Je regarde une énième fois les différents parchemins qui m’arrivent sur mon bureau. On devait préparer l’arrivée de la Grande Prêtresse à Forteresse qui va rester quelque temps dans les environs. Nous l’attendons demain et quelques escouades vont patrouiller à partir de ce soir pour s’assurer de rien voir de louche. La foule pouvait être un élément incontrôlable, que ce soit des fanatiques ou des opposants. Les auberges sont donc contrôlées pour voir si certaines têtes recherchées se présentent. Aucune chasse à l’homme est prévue mais il faut rester prévoyant dans ce genre de situation. Je ne connaissais pas cette nouvelle Sainte, ni les dispositions qu’elle souhaitait. Le temple du Grand-Nord s'occupe aussi de ses commodités et affectera sûrement un frère ou deux pour sa protection. Certes ils n'étaient pas des soldats mais ça faisait toujours une présence supplémentaire qui pourrait nous alerter en cas de souci.

Je finis par poser ces feuilles où les chiffres commencent à s’emmêler devant mes yeux. La fatigue m'assaille et penser à la prêtresse me fait penser à Elina. Je sais que sa mère était l’une de ses sœurs qui avaient postulé pour obtenir le saint rôle de Grande Prêtresse. Sa fille, la feu Capitaine, avait une haine envers le culte car il aurait caché la mort suspecte de sa mère. Est-ce un accident ou autre chose ? Je ne pouvais pas répondre mais Elina était contre tout ce culte, toute cette supercherie. C’était bien le seul différend qu’on avait toutes les deux, sa foi. Lucy prône le respect, la tolérance, la fraternité. Je ne reconnaissais pas tous les actes violents qu'elle énumérait.

Mais il n’était pas nécessaire de se souvenir d’elle sur ces points. Encore aujourd’hui, sa mort me hante, elle qui s’est sacrifiée pour moi. Nous étions avec le Sergent Ahlysh, un autre garde dont je ne me souviens pas très bien, quelques hommes à moi puis la feu capitaine Von Andrasil. Nous avons eu vent de ces chevaliers noirs qui massacraient tout sur leur passage et cet homme, l’homme de paille, l’ami d’Elina. Celui qui l’a tué lâchement. Nous avons fait tout notre possible pour retrouver ses hommes, mais cela n’a rien donné. Jour après jour, je me demandais pourquoi ma sœur d’armes avait fait ça, pourquoi se sacrifier, c’était à moi de le faire, à moi de prendre le coup car il m’était destinée mais non. Rien ne passa comme prévu et on a dû l’enterrer dans ce petit village avec cette petite cérémonie. Aucun hommage de la part du royaume, nous n’avons pas pu descendre le corps alors on a fait ce qu’on a pu.

Puis la peur m’a emporté. Je me suis sentie faible et j’ai fait des mauvais choix qui ont failli coûter ma place au sein de l’armée. Lucy m’a désigné pour être ce bras armé, accomplir le moindre de ses désirs mais j’ai l’impression qu’il y a bien longtemps qu’elle m’a abandonné ou ne savait plus quoi faire de moi. A quoi bon donner une bénédiction à une femme qui ne savait pas se défendre ? Pourquoi le visage de mon amie hante mes pires cauchemars ? Pourquoi je vois le visage de Brive qui me sermonne d’avoir succomber au marché noir ? Je n’étais que déception et Lucy m’a quitté. J’ai fait ce constat depuis que je suis arrivée à Forteresse, je ne la ressens plus car peut-être voulait-elle que je reste à la Capitale, protéger ses Majestés ? Protéger les orphelins qui trainaient dans les rues ?
Est-ce que la prêtresse arrivera à me donner mes réponses ? Est-ce que j’aurai le courage de la voir pour lui demander des explications ? Pouvait-elle m’aider tout simplement ? Les Saintes ne sont pas aussi accessibles et je n’étais qu’une simple fidèle qui a cru avoir une mission de la part de Lucy. Je ne suis guère différente des autres, j’ai peut-être rêvé et inventer une destinée. Je pensais avoir fait plus de bien qu’autre chose mais je ne vois aucun retour sur tous mes actes. Mon adjointe m’a déjà dit de ne pas penser à ça et d’arrêter de me morfondre. J’avoue avoir laissé quelques prières en suspens. Ma foi s’est atténuée et certains l’ont ressenti. Des camarades de longue date l’ont remarqué. Des sous-officiers sous mes ordres, surtout un m’a dit qu’il fallait que je tente ma chance et qu’il m’aiderait car il ne souhaitait plus me voir ainsi. Lui aussi, il avait perdu des camarades lors de l'attaque des chevaliers noirs. C’était lors d’une mission de reconnaissance avant notre assaut. C'est pour ça que nous sommes intervenus après la mort de deux gardes des Grognours.

La porte s’ouvrit alors abruptement. Peu de personnes pouvaient le faire et le Sergent Perrin était l’une d’entre elles.

- Vous d’vez me suivre. Laissez tomber vos papelards.
- Est-ce urgent ?  
- Non M’dame mais pour vous, oui.
- Je ne comprends pas.  
- Y’a rien à comprendre, suivez moi.

Il n’était pas du genre à me demander n’importe quoi alors je finis par m’équiper avec le minimum.

- P’as b’soin de votre grande épée.
- D’accord, Sergent. J’espère que ce n’est pas une mauvaise surprise de votre genre. Mon anniversaire, ce n’est pas tout de suite.  
- N’vous inquiétez pas, avec l’adjudant, on a encore le temps.

Je ne préférais rien dire et enfile ma simple armure avec un long manteau pour me couvrir du froid encore persistant. Je note dans mon livre mémoire mes dernières pensées sur le précédent rapport et le dépose dans le tiroir.

- je vous suis.  

On prend la direction du bourg. Je croise les quelques patrouilles qui surveillent les allées-venues des nouveaux arrivants. Ma journée de demain risque d’être bien chargée avec l’arrivée de la Prêtresse. Il faudrait que j’évite que je veille trop tard pour être en forme et surtout m’assurer que les derniers préparatifs soient fin prêts pour son arrivée.

- Vous marchez drôlement vite Perrin.    
- Mon verre, j’y tiens !
- Nous allons à la taverne ?    
- Mais non, enfin si mais, j’pas le choix, c’tout.

Je secoue la tête, essayant de comprendre ce qu’il me disait mais on arrive devant une des grandes auberges du Bourg. Elle était convenable, rarement des soucis là-bas, c’était très rare qu’on y intervienne. En résumé, c’était un lieu parfait pour y séjourner mais le sergent n’était pas là pour me faire une visite des lieux de la ville citadelle. C’était plutôt calme dans l’établissement, quelques personnes ici et là, quelques gardes en permission. Certains se mettent au garde-à-vous à mon entrée, ne s’attendant pas du tout de ma présence. Je fis un mouvement de la main pour leur dire que je n’étais pas là pour ça. Le sergent fait un signe de tête pour confirmer et tout le monde se détendit.

- V’nez.

Il s’approche vers cette silhouette encapuchonnée. Une personne qui avait besoin de mon aide ? Une femme certainement en vu de la largeur des épaules.

- M’erci D’ame Sainte.

Il attrape son verre et s’éloigne de la jeune alors qu’elle finit par se tourner dans ma direction.

- Cadeau en avance. J’crois que vous avez besoin, Lieutenant.

Le voilà qui s’en va alors que je vois quelques mèches de cheveux reconnaissables entre tous. Des cheveux verts, une femme jeune, une certaine aura puis le sergent l’a appellé Sainte.

-  Mais… Vous devez arriver demain normalement.  

Même me rendant compte qui j’avais en face de moi, je fais aussitôt une courbette digne d’une Reine. Avoir l’illustre grande Prêtresse en face de moi était un honneur. Ce n’était pas une simple sœur, non, c’était notre Sainte à tous. La représentation de Lucy en ces jours.

- Excusez-le, il ne sait pas ce qu’il dit.  

Au loin, le sergent décide d’intervenir depuis sa chaise.

- Si, si, mon Lieut’nant, faut y aller. Profitez avant la cohue de d’main.

Je pense que la prochaine fois, je lui rappellerai la priorité de ses tâches à celui-là même je sais qu’il l’a fait pour moi. Oui, ma foi pour Lucy était en berne, lui qui m’a connu comme la plus fervente des fidèles au sein des Grognours à l’époque.

-  ça ne vous dérange pas si on trouve un endroit plus calme ou sinon on peut rester là mais je ne souhaite pas vous déranger si vous le ne souhaitez pas, Sainte Mahun.  

Même pas la peine que je reste dans la même pièce que mes soldats, ils vont trouver le moyen d’inventer mille et une rumeurs à mon sujet.

- Je… Non, laissez tomber. Vous n’avez pas besoin de mes petits problèmes. Je vous assure que toute la sécurité a été mise en place pour demain, mes soldats ont fait le nécessaire et vous pouvez circuler dans la ville comme bon vous semble.  

Un coup d’oeil vers le Sergent et je vois le regard d’un ami. Un ami qui m’invite à continuer à parler avec la soeur mais je ne savais pas quoi dire et j’étais désemparée de la situation.

-  Enfin… si vous êtes libre… j’aimerai avoir… un conseil. Un avis plutôt sur une situation. Je ne serai pas longue…

D’habitude, j’avais l'habitude de parler aux sœurs du culte au temple mais ici, rien ne s’y prêtait. Si il y avait une cérémonie à faire, une offrande ? Peut-être faut- il prendre rendez-vous et au fond, je venais de la déranger et elle va simplement rester polie et m’inviter à la retrouver demain comme tous les fidèles venus la voir.

- Hey Lieutenant, il y a un petit salon dans l’auberge. Vous pouvez y aller, ce n’est pas ouvert aux clients d’habitude mais pour vous deux, je peux faire une exception. Ma femme sera ravie de vous préparer tout ça pour vous. Je m’excuse si c’est un peu poussiéreux, on y va rarement et on pose quelques barils de vin quand nous n’avons pas le courage de les descendre à la cave lors de la livraison.

Je crois que l’aubergiste vient de signer mon arrêt de mort…

Ce petit salon qui servait à moitié de réserve était déjà beaucoup que je l’espérais. Il était certain que l’aubergiste et sa femme faisaient leur maximum pour satisfaire les demandes de sa cliente si particulière et privilégiée.

-  ne vous embêtez pas Martha, vous en faites déjà beaucoup.
- Mais j’insiste
- Alors, je sais que vos gâteaux sont toujours merveilleux et un thé me fera le plus grand bien, je suis de service encore.    
- Je reviens avec ça, Lieutenant
- Merci beaucoup Martha  

Je regarde alors quelques instants la Sainte qui s’installe sur le fauteuil avec toute la grâce de son rang. Il faut dire que la couleur particulière de ses cheveux avait le mérite d’attirer l'œil vers elle alors accompagnée de ses gestes délicats, mon regard s’attardait certainement beaucoup trop et décide de me reprendre en main aussitôt.

Je finis par m'asseoir également sur l’autre chaise libre en face de la Grande Prêtresse. Elle avait l’air sereine, bienveillante. Est-ce c’était une façade, ce qu’on attendait d’elle ou simplement elle voulait sincèrement m’aider avec mon “ problème “. J’ai bien compris qu’elle ne voulait pas ébruiter sa venue ici à Forteresse, l’homme à ses côtés a certainement lui aussi compris le message et j’avais reçu l’ordre d’assurer la sécurité lors de son passage. Sa nomination récente était un peu un évènement pour tous les concitoyens et Forteresse voulait aussi profiter de la venue de la représentante de Lucy.

Je pouvais dire qu’avoir un entretien privé avec elle était quelque chose d’exceptionnel à mon sens. Je ne me rappelle pas d'avoir pu approcher aussi près la précédente toujours cachée derrière son armée de protecteur. Le fanatisme de certains pouvait atteindre un niveau jamais imaginé.

Un silence s’installe ou du moins, c’était l’impression que je me donnais. Que les secondes durent des heures alors que pas du tout. Le brouhaha qui se situait derrière la porte qui menait vers la salle de l’auberge démontrait le contraire. Je n’étais pas à l’aise dans cette chaise avec ma tenue d’officier. Mon épée pendait sur le côté, elle me semblait lourde et même si le culte de Lucy prône la bienveillance, porter une armé était une nécessité dans ma profession. Si je pouvais résoudre tous les problèmes par des mots, je l’aurai fait, il y a bien longtemps.

-  Je…  

Par quoi commencer ? Je cherchais du courage au fond de moi. C’était plus facile finalement de se lancer dans une bataille que de dire les souffrances de son coeur. Montrer ses faiblesses, ses peurs. Le pire pour un soldat…

- Veuillez excuser le comportement de mon Sergent. Il ne voulait pas vous déranger, je pense bien au contraire qu’il voulait m’aider. Je ne me serai pas permise de vous importuner avec mes problèmes. Il y a bien plus grave dans le Royaume que ma humble personne.    

Oui, j’étais qui pour demander l’intention à la déesse et à sa représentante. Mais au lieu de ça, mes poings se ferment sur mes cuisses. Ma poitrine me faisait mal, mon corps se raidit, se contractait. Je sais qu’il me faisait passer un message. “ Parle “, “ Vas-y parle “. C’était bien beau mais par où commencer ?

- Mais je sais que vous entendez certainement des centaines de suppliques par lune et je ne voudrais pas être la prochaine pierre sur cet édifice. Mais si vous avez quelques instants; le temps d’un thé, enfin si ça vous en buvez.  

Je ne me rends compte que je n’ai pas demandé son avis sur ce point. Elle s’était assise sans rien dire, me laissant faire. J’ai commandé pour deux alors que je n’ai pas demandé si elle effectuait un jeûne saint ou autre. Va-t-elle m’en vouloir ?

- Enfin, c’est totalement ridicule ce que je vais vous dire mais j’ai juste l’impression que…    

Martha arrive alors à ce moment-là pour poser le thé et ses gâteaux.

- Et voilà. Vous avez un peu de tout. Le thé finit d'infuser quelques minutes encore et il sera prêt à être servi. Je ne vous dérange pas plus.

L’aubergiste repart aussi vite qu’elle était venue. Laissant l’odeur des gourmandises arrivée jusqu’à mes narines. J’attrape aussitôt le plateau pour le tendre à mon vis-à-vis. Je ne vais pas faillir une seconde fois et attends qu’elle se serve si elle le souhaite avant de choisir une douceur au chocolat. Ça avait le mérite de me donner des forces et surtout du courage dans certaines situations comme celle que je me trouve actuellement.

- Comme je vous le disais. Ce n’est qu’une impression mais j’ai l’impression que…  

Je cherche mes mots, je ne voudrais pas paraître impolie mais je ne savais pas le dire autrement. Mon pied s’agite et encore une fois, je sers mes poings pour combler ce stress apparent.

-  j’ai l’impression que Lucy m’a abandonné depuis quelques temps.  

Abandonnée, ce n’était pas le bon terme mais plus que je n’avais plus ses bonnes grâces alors que c’est elle qui a souhaité que j’intègre l’armée, que je devienne son bras armée quand j’étais plus jeune. Et j’ai perdu des amis, des frères et sœurs d’armes. J’ai dû faire des choix… et depuis je ne ressens plus cette douce chaleur dans mon corps.

- Ai-je failli quelque part ?  Déçue ? Peut-être pour vous m’aider à gagner sa confiance, son pardon. Je sens dans mon coeur que quelque chose a changé et… ça m’effraie…  

Oui ça m’effraie car j’ai peur de mourir, de faillir et décevoir mes proches. Je veux venger la mort d’Elena, retrouver les coupables, les traduire en justice. Je veux aider ses enfants qui ont perdu leurs parents suite à des actes de barbarie de monstre qui n’ont aucune pitié mais j’ai peur. Peur qu’elle ne soit plus là pour me protéger, m’orienter dans la bonne direction. J’ai toujours eu l’impression qu’elle me guidait de là-haut et depuis plus rien…

- Je sais, ça paraît ridicule, je n’aurai pas dû vous déranger pour ça.  

Je devrais partir, voilà, je devrais faire ça. La laisser tranquille et finir les préparatifs pour demain.

Sentir sa main bienveillante me fit tressaillir quelques secondes. Je ne dirais pas que mes doutes se sont envolés à la seconde où j’ai senti son contact réconfortant sur mon avant-bras, mais je perçois alors cette douceur. Est-ce un message de la déesse ou sinon mes propres émois qui se transforment en simple réaction physique de ma part ? Je n’en savais rien et je ne voulais pas chercher à comprendre alors la Grande Prêtresse était en face de moi. Je buvais ses paroles et je m’en rends compte que j’étais définitivement idiote. Comment j’ai pu être aussi cruche d’avoir eu de telles pensées.

Le bruit de la vaisselle, le service à thé, me sort de mes pensées. L’odeur du liquide chaud arrive à mes narines et je prends également ses petites gourmandises que j’ai pu déguster de nombreuses fois dans les environs de Forteresse.

-  Nous ne sommes pas ici dans un des salons de thé de Forteresse. Mais vous pouvez d'ores et déjà trouver des saveurs qui ne se trouvent qu’ici sur ce plateau.. Peut-être que je glisserai un mot au frère pour que vous ayez l’occasion d’aller dans l’un de ses établissements qui prônent les meilleures pâtisseries de notre si belle région.  Enfin si vous le souhaitez, bien entendu.

Même trouver le temps de lui ramener un paquet pour plus de discrétion si elle le souhaitait. Ma manière de payer cette consultation si elle veut encore de moi d’ici les dix prochaines minutes. Puis on dit souvent que le thé peut délier des langues. Pas comme l’alcool mais donner une atmosphère apaisante qui permettrait de se confier. La voix douce et calme de la jeune femme rendait les choses plus faciles alors que ses moindres mouvements sont délicats. A côté, je semblais plus rustre, mes mains pouvaient compter des centaines d’heures de travail et de renforcement à l’épée. Ma chevelure n’était pas aussi brillante que la sienne. Ce n’était pas au milieu de la montagne que je pouvais avoir tout mon nécessaire de beauté mais malgré tout, je faisais en sorte d’être la plus présentable possible et que je ne sois pas que la femme à la grande épée comme elle le dit si bien.

Je fus alors surprise de voir la réaction de la prêtresse quand elle se rendit compte qu’elle ne connaissait pas mon nom. Je ne pense pas qu’elle connaisse la signification de mes étoiles sur le torse pour deviner mon grade. Perrin m’avait tout simplement appelé Lieutenante toute à l’heure. Jamais par mon nom ou autre. Une habitude dans le corps armé de ne devenir qu’un grade et rien d’autre. On s’y fait à la longue. Est-ce la même chose pour elle ? Être appelée que Grande Prêtresse ou Sainte ? Mais ce n’était pas la question et je voulais sortir de l’embarras mon vis-à-vis.

- Lieutenante Alnilnam, corps des Grognours du Blizzard. Mais vous pouvez retenir Bridget Alnilnam, voir que Bridget.    

Peu de gens m’appellent par mon prénom dans l’armée. Même dans le civil, j’étais devenue officier, une garde au service de la Couronne. J’avais perdu un peu de mon identité au fond. Seule ma mère me faisait revenir dans une certaine réalité.

- Puis il n’y a pas de mal. Je ne suis pas une tête connue dans tout le royaume, peut-être ici à Forteresse. Ça fait quelques années que j’y traine, dirons-nous. Je ne suis pas une enfant du pays mais c’est tout comme !    

J’affiche un léger sourire. Je venais de la Capitale et tout le monde n’était pas forcément le bienvenue dans cette région qui demandait de savoir vivre en communauté. L’hiver était dur pour tout le monde et il fallait s’entraider. J’ai fait mes preuves et depuis j’étais acceptée.

- Il faut dire que ma vie est ici. Que ce soit les bons ou mauvais moments, surtout les mauvais, ceux qui m’empêchent de dormir. J’ai fais toutes mes classes au Blizzard et j’ai vécu l’attaque des Wendigos en 997. Une vraie boucherie, j’ai perdu des centaines de camarades, d’amis. Une histoire qui vous marque à jamais mais ce n’était peut-être pas le fait marquant de ma vie.  

Avec le Fenrir au-delà de la frontière, beaucoup de monstres font d’énormes détours pour atteindre une autre zone pour trouver de la nourriture. Malheureusement, des humains y vivent aussi. On peut compter des dizaines d’attaques de ce genre. Gévaudans qui ont attaqué un monastère en haut d’un col, Wendigos et j’en passe. Mes mains serrent alors la tasse un peu plus fort. Les nombreuses missions me revenaient en mémoire. La neige prenant cette couleur pourpre, le sang de mes soldats, jeunes et moins jeunes. Non, il ne fallait plus que je pense à ça. Nous avons pu faire ce qu’on pouvait et les villages ont été épargnés.

Il fallait que je parle de quelque chose de plus joyeux. Je relève alors la tête, cherchant du regard mon interlocutrice. Elle voulait en savoir plus sur moi, autant commencer par le début non ? En version accélérée.

-  L’histoire de ma vie a surtout été l’appel de la Déesse à mon adolescence. Ma mère n’aurait jamais pensé que je finisse soldat. Elle me voyait sœur au Culte. D’ailleurs, elle a tout fait pour plus jeune. Mon père était un saphir renommé, il est mort il y a quelques années. Ma mère a toujours refusé que j’intègre la Guilde, d’ailleurs moi non plus je ne voulais pas quand je vois tout le mal que faisait l’absence de mon père à ma mère. Je me disais que jamais je ne pourrais faire une chose pareille. Puis m’imaginer tenir une épée, trancher des bras ou autres… c’était hors de questions.  

Je souris à moi-même pour cette belle image. La petite fille que j’étais, n’avait rien à voir à celle que je suis devenue.

-   Vous en doutez que mon avenir a beaucoup changé de future soeur de culte pour être officier supérieur à la Garde. Même moi je ne peux vous l’expliquer. Je me rappelle de cette voix dans ma tête qui me disait de m’engager. Il fallait que j’aide les autres, que je restaure la justice, aider les plus faibles, faire en sorte de toujours faire le bien autour de moi et suivre mon coeur.

J’avais les yeux qui brillaient légèrement à cette phrase que je me répète tous les soirs avant de dormir. Me remémorer le timbre de la voix qui parlait dans ma tête à ce moment-là lors de cette douce nuit lors de la saison chaude sous cette lune pleine. “ Fait en sorte de toujours faire le bien autour de toi, suit ton coeur Bridget, tu trouveras ta voie et le bonheur “. Bien sûr, le bonheur était un peu biaisé actuellement.

-  Je me suis donc engagée à la Capitale car je suis originaire de là-bas. J’ai beaucoup de famille là-bas. Mes premières lunes étaient compliquées à la Caserne. J’étais une fille qui n’avait aucune force dans les bras, pas sportive et portait des jupes avant. Mais cette voix me disait de tenir bon, que j’arriverai. Puis au fil du temps, je me suis endurcie et j’ai grimpé les échelons. Puis j’ai fais ce fameux rêve où je me voyais dans un village dans le Grand Nord. Un catosorus à mes côtés, aidant les villageois après une avalanche. J’ai alors compris le message, je devais me faire muter à Forteresse. J’y suis depuis de nombreuses années en faisant quelques pauses dans d’autres régiments mais on va dire que ma vie est ici dans cette région froide mais au bien chaleureuse quand on sait voir les choses en face.  

Oui, oui, malgré ce froid, vous trouverez toujours un réconfort quelque part. Que ce soit lors d’une discussion, un paysage, un voyage. Le Grand-Nord avait tant à partager.

Je finis par m’arrêter un peu pour attraper un autre gâteau alors que je viens de finir le mien.

- Hélas, le Grand-Nord est aussi impitoyable. Souvent le repère de groupuscules qui fomentent des plans les plus machiavéliques. Le feu Capitaine Andrasil en a fait les frais.    

Une femme qui était réputée pour son sale caractère et son courage. Le profil idéal pour le régiment du Blizzard. Depuis c’est le Capitaine Brive qui a pris sa relève.

- Elle est morte lors d’une mission. J’étais présente à ses côtés, elle a couru pour me secourir alors que je lui avais dit que je m’occupais de tout ça. Elle était la Capitaine, elle devait s’assurer que tout se passe bien à Forteresse. Mes hommes et moi, on s’occupait de libérer les prisonniers puis on s’occupait de ses maudits chevaliers noirs. Ils étaient plus nombreux qu’on le pensait et les prisonniers avaient besoin d’aide. Mes hommes les aidaient à évacuer. Je me suis trouvée prise au dépourvu quand cet homme est arrivé. Mais Elina s’est mise devant et a pris le coup à ma place.    

Penser à nouveau à cette scène, me rend plus que vulnérable. Les larmes aux yeux, je faisais tout pour les retenir. Cette femme, c’était une soeur d’arme, une amie, une amie très chère. Peut-être la seule vraie amie que j’avais. Elle était toujours là pour m’aider, me soutenir et inversement. Ça aurait été un honneur d’être son second mais je devais finir une mission avant de la rejoindre pour devenir de nouveau lieutenant dans son régiment. C’est pour ça que j’étais venue prêter mains fortes au Blizzard avec une escouade. Que des anciens du corps des Grognours qui étaient au Myrmidon avec moi.

- Je suis désolée…  

Je me reprend mais bon je crois que j’avais perdu toute ma prestance de Lieutenant à l’instant où j’ai commencé à parler du meurtre d’Elina.

-  Chaque nuit, je vois son visage, son sang sur les mains. Je n’ai rien pu faire, je n’ai pas pu la sauver et ni la venger après ses deux années. Elle ne méritait pas de mourir alors que je fais le bien autour de moi… pourquoi Lucy me l’a enlevé ? Je fais tout ce qu’elle me demande pourtant…  

Ma voix oscille entre la colère et le chagrin. J’essaye de ne pas m’emporter mais je finis par poser ma tasse sur la table et me prendre ma tête entre les mains. Je ne voulais plus réfléchir à ce problème et simplement avoir une réponse… Pourquoi mon amie a dû mourir devant mes yeux…

La prêtresse avait toute mon attention, sa présence réconfortante à m’écouter est rassurante, paisible, comme la chaleur de sa main sur mon bras. Mon coeur se soulage au fur et à mesure de mes paroles, mes pensées. J’espère une réponse, un indice, une nouvelle mission après tout ceci.

Une délivrance, un but…

Comme si une aura s'imprègne en moi ou la présence de notre Déesse, je ne saurai guère mais je ne pouvais me détacher de la Sainte. J’écoute ses paroles avec intérêt, son visage se détendit, retrouvant ce sourire du tout début. Je me surprends à me dire que ses traits et cette expression l’a rendait encore plus belle avec ses mèches vertes ici et là.

Alors je bois ses paroles, elle pénètre en moi comme si j’entendais Lucy elle-même. Est-ce un hasard si on se croise ici alors que j’étais au plus bas. Remettant en doute ma foi, ma vie, mes choix. Je pense que non et qu’au fond la déesse m’aide et fait entendre sa parole à travers de Nephali.

Mais entendre ses mots, que Elina s’est sacrifiée pour moi. Je ne pouvais l’entendre, attrapant ma tête pour ne pas entendre tout ça, je voulais à l’instant avoir un pouvoir, une potion, un artefact pour devenir sourde mais les mains de la Sainte attrapent les miennes, je redresse la tête. La verte souriait, elle continuait son discours.

Je devais continuer. Continuer à servir, continuer à croire et surtout honorer la mémoire du feu capitaine du Blizzard. Car oui, je vois bien Elina derrière moi, m’envoyer valser car je lui fais honte de ne pas me ressaisir car si elle devait le refaire, elle mourrait de nouveau pour me sauver. C’était bien elle. Tête de mule au possible mais au grand cœur. Au fond, elle avait raison, je devais la faire vivre à travers moi et que mes actions pourraient y faire quelque chose. Dois-je en parler au Capitaine ? Dois-je lui faire comprendre que c’était terriblement idiot ce que j’ai fais depuis quelques lunes. Que j’avais compris la leçon et que la Sainte m’a enfin ouvert les yeux.

Je devais continuer à rire, à pleurer, à me battre, à vivre.

Voilà ce que Lucy voulait me dire. Et j’ai entendu.

- Vous êtes plus utile que vous pensez.  

Et c’était sincère après tout ce qu’elle m’a dit et ce qu’elle fait pour moi actuellement. Elle m’a écoutée, elle a compris toutes mes douleurs, mes peines et n’a pas essayé de les balayer d’un simple mouvement de bras ou de paroles futiles. Oui c’était cruel ce qu’il m’arrive mais c’est le chemin que Lucy a choisi sachant que je pouvais réussir.

Alors je vais le faire.

Je ne sais pas si j’arrive à faire la moindre esquisse d’un sourire ou si mes yeux ne sont pas aussi rouges que je le pense. Je devais garder la tête haute et ma carapace de Lieutenant vient de tomber mais elle veut vite reprendre sa place après de nombreuses années à la porter.

- Merci.    

J’attrape plus chaleureusement ses mains, renforçant légèrement ma poigne sur ses mains douces qui n’avaient rien à voir aux miennes qui ont de nombreuses années d’entraînement à l’épée.

- Je vais tout faire pour qu' Elena soit fière de là où elle est. Vous avez raison, je ne peux gâcher sa mémoire.  

Je finis par relâcher ses mains douces et reprends une posture plus digne. Mes épaules se détendent légèrement, ma voix tremble moins et j’ai encore cette chaleur au creux de ma poitrine. Les paroles de Nephali résonnent en moi. Comme si la magie avait interféré dans ce processus de guérison. C’était sûrement le cas mais je n’avais pas envie de m’en offusquer. Elle l’avait certainement fait pour mon bien et je lui en remercie.

-  Dis comme ça, ça a l’air totalement enfantin voire ridicule.

Dis-je en rigolant nerveusement. La réponse était donc aussi simple depuis des saisons ?

Avance, continue ton chemin.

Oui c’était ridicule mais on dit souvent que pour certaines situations, il suffit que la personne concernée le comprenne et je n’avais jamais fait attention. Il fallait ce moment de calme et parler avec une personne extérieure à tout ça.

Lucy, merci.

- Je ne sais pas comment vous remercier pour m’avoir écoutée ?  

Il est certain que je donnerai ma contribution monétaire au temple de Forteresse mais je voulais quelque chose de plus personnel.

- Si vous avez le moindre besoin lors de votre séjour à Forteresse. Dites moi et je verrai ce que je peux faire pour vous.  

Bon si elle souhaite se soustraire à la surveillance des Frères, ça va être bien difficile de répondre à sa demande mais je connais quelques gardes bien discrets pour répondre à sa demande. Me proposer serait peut-être mal venu de l’accompagner.

A l’arrivée subite du frère, je compris aussitôt son ressenti de n’avoir aucun moment pour elle. Tout le monde voulait que tout se passe bien, peut-être un peu trop. La Reine ou d’autres dirigeants ressentent aussi ce sentiment d’étouffement pour chacun. Nos Capitaines avaient certainement plus de chance dans ce combat, pouvant se défendre de leurs propres mains.

Il était donc temps des adieux et je fis une salutation au frère avant qu’il nous laisse toutes les deux. La proximité de toute à l’heure a disparu, nous étions toutes les deux, l’une face contre l’autre. Je la remercie tellement d’avoir fait renaître cette petite flamme d’espoir dans mon cœur. Un sourire se dessine quand elle évoque de nouveau les fameuses paroles qu’elle allait prononcer.

- Oui, je serai bien présente non loin de vous dans le cortège. Il faut bien vous protéger de ce vil frère Dagur.  

Je souriais à mon tour et fit une légère révérence.

- Merci encore pour vos conseils. Que Lucy vous guide.  

Je finis par quitter la porte, le Frère non loin. Je salue mes hommes et remercie silencieusement le Sergent Perrin pour sa prise d’initiative. Il était l’heure de retrouver le chemin de la Caserne car moi aussi, je vais avoir beaucoup de travail.