A l’entrée de la salle de réception, Aeron s’arrêta quelques secondes le temps que le héraut annonce son arrivée. Une fois cette formalité réalisée, le Prince pénétra dans la grande pièce, dans laquelle la majorité des invités se trouvaient déjà. Le dos droit, les épaules en arrière dans un pourpoint blanc réalisé sur mesure par la Couturière Royale, Olenna Belmont, le jeune homme s’attachait à démontrer une impression régalienne sur les sujets qui étaient rassemblés ce jour.
Un fin sourire aux lèvres, il fit signe aux chanceux du jour de reprendre le cours de leur soirée, et promena son regard sur l’assemblée. Il serait faux de dire qu’il cherchait quelqu’un en particulier, dans la mesure où il cherchait plutôt quatre personnes, mais pas toutes dans le même ordre. Le fait que Mère ait fait reposer le choix du prochain élu, ou élue au demeurant, sur lui, s’inscrivait nettement dans la responsabilisation progressive que ses royaux géniteurs mettaient en place afin de préparer leur succession, puisse-t-elle arriver le plus tard possible.
Le départ de Queen Milan vers le Village Perché, pour y prendre le poste de Gouverneur et relais du Gouvernement, avait laissé un vide qui risquait de s’avérer béant à terme au niveau de la Trésorerie du Royaume. Non pas un vide financier, bien évidemment, mais en terme de prise de décision, et de remontée d’information. Il faut bien utiliser tous les outils dont nous disposons, et envoyer Dame Milan dans la Grande Forêt était la meilleure solution. Cela, le Prince en était intimement convaincu, et il escomptait bien que l’histoire lui donne raison.
Cependant, il fallait donc un remplaçant au poste de Trésorier Royal. En attendant, les affaires courantes ne posaient pas de souci, mais il s’agissait tout de même de trouver la meilleure personne pour reprendre ce rôle ô combien complexe. Les trois candidats qu’il avait proposés à Mère avaient eu un accord de principe, mais il restait à Aeron à les approcher, échanger sommairement avec eux pour déterminer s’il risquait d’y avoir un problème. Et cette réception à laquelle ils étaient tous les trois conviés était l’occasion parfaite.
Distraitement avec un signe de tête en guise de remerciement, le jeune homme attrapa une coupe de champagne sur un plateau qu’un serviteur lui présenta, et fouilla la pièce des yeux pour trouver le Conseiller Royal qui devait l’aider dans cette tâche. Ses parents avaient insisté plus que de coutume pour qu’il y participe avec lui, sans lui en donner les raisons. Rhis Dolamn était à son poste depuis plusieurs années déjà, et était un allié de confiance du couple royal. S’agissait-il de le chaperonner, de le superviser, ou simplement de le mettre en contact plus prolongé qu’au cours des réunions et conseils qui avaient pu avoir lieu ces dernières années ?
La première réponse semblait peu probable, étant donné la quantité de plus en plus importante de dossiers qu’il gérait déjà seule, mais la sensibilité du poste faisait qu’il n’écartait pas cette possibilité. Du coup de l’œil, il remarqua Maria Carré, une des pistes possibles à la succession de Dame Milan. La grande blonde, sculpturale, connaissait une ascension que d’aucuns qualifieraient de fulgurante au sein de la bureaucratie nationale, aussi bien en raison de ses compétences propres, à aguerrir, que de ses contacts au sein de la Noblesse.
Mais pour l’instant, la priorité était autre.
S’immisçant entre deux groupes de courtisan, Aeron salua Dolamn et sa compagnie du moment, une petite brune qui s’éventait frénétiquement de son éventail.
« Puis-je vous emprunter Maître Dolamn quelques instants, je vous prie ?
- Bien sûr, Votre Grâce, bafouilla-t-elle, j’espère que nous aurons l’occasion de converser ensemble ce soir également.
- Je n’en doute pas un seul instant, répondit le Prince. »
Il en doutait fortement : il était ici pour affaires, et s’il devait parler pour s’amuser, il ne choisirait clairement pas une noble fade et paniquée rien qu’à l’idée de lui adresser quelques mots.
« Rhis… Puis-je vous appeler Rhis ? Venez, dirigeons-nous vers le banquet. »
C’est qu’ils étaient présentement beaucoup trop entourés pour pouvoir parler à cœur ouvert, ou en tout cas sérieusement. Les contraintes de leurs offices respectifs avaient fait qu’ils n’avaient pu préparer ensemble la soirée à venir.
« Je ne sais pas si Mère ou Père vous ont averti de nos rôles ce soir. Comme vous le savez sans doute, Dame Milan quittera incessamment sous peu son poste de Trésorière Royale pour devenir Gouverneur du Village Perché. Nous sommes donc à la recherche d’un nouveau trésorier, et il se trouve que les trois candidats sur lesquels nous avons arrêté notre choix sont présents ce soir. Mère tenait à ce que vous veniez avec moi pour échanger quelque peu avec eux. Je crois que vous avez leurs noms, cela dit ? »
Aeron tendit la main pour attraper un petit four, un genre de pâté sur une brioche aux fruits secs, qu’il savoura avec son sérieux habituel et nota d’en féliciter le chef. Le Prince adressa un sourire à son conseiller.
« Êtes-vous prêt ? »
Il y avait toujours énormément à apprendre au sein d’une réception. Il suffisait d’être un tant soit peu observateur pour remarquer une foule de petits détails. Le mari de Dame Emilia s’était déjà abondamment resservi des verres de champagne, mais avait une descente assez profonde pour ne rien en laisser voir ; le marquis Ernest Fulgi n’arrêtait pas de se moucher, et c’était probablement sa femme qui l’avait poussé sorti hors de son lit pour assister coûte que coûte à cette réception ; enfin, un noble se vantait de manière assez peu discrète et élégante qu’il avait trouvé un artiste qui faisait de magnifiques portraits, et qu’il pourrait donc laisser son (magnifique) visage à la postérité.
L’espace d’un instant, la fête sembla s’interrompre lorsque le héraut annonça l’arrivée du Prince. Le dos droit et l’air assuré, l’héritier royal entra dans la grande pièce et permis rapidement aux invités de reprendre leur soirée. Du coin de l’œil, Rhis le vit prendre part à la réception, puis, il se concentra de nouveau sur les courtisans qui l’entouraient. La plupart faisaient des commentaires appréciateurs sur l’aîné des Renmyrth qui, selon eux, prenait de plus en plus d’assurance au fil du temps. L’espion ne pouvait pas tellement leur donner tort. Il avait bien eu une appréhension à son retour de la Tour, quand Aeron avait vécu une sorte de traumatisme, mais cet épisode sombre semblait derrière lui, et le jeune homme semblait définitivement vouloir assurer son rôle d’héritier le mieux possible. Rhis avait bien remarqué qu’Allys et Grimvor préparaient leur fils à reprendre la succession, et le protecteur royal appréciait le sérieux avec lequel le Prince s’impliquait dans son rôle. Cela étant dit, on ne pouvait pas dire que le conseiller avait eu beaucoup d’interactions avec le jeune noble, il avait davantage passé du temps avec ses parents, quand il ne partait pas pour eux en mission.
Les choses allaient manifestement pouvoir changer puisque le Prince vint à sa rencontre. Rhis lui en fut presque reconnaissant, puisque sa nouvelle interlocutrice n’était manifestement pas une lumière et essayait bien maladroitement de se donner une contenance à l’approche de l’héritier royal. L’homme s’inclina légèrement lorsqu’Aeron arriva à leur hauteur et la demoiselle s’esquissa bien vite pour leur laisser un peu d’intimité. Si tant est qu’on pouvait parler d’intimité dans une salle de réception remplie de courtisans. Aussi, quand le fils de Grimvor lui demanda s’il pouvait l’appeler par son prénom, il opina d’un bref acquiescement de la tête.
- Bien sûr, Votre Grâce, et un sourire apparut sur son visage. J’ai vu que des apéritifs ont été déposés par les domestiques, il s’agit apparemment d’une nouvelle création du chef. Je suis sûr qu’il serait ravi si vous goûtiez ses petits plats au four.
Evidemment, ce n’était qu’un prétexte, ni lui ni Aeron n’étaient là pour une dégustation, et il écouta donc le Prince lui présenter leurs rôles de ce soir. Il était bien sûr au courant que Queen Milan allait devenir prochainement Gouverneur du Village Perché et qu’elle allait quitter son poste de trésorière. Il fallait donc la remplacer par une personne suffisamment intelligente pour savoir gérer ses comptes, suffisamment habile pour savoir ruser et tirer des bénéfices pour la Couronne, et suffisamment loyale pour ne pas qu’ils aient un membre entièrement corrompu au sein de leur gouvernement.
La reine souhaitait que Rhis épaulât le Prince dans cette tâche, ce qu’il pouvait comprendre, mais l’homme aux yeux lilas comptait laisser entièrement le choix à l’héritier royal. Il le conseillerait et lui donnerait évidemment son avis, mais ce serait à Aeron d’avoir le mot final.
- Nommer Queen Milan au poste de Gouverneur était selon moi une bonne idée, commença prudemment le conseiller, après s’être assuré qu’aucune oreille indiscrète ne pouvait les écouter. C’est une femme qui, pour ce que j’en sais, fait beaucoup d’efforts pour atteindre ses objectifs. Tout du moins, son ambition la pousse à avoir des résultats, des résultats qui sont bons, et qui sont, de facto, favorables à la Couronne. En ce sens, vous n’aurez certainement pas un Gouverneur fantoche, comme ceux qui l’ont précédée, et elle pourra certainement donner une grande plus-value au Village Perché. Peut-être pourra-t-elle mettre un terme à l'insécurité qui y règne et revaloriser la région d'un point de vue commercial et culturel.
Rhis s’interrompit pour prendre une coupe de champagne qu’un domestique lui proposa et il attendit que le serveur s’éloigne avant de reprendre la parole.
- Cela dit, ses compétences de trésorière étaient incontestables. Vos parents m’ont bien fait part des trois candidats qui pouvaient reprendre son poste. Sa Majesté la Reine m’a également informé qu’elle vous avait confié la tâche de choisir son successeur. Je suis donc prêt quand vous voulez, sourit-il à l’adresse du Prince.
Un bref parcours de la salle lui permit d’ailleurs de repérer l’une des intéressées. Maria Carré discutait visiblement avec un courtisan, qui la délaissa bientôt lorsqu’il fut abordé par d’autres connaissances. C’était le bon moment pour aller la voir.
- Pourquoi ne commencerions-nous pas par aller voir Dame Carré ? suggéra-t-il et il attendit la réponse d’Aeron avant de se mettre en marche. Il profita de ce bref instant en privé pour souligner quelques éléments au jeune noble. Elle a fait une carrière sans faute jusqu’à présent. D’après mes sources, elle est sociable, énergique et pétillante, et elle est parfaitement à l’aise avec le fonctionnement bureaucratique. Elle pourrait donc trouver sa place à la cour, spécialement en tant que trésorière, mais elle manque beaucoup d’expérience, et cela pourrait jouer en sa défaveur.
Des trois candidats, elle était la plus la plus jeune, mais cela ne voulait pas dire qu’il ne fallait pas lui laisser une chance. Aeron lui-même était jeune et cela ne l’empêchait de remplir du mieux qu’il le pouvait ses obligations.
Dans tous les cas, le conseiller s’arrêta devant la demoiselle, qui s’inclina respectueusement devant le Prince.
- Votre Grâce, messire Dolamn. Que me vaut le plaisir ?
Au moins la femme n’était pas impressionnée par le statut d’Aeron ni la présence de Rhis et c’était une bonne chose. Il fallait cependant voir si, derrière ce regard espiègle et charmeur, ne se cachait pas une dame trop ambitieuse, qui risquait ou non de leur poser problèmes.
Aeron lança un coup d’œil à Rhis avant de tourner toute son attention vers Maria Carré. Ils étaient arrivés précisément dans l’intervalle sur va-et-vient des conversations, alors qu’elles s’éteignaient plus ou moins spontanément avant de reprendre un peu plus loin, à échanger les dernières rumeurs, ou informations davantage établies, auprès des uns et des autres. Vu du ciel, peut-être que cela aurait donné une chorégraphie un peu mystique, analogue à celle de ces énormes nuées d’étourneaux tournant tous de concert pour répondre à un signal qu’eux-seuls comprenaient.
Ou peut-être que les buffets nobles comme celui-là ne montraient qu’un comportement digne des linottes.
Pourtant, il ne faisait aucun doute que la grande majorité des invités se considéraient comme des oiseaux de proie, le chasseur et non la cible, à l’affût de la bribe qui leur permettrait de prendre le dessus. Le jeune homme supposait que c’était son cas également, à mêler l’agréable –des mets et des boissons raffinés- à l’utile : échanger avec les héritiers putatifs au poste de Trésorier Royal.
La grande blonde leur adressa un sourire parfaitement engageant, qui mettait en avant ses grandes dents blanches, et effectua une petite révérence qui laissait entrevoir le creux de son décolleté. Ni dénuée de charme, ni opposée à s’en servir, nota le Prince.
« Dame Carré, j’ai pu consulter votre rapport sur la taxation sur la soie de Tissenuit. Le sujet étant en cours depuis plusieurs mois maintenant, votre éclairage a permis d’apporter un œil neuf dessus.
- Je vous remercie, Votre Altesse.
- Je crois que vous avez travaillé de concert avec Dame Milan sur cette problématique ? »
La question était un peu piégeuse, étant donné qu’il savait pertinemment que Queen n’avait écrit que les conclusions du rapport, le validant par là-même pour transmission à la famille royale. Mais connaître la réponse fournirait un éclairage particulièrement intéressant sur l’attitude de leur prospect, et c’était plutôt cela qu’il cherchait. Aeron tentait de mettre en application les conseils de ses parents pour juger et jauger les membres de son futur gouvernement, après tout, afin de réussir à bien s’entourer, au moins aussi bien que le couple royal avait pu le faire. Car même avec l’incroyable force de travail de la Reine, peu aidée il était vrai par son mari, personne ne pouvait porter seul le fardeau qu’était l’administration du Pays, a fortiori avec les tensions naissantes inhérentes à la découverte d’une autre nation par-delà la Frontière.
« Tout à fait, Dame Milan a validé les conclusions, et j’ai été également aidée par une grande partie du service, notamment pour l’application de dispositions légales un peu anciennes. Cela m’a permis d’acquérir la connaissance correspondant, et, si je puis me permettre, le commerce et la taxation de la soie de tissenuit n’a plus aucun secret pour moi ! »
Maria Carré éclata d’un rire cristallin qui attira l’attention de quelques courtisans proches, et qui, constatant ses interlocuteurs, se gardèrent bien d’intervenir en s’ajoutant à la conversation. C’était qu’un Conseiller Royal et la Prince venaient rarement tailler le bout de gras sans raison, et à part la jalousie d’autres héritières célibataires et accortes, et la méfiance d’ambitieux sur la touche, il y avait peu à en tirer. Aeron se fit la réflexion qu’avec Rhis, ils ne devaient pas être loin de constituer deux des bachelors les plus convoités de la soirée.
Ils échangèrent encore quelque peu avec Dame Carré, avant de prendre congé, prétextant avoir vu un bout du buffet qui avait retenu leur attention, et il n’était pas totalement faux de dire que le bar en croûte de sel qui venait d’arriver méritait tout à fait un, voire plusieurs, détours. Sur une dernière révérence, plus profonde que la première avec les conséquences que l’ont pouvait imginer et qui manquèrent de faire lever les yeux au ciel au Prince, Maria s’esquiva pour, sans aucun doute, aller raconter le contenu de leur conversation à ses amis, ses ennemis, et ses connaissances, en arrondissant de la façon la plus judicieuse suivant les interlocuteurs. Notant que leurs coupes étaient vides, le jeune homme en attrapa deux et en tendit une au conseiller royal, tandis que, naturellement, les voyant en pleine conversation, chacun s’arrangeait pour leur laisser un peu d’espace.
« Alors, Rhis, qu’en avez-vous pensé ? Dame Carré a su faire preuve de modestie tout en mettant en avant son travail, certes assistée par l’ensemble du service, mais elle semble bien être celle qui aura paraphé la majorité du rapport. Et elle maîtrise effectivement parfaitement la taxation de la soie, y compris plus habituelle des vers, en plus de celle des tissenuits. Il s’agit d’une bonne ouverture sur l’industrie textile de manière générale. Et savoir bien s’entourer, peu importe la hauteur de vue, est toujours nécessaire. Quant à son attitude charmeuse… »
Le Prince ne savait pas trop quoi dire sur le sujet. Pour lui, cela n’avait rien d’inhabituel, et peu nombreuses étaient les jeunes femmes qui ne tentaient pas leur chance, sous quelque forme que ce soit. Il supposait simplement qu’il ne fallait pas que cela devienne trop prépondérant dans le reste de son travail, ou que Dame Carré n’y fasse appel en permanence à chaque fois qu’elle aurait un dossier à traiter. Sans doute faudrait-il creuser au sein du service les circonstances exactes dans lesquelles la Trésorerie Royale avait collaboré pour fournir le rapport.
Un peu plus loin, Pancrace Ecorce faisait des grands gestes et secouait la tête et sa barbe imposante en racontant en histoire qui faisait rire à gorge déployée les trois hommes qui lui faisaient face. Initialement un simple marchand, il avait progressivement gagné en envergure jusqu’à travailler pour la Guilde des Fondeurs, et s’était progressivement imposé comme un interlocuteur privilégié de la Couronne pour tout ce qui concernait la métallurgie, jusqu’à rejoindre les finances du Royaume. La quarantaine bien tassée, il jouissait d’un carnet de contact spécialisé, d’une réputation exemplaire, et de ce que certains qualifiaient, en son absence, d’une bien trop grande gueule.
Cela tombait bien, il était leur deuxième candidat.
- Gage RP:
- Gage RP : Tu devras t'étaler de tout long de manière gênante en public devant des personnes importantes pour toi (hiérarchiquement ou sentimentalement). https://aryon.forumactif.com/t2673p200-tirage-d-aryon#88860
Lorsqu’ils arrivèrent à hauteur de Dame Carré, Rhis l’observa faire sa révérence en direction du Prince. A première vue, elle était avenante, relativement jolie, et elle ne semblait pas dénuée d’assurance. Ce dernier point était assez intéressant si on voulait prétendre au poste de Trésorière Royale, car si cette fonction octroyait des privilèges, elle pouvait aussi être assez ingrate. Il fallait savoir s’imposer et gérer ses subalternes avec doigté pour obtenir de bons résultats et quelqu’un qui hésitait à tout bout de champ ne correspondait pas vraiment au profil qu’ils recherchaient.
Le conseiller royal laissa le Prince prendre l’initiative et le garde les écouta donc parler de la soie de Tissenuit. Aeron lui fit d’abord des compliments – ce qui dut sans doute satisfaire l’ego de la jeune femme – puis, il lui posa une question concernant son travail avec Dame Milan. La blonde ne tarda pas à confirmer son implication dans le rapport, tout en reconnaissant qu’elle avait été par l’ensemble de son service. C’était un bon point, là aussi. Elle ne cherchait pas à se vanter et à s’attribuer tous les mérites d’un travail collectif. Il était toutefois évident que la noble avait été au centre de ce compte rendu, aussi, Rhis la crut de bonne fois quand elle affirma que le commerce de la soie de tissenuit n’avait plus aucun secret pour elle.
L’héritier au trône et l’espion ne tardèrent pas à prendre congé, en s’attardant sur un bar particulièrement délicieux. Maria Carré ne se priva évidemment pas pour faire une révérence… plus profonde qu’à l’accoutumée, puis elle s’éclipsa à son tour, certainement pour aller raconter sa rencontre avec le Prince à d’autres interlocuteurs. Laissé seul avec le Prince, Rhis ouvrit la bouche quand Aeron lui demanda son avis et il saisit distraitement la coupe que le fils de Grimvor lui tendait.
- Sa modestie joue certes en sa faveur et elle semble savoir travailler avec le reste de son service. Ce n’est pas négligeable. Ses connaissances en matière de textile sont également une plue-value qui pourraient lui être utile dans le cadre de ses fonctions… Mais elle a un côté charmeur qu’elle n’hésite pas à utiliser. Alors certes, la manière dont elle utilise ses… talents ne regarde qu’elle, mais il ne faudrait pas non plus que ce soit une arme ultime que Dame Carré utilise à tout bout de champ. Il me semble que qu’on doit aussi faire preuve de sérieux pour obtenir ce poste. Peut-être qu’enquêter sur la façon dont elle a fait son rapport nous apporterait des éléments de réponse intéressant sur ses manières de procéder.
L’attention de Rhis fut bientôt attirée par Pancrace Ecorce, un homme avec une longue barbe qui était un bon orateur. Doté d’une voix imposante, il faisait rire son groupe et l’espion commença donc à se diriger vers lui. Il déposa sa coupe sur un plateau qu’une serveuse lui tendait, et ne s’en préoccupa pas davantage.
Il aurait dû. Soit que la domestique ait été toute nouvelle dans son rôle, soit qu’elle ait été trop stressée par la présence du Prince, il vit du coin de l’œil le plateau avec les différents verres vaciller légèrement. Un peu surpris, le conseiller ralentit pour lui demander si tout allait bien, et il ne prit plus garde aux gens devant lui.
Quand il se rendit compte qu’il était sur le point d’heurter d’autres invités, Rhis eut le réflexe de s’arquer légèrement pour ne toucher personne, mais ce fut au détriment de son propre équilibre. Il tituba d’un ou deux pas, avant de s’étaler de tout son long à terre.
Quand on chute en public, cela attire aussitôt l’attention, et cette fois-là ne fit pas exception à la règle. Encore plus quand on est accompagné du prince héritier et qu’on guette discrètement vos faits et gestes. Les différents groupes dans la salle tournèrent donc simultanément la tête vers les deux hommes, alors que la serveuse, rouge de confusion, aurait bien voulu disparaître sous terre.
- Je-je-je suis désolée ! Je vous ai distrait et vous êtes tombés !
A choisir, Rhis aurait préféré qu’elle se taise plutôt qu’elle n’attire encore plus l’attention sur eux, mais on ne pouvait pas tout avoir dans la vie. L’homme ne s’était de toute façon pas vraiment fait mal, mais tomber comme un bleu au beau milieu d’une réception mondaine était particulièrement gênant. D’autant plus que c’était la première fois qu’il collaborait avec le Prince, il aurait donc préféré que ça arrive à un autre moment.
Mais bon, c’était « juste » son ego qui en avait pris un coup, et l’espion ne tarda pas à se relever. Inutile d’être le centre du spectacle trop longtemps, et il se contenta d’adresser un sourire neutre et poli à la serveuse, à défaut d’autre chose.
- Je pense qu’on va avoir besoin de votre aide en cuisine. Est-ce que le chef ne va pas présenter d’autres dégustations ?
Accessoirement, il lui aurait bien dit d’aller retourner faire un stage dans un restaurant du Royaume, mais il n’allait pas lui foutre la honte pour le plaisir, et la demoiselle ne tarda pas à s’incliner pour s’éclipser le plus rapidement possible. Elle ne reviendrait sans doute plus en salle aujourd’hui, mais c’était bien le dernier souci de Rhis en ce moment.
Quoi qu’il en soit, Pancrace Ecorce les observait, lui aussi, et quand Aeron et Rhis arrivèrent à sa hauteur, il les apostropha d’une voix légèrement espiègle, mais chaleureuse.
- Eh bien, Messire Dolamn, vous avez bien diverti la galerie ! Il ne faut pas abuser de la boisson, vous savez ?
Rhis se contenta de lui adresser un sourire mi-figue mi-raisin.
- Malheureusement, il semble que je ne suis pas très habile, aujourd’hui, répliqua-t-il d’un ton léger, qui se voulait bon joueur.
L’homme hocha la tête puis se tourna vers le Prince et s’inclina légèrement.
- Votre Grâce. C’est un plaisir de vous avoir à nos côtés.
Formule de pure politesse, mais Messire Ecorce n’avait pas pour autant un ton désagréable. Après avoir laissé le Prince répondre, il reprit lui-même la parole.
- Pour être honnête avec vous, fit le marchand en passant sa main dans sa barbe, je suis content de vous voir. Avec les événements récents, certains marchands ont hâte de pouvoir commercer près de la Frontière, d’autres se méfient et espèrent profiter de la situation ambiante pour vendre un maximum de matériaux à des prix attractifs auprès de nos concitoyens. Je pense qu’il serait bon pour la Couronne de réguler l’offre et la demande, en commandant peut-être un certain stock aux commerçants pour… par exemple, refaire la garnison de la Garde. Cela nécessiterait des artisans et feraient bien tourner notre économie.
– Il s’agit de toute sorte de dépenses, observa Rhis. Comment feriez-vous pour que nos finances ne s’en trouvent pas trop désavantagées ?
- En créant des taxes, expliqua simplement l’homme barbu. Je sais que Sieur Cornélius était contre, mais ce n’est qu’un blanc bec stupide qui a investi dans la métallurgie et qui regarde maintenant bien trop à sa bourse. Il s’agirait, dans ce cas, de ne pas établir une taxe trop élevée, pour qu’elle ne pèse pas des masses sur les artisans et les marchands d’Aryon, mais cela permettrait de récolter un revenu certain pour le Trésor. Si Dame Milan ne partait pas pour le Village Perché, elle serait certainement d’accord avec cette initiative…
Brusquement conscient qu’il ne faisait que parler, il s’arrêta et regarda davantage Aeron.
- Mais je m’excuse, vous vouliez me voir pour une raison ?