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Aurélius se tenait sur la place d’embarquement un peu à l’écart du grand-port. Une petite foule de gens s’était agglutinée devant l’estrade. Des artistes, des chorégraphes des gérants de salles de spectacle, tout le beau monde que l’annonce d’un concours avait rassemblé au pied du désert volant. Le ministre se félicitait d’avoir réussi à attirer autant de gens, la grande soirée qu’il préparait serait certainement un franc succès et les représentations magnifiques ! Dommage qu’il ne serait pas là pour le voir.
Il s’avança à la vue de tous et instantanément, les discussions se turent pour écouter son allocution.
« Mes amis, bonjour. Je vous ai rassemblé aujourd’hui pour une mission de la plus haute importance. Vous n’êtes pas sans savoir que notre cher royaume tente de coloniser l’immense terre de sable qui nous surplombe en ce moment *il désigne le désert volant de la main* et nombre de nos compatriotes ont pris les ballons pour construire une nouvelle Aryon dans le ciel. Si je vous ai rassemblé ici mes amis, c’est pour que nous leur apportions notre soutient. Là-haut, la vie est dure, là-haut la vie est sèche, là-haut la vie est morte. Mais ce n’est pas une fatalité.
Depuis toujours, vous tous vous efforcez de rendre la vie moins dure, de la rendre plus arrosée et de la faire grandir autour de vous. Vous êtes danseurs, chorégraphes, sculpteurs, peintres, musiciens … chaque fois que vous produisez de l’art, vous produisez de la vie. Aucune magie, aucune technologie ne peut faire ce que nous faisons, ce que VOUS faites depuis de siècles. Et croyez-moi mes amis quand je vous dis que nos compatriotes ont besoin d’un peu de vie dans leur quotidien. En ce moment, ne serait-ce que pour faire face à l’immense tâche de conquérir cet immense désert ! »
Aurélius finit sa phrase grandiloquente en accueillant les applaudissements avant de continuer.
« Cette aventure prendra la forme d’un concours, avec à la clé la possibilité d’obtenir un financement ministériel pour la construction d’un établissement d’amusement ou culturel en Aryon ou dans la colonie. Vous serez bien sûr tous payés pour votre prestation, même si vous n’êtes pas les heureux gagnants. Pour plus d’équité, vous serez apparié au hasard avec un membre de cette assemblée. Ensuite, il vous incombera de produire une prestation, un spectacle, une représentation qui sera exécutée devant toute la colonie le mois prochain. Le ministère de la Culture accordera une attention toute particulière à l’originalité de vos idées ainsi qu’à la qualité de la prestation. N’oubliez cependant pas le principal, ce sont nos compatriotes qui seront les seuls jugent de ce que vous proposerez, alors prenez bien le temps de vous intéresser à leur quotidien avant de faire vos choix artistiques. Maintenant, je vous invite à vous diriger vers le stand sur votre gauche ou le tirage au sort aura lieu. Bonne chance à tous ! »
Aurélius les salua et descendit de l’estrade marquant le début de la compétition.
Néa, son shupon, s’était caché dans son sac à dos et ne laissait que sa tête dépasser. Elle était accompagnée de deux autres têtes. L’une, aux oreilles dressées et à l’écoute des moindres sons, était celle de Kanne, son fiouk. L’autre, de la couleur du soleil et aux oreilles allongées, était celle de Citrus, son glooby. La sculptrice avait laissé le soin à Nessa de prendre soin de Chionée et Ull, deux familiers qui supporteraient mal les températures désertiques. C’était l’une des premières fois qu’elle partait avec sa petite troupe. Néa, probablement surprise par ce que ressentait l’humaine, s’extirpa du sac pour planer jusqu’à l’épaule de sa maîtresse et frotta sa tête contre sa tempe. Un sourire releva les commissures des lèvres de la citoyenne et elle désigna d’un signe de tête l’immense île de laquelle ils s’approchaient : « Ne t’en fais pas, ma toute belle. Je vais bien. J’ai hâte d’arriver à bon port et de commencer à préparer ce concours… ».
C’est ainsi qu’elle mit pied à terre une nouvelle fois dans le Désert Volant. Apprêtée pour l’occasion d’une tenue complète réalisée avec un tissu anti-climat, elle fut escortée jusqu’à l’un des modestes dortoirs conçus pour accueillir ceux qui venaient prêter main-forte à ce qu’on avait appelé la colonisation. Il y avait six lits et une petite armoire pour chacun d’entre eux. Elle rangea ses affaires et ne prit que le strict minimum avec elle - dans son sac sans fond - avant de se tourner vers Néa, Kanne et Citrus qui regardaient les environs avec beaucoup de curiosité. Très maternelle, elle posa un genou sur le sol et leur fit signe de s’approcher pour qu’ils écoutent les consignes du jour. Ils avaient pour mission de ne pas bouger d’ici et Néa, avec la magie de télépathie qu’elle avait apprise, avait ordre de la prévenir à la moindre chose suspecte. « Je compte sur toi, Néa, pour surveiller Kanne et Citrus. Ils sont encore si petits comparés à toi. Tu me le promets ? ». Il lui semblait que son shupon lui répondait par l’affirmative mais, n’étant pas doté de parole humaine, elle ignorait si elle la comprenait entièrement…
Elle se dirigea vers le centre du campement, pour le visiter un peu, et promena son regard sur les différents bâtiments qui faisaient la colonie. Ce n’était pas encore bien-grand, mais il y avait au moins le minimum de confort au fur et à mesure que les jours passaient. De nombreuses personnes se pressaient autour d’elle, s’affairant à leurs activités quotidiennes ou une activité bien précise. Elle avait hâte de mettre la main à la pâte - enfin, dans le sable - pour y contribuer aussi. N’y résistant plus, elle se pencha d’ailleurs pour attraper un peu de sable chaud dans sa main et le manipuler à sa guise.
Perdue dans ses songes, elle voyait se dessiner le visage de l’aventurière qui avait été mis en duo avec elle pour répondre à l’appel du Ministre Lehnsherr - c’est étrange, il avait le même nom que… -, et elle se demandait comment sa coopération avec cette jeune femme aux cheveux blancs se passerait. Lorsqu’elles étaient encore au Grand-Port, elles avaient longuement discuté et la sculptrice avait appris plusieurs choses sur elle. Premièrement, elle s’était retrouvée là complètement par hasard. Elle n’était pas une artiste, mais elle comptait bien ne pas l’abandonner et l’aider à relever le défi. Deuxièmement… Il n’y en avait pas. Les deux jeunes femmes s’étaient mutuellement renseignées sur leur don puis s’étaient données rendez-vous, quelques jours plus tard, sur l’île volante, et elle ne comptait pas lui faire faux bond.
Elle délaissa donc le sable chaud pour se réfugier à l’intérieur de la seule taverne de la colonie. Il n’y avait pas meilleur endroit pour convenir d’un point de rencontre dans un lieu totalement inconnu. Elle était d’ailleurs un peu en retard, puisqu’elle reconnut sans peine la dégaine de la dénommée Sofia. Le sourire aux lèvres, elle s’approcha et se présenta de nouveau, au cas où la mémoire de l’aventurière lui faisait défaut ou que la sculptrice était méconnaissable.
- Bonjour Sofia, c’est Ivara ! On s’est vues y’a quelques jours… Enfin bon, tu le sais bien puisque t’es là. T’as déjà commandé un truc ? Excusez-moi, je vais vous prendre une bière s’il-vous-plaît. Merci.
Elle s’était adressée à un serveur et s’était ensuite assise en face de son interlocutrice. Elle l’avait détaillé de haut en bas, notant dans un coin de sa tête tout ce qu’elle pouvait bien trouver utile à conserver. Actuellement, elle se sentait un peu plus Ivara. C’était la femme d’affaire qui s’exprimait, celle qui avait l’habitude de gérer sa boutique.
- Tu as fais bon voyage ? C’est la première fois que tu viens ici ? demanda-t-elle aussitôt en posant ses deux bras sur la surface en bois devant elle. Le serveur déposa sa bière -et celle de Sofia si nécessaire- et elle l’attrapa aussitôt pour trinquer avec l’aventurière. Je te propose de boire un coup à cette formidable aventure qui nous attend ! Ce qu’elle fit aussitôt en buvant une longue gorgée de sa boisson. Bon alors ! Tu m’as un peu parlé de ton don mais je crois pas avoir tout saisi. Tu peux m’en reparler précisément et me redire tes affinités avec le monde artistique ?
Plusieurs jours plus tard, je me rendis vers la demeure du Ministre. Un ministre, rien que ça... Mais dans quoi je m'étais encore fourrée... ? La baraque transpirait la richesse, c'était un peu trop luxueux pour moi. Je préférais de loin ma petite maison au Village Perché, dans laquelle je pouvais y retrouver ma compagne. Une vie simple en fait, sans se prendre la tête avec tous ces trucs mondains, là. Il y avait du monde qui avait répondu présent à l'appel du Ministre. Je devais être la seule paumée sans aucune notion d'art. Enfin, si, j'avais réussi à improviser un poème de douze pieds par ligne, pendant la fête de la Muse du Soleil. Un exploit quand même ! Pas le genre d'exploit que j'allais crier sur tous les toits... Encore moins à Eve, qui allait surement se foutre de ma gueule. Ou alors me demander de lui réciter ce poème. Et se foutre de ma gueule après. Bref, après avoir seulement écoutée un mot sur deux du Ministre -qui parlait trop-, je me retrouvai en binôme avec une belle blonde, pas aussi belle que ma belle brune, du nom d'Ivara.
Ivara. Une femme qui avait l'air drôlement sympathique. Une sympathie telle que, sur le coup, j'avais pas envie de lui coller la honte et d'avoir l'air d'un boulet qui allait gâcher son moment. Et j'avais surtout pas envie de passer pour la première des connes devant un tas de gens. Elle me donna rendez-vous au Grand Port pour échanger un peu et en apprendre davantage sur moi. Après avoir faire connaissance avec elle, je la quittai pour la retrouver dans plusieurs jours au désert volant. Jour qui arriva rapidement. J'annonçai mon départ à Eve, que j'avais retrouvée entre temps, qui ne manqua pas de me taquiner. Arrivée sur place, je m'installai au seul endroit familier du coin : Une taverne. C'était là que j'avais rendez-vous avec la blonde en plus. Je commandai une bière et patientai l'arrivée de cette dernière.
"Bonjour Sofia, c’est Ivara !"
Je sursautai légèrement, comme j'étais carrément pas concentrée sur ce qui m'entourait.
"Euh, salut..." Fis-je, un peu maladroite.
"On s’est vues y’a quelques jours… Enfin bon, tu le sais bien puisque t’es là. T’as déjà commandé un truc ? "
"Ou...Ouais."
Je soulevai ma bière, pendant qu'elle passait commande à son tour. Hé ben, elle semblait énergique, celle-là. Comme c'était une femme, peut-être que ça me gênait moins, mais je pouvais pas promettre de supporter ça trop longtemps.
"Tu as fais bon voyage ? C’est la première fois que tu viens ici ?" Demanda-t-elle.
"Ca été, ouais. Et non, je suis déjà venue ici pour une mission."
Elle posa ses deux coudes sur la table et me fixa dans les yeux. Ou le bandeau. Maintenant que je la voyais de prêt, difficile de nier le fait qu'elle était carrément canon. Elle récupéra sa bière pour trinquer avec moi.
"Je te propose de boire un coup à cette formidable aventure qui nous attend !"
Haha.... Ouaiiis, super, l'aventure. Tout ça. Pleine de... paillettes, de pétales et tout ça.
" Bon alors ! Tu m’as un peu parlé de ton don mais je crois pas avoir tout saisi. Tu peux m’en reparler précisément et me redire tes affinités avec le monde artistique ?"
Je blêmis aussitôt. Mes affinités avec le monde artistique hein... ? Bordel, elle allait vraiment me voir comme la pire des boulets. J'en avais marre de me taper la honte à chaque fois, depuis mon retour, à me retrouver dans des situations bizarres.
"Je... hum. Je me raclai la gorge, histoire de reprendre un peu contenance. Je suis capable d'invoquer deux ombres sous forme de tentacule... Comme ça."
La lumière présente dans la taverne me permettait aisément de faire appel à mes deux bras d'ombres qui vinrent serpenter autour d'Ivara.
"Comme j'aurais rien à porter avec, j'pourrais les garder avec moi pour environs trente minutes. Mais il m'faut de la lumière. En gros, c'comme deux bras supplémentaires, je peux faire un peu c'que je veux avec."
Avec l'un deux, j'attrapai ma chope de bière pour la porter à mes lèvres sans aucune difficulté. Comme si c'était réellement mes propres membres.
"En plus d'elles, je peux appeler Nott et Svartur, mes deux serpents d'ombres. Ils sont adorables, tu verras. J'vais p't'être pas les sortir ici, ils risquent d'abimer la toiture."
Et comme je n'aimais pas "gaspiller" inutilement le temps de présence de mes ombres, je fis disparaître mes deux tentacules.
"Et pour répondre à ta question... Sur mes affinités avec le monde de l'art... Euh.... J'ai improvisé un poème devant un publique, un jour.... Ca compte ?"
Voila, comme ça, là, elle allait bien comprendre que c'était pas du tout mon truc. Mais hors de question de me dégonfler, je devais assumer jusqu'au bout maintenant. J'allais tout faire pour aider Ivara à pondre un truc sympa pour les colons du coin.
Toujours est-il que si l’effet qu’elle veut obtenir avec ça c’est de se faire reluquer avec le moins de discrétion, c’est ce qu’elle vient d’obtenir avec Ivara. Elle a un mouvement de recul lorsqu’elle voit les deux ombres devenir une extension du corps de son interlocutrice et retint un hoquet de surprise en voyant que l’une d’elle lui permet même de boire le contenu de sa choppe.
- Hé bé ! s’exclame-t-elle en avançant une seconde fois son buste et ses avants-bras vers la table en bois. C’est un sacré don que tu as là. Et tu les as même nommés… Hm… Intéressant.
Elle garde ça dans un coin de sa tête, bien qu’elle n’ait pas vraiment écouté tout ce que Sofia a pu lui raconter. Évidemment, elle était trop concentrée sur le bandeau qu’elle a sur les yeux. D’ailleurs, alors même qu’elle vient de lui avouer qu’elle n’a pas vraiment d’affinités avec le monde artistique et que la seule fois où elle a, plus ou moins, approché le monde de l’art c’était pour déclamer un poème public improvisé, Ivara lève la main, avec le coude toujours posé sur la table, l’index levé et les lèvres entrouvertes.
- Excuse-moi, j’vais t’couper mais j’veux savoir. Ce bandeau. Tu es aveugle ? Ou…
Elle ne termine pas sa phrase, laissant les points de suspension faire leur travail et Sofia lui répondre. Une fois sa curiosité satisfaite, et après une petite gorgée de bière, elle acquiesce et embraye sur le sujet principal.
- Ok, désolée si j’ai été intrusive. Mais c’est… Perturbant. D’te voir arriver comme ça et, surtout, d’pas voir tes yeux. Enfin, le spectacle ! Alors, si je te parle de… Michailange’lo ? Raffael ? Rambran ? Ces noms t’évoquent quelque chose ?
Probablement pas, au vu de ce qu’elle lui a raconté juste quelques minutes auparavant. Mais, hé, on ne sait jamais, sur un malentendu, elle a peut-être une culture artistique plus développée que ce qu’elle laisse sous-entendre au premier abord. Et puis, même si ce n’est pas le cas, la jeune sculptrice a plus d’un tour dans son sac pour que Sofia et elle parviennent à réaliser un spectacle qui saura ravir ceux qui travaillent ici d’arrache-pied pour établir une colonie sur ce Désert Volant.
- Je ne crois pas t’avoir entendu me raconter pourquoi tu t’es inscrite ? Et puis, comme je pose beaucoup de questions, sache que tu peux m’en poser tout autant ! J’ai tendance à faire quelques déformations professionnelles… Elle tire la langue, comme pour s’excuser et son nez se retrousse avant de retrouver sa position initiale. Enfin, je suis aussi très curieuse. Peut-être même trop.
Elle retient un petit rire en recouvrant délicatement ses lippes avec le bout de sa dextre, lançant un regard complice à Sofia. Définitivement, c’est Ivara qui est présente ce soir et qui a pris le dessus. Toutes les craintes que le mercenaire aurait pu lui donner se sont envolées. Elle ne pense qu’au concours et, au fond de son esprit, a germé une idée folle par rapport au Ministre de la Culture, Lehnsherr. Mais, pour le moment, elle apprend encore à découvrir celle avec qui elle va faire équipe.
La tâche n’est pas aisée. On ne sait jamais si l’autre va nous trouver trop intrusif, étrange ou même en train de dépasser les bornes. Alors, en posant ces questions et en écoutant Sofia y répondre, quand elle veut bien, Ivara la jauge du regard. Elle fait à la fois appel aux compétences de la négociante et du criminel. Pour l’instant, c’est encore flou. Elle ne sait toujours pas sur quel pied elle va bien pouvoir danser avec cette autre femme. Et puis l’alcool aide à délier les langues et à rapprocher les gens les uns des autres, non ?
- Je serais ravie de voir une démonstration de vos deux serpents. Je pense qu’ils pourront nous être très utiles pour créer quelque chose.
Même si elle n’en parle pas encore, elle est déjà en train de réfléchir, très intensément, à ce qu’elles peuvent proposer. Des ombres, du sable, des serpents… Que demander de plus ? Elle est certaine qu’elles réussiront à créer quelque chose de spectaculaire.
"Hé bé ! s’exclama-t-elle C’est un sacré don que tu as là. Et tu les as même nommés… Hm… Intéressant."
Je hochai doucement la tête.
"Juste les serpents, mais oui..." Précisai-je.
Pour, ça aurait été bizarre de nommer mes tentacules. Ca serait comme donner des noms à mes bras ou mes jambes... Enfin, y'avait bien des hommes bizarres qui donnaient des noms à leur service trois pièces. Voir même à la poitrine de leur compagne... C'était vraiment des dégénérés. Ivara ne me laissa pas poursuivre, puisqu'elle leva poliment la main pour m'interrompre. Ah, on y venait !
"Excuse-moi, j’vais t’couper mais j’veux savoir. Ce bandeau. Tu es aveugle ? Ou…" Demanda-t-elle avec un brin d'hésitation.
Je ris doucement, amusée par cette non-surprenante question.
"Nan, j'vois très bien. Mais, d'manière un peu ironique, la nature a fait que j'supporte très, très mal la lumière, surtout vive, dans les yeux. Ca m'fout la gerbe, des maux d'crânes pas possibles..."
Ironique, oui, quand on savait que j'avais absolument besoin de toute la lumière possible.
"Ok, désolée si j’ai été intrusive. Mais c’est… Perturbant. D’te voir arriver comme ça et, surtout, d’pas voir tes yeux" Répondit-elle.
Je haussai les épaules pour lui signifier que j'en avais pas grand chose à faire. Enfin, dans le sens où elle voulait savoir pourquoi je portais un bandeau, quoi. Bon, et aussi qu'elle pouvait être perturbée par le fait de ne pas voir mes yeux. Mais ça j'allais pas lui dire, elle allait me prendre pour la première des connasses. Si c'était pas déjà fait.
"Enfin, le spectacle ! Lança-t-elle pour revenir au sujet initial. Alors, si je te parle de… Michailange’lo ? Raffael ? Rambran ? Ces noms t’évoquent quelque chose ?"
Les deux premiers ça m'évoquait un vieux compte pour enfant que ma mère me lisait. Des tortues qui avaient appris à se battre grâce à un rat qui avait lui-même appris en imitant un humain. Mais je me doutais bien que c'était pas trop de ça qu'elle voulait parler. Et le dernier, Rambran... ? Ca me rappelait surtout l'histoire de Raban, un survivant qui vivait au milieu de reptiles géants. Mais là aussi, elle devait pas trop parler de ça...Devant ma tête parfaitement neutre, elle comprit rapidement que j'avais absolument aucune foutue idée de ce qu'elle me racontait.
"Je ne crois pas t’avoir entendu me raconter pourquoi tu t’es inscrite ? Et puis, comme je pose beaucoup de questions, sache que tu peux m’en poser tout autant ! J’ai tendance à faire quelques déformations professionnelles…" Déclara Ivara en tirant un peu la langue.
Ouais, bordel, elle parlait tellement que ça commençait à me donner la migraine. Tellement que j'avais soif à sa place, du coup je buvais tranquillement ma bière pendant que j'essayais de l'écouter.
"Enfin, je suis aussi très curieuse. Peut-être même trop." Ajouta-t-elle.
Oui.
"J'avais envie d'essayer quelque chose de nouveau."
Nouvelle gorgée de bière. Puis un petit silence. Le genre de silence qui voulait dire que j'avais pas trop envie de m'étaler sur le sujet. J'allais déjà avoir l'air d'une débile sur scène, si en plus j'en rajoutais une couche en lui disant que j'étais là car, littéralement, j'avais pioché au hasard dans un chapeau. Autant éviter de prendre le risque de la voir fuir pour essayer de trouver un binôme un peu plus... Apte pour le rôle disons.
"Je serais ravie de voir une démonstration de vos deux serpents. Je pense qu’ils pourront nous être très utiles pour créer quelque chose."
Je hochai la tête une fois.
"Quand on s'ra seules si tu veux, ouais. Ici ça risque de faire paniquer les gens. Et ça s'rait con de casser l'effet de surprise si les gens voyaient ça avant le spectacle."
Et pour une fois c'était honnête et vrai ! Comme quoi, il m'arrivait de réfléchir un minimum avant de faire un truc. Je savais pas trop si Ivara avait une idée de quoi faire, mais moi, je me disais que raconter un genre d'histoire avec des monstres, les serpents du coup, ça serait pas mal. Un peu comme au théâtre quoi. On aura l'occasion d'en discuter, pour le moment j'avais surtout envie de m'enfiler encore une ou deux choppes.
"Et toi sinon, c'quoi ton pouvoir ?"
J'avais plus ou moins compris qu'elle était -au minimum- davantage calée sur l'art que moi. Pas difficile en même temps. Avec de la chance, elle avait un don qui pouvait lui être utile. Parce que si c'était simplement pouvoir courber les bananes dans l'autre sens ou lire dans les pensées, mais seulement les siennes, on ira pas trop loin.