridget doit repartir à la Forteresse mais elle se rappelle que le hasard entraîne le croisement de leurs chemins assez régulièrement.
J’ai l’impression de lui avoir sauvé la vie avec le ton qu’elle a pris. Elle me taquinait, je le savais. Mon cœur battait de plus en plus vite et je me rends compte que cette potion avait une drôle de façon de changer mon état d’esprit. Normalement, j’aurai gardé mes distances, surtout avec un membre du Gouvernement mais là, c’était bien différent. Comme si, les verrous qui empêchent de faire ce genre de choses ont été brisé pour les prochaines heures. Ca me semblait ridicule au début mais j’ai dit et fait des choses où je me surprenais moi-même.
Cassandra finit par s’éloigner de moi pour rejoindre le portillon de chez elle. Je sens alors une certaine tristesse m’envahir. Elle fouillait dans son sac, a-t-elle oublié ses clés ? Une bonne vieille excuse pour tout autre chose mais hélas non, ce n’était pas ça. Elle devait chercher bien autre chose.
- Oui, je reprends la route demain mais ma permission toute la journée encore…
Oui, je n’étais pas obligée de partir à la première heure. Je pouvais reculer l’heure de départ.
- Je ne sais pas encore quand je pars. Tout dépendra du temps et de l’envie du moment, dirons-nous.
Si le temps était grisâtre ici, à la Capitale, autant rejoindre Forteresse. Au moins, là-bas, je pouvais m’occuper de mes familiers pendant les précipitations.
- Enfin après…. Avez-vous besoin de ma protection encore une fois ? Ces pavés sont vraiment dangereux vous savez !
Je souriais à ma propre boutade.
- Mais peut-être, vous êtes occupée, je le comprends mais j’ai vu que vous avez un cristal. Je peux toujours vous donner le mien. Faites moi savoir si vous avez besoin de moi. Je peux toujours faire un petit détour vers le Palais avant de prendre le téléporteur.
Je fouille dans ma besace et finit par tendre le mien.
- Promis, je n’en abuserai pas du tout. Je vous laisserai me contacter.
Même que je crois que mon courage va s’envoler dès demain matin quand l’effet de cette potion partira. La ministre semble d’accord sur le marché et finit par le synchroniser avec le mien.
Machinalement, je tourne la tête vers la porte et la fenêtre, pour voir s' il n’y avait pas de petit souci ou autre danger. Déformation professionnelle quand je vois une ombre sur la fenêtre en haut à gauche.
- Madame, vous n’avez pas de familier n’est-ce pas ?
Elle me confirme que oui. Je passe aussitôt devant elle et fait apparaître une épée devant moi.
- Vous habitez seule ?
La ministre semble désorientée.
- Ne vous faites pas des idées mais je crois qu’il y a quelque chose chez vous, par là.
Je lui montre la pièce du doigt.
- Je pense que c’est rien et ne voyez pas ça comme un stratagème mais j’ai réellement vu une ombre bouger là-haut. Appelez un de vos gardes si vous le souhaitez mais quelqu’un doit vérifier.
Il arrive aussi que des petits animaux pénètrent dans les maisons pour chercher nourriture ou chaleur. C’était certainement ça même mais il fallait rester prudente.
- Pouvez-vous ouvrir s’il vous plaît ?
Ses clefs dans la main, elle hésite à ouvrir le portail de sa demeure. Elle écoute Bridget devant le bâtiment. Le cocher est en train de patienter avec les chevaux, ayant pour dernière mission de raccompagner la courageuse militaire. Elle lui fait signe de la main.
- A demain Sir !
Bridget se rapproche d’elle pour vérifier qu’il n’y aura pas de nouvelle chute impromptue juste à côté de son domicile, ce serait désolant. Les pavés sont impressionnants et les pierres inégales dans la Capitale.
- Je crois que normalement il ne devrait plus rien m’arriver pour cette nuit, je suis près de la sécurité de ma maison. Mais je veux bien rester en contact avec vous au cas où un danger frappe à ma porte plus tard dans la nuit !
Elle colle son cristal de communication au sien pour enregistrer ses coordonnées personnelles.
- Bon je pense que si je vous appelle, ne vous mettez pas en alerte trop vite, cela devrait être pour prendre tout simplement de vos nouvelles. Je vous inviterai volontiers au Palais pour découvrir la grande serre, les archives du Palais Royal, et les bureaux du ministère de la Justice.
Tout en discutant, elle ouvre l’entrée et cela lui permet de voir sa maison ensommeillée. Elle repousse la porte sur le côté et n’entend pas un bruit dans la cour. Les arbres bruissent légèrement, leurs feuilles tremblant sous le souffle clair du vent lunaire. Elle est surprise par la question inquiète de Bridget.
- Oui, pourquoi cela ?
C’est l’épée qui répond à sa place. Cassandra recule et revient sur le trottoir.
- Oui, il ne peut pas y avoir quelqu’un à l’intérieur… à moins que ma servante soit venue exceptionnellement aujourd’hui mais normalement ce n’est pas son jour de travail.
Étant donné que la garde expérimentée a ses sens éveillés par un mouvement dans le noir, Cassandra lui fait confiance et accepte son aide. Toutefois, elle la suit, quelques pas derrière elle, non armée.
- Cela me fait peur car cette pièce est ma chambre… Faites attention Bridget Alnilnam, j’appellerai les hommes de ma sécurité en renfort. J’ai un code à envoyer.
Dans le calme, elles se présentent sur le ponton de la porte. Aucun son ne traverse le bois. Invitée par la garde, elle fait tourner son trousseau de clefs pour saisir la seconde clef qui s’emboîte dans un mouvement de cliquetis. Un système de sécurité se déclenche normalement quand elles entrent dans le couloir. C’est un loquet qui est glissé sous la porte et se pousse à l’ouverture. Il ne s’était pas déplacé puisque qu’en la manœuvrant, elles entendent le bruit caractéristique du frottement du bois sur le sol.
Elle allume une lampe posée sur le buffet pour éclairer la pièce. Elle l’emmène avec elle, décidée à suivre Bridget à l’étage, ne pensant pas être en danger. Elle se dit qu’un message lui aurait été parvenu pendant la nuit précédente si on lui voulait de nouveau du mal ? Ou alors elle n’a vraiment pas su lire les images de l’autre monde… où s’agitent les insectes sous leurs semelles de chaussures ou dans son jardin. Elle désigne les escaliers qui mènent à sa chambre et à la salle de bain du premier étage. Après, sur le pallier, il y a quelques marches qui continuent pour accéder au toit ouvrant sur le bassin d’eau chaude du dernier étage. Ce n’est pas le plan immédiat. Elle allume une seconde lampe grâce à la flamme qui brûle dans la sienne.
Bridget resserre la poignée de son épée en donnant un coup fort dans la porte de la chambre. Elle n’a pas de réaction, alors Cassandra s’avance pour la rejoindre. La pièce est vide mais la fenêtre est désormais ouverte. Elles se penchent sur le bord mais elles n’aperçoivent pas grand-chose. Un claquement résonne dans la cour et leurs regards se dirigent instantanément vers le portail. Bridget prend les devants et quitte la chambre, tandis que Cassandra alerte ses gardes par le biais du cristal de communication en énonçant les mots :
- La justice a besoin d’aide.
Elle peut à présent regarder à quoi ressemble sa chambre, cherche si des objets sont manquants ou déplacés. La bougie de son bureau danse pas loin de la fenêtre. L’individu était en train de lire des documents familiaux.
A peine qu’on franchisse la porte, je vois une ombre sortir par la fenêtre. Je ne sais pas comment l’interpréter mais on s’approche de la fenêtre et je ne vois rien de particulier. Un bruit lointain se fait entendre et je cours aussitôt en direction du portillon.
Je pouvais dire adieu à la discrétion dans les escaliers. Ceux-ci n’étaient pas fait pour qu’on puisse courir avec une épée à la main. La porte d’entrée est encore entrouverte et je passe le seuil. Un coup à droite, un coup à gauche, je vois qu’une direction possible pour la fuite. Je tente ma chance de ce côté là.
Dire que je n’avais pas prévu de faire du sport ce soir. J’accélère ma foulée, fait attention à ma respiration. Je ne connais pas le terrain où je m’aventure et je dois redoubler ma concentration pour éviter tous obstacles. Je prends de la vitesse et entends une poubelle tombée, je pense que mon instinct avait raison. La silhouette est agile. Certainement une jeune femme ou un adolescent, cette personne ne serait pas aussi agile si elle avait une carrure de Grognours.
- HALTE !
Première sommation qui ne mène à rien mais j’aurai essayé.
- HALTE LA, GARDE
Toujours rien et me voilà à harceler de nouveau. Nous approchons de Luisante, j’ai peut-être ma chance mais la silhouette ne s’arrête toujours pas. Ne me dis pas que…
La silhouette marche sur l’eau et traverse le fleuve en quelques enjambées. Je me retiens d’expier ma colère sur le premier tronc dans mon passage et fait demi-tour pour retrouver la demeure de la ministre. Mon cœur palpite encore au fond de ma cage thoracique et reprend mon souffle. Ce n’est vraiment plus de mon âge tout ça. Des gardes ou assimilés étaient déjà là. Certains me reconnaissent ainsi que ceux que j’ai pu voir plus tôt dans la soirée. Je range mon arme, grimpe les escaliers et retrouve la Garde des Sceaux dans sa chambre.
- Désolée Ma Dame, je n’ai pas réussi à attraper l’individu. Il a réussi à s’échapper par le fleuve.
Je comprends par son regard qu’elle attendait quelques explications supplémentaires.
- Il est fort possible qu’il avait des bottes palmées. Ainsi il a pu traverser le fleuve avec facilité.
Je m’approche d’elle et jette tout de même un coup d’oeil dehors.
- Votre garde personnel a installé un périmètre de sécurité. Ils sont très efficaces, je me sens rassurée.
Peut-être que je n’aurai pas dû ajouter la fin de cette phrase mais ça me fait un souci en moins à m’occuper.
- Je vais appeler la Major Lagertha, elle s’occupe des affaires de la Capitale. Je lui ferai un petit brief de la situation mais tout d’abord, est-ce que vous avez vu quelque chose de changer ?
Elle me raconte que ses documents familiaux et notariés ont été lu et certainement capturer par un sort magique.
- Des secrets familiaux ?
Elle me fait un sourire.
- Gardons ça à huis-clos. Vous pouvez avoir toute confiance au Major. C’est une ancienne collègue. Vous lui raconterez tout ce qu’il faut pour faire son enquête.
Je me retire un peu plus loin et prend mon cristal de communication. Swan va me tuer si je la dérange à cette heure-ci mais c’est la seule gradée pù j’ai totalement confiance. Si c’est une question de documents notariés, elle sera faire la part des choses.
- Bonsoir Swan
- Lieutenant, quelle plaisir de t’avoir. Un souci ?
- Non j’ai besoin que tu fasses ton travail
- Si tard ? Tu étais en rendez-vous, c’est ça ?
- Arrête de dire n’importe quoi.
- Où es-tu ?
- Quartier résidentiel ouest, bloc trois, allée cinq, résidence de Dame Heydell.
- Qu’est-ce que tu fous avec la Garde des Sceaux !
- Rien de particulier, je la raccompagnais.
Je m’étais éloignée des oreilles indiscrètes mais la Major hurlait tellement que j’avais peur que tout le monde entende.
- Bien sûr, raccompagner… Arrête de me mentir. Tu ne parles jamais aux nobles toi. Alors là, tu vises haut, tu m'épate.
- Tu vas venir ?
- Je ne suis pas d’astreinte, tu le sais et tu n’es plus ma cheffe.
- Mais c’est ton travail non ?
- Rah, tu me soules. Ça va te coûter cher ton histoire. Dis tu m'arrange un rendez-vous avec ton capitaine ?
- Je ne suis pas une agence matrimoniale !
- Tu pourras venir toi aussi. A trois, dans les sources chaudes..
- Tu as trente minutes pour venir avec tes enquêteurs. Prend Gibs et Morgan
- Aucun humour, tu le sais ça ? On arrive…
- Merci…
Je raccroche et retourne voir la Ministre.
- La Major arrive avec ses deux enquêteurs. Nous avons un peu le temps. Je reste avec vous le temps qu’ils arrivent et je vous laisse ensuite de bonnes mains !
Il n'y avait plus rien à faire.
- Un petit thé pour se remettre de nos émotions. Connaissant la Major, elle va faire en sorte d'arriver pile à l'heure pour me contrarier.
Ce fuyard avait pour objectif de la voler sans intention de rapporter, et il cherchait ce livre pour se renseigner sur sa propriété et ses affaires personnelles.
- Quel effroi !, s’exclame-t-elle face à la peur qu’elle vient de ressentir après la découverte de cet étranger dans sa maison.
Cassandra respire profondément pour évacuer le stress et réfléchir à la suite. Elle commence par retirer son manteau qu’elle dépose sur la chaise devant la table. Après avoir une nouvelle fois vérifié dans ses armoires, elle ne remarque pas d’autre changement dans la pièce. Elle reçoit un appel de ses gardes sur son cristal qui l’informent être postés devant l’entrée sur la rue. Elle leur transmet le message de laisser Bridget Alnilnam entrer à son retour. La lieutenante s’est absentée pendant quelques minutes avant de la rejoindre seule à l’étage, saine et sauve mais essoufflée après une course soudaine vers l’inconnu.
Elle apprend que l’intrus a échappé aux mains de Bridget et de ses gardes, il a filé en traversant Luisante et on ne connaît pas son identité.
- Oui merci pour votre aide, la garde m’a contactée avant votre arrivée pour me confirmer être sur place pour assurer ma protection. J’espère qu’elle vous a laissée passer sans trop de problème.
Cassandra voyant la lieutenante fatiguée et son corps se frémir au passage d’un air frais, elle ferme la fenêtre car elles ne verront plus rien à présent et d’autres personnes s’occupent de faire attention à l’extérieur.
- Je ne connais pas le major Lagherta, je vous fais confiance, autant régler cette affaire le plus vite possible. Pendant votre absence, j’ai refait le tour de ma chambre. Je vous ai déjà signalé l’intérêt du voleur pour des affaires de famille… j’ai remarqué cette fois-ci qu’un tiroir de ma coiffeuse était ouvert. Je pense que l’on m’a pris deux colliers en or. Mais je n’ai pas fouillé les autres pièces de la maison.
Son amie revient sur la question des documents découverts.
- Dans ce livre, il y a par exemple une partie de nos comptes et biens de famille répertoriés. Des photographies du passé…
Cassandra observe Bridget s’éloigner pour passer un appel via son cristal de communication. Elle profite de son échange pour vérifier l’ensemble de l’habitation. Tout est en ordre, pendant cette visite, elle ne repère pas d’autre objet manquant.
Quand elle redescend les escaliers, elle a fini sa conversation et annonce la venue du major et de deux enquêteurs à son domicile. Ils vont venir cette nuit pour entendre son témoignage et recueillir sa déposition. Bridget pourra apporter des éléments supplémentaires aux officiers.
- Je peux vous proposer de vous installer dans mon salon pour vous permettre de vous reposer et vous servir de l’eau puis je vais préparer le thé. Au vu des événements, il n’y a plus d’heure.
Elle l’accompagne un verre d’eau à la main vers le salon pour lui indiquer le canapé ou un fauteuil.
- Asseyez-vous confortablement, je tiens à vous dire que vous avez été très courageuse et efficace ce soir Bridget. Je reviens dans cinq minutes.
Un plateau de thé accompagné de fruits et de biscuits est déposé quelques minutes plus tard en face de la lieutenante. Cassandra a pensé qu’elle avait peut-être faim après ces émotions. Les enquêteurs sont en chemin, les deux femmes les attendent en discutant et se réchauffant le palais. Cassandra est très attentive en écoutant les précisions du témoignage de Bridget qui a vu le voleur marcher sur l’eau avec habilité pour échapper à l’arrestation. Il paraît avoir tout prévu pour perpétrer son action, il semble normal qu’il ait su que la ministre ne se déplace pas sans escorte.
La carafe se vide petit à petit. Cassandra s’inquiète de la patience de la lieutenante.
- Vous pouvez rentrer chez vous, il est tard, vous pourrez rencontrer l’équipe d’enquêteurs demain.
Elle préfère rester ce qui lui fait plaisir, affronter cet épisode avec elle l’encourage. Elle pourrait presque faire une partie de fléchettes pour faire passer le temps et demeurer pleinement éveillées. Cassandra se contente de refaire du thé en se disant que les enquêteurs ne devraient pas tarder. Toutefois, le cristal de communication sonne, c’est sa sécurité.
- Oui… oui, d’accord. Quels sont les noms de ces personnes ? Oui, vous pouvez laisser entrer le major Lagherta, les enquêteurs Gibs et Morgan.
Elle se lève, jette un coup d’œil à sa coiffure dans le miroir du salon, espérant ne pas être embarquée dans une nouvelle histoire sans fin.
- Bon, allons ouvrir à cette équipe d’enquêteurs. Il y a beaucoup de monde chez moi cette nuit et je n’avais rien prévu !
Sur le pas de la porte, trois officiers à la mine fermée au premier abord présentent leur matricule. Deux femmes et un homme.
- Bonsoir monsieur, mesdames. Je suis actuellement en sécurité je pense, mais un individu a rodé plus tôt dans les environs et à l’intérieur de chez moi. Il s’est enfui.
- Madame la Ministre, bonsoir, major Lagherta, nous allons inspecter votre maison.
Cassandra est fatiguée et n’explique pas très bien la situation. Les enquêteurs ne semblent pas gênés mais pressés de rentrer chez elle. Sont-ils curieux de voir à quoi ressemble la demeure de la garde des sceaux ?
Les trois officiers entrent immédiatement sans demander d’autre autorisation, déjà dans l’action de cette mission concernant un membre important du gouvernement. Un simple acte de vol peut cacher d’autres velléités de délits ou de crimes, en ces temps dangereux pour les représentants du royaume.
Plus les minutes passaient, plus j’avais peur de la réaction de Swan Lagertha. Nous avons travaillé ensemble quelques années, j’étais sa supérieure dans notre bataillon et elle avait le don de m'exaspérer. Maintenant que je suis partie au Blizzard, elle n’avait plus sa “ victime “ adorée et je vois bien qu’elle va profiter de cet instant pour que je passe un moment malaisant. Mais je ne doutais pas de son professionnalisme mais elle fera des déductions douteuses sur la partie qui ne concernaient pas l’enquête.
Un thé et un appel, voici mes collègues dans la cour. Nous finissons par rejoindre la porte et j’affiche un sourire chaleureux à la Ministre.
- Ca ne sera pas long. Quelques questions et ça sera fini.
Swan reste professionnel et je vois ses deux enquêteurs auprès d’elle. Comme toujours, ils sont efficaces, rentrent dans l'habitation et font un tour d’horizon. Je peux déjà voir les yeux de lynx de Gibbs se mettent en route. Morgan, lui, était spécialisé dans les auras, les sensations. Je n’ai jamais vraiment compris mais la combinaison de leurs deux pouvoirs faisaient un duo ultime.
- Dame Heydell, nous allons faire le plus rapidement possible. Pouvez-nous lister d’ores et déjà les choses qui ont disparu ?
La Major note tout cela de manière méthodique, classant par colonnes par ordre d’importance. Seule elle pouvait comprendre son schéma mais je sais qu’un processus était en route. Pour Swan, c’étaient les probabilités sont dadas, elle adorait ça.
- Donc ils ont pu faire en quelque sorte des copies de documents familiaux.
La ministre acquièse.
- Je vois, bien entendu, je ne vous rappelle pas le caractère confidentiel de cette affaire. N’ayez crainte.
- Oui, je confirme, Ma Dame. Vous n’avez rien à craindre sur ce point.
Swan lève un sourcil vers moi. Je pouvais voir toutes les mimiques discrètes de son visage qui en disait long. Pour avoir assister à des centaines de réunions où on devait garder un visage de marbre, je la vois faire un de ses signes qu’on faisait pour contourner l’ennui. Clairement, elle me disait que j’avais le béguin pour elle, de manière très simplifiée.
- Oui, bien entendu. Ayant la sécurité de la ville comme compétence, nous avons dans notre bastion les dossiers des grandes personnalités de la Capitale. Nous avons quelques dossiers sur vous et votre famille. Rien de bien méchant, n’ayez crainte mais une enquête de voisinage a été faite lors de votre prise de poste. La Reine a bien confiance en nous mais c’est un peu la procédure. Nous connaissons donc un peu le contexte de votre famille. Pouvez-vous me dire quels documents en particulier ?
Cassandra continue et dévoile ses papiers qui ont été découverts. Rien qui semble alarmant mais on n’est pas encore capable de connaître la portée de ce cambriolage.
- Est-ce que votre agenda était connu de tous ? Est-ce que ce cambriolage aurait pu préparer quelques mois à l’avance.
La garde des Sceaux confirme que ça faisait déjà quelques jours qu’elle allait assister à cette représentation.
- Major, vous pensez à un espion au palais ?
- Les chiffres parlent d’eux-même non ? Curieux hasard et je ne laisse pas la place au hasard.
- Faudrait donc se renseigner sur ce point mais traitons ces deux cas séparement.
- Oui. D’abord l’identité du cambrioleur puis ensuite les moyens employés. Ca va faire quelques vagues cette histoire encore.
- La Royale sera ravie de nous aider encore !
- Oui, avec un peu de persuasion, on arrive à tout. Ma Dame, je souhaiterais voir quelques détails avec le Lieutenant Alnilnam. Gibbs, Morgan, reprenez les derniers faits de Dame Heydell.
Swan m’attrape le bras et me tire dans un coin tranquille de la maison.
- Tu m’expliques ?
- Je rentrais du temple de Lucy pour dormir chez ma mère et j’ai croisé sa route, seule, sur un banc de la rive. J’ai préféré m’assurer de sa sécurité.
- Qu’est-ce qu’elle faisait seule si tard ?
- Sa garde rapprochée était non loin. Elle sortait du théâtre, rien de bien méchant Swan. Ne voit pas le mal partout.
- Ces personnalités qui nous donnent un travail monstre à faire tous les caprices.
- Ils ont le droit de vivre tu sais.
- Tu la défends ?
Elle m’attrape le menton et me regarde dans les yeux.
- C’est bizarre, je sens une magie en toi. Tes pupilles sont dilatées légèrement.
- Je viens de courir
- Mouais, tu n’as pas bu un truc chelou ou sortilège ?
- NON !
- Ahaha, je vise juste non ? Je sais qu’elle t’a tapé dans l’oeil. Tu t’affiches jamais ce genre de situation. Puis m’appeler moi ? C’est personnel, je le sens.
- Arrête de dire n’importe quoi. Je l’apprécie, c’est tout
- C’est ça, c’est ça. Je te crois à moitié. Ne t’inquiète pas, je m’occuperai de tout, comme toujours. Tu as fait appel à une professionnelle !
- J’espère bien sinon je serai obligée de te botter les fesses ou t’inviter à une randonnée dans la grande montagne.
- JAMAIS je ne mets les pieds dans ton froid là-haut. J’accepte que les sources chaudes.
- Bon rentrons, il se fait tard. Tu vas finir par dire des bêtises plus grosses que toi.
- J’attends toujours ta proposition Brive, toi dans les sources !
- Je t’ai dis non déjà.
- Rabat joie.
On retourne dans le salon, Dame Heydell était toujours présente. Il était temps de faire les adieux. L’enquête va se poursuivre et je pense déjà à ma bonne nuit réparatrice.
Elle perd du regard les agents Gibbs et Morgan qui sont montés à l’étage sans sommation. Le bruit de leurs bottes martèlent ses beaux escaliers en bois de sapin. Elle a mal pour son parquet qui est déjà couvert de plein de traces… Les prises d’empreintes viendront après leur passage ?
Le major ne montre pas de signe de dérangement, elle accomplit son travail et en vient rapidement aux questions essentielles dans cette situation. Cassandra soupire en se rappelant sa commode ouverte et la bougie allumée sur son bureau. Le vent glacial s’était déposé sur les pages d’un livre ouvert et glissait jusqu’à ses mains qui tenaient un nouveau feu. Pour répondre à la question du major Lagertha, elle se rassoit dans le fauteuil de son salon, une main sur la tempe, concentrée sur les images récentes encore dans sa tête. Elle n’a pas été blessée, n’a pas vu le voleur mais la scène en entrant dans la chambre l’a marquée. Découvrir qu’un intrus s’est permis d’entrer dans votre foyer, laisse un sentiment d’angoisse qu’il revienne juste après sa première visite.
- Nous sommes arrivées dans la chambre, l’individu ou les individus, avaient déjà fui la pièce, la fenêtre était ouverte. Nous sommes montées à l’étage avec la lieutenante Alnilnam pour vérifier, car elle a aperçu une ombre derrière la fenêtre, alors que nous étions dans l’allée.
Le regard de la major reste posé sur la feuille de son carnet, elle écoute son témoignage sans l’interrompre. Elle s’est assisse pour prendre ses notes à côté d’elle sur une chaise d’antiquaire. Bridget préfère rester debout, elle observe la pièce, peut-être avec l’idée d’y repérer un changement, un indice.
- J’ai deux colliers qui ont disparu, ils ont été pris à l’intérieur d’un tiroir de ma coiffeuse dans la chambre. Je me souviens de ces deux bijoux car ce sont des cadeaux de ma sœur Maria Heydell. L’un est un collier en or composé d’une chaîne aux maillons très fins. Le second est en or mais au milieu de la chaîne est enfilé un médaillon blanc. Ma sœur pourra sans doute nous fournir des preuves d’achat de ces produits. J’ai cherché avant votre arrivée, surtout dans ma chambre, je n’ai pas trouvé d’autres objets disparus.
La plume de l’enquêtrice gratte le papier et consigne les éléments apportés par la témoin.
- Je crois qu’il faut préciser qu’un objet n’a pas été volé mais regardé par le cambrioleur. C’est un livre de familles, mes parents et mes grands-parent étant décédés, il contient des informations sur mes héritages, mes comptes de famille, le patrimoine en notre possession, l’arbre des noms de familles et des images souvenirs.
Les deux femmes sont intéressées par sa description, et la rassurent sur le caractère confidentiel de cet entretien. Elles échangent un signe qui ne lui aient pas adressé, elles ont peut-être une idée à partager mais n’en disent rien.
- Je peux aller chercher le livre dans ma chambre pour vous montrer.
Elle s’absente un instant pour se rendre dans sa chambre où rien a bougé ; elle préférait laisser l’endroit tel quel pour permettre à la brigade de prendre connaissance des lieux. Elle rejoint Gibbs et Morgan qui l’appellent de son bureau situé de l’autre côté du mur de la chambre à coucher. Elle a regardé la pièce mais n’a rien remarqué. Pourtant, on lui explique de fermer les yeux et de prêter attention à l’atmosphère, de rouvrir les yeux pour ensuite observer les résidus de lumière. Une poussière très fine de magie pourrait presque être palpable.
- Les traces d’un sort jeté dans cette pièce, constate sans détour l’agent Morgan.
L’enquêteur maîtrise un art subtil de la magie ancienne car pour un occultiste classique, cela demande une concentration et des repères.
- Est-ce un sortilège noir ?, demande-t-elle traversée par une brise d’effroi.
Il ne manquerait plus qu’une malédiction ait été jetée sur sa maison… Elle a très peur des croyances et manipulations ésotériques qui sont traitées marginalement par le ministère de la magie. Mais l’agent Morgan ne semble pas appartenir à une école du doute.
- Il ne peut pas vraiment vous répondre je pense, Dame Heydell, répond l’agent Gibbs qui regardait par la fenêtre les branches d’arbre qui s’approchent de la façade. Mais ce n'est pas notre première impression.
- Je suis montée pour chercher le livre que lisait le voleur sur le bureau de ma chambre.
- Nous avons commencé par étudier cette pièce.
- Vous aviez fermé la fenêtre ?, intervient Morgan.
- Oui elle était ouverte quand nous sommes entrées, j’ai donné cette précision au major Lagertha.
- C’est enregistré. Nous descendons avec vous.
Les enquêteurs n’ont pas d’autres questions. Ils sont calmes et consciencieux. Son domicile n’est pas hanté mais a été profané par un curieux cambrioleur, se rassure Cassandra en descendant les marches, son gros livre dans les bras, suivie par les officiers.
Dans le grand salon, elle finit de répondre aux dernières interrogations du major.
- Bien sûr, Sir Gibbs et Sir Morgan, je suis disponible pour reprendre les faits dans l’ordre avec vous. Madame Alnilnam pourra vous confirmer mon récit, nous étions ensemble et elle est sortie pour poursuivre le cambrioleur quand je suis restée à l’intérieur.
Les deux autres femmes quittent la pièce pour échanger dans le couloir. Ils entendent les échos de leurs voix, Cassandra perçoit un sourire dans le ton de la major.
- Nous avons entendu une partie de son témoignage, nous lui demanderons une nouvelle description, on ne sait jamais vous savez, en ré-évoquant des souvenirs, des détails peuvent revenir en mémoire sur l’apparence de l’individu, des habits qu’il portait…
- Je peux dire qu’il avait l’air en forme, sa course semblait rapide et ses pas agiles.
Elle explique aux enquêteurs à la fin de l’entretien que ses gardes ont été appelés et qu’elle ne sera pas seule pour le reste de la nuit. Ils lui conseillent de ne plus échapper à la vigilance de sa sécurité car elle peut prendre des risques en sortant sans escorte armée, sans le savoir, quand elle est avec des proches.
- Vous avez heureusement de bons contacts, conclut l’un des agents en voyant entrer dans la pièce la lieutenante.
Le second qui observait avec envie les plats sur la table, finit par prendre des gâteaux avant de se lever et d’absorber en une gorgée la fin de son café.
- Je vous ai fait travailler en plein milieu de la nuit… Il est l’heure de vous laisser repartir et rejoindre vos familles.
Les enquêteurs tendent leur main tour à tour à la ministre, fiers de contribuer à sa protection et à la résolution des vols et de l’intrusion dont elle est victime. La garde des sceaux les remercie pour le Royaume et la Couronne pour leur implication.
- Si vous avez un élément manquant dans cette affaire et que vous avez besoin de revenir sur place, vous pourrez contacter le numéro 1 de ma garde. Je vous laisse ses coordonnées messieurs, madame.
Bridget annonce qu’elle ne va pas traîner ses jambes plus longtemps dans le domaine Heydell et qu’elle va imiter ses anciens collègues en rentrant chez sa mère, qui n’est pas inquiète selon ses dires, car prévenue que sa fille a toujours des affaires urgentes et pressantes auxquelles elle doit répondre. Le Royaume passe avant toute autre priorité !
- Au revoir noble dame, dit la ministre en levant dans un dernier mouvement sa main pour l’encourager avant le départ sur la route. J’espère que vous ne rencontrerez aucune embûche en chemin. Ne parlez pas aux inconnus, ajoute-t-elle en rigolant.
Elle lui a donné avant de partir un petit panier, l’ayant convaincue en insistant, contenant quelques provisions qui étaient disposées sur la table pendant toute la fin de soirée.