Rhys Dolamn
Un mot. Une question. Tout ce qui dérange.
Elle est pourtant loin, Enora. Loin de chez elle. Pas trop, de faite, mais le trajet n'était pas des plus animés.
En acceptant de faire cette fameuse livraison, la jeune Orefall espérait juste avoir un moment de répit. Chaque occasion de s'éloigner de son village - malgré tout l'amour qu'elle lui porte - est une occasion à saisir. Avide de voyages, comme l'était sa mère, elle avait profité de cette mission - confiée par son père - pour admirer les paysages. Mais également re-découvrir la capitale. C'est la première fois, après tout... La première fois depuis des années qu'elle revient ici. Tout semble différent, par rapport aux peu de souvenirs qu'elle garde en mémoire.
La fatigue ? Qu'importe. Seules les étoiles présentent dans ses yeux comptaient. Seule sa curiosité comptait : elle devait la satisfaire.
Et c'est là - une fois sa livraison terminée, au milieu de la foule - qu'elle l'a aperçu.
Celle qui a participé à la briser.
Celle qui l'a privée de son premier amour.
Sa grande-soeur.
Elle vient, elle va. Elle est parfois là. Deux sœurs qui s'évitent depuis le drame.
Pourtant, son aînée lui a sourit, comme si de rien n'était. « Hypocrite. T'en es fière, hein ? » pensait-elle en fronçant les sourcils avant de tourner les talons, ses tripes se tordant, lui causant d'insupportables nausées.
Voilà comment elle se retrouve là, fille sensible qu'elle est, coude sur le bar et verre à la main. Et ce n'est pas de l'eau...
Ses nerfs sont à vif. Ses pensées et souvenirs la hantent. Et autant dire que l'alcool ne l'aide pas à gérer la situation comme il se doit... Non, elle n'a pas atteint sa limite, mais penser correctement devient un exercice difficile.
Misère.
Elle s'affale sur le bar, tête plongée dans ses bras, pousse un profond soupire.
Où a-t-elle pu merder pour en arriver là ?
La soirée était maintenant bien entamée et Teb étouffa un bâillement avant de lui adresser un sourire d’excuse.
- Pardon, je vais devoir y aller. On a pris une nouvelle mission demain, et on part assez tôt.
- Et tu viens picoler la veille de ton départ ? Tu n’es pas très sérieux, dis-moi.
Rhis lui lança un regard taquin, puis il se leva.
- Je t’offre la tournée, reste là.
Sur ces paroles, il quitta leur table pour se diriger vers le bar et le tavernier lui offrit bientôt un grand sourire.
- Ah, Rhis, cela fait longtemps ! Comment va ?
- Comme ci comme ça. Ton établissement est toujours aussi bruyant et aussi bondé, ma foi.
- Au moins, les affaires tournent ! Même s’il y a des gens que je devrai mettre à la porte, comme d’habitude. M’enfin, c’est pas l’heure de fermer tout de suite donc ça devrait aller. D’toute façon, j’emploie un videur maintenant. Il s’occupera des récalcitrants qui veulent dormir sur place. Cela dit…
Le tavernier s’interrompit pour jeter un œil sur sa droite et il ramena son attention sur Rhis.
- T’es un gentleman, toi, non ?
Ouh, ça sentait pas bon, ça. Rhis haussa d’ailleurs un sourcil avant de répondre brièvement.
- Ca dépend pour quoi. Et pour qui.
- Mouais. Peut-être que tu pourrais m’aider. Y a une demoiselle là-bas, qui est arrivée avant toi. Elle a… un peu picolé et rumine dans son coin. Mais j’ai peur que bientôt, je saurai pas la récupérer et… bon, c’est pas mes affaires, mais tu sais que les videurs sont un peu rustres, non ? Et elle est toute jeune.
Le regard de Rhis valait tous les discours du monde et il répond avec un chouilla d’ironie.
- En gros, tu veux que je sois son chaperon et que je la ramène chez elle ?
- Ouais. Non. Tu sais que derrière mon gros calibre, je suis quelqu’un quelqu’un de sensible. Je voudrais pas qu’elle dorme dans la rue, alors qu’il y a des rustres et des sombres alcooliques dehors.
- Fais-la dormir dans une de tes chambres.
- Elles sont toutes prises.
L’espion poussa un long soupir.
- Et pourquoi tu demandes ça à moi ?
- Bah, t'es un habitué. Et tu sais t'y prendre avec les filles. Avec les hommes aussi peut-être.
- ... Tu t'enfonces.
C'est finalement en voyant la mine dépitée de son interlocuteur que Rhis finit par rendre les armes.
- Très bien, très bien, je vais m'en occuper. Mais laisse-moi prendre contact avec elle quand même. Je la connais pas, cette fille, et je suis un sombre inconnu pour elle.
- Un inconnu beau gosse quand même.
- Tais-toi et apporte-moi une autre bière. Tiens, prends les cristaux pour notre première tournée.
Rhis échangea sa monnaie et il se contenta d'hocher la tête quand l'aubergiste lui dit qu'il lui offrait le reste.
Franchement, pourquoi c'était un truc qui n'arrivait qu'à lui ? Dans tous les cas, l'homme ne tarda pas à faire demi-tour pour voir son compagnon, à qui il résuma brièvement la situation.
- T'es un sacré veinard. Qui sait, peut-être que vous aurez le coup de foudre ?
- C'est ça. Disparais et bonne merde pour votre mission.
- Ouais, à la prochaine, Rhis !
Sur ces bonnes paroles, Teb s’en alla et Rhis finit par se diriger vers le bar en s’asseyant à gauche de la demoiselle. Celle-ci ne devait absolument pas l’avoir remarqué, vu qu’elle avait la tête plongée dans ses bras et le conseiller royal se contenta de la regarder en coin. Apparemment, elle semblait au bout de sa vie. Le coude posé sur la table, le menton posé contre sa main, il attendit l’arrivée du tavernier, qui lui déposa sa bière devant lui et il lui offrit un clin d’œil en même temps. Sérieusement, c’était à se demander s’il voulait pas le caser, celui-là.
- Tout va bien, jeune demoiselle ?
C’était une approche comme une autre, un peu bateau, c’est vrai, mais peut-être que ça ferait réagir la miss. A vue d’œil, il la situait dans la vingtaine.
- Il est bien triste de prendre un verre toute seule, vous ne pensez pas ? Vous n’êtes pas venue accompagnée ?
Comme ça, s’il y avait quelqu’un de son entourage dans le coin, il pourrait éventuellement la lui refourguer.
Rhys Dolamn
Enora, on lui a jeté sa sœur. C'était si court et pourtant, ça avait suffit à la bouleverser, à raviver de vieux souvenirs qu'elle aurait préféré garder bien enfuis en elle. Alors elle a fait tout ce que les clichés attendaient d'elle ; aller boire un verre. Oh bien sûr, elle en avait envie depuis le début. Mais sans doute se serait-elle rapprochée d'une ou deux bonnes têtes au cours de la soirée si elle n'était pas autant occupée à briser davantage son âme en peine. Là, la simple idée de faire de nouvelles rencontres ne lui avait même pas effleuré l'esprit.
C'est sans doute pour cette raison qu'elle n'a même pas prêté attention à ce qui l'entourait, et que l'arrivée soudaine d'un charmant étranger la surprit. N'ayant étonnement pas perdu en vivacité - pour ce coup-ci en tout cas - la jeune femme tourna rapidement la tête avant de se redresser. Le message est-il monté au cerveau ? Oui parfaitement. Mais elle ne dit rien pour autant, se contente d'observer l'homme qui est venu s'installer à ses côtés. Enfin ça, c'est jusqu'à ce qu'il lui demande si elle n'est pas venue accompagnée. « C'est une tentative de drague ? Il me veut quoi lui ?! J'ai l'air si désespérée que ça ? Il peut se la garder sa pitié si c'est le cas. » pense-t-elle. Si elle a bien envie d'hausser un sourcil, elle préfère se retenir et faire ce qu'elle a l'habitude de faire ; Jouer la comédie. Donc elle sourit.
« Je vais bien. Enfin... » Elle fixe son verre un instant avant de reporter son regard sur son interlocuteur. « Pour ce qu'une jeune femme peu habituée à l'alcool peut aller. » Elle lâche un bref petit rire.
Son regard se pose alors sur le maître des lieux, dont elle sent le regard en coin depuis quelques secondes. « Je vois. Ils sont pires qu'à la campagne ici ! » Elle n'est pas aussi pompette que ça. « C'est quoi cette manie de croire qu'une femme est morte bourrée pour un rien ? ». Ça la désespère. Mais elle continue sur sa lancée, reprend la parole.
« Je rumine un peu trop ces derniers temps. Je n'avais pas vraiment envie de faire subir ça à mes proches. De toute façon, je ne suis que de passage ici, et comme j'ai entendu beaucoup de bien des alcools de la capitale, j'ai voulu y goûter. Rien de plus. »
Ce qui n'est pas totalement faux.
« Vous êtes venu pour me tenir compagnie ? » se permet-elle de demander sur le ton de plaisanterie... Même s'il y avait peut-être une petite part de malice dans cette question, de provocation. Ok, peut-être que totalement jouer la comédie est un exercice difficile, là tout de suite. « Enora Orefall. » ajoute-t-elle en lui tendant la main en guise de présentation.
Quoi qu’il en soit, l’intéressée reconnut avoir bu, et le conseiller royal ne tarda pas à lui répondre après avoir jeté un œil à sa boisson.
- Au moins, vous avez eu du goût en choisissant votre verre, fit Rhis. Vous avez choisi un alcool pas trop cher, mais qui est assez renommé dans les tavernes de la capitale. Ce n’est pas de la piquette, ce n’est pas le vin de dernier crû non plus, mais il est idéal pour passer une bonne soirée dans un bar.
L’homme faillit ajouter cet alcool était aussi idéal noyer tous ses problèmes à court termes, mais il se retint in extremis. De toute façon, la jeune femme ne tarda à aborder le sujet après avoir jeté un œil à l’aubergiste. A qui il devrait donner des leçons pour être discret un jour. Mais il ferait ça… plus tard. Le plus important, là, c’était la fille. Elle lui avoua alors qu’elle ruminait un peu trop ces derniers temps. Ce qui expliquait l’alcool. Et le verre. Et sa mine un peu désespérée avant qu’il ne l’aborde.
Bien sûr, ne pas imposer sa mauvaise humeur à ses proches étaient parfaitement louable mais… à force de tout garder pour soi, on pouvait finir par exploser, et Rhis se demanda succinctement ce qu’elle cachait derrière son joli minois.
« Vous êtes venu pour me tenir compagnie ? demanda-t-elle.
- Il faut croire que j’ai du temps à perdre et que je préfère être bien accompagné que de boire seul dans mon coin », sourit-il d’un air coquin. D’accord, la jeune femme assumerait certainement qu’il la draguait, mais et alors ? Il la rencontrerait uniquement le temps de cette soirée, et il comptait bien ne pas déraper de toute façon. « Je m’appelle Rhis », reprit l’intéressé en serrant la main que la jeune femme lui tendait. « Si je comprends bien, vous êtes de passage à la capitale ? Qu’est-ce qui vous y amène ? »
Il y avait une multitude de raisons pour passer à la métropole. Probablement s’agissait-il d’une affaire commerciale, ou alors d’une voyageuse qui parcourait les terres d’Aryon. Peut-être même qu’il pouvait s’agir d’une aventurière mais vu ses vêtements, l’espion en doutait quelque peu.
Quoi qu’il en soit, le conseiller royal lui laissa le temps de répondre, puis, il reprit la parole, le coude posé sur la table et la tête légèrement appuyée contre sa main gauche.
- Et qu’est-ce qui vous tracasse au point de vous affaler si désespérément à un bar ? Je comprends bien qu’on ne veuille pas inquiéter nos proches, mais vient un moment où on ne peut pas porter tout sur nos épaules…
Ses paroles dites, Rhis la scruta et dévisagea son beau sourire, apparemment si serein, apparemment si parfait. Il se retint lui-même de sourire à son tour, amusé qu’il était par la situation. Enora pouvait bien lui mentir, son pouvoir lui permettrait de savoir la vérité très vite. Et quelque chose lui disait qu’il n’allait pas tarder à utiliser son don pour y voir clair assez rapidement.
Attendant patiemment sa réponse, le garde prit une gorgée de sa boisson, tout en attendant ses prochaines paroles – et ses prochaines pensées – qui lui révèleraient bientôt le véritable état d’esprit de cette demoiselle au regard d’ange.
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