- Rappel Contexte Colonisation:
- Sécuriser l'acheminement d'eau potable
Malheureusement, les puits magiques installés à proximité du camp de fortune initial se sont depuis enlisés et ne suffisent plus à fournir suffisamment d'eau potable pour une ville de grande envergure. Compte tenu de l'effort que coûterait le fait de déplacer toute la cité jusqu'à la première oasis, les services de logistiques souhaitent embaucher des citoyens volontaires pour dé-sabler ces puits et en creuser de nouveaux, sécurisés. Ceux-ci fonctionnent sur un principe identique aux gourdes fontaines. Un troupeau de Filambules récemment apprivoisées vous aideront dans cette tâche ardue grâce à leur étrange capacité magique - attention toutefois, ils peuvent se montrer capricieux et craintifs.
Il y avait là un semblant de déjà vu. Le vent frais de l’altitude faisant virevolter ses blondes mèches comme une armée folle de points d’interrogations au sommet de sa tête. La poussière rugueuse, dorée, se prenant dans ces filaments clairs pour s’y emmêler joyeusement avant d’aller caresser les surfaces alentours pour s’y déposer brièvement, avant d’être chassée par la brise féroce entretenue par l’allure du ballon magique. Les bras invisibles, mais à la chaleur bien palpable et de plus en plus étouffante – plus encore que celle de la saison chaude qui se profilait doucement mais certainement à l’horizon – du désert se découvrant peu à peu au regard, les attirant inéluctablement contre son sein, rappelant en écho les sombres reviviscences de ses entrailles. Refermant d’un geste machinal les pans de sa cape en tissu anti-climat, Calixte observa d’un œil prudent les reliefs escarpés du bord de l’île se rapprochant. Il y avait là un passé à accepter, un futur à reconstruire. Une large année s’était écoulée depuis l’expédition dans les Ruines du Corbeau, mais si le temps avait pansé les plaies qu’il en avait gardé en souvenir, la cicatrice était encore bien trop fragile pour dissimuler tout à fait des tourments qui auraient dû être révolus. Il y avait là, aussi, une réalité à affronter.
Ca désert ? fit contre son esprit la voix curieuse de Kaname. Grosse plage sans mer.
Elle avait tenu à les accompagner pour cette mission, une fois n’était pas coutume, sous sa forme d’origine de loutre géante – bien que, présentement, elle eût utilisé son pouvoir pour décroitre de taille et être acceptée sans esclandre à bord du transport volant – afin de les aider au mieux. Si elle affectionnait l’utilisation du collier de métamorphose et manquait peu d’occasion d’exercer sa forme humaine afin de pouvoir prétendre, un jour, au titre de garde Royale, elle était pleinement consciente de la supériorité actuelle de ses capacités en tant que loutre plutôt qu’en tant qu’humaine. Ainsi, c’était pour l’heure Ashae, la shupon, qui profitait de traits magiquement modifiés. Et qui tenait la ménagerie du coursier. En effet, la plupart de ses familiers avait voulu le suivre – bien que seuls Vreneli et Mélyne eussent été présents la fois dernière, tous avaient été témoins des séquelles des deux soldats d’une manière ou d’une autre, et le spectre latent du désert avait ainsi aiguisé leur curiosité comme leur instinct filial de protection.
- C’est le désert, oui, acquiesça distraitement Calixte, balayant du regard l’étendue sablonneuse s’allongeant toujours plus à mesure de leur progression.
Les reliefs du campement de la nouvelle colonie se contemplaient maintenant sans difficulté, leurs silhouettes géométriques et colorées se détachant sur le paysage de dunes en camaïeu d’ocre. Ici et là se découpaient quelques structures rocheuses ou florales, sentinelles solitaires dans un décor surnaturel, zones d’intérêt involontaires de la curiosité des âmes ayant décidé d’explorer cette terre de mystères. De dangers. Et c’était précisément en rapport à ce dernier point que le coursier et son amante avaient été dépêchés par le Bastion aux abords du lieu de leurs derniers supplices.
Rien d’aussi périlleux que leur mission dernière dans le désert néanmoins – ou, tout du moins, sur le papier – car ils seraient là présents pour assurer le bon déroulement de la remise en fonction du circuit de distribution d’eau potable. Une assignation presque ennuyante à première vue, puisqu’il ne leur faudrait que veiller à la sécurité des travailleurs voire, s’ils tenaient à faire du zèle, la sécurisation des infrastructures mises en place. Mais pour avoir laissé plus que de la sueur entre les mains du désert, Solveig et Calixte étaient bien placés pour savoir que cette tâche ne serait sans doute pas aussi aisée qu’elle ne le paraissait. S’il semblait actuellement difficile de penser que la menace pourrait être humaine, la faune alentour ne serait certainement pas en reste, de manière volontaire ou non. On les avait prévenu que l’équipe de travailleurs emploierait des filambules pour tenter d’œuvrer plus vite, et les ennuis viendrait certainement d’une part de ce côté ci. Ils avaient eu écho, aussi, de golems saccageant certains abords du campement, voire restant coincés dans certains de ses recoins. Le souvenir que le coursier conservait de ces créatures ne le rassurait pas tellement quant à la sécurité présente de la colonie en développement, et il ne tenait pas particulièrement à les recroiser. Il espérait, de la même manière, que le tracé des puits les éloignerait de celui du ravin à proximité où des mouvements hostiles avaient été détectés et où certains de leurs collègues étaient partis enquêter.
Avec un peu de chance, ce serait une mission aussi facile qu’elle le semblait sur le papier.
- Piste atterrissage en vue ! claironna la voix d’Ashae dans son dos, et il arracha son regard au campement pour observer ses familiers. Deux par deux, contre barrière, museau droit, et pas bouger avant fin !
La shupon avait fait s’aligner les créatures – Kaname, Ka’tea, James, Zuluka et Trine – devant elle, sagement hors du chemin de l’équipage comme des travailleurs acheminés, et celles-ci semblaient attendre ses ordres pour le débarquement à venir. Seul Vreneli, imperméable à l’autorité de sa comparse, virevoltait dans un grésillement furieux de l’avant à l’arrière du ballon, provoquant sur son passage quelques exclamations mécontentes.
Du calme, Eli. Viens, lui indiqua Calixte.
Le teisheba se garda bien de lui obéir, mais choisit néanmoins de se placer à la proue du transport et de ne plus en bouger tandis que celui-ci amorçait sa décente vers la piste aride. Dans un soupir, le coursier tourna pleinement son attention vers Solveig. Le désert l’avait changée, elle aussi, de l’écorce aux racines. Le tribut le plus évident prenait à présent forme dans une main artificielle, intelligemment travaillée, qui remplaçait celle qu’elle avait laissée entre les dents avides de l’île. Il attrapa celle-ci pour la tirer doucement à lui, afin qu’ils assistassent ensemble au retour vers les dunes dont le reflet présentement doré effaçait presque le souvenir du vermeil qui avait coulé.
- Prête, soldate Prêth ? demanda-t-il d’une voix voilée d’émotions contraires.
Si l’appréhension et la pénibilité du souvenir mordant de l’année passée remplissaient son cœur, la curiosité enthousiaste caractérisant à la fois sa résilience et sa bêtise reprenaient doucement le dessus.
Heureusement -malheureusement- ils débarquèrent vite. Solveig risqua un regard vers le bas et se ravisa. Si elle n’avait pas pu sauter du convoi, elle ne le pourrait pas plus d’ici. A contre cœur, elle se força à lever le nez en direction du désert. L’étendue de sable ne semblait pas avoir changé depuis la dernière fois qu’elle avait débarqué. Les dunes s’amoncelaient toujours à perte de vue, le vent était toujours aussi brûlant, le soleil implacable et les quelques murs de vieilles briques ocre étaient toujours aussi inhabités. La jeune garde n’avait pas emmené son familier, Azazel, ce dernier aussi traumatisé qu’elle était devenu tout bonnement hystérique à l’idée d’y retourner. Il l’avait électrocuté un nombre de fois quasi incalculable, s’était mit en tête de piéger ses équipements et avait bien manqué de la tuer en tentant de lui faire un croche-patte dans l'espoir la blesser avant le départ. Elle ne tenait pas à ce qu’il vienne lui compliquer la tâche ici. Elle culpabilisait, également, mais c’était le moindre mal.
Le sable incendia sa semelle dès qu’elle posa le pied dessus. Elle grimaça.
- Aussi prête que je peux l’être. Mentir à Calixte aurait été vain. Ses doigts de métal s’étaient naturellement resserrés autour des siens, peut-être un peu trop mais toujours est-il qu’elle le suivit sans broncher. Elle contint admirablement les tremblements qui parcouraient son corps et repoussa avec ardeurs le visage souriant du petit guide qui aurait dû se trouver là si seulement ils avaient trouvé un moyen d’anéantir l’impératrice en le conservant lui.
- Il serait mort avec elle de toute façon. Dit Leiftan comme si il pouvait lire dans ses pensées. Autrefois à sa main gauche, le gant avait trouvé une nouvelle place sur sa main droite. La soldate le gratifiant d’un long regard avant de tout bonnement ignorer ses paroles.
Avec eux, débarquèrent nombre de citoyens, tous venu prêter main forte pour l’acheminement. Un peu plus en avant, une équipée complète de Filambule attendait sagement. Solveig les regarda un moment avant de reculer vers l’intérieur de l’engin qui les avait amené jusqu’ici.
- Je vais aider à décharger. Je reviens. Elle gratifia son amant d’une simple caresse du pouce sur sa joue et se glissa sur le pont. - Si tu peux récupérer nos montures. Puis elle disparut dans l’ombre rafraîchissante.
Le déchargement ne fut pas long mais pas moins éprouvant. La chaleur rendait les muscles plus lourds, les corps moins vaillants. La jeune femme jura un nombre de fois incalculable avant de liquider la quasi totalité d’une gourde fontaine -si tant est que ce fut réellement possible. Mais quand ce fut terminé, sa nervosité s’en était allé avec son énergie, elle retrouvait déjà son air jovial et se sentait bien plus encline à entamer leur traversée désertique. Elle mit quelques instants à repérer Calixte - les odeurs, dû à la chaleur, de transpiration et des créatures étaient si fortes qu’elle eut un mal fou à le retrouver- et se glissa à ses côtés.
- Tout s’est bien passé ? Elle avisa des familiers de ce dernier. - Ils ne vivent pas trop mal la chaleur ?
Après tout, personne n’était jamais préparé à ce genre de température, quand bien même la saison chaude approchait. Prenant les rênes de son Filambule, elle entrelaça les doigts de sa main valide à ceux de Calixte et lui déposa un chaste mais pas moins appuyé, baiser sur les lèvres.
- J’ai déjà hâte qu’on rentre ! Puis tant bien que mal, elle tentait d’enfourcher la créature.
- Et si tu restais dans la caravane des ouvriers ? proposa le soldat en observant d’un œil circonspect le bleulet qui tentait tant bien que mal d’humidifier son pelage.
- Jam fort ! Jam pas besoin transporté, gémit le familier en se contorsionnant pour rafraichir son dos tout en essayant d’éviter de devenir une boule de sable ce faisant – un objectif vain.
- Regarde, négocia Calixte en retenant un soupir. Il y a une bâche sous laquelle tu pourrais te mettre à l’ombre, et tu resterais assez proche de nous pour pouvoir communiquer et agir au besoin.
Le bleulet riva son regard sur le véhicule indiqué, et hésita.
- Bouge fesses, Jam, ordonna Ashae qui s’agaçait du manque de réactivité de ses compagnons. Toi gêner nous, et toi mettre danger sur toi et nous : bouge !
Le familier ne se fit pas prier davantage et fila se mettre à l’abri comme demandé. Rajustant Abdallah sur ses épaules et enfonçant correctement le bob en tissu anti-canicule sur sa tête, le coursier se tourna légèrement vers Solveig comme celle-ci revenait à sa hauteur, continuant à observer d’un œil critique le groupe qu’ils allaient accompagner. Celui-ci était pour l’heure composé d’une vingtaine d’âmes, dont le panel des compétences devait permettre le déblaiement des anciens puits comme l’instauration d’un circuit d’acheminement de l’eau vers le campement principal. La plupart semblait plutôt bien équipés, mais quelques citoyens paraissaient être venus la fleur au fusil. Peut-être que l’enthousiasme de la colonisation et de ses opportunités avaient hâté leur départ, ou bien qu’ils regorgeaient de ressources insoupçonnées. Dans tous les cas, Calixte nota de prêter un œil attentif à ces êtres d’apparente négligence ; il ne tenait pas à allonger la présente mission à cause de malaises répétitifs sur insolation.
- James va profiter de l’ombre relative de la caravane mais sinon… oh Sol, attends ! bafouilla le coursier en retrouvant le fil de sa pensée suite au baiser de la Valkyrie.
Mais, déjà, le filambule qu’elle tentait d’enfourcher se fendit d’une ruade avant de s’éloigner prestement dans une série de bonds. Heureusement, il semblait que les réflexes de la soldate étaient bien meilleurs que ceux de son compagnon, et l’incident en resta là. En dehors du fait que Zuluka prit ce sursaut d’animation pour une invitation à joueur, et fonça vers le troupeau d’animaux dispersant ceux-ci sous les jurons de leurs gardiens. Détournant le regard dans une grimace comme Ashae se lançait à la poursuite du grognedent, Calixte retourna son attention vers Solveig.
- Les rares montures dont dispose le groupe vont servir de bêtes de trait pour les quelques chariots. Nous allons nous déplacer à pied, lui expliqua-t-il en déployant devant eux la carte sommaire qu’il avait obtenue au bureau d’accueil de la station d’atterrissage de l’île.
Quelques annotations supplémentaires indiquaient l’expertise de la maître d’œuvre qu’il était allée voir avant de retourner auprès de ses familiers, projetant sur le papier les sentiers qu’ils emprunteraient comme la position des sites qu’ils auraient à charge de faire fonctionner. S’accroupissant, Calixte activa la carte holographique et pointa du doigt la zone d’intérêt.
- Nous n’aurons pas beaucoup de trajet jusqu’au premier puit, il se trouve à l’orée du camp juste-là.
Ce qui, a priori, ne leur donnerait pas beaucoup de fil à retordre du point de vue de leur assignation, tout en leur permettant de mieux appréhender le groupe, à la fois humain et animal, et de se refamiliariser avec le désert. De reprendre leurs marques. D’en tracer de nouvelles, moins abîmées que les précédentes.
- Puis, selon comment l’équipe arrive à employer les dons des filambules, nous nous éloigneront selon cet axe privilégié pour l’expansion jusqu’à un couple de kilomètres avant de revenir en arc de cercle pour ériger quelques stations supplémentaires sur le retour. Apparemment d’autres groupes sont lancés dans similaires entreprises, et il y aurait un projet de points relais au cœur du désert, mais cette partie ne nous concerne pas, poursuivit-il en observant songeusement les reliefs précis, teintés du bourdonnement météorologique magique, de la carte holographique au niveau des zones déjà explorées.
Un phénomène, comme jamais le soldat n’en avait vu, abattait un rideau sablonneux à la limite connue des étendues désertiques, soulevant de grosses volutes de poussière ocre. Déjà impressionnante sur le modèle réduit de la carte, cette singularité ne donnait guère envie à Calixte d’aller à sa rencontre. Sa curiosité possédait quelques bornes. Néanmoins, la maître d’œuvre de leur équipée lui avait assuré que cette tempête de sable enregistrée des lunes auparavant n’était certainement plus et que, dans tous les cas, leur chemin s’en éloignait. Un peu.
- Allez, allez ! claironna impatiemment Ashae en s’immiçant entre les deux gardes, accrochant ses bras aux leurs. Tout le monde prêt, attendre que vous. Chef Jasmina dire que vous devoir positionner.
- Où sont les autres ?
- Ka’t prête à surveiller ciel, a talisman localisation. Kana tout devant avec Zul ; Zul a deuxième talisman. Jam dans caravane vers fin. Et Trine avec Ashae. Ashae faire relai près travailleurs, si eux soucis, comme demandé.
- Tu as un sifflet pour nous appeler ?
- Oui ! Savoir code, aussi.
- Réno et Beatrix sont sur l’autre flanc du groupe ?
Comme de coutume, on avait préféré tirer dans les effectifs de la logistique et des fantassins pour compléter ceux des assignations élémentaires sur les terres du désert volant, et Calixte n’était pas étonné qu’en dépit de la dangerosité globale des lieux on ne leur ait affecté qu’une seule Valkyrie. Il y avait, après tout, missions bien plus périlleuses. Il était néanmoins particulièrement ravi, de manière tout à fait égoïste au regard de leurs antécédents respectifs avec l’île de feu, que cette Valkyrie fût Solveig.
- Abou, les bracelets s’il-te-plait, finit-il par craquer comme Ashae lui affirmait que oui, vraiment, tout le monde était bien à son poste hormis eux.
Récupérant au bout d’une sangle du sac-à-dos la paire de bracelets jumeaux sertis, chacun, d’un fragment de la même pierre de lien, il attrapa la dextre indemne de la mi-chiraki.
- La dernière fois… commença-t-il dans un murmure avant de s’étrangler sur le souvenir de sa sotte insouciance.
La dernière fois, il avait abordé le désert volant fort d’espoirs infondés et de convictions erronées. Il s’était lancé dans l’aventure sans prendre le temps de se trouver carapace plus solide que son enthousiasme, ni arme plus aiguisée que sa curiosité. Il s’était laissé happer par les profondeurs perfides des Ruines du Corbeau sans une pensée pour le futur, sans considération pour le présent. Une bêtise en raz-de-marée qui avait brisé ses dernières certitudes et enfoui sous des litres de doutes l’idée fragile d’inaliénables valeurs intimes. Le temps, entre autres, avait lentement tari l’océan de souffrance, asséchant presque la terre craquelée sous-jacente. Mais la blessure était profonde et la cicatrice encore trop fraiche pour ne pas raviver, encore épisodiquement, le souvenir mordant de détresses passées.
- Ce sont des bracelets jumeaux ; ils permettent de partager, au besoin et à l’envie, nos sentiments dans un panel plus large que nos bagues. Cette pierre, là, en éclats doubles sertis respectivement, est une pierre de lien. En la touchant elle permet de sentir la direction de son fragment jumeau. Plus les morceaux sont éloignés, plus la magie est approximative. Néanmoins…
Néanmoins, il se refusait à revenir sur ces étendues arides sans se donner toutes les chances de se secourir l’un l’autre si nécessaire. Pointait encore dans son cœur la langue acide de l’obsession, de la possession et du contrôle, mais le dilemme moral qu’elle cultivait dans son âme semblait maintenant bien ridicule face à la menace reviviscente du désert.
- Si nous devions être séparés pendant la mission…
- Si séparés, vous soldats, vous gérer, intervint Ashae dont la patience n’avait jamais été très vaste.
Et comme pour lui donner raison, le groupe se mit en branle. Les coureurs domestiqués se mirent à tirer les quelques caravanes croulant de matériels de travaux et équipements de bivouac, les travailleurs, exhortés par la maître d’œuvre, se dirigèrent d’un pas déterminé vers le premier site à dé-sabler. La shupon sous traits humains, elle, tira avec détermination sur le bras de Solveig pour l’emmener à la suite de tout ce monde, et démarrer leur mission de patrouille. Accrochant le regard inquisiteur de Réno à quelques mètres par-delà, Calixte se contenta de lui adresser un vague geste de la main avant de se mettre, à son tour, en mouvement.
Sans surprise le soleil était toujours plus assassin à mesure qu’ils s’engouffraient dans les entrailles désertiques. Lorsque la garde regardait au loin, le sol se mettait à se mouvoir comme quelques volutes de fumées invisible dansant un tango endiablé. Autour d’eux lorsque le camp de débarquement eut disparu, il ne resta rien d’autre que des quantités de sable astronomique. Les vallons des dunes se succédaient sans que l’on puisse en voir le bout, quelques rares canyons saillait le paysage à l’ouest et parfois les bottes de Solveig butaient sur une pierre qui, au goût de ses orteils, n’aurait jamais dû se trouver là.
A son poignet pendait le petit atour que lui avait offert Calixte quelques minutes auparavant. Elle ne l’avait pas franchement remercié, non pas parce que le cadeau ne lui faisait pas plaisir bien au contraire mais parce que son inquiétude, toute peinte sur son visage aux souvenirs douloureux de ce qui les avaient attendu à leur dernière venue ici l'avait secouée comme si elle avait été sienne. Par dessus tout, Solveig refusait de laisser ses angoisses prendre le dessus. Malgré sa bonne volonté et la gentillesse de son présent, Calixte avait mis un petit coup de pied dans la fourmilière.
Ils marchèrent ainsi un long moment sous un astre brûlant et qui les accablaient comme une chape de plomb, dans le mutisme indolent de Solveig, seulement entrecoupé des exclamation de quelques familiers humanoïdes ou non qui ne cessaient de demander à leur propriétaire “c’est quand qu’on arriveeeee ?” avec une voix nasillarde qui tendait à lui rappeler que son fils avait su lui apprendre la patience. De temps à autre, lorsqu’elle ne regardait pas devant elle -parce qu’il fallait être honnête, à part des culs de filambule, il n’y avait pas grand chose à regarder- elle jetait un œil au petit bijoux dont les cristaux, de temps à autre, reflétait un rayon. L’ennuie prenant le pas sur la morosité qui bouillonnait sous ses oreilles, elle s’amusa bientôt à aveugler qui se trouvait à portée à l’aide des éclats, semant de temps à autre la discorde et s’attirant aussi bien des regards outrés qu’amusés.
- Merci. Finit-elle par dire au détour d’un énième arbre défraîchi. - Mais je ne compte plus m’éloigner de toi avant un bon moment. Enfin pas ici en tout cas. Et elle lia ses doigts aux siens avec un fin sourire.
Comme si la douceur et la tendresse n’avaient pas leur place dans ce bas monde, le premier puit décida enfin d’apparaître. Solveig mit un moment à l'apercevoir mais quand elle huma l’air, l’odeur fébrile de l’humidité lui parvint.
- Enfin ! Souffla-t-elle en ajustant le paquetage sur son dos, tirant Calixte dans la foulée pour qu’ils franchissent les quelques mètres qui les séparaient. - Sacrément en piteux état. Et il ne fallait pas être plombier ou quoi que ce fut d’autres pour s’en rendre compte. Les pourtours en pierre avaient été rongés par le sable, la chaleur l’avait fendu et une odeur d’humidité séchée remontait du gouffre sans fond. - Ils vont avoir un sacré boulot. Elle leva le nez et fit un tour sur elle-même. - Ça m'a l’air plutôt calme… Elle déposa son sac sur le sol et en tira une pelle. - Je vais donner un coup d’main. J’ai de l’énergie à revendre -ou des kilos à éliminer. Si tu vois quelques choses de douteux, une brindille qui bouge un peu trop vite ou un grain de sable un peu trop gros fait moi signe. Elle embrassa doucement son nez. - Tu ne sais que trop bien ce qui se cache ici. Puis embrassa son cou avec un sourire taquin. - C’est partie, bougez vous, faites de la place, merci bien. Et ni une, ni deux, elle planta sa pelle et commença à dessabler la zone autour du vieux puits pour aider leurs camarades.
Ils avaient, ainsi, remis en fonction le premier puits à proximité du campement, avant de s’aventurer vers un deuxième, puis un dernier. Bien plus enfoncé entre les dunes de sable doré, ce troisième chantier leur donnait cependant davantage de fil à retordre, et il semblait que la nuit les verrait encore à l’œuvre. Les rapports d’expédition en dehors des Ruines du Corbeaux n’avaient pas dépeint de dangers particuliers pour les aventuriers, ou du moins pas plus qu’en terres familières d’Aryon, et si le coursier ne pouvait s’empêcher de sentir poindre une légère appréhension à l’idée de passer les heures noires hors des murs protecteurs du camp principal, celles-ci ne devraient, théoriquement, pas leur donner de fil à retordre.
- Ryan est t’jours pas r’venu d’sa pause technique, s’tu vois c’que j’veux dire.
- Y a deux filambules qui se sont fait la malle.
- Cheffe Jasmina dit qu’y a un truc menaçant qui a l’air de s’pointer à l’horizon.
- ‘l’est parti par là. Là, direction les deux dunes un peu pointues. Hé, on dirait des nibars un peu, nan ? Ca va, j’déconne.
- Ils étaient déjà un peu réticents, et j’crois que Rita a été un peu brusque. Dans tous les cas, à peine le temps de dire « ouf » qu’on était dans l’sable jusqu’au cul, et les deux bestiaux bien trop loin pour les rattraper.
- Elle a fait arrêter la moitié du groupe pour se focaliser sur le campement. Apparemment c’est comme un gros rideau de pluie brune qui vient vers nous.
- L’con s’rait capable d’s’être planter d’chemin d’retour, malgré les p’tites boussoles qu’on nous a prêtées. M’enfin z’ont l’air de merdouiller un peu ici… Mais z’allez l’r’trouver, hein ?
- Oui, oui, on les a vus partir de c’côté-là. Sont véloces, mais comme ils ont été habitués à nous ils devraient finir par revenir ? Pour la bouffe ? Et la sécurité ?
- Cheffe Jasmina fait passer le mot que personne ne s’éloigne, le temps de voir ce qui nous arrive dessus… Comment ça, y manque Ryan ?
Ce fut donc d’un pas quelque peu soucieux et contrarié que Calixte gagna les abords du puits en cours de dessablement, son regard ambré à la recherche d’une silhouette trop bien connue. Par chance ou par habitude, il la trouva rapidement dans le fourmillement de l’activité du chantier. Ses blancs cheveux drapés d’un voile de poussière ocre, sa peau hâlée luisante de sueur, ses gestes toujours enhardis d’une volonté farouche – certainement celle d’en finir au plus vite. Il ne résista pas à l’envie de picorer sa joue griffée d’un baiser tout en lui tendant sa gourde magique.
- Pas de brindille ni de grain de sable douteux, mais quelques brebis égarées à aller chercher. Avant que n’arrive l’étrange pluie. Brouillard. Chose.
Le coursier en avait brièvement parlé avec la cheffe Jasmina, et ils avaient tenté d’utiliser les perles de météo et de température du soldat pour mieux comprendre le phénomène qui venait à eux. Néanmoins, celui-ci revêtait encore l’opaque manteau du mystère, leur évoquant seulement un possible déluge, ou des nuages de sable, ou le passage d’une brume aux couleurs du désert. Quoi qu’il en fût, ils avaient conclu qu’il valait mieux retrouver Ryan le plus rapidement possible, avant de revenir se mettre à l’abri du campement présentement monté à la six-quatre-deux. Les filambules, au pire, pourraient attendre. Rendant à Solveig ses affaires qu’il avait récupérées en chemin, Calixte attrapa sa boussole des cinq lieux pour y noter l’emplacement du reste du groupe.
- Réno et Beatrix restent pour surveiller l’endroit, poursuivit-il distraitement en continuant à manipuler les divers objets magiques de son inventaire toujours plus conséquent.
Avec Ashae, et Ka’t, et Jam, et Zul, et Trine, ajouta mentalement Kaname qui attendait sagement à proximité, le museau oscillant entre les deux soldats, insouciante du fait que la Valkyrie ne pouvait guère l’entendre. Eux voulaient venir, mais Kana et Eli meilleurs pour mission !
- En parlant de mission… on m’a donné ça comme piste pour Ryan, l’ouvrier qui s’est perdu alentours.
Présentant une veste élimée à la loutre géante – ainsi qu’à son amante – Calixte ne s’étonna guère de la voir reculer de dégoût. Lui-même, avec son odorat plus qu’ordinaire, percevait déjà les lourds reflux de transpiration et d’incurie émanant du vêtement tenu à bout de bras.
Ca sentir extraordinairement beurk, déclara Kaname contre son esprit. Ca mériter presque d’être avalé par désert.
- Il serait parti dans cette direction et oh, s’interrompit le coursier en découvrant l’image révélée par sa boule de vision.
En dehors des courbes vallonnées du désert apparaissait fugacement une silhouette presqu’animale, aux reflets marins et argileux. Celle-ci ne semblait pas se mouvoir, mais le soldat n’aurait pas mis sa main à couper concernant la nature, ni la potentielle bienveillance ou malveillance, de cette singularité.
- Je ne sais pas où Ryan est allé se fourrer, mais hâtons-nous, grimaça-t-il en se hissant maladroitement sur le dos de la loutre géante, tandis que Solveig l’imitait bien plus gracieusement. Et si Lucy nous est favorable, peut-être trouverons-nous les filambules fugueurs sur le trajet.
- HRP:
- La silhouette en question : www
S’arrachant à son labeur, elle suivit les pas du coursier jusqu’à ce qu’il lui tende un vêtement. Solveig avait déjà travaillé avec de nombreux gardes et aventuriers, traversées mille contrées différentes dans des situations plus ou moins précaire mais des odeurs pareilles elle n’en avait que très peu sentit. Son nez se fronça alors qu’elle reculait machinalement, imitant sans le vouloir le manège de la loutre qui semblait on ne peut plus d’accord concernant les effluves pestilentiels qui s'échappaient du tissu.
- Si ça peut te rassurer, personne n’aura envie de le manger avec une odeur pareille… Mais son amant ne semblait pas partager son avis et il poursuivit en utilisant sa boule de vision. La chiraki grommela quelques paroles contrariées et parfaitement inaudibles pour le commun des mortels avant de remonter à sa hauteur pour observer par-dessus son épaule. Définitivement, elle était convaincue que cet endroit était le pire qui puisse exister à Aryon. Sans parler de météo exécrable, ce qu’elle voyait dans la boule de vision ne lui disait rien qui vaille et que cela fût une créature ou bien une plante ou elle ne savait quoi d’autre ça n’avait aucunement l’air amical. Et il avait évidemment fallut que Ryan aille se fourrer dans ce guêpier. Il n’était pas le pingouin qui glissait le plus loin, c’était un fait, mais de là à se perdre en allant uriner… - T’as raison. Puis plus vite on part, plus vite on reviendra.
La garde se pencha pour attraper ses affaires et hisser son sac sur son dos. Elle en profita également pour vider plus de la moitié de sa gourde fontaine avant de se mettre en marche. Creuser ou marcher, elle n’aurait su dire lequel des deux était le plus désagréable. A l’avenir, elle ne se plaindrait plus jamais des grosses chaleurs du grand port !
- Evitons de nous séparer. Si ça, elle désigna d’un coup de nez l’épais nuage noir qui se dirigeait dangereusement vers eux, nous rattrape avant qu’on ait le temps de rentrer, j’préfère t’avoir avec moi. Sans parler des diverses créatures venimeuses qui trainaient dans le secteur. Chassant ces idées loin de son esprit, elle lia ses doigts à ceux de Calixte et après humé l’air un instant désigna à la monture le plein est.
Ils marchèrent pendant plusieurs minutes sous le soleil désertique qui ne faisaient que craqueler leurs lèvres et absorber l’eau qui s’échappait de leur corps. Heureusement pour Ryan, il sentait si fort que Solveig n’avait pas vraiment besoin de se concentrer pour suivre sa piste, pas plus que Kaname d’ailleurs. Au loin la masse noire semblait se déplacer bien plus vite qu’elle ne l’en aurait cru capable, si il leur restait du temps cela ne se résumait plus qu’à une poignée d’heure avant qu’ils ne découvrent ce qui les attendaient. Solveig fit signe à Calixte d’arrêter la loutre au détour d’un bosquet calciné par le soleil. Elle se laissa gracieusement glissé de la selle et s’approcha tout en reniflant bruyamment.
- Beurk, si ça c’est pas à Ryan, je veux bien être une Renmyrth ! Elle fit volte-face pour regarder en direction du camps. - Pourquoi aller aussi loin ? Enfin je veux dire… On est dans un désert sans personne à des kilomètres à la ronde… Il avait vraiment besoin de trouver le seul buisson du coin pour pisser ? Elle lança un coup d'œil dépité à son jeune amant. - Il doit plus être bien loin. J’espère. Puis elle remonta derrière lui. - Va vers là-bas. Ils repartirent donc clopin-clopant dans la direction qu’elle avait indiqué.
Seulement quelques derniers mètres les séparaient d’une masse informe qui fit plisser les yeux de la jeune femme. Elle tapota l'épaule de Calixte qui arrêta Kaname. La soldate se laissa glisser en silence de la monture, courba l’échine et dégaina une lame puis avança à pas feutrés en direction de ce qui l'avait intrigué. Les effluves de Ryan étaient puissants à cet endroit, cela ne faisait aucun doute qu’il s’y était attardé un moment voire qu’il s’y trouvait encore. Mais ce qui avait alarmé la jeune femme c’était la seconde odeur mêlée à la sienne. Elle ne l’a connaissait pas et ne l’avait jamais sentit jusqu’ici mais c’était un mélange de plusieurs senteurs différentes, qui embaumait les alentours. Des notes de sucre également qui, dès qu’elle les sentit, la firent saliver presque instantanément. Solveig se redressa et huma à plein poumons. Elle avança d’un pas vif et serein, prise d’un besoin irrépressible de s’approcher plus près.
- Calixte ! S’écria-t-elle sans cesser d’avancer et cela même si son for intérieur lui hurlait de ne pas approcher plus.
Une Tsavid l’attendait au bout du chemin. Terrible dans sa solitude, mortelle pour ce qu’elle contenait. Au milieu des différentes créatures prisent au piège, Solveig repéra Ryan qui n’avait pas fière allure. Cette vision d’horreur fut la seule qui là retint de se jeter sur le plante pour en apprécier tout l’arôme.
- Approche et couvre-toi le nez. Quoi qu’avec un peu de chance, lui, ne serait pas atteint par les odeurs délicates et addictives du végétal. - J’ai trouvé Ryan. Et j’ai très envie d’aller câliner cette monstruosité. Si tu pouvais faire vite. Continua-t-elle à s’égosiller tout en luttant contre ses propres membres.
- Peut-être a-t-il croisé les filambules en fuite et tenté de les rattraper ? commenta-t-il aux interrogations de Solveig, lui-même peu convaincu par cette possibilité et tout aussi dubitatif.
En tous cas : lui besoin de douche, déclara Kaname en se remettant en route, le museau froncé aux relents pestilentiels de leur piste odorante. Peut-être parti se baigner ?
Je n’espère pas, répondit Calixte contrarié, le regard sondant l’horizon.
Le soleil avait bien décliné au long de ces longues minutes de recherches, et le ciel commençait à se parer de traînées ocres, miroirs des dunes infinies qu’elles surplombaient. L’air était encore chaud, et le sable brûlant, mais l’on devinait que la froideur glacée de la nuit s’entremêlait progressivement à la fournaise diurne. Dans quelques heures, nuls doutes qu’elle la remplacerait tout à fait. Accompagnée, peut-être, du voile opaque grignotant peu à peu les reliefs lointains et promettant un tout nouveau genre de chaos à qui croiserait sa route. Le soldat n’était pas certain des caractéristiques de cette étrange brume venant à leur rencontre, mais il était sûr de préférer se trouver à l’abri lorsqu’elle les atteindrait.
Oh ! Drôle de bête ! glissa la loutre géante contre son esprit alors que Solveig leur indiquait prudemment de s’arrêter.
Reportant son attention à leur environnement immédiat pendant que Kaname faisait apparaitre son armure, Calixte dégaina instinctivement l’une de ses dagues retour. A quelques mètres se dressait une masse aux contours mal définis à ses yeux, mais évoquant celle d’un animal ailé. Le regard bondissant fébrilement de celle-ci à la Valkyrie qui s’éloignait félinement en reconnaissance, le coursier passa rapidement en revue les ressources qu’ils possédaient. Seraient-ils capables de venir à bout de cette chose si elle devait se montrer belliqueuse ? Où pourraient-ils trouver refuge, dans cette étendue désertique, si le besoin devait s’en faire sentir ?
Sentir quelque chose, indiqua la loutre dont le museau humait avec curiosité et avidité l’air, son cou s’allongeant de plus en plus vers la forme inconnue. Sentir bon ! Sentir très bon ! Kana en veut. Kana en veut et en ramènera à K’awill !
- Quoi ? demanda avec inquiétude le soldat comme son familier se remettait en marche. Non, attends, Sol va…
Le héler, et leur indiquer de ne pas poursuivre sans précautions. Se raidissant sur sa selle, Calixte porta à nouveau son attention sur son amante qui, pour toutes ses recommandations, continuait sa route d’un pas presque ensorcelé, puis sur la masse qui se découpait de mieux en mieux sur l’horizon. Ses reflets évoquaient ceux de l’image découverte plus tôt par la boule de vision, et si sa silhouette se rapprochait de celle d’un dragon tapi, il devenait évident qu’il s’agissait en réalité d’un organisme appartenant plus vraisemblablement au règne végétal qu’animal. Présentement, le coursier n’arrivait cependant pas à se souvenir d’une quelconque mention dans les rapports de pareil phénomène, ni de ses propriétés. Ce qui ne faisait pas grand-chose pour améliorer son anxiété croissante.
Kana doit avoir ! Kana va sentir ça plus près. Goûter aussi. Kana doit goûter.
Dans la panique de voir la loutre s’emballer et foncer sans discernement vers la masse, Calixte attrapa le linge pestilentiel de Ryan et le passa autour de la tête de celle-ci, afin de lui en museler l’odorat dangereusement séduit par la plante plus loin. Dans un hoquet de surprise et de dégoût, le familier pila net, projetant sauvages nuages de sables alentours, se cabra, et le coursier eut la présence d’esprit de détacher l’infect vêtement avant qu’il ne vomît dedans. Grimaçant à la litanie de gémissements mentaux de Kaname, tapotant doucement son front en guise d’excuse et de réassurance, le coursier récupéra une étiole des antres d’Abdallah et se couvrit le nez avec. Avant de rajouter par-dessus, après une hésitation, l’infâme linge.
- Heug, renifla-t-il en sautant à terre. Désolé Kana, mais ça sera certainement plus sûr ainsi, prévint-il la pauvre loutre qui se vidait de son dernier repas sur les dunes plus si dorées.
Le couinement réponse de celle-ci se fondit dans la bille d’argile où Calixte la glissa, et le jeune homme reprit son avancée d’un pas empressé. Entre temps, Solveig ne s’était pas arrêtée, et la lourde silhouette azure et rosée n’était plus à quelques pas d’elle. Ainsi que, comme le découvraient les yeux du coursier, le corps terriblement phagocyté de Ryan.
- Hum… à ce stade-là, c’est peut-être du légiste de l’Astre ou du culte de Lucy le plus proche dont il aurait besoin, non ? remarqua-t-il d’un ton songeur en rattrapant tant bien que mal la Valkyrie.
Son passé d’espion et sa morale toute particulière ne le versaient pas particulièrement vers la compassion pour l’homme en piteux état, et ce dernier représentait présentement plus d’ennuis qu’une réelle réussite de leur mission.
- Essaie ça. Si ça ne marche pas, je te mettrai dans une bille, indiqua-t-il d’une voix étouffée par les tissus protégeant son nez.
Il y avait certainement plus engageant comme proposition entre amants, mais la sécurité de Solveig lui importait actuellement plus que sa sensibilité. Et puis, ils n’étaient plus à une maladresse près.
Installant sa bulle d’oxygène magique sur le visage de la Valkyrie, le coursier observa avec attention le comportement de cette dernière. Peut-être l’objet, usuellement utilisé pour explorer les profondeurs marines, pourrait-il l’affranchir du parfum enivrant de la dangereuse plante.
- Je ne suis pas certain que la lame wardän soit suffisante pour l’extraire, commenta pensivement le soldat en décrochant un regard à Ryan absorbé dans le volumineux bulbe. Si tu me tiens, peut-être puis-je l’attraper et le faire fusionner pour l’extraire plus facilement. Ou bien peut-on le ficher d’une flèche, nouée d’une corde magique, pour tenter de le tirer hors de là. Mais je ne suis pas sûr que tous ses membres viennent d’un bloc, ajouta-t-il dans une grimace, étudiant le corps malmené.
Ses yeux se tournèrent instinctivement vers Ryan. Le pauvre était dans une situation délicat et ce dans tous les sens du terme. A vrai dire, même Solveig n’était pas certaine qu’il était encore vivant. De là où elle se trouvait, elle ne percevait aucun battement de cœur. Mais le son pouvait parfaitement être recouvert par le fracas de la brise ou l’épaisse couche de mucus qui semblait le recouvrir. De même, elle voyait un veine palpiter péniblement dans son cou mais cela ne lui donnait aucun indicateur quant à ses chances de survie.
- Je ne suis pas sûre que lui planter une flèche, quelque soit le membre, soit une bonne idée. Elle lui lança un regard oblique tout en songeant que, parfois, son amant avait de sordides idées. - Non, je vais te tenir. Ils franchirent en quelques pas la distance qui les séparait de la plante. Une créature horrible ça ne faisait aucun doute mais dont Solveig percevait encore le parfum quelque part dans un recoin de sa tête. Elle l’agita nerveusement pour s’en débarrasser puis ancra ses pieds dans le sol. - Je vais te tenir par la veste, si jamais quoi que ce soit te semble suspect dit le. De toute façon, s' il n’est pas encore mort, il le sera bientôt. Elle soupira. - Ça ne mérite pas que tu risques ta vie. C’était un constat cruel mais réaliste. Au delà du lien qui l’unissait au coursier, Solveig n’était pas prête à risquer une vie contre celle d’un futur mort. Comme elle l’avait annoncée, elle se saisit fermement des pans de la veste de Calixte qui se pencha dangereusement vers l’avant après avoir emprunté l’une des dagues de sa compagne. Avant qu’il ne se lance, Solveig lui tendit sa gourde fontaine.
- J’ai entendu dire que l’eau pouvait être utile. Dire qu’elle avait entendu ça par inadvertance lorsque deux autres travailleurs avaient évoqué la dernière rencontre d’un filambule avec cette plante, il lui faudrait sans doute qu’elle écoute un peu plus les diverses conversations à l’avenir. Enfin, ils passèrent à l’action.
Calixte se penchait vers l’avant, avec une agilité que Solveig ne lui aurait pas soupçonné, tandis qu’elle se penchait dans le sens inverse en plantant ses pieds dans le sol pour pouvoir le stabiliser. En l’instant il donnait une étrange paire en forme de V. Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que des fourmis ne montent dans les membres de Solveig et que la sueur se mette à tâcher la veste de Calixte tout en dégoulinant le long des tempes des deux soldats.
- Ca en est où ? Grommela Solveig tout en raffermissant sa prise. Plus que jamais, elle fut ravie de la nouvelle main de fer qu’elle avait fait forgée. Celle-là ne se fatiguait pas, contrairement à l’autre déjà éprouvée qui se mettait à trembler. Toutefois son biceps, lui, n’était pas de nature magique et commençait doucement à peiner après une journée de labeur et sous le poids du jeune homme. - Bientôt fini ? ajouta-t-elle en sentant que la chaleur commençait à avoir sérieusement raison d’elle. - J’ai chauuuuuuud, se plaignit-elle en faisant volontairement osciller Calixte au bout de ses bras pour le presser comme une gamine capricieuse.
- De l’eau ? répéta Calixte en observant le large bulbe qui leur faisait face, sa voix distordue par ses narines écrasées par les couches de linge protégeant le bas de son visage.
Attrapant sa gourde fontaine, le coursier appliqua un mince filet d’eau contre la surface gélatineuse de la plante, avant d’y aventurer le bout de ses doigts nus – il aurait besoin du contact peau à peau pour utiliser son pouvoir sur Ryan. La substance gluante qui recouvrait le végétal – ou bien le constituait – sembla perdre quelque peu de son adhérence, mais pas suffisamment pour réellement faciliter leur affaire. Certainement l’idée était-elle judicieuse en présence du substrat isolé mais, attaqué à sa source, il aurait probablement fallu une pluie diluvienne pour lui faire perdre complètement ses propriétés conglutinantes. Jugeant néanmoins qu’il valait mieux mettre toutes les chances de leur côté – car Lucy savait qu’elle était avare de ses bénédictions dans le cas des deux amants – Calixte aspergea ses membres d’eau avant de ranger la précieuse gourde enchantée.
- Allons-y, indiqua-t-il de sa voix de canard en se penchant en avant, ayant toute confiance dans les capacités de Solveig pour assurer leur ancrage hors du bulbe vorace.
D’un équilibre précaire mais étonnement agile pour sa part, le coursier plongea pleinement ses bras dans le végétale qui l’accueillit avec avidité. Ses doigts, cependant, peinant à joindre le corps inerte de Ryan. Oscillant sur le pivot de ses jambes pour essayer d’augmenter son allonge, le front se couvrant toujours plus de sueur sous l’effort fourni, il pesta contre la substance gélatineuse qui semblait presque prendre un malin plaisir à écarter toujours plus l’homme de ses doigts. Lorsque, enfin, il réussit à attraper le bord de sa chemise, il lui fallut tirer de toutes ses forces pour n’avoir la satisfaction que de voir le travailleur bouger de quelques centimètres, avant que le tissu ne se rompît et qu’il faillit culbuter en arrière, entrainant la Valkyrie avec lui.
- Ca en est qu’on n’offrira pas ce type de plante verte à tes parents pour leur jardin, souffla Calixte en étirant un maximum ses membres pour retourner à la pêche de l’homme englouti, tout en essayant de maintenir sa tête hors du bulbe. Entretien douteux et sale caractère.
Ses mains se saisirent à nouveau du reste de chemise à leur portée, et les mouvements de balancement impulsés par Solveig semblèrent un temps aider Ryan à s’extirper progressivement du végétal, avant que l’étoffe ne se déchirât à nouveau.
- Par la multitude de fesses dans les romans d’Apo, grommela le coursier. Je plonge, prévint-il tout juste son amante avant de récupérer son masque des abysses des entrailles d’Abdallah et se jeter pleinement dans la plante.
Peut-être aurait-il bénéficié d’un nouvel arrosage, la substance visqueuse semblant redoubler d’effort pour l’attirer en son sein, mais il était maintenant trop tard pour faire marche arrière. Et puis, de toute façon, le souhaitait-il vraiment ? Il y avait un parfum subtil, comme l’ébauche d’un rêve, qui s’infiltrait contre sa chair, contre ses sens, contre son esprit, éloignant l’odeur infecte du linge de Ryan surplombant l’étole qu’il avait nouée contre son nez, qui lui soufflait que, peut-être, tout ce dont il avait besoin, c’était de rester ici. Dans ce nid confortable, sucré, qui diffusait doucement, dans ses poumons comme dans ses veines, l’agréable sensation de félicité et l’enivrant sentiment d’euphorie. D’ailleurs, ne serait-il pas plus à l’aise pour respirer en retirant le tissu qui entravait son visage ?
Ses mains se levèrent pour défaire le cache-nez improvisé, mais une force inconnue, oubliée, imprima dans son dos de frénétiques secousses, l’empêchant de mener à bien son objectif et avivant dans son esprit la flamme de la colère. Vite écartée à la faveur de la souffrance et de la confusion comme une vive douleur, électrique et pulsatile, harponnait ses mollets. L’arrachant temporairement à la béatitude traitresse offerte par le bulbe vorace, et ramenant ses songes à sa cible première. Sans tarder davantage, Calixte fit fusionner Ryan dans la bille de verre qu’il avait préparée à cet effet, et se glissa lui-même dans la veste tenue par Solveig. S’il ne doutait guère de la force de celle-ci, il n’était pas certain de pouvoir lutter davantage contre l’appel de la plante. A l’abri du vêtement, il observa rêveusement la Valkyrie s’éloigner prestement du mortel végétal, ses songes se défaisant lentement du pouvoir de ce dernier.
- Heuuu tu es sûre, Sol ? demanda-t-il finalement, en constatant que la trajectoire empruntée par la soldate les rapprochait du rideau ocre qui, le temps qu’ils avaient passé à extraire Ryan du bulbe, s’était précipité à leur rencontre.
Mais le regard perçant de la mi-chiraki avait visiblement trouvé, sur l’horizon en camaïeu doré, le refuge que l’ancien espion n’aurait pu espérer entrevoir au vu de sa malchance et de sa maladresse. Au milieu des dunes, se confondant presque tout à fait avec elles, gisaient les vestiges d’une civilisation passée, nichée entre quelques structures rocailleuses aussi ambrées que le reste du paysage. Non, vraiment, seul, il n’aurait eu aucune chance de repérer abri si bienvenu, et il n’était pas certain qu’il aurait pu rejoindre le camp à temps, même avec tout l’attirail magique qu’il possédait.
Ils atteignirent leur sanctuaire improvisé comme le ciel crépusculaire se noircissait précocement de la tempête couvant, et choisirent précipitamment le lieu leur paraissant le plus sûr pour affronter l’inconnu chaos venant à eux. Défusionnant enfin, Calixte accusa un vertigineux couple de secondes où le parfum entêtant de la substance le recouvrant toujours se précipita contre ses sens, ne retrouvant la présence d’esprit de s’inonder d’eau qu’à la nouvelle décharge électrique de Vreneli qui, depuis l’épisode avec le bulbe, veillait au grain. Et n’était jamais avare de ses foudres.
Dans l’antre modeste de la construction troglodyte choisie, ils sortirent la théière du bonheur éternel qu’ils emmaillotèrent d’un drap et qu’ils placèrent prudemment dans le polymorphe transformé en lourde caisse, dans laquelle ils se contorsionnèrent pour entrer ensuite dans l’objet enchanté. Vreneli, intrigué comme attiré par l’orage sablonneux arrivant, resta veiller à côté de la théière, capable de s’y abriter au-besoin ou de les informer d’un changement de situation tant que le coursier y résidait.
- Oh non, Kana, si tu pouvais éviter, indiqua Calixte à la loutre qu’il avait fait défusionner à l’intérieur de la théière.
Ayant repris du poil de la bête, réduite de volume grâce à l’une de ses magies, Kaname avait entrepris de léchouiller l’alléchante substance enduisant le corps inerte de Ryan, que le coursier avait aussi fait réapparaitre. Présentement, celui-ci gisait dans la baignoire se remplissant doucement, une net’noix nageant négligemment à ses côtés. Elle n’aurait aucun effet sur l’homme, mais nettoierait au moins ses vêtements. D’ailleurs, sans plus de considération – à part avoir, préalablement, récupéré dans son flacon hermétique un peu de la substance collante – le soldat retira ses propres habits souillés pour les engloutir dans un coin de la baignoire.
- Ca va ? lança-t-il à Solveig de derrière la serviette qu’il utilisait pour se débarbouiller des dernières traces de matière gluante. Abdallah a des vivres et des potions, si tu as besoin.
L’esprit un peu embrumé jusque-là, il n’avait pas prêté attention à l’effort qu’avait dû fournir la Valkyrie, ni aux potentielles ressources dans lesquelles elle avait dû puiser, pour les amener en sécurité. Et il savait que si elle disposait, tout comme lui, d’un certain arsenal pour décupler ses capacités, celui-ci commandait contrepartie. Ajoutant sa serviette au tas faisant trempette, il se détourna de celui-ci pour aviser son amante.
- On va voir de plus près ce qu’il reste de Ryan ? demanda-t-il en déposant un baiser contre l’une des tempes de la blanche. Peut-être puis-je demander à Apolline de lui administrer un bisou magique pour le réveiller, elle sera certainement ravie. Mais on aura sans doute à remplir des papiers pour attouchements par la suite.
Il n’était pas certain d’avoir sauvé plus qu’un macchabé, mais l’absence de vif dégoût de la loutre en train de le léchouiller, bien qu’elle fût surtout attirée par l’odeur séduisante de la substance végétale, le laissait garder un peu d’espoir quant à son état de santé. Et puis, s’il n’avait subsisté un peu de vie dans ce corps par ailleurs inerte, il n’aurait pas pu utiliser son pouvoir dessus.
- Pas vraiment. Répondit la chiraki à son amant quand il l’interpella en constant la direction qu’elle empruntait. Non elle n’était absolument pas sûre de la direction qu’elle prenait, toutefois elle était certaine que si elle se trompait il ne leur resterait plus que les jambes pour courir et les yeux pour pleurer. Ca au moins, elle pouvait le lui assurer.
Il ne fallut qu’une poignée de mètres pour que les vents se fassent plus puissant et obligent la jeune femme à plaquer ses oreilles sur son crâne pour empêcher le vent de tourbillonner dans ses tympans ce qui n'empêcha ni le sable de venir irriter ses yeux en fouettant son visage, ni de s’engouffrer dans sa bouche. L’incertitude la prit au bout d’une trentaine de minutes, lorsque l’horizon ne proposa toujours aucune alternative et que le mur sombre ne faisait que devenir plus imposant encore. Non, définitivement, elle n’était pas convaincue de son choix. Mais il était trop tard pour rebrousser chemin. Partir en courant maintenant ne serait que retarder l'inéluctable et puiser dans ses réserves aussi bien magiques que physiques qui étaient déjà bien entamées. Elle persista donc et signa même en reprenant la marche.
Les bourrasques étaient toujours plus brutales, menace silencieuse qui l’invitait à déguerpir rapidement. Solveig chancela plusieurs fois mais réussit à chaque fois à se remettre debout. Avançant l'échine courbée pour échapper le plus possible au flux impérieux et la main en visière pour épargner à ses yeux les fouets des dunes.
- Là ! S’écria-t-elle plus pour elle-même que pour la veste qu’elle tenait fermement mais qui ne cessait d’être ballotée par les vents. Devant eux se tenait leur grâce. Ce n’était rien d’autre qu’un abri décharné mais aux yeux de la Valkyrie cela avait l’air d’un véritable palais royal. Sans réfléchir elle enfonça la pointe de ses pieds profondément dans le sol et força la cadence. Il ne leur restait plus beaucoup de temps avant que la frénésie ne s'abatte sur eux. Solveig songea aux milliers de possibilités, de scénario qui allaient s’imposer eux dans les prochaines minutes. Le coursier ne pourrait pas éternellement rester coincé dans la veste de même qu’il ne pourrait pas conserver Kana et Ryan, dans ce cas il lui fallait trouver une solution pour les mettre tous à l'abri. Ca, elle n’était pas certaine d’y parvenir. Sa priorité, se concentrerait essentiellement sur son amant puis viendrait Kana et enfin Ryan. De toute façon, elle était presque certaine que l’homme ne survivrait pas jusqu’à ce qu’il rejoigne le camp.
Ils réussirent enfin à gagner la bâtisse partiellement délabrée. Il n’en restait pas grand chose, ses murs avaient l’air d’avoir vécu mille vie, le sable les avaient érodés mais les fondations semblèrent suffisamment solides à Solveig pour tenir. Ils n’avaient pas de meilleures options. Heureusement Calixte était un homme plein de ressources -une qualité qu’affectionnait tout particulièrement sa compagne. Il les mit tous en sécurité à l’intérieur de la théière du bonheur ; elle ne se fit pas prier pour y entrer à pied joint. Là-bas tout semblait hors du temps. Il n’y avait plus de sable pour cingler son visage, ni de vents pour la faire basculer vers l’arrière pas plus qu’un terrible orage qui menaçait de tous les ensevelir
Le visage de la soldate était recouvert d’une épaisse couche de poussière qui prêtait à ses cheveux des reflets ocre et avait partiellement recouvert la multitude de cicatrices qui seyait son visage. Elle fit également abstraction du sable qui s’était infiltré aussi bien dans ses vêtements que ses sous-vêtements, qui collait à la sueur de son dos et lui provoquait d'abominables démangeaisons. La salle de bain fut rapidement prise d’assaut pour Ryan qui était toujours aussi englué, suivi de la loutre qui, visiblement, était toujours sous l’emprise de la plante. Pour sa part, elle se rua sur son sac à dos et dégota rapidement les quelques rations qui lui restaient. Pas assez pour satisfaire tout son appétit mais suffisamment pour calmer le tourbillon de ses pensées qui se résumait maintenant à une multitude de plats en sauces, d’accras généreux, de pain doré au four et de gâteaux au glaçage impeccable. Quand elle croqua dans un morceau flétrie de viande séché, elle ne put s’empêcher de faire la moue lorsqu’elle sentit le crissement du sable sous ses dents. Pour autant, cela n’entama pas son appétit.
- Ch’ai faim… Marmonna-t-elle en mâchant un bout de pain qui aurait largement mérité un bain de vapeur. Ce n’était pas grand chose mais avec ses propres vivres et ceux d’Abdallah, elle devrait pouvoir tenir jusqu’au lendemain. Elle quitta le sol pour se redresser, fouillant dans les entrailles de l’âme artificielle qui la gourmanda d’être si pressée. - Deux minutes. Riposta-t-elle lorsque Calixte aborda le sujet de Ryan. Au point où il en était, il n’était plus à quelques secondes prêt. Enfin, elle mit la main sur la pitance dont il lui avait parlé. A contre cœur, elle abandonna le tout sur une table qui se trouvait non loin d’elle puis franchit la distance qui les séparait. Jetant un regard oblique dans sa direction, elle lui offrit un sourire qui n’augurait rien de bon. Il avait été plus proche du pauvre homme qu’elle, sans doute était-il plus avisé sur son état mais elle n’était aucunement convaincue.
Quand elle passa la porte, l’odeur enivrante la reprit de nouveau à la gorge. Moins puissamment que dans le désert mais suffisamment pour faire voltiger ses pensées vers d’autres horizons. Il lui fallut faire des pieds et des mains ainsi que s'agripper à toute la volonté dont elle était dotée pour se recentrer sur l’instant présent. Sous les émanations, elle devinait également l’odeur putride de la mort.
- Ça ne sent pas bon. Annonça-t-elle aussi bien pour ce qu’elle sentait que pour l’état général du pauvre homme.
Solveig se glissa derrière Kaname pour atteindre le visage de Ryan. Il était presque aussi transparent que l’eau dans laquelle il baignait et sa poitrine se soulevait avec un calme inquiétant. Hasardant un regard vers Calixte, elle pinça les lèvres.
- Je pense qu’il sera mort avant demain. Ses yeux passèrent sur le futur macchabé. - Si tu as des potions, des bandages ou autres, c’est le moment de les rapporter. Je vais essayer de… Elle haussa les épaules. - Voir ce que je peux faire. Écartant doucement mais fermement le familier elle entreprit de retirer à Ryan ses vêtements. Peut-être pourraient-ils ainsi mieux jauger ses chances de survie.
Ce qu’elle vit ne présageait rien de bon. La poitrine de l’homme était noirci, probablement nécrosée suite au séjour dans les tripes de la tsavid. Une blessure qui s’avérerait létale si ils ne trouvaient pas vite un moyen d’enrayer sa progression. Elle continua son inspection ; déboutonna son pantalon, retira ses bottes. D’autres zones étaient abîmées mais bien moins que ne l’était son thorax. Au moins l’eau pourrait-elle lui apporter un semblant de paix.
Solveig retourna dans la pièce principale et informa son amant de ce qu’elle avait découvert. Il était clair que Calixte était le plus doué des deux dans le domaine de la médecine, aussi précaire fut-elle, elle lui proposa donc de l’assister. Au risque de la voir, par inadvertance, tuer son patient si elle s’en occupait elle-même. Toutefois, songea-t-elle, peut-être que le coursier n’était pas un candidat plus performant. Enfin, de toutes façons, ils n’avaient pas le choix.
Ils dénudèrent complètement le travailleur inconscient et entassèrent ce qu’il restait de ses affaires, à présent propres, sur la partie carrelée du sol où Kaname vint renifler avec curiosité le monticule, avant d’en faire son poste d’observation. Nettoyant le plus délicatement possible les dernières langues gélatineuses accrochées à la peau amochée, ils vidèrent ensuite la baignoire et déplacèrent, d’une nouvelle fusion, leur charge précautionneusement séchée vers la large couche propre de cet antre intemporel. A la lueur artificielle des cristaux enchâssés en pluie d’étoiles dans les parois de bois du refuge, les plaies ne se firent pas plus belles. Au contraire, même, ils purent s’apercevoir qu’elles suintaient continuellement.
- Je vais prendre une partie de ses blessures, ça nous avancera un peu, décida Calixte malgré le regard peu convaincu de Solveig.
Attrapant le pendentif des larmes de Lisa, estimant les blessures raisonnables mais davantage délétères chez Ryan en raison de piteux état, il posa ses doigts contre ceux de l’homme. La barrière des vêtements de ce dernier avait au moins eu l’avantage de protéger presque parfaitement le bas de son corps, et ses pieds étaient absolument indemnes. Transférant tout d’abord les plaies éparses des membres inférieurs, le coursier hésita un instant avant de s’attaquer à celles égrainées sur son chef. Bien qu’évitant de s’approprier celles particulièrement profondes ou sur des zones vraiment sensibles, il se laissa choir sur la chaise poussée d’un pied véloce par la Valkyrie à l’affut, la brûlure intense de la morsure passée du végétal l’étourdissant.
- Peut-être va-t-on s’arrêter là, haleta-t-il en touchant d’une main curieuse son cuir chevelu maintenant effeuillé de quelques touffes blondes remplacées par quelques parcelles de derme abîmé. Visiblement ça ne marche plus, de toute façon, poursuivit-il en fronçant les sourcils tout en étudiant le petit pendentif au creux de sa main.
- Ah frère, on dirait qu’un fenrir t’a fait un aller-retour. C’particulier, mais ça t’donne grave d’l’allure ! déclara Abdallah.
Calixte en doutait fortement, certain de ressembler davantage à un porc-becue qu’à certaines brochures du calendrier des Déités de la Garde. Mais certainement rien qu’un coup de peigne magique et quelques cataplasmes ne sauraient réparer.
- Les bandages et les onguents, Abou, s’il-te-plait, choisit-il de répondre en refoulant dans un coin de son cerveau la dérangeante discussion entre le sac et Apolline – qui avait apparemment choisi de pointer le bout de son cuir. On pourrait utiliser la dolipralgue pour les plaies, mais je pense que l’aloe du désert sera peut-être plus adaptée, réfléchit-il à voix haute comme Solveig attrapait l’une des pâtes pour lui en badigeonner les blessures qu’il s’était appropriées. Il parait que ses vertus antiseptiques et réparatrices sont particulièrement intéressantes, et dans notre cas… La texture n’est pas désagréable, nota-t-il en étudiant la fine couche en patchwork recouvrant à présent ses jambes.
Plongeant ses doigts dans le bocal qu’il avait récupéré plus tôt au départ de leur assignation au camp de base, il entreprit d’étaler une épaisseur plus généreuse sur le thorax consumé – mais se soulevant encore lentement – de Ryan. Ils vidèrent le contenant et durent finir leurs soins avec des cataplasmes de dolipralgue, mais au terme de quelques minutes l’homme fut parfaitement emmailloté – si on estime qu’un filet de bandages emmêlés peut-être parfait – de son linceul thérapeutique. Et, la tête de Calixte, perdue sous un impressionnant turban aux relents doux-amers aux mêmes propriétés.
- Prêtes pour la suite ? demanda le coursier en glissant entre les lèvres de l’inconscient une pilule de beodassa réduite en poudre.
- Prêth prête ? répéta d’un ton claironnant Apolline qui avait été hissée sur la tête de Kaname et avait ainsi pu se rapprocher des deux soldats à l’œuvre. Apo prête !
Kana prête !
Comme pressentant ce qui l’attendait, les doigts de Ryan accusèrent un soubresaut rythmé du tintement de clochettes. Par erreur dans leurs soins approximatifs, une potion de grelots avait précédemment trouvé son chemin vers la bouche de l’endormi.
Ils attendirent quelques minutes que la poudre fît son effet et puis, dans un gémissement souffreteux, les paupières rougies du travailleur se mirent à papillonner.
- Debout le Beau de la Forêt Dormante ! Au menu : beodassa, dolipralgue, fusion auxiliaire et dix minutes entre les doigts délicatement enchantés de notre Valkyrie personnelle pour tenir le cap ! A coups de claques, si besoin. Mais promis, je te ferai un bisou magique pour en adoucir la flamme.
Après avoir vérifié que l’homme se maintenait éveillé et engrangeait lentement les consignes données, Calixte se fondit en lui. L’exercice était des plus singuliers, et il restait circonspect quant à l’usage que Ryan ferait de ses ressources. Néanmoins il avait, en revanche, toute confiance dans le jugement de Solveig pour diriger celui-ci – ou éviter qu’il ne puisât trop goulument dans ses réserves.
Il reprit connaissance aux volutes salées venant caresser son odorat endormi, avivant ses sens et faisant gronder son estomac affamé, peut-être une poignée de secondes après la défusion, plus probablement au terme de longues minutes – voire heures – après celle-ci. La musicalité toute en fortissimo d’Apolline eut tôt fait d’achever complètement son réveil, et son regard balaya confusément l’antre de la théière enchantée pour se poser finalement sur la silhouette de la Valkyrie. Se découpant en ombres encore sablonneuses devant le foyer rougeoyant et fumant, elle tenait à la main un sachet en tissu de biscuits bien entamés, et remuait négligemment la marmite qui remplissait l’air d’alléchantes effluves.
- Aha ! Je savais qu’il suffisait d’un baiser pour te réveiller, Cal-bute, déclara Apolline en se détournant de Solveig à laquelle elle terminait de raconter les fabuleuses aventures d’un certain Alex Flex. On n’te dira pas de qui, mais tu peux bien évidemment de te douter qui possède ce formidable pouvoir entre nous tous. Soupe à c’qui trainait, ça te dit ? J’crois que Soly chérie a mis des trucs marrants dedans.
Le tintement de grelots, que l’ancien espion encore ensommeillé avait initialement refoulé au fond de sa conscience, appela finalement son attention et il tourna la tête – toujours enturbannée – vers son origine agacée. Apparemment Ryan avait profité de leurs soins pour, au moins être assuré de vivre jusqu’au lendemain et au retour vers des mains plus expertes, et surtout s’installer confortablement dans le grand lit de la pièce. Tel un roi sur son trône de couvertures, il appelait impérieusement de sa dextre le dîner en préparation.
- Un hôte adorable ce Riri, commenta la trousse de cuir sans prendre la précaution de moduler le volume de sa voix amusée. Le digne invité de notre demeure quatre étoiles ! Le défi d’exigences dont cette journée manquait ! Azu propose de l’assommer de ces laïus dont elle a le secret, Abou de lui faire essayer certaines plantes sur lesquelles il a mis la sangle, et Kaname de le manta pister à chaque fois qu’il fait sonner ses doigts.
Haussant les sourcils aux clochettes insistantes, Calixte étira lentement ses membres fourbus avant de se relever d’un pas raide pour rejoindre sa compagne affairée.
- C’est pour le mettre dedans ? chuchota-t-il avec curiosité à la Valkyrie en se coulant contre elle pour jeter un coup d’œil à la préparation. On peut peut-être le remettre dans le bulbe sur le trajet du retour.
- MAJ inventaire:
- - 1 potion grelots
D’un geste vif de la tête, elle envoya balader toutes ses pensées, empêchant les vagues d'inquiétude de refluer comme le ressac. Elle les scella fermement dans un coin de son esprit et saisit le bandage en tissus que la loutre lui tendait sagement. La Valkyrie reprit son labeur, débridant chaque morceau de peau noircit, bandant ce qui pouvait l’être. Ce ne fut que lorsqu’il lui sembla plus proche de la momie que de l’homme qu’elle daigna enfin s’arrêter. Le fond d’eau qui restait au fond de la baignoire était teinté de rouge et de petit morceaux noirâtre y flottait négligemment. Comme si le temps se remettait en marche, l'odeur métallique du sang et la pourriture assaillirent ses narines. Une bénédiction lorsque l’on songeait à ce que la délicieuse effluve, qui flottait encore dans l’air mais était presque totalement absorbée par les autres odeurs, avait failli leur coûter.
- Va préparer des draps et… Essaye de faire quelque chose de confortable. Lança-t-elle à Kaname qui semblait être enfin sortie de la torpeur qui l’avait retenue jusqu’ici. Et tandis qu’elle filait, la Valkyrie glissa ses bras sous le corps inerte de l’ouvrier.
Les minutes lui semblèrent des heures, peut-être même que cela fut le cas. Il n’y avait rien ici pour s’en rendre compte. Mais après avoir déposé le corps de Ryan sur le baldaquin, elle avait patiemment attendu le retour de son amant. Toutefois, l’attente n’était pas dans les cordes de la jeune femme, alors elle s’était mise à penser, à calculer, à réfléchir. Quand pourraient-ils partir d’ici ? Est-ce que dehors, la tempête s’était calmée ? Les autres avaient-ils pu se mettre à l'abri ? Calixte sortirait-il indemne de cette énième fusion ? Si Ryan venait à mourir, Calixte aussi ? Ou serait-il éjecté ? Sans qu’elle ne s’en rende compte, les doigts de la Valkyrie s’était mit à pianoter avec tant de fermeté sur l’accoudoir qu’elle avait creusé sur chacun d’eux des petits trous. Même la voix d'Apolline avait du mal à refreiner les scénarios qui se bousculaient à la lisière de son esprit, elle ne parvenait qu’à lui arracher quelques grognements songeurs, ou des hochements de tête décousus. Ce ne fut que lorsque la petite tête blonde daigna refaire surface qu’elle sauta de sa chaise comme un ressort.
- La déesse soit louée, il va bien ! S’exclama la jeune femme tout en caressant la tête cabossé de l’endormis. Elle le porta avec toute la douceur dont elle était dotée et l’allongea sur le divan, le laissant aux bons soins de ses familiers. Dans son dos, les tintements de grelots fit vibrer ses tympans.
Lorsqu’elle se retourna, elle découvrit un Ryan dans une forme presque olympique. Ce qu’elle ne tarda pas à regretter. A vrai dire, elle songea même qu’un petit coup derrière la tête pour le rendormir ne lui ferait pas de mal. Mais elle craignait que cela ne fut le coup de grâce pour le pauvre homme et se contenta, à la place, de répondre à ses demandes. Elle l’emmena uriner, écouta ses blagues douteuses et s’attacha même à préparer un repas sommaire lorsqu’il en fit la demande. La bonne petite ménagère, Calixte aurait pu être fier d’elle, si tant est qu’il ne fut pas déjà la parfaite petite ménagère quelque peu maladroite.
A chaque fois qu’elle s’éloignait de la petite marmite, bouillonnante, Solveig déposait une volée de baiser sur le front pâle du coursier. Sans doute dans l’espoir naïf que cela l’aide à sortir du coma dans lequel il semblait profondément plongé. Ou peut-être pour éviter d’étrangler Ryan qui se faisait de plus en plus exigeant. Finalement, elle abandonna l’idée et dû se résoudre à écouter les histoires douteuses d’Apolline -qu’elle adorait en d’autres circonstances soit-dit en passant.
Elle était en train de faire tourner un liquide opaque d’une nature plus que douteuse dans une petite marmite en fonte quand la voix tant attendue se glissa comme un colibri près de son oreille. Sans se retourner, elle ne put que sourire ce qui n’empêcha pas ses yeux vairons de lancer une myriade d’éclairs en direction du malade qui ne cessait de faire tinter ces foutu grelots depuis une paire d’heures déjà, ou peut-être trois. Elle ne savait plus vraiment, ici le temps passait d’une manière toute différente et il n’y avait pas de fenêtre pour l’aiguiller.
- C’est tentant. Après tout, il suffirait de dire que nous ne l’avons pas retrouvé. Une lueur douteuse éclaira ses prunelles quelques instants avant de disparaître aussi subitement. - Apo à proposé de le remettre dehors le temps que les effets de la potion s’estompent. Ajouta-t-elle comme si elle attendait l’aval de son compagnon pour exécuter cette brillante suggestion. Finalement elle opta pour quelque chose de bien moins radical et finit par laisser aux bons soins de Calixte la préparation pour aller s’enfoncer deux boules de coton dans les oreilles.
Quand le petit groupe émergea de la théière tout était atrocement calme et sombre. C’était comme si un voile de silence s’était subitement posé sur le désert. Les étoiles brillaient comme de petits feufolet et elles lui semblaient si proches qu’elle dû tendre la main pour s’assurer qu’elle ne pouvait pas les saisir.
- Au moins la tempête s’est calmée. Et c’était vrai. Le vent était retombé, les dunes étaient aussi lisse que la peau des fesses d’un bébé et il n’y avait plus un grain de sable pour venir se loger ni dans ses yeux ni dans ses sous-vêtements, ce qui était déjà un grand soulagement. Toutefois, le vent avait effacé toutes traces de leur passage et si Solveig s’était déjà rendu dans le désert, elle ne l’avait pas cartographié pour autant. Derrière elle, se tenait le reste du groupe, la victime juchée sur le dos de Kaname. - Si j’me trompe pas, on est arrivé d’ici. lança-t-elle en pointant le sud. - Donc nous devrions aller par là. Cette fois elle se tourna vers l’extrême opposé. Au même moment, un grelot retentit, faiblard pour les autres, agaçant pour ses tympans desquels elle avait retiré le coton. - Il ne faut pas faire de bruit, d’étranges créatures rôdent ici la nuit... Puis d’un air lugubre qui perçait le pauvre Ryan de part en part, elle se pencha vers Calixte et chuchota : - Du moins j’imagine mais si j’entends encore ces grelots je vais l’abandonner ici pour voir si ma théorie est exacte. Puis dans un petit rire, elle prit la tête du convois.