Ce qui était certain, c'était que Rhis n’était pas ici en vacances, et qu’il devait également remplir une mission pour le compte de Zahria. Il s’agissait d’une histoire nébuleuse, qui avait interpelé la maître-espion. Une femme avait attaqué un conseiller de la Guilde récemment anobli, puis, elle avait disparu sans laisser de traces. Après avoir joué au chat et à la souris avec la Garde, la fugitive avait sauté dans le fleuve et son corps n’avait pas été retrouvé. C’était la rumeur officielle… qui n’avait pas convaincu la cheffe des espions. Cette dernière s’était renseignée sur l’agression de Whiskeyjack Callahan, et pour finir, elle avait profité du voyage de Rhis pour lui demander d’enquêter sur cette affaire. Il y avait des chances que Nevaeh Farley rôde dans la région, et le conseiller royal devait ouvrir l’œil. S’il découvrait son existence, il fallait ensuite l’homme apprenne exactement ce qu’il s’était passé pour déterminer s’il y avait une menace à lui rapporter.
C’était sa mission sur le papier. En pratique, les montagnes étaient vastes, inhospitalières et froides : la saison chaude approchait de plus en plus, mais le Nord était toujours marqué par la neige et des températures douces, voire glaciales. Il n’était donc pas facile d’explorer à fond les environs, surtout quand on faisait bande à part. A défaut de pouvoir réellement s’éloigner de la Forteresse, Rhis avait centré ses recherches sur la ville et la périphérie. Nevaeh pourrait peut-être vivre à l’extérieur, dans la nature ou les grottes alentours, mais il lui fallait des provisions pour se nourrir. Soit elle chasserait, soit elle viendrait se réapprovisionner aux tavernes ou chez des marchands de la Forteresse.
S’il avait donc joué son rôle de conseiller au nom du couple royal, l’espion s’était également inventé d’autres identités au cours de son séjour, généralement le soir, dans des milieux plus populaires et pauvres, où on ne se préoccupait pas de l’identité d’autrui. Tantôt commerçant, tantôt aventurier qui faisait escale à la Forteresse, il avait visité plusieurs marchés, plusieurs auberges et plusieurs endroits afin de trouver une trace de l’ancienne hôtesse. Jusqu’ici, il avait fait choux blanc, et le fait de n’avoir jamais rencontré Nevaeh l’empêchait savoir à quoi elle ressemblait. Bien sûr, on l’avait renseigné, Zahria ne l’aurait pas laissé enquêter sans lui donner un minimum d’informations, mais si la demoiselle était intelligente, elle ferait tout pour masquer son identité. Le garde devait donc garder à l’esprit qu’elle pouvait avoir changé son apparence, et cela rajoutait une difficulté supplémentaire à sa mission.
Ce n’était cependant pas cela qui allait le faire renoncer à ses recherches, et Rhis prit congé du forgeron bavard pour flâner encore un peu dans quelques rues commerçantes. Il finit par quitter le quartier des forgerons pour s’aventurer dans une zone qu’il n’avait pas encore vraiment explorée, qui était à la fois plus résidentielle et conviviale, à cause des quelques tavernes qui étaient prisées par les locaux du coin.
Il poussa donc la porte d’une d’auberge potable, appelée « Au grand chaudron ». Il y avait déjà du monde, mais la salle n’était pas non plus bondée ; elle se remplirait probablement au fil de la soirée, quand le soleil aurait totalement disparu à l’horizon.
Le tavernier ne tarda pas à se rendre compte de son arrivée, et Rhis décida de lui commander une simple bière le temps qu’il examine les lieux et les visiteurs. L’espion comptait à l’origine discuter avec le patron de l’auberge – il était la personne par excellence pour lui dire les derniers potins et les derniers événements des derniers jours – quand une autre personne sur sa gauche attira son attention. Une femme aux cheveux blonds était comme lui près du bar, non loin du tavernier, et ils étaient bien trop proches l’un de l’autre pour qu’ils ne se reconnaissent pas.
- Lorena ?
Il s’agissait d’une commerçante qui, comme d’autres, avait accompagné le convoi et aidé à la conservation des produits alimentaires. La citoyenne semblait avoir un bon fond et aidait spontanément les autres, parfois un peu trop. Rhis l’avait observée au cours du voyage. Il n’avait pas eu d’a priori négatifs envers la jeune femme – au contraire, son tempérament amical était agréable – mais quelque chose l’avait empêché de rendre un avis définitif sur la voyageuse. Elle était joviale, elle était à l’écoute, elle était sympathique, mais comme lui, la blondinette ne parlait jamais de son passé et on ne savait pas d’où elle venait. Ca n’avait pas dérangé l’espion outre mesure, mais cette absence d’informations l’empêchait de se fier réellement à cette compagne de voyage.
Enfin, cela ne l’empêchait pas de connaître les règles de savoir-vivre, et Rhis lui accorda un sourire affable alors qu’il allait la rejoindre. Peut-être allait-elle seulement prendre une table.
- Toi aussi, on t’a recommandé d’aller Au grand chaudron ?
Evidemment, elle savait qu’il était le conseiller royal, mais si elle avait un peu de jugeotte, elle n’en parlerait pas ouvertement dans la salle commune.
- En résumé:
Rhis est envoyé en mission officielle pour assurer une transaction officielle avec le Gouverneur du Nord. Il s'agit d'échanger des denrées alimentaires rares contre des armes, spécialité de la région.
Parallèlement, il enquête sur la disparition de Nevaeh à la demande de Zahria.
Il va donc dans une taverne populaire et il y rencontre Kasha, une "citoyenne" qui a accompagné son convoi jusqu'à la Forteresse.
Après un moment de réflexion, elle se dit qu'il était aussi possible que Nevaeh et Neva ne soient pas la même personne. Il s'agissait donc de la première information qu'elle se devait de vérifier.
Elle décida de ne pas partir immédiatement. En effet, la demoiselle aimait se renseigner au maximum avant toute expédition. D'autant plus que, depuis sa rencontre avec Neva, elle était rentrée à la Capitale, et traîner dans les rues en tant qu'une femme anonyme était le meilleur moyen de glaner des informations et des rumeurs. C'est donc ce qu'ele fit, passant plusieurs jours dans les différentes rues et surtout les marchés, écoutant les conversations, avant d'abandonner : bien sûr, les ragots allaient bon train, comme d'habitude, mais rien d'intéressant pour elle. Elle se prépara donc à se rendre dans les montagnes, qui était le dernier endroit où elle avait vu Neva. Lorena étant son avatar le plus pratique, elle prit de quoi revêtir son apparence en temps voulu. Elle prit également plus de cristaux que nécessaire pour le trajet, car, pour elle, il s'agissait d'un accessoire pour le rôle de la petite marchande : aucun marchand ne se balade sans monnaie.
Alors qu'elle allait partir, elle aperçut un quartier plus en effervescence que d'habitude... Etrange. Sans se faire trop remarquer, elle rôda dans le coin, le temps de comprendre ce qui se tramait. En écoutant ce qui se disait par-ci par-là, elle apprit qu'un convoi marchand était sur le point de se rendre à la Forteresse... C'était parfait ! Par contre, elle n'avait pas le temps de rentrer à la Guilde pour se changer, sans quoi le convoi risquait d'être parti quand elle reviendrait. Elle se cacha donc dans le coin sombre et isolé le plus proche pour devenir Lorena.
- Peu importe, la coupa-t-elle.
Puis, la femme bourrue changea du tout au tout, lui tendant la main amicalement :
- Je fais partie de ce convoi. Vous avez de la chance de m'avoir rencontrée, vous n'auriez jamais été acceptée en y allant juste comme ça : le groupe est déjà formé, tout le monde se connaît. Mais si je vous fais passer pour ma fille que je forme au métier, ça peut passer.
Cette affirmation amena un sourire en coin à Kasha. Voilà une information supplémentaire qu'elle pourrait ajouter dans le définition de son personnage. C'est pourquoi elle accepta, et, après avoir décidé des conditions générales, passé familial, relations mère-fille, manière d'être intégrée au convoi, etc., Lorena devint officiellement la fille en soif d'indépendance de l'une des marchandes les plus influentes du convoi, qui avait participé à sa formation.
Evidemment, quand elle avait été introduite dans le convoi, elle en avait rencontré tous les membres, y compris le fameux conseiller. Et elle ne savait pas trop quoi penser de lui. Bien sûr, Lorena s'en serait immédiatement remise à lui sans poser de questions, et c'est l'apparence qu'elle avait donnée. Mais Kasha, elle, se posait des questions. Quelque chose à son sujet la dérangeait.
Un soir, elle décida donc de s'en ouvrir à celle qui était officiellement devenue la mère de Lorena, après s'être assurée que personne ne les entendaient, évdiemment.
- Je vais être franche, qu'est-ce que tu penses du conseiller ? J'ai du mal à me faire un avis à son sujet...
- Qu'on l'aime ou non, il est très correct, je te l'assure. Tu peux te fier à lui... Par contre, pas sûr que ce soit une bonne idée de lui révéler des secrets du genre de qui tu es vraiment, comme avec moi. Il reste ton supérieur, donc reste à ta place !
La femme eut un petit rire à ces mots, auquel Kasha répondit.
À part cet incident, tout s'était déroulé pour le mieux, Lorena faisant de son mieux pour tout le monde, tout en faisant de temps en temps des pauses avec sa mère pour des cours, par exemple, de négociation, ce qui était le plus utile pour elle. Lorena n'avait jamais été douée pour tenir tête à ses concurrents, et peut-être que cela allait finalement changer.
Une fois arrivée, elle s'éclipsa. Elle n'oubliait pas la mission qu'elle s'était donnée. À présent qu'elle était dans la place, elle n'avait plus besoin du convoi... Mise à part la femme qui avait accepté de jouer le rôle de la mère de Lorena. Elle, elle la rencontrerait de nouveau, plus que de jouer un rôle qui aiderait Lorena à sembler plus réelle, elle pourrait lui donner des conseils sur le monde des marchands, conseils précieux pour mieux jouer ce rôle à l'avenir.
Après s'être promenée partout dans la ville, écoutant au passage les conversations des badauds, comme à son habitude, son estomac se rappela à son bon souvenir. Il lui fallait trouver quelque chose à manger... Elle poussa donc discrètement la porte de la première auberge venue, et se dirigea directement vers le comptoir, sur lequel elle déposa quelques cristaux noirs sur le comptoir, avant de fixer l'aubergiste dans les yeux :
- Pas d'entourloupe. Je sais qu'à ce prix, vous pouvez me fournir un repas plus que convenable.
Elle remarqua que l'homme s'apprêtait à répliquer, elle continua donc, sans luis laisser le temps de parler :
- Je vous rappelle que je suis une commerçante, pas une aubergiste. Je ne suis donc pas votre concurrente et je pourrais même vous fournir vos matières premières, en vous demandant un rabais en tant que collaboratrice. Mais je vous paie le même prix qu'un client normal, donc vous feriez mieux de...
Elle fut interrompu par une interrogation. Tournant la tête, elle remarqua le fameux conseiller, qui venait de la saluer et de lui poser une autre question... Cependant, pendant ses cours de négociation, sa "mère" lui avait bien précisé de ne pas abandonner son partenaire de négociation, sous peine de perdre son attention et donc, d'échouer à faire valoir ses propres intérêts. D'un coup d'oeil, elle remarqua que son supérieur avait seulement pris une boisson, elle décida donc de lui offrir un repas aussi. Rajoutant quelques cristaux, elle reprit la négociation :
- Très bien, vous l'avez certainement remarqué, je connais cette personne... Donc, je vous paie plus cher si vous lui préparez quelque chose aussi.
Puis, se retournant vers le conseiller, elle allait lui répondre, quand un mouvement derrière lui attira son attention : une silhouette familière, malgré une couleur de cheveux différente... Elle avait peut-être atteint son but au seul moment où elle ne le cherchait pas...
Elle reprit donc ses cristaux pour en placer un seul, mais cette fois, c'était un cristal sombre.
- D'accord, je vous paie trop cher. Un cristal sombre pour trois repas. Tâchez de faire quelque chose de mieux que d'habitude, ne me faites pas regretter ma générosité.
Puis, cette fois pour de bon, elle retourna son attention sur le conseiller, avec un sourire :
- Excusez-moi, j'étais prise dans la négociation. Pour être honnête, je n'ai même pas regardé le nom de ce lieu. Et il se trouve que j'étais simplement dans le quartier quand j'ai eu envie de me mettre quelque chose sous la dent. D'ailleurs, vous l'avez certainement remarqué, j'ai pris la liberté de vous offrir un repas à vous aussi !
Elle sourit à son propre trait d'humour, tentant de dissimuler des pensées amères. Pourquoi finissait-elle toujours par tout payer trop cher lorsqu'elle faisait des achats en tant que Lorena ?
Enfin, elle n'avait plus le temps de se lamenter. Elle aurait aussi aimé discuter un peu plus avec cet homme, afin de vérifier s'il était vraiment "très correct". Mais elle pensait avoir retrouvé Neva, et devait se signaler à elle avant qu'elle ne s'en aille.
- Monsieur, si vous voulez savoir à qui je destinais le troisième repas, vous pouvez me suivre : j'ai vu une amie.
Elle avait dit ça plus pour être polie qu'autre chose : en réalité, elle ne voulait pas qu'il la suive. Ils auraient peut-être d'autres occasions de se parler, ce qu'elle espérait, mais pour l'instant, elle voulait surtout discuter avec cette femme, et premièrement, voir s'il s'agissait vraiment de Neva.
Elle s'arrangea pour qu'elle la voie s'approcher et la salua :
- Bonjour... Neva ? C'est bien toi ?
Bien sûr, elle était hésitante, car elle n'était pas sûre d'être bien tombée. Au pire des cas, si elle n'était pas face à son amie, elle trouverait bien quelqu'un d'autre à qui offrir le repas supplémentaire... Au prix où je l'ai payé, il faut qu'il serve !
- Résumé:
- Dans le but de retrouver Nevaeh et de l'aider à améliorer sa réputation, Kasha rejoint le convoi de Rhis avec l'identité de Lorena. En cours de changement, elle se fait repérer par une marchande influente, qui accepte de se faire passer pour sa mère et de l'intégrer au convoi, tout en lui apprenant à mieux jouer son rôle.
Plus tard, elle retrouve Rhis dans une auberge alors qu'elle tentait de négocier un repas. Elle en profite pour lui en offrir un. Puis elle voit Nevaeh et lui en offre un aussi, avant d'aller la voir.
& Kasha Shlinma
Elle avait un plan. Même s’il faut dire que généralement elle avait une chance horrible lorsqu’elle devait exécuter un plan, elle avait un plan. C’était mieux que rien et elle n’était pas seule. Enfin. Oui, mais non. Son alliée n’était pas avec elle, mais le simple fait de savoir qu’elle serait là au besoin, aidait grandement à apaiser son anxiété. Cela dit, elle ne pouvait pas se permettre de baisser sa garde. Dernièrement, elle avait échoué à arrêter l’un des éclaireurs de son poursuivant ce qui voulait dire que maintenant il était au courant de sa nouvelle apparence ainsi que sa localisation. Elle devait faire attention et porter une attention particulière à tout ceux qui s’approchait d’elle. Elle évitait les ruelles et restait sur les rues plus peuplées pour s’assurer qu’aucun idiot ne décide de s’en prendre à elle en plein jour à la vue des gardes. Bien sûre, elle pouvait se défendre contre un ou deux éclaireurs. Elle était armée et avec l’aide de Lacey, elle apprenait à manier une nouvelle arme. Le problème était que si elle devait se battre en plein milieu des rues de la forteresse, les gardes poseraient des questions. Chose qu’elle voulait éviter.
Ne voyant aucune personne suspicieuse, l’ex-aventurière décida d’entrer dans une taverne. Elle n’avait pas faim, mais après avoir étudier la ville, elle avait découvert à quel point l’endroit était populaire. Plus un endroit était populaire, plus elle rencontrerait des gens. Une fois à l’intérieur, elle prit place dans le fond de la salle près d’une fenêtre. Elle avait en vu l’entièreté de la salle à manger et pouvait facilement voir qui entrait et sortait du bâtiment. D’un coup d’œil rapide, elle calcula le nombre de personne dans la salle et observa les employés. Si on ne veut pas être surpris, il faut s’attendre à tout et tout analyser. 27 clients étaient Au grand chaudron. 11 femmes, 12 hommes et 4 enfants. Elle ne se gênait pas non plus à écouter subtilement aux tables pour découvrir de précieuse information. Pour le moment, toutes les conversations étaient ennuyantes. Elle n’avait sincèrement rien à faire de connaitre la merveilleuse escapade de Mireille et Jane aux sources chaudes. Elle n’était pas non plus intéressée par Pierre et sa peur de devenir chauve avant sa quarantaine.
Soupirant pour une énième fois, une serveuse arriva à sa table pour lui déposer son verre d’eau ainsi qu’un bol de fruit. Heureusement, manger était un combat moins difficile, mais la peur d’être empoisonné ou drogué était toujours présente. Depuis sa rencontre avec son poursuivant, elle n’avait pas bu une goutte d’alcool. C’était un sevrage plutôt violent, mais nécessaire. Si son corps avait de la difficulté avec ce sevrage, son cerveau n’arrivait pas à se débarrasser de ses mauvais souvenirs. Et puis, ce sevrage était bien plus facile que son premier datant de plusieurs années.
Plongeant sa fraise dans un bol de sucre, elle redirigea son attention vers les autres tables. Il n’y avait rien de pertinent à cette table non plus. Autre que les serveuses, personne ne faisait attention à elle. Ce qui était presqu’une bonne chose. Aujourd’hui, son but était d’attirer l’attention d’un éclaireur et le mener dans les montagnes. Si ses cibles n’étaient pas dans les rues ni dans cette taverne, elle allait avoir besoin de changer d’endroit. Mais avant de changer de taverne, elle allait tout de même se forcer à manger tous ses fruits. Elle avait besoin d’énergie. Quel dommage qu’elle devait manger pour retrouver de l’énergie. Elle pourrait facilement sauver ses cristaux si elle n’avait pas besoin de nourriture.
Dégustant un bleuet, une cloche résonna lorsqu’un nouvel arrivant se dirigea au comptoir. Naturellement, son regard de félin fixa l’homme. Les chiffres avaient donc changé. Il y avait maintenant 28 clients, dont 11 femmes, 13 hommes et 4 enfants… Ah non. Cette famille quitte. 25 clients. Elle l’observa un moment, analysant sa présence tout en se demandant s’il serait un ennemi potentiel. Comparer aux autres clients, son air semblait différent. Il semblait presque noble. Était-ce ses vêtements qui lui donnait cette impression ? Elle n’était pas certaine. Avant que l’on remarque qu’elle fixait le nouveau client, elle tourna doucement sa tête vers la fenêtre. Il faisait encore clair à l’extérieur, mais le soleil commençait à être plutôt bas. Ne voulant pas retourner aux montagnes à la noirceur, elle fit signe à un serveur, puis lui remis les cristaux pour l'eau et les fruits. Peut-être était-ce parce qu’elle fit signe à un serveur, mais elle attira l’attention de quelqu’un. Elle remarqua rapidement lorsque la jeune femme blonde posa ses yeux sur elle. Elle était trop loin pour entendre la conversation que cette dernière avait eu avec le nouvel arrivant, mais elle savait qu’ils s’étaient échangé quelques mots. Ils devaient donc se connaitre.
Elle devait se contrôler. Un simple regard ne voulait rien dire. Son mouvement de bras avait simplement dû attirer son regard… Ah. Non. Elle aurait bien fusillé la blonde du regard, mais elle devait se contrôler. Elle devait contrôler ses émotions et ses réactions.
« Hum, pardon ? Je crois que vous vous êtes trompez. »
Bon. Si elle connaissait la vraie identité de Nevaeh, alors elle devait être une autre criminelle que le Non mort avait envoyée. Cependant, depuis quand les éclaireurs s’approchaient de leur cible d’une telle façon. Cela devait être une nouvelle tactique pour la déstabiliser. Lorsque le moment serait propice, alors elle devra l’attirer dans son piège ou l’éliminer.
Aux dernières nouvelles, ils étaient deux, et c’est donc avec un certain intérêt que le garde écouta les explications de la demoiselle. Elle avait eu simplement envie de se restaurer en entrant dans l’établissement, ce qui était tout à fait légitime, et un sourire apparut sur le visage de Rhis quand la miss lui fit remarquer qu’elle avait payé son repas pour lui aussi.
- Je n’en demandais pas tant, mais je te remercie pour ta générosité.
Le mystère du troisième invité fut ensuite bientôt résolu, puisque Lorena lui signala qu’elle avait repéré une amie dans l’auberge. L’homme aux yeux lilas se contenta d’acquiescer quand elle lui proposa de l’accompagner, et il la suivit donc se présenter à une jeune femme blonde et mince, franchement jolie, qui avait déjà fini de manger, à en croire le bol vide qui était sur sa table.
L’espion ne s’attendait cependant pas à ce que le prénom de « Neva » soit prononcé par Lorena et il prit sur lui pour garder une attitude décontractée. Tout au plus avait-il lancé un regard un peu intrigué à Lorena avant de dévisager la femme blonde qu’elle semblait connaître. Si cette dernière avait été prise de court, elle avait au moins le mérite d’être restée calme quand elle leur déclara que la commerçante se trompait. C’était toujours une réponse, et les voyageurs auraient pu en rester là.
Mais du point de vue de Rhis, Neva et Nevaeh avaient des consonnances bien trop proches et… le hasard faisait parfois bien les choses. Il ne perdait en tout cas rien à s’assurer de son identité. Et puis, quelque chose lui disait que sa compagne ici présente n’allait pas lâcher le morceau si facilement.
- Je n’ai pas tout suivi mais, si je comprends bien, ma… collègue que voici semble vous connaître.
Un sourire un peu narquois apparut d’ailleurs sur ses lèvres.
- Elle a même été si enthousiasmée en vous voyant qu’elle a commandé tout spécialement un repas pour vous à l’aubergiste. Elle m’a fait le coup aussi, remarquez. Je n’ai pas eu le temps de lui dire deux mots qu’elle m’offrait mon souper sans crier gare. Elle pourra vous le confirmer.
Son ton était légèrement taquin, preuve qu’il se moquait gentiment de Lorena, mais ils avaient tous les deux un objectif, se renseigner sur la jeune femme. Lorena avait peut-être un objectif plus noble, celui de revoir une amie en toute amitié. Lui… avait un objectif caché, et il allait devoir être assez habile pour ne pas faire fuir l’intéressée, si c’était bien Nevaeh qu’il avait en face de lui.
Son ton redevint ensuite un peu plus sérieux, et Rhis adopta un sourire poli et aimable sur le visage.
- Est-ce que vous nous permettez de nous asseoir à votre table pour profiter de la… générosité de notre amie ici présente ? A mon humble avis, il serait malvenu de refuser un repas gratuit.
Voilà. Maintenant, c’était à Lorena d’enfoncer le clou pour s’installer et s’assurer de l’identité de cette femme.
Lui allait être tout ouïe. Quelque chose lui disait que la conversation allait être bien intéressante...
Elle fut sortie de ses pensées par la voix de ce fameux homme. Lorena, pense Lorena, tu es Lorena. Elle devait se concentrer.
Sa collègue ? Elle ouvrit la bouche pour le corriger, mais il ne lui en laissa pas le temps. Elle se laissa submerger par la légèreté et la bonne humeur de Lorena et laissa entendre un petit rire, qu'elle modula pour faire paraître qu'il lui échappait, mélange de fierté et de gêne d'être ainsi mise en avant.
- Désolée, c'est plus fort que moi. J'ai tellement envie de faire plaisir !
Elle marqua une pause, puis, posant un regard interrogateur sur ses deux interlocuteurs, tour à tour, elle s'inquièta :
- Est-ce que ça vous fait vraiment plaisir ?
Lorsque le conseiller cessa de parler, elle était toujours en train d'attendre, sans vraiment savoir quoi. Attendait-elle une invitation ? S'attendait-elle à ce que ce soit lui qui prenne l'initiative de décider de la suite des évènements ? Ou, plus logiquement, s'atendait-elle à ce que la femme, qui qu'elle soit, accepte ou refuse l'offre ? Quoi qu'il en soit, personne ne dit rien, c'était donc à elle de poursuivre.
Lorena était spontanée, n'est-ce pas ? Elle reprit son attitude joyeuse et insouciante et prit place à la table de la jeune femme, invitant le conseiller d'un regard à la fois insistant et respectueux (elle se souvenait parfaitement du "Reste à ta place !" que sa "mère" lui avait très clairement adressé) à prendre place lui aussi :
- Allez, même si vous n'êtes pas la personne que je cherchais, faisons connaissance ! Je cherchais une amie, mais ça ne me dérange pas d'en avoir une nouvelle. Quel est votre nom ?
Là était la grosse différence entre Kasha et Lorena. Dans une telle situation, Kasha se serait éloignée sans faire d'histoires, aurait peut-être continué à discuter avec le conseiller, mais n'aurait certainement pas insisté. Lorena avait tout de la jeune fille insouciante et encore inexpérimentée face aux vicissitudes de la vie. Le personnage de Lorena avait été créé dans le but, mis à part de pouvoir se rendre un peu partout, d'avoir un certain charisme invitant quiconque à lui faire confiance. Elle n'était pas pour autant un personnage attirant les confidences, mais elle était la personnalité de Kasha la plus à même de lui apporter de nouveaux amis. Pour le coup, le personnage était parfaitement bien choisi pour la situation. Elle espérait seulement pouvoir la jouer correctement... À ce moment, elle eut un flashback de sa mission en compagnie de Nevaeh, où elle avait pris un rôle bien trop différent de sa personnalité réelle et l'avait regretté. Mais ici, c'était un peu différent. Lorena était plus insouciante que vraiment indiscrète, et, surtout, elle était bienveillante et voulait bien faire... Même si parfois, la spontanéité n'était pas souhaitable.
Elle se demanda soudain pourquoi elle avait presque explicitement invité l'homme à venir s'installer. D'accord, il avait suggéré l'idée, d'accord, elle leur avait payé le repas à tous les deux, et, surtout, c'était parfaitement logique compte tenu du caractère de Lorena... Mais jamais elle ne pourrait prouver ses bonnes intentions avec lui dans les parages !
Ne t'agace pas trop, ça va se voir !
Elle espérait sincèrement que cette conversation ne dure pas trop longtemps. Soit cette personne n'était vraiment pas Neva, et elle ne savait pas ce qu'elle faisait là, soit c'était elle et elle ne se laissait pas convaincre et finissait par les chasser, dans le meilleur des cas, soit elle-même, Kasha, arrivait à se débarrasser de l'homme, au moins le temps de mettre les choses au clair entre femmes. Mais d'un autre côté, s'il s'agissait réellement de sa compagne, elle connaissait ses avatars principaux, Lorena et Victoria... Quoi que, peut-être ne connaissait-elle que leurs noms, ce qui ne serait pas étonnant... Alors, elle tenta :
- Moi, c'est Lorena !
S'il s'agissait vraiment de son ancienne collègue, elle saurait qui se cachait réellement sous ce nom. Kasha était assez fière d'elle-même : elle avait trouvé un moyen de s'identifier sans éveiller les soupçons. En effet, l'homme connaissait évidemment l'identité de Lorena, mais il n'avait certainement aucune idée que, pour un aventurier, ce nom avait bien plus de sens que pour lui. Du moins, elle l'espérait. D'un autre côté, s'il connaissait ce code, cela signifierait qu'elle aurait été trahie, et elle ne savait pas comment elle réagirait dans cette éventualité... Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle ne serait pas réalité.
& Kasha Shlinma
Ces deux personnes se connaissaient. C’était confirmer. Maintenant, il fallait confirmer leur intention. Elle aurait pu croire que la blonde l’avait confondu avec quelqu’un d’autre. Après tout, avec cette apparence, ce ne serait pas la première fois que ça arrivait. Elle pouvait encore se souvenir de cette histoire au Grand port. Non seulement l’avait-on confondu avec une jeune femme prénommée, Morgana, mais en plus, il fallait que cette femme soit une personne ayant été portée disparu. Sincèrement, elle avait eu la pire des chances dans ses déguisements. Cependant, cette fois, elle n’avait pas été confondue. Elle avait été reconnue. Bien sûr, elle tenta de la faire partir en lui disant qu’elle s’était trompée de personne, mais l’homme avec qui elle, avec parler un peu plus tôt s’en mêla. Deux contre un alors. Ce n’est pas vraiment juste, mais elle avait rapidement appris que les criminels ne se souciaient pas vraiment d'être juste.
« Elle a même été si enthousiasmée en vous voyant qu’elle a commandé tout spécialement un repas pour vous à l’aubergiste. Elle m’a fait le coup aussi, remarquez. Je n’ai pas eu le temps de lui dire deux mots qu’elle m’offrait mon souper sans crier gare. Elle pourra vous le confirmer. »
« Oui, j’ai pu le constater. » Dit-elle à l’intention du nouvel arrivant. « Cependant, comme je lui ai dit, je ne suis pas la bonne personne. Je ne la connais malheureusement pas. »
Elle n’appréciait ni la présence de la blonde ni celle de l’homme. Elle se sentait coincée, pris au piège. Elle n’avait pas envie qu’aucun d’eux ne partage sa table. Surtout lorsqu’elle voulait partir. Elle garda un faux sourire en s’adressant à l’homme, mais garda les contacts visuels au minimum.
« Est-ce que vous nous permettez de nous asseoir à votre table pour profiter de la… Générosité de notre amie ici présente ? À mon humble avis, il serait malvenu de refuser un repas gratuit. »
Il était, en effet, mal poli de refuser un repas gratuit. Cependant, avec les dernières expériences, il était plus sage de refuser tout ce qui pouvait être offert par des étrangers. Elle n’avait pas envie de se faire drogué et ses invités n’apprécieraient sûrement pas se faire lancer une table au visage.
« Je comprends tout à fait et je ne voudrais absolument pas me montrer ingrate, cependant, j’ai déjà mangé. Je peux vous rembourser le repas si vous le souhaitez. »
Elle désigna son plat vide, puis d’un geste rapide, elle replaça une mèche de cheveux imaginaire derrière son oreille. Ce n’était qu’un geste tout à fait innocent, mais elle en profita pour jeter un coup d’œil furtif à sa bague résidant sur son majeur. Son sceau magique brillait légèrement à cause de son propre don et à cause de la magie ambiante. Sûrement, était-ce l’établissement qui usait d’un peu de magie dans les cuisines. Cependant, la bague ne brillait pas davantage depuis l'arrivée de ses deux invités indésirables. Très bien. C’était une bonne nouvelle. Voulant partir de l’endroit, elle proposa au couple de lui laisser sa table.
« Sinon, je peux vous laisser ma table si vous la voulez. J’allais justement quitter. »
« Allez, même si vous n'êtes pas la personne que je cherchais, faisons connaissance ! Je cherchais une amie, mais ça ne me dérange pas d'en avoir une nouvelle. Quel est votre nom ? »
Malheureusement, quitter allait être difficile. Ils tenaient sincèrement à garder la jeune femme sur place. Si ses calculs étaient justes et si ce duo était vraiment des éclaireurs appartenant au Non-Mort, ils ne seraient pas assez bêtes pour l’attaquer en plein milieu de la taverne… Cela dit, ils avaient tout de même révélé qu’ils connaissaient Nevaeh. Du moins, Lorena l’avait avouée assez ouvertement. Si elle travaillait avec l’autre, alors il devait la connaître aussi. Quelle situation épineuse. Quelle direction serait la meilleure à prendre ? Être ou ne pas être polie. Quelle attitude l’aiderait à partir le plus rapidement possible ? Elle n’avait particulièrement pas envie de se faire de nouveaux amis, ni avait-elle envie de discuter. Entamées, des discussions menaient à des questions et elle voulait éviter d’être celle devant répondre.
« Vous pouvez m’appeler Raelyn ou Raël. »
Elle avait hésité un instant avant de lui répondre son nom. Serait-ce dangereux que les éclaireurs connaissent sa nouvelle identité ? En même temps, il faut dire qu’ils connaissaient la vrai Nevaeh. C’était étrange d’utiliser le diminutif du nom qu’elle s’était choisi, mais au moins, elle avait prononcé son nom de façon naturelle. Elle garda le même faux sourire, tentant de rester le plus naturel possible. Si elle ne voulait pas être répondant à des questions, alors il faudrait qu’elle en pose.
« Alors, j’ai pu comprendre que vous êtes collègues, c’est bien ça ? »
- C’était pour le moins… incongru et surprenant, fit-il honnêtement, mais je ne doute pas que tu aies voulu bien faire.
Plus important, ils devaient continuer la conversation avec la possible amie de Lorena, et Rhis fut donc satisfait quand celle-ci s’installa à table. Il suivit bientôt le mouvement en s’asseyant à son tour, alors que la blonde devant eux confirmait à nouveau qu’elle ne connaissait pas Lorena. Un bref regard lui permit de comprendre que la demoiselle était mal à l’aise, et l’homme pouvait comprendre pourquoi. Deux inconnus l’abordaient subitement, l’une prétendait la connaître, et ils s’invitaient à sa table en s’imposant presque, sans lui laisser l’opportunité de refuser. Il y avait de quoi se sentir assiégé, et d’ailleurs, la jeune femme évitait autant que possible les contacts visuels. Si elle était en fuite, il y avait fort à parier qu’elle ne voulait pas être reconnue et qu’elle craignait que Rhis et Lorena ne fussent des poursuivants qui lui en voulaient. Après tout, elle avait essayé d’attenter la vie d’un homme, et elle pouvait légitimement penser qu’il y avait une enquête, voire qu’il y aurait des représailles à son encontre.
Ce n’était pas dans de telles conditions qu’elle allait lui révéler ce qu’il s’était passé, tout du moins s’il s’agissait de Nevaeh. Rhis caressa l’hypothèse d’utiliser son pouvoir afin d’en savoir plus, mais il préféra attendre encore un peu. Peut-être utiliserait-il ses facultés psychiques quand ils entreraient dans le vif du sujet, afin de confirmer ses soupçons. Il était difficile de maîtriser ses émotions et ses pensées quand on abordait quelque chose qui vous angoissait, l’espion aurait donc plus de chance de confirmer son identité et l’essentiel de ses soupçons quand ils s’attaqueraient au cœur du sujet.
Le conseiller royal ne fut pas surpris quand la femme leur signala qu’elle avait déjà mangé : les plats sur la table prouvaient bien qu’elle s’était déjà restaurée et elle leur proposa même de leur laisser sa place, puisqu’elle désirait s’en aller de la taverne. Réaction tout à fait légitime pour quelqu’un qui n'était pas à l’aise et qui voulait couper court à la conversation avec deux inconnus.
La spontanéité de Lorena joua alors en leur faveur, puisqu’elle leur proposa de faire connaissance avec un aplomb insouciant, presque innocent et sans gêne. L’espace d’un instant, cela amusa Rhis. La commerçante était apparue comme par magie le jour-même du départ du convoi, ce qui l’avait surpris, car sa mère ne lui avait jamais dit que sa fille les accompagnerait. Tout au long de leur voyage, la demoiselle avait réussi à maintenir cette façade joviale et serviable qu’elle leur montrait maintenant. Une façade, oui. Rhis avait toujours eu cette impression qu’elle portait un masque, comme lui en portait un lorsqu’il assurait certaines missions d’espion, pour s’infiltrer dans des endroits différents. Il n'avait cependant pas eu le temps de l’approcher pour en savoir plus ; Rhis avait davantage fréquenté les gardes que les commerçants, qui connaissaient leurs affaires pour prendre soin de la marchandise, et sa mère lui ayant été recommandée pour leur voyage, il avait assumé que cette voyageuse supplémentaire ne leur poserait pas de problème.
Aujourd’hui, elle lui était utile, mais il allait bientôt voir si elle allait savoir le suivre ou si Lorena allait au contraire lui compliquer la vie.
Il acquiesça légèrement quand « Raelyn » se présenta et il prit la parole à son tour, un sourire plaqué sur son visage.
- Je m’appelle Alban.
Il aurait bien jeté un coup d’œil à Lorena pour voir sa tête mais toute son attention était maintenant rivée sur leur nouvelle amie. La commerçante n’avait pas intérêt à cafter, c’était tout ce qu’il pouvait dire. Même, elle avait intérêt à bien écouter la suite.
- Nous avons tous les deux accompagné un convoi marchand pour la Forteresse, poursuivit-il. Lorena en tant que commerçante, moi en tant qu’aventurier qui connaît bien la région pour avoir résidé par ici par le passé. C’était un convoi bien protégé par la garde, pour ne pas que nos marchandises ne soient convoitées par des brigands, mais l’expérience du terrain peut être très précieuse, et le convoi avait donc besoin d’éclaireurs, fit-il d’un ton parfaitement naturel.
Quand on était espion, mentir était une seconde nature, mais Rhis avait également disséminé pas mal de vérité dans ses propos. C’était vrai qu’ils avaient accompagné un convoi marchand ; c’était vrai aussi qu’il avait résidé ici par le passé pour défaire une coalition noble ; c’était vrai encore qu’il connaissait pas mal le coin de la Forteresse, faute d’y avoir résidé un temps pour accomplir correctement sa mission de l’époque. Et c’était bien sûr faux qu’il était un aventurier qui avait eu le rôle d’éclaireur. Mais cela passerait beaucoup mieux que la vraie version, à savoir qu’il était le conseiller royal en personne. Le garde espérait que Lorena s’en rendrait compte. Et qu’elle suivrait sa version sans les trahir tous les deux. C’était aussi la raison pour laquelle il était resté le plus proche possible de la vérité, cela l’aiderait à être cohérente et à ne pas se tromper.
Maintenant, il restait bien sûr la possibilité qu’elle démente tout sur-le-champ, et dans ce cas, Rhis n’aurait qu’à changer de fusil d’épaule. En tout cas, les vêtements chauds qu’il avait revêtu par-dessus une protection légère et son katana à sa hanche ne semblerait pas étranges s’il se faisait passer pour un aventurier.
- Nous sommes arrivés il y a quelques temps à la Forteresse et nous avons donc pu chacun s’occuper de nos affaires. Ca a été une coïncidence si j’ai revu Lorena aujourd’hui, fit-il, sincèrement cette fois. D’autant que nous avions chacun des rôles à part et que nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de discuter ensemble comme aujourd’hui.
Leur groupe n’avait pas été énorme, mais il avait été quand même conséquent, et il était naturel qu’ils n’aient pas pu échanger ensemble, même lorsque la troupe se retrouvait le soir au coin du feu.
Rhis marqua une pause pour prendre une gorgée de sa bière, ce qui permettrait peut-être à ses deux interlocutrices de réagir, que ce soit pour entériner sa version ou pour poser davantage de questions.
- Je dois dire que je cherche également la sœur de quelqu’un, termina-t-il. Pour au moins savoir si elle va bien et si elle n’a pas besoin d’aide, fit-il en posant son regard successivement sur Lorena et puis sur cette Raelyn. Mais la zone est vaste, et il est difficile de savoir où elle est. Ce qui m’inquiète, parce que si la Forteresse est un endroit sûr, il n’y a pas non plus que des gens bien intentionnés dans le coin… Peut-être pourriez-vous m’aider à en savoir plus ?
Il était difficile de résister à l’appel de la chair et du sang. Grâce à Zah, Rhis savait que Nevaeh avait un frère, il pouvait donc très bien faire croire que celui-ci s’inquiétait pour elle – ce qui aurait été tout à fait légitime – et qu’il avait donc été envoyé pour la retrouver. Ce n’était pas très fair-play, mais il pourrait toujours être faire preuve de franc-jeu plus tard… Il était évident que Raelyn voulait disparaître aussi vite que possible. S’il ne lançait aucun hameçon, elle partirait à la première occasion. Et puis, il commençait à se douter que Lorena était bien curieuse. Elle risquait très probablement de foncer s’il fallait aider quelqu’un qui était peut-être en danger…
- En résumé ::
- Rhis sent que Nevaeh est mal à l'aise et qu'elle veut prendre congé. Ca ne l'arrange pas.
Il explique donc que Lorena et lui ont accompagné un convoi marchand, elle en tant que commerçante, lui en tant qu'aventurier du nom d'Alban, qui servait d'éclaireur.
Il leur dit qu'il cherche "la soeur de quelqu'un" pour savoir si elle a besoin d'aide, car tout le monde n'est pas bien attentionné dans le coin.
Par contre, elle savait que le coup de l'aventurier était faux, ce qui était confirmé par sa certitude récemment acquise. Elle pouvait comprendre qu'il ne voulait pas se révéler en public, surtout face à un public auquel il n'était probablement pas habitué, mais un simple prénom ne le trahirait pas ! S'il avait donné un faux nom, il avait forcément quelque chose à cacher. D'un autre côté, elle n'était pas toute blanche non plus... Restait à sonder ses intentions. Si elles n'étaient pas répréhensibles, elle pourrait envisager de lui faire confiance et même de collaborer avec lui... Si leurs objectifs concordaient.
Elle commençait à envisager de répondre, afin de ne pas paraître trop suspecte, quand un évènement extérieur joua en sa faveur. Le tavernier était de retour avec les plats achetés plus tôt. Elle en profita pour étudier l'attitude de l'homme, tout en tentant d'être discrète pendant qu'elle le faisait. Comme s'il était entré dans sa combine, le propriétaire des lieux se mit à plaisanter avec Raël quant au fait qu'elle mangeait le dessert avant le plat principal. Kasha en profita pour étudier sa "cible" plus précisément. Mais, évidemment, elle n'obtint aucune information digne d'intérêt. La discussion des deux autres personnes terminées, Lorena prit la parole à son tour :
- Merci beaucoup pour votre efficacité !
Elle laissa échapper un rire sincère accompagné d'une mine joviale, bien loin de l'air sérieux et concentré de sa négociation précédente. Dans le futur, Kasha serait incapable de savoir ce que l'homme lui avait répondu à ce moment, car cela lui importait peu. Ce qui était sûr, c'était qu'il lui vait répondu, peut-être même en avait-il fait de même avec ses camarades de tablée s'ils lui avaient parlé aussi. Tout cela n'avait aucun intérêt pour elle actuellement, donc, elle n'y fit pas attention. Au lieu de cela, elle goûta le plat qui venait de lui être apporté... Et se brûla. Affichant probablement une mine amusante, elle reposa ses couverts et se concentra plutôt sur la conversation interrompue par l'arrivée de leurs plats, prenant la décision d'entrer dans le jeu du conseiller, en dépit du fait que cela la mettait mal à l'aise de se mettre au même plan que quelqu'un d'aussi important, même si cela n'avait lieu que dans leurs esprits :
- C'est exact. Alban a tout dit. D'ailleurs, merci pour ton compliment, j'espère que le plat sera à la hauteur... Quand il aura refroidi.
Puis elle rit de sa propre mauvaise expérience. Un peu d'autodérision ne faisait pas de mal.
Mais son rire finit par s'éteindre. Elle venait de se rappeler sa dernière tirade :
- PAr contre, excuse-moi... Quelqu'un serait en danger ? Pour le coup, je ne pourrais pas faire grand-chose, puisque je ne sais pas me battre, mais s'il faut faire diversion, ou même bouclier humain, n'hésitez pas à vous servir de moi !
Au cours de sa tirade, son regard avait dérivé de Rhis à Nevaeh, car elle s'adressait désormais aux deux personnes à la fois. ELle ne savait pas pourquoi l'homme abordait ce sujet à ce moment, mais peut-être cela voulait-il dire qu'il y avait des chances que la personne en danger soit celle qui se trouvait face à eux. Evidemment, si sa proposition était acceptée, elle ferait diversion, mais dans le cas d'un bouclier humain, elle ne se laisserait pas abattre sans combattre. Cela détruirait sa couverture, mais elle ne s'entraînait pas aussi souvent que possible à l'auto-défense pour se laisser faire face à un danger mortel. Elle n'avait jamais accepté les missions nécessitant de protéger quelqu'un, car elle savait que ses compétences dans ce domaine laissaient à désirer. Mais jamais Lorena ne se défilerait face à l'occasion de rendre service, même si cela lui coûtait la vie. C'est pourquoi elle mit autant de conviction que possible dans son regard alors qu'il continuait à alterner entre ses deux interlocuteurs, attendant la réaction de l'un d'eux, quelle qu'elle soit.
& Kasha Shlinma
Un aventurier et une commerçante. Voilà un duo intéressant. Si elle n’était pas sur ses gardes et si elle n’était pas en danger à chaque seconde, elle aurait facilement cru Alban. Seulement, elle ne faisait confiance en personne. Pour le moment, une seule personne dans le monde entier avait sa complète confiance. Jack. Et malheureusement pour eux, aucun d’entre eux n'était le conseiller. Elle nota le nom d'Alban dans le fond de ses pensées. On ne peut pas dire qu’elle connaissait tous les aventuriers et encore moins leur nom. Elle n’était pas reconnue comme étant quelqu’un avec une bonne mémoire. Quoi que dernièrement, faire attention au détail et travailler sa mémoire était quelque chose d’incontournable. Elle fut tentée de lui demander une preuve, cependant faire une telle demande serait plutôt rude. Si elle voulait vérifier son identité, alors elle devrait passer par d’autres moyens.
Mais, avant de vérifier l’identité de l’aventurier, elle était plutôt intéressée par la marchande se nommant Lorena. Enfin, assumant qu’il s’agissait de son vrai nom. Cela dit, elle se foutait un peu de son nom. Ce qu’elle voulait essayer de savoir le plus rapidement possible était si elle était dans un danger immédiat. Alban était visiblement armé, mais en un coup d’œil rapide, elle ne voyait aucune arme sur la jeune femme qui l’accompagnait. Elle n’était pas assez bête pour croire que Lorena n'avait aucune arme. Sûrement, avait-elle des dagues cachées quelque part ou d’autre armes ? Ou peut-être avait-elle un pouvoir pouvait être utilisé pour attaquer. Il était plus facile de poser des questions à une marchande sans être indiscret.
« Je vois. Alors le hasard fait bien les choses, je suppose. Et quel genre de commerce avez-vous ? Peut-être pourrions-nous devenir partenaire, je suis herboriste et j’essaie de vendre quelques baumes, mais on dirait que personne dans les montagnes n'est intéressé par mes produits. »
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais ce n’était pas complètement un mensonge. Après s’être acheté beaucoup trop d’objet enchanté, sa bourse se vidait à une vitesse phénoménale. Toutefois, elle ne regrettait aucun achat. Grâce à ses achats, elle avait amélioré son don et acquis des objets pouvant dissimuler ses armes. Quel dommage qu’à ce moment précis, elle n’avait pas quelque chose pour dévoiler la vérité. Surtout lorsque le soit dit aventurier mentionna qu’il cherchait la sœur de quelqu’un. S’ils savaient qu’elle était Nevaeh, ils devaient donc savoir qu’elle avait deux frères. C’était problématique. Elle avait faussé sa mort pour ralentir les recherches du Non-Mort le plus que possible. Mais, maintenant, il savait qu’elle était vivante. Allait-il passer par sa famille pour la retrouver ? Ce n’était pas impossible, mais elle refusait d’y croire.
Elle serra sa mâchoire un instant, se perdant dans ses pensées. Inconsciemment, sa main droite se posa sur son poignet et elle commença à le gratter, laissant des marques rouges sur sa peau.
« J’aimerais beaucoup vous aider, cependant, je ne suis pas du coin. Je suis une herboriste ambulante et ça ne fait que quelques semaines que je suis dans les parages. »
Nevaeh fit mine de réfléchir en inclinant la tête légèrement et en tournant son regard vers la fenêtre. Le soleil était maintenant plutôt bas et le ciel avait changé de couleur. Les teintes chaudes de rouge et orangé étaient plus froide, tirant maintenant vers le mauve. Elle n’allait pas retourner aux grottes avant la tombée de la nuit. Zut.
« Si la personne se trouve en danger, peut-être serait-ce une bonne chose de parler avec la garde. La guilde des aventuriers a beaucoup de ressource, mais la garde peut être d’une grande aide. »
Cette toile de mensonge s’agrandissait de jour en jour et il devenait difficile d’éviter les situations compliquées. Logiquement, la première chose à faire après une disparition serait d’avertir la garde. Elle supposait que la raison pour laquelle la garde ne la cherchait pas activement était, car tout le monde la croyait morte. Cependant, il était évident que beaucoup trop de personne savait qu’elle était en vie.
« Je suppose que je comprends pourquoi vous préférez faire vos recherches par vous-même. Personne ne voudrait gaspiller le temps des gardes pour quelqu’un qui, au final, n’est ni en danger ni disparu. Vous savez, j’ai un ami à la guilde et je suis sûre qu’il pourra vous aider. En revanche, il est à la capitale. »
Son ami n’était nul autre que Jack. Si Alban était réellement un aventurier qui la cherchait pour son frère, alors en le redirigeant vers Jack, il pourra sûrement régler la situation.
Enfin, le tavernier partit et l’espion commença à se restaurer. Il fallait cependant croire que Lorena était la plus pressée de tous pour manger, puisqu’elle se brûla aussitôt, et le conseiller royal lui adressa un regard légèrement amusé, alors qu’elle corroborait sa version et qu’elle se moquait légèrement d’elle-même.
Raelyn finit par réagir à leur duo et à s’intéresser particulièrement à Lorena. S’il en croyait ses propos, elle était herboriste et voulait vendre quelques baumes. C’était bien possible… Mais si elle était une marchande ambulante, elle devait alors savoir quels produits intéressaient les gens de la Forteresse. C’était étonnant qu’elle soit venue avec des ingrédients qui n’intéressent pas la population locale, alors que tout voyageur devait impérativement remplir sa bourse par n’importe quel moyen pour demeurer à l’abri et à continuer son périple. Peut-être que Lorena tiquerait sur ce détail elle aussi. Il n’était pas commerçant de base, alors une telle remarque passerait mieux si sa compagne d’infortune la soulignait elle-même. Par contre, il pouvait faire une proposition à Raelyn et à Lorena à la fois, qui devrait leur convenir à toutes les deux, puisque cela leur offrait de belles opportunités.
- Vous devriez vous adresser au convoi marchand qu’on a accompagné.
Rhis prit le temps de couper un morceau de sa viande avant de continuer.
- Lorena pourra le confirmer, il y avait beaucoup de négociants avec nous. Je suis sûr qu’ils pourraient être intéressés par vos produits, puisqu’ils viennent essentiellement de la capitale et parfois même d’autres régions d’Aryon. Et puis… Rhis se tourna cette fois vers "sa complice". Ta mère pourrait peut-être aussi évaluer sa marchandise et la revendre à bon prix. Elle a certainement un bon stock de cristaux, et elle pourra même rediriger Raëlyn vers d’autres marchands de sa connaissance, s’ils recherchent certains baumes spécifiques.
Peut-être que la demoiselle avait elle aussi suffisamment de deniers pour élaborer une transaction sur le champ mais les conditions s’y prêtaient peut-être mal puisqu’ils étaient en train de manger, dans l’immédiat.
De toute façon, sa proposition n’était pas innocente. Renvoyer Raelyn vers le convoi, c’était garder un œil sur l’intéressée. Et si Lorena était fiable – ce qui n’était pas garanti –, il pourrait peut-être même la confier à la commerçante. Ce qui lui donna une autre idée.
- A dire vrai, si vous êtes une herboriste ambulante, vous pourriez même intégrer la caravane qui va bientôt repartir vers la capitale. Vos produits pourraient trouver des acheteurs là-bas, et pour le temps du voyage, vous seriez sous la protection de la garde et du conseiller royal.
L’intégrer ne poserait aucun problème si c’était lui qui le voulait. Au besoin, ils pourraient même faire passer Raelyn pour une connaissance de Lorena.
- Cependant, je ne veux pas vous couper l’herbe sous le pied, poursuivit Rhis dans un sourire apaisant. J’ignore si vous avez des projets dans la région, et je comprendrais si cette opportunité ne vous intéresse pas.
Sa proposition d’aller voir la mère de Lorena restait pertinente, tout du moins. D’ailleurs, s’il les accompagnait, il pourrait même interroger celle-ci sur l’intégration… subite de sa fille, dont il n’avait pas été prévenu au préalable. L'espion s’attendait à ce que Rael refuse à rejoindre le convoi, soit parce qu’elle était une herboriste qui n’en avait rien à faire, soit parce qu’elle était une fugitive qui n’avait aucun intérêt à retourner à la capitale, puisqu’elle y avait agressé un conseiller et qu’une enquête à son propos était ouverte.
Et puis, si comme Zah le soupçonnait, elle fuyait quelque chose ou quelqu’un, retourner dans la gueule du loup ne serait pas une bonne idée, à moins qu’elle ne soit protégée en conséquence. Le conseiller devrait sans doute prendre en compte ce point si elle était bien Nevaeh et qu’elle les accompagnait, mais pour le moment, tout n’était que conjonctures et suppositions.
Quoi qu’il en soit, Rhis fronça des sourcils lorsque Lorena réagit à sa tira et proposa de faire diversion, voire même de devenir bouclier humain si c’était nécessaire. Non, ce n’était pas ce qu’il lui demandait et il croisa le regard de ses deux interlocutrices avec un air un peu plus sérieux, où transparaissait d’ailleurs davantage son rôle de protecteur royal.
- Je ne veux pas de blessés ni de victimes. Si une personne doit protéger quelqu’un et se mettre en danger, ce sera moi. Pas question d’être un bouclier humain et de se mettre en péril, même dans le but louable de sauver quelqu’un.
Son regard était résolu et ferme, et Rhis reprit bientôt la parole avec une voix plus adoucie, un sourire honnête apparaissant sur son visage. Il s'adressa plus particulièrement à Lorena et se tourna d'ailleurs légèrement vers elle.
- Malgré tout, je te remercie d’y avoir pensé. Mon but n’est cependant pas de mettre en danger autrui mais de protéger ceux qu’on me confie.
Cela, au moins, était vrai, et Rhis se concentra ensuite sur les propos de Rael. Elle prétendait ne pas être du coin et ne pas pouvoir les aider. C’était une réponse facile, qu’il aurait aisément pu croire s’il n’avait pas été en mission et si Lorena ne l’avait pas appelée par le nom de « Neva ». Il ne pouvait néanmoins pas se départir de ses soupçons, et quand la jeune femme proposa de parler à la garde, voire même de leur donner le nom d’un de ses amis, l’espion secoua légèrement la tête.
- Je ne veux négliger aucune piste, donc je ne dirai pas non à recevoir le nom de votre ami à la Guilde, fit-il. Après tout, il était un aventurier, et quel aventurier se méfierait de son employeur ou tout du moins des membres afférents à la Guilde ? Peut-être même obtiendrait-il un nom intéressant. Cela étant dit, je crains que parler à la Garde ne soit inutile. Avec l’arrivée du conseiller royal il y a quelques jours, ils ont eu d’autres choses à penser, et quand j’ai soumis à l’un d’eux la disparition de cette jeune femme, j’ai été accueilli par un subalterne qui m’a suggéré qu’elle avait fugué et que je devais rentrer voir si elle n’était pas revenue au bercail. M’est avis que ce n’est pas son intérêt si elle veut se faire discrète pour… une raison qui lui est propre apparemment. Peut-être fuit-elle quelque chose ou quelqu'un.
Evidemment, cette histoire de subalterne n’était qu’un mensonge, mais prétendre que Rhis avait été reçu par un garde fade qui n’avait même pas pris la peine de se renseigner sur les dernières enquêtes en cours l’arrangeait bien.
- Je ne prétends pas vouloir la ramener chez elle si elle ne le désire pas. Mais je voudrais en savoir plus pour la mettre au minimum en sécurité et en savoir plus sur la situation actuelle.
Cela, c'était vrai aussi, sous réserve que ce n'était pas une meurtrière dangereuse non plus. La cheffe des espions avait pu lui donner quelques informations, mais l'affaire était trop vague pour qu'il rejette une piste ou l'autre et il ne devait fermer aucune possibilité quant à la fuite réelle de Nevaeh.
Néanmoins, elle écouta la proposition... Et se demanda encore plus sérieusement si le conseiller n'avait pas un pouvoir de télépathie. C'était presque exactement ce à quoi elle avait pensé ! D'un autre côté... Le fait de ne pas avoir eu à répondre lui avait permis de réfléchir. En réalité, elle avait quitté le convoi avec la date du départ pour le retour, dans l'optique de rentrer avec tout le monde, si sa quête lui en laissait l'opportunité. Pour ce faire, sa "mère" et elle avaient défini un scénario à appliquer au retour de Kasha-Lorena. Lorena était censée être une élève dissipée et peu motivée. Mettre en scène une fugue puis un retour dicté par la culpabilité était donc très facile. Mais si Raël acceptait de les accompagner, le retour serait plus rapide que prévu... Elle n'avait plus qu'à espérer que son alliée savait improviser. Mais pour l'instant, il fallait répondre :
- Alors, encore une fois, Alban m'a sorti les mots de la bouche. Mais d'abord, laissez-moi répondre à votre question. Pour l'instant, je me spécialise en denrées alimentaires, mais connaissant ma mère, elle va certainement vouloir me former à d'autres domaines. D'ailleurs...
Elle marqua une pause, puis, le regard fuyant, s'adressa au conseiller.
- Alban, je suis vraiment désolée. Mais... J'ai menti. Avant de venir, je n'étais pas juste en train de me balader. En fait...
Elle marqua une pause, le temps d'avaler sa salive et de donner tous les signaux de la personne qui ne veut pas dire ce qui va suivre, mais qui sait qu'elle le dira de toutes manières. Puis, avec une grande inspiration, elle reprit :
- Je fuyais. J'ai fui une leçon de mathématiques. Ma mère est persuadée que c'est parce que je suis nulle dans cette matière que je n'arrive pas à me faire respecter, mais ses cours sont trop intensifs... Enfin, je ne suis pas ici pour me plaindre. Je voulais simplement rétablir la vérité.
Kasha ricana intérieurement. La "vérité", hein... Calme-toi, Lorena, n'oublie pas que tu n'existes même pas !
Reprenant ses esprits, elle s'adressa de nouveau à Raël :
- Mais je pense moi aussi que ce serait une bonne idée que vous la rencontriez. C'est l'une des meilleures marchandes de notre convoi, il est évident qu'elle saura vous aider. Je voulais simplement dire que je ne sais pas comment elle réagira face à mon retour, mais elle fera sûrement des efforts pour une potentielle collaboratrice.
Puis vint une proposition pour le moins inattendue. Intégrer la caravane ? Voilà qui serait intéressant pour elle aussi, cela lui donnerait peut-être une occasion de se présenter à l'herboriste telle qu'elle était vraiment, sans le conseiller dans les parages. Elle imaginait déjà comment cela pourrait se faire. Elle prendrait congé de l'homme en prétextant des négociations privées, puis profiterait du fait qu'elles ne seraient que toutes les trois pour sortir sa plaque d'aventurière... Et savoir une bonne fois pour toutes si elle avait vraiment fait fausse route.
Elle revint à elle en entendant les mots "bouclier humain". Ah. Oups. C'était à elle qu'on parlait, non ? Elle allait donc encore devoir essayer de rattraper le fil sans se faire prendre... Ce qui serait visiblement peine perdue.
Même si elle avait loupé la majeure partie de sa tirade précédente, elle entendit parfaitement les mots du conseiller à son égard qui suivirent. Elle hocha la tête : elle avait compris. Mais elle ne put s'empêcher de lâcher :
- Mais je n'ai pas envie d'être inutile...
Puis, ses deux compagnons se lancèrent dans une conversation qui ne concernait plus Lorena. Alors, pour se donner une contenance, elle se concentra sur son assiette, prudemment, cette fois. Il ne faudrait pas qu'elle se brûle encore.
Du moins, c'était ce qu'elle faisait en apparence. Kasha, elle, écoutait réellement. Et lorsque l'ami à la Guilde fut énoncé, elle eut du mal à se retenir de poser des questions. Evidemment, elle ne connaissait pas tous les aventuriers, ils étaient bien trop nombreux, mais elle estimait en connaître un certain nombre, ne serait-ce que de nom. Surtout depuis sa récente visite aux Archives, où elle avait consulté un registre des aventuriers présents et passés... Bien sûr, à ce moment, elle avait un objectif précis en tête, donc elle n'avait pas fait attention au noms autres que celui qu'elle cherchait, mais peut-être que son inconscient, lui, avait été plus sérieux et que l'évocation d'un nom lui dirait quelque chose... Même si cela était peu probable.
& Kasha Shlinma
Y avait-il réellement un convoi ou était-ce une ruse pour la mener vers un piège ? Logiquement, une commerçante ne serait pas hésitante à rencontrer un groupe de marchand pouvant l’aider. Cependant, elle n’était pas réellement une commerçante et elle n’avait aucune envie à rencontrer le convoi. Jusqu’à présent, Nevaeh avait réussi à garder sa présence quasi-inexistante. Elle s’était assurée de garder un profil bas et elle avait tenter d’être facilement oubliable. Enfin, cela était sans prendre en compte quelques personnes dont Sileas. Elle se doutait bien qu’il fût assez difficile d’oublier la flèche qu’il s’était prise en plein torse. Heureusement pour lui, et pour elle, qu’il avait une armure. Si elle avait causé une blessure mortelle à un camarade qu’elle considérait un ami, elle ne s’en remettrait pas.
« Votre offre est très intéressante. Je serais bien curieuse de rencontrer votre mère et le reste des marchands. Cependant, il se fait tard, peut-être que je pourrai vous voir une autre fois. Pour ce qui est de rejoindre le convoi… »
Quelle excuse pourrait-elle bien donner ? Elle s’en était plutôt bien sortie pour éviter de rencontrer le convoi. Même si on lui proposait une autre journée, elle ne se pointerait simplement pas. Elle n’aurait qu’à rester dans les grottes et attendre que les marchands retournent à la capitale… Enfin, s’ils ne restent pas en ville pour trop longtemps.
« J’ai malheureusement d’autre plan. Voyez-vous, j’ai fait une commande spéciale à un enchanteur du coin et cela va prendre un peu de temps avant qu’il ne puisse me donner ce que je lui ai demandé. »
Encore une fois, la toile de demi-vérité s’agrandissait. Il était vrai qu’elle avait fait une commande spéciale à un enchanteur, cependant, elle avait déjà reçu l’objet en question. Sa chevelure dorée cachait la boucle d’oreille en forme de dragon. Si quelque chose devait arriver, elle pourrait utiliser l’enchantement, toutefois l’activation n’était pas subtile. Elle ne voudrait pas alerter l’un deux en faisant soudainement briller le bijou. Et puis pour le moment, elle ne sentait pas le besoin de l’utiliser.
Nevaeh haussa un sourcil en entendant Lorena se proposer comme un bouclier humain. Quelle idée ridicule. Quel était le but d’engager un aventurier pour se faire protéger si elle ne le laissait pas faire son travail ? Elle eut un frisson de frustration en se remémorant des clients un peu trop difficiles. Au sitôt que les souvenirs remontèrent à sa mémoire, elle les chassa. Elle devait se concentrer, ce n’était pas le temps de penser au passé. Elle nota mentalement la mention du conseiller royal, tout en se disant qu’il serait probablement mieux pour elle de rester dans les grottes le temps que cette personne soit dans les parages. Elle ne voudrait tout de même pas attirer l’attention d’une personne de si haute importance… Si seulement elle savait… Elle s’étouffa sur sa salive lorsque Alban lui annonça qu’il avait soumis sa disparition à la garde. Quel cauchemar. Pourquoi se faire passer morte est-il si difficile ? Malgré le choc de cette nouvelle, l’ex-hôtesse garda son calme.
« Si vous en avez parlé avec la garde, alors je suis sûre qu’ils ne resteront pas les bras croisés. Mais je comprends le désir de vouloir régler cette situation par vous-même. »
En même temps, si la garde pensait qu’elle avait simplement fugué, peut-être qu’aucune investigation ne serait faite. Cela l’arrangerait. Cela dit, il ne faudrait pas que cette information remonte jusqu’au capitaine de la garde royal. Avec un peu d’espoir, les histoires de fugue n’intéresseraient pas la garde royale et encore moins le capitaine.
« Si elle a bien fugué pour fuir quelque chose, ou quelqu’un, il va être difficile de la retrouver. Le monde est grand. Elle pourrait être n’importe où. Par exemple, elle pourrait avoir fui vers la forêt, celle-ci est très grande et dense. Il serait facile de vivre là sans se faire trop repérer. On peut chasser et faire des cueillettes pour se nourrir. Cela permet facilement d’économiser quelques cristaux. »
Elle évita de mentionner les montagnes, tentant de rediriger leurs recherches plus loin, là où elle n’était pas.
« Sinon, elle pourrait être au Grand Port. C’est une très grande ville. Elle pourrait se fondre avec la foule. »
Elle fit une pause une seconde se demandant si c’était une bonne idée de parler du grand port. Après tout, il y avait des affiches avec son visage avec une mention de personne disparue… Mais cela faisait déjà un bon moment que cette histoire, c’était passer. L’amiral avait sûrement clos ce dossier. Du moins, elle l’espérait.
« Il y a beaucoup d’endroits à couvrir. J’ai presque l’impression que vous cherchez une aiguille dans une botte de foin. Je dois dire que je ne sais pas comment vous aller la retrouver, mais si vous avez besoin d’aide, mon contact à la guilde n’est nul autre que monsieur Whiskeyjack Callahan. »
Serait-ce si étrange pour une herboriste ambulante de connaître le conseiller ? Non, après tout, qui ne connaissait pas Jack ?
La suite de la conversation surprit davantage le conseiller royal, puisque la demoiselle lui révéla qu’elle avait menti. Ah, tiens. Voilà une tournure qu’il n’avait pas prévue. Mais les aveux de la jeune femme ne furent pas si croustillants que ça. Fuir une… leçon de mathématiques ? Sérieusement ? Elle ne pouvait pas trouver autre chose ? Enfin, peut-être que la miss disait la vérité, bien entendu, mais subir des leçons de mathématiques étaient à ce point une torture ?
Quoi qu’il en soit, le beau brun retint un rictus quand Lorena lui dit qu’elle voulait simplement rétablir « la vérité ».
- Il y a tellement de vérités différentes en ce bas monde, et tellement de mensonges aussi qu’on peut en perdre la tête, n’est-ce pas ? demanda-t-il en haussant les épaules. En soi, il n’attendait pas spécialement de réponses, mais son geste de nonchalance montrait bien qu’il n’allait pas faire tout un drame du « mensonge » de Lorena.
L’explication était simple : sa cible était Nevaeh Farley, pas une inconnue qui avait récemment intégré sa caravane.
Dans tous les cas, Lorena souligna qu’il serait intéressant que Raël rencontrât sa mère et Rhis opina légèrement quand elle affirma que c’était une des meilleures marchandes du convoi.
- En matière de marchandises et de denrées, c’est une référence, appuya l’espion, donc n’hésitez pas à aller la voir. Peut-être pas ce soir – sauf si vous voulez dormir avec les personnes du convoi, une personne en plus ne tuera personne et Clara est une personne tout à fait sociable. Sinon, Lorena peut vous retrouver demain ici, suggéra simplement Rhis.
Leur conversation continua ensuite, et Raël manifesta son intérêt pour rencontrer la mère de Lorena. Elle sembla davantage hésiter quant à l’idée de rejoindre le convoi, mais elle finit par décliner l’invitation. Apparemment, elle avait fait une commande spéciale à un enchanteur et cela prendrait donc un peu de temps, elle ne voulait donc pas quitter la ville avant d’avoir reçu son bien. C’était une excuse… valable. Même si ça embêtait clairement Rhis, avouons-le. Quant à l’efficacité de la Garde… L’homme laissa échapper un léger rictus.
- Je ne veux pas remettre en doute l’efficacité de nos miliciens, mais parfois, les enquêtes prennent trop de temps, et c’est pénible. Il vaut mieux se débrouiller nous-mêmes que d’attendre que les choses nous soient servies sur un plateau d’argent. Je pense qu’en tant que commerçantes ou herboriste ambulante, vous comprendrez, fit-il autant à l’attention de Raël qu’à Lorena.
La demoiselle qu’ils venaient de rencontrer leur fit en tout cas part que la fugitive pouvait aussi bien être dans la grande forêt près du Village Perché qu’au Grand Port, et Rhis resta silencieux en la laissant parler ouvertement. La jeune femme n’avait pas tort de dire qu’il cherchait une aiguille dans une meule de foin… Mais il tiqua quand elle mentionna Whiskeyjack Callahan. Conscient que ça n’avait pas dû échapper à ses deux interlocutrices, il reprit la parole en soupirant.
- Whiskeyjack Callahan est justement celui qui a été attaqué à la Guilde. Je veux comprendre quelles étaient les raisons de cette attaque et pourquoi… Sachant que mon but n’est pas forcément d’amener Nevaeh Farley en prison. Je veux juste évaluer concrètement ce qu’il s’est passé, et voir s’il faut agir en conséquence. Puisque c’est votre votre contact à la Guilde, peut-être vous a-t-il dit quelque chose d’intéressant ?
C’était peut-être sa répartie la plus honnête de la soirée.
Les espions avaient aidé Jack dans sa campagne de recrutement, et Zahria était une excellente amie de ce dernier, s’il avait bien tout compris. Elle l’avait même aidé pour qu’il accède à son rôle de conseiller. La maître-espion voulait donc savoir pourquoi on en voulait à son protégé.
Cela dit… Si Nevaeh avait bien attaqué Jack, oserait-elle seulement recommander à Alban et à Lorena d’aller voir le conseiller de la guilde ? Il fallait avoir un sacré tempérament pour faire ça, ou voir toujours celui qu’on avait attaqué comme un ami. Rhis avait envisagé pendant un court moment que Raël pouvait le renseigner, interpellé par sa ressemblance avec les affiches qu’il avait vues. Mais peut-être se trompait-il en fin de compte… Personne n’était parfait, pas même l’espion royal, et les erreurs étaient toujours possibles chez l’un ou chez l’autre.
Enfin. Il s'agissait de la solution idéale. Evidemment, cela ne pouvait pas être aussi simple en réalité. Alors, comme un peu boudeuse, elle ignora sa remarque. Néanmoins, elle hésita. Il la soutenait... Quel était son but, au final ? Enfin, peu importait. Neva (Kasha persistait à l'appeler ainsi, du moins dans sa tête) finit par décliner l'offre. Oh... Décidemment, elle ne comprenait plus rien aux motivations de ses deux compagnons. Néanmoins, elle ne put retenir un rire lorsque l'homme mentionna le terme "sociable" au sujet de la marchande... Non, décidemment, ça ne collait pas.
- Euh... Je ne sais pas si c'est parce que vous l'appréciez ou quoi, mais moi, je ne la qualifierais pas de "sociable"... Compétente, oui, à fond, sociable... Moins, disons. Mais sinon, oui, je peux parfaitement revenir... Seule.
Avec ce dernier mot, elle avait glissé un coup d'oeil au conseiller. Oui, elle ne comptait pas cacher qu'à présent, elle aimerait bien qu'il aille faire autre chose. Ou qu'elle-même se retrouve seule à seule avec la demoiselle. Cela pourrait en effet être une alternative intéressante.
Puis ils se mirent à discuter de la Garde. Kasha-Lorena donna une fois de plus l'impression de ne pas s'y intéresser, et se concentra sur son assiette... En apparence. Evidemment, elle écoutait. Il lui semblait que la jeune femme cherchait à brouiller les pistes... Pourquoi ? Néanmoins, elle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus en détails, manquant de s'étouffer à la mention de Jack. S'agissait-il vraiment de... En même temps, il était impossible qu'il existe deux personnes avec un tel nom, plus compliqué, c'était impossible ! Et c'était lui la fameuse "victime" ? Oui, Kasha n'avait pas vraiment fait attention aux détails de la rumeur, qu'elle avait choisi de ne pas croire. Mais à présent, elle la voyait d'un nouvel oeil. Alors, apparemment, deux personnes qui lui étaient chères étaient en opposition ? D'un autre côté... Il s'agissait d'une rumeur. Rien ne disait que c'était vrai. Alors, intervenant brusquement, elle répliqua avec ferveur à la dernière réplique de l'homme, le coupant presque :
- Rien ne dit qu'il a VRAIMENT étéattaqué ! Il ne faut pas toujours croire les rumeurs... D'où tenez-vous vos informations, d'abord ?
Et mince. Elle avait encore parlé trop vite... Comment s'en sortirait-elle si on lui demandait des comptes, à présent ? Encore une bêtise qui risquait de lui coûter cher... Mais elle ne regrettait pas ses paroles pour autant.