L’espion avait été invité à une réception mondaine dans la résidence secondaire d’un aristocrate, quelque part entre le Village Perché et la capitale. La festivité s’était en elle-même bien passée : le vin avait coulé à flot et le temps ensoleillé avait même permis aux invités de prendre l’apéritif dans le vaste jardin de la propriété. Comme toute réception digne de ce nom, les rumeurs, les flagorneries et les ragots s’étaient propagées de bouches à oreilles, et Rhis avait tout écouté avec le plus grand soin. Après avoir exalté la fin de l’hiver et le début des joyeusetés estivales qui débuteraient bientôt, leur hôte leur avait également présentés les récentes créations de sa fille, de jolies toiles qui mettaient en exergue la nature. Probablement escomptait-il avoir un ou deux acheteurs. C’était à la fin de cette courte exposition que le protecteur royal avait pris congé pour rentrer à la métropole. Il avait promis de revenir pour de futures parties de chasses, quand la saison chaude arriverait, mais l’homme aux yeux lilas n’aimait guère ce passe-temps, et il espérait bien trouver une belle excuse d’ici-là pour échapper à cette obligation.
Désormais, Rhis progressait dans la forêt à une belle allure. Le soleil perçait les ramures des arbres pour éclairer le chemin qu’il empruntait, créant ainsi de jolies variantes d’émeraudes sur les feuilles tendres qui pointaient timidement le bout de leur nez. Indifférents à son passage, les oiseaux continuaient à chanter du haut de leurs branches, probablement plus préoccupés à prendre soin de leurs nids qu’à s’occuper d’un vagabond qui disparaitrait bientôt à l’horizon. Quant aux autres animaux de la forêt, l’odeur des hommes devaient les dissuader de s’aventurer dans les environs. Après tout, l’espion empruntait un sentier maintes fois entretenus par les voyages des commerçants et des aventuriers, de sorte qu’il n’étaient pas difficile de s’y promener à cheval, voire même en carriole. Ce chemin devait donc être un repoussoir idéal pour les bêtes les plus farouches, et les prédateurs n’oseraient probablement pas s’en prendre à des voyageurs en plein jour.
Rhis était donc seul… ou du moins le croyait-il. Devant lui apparut bientôt une autre cavalière. Une femme aux longs cheveux argentés qui progressait plus lentement que lui. La couleur de ses cheveux attira son attention mais le beau brun se garda de faire des commentaires. C’était sans doute une dame qui se promenait dans le coin. Et c’était son droit, même si elle n’avait pas intérêt à faire de mauvaises rencontres, Aryon était quand même peuplé d’abrutis qui se croyaient parfois tout permis.
Il s’avança dans l’intention de la dépasser et décida de lui adresser une brève parole polie, un simple bonjour, après quoi il passerait son chemin. Ce fut la mine de son interlocutrice qui le motiva finalement à ralentir son allure. L’expression un peu dépitée de la jeune femme ne lui avait pas échappée après qu’il l’ait brièvement saluée.
- Est-ce que tout va bien ?
Son ton était affable, mais pour le moment, le sort de la jeune femme lui importait peu. Si elle lui disait qu’il n’y avait aucun problème, il repartirait aussitôt. Et dans le cas contraire… Il ferait comme d’habitude, il improviserait.
Le soleil printanier réchauffait sa peau et une légère brise lui caressait le visage et entrait dans sa longue chevelure. Son cœur se réchauffait quelque peu à la venue des beaux jours, lorsque les bourgeons faisaient leur apparition un peu partout. Pour une fois, elle ne prit pas le chemin pour se rendre au temple par la forêt. Elle avait envie de nouveauté. Elle partit de l'autre côté, en direction du village perché, sentier qu'elle n'avait pour ainsi dire jamais emprunté. Cela faisait pourtant cinq ans qu'elle vivait à la capitale, loin de sa famille, libre comme l'air. Mais elle ne s'inquiétait pas, elle avait un bon sens de l'orientation. Quant aux mauvaises rencontres qu'elle pourrait faire, elle ne s'en souciait guère. Est-ce que cette vie en valait vraiment la peine ? Rejoindre sa créatrice ne lui faisait pas peur.
Elle s'arrêta à l'ombre d'un immense érable et s'installa pour méditer un moment. Elle respira profondément, l'odeur de mousse et de terre envahissant ses narines. Elle laissa passer ses pensées mélancoliques, celles d’appréhension à l'idée de travailler au palais et celles d'irritation concernant ses parents qui la forçaient à faire quelque chose d'utile. Après un temps qu'elle n'aurait su quantifier, et le cœur un peu plus en paix, elle repartit tout en s'enfonçant plus encore dans la vaste forêt.
La fin de l'après-midi approchant, elle se mit en tête de rentrer et fit demi-tour. Après quelques temps, elle arriva à une bifurcation qu'elle ne reconnut pas, s'arrêta et s'adressa à son cheval. « Alors Goldlight, à droite ou à gauche ? » Ce dernier ne donna évidemment aucune réponse. Elle en était là de ses réflexion lorsqu'une voix masculine qui la saluait lui parvint aux oreilles. Elle se retourna et dévisagea le bel inconnu qui se tenait devant elle. Il ne représentait visiblement pas une menace. Il était richement vêtu, ses longs cheveux noirs attachés dans le dos ondulaient dans le vent et des mèches tombaient devant son visage. Ses traits fins et ses mains parfaites indiquaient à Yüna qu'il était sans doute d'un rang élevé. Il avait un air avenant et sa voix était cordiale.
La jeune femme répondit d'une voix neutre, le visage impassible, ne sachant pas à qui elle avait à faire. « Tout va bien oui. » Elle n'allait quand même pas montrer ses faiblesses devant un parfait inconnu. Elle n'était pas une princesse à sauver. « Juste un petit contretemps. Je ne retrouve pas mon chemin. C'est étrange car j'ai un très bon sens de l'orientation en règle générale. Mais je ne me promène jamais par ici. Je vais plutôt dans la forêt du côté du temple en général. J'ai eu envie de changer. Je ne regrette pas, c'est très beau. Pourriez-vous m'indiquer la direction de la capitale ? »
Tout allait bien… Mais pas tellement en fait. La jeune femme s’était visiblement perdue en se promenant dans ce coin de la forêt. Elle allait du côté du temple, en règle générale, et son envie de changer d’air lui avait visiblement créé une mauvaise surprise.
- Vous êtes sur le bon chemin, mais il y a encore pas mal de route à faire avant d’atteindre la capitale. Je me dirige moi aussi vers la métropole. Peut-être pouvons-nous rentrer ensemble ? Ainsi, je vous montrerai par où aller.
On était en fin d’après-midi, et si les journées étaient de plus en plus longues au fil du temps, le soleil couchant et le manque de luminosité pouvaient en désorienter plus d’un si on ne connaissait pas bien la région. Le conseiller royal attendit la réponse de la demoiselle, puis il se présenta.
- Je m’appelle Rhis Dolamn. Puis-je savoir qui vous êtes ?
Si elle était une inconnue, rien ne l’empêchait d’être poli, et après l’avoir écoutée, il enchaina.
- Vous vous promenez ainsi souvent près du temple ? Il s’agit d’une belle région, où on trouve beaucoup de pèlerins. En comparaison, ici, la forêt est bien plus calme.
« Tant qu’on n’y rencontre ni bandits, ni prédateur sauvage. »
Mais bon, ils n’étaient pas non plus au cœur de la forêt, là où la végétation était très dense. Ce coin était encore assez sûr et l’homme finit par regarder la jeune femme alors qu’il relançait doucement son cheval.
- Vous habitez à la capitale ? demanda Rhis avec un sourire aimable.
Il n'avait pas la prétention de connaître tous les membres de la noblesse, aussi en savoir plus sur la demoiselle ne pourrait jamais lui faire de tort. De toute façon, il devait la raccompagner, donc autant faire la conversation, ça leur ferait passer le temps.
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