Rhis n’aimait pas la magie.
Ou plutôt, l’espion l’appréciait à petite dose. Il était difficile de s’en passer dans le Royaume, tellement elle était omniprésente dans Aryon. La masse d’objets enchantés montrait bien son succès et, il fallait bien le reconnaître, ces mêmes objets magiques assuraient à tous les citoyens un confort évident. Outre la commodité qu’ils apportaient, ces petits objets du quotidien leur permettaient de rester en contact avec leurs proches, et parfois, ils leur sauvaient la mise quand les aventuriers, les espions, même les criminels se retrouvaient dans des situations délicates.
Donc affirmer que le conseiller royal était contre la magie était relativement inexact. Il l’appréciait quand elle leur simplifiait la vie, quand elle était stable et sous contrôle.
Rhis l’aimait beaucoup moins quand elle était enfermée dans des artefacts dangereux et imprévisibles.
En l’occurrence, il ne voyait pas d’un très bon œil cette mystérieuse pierre qui dégageait une aura corrompue, négative et lugubre. Pourtant, elle existait bel et bien et ma foi… il fallait bien la purifier pour pouvoir pousser plus loin les recherches des enchanteurs.

Par le passé, une pierre semblable avait été découverte. Celle-ci provenait alors de la Cité des Tréfonds, et avait la particularité de créer des choses, notamment des monstres. Cela avait des dégâts en son temps. L’artefact qu’ils avaient ici en leur possession était différent. D’abord, il provenait du désert volant ; ensuite, son pouvoir était manifestement corrosif et néfaste, puisqu’il semblait mettre mal à l’aise tous les individus ou animaux qui s’approchait trop de la pierre. Actuellement, son pouvoir était entravé, mais cela restait quand même problématique et les expériences qui avaient été réalisées au palais avaient confirmé qu’il fallait intervenir. Il avait donc été convenu que la pierre devrait être purifiée dans son milieu naturel et dans un endroit isolé, d’une part par souci de discrétion, d’autre part pour éviter des blessés si le rituel de purification tournait mal.

Rhis n’était pas un spécialiste de la magie, il ne pouvait donc pas évaluer avec certitude à quel point cette pierre était dangereuse. Mais le simple pouvoir qui émanait de cet artefact le rendait déjà méfiant et circonspect.  Le roi et la reine lui avaient cependant demandé d’assister à la purification afin de savoir ce qu’il adviendrait de cet objet puissant, après quoi ils devraient leur faire part des résultats obtenus. Pour une fois, l’espion aurait peut-être préféré une mission plus classique, mais on ne désobéissait pas à un ordre royal.

Le conseiller avait donc embarqué dans un ballon volant en direction du désert. Il lui avait été impossible d’assister au travail de toutes les équipes envoyées sur place, mais toutes leurs tentatives avaient visiblement été un échec. Aujourd’hui, Rhis accompagnait une jeune enchanteresse du nom Lin E. Gher et il aurait bien été incapable de dire comment elle comptait s’y prendre pour purifier la pierre. De toute façon, il le découvrirait bientôt.

Rhis aurait pu prendre sa couverture de conseiller royal. Il aurait été logique que la Couronne veuille garder un œil sur cet événement. Mais il ne savait pas qui allait être ses associés, et il ne voulait pas être mis de côté par égard pour son statut. Ca ne l’arrangerait d’être mis sur le ban, et quitte à assister à quelque chose de potentiellement dangereux, il préférait être aussi actif que possible. En tout cas dans la mesure de ses capacités. L’homme avait donc pesé le pour et le contre, et il avait finalement décidé de se faire passer pour un lieutenant de la garde, qui assisterait l’érudite. Il n'y connaissait rien en magie, donc se faire passer pour un évaluateur aurait été particulièrement stupide.

A présent qu’il était arrivé au Désert Volant, Rhis avait pris un cheval pour se mettre en route jusqu’au point de rendez-vous. Il avait brièvement salué l’enchanteresse avec qui il collaborerait, mais on ne pouvait pas dire qu’ils avaient beaucoup échangé jusqu’à présent. La chercheuse en magie avançait sur sa propre monture à quelques mètres devant lui, et il décida finalement de la rattraper. Quitte à collaborer, autant qu’il en sache un peu plus sur ce qu’elle prévoyait de faire en réalité.

- Mademoiselle Gher. Je ne vous dérange pas ?

Il attendit sa réponse, puis poursuivit.

- Avez-vous une idée de comment nous allons nous y prendre ? Toutes les tentatives effectuées ont échoué jusqu’à présent semble-t-il.

A moins qu’ils n’aient une grande surprise en arrivant sur place.

- Je n’ai pas une grande expérience en magie, continua Rhis. Pour ainsi dire, elle était même nulle, si on considérait les longues études qu’effectuaient les érudits. Mais je suis là pour vous assister autant que possible afin de faciliter votre travail.

En somme, il pouvait s’occuper du sale boulot pendant qu’elle gérait l’opération et s’occupait de voir si tout marchait bien. Tout ce qu’il lui réclamait, c’était de ne pas faire exploser le Désert Volant.

C’était demander peu de choses… n’est-ce pas ?

L’enchanteresse était bien petite par rapport à lui. Elle semblait l’être encore davantage en étant penchée sur ses documents, qu’elle relisait bon gré mal gré sur sa monture. Rhis n’était même pas sûr qu’elle faisait attention à la route qu’ils empruntaient, mais sur ce point, l’espion s’assurait que leur petit groupe ne se perde pas en chemin. Les deux coéquipiers n’étaient pas spécialement équipés pour un long séjour dans le désert, donc on allait éviter les détours inopportuns.

Il faisait chaud dans le désert volant, et même si Rhis avait emprunté un uniforme de lieutenant, qu’on mettait lors de la saison chaude, la Garde n’avait pas des vêtements réellement adaptés aux fortes chaleurs. Il aurait bien pris une cape anti-climat, mais quand il avait été dans la capitale pour s’en procurer une, le marchand lui avait malheureusement déclaré qu’il avait une malheureuse rupture de stock et que sa nouvelle commande n’était pas encore arrivée. Même chose pour d’autres produits que le garde avait cherché à se procurer. La raison de cette pénurie était un attrait marqué pour la colonisation du désert volant, qui attirait les aventuriers les plus rêveurs et les citoyens les plus impudents. Cette rupture de stock avait particulièrement ennuyé l’espion, mais il ne pouvait pas reporter leur excursion pour purifier la pierre. Le conseiller royal avait donc pris des vêtements les plus légers possibles et pour le reste, il compterait avant tout sur l’entraînement extrême qu’il avait eu sous la houlette d’Undril, puis du Vieux qui avait pris la relève.

A cette époque, cette formation intensive avait pu lui paraître pénible ; maintenant, il bénissait presque Lucy pour lui avoir imposé une telle rigueur. Cela lui permettait au moins de relativiser les difficultés de certaines missions, et si Rhis prenait bien soin de ne pas se déshydrater, il n’était pas (encore) au bout de sa vie avec le climat brûlant du désert.

Cela lui permettait aussi de pouvoir tenir une conversation avec sa coéquipière du moment, qui ne sembla dérangée par son interruption. Une lueur un peu amusée apparut dans son regard, lorsque l’enchanteresse lui avoua qu’elle n’avait pas retenu son prénom. Apparemment, elle aimait mieux se concentrer sur leur opération plutôt que sur son identité. C’était parfait, le protecteur royal préférait que la demoiselle se préoccupe de la pierre plutôt que de savoir exactement qui il était.

- Appelez-moi Rhis. Ou Lieutenant, si c’est plus facile pour vous. Honnêtement, il s’en fichait comme d’une guigne tant qu’elle était efficace et trouvait une solution pour atteindre leur objectif.  Puis-je de mon côté vous appelez Lin ? Ce sera plus pratique que « enchanteresse Gher ». Et ça facilitera nos vitesses de réaction si on doit s’interpeler l’un l’autre.

Surtout s’ils avaient des urgences et qu’ils devaient régler des situations particulièrement épineuses. C’était une raison purement pragmatique, mais si la jeune femme n’était pas d’accord, elle lui en ferait part.

Le conseiller écouta ensuite ses observations. Il n’était pas surpris que la blonde ne sache pas exactement par où commencer ; tant qu’ils n’étaient pas arrivés sur le site, toute hypothèse resterait très abstraite. Lin analysait certes les travaux de ses collègues, et c’était très bien, car un seul de ces détails leur donnerait peut-être la clé de l’énigme, mais résoudre ce casse-tête n’était pas toujours aussi évident que ça en avait l'air.

- Un système qui créerait un enchantement… Il faudrait peut-être faire quelques tests avant d’essayer de purifier la pierre. Je veux dire par là réaliser des expériences de moindre ampleur. Pour comprendre au moins comment réagit l’artefact et si on trouve quelques anomalies qui attirent notre attention. Enfin, surtout la vôtre. Malheureusement, je n’ai pas l’expertise de vos collègues, sourit Rhis. Il y a moyen de faire réagir la pierre sans utiliser la totalité de son pouvoir ? A petites doses si vous préférez ?  

L’homme s’interrompit ensuite pour considérer un instant l’une des expériences de la jeune femme, qui avait tourné au vinaigre en créant un cratère dans la côte.

- J’apprécierais si vous ne nous fassiez pas exploser, fit-il avec un sourire coquin, sauf si vous avez un outil de téléportation immédiat pour nous mettre en sécurité. Cela dit, altérer le monument ne jouerait pas en notre faveur et je ne crois pas que ça plairait non plus à la Royauté.

Ni même au Gouvernement d’ailleurs.

La conversation changea alors de sujet, puisque la jeune femme lui demanda si le climat du désert ne lui pesait pas trop. C’était une bonne question, et l’espion ne dissimula pas tellement sa surprise quand elle lui tendit une cape anti-climat. C’était… étonnant de la part d’une inconnue, mais d’autre part, avoir un collègue qui mourrait de chaud n’était peut-être pas le plus approprié quand on se lançait dans une opération délicate.

Rhis la considéra donc une seconde avant de saisir l’objet magique qu’elle lui tendait.

- Je ne vous cacherai pas que la Garde a intérêt à concevoir de nouveaux uniformes pour le Désert.

Tiens, il soumettrait l’idée à Arban à son retour, si celui-ci n’y avait pas déjà pensé.

- J’ai pris l’uniforme d’été, poursuivit le conseiller royal, mais on le sent quand même passer. Pour preuve, ses mains étaient moites et il sentait quand même de la sueur dans son dos. Raison pour laquelle il devait bien faire attention à s’hydrater souvent. Donc je vous remercie de me prêter votre cape. Je vous la rendrai dès que nous rentrerons au campement.

Tout en parlant, l’homme avait déplié l’objet magique pour la revêtir par-dessus ses vêtements, et il n’eut pas à attendre longtemps pour que la magie fasse effet. C’était bien appréciable, on n’allait pas se le cacher.

- Je préférerais qu’on reste sur place pour la nuit, si nous ne trouvons pas la solution d’ici le coucher de soleil, fit honnêtement Rhis. Cela nous fera gagner du temps pour nos recherches. Je n’ai pas d’emport’tout comme vous, malheureusement, le marchand qu’on m’a recommandé n’avait aucun des produits que je désirais pour notre excursion, sourit-il avec un air mi-figue mi-raisin, mais je suis habitué aux conditions extrêmes. J’ai pris de quoi dormir, même si ce sera à même le sol, et je m’assurerai au préalable qu’il n’y ait ni scorpion ni serpent là où j’irai me reposer. Sous réserve qu’on dorme. Plus tôt on en aura fini avec cette mission, mieux je me porterai, pour être honnête avec vous.

L’homme porta son regard sur le désert devant eux et reprit bientôt la parole.

- Je pense que nous serons bientôt arrivés. Vous êtes prête à découvrir la solution de cette énigme ? lui demanda-t-il, avec un très léger ton de défi.

Lui serait là en tant que support, mais il était curieux de voir si la demoiselle avait un peu d’ambition et si elle saurait doubler tous ses autres collègues qui s’étaient cassés les dents sur ce mystère.

Rhis écouta Lin lui expliquer qu’elle avait apporté des petits objets sans valeurs qu’ils pourraient enchanter. C’était une bonne idée. Si c’était des babioles sans intérêt, ils pourraient effectuer des expériences sans craindre de perdre leurs objets. Lui n’avait pas pris de telles choses avec lui, mais bon, il n’y connaissait rien en enchantement. Il aurait été capable de prendre des éléments totalement inadaptés à leur mission, et il se serait alors encombré inutilement.  Autant laisser faire l’experte… qui lui donna une comparaison simple. Le système d’enchantement était comparable à un langage qu’il fallait déchiffrer. Ca, ça parlait davantage à l’espion que n’importe quel autre discours bien savant.

- Je préférerais qu’on utilise la pierre que quand on saura vers quoi on va, acquiesça Rhis. Je doute qu’on puisse être sûr à 100% de notre coup – la magie n’a jamais été une science exacte – mais si on est trop impatient, on risque de raccourcir drastiquement notre séjour au Désert Volant, fit-il avec l’ombre d’un sourire. Je n’ai pas envie de faire un tour à l’Astre de l’Aube, même si j’entends grand bien de cette institution.

L’homme se tut ensuite le temps d’écouter l’enchanteresse lui parler des risques de leur opération et il se contenta d’hocher la tête pour manifester qu’il avait bien compris ce qu’elle voulait dire..

- Je vous laisserai décider de notre progression, fit le conseiller. Donc sentez-vous libre d’augmenter l’intensité de l’enchantement à votre guise. Le principal, c’est qu’on ne se loupe pas quand on touchera à la pierre. Cela dit, tenez-moi quand même au courant si l’un de vos tests vous paraît particulièrement risqué.

Une lueur amusée apparut dans son regard quand Lin lui parla d’insuffler un peu de magie dans l’équipement de la Garde. Malheureusement, ce n’était pas lui qui décidait, mais la demoiselle avait de la suite dans les idées quand même.

- J’en parlerai à mes supérieurs s’ils ont un peu de temps pour se pencher là-dessus. M’est avis que, si vous réussissez à maîtriser la pierre, cela vous donnera pas mal de crédit pour la suite.

L’inverse était aussi possible, et dans ce cas-là, ses chances de vendre ses produits seraient plus minimes, mais bon. Qui ne tentait rien n’a rien comme disait le dicton.

L’espion se contenta ensuite de la remercier quand elle affirma qu’elle regarderait dans son sac pour qu’il ne dorme pas à la belle étoile.

- N’oubliez pas de vous reposer quand même. Je suis à votre service, mais vous êtes la tête de l’opération. Trop vous fatiguer ne nous sera pas bénéfique non plus.

De toute façon, difficile de lui dire qu’il ne dormira que d’un œil, histoire d’être à l’affut de toute menace qui pourrait rôder aux alentours.

Rhis regarda l’enchanteresse envoyer son familier en repérage. Ce n’était pas une bête idée, et il l’écouta ensuite demander quelle serait sa récompense. Il roula légèrement des yeux quand elle lui révéla qu’elle n’était pas intéressée par l’argent, ni par la main du Prince et un sourire franc apparut sur le visage du conseiller royal.

- Vous aurez la reconnaissance éternelle de la Couronne, fit-il avec un ton un peu exagéré. Et vous gagnerez énormément en renommée je suppose, puisque vous réussirez là où tous ont échoué, sourit le beau brun. Vous pourrez même être invitée à des réceptions mondaines pour raconter votre exploit. Toutes des choses bien ennuyantes, conclut donc le garde, après quoi il redevint sérieux. En vrai, quoi que vous direz, on vous offrira bon nombre de cristaux, évidemment. Mais cela pourra également vous ouvrir des portes pour votre carrière d’enchanteresse. Je ne sais pas quelles sont vos perspectives d’avenir, mais vous avez tout intérêt à essayer d’en profiter pour demander du nouveau matériel ou une place parmi vos pairs. Même si ces derniers ne vous feront aucun cadeau évidemment.

Rhis se tut pour lui permettre de répondre et de réagir, après quoi, il se concentra sur ce qui se dressait devant eux. Ils étaient arrivés au premier bastion composé de quelques gardes.

- Je vais parler avec mes collègues pour qu’ils nous laissent passer, avertit Rhis.

Ceci fait, il se sépara d’elle pendant quelques instants. Lin récupérerait sans doute son familier entretemps, en tout cas si elle lui avait demandé de revenir jusqu’à eux. Elle pouvait ensuite rejoindre le conseiller si elle le voulait.

Encourageant son cheval à se diriger au trot vers la tente, l’espion ralentit ensuite pour montrer qu’il n’était pas hostile, puis descendit de sa monture alors qu’un garde se dirigeait vers lui.

- Je suis le lieutenant Vilmor et j’accompagne l’enchanteresse Lin Gheer pour purifier la pierre. Vous avez été averti de notre arrivée, si je ne m’abuse.
- Oui, effectivement. Attendez que j’aille prendre mon registre… Beaucoup d’enchanteurs font la queue pour avoir le suprême honneur de purifier la pierre, vous savez, Lieutenant ?

Un rictus déforma la bouche de Rhis.

- Sauf qu’aucun d’eux n’a réussi. Il y a eu des faits notables avec leurs précédentes tentatives ? Ont-ils laissé des rapports ? Ca pourrait intéresser ma collègue pour savoir les erreurs à éviter ou encore les pistes qu’on pourrait davantage exploiter.

D’autres enchanteurs auraient pu considérer que c’était voler le travail d’autrui ; le protecteur royal considérait lui que ça augmentait leurs chances de réussite.

- Oui, ils nous ont laissé les résultats de leur tentative, mais ça n’a pas été très concluant, puisque vous êtes ici. Je peux laisser la d’moiselle consulter ces notes si vous voulez. C’la dit, elle a l’air sacrément jeune. Vous croyez avoir une chance, Lieutenant ?
- Aucune idée, fit l’homme de but en blanc, avant de passer à ses autres questions. Il y a des montres dans le coin ?
- Bien sûr qu’il y en a, mais ils ont l’air d’éviter le monument et la pierre. Peut-être qu’elle les repousse. Moi, je crois qu’ils ont peur. C’est ce que ça a l’air sacrément corrompu ce machin. Si c’était que moi, j’aurai enterré ce bidule bien profond dans le désert pour que personne le récupère jamais. Cette chose, c’est jamais bon, c’est moi qui vous le dis. Surtout quand il y a de la magie dans l’air. Mais bon, c’est la Royauté qui décide hein.  Donc si vous en pouviez finit avec ce truc maudit ben… je vous en serais reconnaissant voilà.
- Je le dirai à la demoiselle, ça la motivera sûrement.
- Mouais. J’ai bien noté votre arrivée, vous pouvez donc passer. Les notes sont là si ça intéresse la mamzelle.

Rhis acquiesça puis se dirigea vers Lin.

- On peut passer. Et le garde à des notes sur les premières tentatives qui ont été faites. Il est d’accord pour vous laisser les consulter. Ca pourrait toujours nous donner des pistes à exploiter. Elles se trouvent dans la tente.

Rhis la conduisit jusque-là, puis il reprit la parole.

- Si ça ne vous dérange pas, pendant que vous lisez ça, je vais faire un premier tour du terrain, pour voir s’il n’y a aucun problème. Je vous rejoindrai ici dans quelques minutes, sauf si vous voulez qu’on se retrouve directement près du monument. Dans ce cas, le garde ici présent vous accompagnera, s'il n'y voit pas d'inconvénient.

L’intéressé sourit la bouche, la referma, puis se décida finalement à préciser sa pensée.

- Ouais, ‘fin, commencez juste pas vos expériences tant que je suis tout près d’accord ?

Un sourire légèrement ironique apparut sur les lèvres de Rhis alors qu’il rejoignait sa monture, attendant éventuellement une réaction de sa compagne d’infortune. Il irait ensuite déjà sur le site pour faire un premier repérage de ce coin si solitaire et inhospitalier.

Quand l’enchanteresse le prévint que son familier revenait dans leur direction, et que Rhis serait par conséquent tout seul, l’espion se contenta d’hocher succinctement de la tête. Cela ne le dérangeait pas d’effectuer une mission de reconnaissance en solitaire. Ce n’était pas la première fois qu’il en menait une, et ce ne serait certainement pas la dernière. Aussi, il mit son cheval au trop pour se diriger vers le site en question alors que Lin restait avec le garde en faction.

Le beau brun prit garde à ne pas trop fatiguer sa monture, mais il ne lui fallut guère de temps pour arriver sur les lieux. L’endroit était… fichtrement silencieux. A part le vent qui faisait parfois danser ses cheveux et sa capte anti-climat, il n’y avait pas âme qui vive. Ce n’était pas surprenant puisque les derniers enchanteurs avaient quitté les lieux et la garde elle-même préférait rester à distance, mais l’absence d’animaux était elle aussi marquante. Un lieu aussi loin de tout aurait dû attirer quelques bêtes, or il n’y avait rien, nada, que dalle.

Rhis prit le temps de faire le tour du site pour vérifier qu’ils étaient bien seuls, puis il s’intéressa davantage au monument devant eux. Si des expériences avaient été réalisées avant eux, on n’en voyait plus guère la trace ; les enchanteurs avaient laissé une sorte de cristal tout contre le monument, et le conseiller royal prit garde à ne rien toucher avant l’arrivée de sa partenaire.

Celle-ci finit par arriver en compagnie de son chaperon qui partit bien vite quand Rhis se rendit compte leur présence.  Puis, Lin lui demanda s’il avait fait des découvertes

- L’endroit est rudement calme, mais j’ai repéré quelques détails. Premièrement, il n’y a aucune marque près du monument en question, juste un cristal qui semble lié au site, et qu’on doit sans doute pouvoir manipuler. Deuxièmement, il y a une petite grotte un peu plus au Nord, pas très loin d’ici, on pourra éventuellement s’en servir pour abri comme la nuit, ce sera peut-être préférable que dormir sur le sable… Si on dort. Troisièmement, j’ai repéré un des… résultats de vos collègues. A l’ouest, il y a un rocher, là-bas, qui semble avoir été un peu carbonisé. Il n’a pas été percé, mais on dirait que la foudre l’a frappé. Je doute qu’il y ait beaucoup d’orage dans la région, donc je présume que c’est un résultat inattendu d’une expérience qu’on a faite ici. Enfin, l’air est vicié, pesant et il n’y a aucune bête dans les environs. Cela m’étonne un peu, je dirais même que ce n’est pas normal.

Rhis marqua ensuite une pause pour réfléchir aux questions de Lin. Il savait répondre à la première, il s’était renseigné là-dessus au préalable.

- Le remplacement des gardes a lieu tous les cinq jours. Ca leur permet d’accueillir deux groupes, de faire leurs rapports, puis de laisser place à la prochaine escouade. Comme le climat est rude, ils ne restent pas sur place plus longtemps.

Après tout, il fallait quand même qu’ils se ravitaillent, surtout en eau.

- Quant aux rapports… Je ne les ai pas avec moi, mais je les ai étudiés avant notre départ du campement.

Ces derniers avaient l’avantage d’être brefs et concis, en étant pas aussi compliqués que les rapports des enchanteurs. Les gardes utilisaient de fait un langage profane, et n’écrivaient que le strict essentiel, puisqu’ils n’étaient pas des spécialistes en magie. C’était pratique quand on voulait aller droit au but.

- D’après leurs dires, certains groupes n’ont rien provoqué, mais d’autres ont attiré leur attention. Le groupe Elyon, le groupe Manassé,  et le groupe d’Ildurn ont chacun obtenu des résultats différents. Dans le premier, la terre a tremblé légèrement ; dans le second, l’air ambiante est devenue suffocante et irrespirable, et dans le troisième, un garde a noté que son propre familier, déjà pas très à l’aise, avait fui à toutes jambes sur près d’un kilomètre. Il a fallu attendre la nuit pour que le familier n’accepte de revenir sur les lieux. Et encore, avec beaucoup de réticence, il semblait terrifié.

Rhis marqua une pause, puis regarda Lin.

- Si vous voulez, je peux aller les chercher, mais vous resterez seule… Sinon, si vous avez une idée en tête, on peut toujours commencer à faire quelque chose. Il faudra bien qu’on s’y mette…

Dans ce cas-là, ce serait à Lin de donner ses directives de manière la plus précise possible.

Après avoir fait son rapport, Rhis attendit les réactions éventuelles de sa partenaire. Apparemment, ses observations rejoignaient celles qu’elles avaient lues dans les rapports de ses collègues. Rhis ne savait pas déterminer si c’était vraiment une bonne chose ou pas que des animaux ne soient pas présents dans les parages. D’un côté, ils étaient peut-être tranquilles… Mais d’un autre côté, cela signfiait que quelque chose clochait également.

Le site, ou la pierre, repousserait-il les bêtes ? Ou bien les dissuaderait de venir ? Il serait peut-être intéressant de capturer une créature du coin pour voir sa réaction, nota mentalement Rhis, mais encore fallait-il l’attraper évidemment. A défaut de se trouver un cobaye dans l’immédiat, l’homme plaça sa suggestion dans un coin de sa tête.

Lin lui demanda ensuite quel était le ressenti mental des gardes en mission, et l’espion ne put s’empêcher d’hausser un sourcil, surpris par cette question. La jeune femme dut bien s’en rendre compte, puisqu’elle lui proposa alors de se mettre à l’abri pour discuter de ses hypothèses. Rhis opina du chef, et après avoir conduit les chevaux jusqu’à la grotte, il laissa l’enchanteresse entrer dans sa théière personnelle. Cet objet était ma foi très pratique. Il devrait s’en procurer un, un jour… Cela pourrait lui être utile dans le cadre d’éventuelles missions.

Quoi qu’il en soit, il entra à son tour dans la théière, et finit par s’installer, comme elle le lui demanda. Puis, le conseiller écouta attentivement les observations et les hypothèses de la demoiselle. Il était vrai que les symptômes des enchanteurs, qui revenaient souvent, étaient assez interpelants et le fait que les animaux évitaient – par instinct ? – le site était une preuve que la « magie » alentours essayait de repousser toute forme de vie qui aurait pu vouloir s’installer sur place. Apparemment, les risques de se retrouver confronter à un super monstre étaient réduits – et Rhis en était bien heureux, même s’il ne comptait pas relâcher sa garde pour autant – mais la perspective d’avoir un être humain manipulé par la magie ambiante n’était pas pour le réjouir.

- Les gardes s’assurent que personne n’approche du site, hormis les personnes autorisées, observa le protecteur royal. Les chances qu’on doive calmer ou maîtriser un individu corrompu par la pierre sont donc minimes, mais il suffirait que quelqu’un de brisé mentalement ne s’en approche pour qu’il ne tombe peut-être dans le désespoir ou la folie, si vous dites que cela peut engendrer des idées violentes. Si cet individu avait également des pouvoirs offensifs, cela pourrait causer de graves problèmes sur le long terme. On ne peut donc pas laisser cette magie agressive demeurer plus longtemps.

Rhis avait saisit son menton tout en réfléchissant, puis il regarda Lin.

- Nous devons également prendre en compte que la pierre pourrait nous attaquer dès lors qu’on essaie de neutraliser son champ d’action, ou dès lors qu’on utilisera le cristal magique. Il faudra peut-être que nous utilisions une forme de relai pour tenir le coup. Et qu’on communique pour dire quel est notre état mental et physique. Le pire qui pourrait nous arriver, c’est que l’un de nous succombe au pouvoir de la pierre et devienne incontrôlable.

Le beau brun s’interrompit, puis jeta un œil à l’endroit où Lin conservait ses documents.

- Avez-vous pu déterminer quel schéma nous permettrait d’annuler, ou de réduire la puissance de la pierre ? Est-ce qu’on peut y parvenir sans retirer les scellés magiques ?

Un sourire mi figue-mi raisin apparut sur les lèvres de Rhis.

- Je ne m’attends pas à ce qu’on réussisse en une fois, mais si on doit retirer les scellés, on risque alors de sentir plus vite les effets mentaux de la pierre. On peut imaginer aussi que, si on se trompe, cela renforce sa magie ou ne crée des effets inverses.

Si la pierre attrait par exemple les monstres après leurs manipulations, cela leur causerait des problèmes. Ou encore, si elle leur faisait voir des illusions, il serait difficile de distinguer ce qui était réel et ce qui ne l’était pas.

- Concrètement, voulez-vous que je manipule le cristal magique et vous observiez les effets dans les environs ? Ou pensiez-vous faire autrement ?

Le conseiller royal la laissa répondre, puis lui posa une dernière question.

- Je me suis un peu renseigné pour ne pas être un néophyte complet en la matière. Apparemment, il faudrait faire tourner le cristal dans un certain angle pour faire réagir l’enchantement. Je pense que vos collègues ont essayé les angles les plus connus, sans trop de succès. Mais si l’un d’eux a fait fuir son familier, on peut supposer qu’on connait l’axe globalement qui renforce la magie de l'artefact. Cela pourrait être une piste pour savoir quoi faire ?

Lin a beau être enchanteresse, elle arrive à se faire comprendre en de termes simples. Tous les érudits, les chercheurs et les savants n’en sont pas capables, et puisque Rhis n’y connait pas grand-chose en magie et enchantement, il apprécie de pouvoir suivre la pensée de sa collègue. Il l’écoute donc lui expliquer que la pierre peut avoir une magie prédéfinie, qui pourrait être utilisée par leurs dirigeants pour mettre des bâtons dans les roues à leurs adversaires, s’ils le voulaient vraiment. La jeune femme lui donne même un exemple concret avec un monstre qui porterait la pierre et qui pourrait ainsi créer des pertes du côté ennemi. Il s’agit en soi d’une bonne stratégie – qui ne rêve pas d’affaiblir l’autre camp sans effort et sans perte humaine ? – mais qui comporte plusieurs failles. Et heureusement, la Couronne ne veut pas utiliser cet artefact à mauvais escient.

- Des généraux pourraient peut-être bien vouloir utiliser la pierre dans ce sens-là s’ils connaissaient son existence, ce pourquoi la Couronne l’a cachée au maximum afin de ne pas susciter l’envie de beaucoup, je présume. Mais même si on voulait établir une stratégie avec le pouvoir actuel de l’artefact, ça comporterait beaucoup de risques et d’inconnues. Par exemple, on ne sait pas si sa magie peut se renforcer ou s’affaiblir selon les circonstances. Imaginez que son pouvoir se renforce plus elle rencontre d’adversaires, ou qu’elle corrompt les villages qu’elle dévasterait ainsi que les âmes qui ne seraient pas à même à lui résister. Cela provoquerait un grand désastre. Et rien n’est moins sûr qu’on saurait ensuite contrôler le monstre qu’on aurait envoyé sur place… Il suffit aussi qu’on la dérobe pour que cet artefact puisse être retourné contre nous. Je crois que c’est pour ces raisons – et aussi parce que nous avons des dirigeants sains d’esprit – qu’il vaut mieux purifier la pierre au plus vite. D’ailleurs, une fois purifiée, peut-être qu’elle aura d’autres capacités qui seront bénéfiques pour Aryon.

D’ailleurs, si ça intéressait Lin et que ça nécessitait des enchanteurs, Rhis pourrait peut-être la recommander pour qu’elle étudie la pierre après leur mission. Mais il fallait encore qu’ils réussissent à la purifier et il écouta donc sa partenaire du jour lui expliquer que chaque procédé d’enchantement avait une « clé de nettoyage » qui permettait d’arrêter celui qui était en place. Il fallait donc la trouver et comme le soulignait la jeune femme, les deux compères ne connaissaient pas tout sur la pierre et sur ce que ces chers disparus avaient trafiqué à l’époque. Quant aux scellés magiques, il faudrait certainement les enlever, à en croire Lin, et elle lui proposa un programme simple sur le papier. D’abord, réaliser des enchantements sans danger, ensuite, faire fonctionner la clé de nettoyage, et enfin, nettoyer l’enchantement de la pierre. Au moins, l’enchanteresse savait où elle allait et c’était déjà rassurant pour la suite des opérations.

Quand la chercheuse proposa de s’occuper elle-même des enchantements, l’espion approuva d’un signe de tête. Elle serait effectivement la plus expérimentées pour réagir et pour se sauver la vie si les choses tournaient mal.

- Votre programme me convient, confirma Rhis. Quand au rayon carbonisateur, si vous ne le pointez pas sur moi, ça me va parfaitement, fit-il avec un léger sourire en coin avant de revenir sérieux. Je pensais aussi essayer de capturer un animal, j’espère juste que le champ d’action de la pierre ne sera pas trop grand pour en trouver rapidement un dans la région. Vous pouvez toujours examiner le site ou commencer vos enchantements mineurs en attendant, je ne crois pas que mon aide vous sera nécessaire pour ces tests-là. Et vous pourrez toujours me faire part de vos résultats à mon retour. Sur ces paroles, Rhis se leva pour prendre congé. Je me permets donc de prendre les devants pour partir à la chasse.

Il attendit une éventuelle réaction de sa camarade, puis il sortit de la théière et se retrouva dans la petite grotte où leurs montures se reposaient gentiment. Faisant fi de la chaleur – Lin avait eu une idée de génie en lui prêtant sa cape anti-climat –, l’homme enfourcha son cheval, qui avait pu au moins se reposer un peu. Cela lui permettrait de couvrir plus de distance et de s’éloigner du site ainsi que du pouvoir de la pierre.

Rhis ne comptait pas errer dans le désert à l’aveuglette. C’aurait été stupide et ç’aurait constitué une perte d’énergie inutile. Aussi il se dirigea vers l’un des bastions de gardes, qu’il interrogea brièvement. Connaissaient-ils un coin dans la région où des animaux du désert chassaient, voire échappaient à la chaleur étouffante de ces steppes ? La pierre repoussant les animaux, il fallait bien que ces derniers migrent quelque part. Techniquement, il lui était impossible de mettre la main sur des créatures volantes. L’oungoparadis, l’irokoy ou le khar salkhi lui étaient inaccessibles. D’autres, comme le coureur ou le filambule, étaient trop rapides, ou alors, il fallait se mettre sur leur trajectoire pour les leur faire dévier leur course, mais ça allait s’annoncer périlleux, surtout en cas de collision avec l’un d’eux. Enfin, d’autres bestioles étaient tout simplement trop dangereuses : Lin ne lui serait pas vraiment reconnaissante s’il lui ramenait par miracle un avaleur d’abysse ou un centipète des sables.

Mais un de ses collègues lui révéla une bonne surprise. Deux gardes avaient capturé à l’aube des chats de sable attirés par leurs restes de nourriture. Les hommes les avaient mis dans une cage de fortune et ils comptaient les libérer plus loin pour éviter qu’ils ne s’immiscent dans leurs tentes. Quand le soldat lui proposa de les prendre pour effectuer leurs tests, Rhis accepta sans hésitation, et c’est donc avec sa boite en métal et les deux petits félins qu’il revint sur les lieux de la pierre. Si les mammifères étaient méfiants par nature et émettaient parfois des feulements, leur comportement devint déjà plus nerveux lorsque Rhis se rapprocha du site. Il ramena sa monture à la grotte, puis alla à la rencontre de Lin qui semblait toute concentrée sur ses enchantements.

- Alors, des résultats ?

Il souleva ensuite son butin pour le montrer à l'enchanteresse et il s’expliqua.

- J’ai été à l’une des tentes des gardes, pour leur demander conseil sur les bêtes des environs. Ils ont justement attrapé des chats de sable, ce matin, qu’ils comptaient relâcher plus loin. Ce sont des petites bêtes, mais qui pourraient être parfaites pour nos expériences.

Lancer de dés:

Lin était déterminée à avancer et cela lui plaisait bien. Quand elle lui affirma qu’elle allait lancer ses premiers travaux sur le champ, Rhis se contenta d’hocher la tête. C’était elle qui était à la tête de ce projet, il lui faisait donc confiance pour le mener à bien.

Le conseiller royal s’en alla donc de son côté pour trouver des bestioles dans le coin, et la chance lui sourit puisque l’un des gardes en fonction lui ramena deux chats de sable, sauvages, certes, mais au moins emprisonnés dans une cage. Ils ne pourraient donc pas s’échapper volontairement, ce qui l’arrangeait bien. L’homme n’était pas contraire à retourner chercher d’autres animaux si nécessaires, mais il préférait se ménager le plus possible, compte tenu de la chaleur étouffante du désert. Dépenser trop d’énergie lui serait préjudiciable, il fallait donc qu’il ménage ses efforts et qu’il aille le plus possible à l’essentiel.

Quand l’espion revint sur les lieux, Lin était contre le monument en pierre, ce gros caillou poli qui pouvait régler leurs problèmes. Pour autant qu’ils trouvent la solution à cette énigme. Pour Rhis, c’est davantage du charabia, mais il écoute avec attention l’enchanteresse. Apparemment, sa partenaire a pu faire un premier enchantement et le regard du conseiller royal dériva bientôt sur un morceau brillant, tranquillement posé sur le sable.

- Votre enchantement consistait à créer du verre ? demanda-t-il de but en blanc, en mettant un genoux à terre pour observer les morceaux au sol.

Il attendit sa réponse, puis l’homme haussa un sourcil quand elle lui proposa d’essayer un enchantement.

- Je ne sais pas si c’est une bonne idée, je n’en ai jamais fait, fit-il très honnêtement. Maintenant, il y a une première fois à tout, et ça me permettra peut-être de mieux comprendre ce système. Vous avez un schéma qui vous tente en particulier ? demanda-t-il en s’approchant du monument. Si j’ai bien compris, je dois le reproduire, c’est ça ? Ou vous voulez que je fasse un test pour la clé de nettoyage ?

Le conseiller attendit la réponse de Lin, alors qu’il s’approchait dudit monument et saisissait le cristal qui était apparemment utilisé pour faire fonctionner l’artefact. Bon, ce n'était vraiment pas son job préféré, dessiner un schéma sur une pierre qui pouvait laisser des enchantements, mais au moins, cela lui faisait de l’expérience, n’est-ce pas ?

Il laissa donc Lin décider quel schéma elle voulait qu’il teste en particulier, et après avoir observé le dessin qu’ils avaient à leur disposition ainsi que ses indications, Rhis essaya de le reproduire de son mieux sur la pierre. Le monument ne tarda pas à réagir mais ce ne fut pas du tout le résultat escompté qui apparut, puisqu’une fois la magie activée, un rayon en sortit pour aller créer un joli trou dans le sable à la droite de Lin.

… Bon, au moins, il ne l’avait pas touchée, hein.
Et elle n’était plus la seule à créer des trous pour le plaisir. C’était une maigre consolation… N’est-ce pas ?

- … Je crois que je vais vous laisser la main pour la suite. Ou que je dois venir faire un stage chez vous pour prendre un peu la main sur les enchantements.

Ce qui était sûr, c’est que ce n’était vraiment pas son domaine de prédilection.

Il la laissa en tout cas réagir en se détournant du monument et une légère moue apparut sur son visage quand Lin lui apprit qu’ils ne pouvaient faire autant d’essais qu’ils le voulaient. Apparemment, cela puisait dans les forces de l’enchanteur. C’était absolument génial. De son côté, il ne l’avait pas vraiment senti, mais il n’était pas vraiment pas habitué à utiliser ce type de magie.

- Cela veut dire qu’on doit choisir les enchantements qu’on veut absolument lancer pour mieux comprendre la mécanique de ce monument et de la pierre, fit Rhis en réfléchissant. Peut-être peut-on réaliser les enchantements mineurs aujourd’hui, afin de valider nos théories, et de chercher la clé de nettoyage d’ici ce soir, proposa-t-il. Ensuite, nous pouvons nous reposer jusqu’à demain matin pour refaire nos forces et lancer l’enchantement de la pierre à l’aube. En fonction de ce qu’il nous restera comme énergie, on peut ensuite voir ce qui restera à faire pour la purifier totalement. Qu’en pensez-vous ? C’est utopique ou peut-on en faire davantage ?

Lin l’interrogea ensuite sur l’état de ses deux prisonniers et un mince sourire apparut sur son visage. Il était normal qu’elle se demande s’ils tiendraient le coup d’ici à ce qu’ils lancent l’un de leurs enchantements majeurs.

- Il suffira de leur donner de l’eau pour qu’ils tiennent jusque-là. J’ai également pris des rations en suffisance, donc je pourrai leur donner quelques morceaux de viande séchée sans m’affamer, déclara Rhis. Quant à leur comportement… Ils sont farouches, mais ils ont montré des signes de nervosité alors que je m’approchais du site. Ils ont davantage émis des miaulements, et ont essayé de gratté la cage ou de trouver une sortie. Si j’avais ouvert la porte de la cage, je suis sûr qu’ils auraient pris la poudre d’escampette, mais ils ne sont pas devenus des furies pour autant. Je crois que, pour qu’ils deviennent incontrôlables, il faut au moins  générer un enchantement à partir de la pierre, et que, jusqu’ici, ils obéissent à leur instinct le plus primaire, celui de ne pas s’approcher de la pierre à cause de la magie qui s’en dégage. Donc ils sont supportables, mais ils risquent de miauler jusqu’à ce qu’ils soient épuisés ou trop assommés par la chaleur. Je peux aller les mettre près des chevaux, ça ne devrait pas effrayer nos montures et au moins, ils seront à l’ombre.

C’était embêtant, cette histoire d’enchantement. Pas que soit très étonnant : si la Couronne s’en mêlait, il était évident que ce ne serait pas de tout repos. Mais cette absorption d’énergie restait quelque peu handicapante et restreignait leur marge de manœuvre. N’y avait-il pas vraiment une solution pour passer outre ? Pouvait-on seulement tromper le mécanisme devant eux ? Le mieux aurait bien sûr qu’ils trouvent un substitut afin de ne pas se retrouver épuisés après avoir réalisé différentes tentatives. Mais ce n’était pas si facile d’imaginer un subterfuge qui leur permettrait d’aller jusqu’au bout de leurs objectifs.

Dans tous les cas, Lin lui proposa de ne conserver que la théière jusqu’à trouver la clé de nettoyage et Rhis opina du chef. La jeune femme semblait déterminée à comprendre le fonctionnement de tout ce bazar, et il préférait nettement ne pas l’entraver dans ses entreprises.

- Je vais m’occuper des chats des sables quelques instants, puis je reviens vers vous.

Et c’est ce que fit l’espion. Mais, s’il donna un peu d’eau aux animaux et qu’il leur lança certes quelques morceaux de viande séchées – qu’ils dédaignèrent généreusement, probablement parce qu’ils avaient déjà trouver leur bonheur près du campement des gardes -, l’esprit du conseiller royal était ailleurs. Même si l’enchanteresse trouvait la clé de nettoyage, il fallait trouver une solution pour cette absorption d’énergie.

« Et s’il y avait un moyen d’inverser le processus ? »

C’était une hypothèse à proposer à Lin. Si le monument pompait de l’énergie, peut-être qu’il y en avait un qui consistait à un rendre. Dans ce cas-là, peut-être fallait-il respecter le principe du donnant-donnant, offrir une « contrepartie » pour récupérer de l’énergie. En effaçant un enchantement peut-être ? Rhis n’était pas sûr que la clef de nettoyage permettrait cela, mais Lin pourrait sans doute lui confirmer ou non si c’était possible ou pas.

Si, enfin, l’énergie de simples humains ne suffisaient pas à purifier la pierre… alors il leur faudrait utiliser d’autres créatures. Pas des chats de sable, ils étaient trop petits. Une plus grande créature serait nécessaire alors ? Ce n’était pas ce qui manquait, au Désert Volant, mais elles étaient particulièrement dangereuses, et l’idée n’était pas de creuser leurs tombes non plus.

Quoi qu’il en soit, Lin était concentrée sur ses essais, Rhis ne chercha donc pas à la déranger immédiatement. Il était aussi hors de question qu’il se tournât les pouces. L’homme jeta donc un œil à leurs montures pour s’assurer qu’elles ne se déshydrataient pas, et après avoir fait le nécessaire, il s’esquiva pour refaire un tour des environs.

Récupérer de l’énergie même par un enchantement était bien joli, mais à la réflexion, ce ne serait pas très utile si la purification de la pierre excédait toutes leurs expectatives. Il y avait bien sûr aussi la possibilité que Rhis et Lin unissent leurs forces pour que l’enchantement tirent dans leurs réserves à tous les deux simultanément. Cela éviterait peut-être que l’un des deux soient foudroyés sur place, et s’ils pourraient être épuisés après, l’énergie prélevée sur leurs organismes pourraient au moins être équilibrés. Peut-être. En vérité, tout ça était très théorique et… Il n’avait aucune idée si ça marcherait ou non.

Ce fut lorsque Rhis s’arrêta pour s’hydrater qu’un détail attira son attention. Il avait maintenant quitté le champ d’action de la pierre, pour se laisser au moins la chance de découvrir d’autres bestioles utiles, qui pourraient peut-être servir à leur expérience. La grotte était derrière lui et il s’était avancé suffisamment pour être sûr que le monument n’influencerait pas les monstres alentours. Il ne vit rien de sensationnel à la surface, mais il remarqua par contre que plusieurs endroits étaient vallonnés, comme si on avait creusé un trou que le sable avait naturellement rebouché.

Rhis était prudent et pas suicidaire, il décida donc de rebrousser chemin, en partie aussi pour préparer un repas pour leur duo. Il ferait bientôt part de ses conclusions à Lin, et quand elle le rejoignit, le repas était déjà prêt. Ironie du sort, il avait fait un feu par prudence, au cas où les températures chuteraient abruptement à cause de la nuit qui prendrait bientôt place.

- Je ne vais pas vous mentir, je serai heureux de retrouver l’air frais de capitale, sourit-il. Mais on survivra le temps qu’il faudra. Du moins il l’espérait.

Plus important, il écouta surtout sa partenaire lui faire part de ses avancées, et surtout ses craintes concernant l’énergie nécessaire pour purifier la pierre.

- A ce sujet, j’ai plusieurs hypothèses à vous proposer, mais ça vaut ce que ça vaut, la prévint-il. Premièrement, peut-on imaginer qu’il existe un enchantement qui donne de l’énergie à un objet ou à un être vivant ? Peut-être avaient-ils un réceptacle assez résistant pour accumuler assez de puissance sans se briser. Une sorte de catalyseur, si vous voulez, qui permette de ne pas tuer l’enchanteur lors de la purification de la pierre ou de tout autre enchantement majeur. Avez-vous trouvé quoi que ce soit allant dans ce sens dans vos notes ? Si nous avons un schéma, ou même une idée du dessin à réaliser, cela pourrait nous permettre d’avancer encore davantage.

Rhis fit une pause, le temps de proposer une ration qu’il avait amenée avec lui à l’enchanteresse, et il continua.

- Deuxièmement, est-il possible que le monument prenne l’énergie, non pas d’une, mais de plusieurs personnes en même temps ? S’il suffit par exemple de se tenir l’un autre pour que le monument puise équitablement dans nos forces, cela pourrait nous permettre de purifier la pierre. Nous ne serons probablement pas assez avec deux, mais nous avons quelques gardes aux alentours qui seront, j’en suis sûr, absolument ravis de nous donner un coup de main si ça peut leur permettre de retourner au campement rapidement.

Enfin, venait sa dernière hypothèse, la moins bonne en vérité.

- Troisièmement, imaginons que nous ne soyons pas vraiment capables de tenir le coup, alors il faudrait sans doute utiliser l’énergie d’une des créatures du désert. Il y en a qui sont très grandes… Et on pourrait donc les attirer avec des appâts, pour que le monument aborde leur énergie avant la nôtre. Rhis resta silencieux un instant. Je vous avoue que c’est la perspective qui m’enchante le moins, parce que nous aurons très peu de maîtrise de la situation. L’animal pourrait très bien considérer que nos montures seraient un très bon encas pour leur estomac. Et que nous pourrions être son dessert. En plus, l’attirer ne sera pas simple, à moins que les deux chats de sable ne fasse un boucan du tonnerre en réaction à la pierre. Bref. Il y a en tout cas un centipède des sable qui a dû chasser pas mal loin. Il est guidé par son ouïe, si je me souviens bien les rapports que j’ai lu, donc les deux petits félins pourraient l’intéresser s’il les entend se plaindre. Mais c’est dangereux. Je pense que la première hypothèse pourrait être la plus intéressante, si nous avons seulement un objet ou quelque chose qui puisse absorber suffisamment d’énergie. Sinon, la deuxième pourrait être efficace, si ça nous permet d’équilibrer l’énergie qui est absorbée par l’enchantement. Vous voulez faire un test ce soir ou demain matin ?

 
Manifestement, Lin ne pensait pas qu’ils avaient les ressources suffisantes pour purifier la pierre dans l’immédiat. Les théories de Rhis tombaient donc à l’eau, mais il ne lui en tenait pas rancune. Lui et les enchantements, ce n’était pas son truc : il avait donc simplement formulé cette hypothèse, mais, s’il en croyait l’enchanteresse, il faudrait apparemment plusieurs milliers de personnes pour purifier la pierre. Bon. Ils n’étaient pas sortis de l’auberge, en somme. Surtout si cela pouvait créer des « incidents ». Cela dit, la jeune femme n’était pas née de la dernière pluie, et semblait prévoir les choses sur le long terme. Elle avait un moyen pour parvenir à ses fins… ? Parfait. Si la seule chose qu’il lui manquait, c’était le temps, le conseiller royal pouvait facilement le lui fournir… En adressant quelques mots aux bonnes personnes.

Allys et Grimvor voulaient impérativement que cette pierre soit purifiée le plus tôt possible, donc ils ne donneraient certainement pas leur veto s’ils avaient un moyen véritable de mettre fin à cette menace.

- Voilà ce que je vous propose, fit l’homme après l’avoir écoutée jusqu’au bout. Comme vous me l’avez suggéré, faites-moi un rapport détaillé de vos découvertes et de la façon dont vous pensez vous y prendre pour purifier la pierre. N’épargnez rien : le temps nécessaire des préparations, le personnel nécessaire, la méthode à mettre en place, les conséquences potentielles pour les habitants du royaume. Plus vous serez précise sur les moyens à mettre en œuvre, plus mes supérieurs pourront voir si ce que vous proposez est viable ou pas. J’aimerais que vous me l’expliquiez aussi votre plan de vive voix pour que je puisse bien comprendre ce que vous planifiez afin que je l’explique à mon tour quand je présenterai votre thèse. Si je comprends tous les tenants et les aboutissants, ça me permettra de défendre votre point de vue à qui de droit. Je vous propose d’écrire un maximum de détails et me faire comprendre votre plan pendant les deux derniers jours qui nous restent. Ensuite, je vous laisserai au campement – ou à la capitale si vous préférez – le temps de vous remettre mon rapport. Dès que j’aurai l’aval de ma hiérarchie, vous serez prévenue le plus rapidement possible. Vous serez à mon avis la chef de chantier, si vous avez l’accord de mes supérieurs. Préparez-vous donc à long séjour dans le Désert, lui sourit-il.

L’accord fut ainsi scellé, et Lin commença dès lors à écrire son rapport le lendemain. Elle prit aussi le temps de faire comprendre à Rhis, un total néophyte en la matière, quel était son plan, et l’homme préféra reformuler tout dans ses propres mots pour être sûrs que les deux compères soient sur la même longueur d’onde.

Il ne restait donc plus qu’à informer sa hiérarchie du plan de Lin, et Rhis raccompagna la demoiselle jusqu’au campement. A partir de là, ils se séparèrent, et le conseiller royal ne tarda pas à retourner au palais.

Puisqu’il s’agissait d’une mission importante, l’espion préféra présenter lui-même le rapport à Allys et au gouvernement. Tout ne pouvait pas se décider en une heure, il faudrait laisser le temps aux experts de se réunir pour qu’ils donnent un avis sur la faisabilité de l’exercice. Puis, il fallait réunir le matériel nécessaire, réunir les ouvriers qualifiés, estimer les dépenses nécessaires à une telle entreprise… Mais les choses se mirent en place une à une. Rhis s’informa du lieu de résidence de Lin et fit de temps en temps des allers retours pour la tenir au courant de l’évolution de cette affaire. Il préférait privilégier les rencontres internes, même si elles ne duraient pas toujours des heures, aux missives qui pouvaient parfois malencontreusement se perdre en chemin. D’une certaine manière, la pierre était une priorité du gouvernement, cela aida donc à faire avancer les choses.

Vint donc le jour où tout fut mis place. Les ouvriers rechignèrent peut-être un peu à travailler un mois au désert, mais ils étaient suffisamment bien payés pour mettre du cœur à l’ouvrage – leur contrat avait également bien stipulé qu’ils ne devaient en aucun cas parler de ce qu’ils avaient réalisés au Désert. Comme Lin, Rhis enchaina les voyages au Désert, pour se tenir au courant de l’avancée des travaux et du ressenti général de l’enchanteresse. Il avait été convenu que, quand tout serait terminé, les ouvriers s’en iraient. Seul Lin, le beau brun, quelques gardes et peut-être un ou deux employés nécessaires à la purification de la pierre seraient présents lors de la phase la plus dangereuse du processus.

L’endroit sembla donc particulièrement vide à l’espion royal quand, après trente jours d’effervescence, le silence du désert avait repris ses droits. Cela ne l’empêcha cependant pas d’accorder un sourire à la demoiselle, qu’il rejoignit prestemment après avoir été mettre son cheval à l’abri, dans la caverne qu’ils avaient découverte lors de leur premier séjour sur place.

- Alors, vous vous sentez prête ? Où en sont les préparatifs ?