En sortant du portail de téléportation face auquel elle avait longuement attendu, les pommettes d’Iris furent frappées par l’air glacial de la Forteresse. Emmitouflée dans un grand manteau de fourrure noir, la merveilleuse balaya l’esplanade de sortie du regard. Plusieurs couples, avec enfants, accueillaient leurs proches avec de grandes embrassades, passant parfois une écharpe ou une étole de laine autour du visage des moins couverts. Iris soupira, personne qu’elle ne reconnaissait ne se trouvait dans l’assistance. Sa sœur devait être en retard, et seuls les astres devaient savoir où se trouvait son grand-père. Le connaissant, il avait sans doute oublié de se réveiller ; voire ne s’était sans doute même pas endormi et avait dû boire de la liqueur de slime ou de la vodka d’herbe folle toute la nuit. Descendant quelques marches face au portail, Iris remonta l’esplanade, sortant une ombrelle de son sac sans fond afin de se protéger d’une nouvelle flopée de flocons qui se mettait à glisser doucement des nuages. Remontant la grande place, la jeune femme se dirigeait vers des petits stands ambulants desquels s’échappaient de longues vapeurs s’échappant vers le ciel. Plusieurs enfants étaient réunis devant l’un d’eux, en train de se faire servir du chocolat chaud par une dame rabougrie au sourire chaleureux. À côté se trouvait l’étal couvert d’un vendeur de soupe et de vin chaud, servant les parents des bambins postés à quelques pas. Iris s’avança vers le stand de la petite vieille et, alors que les gamins s’en allaient à grands pas de bottes rembourrées, commanda un petit gâteau glacé de chocolat et fourré à la crème.

- Vous êtes sûre que vous ne voulez pas une boisson de grand avec votre beignet, mademoiselle ? L’alpagua en plaisantant le bonhomme juste à côté, derrière son comptoir.

- S’il y a bien quelqu’un qui aura besoin d’une dose d’alcool pour affronter cette journée, c’est bien moi ! S’exclama Iris, lâchant un soupir théâtral.

- Oh, mauvaise journée en perspective ? Questionna la grand-mère en lui rendant sa monnaie.

- Journée familiale ! Tout le vin chaud du monde n’y suffirait pas, malheureusement…

Prenant son gobelet de vin chaud, coinçant son ombrelle sous le bras, Iris s’éloigna en jetant un coup d’œil au vieux couple, remarquant l’homme modeler un nouveau gobelet entre ses doigts. Portant son verre à sa bouche, l’aristocrate laissa la boisson épicée chatouiller ses papilles, une agréable odeur d’agrume envahissant ses narines. Le vin la réchauffait bien plus que sa fourrure. S’asseyant sur une balustrade, Iris s’intéressa alors à sa pâtisserie. Le glaçage brun de chocolat noir se craquela lorsque ses dents se plantèrent à l’intérieur. Sa mâchoire continuait son avancée languissante, déchirant le coussin moelleux de pâte frite qui caressait dès lors sa langue et son palais. Le cœur était désormais atteint ; la crème blanche vanillée se déversa hors de sa prison veloutée, se mélangeant avec les arômes de pomelo et de cannelle flottant encore dans sa bouche. L’espace d’un instant, le temps semblait flotter tout autour d’Iris alors qu’elle profitait de son interlude sucrée. Elle oubliait qu’elle se trouvait au milieu d’un agora bondé d’arrivants qui venaient de traverser le portail de téléportation, elle oubliait le froid et la neige de ces terres hostiles, elle oubliait qu’elle allait être réunie avec Dahlia et Astrid, en même temps, pour la première fois depuis des lunes. Elle ne parvenait même pas à se rappeler de quand ils avaient été réunis ensemble pour la dernière fois, ou si même ils l’avaient déjà été…

- Mamie ! Mamie !

Une fillette, à la peau à moitié blanche comme de la craie et l’autre noire comme du charbon, gambadait vers une vieille femme drapée dans un grand châle, une toque en vison sur la tête. La petite étreignit sa grand-mère tandis que, plus loin derrière, un vieillard appuyé sur une canne, tenant par la main une seconde enfant à la tête entourée de petites bulles de savon. Ces deux là arrivèrent à la rencontre des deux premiers et la grand-mère sortit une paire de tartelettes à la confiture pour les tendre aux petites filles.

- Alors, commença la dame, c’était bien ?

- Oh oui ! S’écria la fille aux bulles, toute enjouée. Papi nous a montré son vieil atelier, c’était trop bien !

- Même que dans la même rue y avait un magasin avec des fabulos ! Compléta l’autre après une bouchée de tartelette.

- Oh, on y retournera demain alors !

Toutes contentes, les fillettes attrapèrent les mains de leurs grands parents avant de se remettre en route, sous le regard d’Iris plus mélancolique que jamais. Elle n’avait pas eu le plaisir de vivre ce genre de moment avec sa famille, et n’aurait sans doute jamais l’occasion de les vivre. Sa grand-mère était un spectre qui ne faisait que se languir d’un passé et d’un mari perdu, ce dernier était désormais plus chaotique que jamais et sa sœur bien grande et bien loin. Elle se répétait souvent que les regrets ne rattraperaient jamais le temps perdu. Pourtant, qu’était-elle en train de faire ? Qui avait eu cette idée ? Elle ne s’en rappelait même pas, la réponse était trop loin, trop floue. Iris sentait simplement que c’était quelque chose qu’elle devait faire, qu’elle voulait faire aussi. Pour une fois, elle n’avait aucun projet de haute volée, la Vieille Edith ne lui avait rien demandé non plus. Elle s’était bien gardée de parler de son excursion au jeune Capone de crainte qu’il ne s’incruste à son tour ; il aurait sans doute contraint son petit monde à visiter le quartier des ingénieurs de long en large puis en travers.

- Je vais congeler sur place si elles ne se grouillent pas… maudît Iris en se parlant à elle-même.

Elle avait genré son grand-père d’instinct et en venait à se demander si elle avait choisi le bon. C’était le genre de question qu’elle n’aurait jamais voulu se poser et qui survenait dans son esprit à cause de l’attente qui ne faisait que se prolonger. Son grand-père restait-il un homme malgré son apparence ou était-il devenue une femme en raison de celà ? Non, impossible, le simple physique n’était en rien un facteur là-dedans. On l’appelait Astrid, parfois, mais se sentait-il vraiment Astrid ? Ou toujours Edmond ?

- Bon sang. Il est trop tôt pour ces conneries…

Elle préféra jeter son gobelet de vin chaud non loin d’elle, laissant une traînée sanglante sur la poudreuse ivoire.

Boire. Manger. Boire. S'amuser. Boire. Faire du bordel. Boire. Un cycle éternel qui régissait la vie de la citoyenne chaque fois que la nuit tombait, que ce soit à la Capitale ou un coin paumé d'Aryon.
Aussi la nuit dernière ne fut pas une exception et Astrid s'était bourrée la gueule comme à son habitude dans une taverne qu'elle fréquentait souvent – comme toutes les tavernes de la Capitale, en fait –. Et des péripéties et des histoires à raconter sur cette soirée mémorable, il y en avait ! Des exploits extraordinaires, une affaire énigmatique et intrigante, des princesses en détresse, des rencontres d'une vie, des combats dantesques poussant les limites du corps humain et de leur magie au paroxysme, des larmes, des rires, du sang, de la sueur, du bonheur et enfin, du drama.

-zZzZzZz.

Voilà donc comment s'était passée la nuit d'Astrid qui dormait désormais paisiblement dans son lit des plus confortables après une soirée qu'elle n'oublierait sans doute jamais et qui n'arrivait qu'une fois dans la vie d'une personne tant elle était exceptionnelle.
Quelle heure était-il lorsqu'elle se réveilla enfin, non pas naturellement, mais embêtée par ses familiers qui vinrent réclamer leurs repas ?
Aucune idée.

-Ugh.

Un réveil difficile et une migraine atroce. Jusqu'à là, rien d'inhabituel. Une petite envie de vomir aussi. Qu'est-ce qu'elle avait fait déjà hier soir… ? Aucune idée. L'alcool avait fait son office. Meh, probablement rien de très important se disait-elle.
Lentement, elle sortit à contre-coeur de sa prison de confort et prépara à manger pour sa dizaine de familiers, la tête encore dans les vapes.
Elle avait cette drôle impression d'avoir oublié quelque chose d'important hier. Et aujourd’hui aussi.  
La femme à tout faire se gratta le menton en pleine réflexion sur son programme de la journée.
Quelque chose la tracassait. Elle avait le sentiment...d'une apocalypse imminente si elle ne trouvait pas.

-Qu'est-ce que ça peut bien être ? Un boulot important ?

Elle se maudit d'avoir trop picolé hier. Heureusement pour elle, la Astrid du passé avait sans doute laissé un quelconque indice ou une note sur le planning du jour car elle n'était pas totalement idiote non plus. À pas lent, elle alla à son bureau dans le salon et...vit un bordel pas possible. Hmm, il faudrait qu'elle le range à de ces jours...mais pas aujourd'hui. Un peu au hasard, elle fouilla dans la pile de papier.

-Non pas ça, po ça non plus...ptet ça ? Naaah.

Au bout de quelques minutes, elle tomba sur ce qui lui semblait être une bonne piste.
« URGENT : Regarde au dos de Glou ».
Huh ? Elle n'avait pas souvenir d'avoir écrit ça. Mais cela dit...Les sourcils haussés, elle alla donc chercher le glooby et les haussa davantage. Sur le dos du familier était marqué « Le vent souffle fort » et juste en dessous « ATTENTION ».

-Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Le vent souffle fort...le vent souffle fort….pourquoi aurait-elle écrit ça ? Parce que c'était quand même son écriture…Après un moment de réflexion, elle fit le lien avec son autre familier, Ouragan l'Ouranbos. Elle inspecta la monture sous tous les angles et trouva un bout de papier enroulé autour de sa jambe. En l'ouvrant, elle eu le droit à une nouvelle énigme. « 9 » et juste en dessous « RDV ».
RDV ? Un rendez-vous ? Mais avec qui ? Et « 9 » ? Peut-être un jeu de mot avec n'oeuf ? … Non. 9 comme les queues de Kyut la Kit-sune ! Sortant de plus en plus de sa léthargie, Astrid tomba sur son autre familier qui crut un instant que sa maîtresse allait jouer avec elle. Mais au lieu de ça, elle fouilla tout simplement l'indice suivant et le trouva. Sur l'une des queues de Kyut, un autre bout de papier y avait été attaché. « Dahlia et  Iris. » ainsi que « COURS ».

Même avec sa migraine, même avec un trou de mémoire et des neurones en moins, l'énigme fut assez facile à résoudre et la panique s'empara de la femme à tout faire. Son cœur se mit d'ailleurs à battre à tout rompre et de la sueur commença à couler à flot tandis qu'elle réalisait enfin ce qui se passait. Une question de vie ou de mort.
Ni une ni deux, elle alla s'habiller avec ce qu'elle trouva sur le sol et sortit à la vitesse du son sur son VTT pour se dirilager vers le portail de téléportation avec toute l'énergie du désespoir.
 Après ce qui parut comme une éternité, elle arriva enfin à la Forteresse et alla rejoindre le lieu de la rencontre malgré le froid qui était une occupation secondaire. Vivement la saison chaude qui arrivait!
Toujours en alerte, elle jeta des regards à droite et à gauche comme une damnée et trouva Iris qui était seule. La blanche n'était donc pas en retard ! Ou moins que Dahlia ! Pfiou !
Soulagée, elle apparut directement en face de sa petite-fille, toujours couverte de sueur et le souffle court.

-H...Hey ! Co...mment ça va ? Moi ? Bieeeeeeen ! Pas du tout en retard ! Uff..Pas comme genre, Dahlia ! Haha !

Le stress et l'adrénaline redescendaient petit à petit alors que la fatigue, la migraine et surtout, la nausée la rattrapèrent.

-Je.....Beeeeuuuuuuuuurgh….

Sans prévenir, elle se mit à vomir à même le sol.
C'était, sans aucun doute, du Astrid tout craché. Quant à savoir pourquoi la Astrid du passé avait fait tant d'efforts pour disséminer des indices au lieu de directement écrire qu'elle avait ce rendez-vous, il y avait plusieurs explications possibles : L'alcool, une envie de se troller elle-même dans le futur, ou...l'appréhension.

- Une fée, ici ? S’étonnait Iris alors qu’elle suivait Astrid à grandes enjambées. Que fait une fée en pleine ville, au milieu des neiges du nord ?

Essayant de faire de son mieux pour ne pas glisser à cause des hauts talons de ses bottes, la cadette Delancy fournissait tous les efforts du monde pour conjuguer équilibre, rapidité et focus. En plus de devoir réaliser ce numéro de funambule sur pavé, Iris était évidemment forcée d’esquiver la marée humaine qui circulait devant l’esplanade du portail de téléportation et les rues adjacentes. Et si tout cela n’était déjà pas suffisant, il fallait que la jeune femme conserver son regard sur son grand-père, qui cavalait bien plus vite, à quelques mètres devant elle. Astrid n’avait pas encore utilisé son pouvoir de vitesse fulgurante ; et quand bien même il l’aurait fait, vers où serait-il allé ? D’après ses dires, Dahlia n’aurait pas épilogué davantage et aurait simplement annoncé un retard, et une fée. D’ordinaire, les fées ne vivaient pas en montagne et peuplaient plutôt la Grande Forêt ainsi que certaines zones boisées de l’Archipel. En trouver une au beau milieu d’un pays de glace et de froid relevait presque du miracle, tout le monde savait ces choses-là. Elle ne pouvait pas avoir éclos ici, et se perdre de la forêt jusqu’à la Forteresse faisait une sacrée trotte. Cette fée, si elle existait bel et bien, devait avoir été emmenée ici par une main humaine. Et si un humain s’adonnait à du trafic de créatures belliqueuses, et dangereuses, au sein même de la Forteresse, Dahlia aurait bien plus à s’inquiéter que de pourchasser une fée facétieuse…

- Si j’avais su qu’on aurait dû chasser des créatures en pleine ville, j’aurais ramené mon fouet, ou maman. Un dragon pour flairer des monstres, ça aurait été sacrément plus pratique.

Pour rattraper son grand-père, et surtout par grand souci de style, Iris grimpa sur un parapet et, en un claquement de talons contre la pierre, effectua une élégante pirouette gymnastique pour atterrir à ses côtés et éviter d’autres badauds . Ces derniers regardèrent la Méduse avec des yeux ronds, ouvrant légèrement la bouche, tandis que la flambeuse continuait sa marche comme si de rien était.

- Aaah, je me disais bien que les leçons de gym que grand-mère m’a fait passer me serviraient un jour ! S’écria-t-elle, insouciante.

La fantomatique Haydée, aïeule des héritières Delancy, avait en effet tenté d’occuper l’esprit d’une jeune Iris en la faisant pratiquer un certain nombre de sports divers et variés. Parmi tous ceux que la belle avait eu l’occasion de pratiquer, la gymnastique était sans doute celui avec lequel elle était le plus entrée en phase. L’équitation et l’escrime étaient bonnes pour les fils à papa et ceux qui avaient besoin de s’en vanter tandis que, pour elle, la gymnastique équivalait à une danse aérienne dont chaque saut pouvait être le dernier. Le frisson qu’elle éprouvait à chaque pirouette, à chaque salto, était inégalé et lui donnait toujours envie de continuer.

- Arrête d’avancer, ça sert à rien de marcher au hasard. On a aucune idée d’où elle est ! Essayait Iris en tentant de retenir Astrid. La ville est si grande, il y a autant de chances de la trouver que de voir un piano tomber d’un étage !

Un vrombissement tonitruant provoqué par l’éclatement du bois et de cordes retentit presque aussitôt alors qu’un massif instrument bascula sur le trottoir. La caisse de résonance fut réduite en charpie dès l’instant où elle toucha le sol. Plusieurs cordes jaillirent hors de la table d’harmonie et des touches du clavier disparurent dans le caniveau. Une clameur émergea de la rue et se tut tout aussi vite, tout comme le bruit provoqué par la chute. Iris, s’était arrêté, le regard tourné vers l’instrument qui, même s’il venait d’être détruit, avait l’air de la toiser comme un pied-de-nez du destin.

- Un clavecin… Soupira-t-elle. Presque un piano ! Mais très bien, miss Fortune, allons fouiller la ville.

Changeant de rue, Iris et Astrid arrivèrent sur un quartier dans lequel le bruit était constant. Chaque bâtiment était une forge de laquelle tonnait le fracas des marteaux sur les enclumes Chaque fois que les deux femmes passaient devant l’une d’entre elle, une intense géhenne les frappait de plein fouet, le choc du froid qui revenait dès qu’elle s’éloignait ne devenant que plus douloureux. Jusqu'ici, elles n’avaient pas trouvé Dahlia. Elles étaient passées devant un orfèvre dont les créations auraient de quoi exciter tous les excités du bulbe féru d’armures. Iris en avait presque envie de dérober toute sa marchandise, sa pulsion ne faisant que grandir lorsqu’elle tomba nez à nez avec un casque modelé en forme de tête de dragon. Opal, son fidèle partenaire voleur de sa Ligue d’arnaqueur, serait fou en voyant pareilles merveilles. De quoi se faire un sacré paquet de cristaux. Ils continuèrent en progressant un peu plus, un papier journal congelé dans la neige faisait état d’une avalanche sur des montagnes en dehors de la cité. Un jeune forgeron, torse nu, à la peau tannée et aux muscles saillants, sortit s’aérer en se passant un chiffon crasseux sur le front. Iris le dévisagea longuement comme s’il était une pâtisserie de crème prête à être dévorée, avant de continuer son chemin en minaudant, joviale.

- Pourquoi Dahlia ne s’est pas perdue ici… ? Tu penses qu’elle s’est trouvée un petit ami dans ce quartier ? Elle a de quoi faire son marché par ici.

Iris était à deux doigts de s’engouffrer dans une autre forge pour s’amuser lorsque des cris se firent entendre venant du bout de la rue. Grognant pour manifester son agacement, la belle fut contrainte de changer d’idée. Réajustant son manteau de fourrure, l’arnaqueuse augmenta son allure pour voir de quoi il en ressortait. Plusieurs apprentis s’engouffraient dans la rue pour se réfugier à l’intérieur de leurs forges respectives, les bras chargés de nourriture brûlante qu’ils avaient été chargés d’acheter pour leurs pairs. De nouveaux éclats de voix se firent entendre, quelque chose était bel et bien en train de se produire.

- Quand on aura retrouvé Dahlia, je te jure, c’est elle qui paiera l’addition du restaurant !

Même pas le temps de s’essuyer la bouche que les choses s’enchaînent vite. Trop vite. Ce qui était quand même un comble pour une personne pouvant courir à la vitesse du son et de la lumière.
Une fée donc hein ? Drôle d'histoire. Mais était-ce vraiment SI bizarre que ça dans un monde comme Aryon et quand Astrid rentrait dans l'équation ? Eh, pas vraiment non plus. Puis la période où les choses commençaient à devenir VRAIMENT bizarres n'était pas si loin donc ceci expliquait peut-être cela.
Les recherchent d'Astrid et Iris les menèrent hasardeusement dans le quartier des forgerons, lieu des plus étouffants et des plus chauds, de bien des manières à voir comment la petite-fille se rinçait les yeux sur la musculature des forgerons. Pfff, elles auraient pas pu tomber sur le quartier des tavernes plutôt ? Ou le quartier des plaisirs ? Nul de chez nul !

Parce qu'une bizarrerie ne venait jamais seule, vint la marée d'apprentis paniqués et des cris. De surprise, de peur, et d'effroi. Hmm, autant dire que c'était un mauvais signe. Mais la femme à tout faire n'était pas réputée pour être prudente et alla voir de quoi il en retournait, accompagnée de sa petite-fille noble. Elles déboulèrent hors de la rue pour se retrouver sur une place marchande où plusieurs stands vendaient nourriture ou objets divers et variés.
Et là, l'apocalypse. Une foule qui cherchait à fuir le centre de la place par toutes les rues empruntables tandis que plusieurs bêtes régnaient en maître. Smilodon Fulgeo, warg blanc, cerberus...et bien d'autres encore. Ils vandalisaient les stands de nourriture tandis que des gardes tentaient de les maîtriser du mieux qu'ils le pouvaient en plus de protéger et d'évacuer les citoyens.
Mais dans le tas, aucune trace de fée ni de Dahlia.

-Euh, c'est quoi ce bordel ? Un festival spécifique du coin ? 

Est-ce que toute la ville était attaquée ? Aucune idée.

-Il faut vite qu'on trouve Dahlia, elle est ptet en danger. Proposa Astrid avec une pointe d'inquiétude dans la voix. Si on a pas de chance, elle combat en ce moment même une horde de monstre aussi. 

Quant à ce qu'il se passait sous leurs yeux, la citoyenne n'était pas garde et ils semblaient faire un travail remarquable. Plus ou moins. Si on oubliait celui qui venait de s'écraser lourdement sur le mur d'un bâtiment, éjecté par le warg blanc. Ou celui qui venait de se faire électrocuter par le Smilodon. Ok, il y avait QUELQUES problèmes, mais dans l'ensemble, tout ce passait bien. Mais ce n'était peut-être pas le cas pour son autre petite-fille qui était introuvable.
Peut-être que ces gardes avaient plus d'information ?

-Attends deux secondes, je reviens. Dit-elle à Iris.

À la vitesse du son, la blanche rejoignit comme si de rien n'était les côté d'une garde lourdement équipée qui se débattait avec un cerberus.

-Bonjour ma jolie.

-Qu'est-ce que… ? Commença la garde, surprise. Fuyez d'ici immédiatement, vous ne voyez pas que c'est dangereux ?!

-Si si, je vois en effet le danger, mais j'ai une toooouuuute petite question à te poser...Tu saurais où est l'adjudante Dahlia Delancy ?
 
-L'adjutante Delancy ? Elle est…Elle esquiva l'une des têtes qui tenta de la croquer et donna un coup de bouclier à une autre tête tout en reculant....en congé !

-Oooh je vois. Pas plus de précision ? Cette fois ce fut Astrid qui esquiva l'attaque de la troisième tête.

-Non !

-Hmm ok...Quelle déception. Mais ça ne pouvait pas être aussi facile que ça. Bah. Tout en haussant les épaules, elle continua : Bon eh bien merci pour les informations ! Bonne chance avec le cerberus !

Avec une tape dans le dos pour l'encourager, la citoyenne s'en alla...non sans donner un coup de poing à la vitesse du son dans l'une des têtes du cerberus pour aider la garde. Elle se serait brisée la main sans son pouvoir lui permettant de transformer les parties de son corps en acier.
De retour auprès d'Iris, elle lui annonça tout simplement :

-Bon bah…va falloir continuer nos recherches. Et espérer que Dahlia s'est pas fourrée dans ce genre de problème.

- La rue du Clairdelune ? Soupira Iris en avançant rapidement aux côtés de son grand-père. Qu’est-ce donc encore que cela ?

Ce n’était pas réellement le nom de la rue, mais celui que tous les citoyens de la Forteresse utilisaient pour désigner cette rue proche du quartier des forgerons. Le Clairdelune était un lupanar qui voulait se donner des grands airs de cabaret. D’aucun dirait qu’il ressemblait à l’Insomnie de la Capitale, et ce quelqu’un aurait tout à fait raison. Et pour cause, les deux établissements ; en plus de partager le même vase immonde en faïence sur une table basse de chambre à coucher, acheté dans un marché aux puces insalubre ; se fardait d’un vernis de maison de spectacle, un peu comme une vieille bourgeoise qui sent la mort et la naphtaline mais s’inonde de parfum. Singulièrement placé, le Clairdelune était sur une des pointes d’un pentagramme traçable sur un plan de la Forteresse, reliant notamment la Citadelle du Loup, le Quartier des ingénieurs, les Sources chaudes, et la réserve d’une boucherie chevaline. Et si ce dernier établissement et le Clairdelune partageaient une certaine concentration de saucisses, le bordel était l’affluent point de chute de l’écrasante majorité des forgerons harassés, en fin de journée. De ce fait, tout le bâtiment embaumait d’une fragrance perpétuelle à mi-chemin entre le désodorisant à la lavande et la sueur excessive, donnant des haut-le-cœur justifiés aux non-habitués, et des pensées folles aux amateurs de musc.

Arrivant au bout de la rue dans laquelle elles se trouvaient, Iris et Astrid bifurquèrent pour remonter la grande avenue pour rejoindre la rue du Clairdelune et retrouver Dahlia. Dans l’avenue, l’arnaqueuse ralentit l’allure, son regard étant passé sur la vitrine d’un fourreur dans laquelle étaient exposées de splendides manteaux panachés. Alors que, un peu plus haut dans l’avenue, plusieurs personnes gesticulaient comme des malades pris de convulsions ; tentant de combattre des illusions sans doute créées par la fée en fuite ; Iris pivota vers Astrid, posant un poing sur sa hanche et plissant les yeux derrière ses lunettes rectangulaires.

- Pourquoi est-ce qu’elle utilise tout le temps ton cristal de comm’, et jamais le mien ? S’indigna la belle en pinçant les lèvres. Je veux dire, tu es peut-être plus rapide mais moi au moins je ne m’arrête pas toutes les cinq secondes pour vomir.

La jeune femme s’apprêtait à ajouter qu’elle était, objectivement, plus jolie, mais elle ne voulait pas exposer une double évidence et fit le choix de demeurer humble. Elle quitta la devanture aux manteaux et se remit à avancer. Sur sa droite, une fille était allongée sous un chariot, sans doute pour fuir les manipulations magiques de la fée semant le chaos dans le quartier. Elle possédait cette expression de ferme contentement de ceux qui savent que, pour une fois, toutes les responsabilités reposent sur les épaules d’autrui. Le monde pouvait brûler autour d’elle, elle n’était pas celle qui devrait éteindre le brasier. Une mentalité partagée tant par les insouciantes survivalistes de sa trempe, que les par les vieux enfoirés qui font fi des jeunes générations. Si Astrid était capable de passer à la vitesse de l’éclair entre les badauds terrifiés ou en plein délire, Iris devait faire preuve de plus de minutie pour les écarter efficacement de son chemin. La Méduse était donc contrainte de slalomer entre les faibles d’esprits, dont un ressemblant à une fusion entre un bouledogue et une aisselle, pour passer rejoindre son aïeul. Quoi qu’ait pu tenter son aînée, il semblait que cela n’avait pas résulté en la capture du monstre mutin qui sévissait en ville. Frappés aléatoirement, les passants pouvaient soit être témoins de mirages ou s’en retrouvaient hypnotisés, forcés d’accomplir tout un tas de choses ingrates. Un chevalier dansait comme une oie aux côtés d’une commerçante qui agitait un torchon dans vide, beuglant pour qu’on éteigne un feu qui n’avait jamais pris. Quant à ceux qui n’avaient pas été affectés par la magie féerique, ils se permettaient d’immortaliser ces moments de honte en sortant subrepticement leurs cadres magiques, ou se hâtaient pour continuer leur routine comme si de rien n’était.

- CHIKO ! Hurlait une mère sur un tonneau couvert de neige, posé contre le mur d’une taverne. TU SORS DE TA CHAMBRE ! ON PART AU RESTAURANT SANS TOI SINON !

Bien évidemment, elle n’obtenait aucune réponse car, comme tout le monde le sait, les tonneaux ne parlent pas. Iris et Astrid passèrent la mère qui, à présent, tentait d’allécher le tonneau en lui vantant le délice des brochettes aigre-douce du restaurant en question. Mais, quand bien même les deux femmes n’étaient pas sous l’emprise de la fée, aucune d’elle ne réussissait à être convaincue de se rendre les goûter après leur excursion. Ainsi, pour la seconde fois en Aryon depuis 461, une fée causa la perte du chiffre d'affaires d’un cuisinier innocent et, surtout, ignorant.
Sur ces entrefaites, les deux femmes purent s’engouffrer dans la rue du Clairdelune. Il était impossible de la confondre avec une autre. Dès l’entrée par laquelle elles étaient passées, des femmes et hommes au visage maquillé à la truelle se mettaient à aguicher le moindre passant. Iris n’en trouvait aucun à son goût, et la vulgarité dont certains faisaient preuve se demandait comment on pouvait plébisciter des établissements comme celui-ci, ou encore l’Insomnie. La cadette Delancy se demandait quand la fée allait de nouveau frapper, dans la mesure où Dahlia leur avait demandé de la rejoindre ici. Scrutant la foule, Iris tentait de localiser sa sœur.

- Je crois que je la vois… Ah non, c’est un travesti. Ah, la voilà ! Enfin, je crois ? Si c’est elle, elle a dû changer de coupe et, autant te prévenir, sa frange est chaotique.

Iris et Astrid s’arrêtèrent. Sur leur gauche, se dressait le Clairdelune.

Astrid poussa un petit sifflement impressionné en arrivant devant ce qui semblait être le Clairdelune. Ça avait une sacrée gueule pour un bordel. L’extérieur était richement décoré et donnait l’allure d’un endroit de luxe et de luxure qui ne s’en cachait pas. Les services proposés à l’intérieur étaient probablement hors de portée de ce que la citoyenne pouvait se payer...Dommage.

-Hey Keru, c’est bien là ?

-Waf ! Waf waf waf ! Répondit le familier qui était dans les bras de la blanche. Elle l’avait ramassé un peu plus tôt près du quartier des forgerons.

-J’vois j’vois. J’suis d’accord avec toi wé. Elle acquiesça, l’air pensive mais n’ayant absolument pas compris ce qu’il disait.

-Waf waf waf.

-Ouais moi aussi j’pense que je suis la plus responsable et adulte des deux, d’où le cristal de comm’ hehe.

Petit sourire en coin tout en lançant un regard moqueur à sa petite fille. Elle n’en ratait pas une pour lancer des piques, comme à son habitude.
Et donc la garde avait trouvé une piste dans ce lieu peu fréquentable huh ? Ça arrangeait la femme à tout faire qui pourrait pleinement en profiter pour se rincer l’œil, à défaut de pouvoir employer les services des jolies femmes qui y travaillaient. Quant à savoir s’il y avait un lien entre le Clairdelune, la fée voleuse, et les animaux qui attaquaient une partie de la ville...elles allaient bientôt le découvrir. D’ailleurs, est-ce que Dahlia était déjà à l’intérieur ? En jetant un regard rapide aux environs, elle ne l’aperçut pas. Ptet bien que oui, ptet bien que non. Bah !  La bave aux lèvres et des étoiles dans les yeux, la femme à tout faire ouvrit les portes de l’établissement dans un grand fracas comme à son habitude et s’exclama avec sa bonne humeur habituelle :

-Saluuuuuuuuuuut, Astrid Dalgaard est dans la plaaaaace !

Histoire de bien se faire remarquer. Si sa petite-fille était à l’intérieur, elle était au moins prévenue.
Sauf que...ce ne fut pas le cas car pour une fois, le bruit à l’intérieur de l’établissement était bien plus fort que la voix d’Astrid qui se fit à peine entendre. Bouffée de chaleur contrastant avec le froid du nord, de l’alcool de la nourriture et de jolies femmes à foison, de multiples discussions en cours, des rires graves d’hommes venus assouvir leurs besoins, de la musique entraînante à vous percer les tympans, et des cris de femmes qui ne laissaient que peu de place au doute. Dans la pièce principale, sur une scène des plus impressionnantes, des femmes toutes très attrayantes et aux arguments de poids portaient de longues robes à frou-frou et levaient leur jambe ainsi que leur jupon au rythme endiablé de la musique. Le truc bizarre c’était qu’elles portaient toutes des ailes de fée. Drôle de design.

-Ouep. J’aime bien l’endroit. Commenta la citoyenne à travers le brouhaha en zieutant la première bière qu’elle put voir en se léchant les babines avant d’attarder son regard sur (sous) les jupes des danseuses. Je reconnais cette danse, c’est du Aryon cancan. J’pensais que c’était populaire qu’à la capitale mais faut croire que non heh.

Par contre, où était Dahlia dans tout ce bordel ? Impossible de le savoir. Il y avait trop de monde. Nul trace de fée ni de monstres non plus. Il fallait donc la retrouver, ou faire en sorte de se faire assez remarquer pour que...ELLE les retrouve. Et ça, c’était la spécialité de la chieuse qui eut une idée de génie (de merde). Avec son éternel sourire de gamin préparant un mauvais coup, elle dit à sa compagnon d’infortune en lui prenant la main :

-Iris, suis-moi, j’ai une idée pour retrouver Dahlia…

Les deux femmes se frayèrent un chemin à travers la foule et la blanche s’assura de ne pas lâcher Iris pour ne pas la perdre, et pour...lui forcer un peu la main, aussi.
Très vite, elles se retrouvèrent à côté de marches qui ne menaient non pas vers le deuxième étage ou vers une cave quelconque, mais vers la scène où le spectacle principal se déroulait.
Ni une ni deux, Astrid poussa sa petite-fille sur la scène et l’accompagna tout aussitôt. La blanche se plaça à côté de l’une des danseuses, déboutonna un peu sa chemise pour révéler un peu de peau et être plus aguicheuse et commença à l’imiter – sans jupon et frou-frou c’était moins intéressant mais eh – sous les cris encourageants des clients.
L’avantage aussi c’était que depuis la scène, Astrid pouvait désormais avoir une vue d’ensemble sur la salle et pouvait plus facilement repérer la garde.
Puis, c’était fun aussi.
Heh.