Après son expérience pour le moins... Particulière, qui lui avait confirmé que s'occuper d'enfants n'était pas pour elle, Kasha estimait avait fait sa bonne action de l'été, ou au moins de la lune. À présent, c'était à elle de profiter des festivités... Et, pour être sûre de ne pas se retrouver de nouveau dans une situation similaire à celle qu'elle avait assurée bien malgré elle, elle s'était éloignée de la Capitale. Après tout, même si la Guilde avait des antennes un peu partout, Kasha dépendait de celle de la Capitale... On ne lui demanderait donc pas de faire visiter une annexe, n'est-ce pas ? Les responsables des annexes savaient qu'elle ne connaissait de toutes façons pas assez leurs locaux pour s'en charger, non ?

Enfin, il valait toujours mieux se préparer pour toute situation... Et, pour éviter d'être sollicitée, pour une fois, elle ne se signala pas à l'annexe locale lorsqu'elle arriva à la Forteresse. Elle se contenta de réserver une chambre dans la première auberge qu'elle trouva. La qualité de l'établissement lui importait peu. En effet, elle cherchait simplement un endroit où loger le temps qu'elle déciderait de rester dans le coin.

- Et avec votre chambre, vous gagnez un ticket pour notre grande tombola d'été ! Est-ce que ça vous intéresse ?

Kasha prit le temps de réfléchir. Une tombola locale ? Elle n'était pas au courant de l'existence d'un tel évènement... Mais d'un autre côté, elle était venue pour profiter, alors, pourquoi pas. Avec un sourire, elle répondit avec l'aubergiste :

- D'accord, je le prends ! Voyons ce que Lucy me réserve !

- Vous ne voulez pas connaître les prix ?

- Ecoutez, je suis ici pour arrêter de me prendre la tête. Je vous fais confiance. Où et quand seront annoncés les résultats ?

- Demain matin au centre-ville. Soyez présente, qui sait, vous pourriez gagner !

Elle décida d'ignorer l'expression étrange sur le visage de l'aubergiste alors qu'elle allait déposer ses affaires dans sa chambre, prévoyant de passer le reste de la journée à se promener. Après tout, elle était déjà venue dans le coin par le passé, autant tenter de voir si les lieux avaient changé entre-temps.

Sa promenade terminée, elle rentra directement se coucher, et, très rapidement, elle était sur la place... Où elle apprit qu'elle avait gagné. Elle avait gagné... Quoi ? Un bain ? Et puis quoi encore ! Comme si cela ne suffisait pas, la foule se mit à la féliciter... La poussant à aller se réfugier dans sa chambre. La pauvre n'était pas à l'aise dans ce genre de situation, n'aimant pas être le centre de l'attention.

Mais elle dut bien vite se résigner à quitter son refuge, car, malgré le fait qu'elle soit très tentée de ne pas se rendre à cette soirée, il lui semblait aussi malpoli et irrespectueux de ne pas récompenser les efforts des organisateurs en ignorant ce qu'ils avaient organisé. Mais elle ne savait pas où se trouvait ce fameux établissement... Et il était hors de question qu'elle demande l'information à quiconque, ce serait une opportunité pour cette personne de la féliciter une nouvelle fois de sa victoire. Une seule option lui restait donc : trouver par elle-même. Et pour cela, elle avait tout intérêt à partir tôt.

Elle passa donc l'après-midi à chercher et, soyons honnête, à tourner en rond. Mais, sans trop savoir comment, elle finit par trouver. Très bien, elle savait donc à présent où aller... Si elle décidait réellement d'y aller. Alors oui, elle savait, l'histoire du manque de respect, tout ça... Mais elle était pudique ! D'un autre côté... Les bains avaient été privatisés, non ? Mais "les gagnants"... Cela voulaient dire qu'ils étaient plusieurs, non ? Il était hors de question que qui que ce soit la voie là-bas. Oh, et puis... Après tout, elle avait encore du temps pour se décider.

Elle retourna donc dans sa chambre, pour y cogiter... Jusqu'à être interrompue par quelqu'un qui toquait à la porte. Sans trop savoir à quoi s'attendre, elle ouvrit... Pour se trouver face à l'aubergiste :

- Il va falloir y aller, Madame, vous allez être en retard.

- Non mais c'est pas vrai, VOUS AUSSI ?!

Puis, se rendant compte de son manque de self-control, elle se racla la gorge avant de tenter de se rattraper :

- Pardon. Vous avez raison, laissez-moi me préparer et j'y vais. Merci pour le rappel.

Et voilà comment, par pure politesse, elle venait d'accepter.



Lorsqu'enfin elle arriva à destination, elle poussa un énième soupir. Elle qui voulait juste profiter du festival après en avoir animé une partie n'était plus sûre du bien-fondé de son idée. Mais elle y était, elle ne pouvait donc plus revenir en arrière. Cesse donc de te torturer. Tu aimes l'eau, alors profite ! Personne ne peut te voir ici.

C'était vrai. Mais avant, elle prit le temps d'observer les lieux. Elle remarqua assez vite le plateau de nourriture, qui lui arracha un sourire. D'accord, les organisateurs savaient comment la corrompre. Mais elle résisterait. Désposant les quelques affaires qu'elle avait amenées dans un coin, elle décida d'explorer un peu les lieux... Quand elle entendit la porte s'ouvrir. Pardon ? Elle n'était pas seule ? Décidément, le cauchemar continuait... Néanmoins, inutile de faire comme si elle n'avait pas remarqué l'arrivée de cette personne, qui finirait de toutes façons par la voir si ce n'était pas déjà fait.

- Bonjour !

Puis, quand elle reconnut la personne, elle ne put retenir un mouvement de recul. LUI ? Pourquoi ? Ils se rencontraient souvent, dernièrement... Mais une question dominait...

- Pourquoi êtes-vous ici ?

Manière polie de lui dire "Qu'est-ce que tu fiches là ?", qui était la question dans sa tête. Mais, évidemment, pour le conseiller royal, il fallait y mettre les formes.

Lorsque Rhis ouvrit la porte qui menait aux bains thermaux, une bouffée d’air chaud l’enveloppa aussitôt. Il avait été sincèrement surpris de gagner à cette tombola un peu plus tôt dans la journée, quelques temps après avoir acheté un ticket sur un coup de tête. Pour peu, il aurait été prêt à le jeter avec indifférence et à passer à autre chose, mais on lui avait annoncé joyeusement qu’il était l’heureux gagnant de ce tirage au sort. Apparemment, les locaux du coin aimaient beaucoup cette festivité en l’honneur de Lucy et on lui avait souhaité bonne chance pour la suite. Le conseiller royal n’avait pas très bien compris pourquoi à vrai dire. Il s’agissait juste de prendre un bain, pas de réussir une mission périlleuse pour le bien du Royaume ; mais l’homme avait quand même fini par se rendre au bain Noir Ébène. Quand on pouvait se relaxer sans devoir dépenser aucun cristal, il fallait parfois en profiter.

Il fallait dire que quitter les salons mondains, même pour une soirée, ne lui ferait pas de tort. Toute la haute société d’Aryon parlait d’une seule chose : Empyrée. Cette autre nation, qui avait été découverte à des centaines de kilomètres du Royaume, avait aussitôt attiré les ragots et les rumeurs les plus folles. On s’arrachait les journaux qui parlaient de cet autre pays, et à vrai dire, il y avait encore une multitude de choses à découvrir. L’espion ne se satisfaisait pas de ce qu’on disait dans la presse, même si c’était toujours une source d’information bienvenue, à défaut d’avoir d’autres éléments à se mettre sous la dent. Ca restait néanmoins insuffisant pour estimer réellement la puissance, la force, et la menace que pouvait éventuellement représenter Empyrée. Il allait de soi que créer une relation cordiale avec ce pays leur seraient à tous profitables, mais il allait falloir vaincre leurs divergences respectives et apprendre à se connaître le mieux possible. Sachant que les deux gouvernements se jugeraient mutuellement pendant les mois à venir.

Il fallait en apprendre plus sur cette nation mystérieuse, et Rhis avait hâte de voir cette cité de ses propres yeux. Il paraissait même qu’elle s’étendait sous terre et qu’elle disposait de salles en tout genre – une plage par exemple, avec une eau qui n’était pas salée. Il semblait aussi qu’on avait l’impression d’être à l’air libre… et l’homme aux yeux saphirs ne comprenait pas comment on pouvait réussir un tel prodige.

Le point qui faisait le plus tiquer le conseiller royal, c’était l’absence de magie. Bon, c’était lié à son appartenance à Aryon, évidemment. A l’instar de ses compatriotes, il vivait parmi elle et l’utilisait à foison. Mais l’espion se demandait comment Empyrée réussissait à être si diversifié sans utiliser les dons de Lucy. Comment pouvait-on ouvrir des portes – et tomber sur un tout autre environnement – avec uniquement des ressources naturelles à sa disposition ? Comment causer l’éloignement d’une bête mythique – Fenrir lui-même – sans utiliser des pouvoirs particuliers ? Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond, là-dedans, et si Rhis pouvait comprendre que leur nouveau voisin ne dévoile pas tous ses secrets, il allait de soi que l’Etat démocratique leur cachait des choses.

Ca tombait bien puisque les espions avaient pour mission de découvrir les secrets des autres.

- Il n’en reste pas moins que ça va être un sacré casse-tête, marmonna-t-il pour lui-même, croyant de facto qu’il était seul.

Manifestement, ce n’était pas le cas puisqu’un mouvement attira son attention sur sa gauche. Se tournant légèrement, une expression de surprise apparut sur le visage du beau brun lorsqu’il croisa une demoiselle qu’il connaissait bien. Celle-ci eut la politesse de le saluer, mais elle ne tarda pas à tilter elle aussi, et elle lui posa une question plus qu’évidente.

- Pourquoi êtes-vous ici ?
- J’allais vous retourner la question, fit le conseiller, mais il ne tarda pas à s’expliquer davantage. J’ai participé à une loterie du coin, un peu sur un coup de tête, je dois dire. J’ai gagné le gros lot, et on m’a donc offert cette soirée au bain Noir Ebène. Et vous…. ? demanda-t-il d’un air circonspect. Pour être honnête, je croyais sincèrement que je serai seul.

La présence de la miss ne le dérangeait pas cela dit, même s’il avait été un temps surpris.

- Je ne pensais pas non plus vous croiser à nouveau dans le coin de la Forteresse, fit Rhis avec un demi-sourire, en se rappelant leur toute première aventure. Vous êtes là pour une raison quelconque ? lui demanda-t-il, davantage pour faire la conversation et la mettre à l’aise qu’autre chose.

Doté d’un peignoir assez fin, qui ressemblait davantage à un kimono très léger, il alla au bord du bassin, s’accroupit et plongea sa main pour goûter la température de l’eau. Celle-ci était délicieuse, évidemment. Parfaite pour se relaxer quand on se plongerait dedans. Il y avait aussi pas mal de vapeur, qui empêchait d’y voir très loin, mais s’il se trouvait dans un bain mixte en compagnie d’une femme… Ca valait mieux, on n’allait pas se mentir.

- Je vais finir par croire que vous m’espionnez, finit par plaisanter Rhis en se relevant. Vous avez reçu une quête pour en savoir plus sur mon compte ?

Son sourire espiègle montrait bien qu’il ne pensait pas ce qu’il disait, et il reprit bientôt la parole sur un ton aimable.

- Alors comment se passe votre vie d’aventurière ?

Alors, lui aussi avait gagné une loterie ? Elle commençait à comprendre l'attitude étrange de l'aubergiste... Et regrettait de ne pas avoir accepté sa proposition de jeter un oeil aux récompenses possibles. Enfin, c'était du passé, inutile de le ressasser... Elle ferait plus attention lorsqu'on lui offrirait des cadeaux à l'avenir, tout simplement.

- Pour être honnête, je commence à me poser des questions sur les intentions de Lucy... Figurez-vous que ma situation est exactement la même que la vôtre... Si ce n'est que le ticket m'a été offert avec ma chambre à l'auberge. Et, encore une fois comme vous, je pensais et voulais être seule.

Voilà, c'était dit. La mention du fait qu'elle veuille être seule le ferait-elle fuir ? D'un autre côté, si elle le voulait vraiment, elle devrait espérer qu'il s'en aille, non ? Mais le voulait-elle vraiment ? Elle décida de cesser de se torturer l'esprit.

De toutes façons, à voir comme il testait l'eau, il voulait visiblement s'immerger... Bien. S'il le faisait, elle aurait peut-être une occasion de s'éloigner sans être vue si elle ne supportait vraiment plus la situation. Mais dans l'immédiat... Autant faire la conversation. Il lui avait posé un certain nombre de questions, auxquelles elle ne répondit pas immédiatement. L'avoir vu s'approcher de l'eau lui avait donné envie de faire de même. Cependant, elle y alla beaucoup moins prudemment que lui et, gardant néanmoins une certaine distance avec lui, elle s'assit sur le rebord, les pieds dans l'eau. Elle ne put retenir un frisson de plaisir. Sa voix intérieure avait raison, l'eau devait être son élément...

Néanmoins, à présent, elle avait assez fait attendre son compagnon d'infortune. Elle commença par entrer dans son jeu de plaisanterie :

- Si tel était le cas, je vous donnerais vraiment raison, en étant une très mauvaise espionne !

En effet, quelle espionne prendrait le risque de se retrouver seule avec sa cible ? Et puis, elle n'était pas une espionne. Ses missions d'infiltration avaient toujours lieu en pleine lumière, elle ne se cachait pas aux yeux de sa cible. Elle faisait simplement des actions dans son dos... Pas très différent ? Pensez ce que vous voulez. Pour elle, la différence était là.

Puis, avec un soupir, elle se concentra sur les deux questions encore en suspens :

- Ma vie d'aventurière... Trop intense, sincèrement.

Agitant légèrement les pieds, telle une enfant s'amusant à observer les mouvements de l'eau en résultant, elle continua sans le regarder :

- Depuis la dernière fois... D'abord, croyez-le ou non, mais après votre départ, j'ai dormi pendant pas moins de 24h ! À mon réveil, j'ai pallié au plus urgent en allant manger quelque chose... Et juste après, je suis partie en mission avec une nouvelle recrue dont je suis maintenant le mentor. Ce n'est qu'à mon retour que j'ai eu le temps de faire le rapport des deux missions en même temps.

Elle se permit un petit rire en lâchant :

- Allez savoir comment le client a reçu la réponse tardive à sa demande si urgente !

Puis, elle continua :

- Et au début de cette saison, j'ai dû faire visiter la Guilde à des enfants... Franchement, heureusement que je n'étais pas seule ! Les enfants, très peu pour moi ! Dès que ça a été fini, je l'avoue, j'ai fui. J'avais besoin de vacances. Et pourquoi ici ? Simplement parce que c'est le seul endroit que je connais qui soit assez éloigné de la Capitale pour que je puisse vraiment me sortir la Guilde et ses travaux de la tête pendant un moment.

Son monologue terminé, n'attendant pas de réaction, elle se glissa dans l'eau avec grâce, sillonnant l'espace aquatique avec une aisance qui la surprit, bien que la raison en fût toute simple : en effet, durant son enfance, elle profitait souvent de ses fugues pour faire un tour dans la mer, slalomant entre les bateaux du Grand Port, sachant pertinemment que ses parents le lui interdiraient s'ils le découvraient. Mais Kasha avait oublié son enfance... Ce qui n'était pas le cas de son corps, qui, malgré le manque d'exercice, retrouvait facilement les mouvements nécessaires pour nager sans s'épuiser. Surtout qu'à cet instant, l'eau était calme et sûre, sans bateau pour menacer la vie des nageurs à chaque instant. En prenant tout ceci en compte, il était évident que l'exercice soit facile. Mais Kasha n'avait pas conscience de tout cela, elle se contentait de profiter. Après tout, elle était là pour ça.

Puis, après avoir fait le tour du bassin, elle revint à sa place d'origine, et, sans sortir de l'eau, reprit la conversation comme si de rien n'était :

- Et vous ? Qu'est-ce qui vous amène ? J'imagine que la loterie ne fait pas partie des passe-temps habituels de la noblesse, je me trompe ?

Son regard était joueur. Mine de rien, son bain avait fait ressortir un peu de l'enfant qui, d'une manière ou d'une autre, dormait encore en elle. S'il y faisait attention, le conseiller pourrait peut-être déceler quelque chose en elle qui rappelait Lorena, sans savoir exactement quoi. Et pour cause : Lorena représentait celle que Kasha aurait pu devenir. Mais elle ne l'était jamais devenue. Ce qu'il pourrait voir, ce serait uniquement les vestiges de l'enfant qui s'amusait à fuir une maison trop sévère pour explorer le Grand Port, de nombreuses années auparavant.

Elle hocha la tête à sa première tirade. Au moins, il avait du savoir-vivre, elle ne s'était pas trompée sur son compte. Il aurait tout aussi bien pu la jeter dehors, avec un argument du genre : "libre à vous d'être seule, moi, je veux rester là !" Ce qu'elle aurait également parfaitement pu comprendre. Au lieu de quoi, il lui proposait même de lui laisser son espace. Elle appréciait. Mais elle tenta de prendre un air détaché lorsqu'elle répondit :

- Maintenant que vous êtes là, je ne compte pas vous empêcher de profiter de ce lieu. Et discuter avec vous est toujours agréable, si je dois être honnête !

Etait-ce une boutade ? Une confidence ? Un peu des deux ? Kasha n'aurait su le dire. Toujours était-il que, même si elle ne l'avait pas voulu, elle aurait tout de même eu cette longue discussion avec lui, ne voulant surtout pas lui faire l'affront de ne pas lui répondre s'il lui parlait... Sauf si ses mots en venaient à ne pas nécessiter de réponse, évidemment. En somme, elle agirait comme elle l'avait toujours fait : le traitant toujours avec respect, tout en restant naturelle.

Et en parlant de rester naturelle... Elle se retrouvait à présent face à un dilemme : en effet, le conseiller venait de lui proposer l'unique verre. Même si elle n'avait jamais goûté ce vin, elle savait qu'il avait une excellente réputation. D'un autre côté, comment se sentirait-elle si elle l'acceptait, en sachant qu'elle empêcherait le conseiller d'en profiter ? Elle se sentirait probablement coupable, et aurait l'impression de le trahir... Elle opta donc pour une demi-vérité :

- Allez-y, je vous le laisse. Après tout, vous saurez probablement mieux l'apprécier que moi, et je suis plus intéressée par la nourriture !

Elle avait prononcé les derniers mots sur un ton de boutade complice. Et même si elle ne lui avait techniquement pas menti... Elle aurait quand même aimé goûter cette boisson si prisée. C'était rageant de l'avoir à sa portée sans en profiter... Mais bon, elle n'allait pas laisser des considérations aussi triviales lui miner le moral.

Le prochain commentaire du noble lui offrit une occasion en or sur laquelle elle s'empressa de sauter, oubliant alors sa frustration :

- C'est différent pour vous ? Il va falloir m'en dire plus, maintenant, mon cher !

Cet accès de familiarité était-il de trop ? Pouvait-elle le faire passer pour une énième plaisanterie ? C'était ce qu'elle tentait de faire, mais peut-être avait-elle été trop loin, cette fois. Enfin. Ne pas se laisser déconcentrer. Elle avait saisi une occasion parfaite d'en apprendre plus sur lui, il ne manquerait plus qu'elle soit trop distraite pour écouter ces précieuses informations !

Puis elle ne put s'empêcher de rire lorsqu'il parla des enfants. Il ne pouvait pas être sérieux, c'était impossible. Ignorant volontairement les questions, elle répliqua :

- ça se voit ! Votre idée pourrait peut-être marcher pour un enfant, mais en groupe, ils sont bien pires...

Lorsqu'il reprit la parole, Kasha eut la certitude qu'il ne l'avait pas bien comprise. Elle ne lui demandait pas ce qu'il faisait à la Forteresse, même si, avec le recul, elle aurait très bien pu poser cette question également. Elle lui avait simplement demandé comment il en était venu à obtenir un ticket de loterie. Enfin, elle décida de ne pas le détromper. Ils avaient certainement un sujet de conversation pour un moment. D'un autre côté, s'il l'avait fui... Peut-être ne serait-ce pas une bonne idée de lui en parler...

Sauf qu'il lui en parla de lui-même.

- Vous êtes sûr de vouloir en parler ?

D'un autre côté, comme il l'avait dit lui-même, il s'agissait de curiosité. Peut-être que, si elle lui répondait, ils pourraient ensuite changer de sujet, pour en trouver un qui leur plairait à tous les deux. Qui serait probablement un sujet léger qui ne demanderait pas à se prendre la tête. Enfin. D'abord, il fallait répondre.

- Pour être totalement franche avec vous, ça ne m'évoque pas grand-chose. Nous avons des voisins, très bien. Je ne pense pas que je les rencontrerai un jour, donc, partant du principe que ma vie ne va pas changer... Tant qu'ils ne provoquent pas de guerre, je n'ai pas vraiment d'avis tranché.

Puis vint la question qui fâche. La nage ? Euh... Très bonne question... Pour gagner du temps de réflexion, elle lança une énième taquinerie :

- Comment auriez-vous pu connaître mon niveau de natation, c'est la première fois que vous me voyez dans l'eau !

ça, c'était la partie facile. À présent... Comment amener le sujet de son passé ? Pour gagner du temps, elle lâcha le bord du bassin, ce qui la fit partir en sens inverse sur le dos. Sans nager, elle laissa le courant qu'elle avait elle-même provoqué la déplacer, alors qu'elle se laissait couler. La sensation de se trouver au mileu de l'océan, seule au monde, lui procurait un apaisement salutaire. Elle prit le temps de se vider la tête... Et les poumons. Lorsque l'air vint à lui manquer, elle refit brusquement surface, projetant des gerbes d'eau autour d'elle. Alors qu'elle replaçait ses cheveux de manière à ne pas les avoir dans les yeux, elle observa les alentours pour évaluer sa position. Son errance l'avait rapprochée du conseiller, mais pas assez pour l'avoir arrosé lorsqu'elle avait émergé. Encore heureux, autrement, elle n'aurait pas su où se mettre.

Maintenant, elle n'allait pas pouvoir y échapper plus longtemps... Il fallait répondre. Mais elle ne le voulait pas. D'un autre côté, elle avait peut-être un moyen de trouver une réponse dont elle ne savait pas si elle était complètement vraie, mais c'était la seule qu'elle avait si elle ne voulait pas lui parler de sa perte volontaire de mémoire. Son seul souvenir d'enfance, cette après-midi avec son cousin Jack... Elle pouvait se baser dessus pour répondre. Si elle se souvenait de tous les détails, après tout, il semblait que ça ait été elle qui vivait au Grand Port, et l'homme qui était en visite...

- J'imagine que j'ai grandi au Grand Port...

Elle se serait donné des claques. Elle voulait paraître assurée, pour qu'il ne lui pose pas de questions... Et elle venait de lui en offrir un bon paquet sur un plateau. Soupirant, elle se prépara à être forcée à se confier. D'un autre côté, si elle imaginait être forcée à révéler cette vérité, elle n'imaginait pas la confier à quiconque d'autre, et ils étaiet actuellement certains d'être seuls... Peut-être était-ce le bon moment, finalement... Mais c'est lui qui répondrait à cette question. S'il ne demandait rien, elle ne lui dirait rien. En attente de sa réaction, elle posa ses yeux sur le visage de l'homme, guettant le moindre changement d'expression.

Si Kasha avait voulu être seule, elle ne l’empêcha cependant pas de rester dans le Bain Noir, ce que Rhis apprécia quelque peu. Elle était la première arrivée, elle aurait donc pu lui réclamer la place de manière légitime, comme ils étaient tous deux venus de façon un peu « innocente » dans ce lieu. Elle avait néanmoins du savoir-vivre et du caractère, quelque chose qu’il appréciait quand on fréquentait parfois des dames bien trop mollassonnes ou trop axée sur l’apparence.

- Votre compagnie est bien plus agréable que celle de certains nobles à la cour,   fit Rhis. En tout cas, pour le peu que je connais de vous, vous n’êtes pas une fille à papa ou un noble arrogant qui croit avoir le monde à ses pieds, confia-t-il avec un sourire complice. C’est assez appréciable, je dois dire.  

Et ça le faisait changer d’air aussi. Bon, bien entendu, toute la noblesse n’était pas comme ça, Lucy en soit louée, mais certains aristocrates mériteraient des baffes pour les secouer un peu.

Vint ensuite la question du vin. Le conseiller royal avait demandé à la demoiselle si elle le voulait ou non, et il l’interrogea donc du regard, en guettant sa réaction. Celle-ci finit par lui déclarer qu’elle le lui laissait et qu’elle préférait les sucreries. Ce qui tombait bien, Rhis ne raffolait pas tellement des douceurs sucrées, mais… Il avait cru percevoir une petite hésitation chez Kasha. C'était compréhensible, puisque le vin qu’ils avaient là avait une excellente réputation.

- Si vous n’êtes pas nareuse, je peux vous en laisser la moitié, pour que vous ayez l’opportunité d’y goûter,   proposa-t-il.

Il ne savait pas quelle était la vie de Kasha, mais elle n’avait peut-être pas si souvent l’occasion de boire un si bon crû.

- Quant aux sucreries, je vous les laisse volontiers, poursuivit l’espion, et il prévint toute objection en reprenant la parole. On en a bien assez au palais royal, lors des banquets et des repas, ça ne me manquera donc pas. Mais ne m’accusez pas si vous prenez un peu de poids demain, glissa-t-il avec un air taquin, en lui faisant un clin d’œil.

La conversation dévia sur les contrecoups de leurs pouvoirs respectifs et Rhis n’hésita guère à lui répondre. Parler des effets de leurs dons, ça ne posait pas de problème. Révéler la nature réelle de son pouvoir, par contre… Ca c’était autre chose.

- Evidemment, il va de soi que, si j’abuse de mon pouvoir, je ressentirai une fatigue particulièrement forte mais ce n’est pas mon symptôme principal, commença l’homme. J’ai davantage des maux de tête, voire des migraines qui peuvent durer plusieurs heures, et croyez-moi, on se sent vivre, dans ce cas-là, fit-il avec un léger sourire. Si vraiment je vais au-delà de mes limites, je peux avoir des tournioles et des vomissements. Je préfère éviter, donc. On ne m’a pas engagé au palais pour que je sois malade. Cela dit, je suis plus sage que durant mon enfance. A l’époque, j’étais très curieux et j’abusais volontiers de mes facultés.

Ironiquement, c’était ce qui l’avait sauvé de la mort, mais il n’était pas prêt à faire une telle confidence. Il pouvait néanmoins se douter de la question qui naîtrait dans l’esprit de Kasha, la plus logique, compte tenu des circonstances, et du fait qu’ils se rencontraient déjà pour la troisième fois.

- Sur base de ce que je vous ai dit, que pensez-vous que j’ai comme pouvoir ?   lui demanda-t-il avec un sourire malicieux.

Il lançait, de manière un peu évidente, un jeu de devinettes, mais ça permettait également de ne pas laisser la question en suspens. Ils avaient abordé le sujet trop librement pour qu’il élude la question, ç’aurait été étrange qu’ils n’en parlent pas. D’autant plus que le conseiller connaissait déjà le pouvoir de Kasha.

Cela étant dit, il semblait particulièrement mauvais pour donner des conseils vis-à-vis des enfants, car l’aventurière éclata de rire et c’est avec bonne grâce qu’il reconnut que son dernier propos n’était pas le plus avisé au monde.

- Je m’abstiendrai de tout commentaire alors, puisqu’il semble que je ne sois pas une référence en la matière.

Enfin, la conversation dériva sur l’Etat voisin, et Rhis la rassura d’un geste quand elle lui demanda s’il voulait en parler. C’était vrai que l’espion avait sous-entendu qu’on en parlait à foison dans les milieux nobles, et que cela pouvait être fatiguant, mais il précisa davantage sa pensée.

- Ce n’est pas aborder le sujet qui me dérange, c’est entendre un ramassis de bêtises aussi stupides les uns que les autres qui m’ont poussé à m’éloigner une soirée de la cour. Les aristocrates sont prêts à inventer tout et n’importe quoi pour attirer un peu l’attention de leurs pairs, quitte à se perdre en mille et une hypothèses qui n’ont aucun fondement. Ca peut être lassant, et c’est surtout pour ça que je me suis déconnecté quelques heures du palais. Ca ne veut pas dire que je suis devenu allergique au sujet de l’Empyrée, loin s’en faut.

Pour être honnête, il était très impatient d’en savoir plus sur ce nouveau voisin. C’est d’ailleurs avec un certain intérêt que Rhis écouta la jeune femme. Il pouvait comprendre son point de vue… Mais pour lui, ça n’était pas la même chose.

- Il est possible que la Guilde, ou même la Royauté, décide d’envoyer des petits groupes pour établir un contact avec cette nouvelle nation, observa le beau brun. Si cela advient, vous ne serez pas curieuse d’y aller ? Votre spécialisation pourrait même faire de vous une aventurière de premier choix pour cette mission.

Le conseiller marqua une légère pause, puis continua :

- J’avoue que j’ai envie d’en savoir plus, par curiosité, d’une part, et parce que je veux estimer si cet Empyrée peut être un allié ou une menace pour Aryon.

A titre personnel, il était partant pour établir des relations amicales avec ce pays, mais il fallait voir leurs points communs, leurs différences, et quels étaient les secrets potentiels que leurs voisins dissimulaient.

- Enfin, nous n’en sommes pas là, trancha Rhis, d’une voix tranquille. Ce sujet était trop sérieux pour qu’ils s’y attardent longtemps et c’est donc avec un sourire qu’il accueillit la dernière déclaration de Kasha. Ce n’est ni au Village Perché, ni à la Forteresse, ni à la capitale qu’on apprend forcément aux gens à nager, donc j’ai supposé que vous aviez pu vivre au Grand Port ou à la Ville Aquatique, expliqua-t-il. Mais effectivement, entre nager dans un bassin ou dans la mer, il y a un monde de différences, avoua l’espion royal.

Pus, étonnamment, Kasha sembla vouloir éviter la question, puisqu’elle se mit sur le dos et se laissa emporter par le courant. Ignorant s’il avait mis le doigt sur une partie sensible, Rhis la laissa faire, mais il fut un peu surpris lorsqu’elle émergea de l’eau et finit par admettre qu’elle avait peut-être vécu près de la métropole au bord de la mer. Une ou deux gouttelettes le touchèrent peut-être, mais la dernière déclaration l'intrigua trop pour qu'il le prennent en considération.

- Vous imaginez… ?  

Pour une fois, il parla sans réfléchir.

- Vous ne savez plus où vous avez vécu pendant votre enfance ?

Son ton était un peu incrédule, mais il se reprit rapidement.

- Evidemment, vous n’êtes pas obligée d’en parler. D’ailleurs, quelques sucreries vous attendent toujours au bord du bassin, glissa-t-il en souriant, essayant par là de détendre l’atmosphère.

Ca laisserait à la miss une porte de sortie si elle ne voulait pas se confier à Rhis.

Une "fille à papa" ou une princesse ? En effet, sur ce point, il avait raison, elle n'était ni l'une ni l'autre. Le premier point, car elle ne savait rien de son père, ne savait même pas si elle aurait dû le connaître. Le deuxième point... Eh bien, simplement parce qu'elle connaissait ses limites, savait qu'elle n'était pas parfaite... Et surtout, n'était pas noble. Elle lui sourit doucement :

- Il semblerait que vous m'avez bien cernée. Et je vous remercie du compliment.

Logiquement, elle aurait dû le lui retourner, mais puisqu'elle l'avait déjà fait, elle n'estimait pas nécessaire de recommencer. Cela aurait au mieux pu être perçu comme une maladresse, au pire, comme une insistance mal placée... Ce qui revenait plus ou moins au même.

Quand il lui proposa de partager son vin, elle hésita. Bien sûr, l'idée même de boire dans le même verre que quelqu'un d'autre, si cette personne l'y autorisait, évidemment, ne la dérangeait pas, mais... Elle ne s'y autorisait pas avec des personnes dont elle n'était pas très proche. Et le conseiller faisait partie de ces personnes. Elle prit donc un moment pour formuler sa réponse, puis, doucement, comme cherchant à ne pas le blesser par ce refus, elle déclara :

- Je dois avouer que votre proposition est tentante. Je n'ai jamais eu l'occasion d'y goûter, et sa réputation n'est plus à faire. Néanmoins... Nous ne nous connaissons pas assez pour que je me permette de partager votre boisson. Mais je vous remercie de l'avoir proposé.

C'était cependant la première fois qu'une telle chose lui était proposée. D'habitude, évidemment, elle ne s'imposait pas, mais c'était souvent elle qui demandait. Enfin, l'occasion ne lui parvenait pas non plus tous les jours, mais toujours était-il qu'il était la première personne à lui prooser un partage de verre. Cela signifiait-il que lui la considérait comme l'une de ses proches ? Ou, plus vraisemblablement, il n'avait pas les mêmes valeurs qu'elle sur ce point.

La plaisanterie qui suivit la poussa à en faire une aussi :

- Ne vous en faites pas, ça devrait aller. Mais vous savez, il y a aussi du salé !

Néanmoins, après avoir prononcé ces mots, elle réalisa qu'en fait, ils pouvaient être plus qu'une simple plaisanterie : en effet, un peu sans s'en rendre compte, elle s'était lancé le défi d'en découvrir le plus possible au sujet du conseiller au cours de cette soirée. Et la réponse à cette question lui permettrait de savoir s'il en avait réellement assez des en-cas, ou s'il préférait simplement le salé. Dans les deux cas, elle gagnerait une information supplémentaire. Et un point de plus, un !

Comme s'il avait lu dans son esprit qu'elle venait de lancer une dynamique de jeu, il lança la partie suivante, sur le thème : devinettes ! Juste avant de se lancer de bon coeur dans la partie, elle lança un commentaire spontané :

- Mais vous avez lu dans mes pensées, c'est pas possible !

Evidemment, elle ne savait pas qu'elle aurait pu s'arrêter là, car elle était déjà très proche de la réponse. Donc, elle se mit à réfléchir à voix haute, ce qui l'aidait bien souvent à réfléchir :

- Alors... Si on part du principe que les effets secondaires principaux sont localisés dans la tête, je partirais sur quelque chose de psychique. Est-ce que j'ai bon jusque-là ?

Puis, lorsqu'il s'expliqua au sujet de leur voisin, le visage de la jeune femme s'éclaira. Néanmoins, elle ne fit pas de commentaire, son attention plutôt attirée par les considérations qui suivirent... Et qui, si elles se réalisaient, risquaient en effet de la concerner directement. Lorsqu'il donna son avis, elle hocha la tête pour signaler qu'elle l'avait pris en compte, puis rétorqua, moitié plaisantante, moitié sérieuse :

- Si la Guilde me le demande, j'irai. Mais je dois avouer que je préfèrerais y aller avec vous, et je sais que ça peut se négocier.

Puis il revint sur son commentaire au sujet de la natation... Et elle resta bloquée sur un détail. Le Village Perché ? Que venait-il faire là ? Elle n'avait jamais été là-bas, et cette fois, même sans les souvenirs de son enfance, elle avait l'intuition qu'elle était dans le vrai. Même la Kasha enfant n'avait probablement jamais été dans la cité arboricole.

Lorsqu'elle émergea après sa parodie de plongeon, qui ressemblait plutôt à une mise en scène de noyade suivie d'une résurrection, ses paroles irréfléchies attirèrent les questions comme un aimant, comme elle s'y attendait. Mais franchement, qu'est-ce qui n'allait pas chez elle ? Forcément, elle lui avait offert ces questions... Et après, elle se disait spécialiste des mensonges ? Et quand elle devait en prononcer un minuscule, elle ne parvenait même pas à y mettre la conviction nécessaire pour qu'il soit convainquant... Enfin. Les questions étaient posées. À présent, c'était à son tour de s'en poser. Devait-elle lui répondre ? Et si oui, devait-elle être parfaitement honnête avec lui ?

Finalement, elle opta pour une vérité partielle. Elle lui raconterait le seul souvenir qu'elle avait... Sans mentionner ce fait. Du moins, en essayant de ne pas le mentionner. Ayant pris sa décision, elle se rejoignit, s'installant près de lui. Cela lui semblait plus approprié pour une confidence que de le dire à voix haute à travers une distance qui rendrait la scène surréaliste. Sans compter qu'elle n'avait pas forcément envie d'élever la voix pour prononcer ces mots. Bon, maintenant qu'elle était en place... Comment commencer ? Elle ne pouvait pas lui dire : "le seul souvenir que j'ai de mon enfance..."

Finalement, elle opta pour une approche un peu différente :

- Je me souviens très clairement d'un jour, avec mon cousin aîné. Ce jour, il m'a fait découvrir la Guilde et je l'ai accompagné au cours d'une mission pour la première fois. J'avais quinze ans, et je vivais au Grand Port.

Devait-elle en dire plus ? Elle avait peur de se trahir. Devait-elle expliquer pourquoi elle était certaine que c'était le Grand Port ?

- Je revois encore les bateaux dans le fond.

Fermant les yeux pour revisualiser la scène, elle poursuivit :

- Je pourrais même vous dire combien il y en avait et décrire chacun d'eux.

Elle ajoutait des détails, mais n'ajoutait rien de pertinent, tentant peut-être inconsciemment de lui faire oublier qu'elle ne lui avait pas dit grand-chose d'utile. Elle n'avait fait que lui confirmer qu'elle vivait au Grand Port l'année de ses quinze ans, mais rien ne disait qu'elle y était née.

Elle réalisa alors que, tout au long de sa confidence, elle n'avait pas parlé fort. Sans murmurer, son volume sonore avait grandement diminué, et avait peut-être été juste assez élevé pour que l'homme puisse l'entendre par dessus le clapotis provoqué par les bulles près d'eux.

Quand Kasha refusa qu’il lui laissât une part du vin, Rhis se contenta d’hocher la tête silencieusement, de manière assez décontractée s’il en était. Il n’était pas offusqué par la décision de la jeune femme, il pouvait même le comprendre, puisqu’ils n’étaient pas non plus les meilleurs amis du monde.

- Dans ce cas-là, je vous laisse définitivement les en-cas,  fit-il avec l’ombre d’un sourire, alors même que l’aventurière lui faisait remarquer qu’on leur avait aussi laissé des salés. Si je prenais ces mises en bouches-là plus le vin, je serai un peu trop gourmand non ? Le verre de lhumi-nœud est déjà bien suffisant, je vous laisse tout le reste ! répondit-il avec un brin d’amusement.

Puis l’espion décrivit une partie des contrecoups de son propre pouvoir et lança à la demoiselle un jeu de devinettes. Ce à quoi elle s’écria presque spontanément qu’il était télépathe, et Rhis haussa alors un sourcil d’un air un peu surpris.

- Et pourquoi pensez-vous à cela ? Juste pour votre information, je n’ai jamais lu dans votre esprit, vous savez ? fit-il avec un air malicieux.

C’était vrai, en plus. A leur première rencontre, c’était leur autre compagne qui l’intéressait, il n’avait donc pas eu de temps à perdre avec Lorena. Quant à Victoria, elle lui avait tout expliqué sans même qu’il n’ait à utiliser son don.

Ca l’intéressait quand même de savoir pourquoi elle avait fait cette suggestion, d’une part parce que l’espion n’avait jamais utilisé ses dons de télépathie pour lire ses pensées de la demoiselle, et d’autre part parce qu’il essayait de dissimuler la véritable nature de son pouvoir à autrui. Est-ce qu’il avait eu une attitude suspecte à un moment donné ? Il ne lui semblait pas, mais le beau brun préféra préférait quand même savoir pourquoi la demoiselle avait proposé si spontanément qu’il pouvait lire dans les esprits. Il attendit donc sa réponse avant de se concentrer sur les prochains propos de Kasha, qui suggérait qu’il ait des pouvoirs psychiques.

- C’est juste, acquiesa Rhis. Je dois me concentrer pour utiliser mes facultés, et elles sont bien liées à mes compétences mentales. Quoi d’autres ? demanda l’homme avec une expression espiègle. Il était curieux de voir si elle allait essayer de trouver d’autres indices ou si elle allait carrément lui demander la réponse…

Le conseiller royal éclata ensuite légèrement de rire lorsque Kasha affirma avec aplomb qu’elle préférait aller à l’Empyrée avec lui et que ça pouvait même se négocier.

- Je travaille pour le roi et la reine, répondit-il gentiment. Rien ne m’assure que je pourrais travailler avec vous sur place, ou même qu’on fera le voyage ensemble, mais si on doit faire un jour équipe, notre collaboration sera certainement des plus intéressantes, vu vos facultés d’adaptation.    

Il était difficile de se projeter dans l’immédiat de toute façon, et l’homme regarda bientôt Kasha se rapprocher pour s’installer à côté de lui. La première chose qu’il remarqua quand elle reprit la parole, c’est qu’elle parlait d’une voix basse. Cela conforta son idée qu’il avait touché un point sensible, qu’il n’aurait peut-être pas dû évoquer, mais le mal était fait de toute façon.

D’une certaine manière, la blondinette évita sa question, puisqu’elle évoqua un de ses souvenirs, avec un de ses cousins. Apparemment, c’était ce même jour où elle avait découvert la Guilde. Pas étonnant que ça l’ait marquée si elle y avait ensuite entrée en tant qu’aventurière... Et si elle voyait même les bateaux au fin fond de ses souvenirs, il n’y avait alors plus de doutes à avoir.

- On peut en tout cas supposer que vous y avez fait un tour, observa Rhis. Et si vous avez besoin d’aide sur votre enfance, peut-être que votre cousin pourrait vous aider ? Il ne serait sans doute pas mécontent de vous de revoir. L’homme marqua une petite pause pendant laquelle il laissa Kasha réfléchir, après quoi il reprit la parole d’un ton doux et tranquille.Cela dit, je ne sais pas si vous voulez en savoir plus, vous l'avez pas l'air ravie d'aborder le sujet. Mais que vous ayez vécu ou Grand Port ou non, ce n’est pas le plus important. Votre résidence actuelle est la Guilde à la capitale, et tant que vous plaisez là-bas, c’est tout ce qui compte. Quand on a une famille, que ce soit celle des espions ou des aventuriers, songea-t-il pour lui-même, , on ne la lâche pas.

Le conseiller lui laissa l'opportunité de réagir, puis, d'un geste, il quitta sa place avant de retourner vers Kasha et pointer le jet de bulles du doigt avec un sourire espiègle.

- Vous devriez essayer, ça fait un massage délicieux. Moi je vais faire une ou deux longueurs pour me délasser !

Cela permettrait peut-être à la miss de reprendre ses esprits et d’arrêter – peut-être pas de broyer du noir, mais d’au moins oublier ses mauvais souvenirs, car elle ne semblait pas être très gaie depuis qu’ils avaient abordé le sujet de son passé.

Rhis la laissa donc décider de ce qu’elle faisait, et une bonne minute passa ainsi avant qu’il ne revienne à sa hauteur. Les cheveux désormais mouillés, il s’immobilisa et regarda la demoiselle.

- Alors ? Qu'est-ce que vous en pensez ?

Bien sûr, ils pouvaient encore parler de son passé, mais Rhis préférait alors que ce soit la jeune femme qui fasse le pas pour ne pas la forcer à parler de sujets trop délicats ou peut-être trop douloureux.

- Il n'y a aucun mal à être gourmand.

Ce n'était pas une question, ni une offre au débat, ni même une constatation. Pour elle, c'était la vérité, pure et simple. Elle-même était gourmande, elle ne l'avait jamais caché, même si elle tentait souvent de réfréner ses ardeurs. L'instant où elle était arrivée dans cette salle en était la preuve la plus récente. En effet, à ce moment, elle pensait encore être seule, qu'est-ce qui l'aurait empêchée de profiter de l'occasion comme elle le souhaitait réellement. Encore une fois, elle soupçonna Lucy. Après tout, c'était elle qui les avait faits se retrouver là, peut-être voulait-elle qu'elle attende son partenaire du jour. Sauf que, maintenant qu'elle était dans l'eau, elle n'avait pas envie d'en sortir...

Il la tira de ses pensées en... Prenant son exclamation un peu trop sérieusement. Pourquoi ça ? C'était l'une de ces nombreuses expressions qui sortaient toutes seules lorsqu'on pensait un peu trop fort...

- Ne vous torturez pas l'esprit pour si peu, je n'imaginais même pas que vous rebondiriez là-dessus.

Marquant une pause, elle prit le temps de rassembler ses pensées pour s'exprimer aussi clairement que possible :

- Simplement, j'ai vu notre... Débat... Comme un jeu, et j'étais persuadée d'avoir gagné un point en vous parlant de la nourriture salée. Et vous lancez une autre partie juste après, avouez que la coïncidence est frappante !

Après un instant, elle ajouta, espiègle :

- Mais il semblerait que j'aie quand même perdu la première partie... Je compte bien gagner la deuxième !

Puis elle reprit, plus sérieuse, plus concentrée :

- Pourquoi ? Vous parlez de maux de tête, de migraine. Tout ça, c'est ce qui arrive lorsque l'on se concentre trop intensément. Et les pouvoirs psychiques peuvent s'apparenter à de la concentration intense, je sais de quoi je parle.

Après une hésitation, elle finit par lui lancer la taquinerie à laquelle elle pensait :

- Voilà qui nous fait un point commun certain ! Je parle du pouvoir psychique, pas des maux de tête, évidemment.

D'un coup, elle réalisa qu'elle se comportait de façon bien plus relâchée avec lui à présent que lors de leurs précédents rencontres. Mais, d'un autre côté, il ne semblait pas lui en vouloir... Etait-ce le lieu qui les poussaient à être plus naturels... Ou à accepter plus de naturel de la part d'autrui ? Ou étaient-ils en train de construire quelque chose ? Oserait-elle l'appeler son ami ? Elle aimerait bien, c'était évident, mais... Ils venaient de mondes tellement différents, cela semblait impossible. Surtout qu'elle sentait, sans trop savoir pourquoi, qu'il ne lui disait pas tout. À commencer par ce pouvoir, par exemple. Bien sûr, elle pouvait imaginer qu'il voulait un prétexte pour jouer, mais elle avait du mal à l'imaginer comme un enfant joueur...
Ou plutôt, si. Maintenant qu'elle y pensait, elle avait une image en tête. Mais le petit garçon qu'elle voyait lui semblait tellement à des kilomètres de l'homme qu'elle avait face à elle qu'elle chassa bien vite cette pensée... Sans pour autant l'avoir fait assez vite pour empêcher un petit rire incrédule de s'échapper de ses lèvres. Elle était presque certaine qu'elle n'avait pas imaginé l'enfant qu'il avait réellement été, comment l'aurait-elle pu, de toutes façons ? Elle ne possédait aucune magie permettant de lire dans les souvenirs d'autrui, et leur rencontre était vieille de moins de six lunes. Il était impossible qu'elle ait vu un quelconque élément lui permettant de reproduire une image réelle.

Mais elle devait se concentrer sur autre chose. La partie continuait. Un abandon serait synonyme d'échec, pour une fois qu'elle devait prendre part à un jeu contre un adversaire, mais dont sa victoire ou son échec ne dépendait que d'elle, autant en profiter. Bien sûr, les règles n'avaient pas été établies, mais elle pouvait facilement les deviner : si elle trouvait la bonne réponse, elle gagnait. Si elle abandonnait, elle perdait. Si elle ne donnait pas de réponse sans pour autant abandonner, la partie continuait. Et que se passerait-il si elle donnait une réponse qui se révélait fausse ? Soit elle perdait, soit la partie continuait, selon toute logique. Mais laquelle des deux solutions était la bonne ? Elle n'avait aucun moyen de le savoir. L'espace d'un instant, elle voulut poser la question, mais finit par se raviser. Elle n'avait pas besoin de le savoir. Elle ne donnerait simplement aucune réponse tant qu'elle ne serait pas certaine de donner la bonne, et si elle arrivait malgré tout à se tromper... Elle verrait ce qui se passerait, de toutes façons. Après tout, le pire qu'elle risquait était de perdre la partie, non ?

Ce qui était certain, par contre, c'est qu'elle n'allait pas gagner si elle ne proposait rien. Alors, encore une fois, elle se mit à réfléchir à voix haute :

- Quoi d'autre... Là, comme ça, je ne pourrais pas dire... Mais si je pars du principe qu'il y a plus de points communs entre nos deux pouvoirs, ce qui, évidemment, est plus ou moins un pari, je dirais...

Elle se rendit compte qu'elle avait baissé les yeux pendant qu'elle réfléchissait. Les relevant, elle les planta dans ceux de l'homme, d'une part, pour être sûre de le regarder quand il parlait, d'autre part, pour illustrer ce qu'elle allait dire :

- Est-ce qu'il faut... Un contact visuel ?

C'était clairement un coup de poker. Elle avait pris l'une des caractéristiques de son propre pouvoir et avait simplement mis des mots dessus. Elle était presque certaine d'avoir tort, mais, au moins, elle avait essayé, et permettait ainsi à la partie de se poursuivre.

Puis elle se prit une douche froide. Alors, c'était ce que ça faisait de se faire rattraper par la réalité ? Néanmoins, elle gardait une carte dans sa manche, qu'elle abattit rapidement :

- Certes... Néanmoins, je ne sais pas me battre, et qui sait ce qui peut arriver dans un lieu inconnu ? Je ne parle pas de la ville, bien sûr, mais pour le voyage... Il me faudra certainement un protecteur. Et je ne voudrais pas m'avancer, mais quelque chose me dit que vous maniez plutôt bien... Le sabre, si je me souviens bien ?

Pour être honnête, l'arme en particulier lui importait peu. Mais il était évident qu'elle-même ne pourrait pas effectuer un aussi long trajet sans avoir un combattant à ses côtés, ne serait-ce que dans l'hypothèse d'un danger peut-être peu probable. Il était vrai également que la Guilde comportait des combattants et la demoiselle n'en connaissait réellement aucun... Même si ce souci se réglerait bientôt, mais elle ne voyait pas le futur... Et à ce moment précis, elle devait bien avouer que n'avoir de lien précis avec aucun aventurier combattant l'arrangeait bien.

- Je ne suis proche d'aucun aventurier combattant, pour être honnête. Et j'imagine que la Guilde est assez puissante pour négocier avec vos prestigieux employeurs. Peut-être pas assez pour gagner les négociations, je vous l'accorde, mais je pense pouvoir au moins leur demander d'essayer.

Oui, elle voulait y aller avec lui, ou ne pas y aller du tout. Mais ça, elle ne le lui dirait pas. Après tout, elle avait du mal à se voir comme étant irremplaçable pour une telle mission. En apprenant sa spécialité, les voisins pourraient en effet la soupçonner de leur mentir, et elle ne pourrait pas leur en vouloir. Peut-être d'ailleurs que l'homme devait savoir cela. Et elle savait parfaitement comment le convaincre de l'obstacle qu'elle pourrait représenter :

- Mais je n'aime pas utiliser les gens, et encore moins la Guilde. Je pense que je ne serais pas forcément la bienvenue, vous savez. J'ai un exemple très précis. Vous vous souvenez de Nevaeh ? Eh bien, je l'ai rencontrée lors d'une mission, il y a plus ou moins un an. Et lorsque nous avons été chercher l'aide de la Garde, j'ai éveillé leurs soupçons avec ma spécialité. Quelqu'un comme vous à mes côtés pourrait prouver qu'il n'y a rien à craindre de ma part. Mais, encore une fois, je n'aime pas me servir d'autrui... J'essaie de trouver des arguments, mais je dois avouer qu'au fond... C'est juste une préférence personnelle. Et je comprendrai parfaitement si vous ne pouvez pas.

Cela lui ferait mal, évidemment, mais elle saurait passer outre. Après tout, ce ne serait pas la première fois qu'elle partirait en exploration sans lui... Elle n'avait d'ailleurs jamais travaillé avec lui, pourquoi serait-elle donc déçue de ne pas le pouvoir ?

Et vint le sujet qui fâche. Elle ne put retenir un grognement fort peu féminin lorsqu'il lança le sujet, avant de se reprendre immédiatement, espérant qu'il n'avait rien entendu. Elle écouta néanmoins sa tirade, plus par politesse qu'autre chose... Et fut surprise d'y trouver un certain intérêt. Pas en ce qui concernait ses souvenirs, évidemment, mais... Pour le reste. Pour ce qui concernait Jack et la Guilde. Elle répondit donc dans l'ordre, en évitant soigneusement le sujet qui ne lui plaisait pas :

- C'est vrai que ça me plairait à moi aussi de le revoir. Mais je ne sais absolument pas comment le trouver, je ne sais même pas s'il est encore à la Guilde. Nous avons plus ou moins perdu contact et maintenant, il ne me reste de lui que son nom.

Elle se garda d'ajouter et ce souvenir, même si le conseiller n'était pas idiot, il le savait. Et il savait certainement aussi qu'elle ne voulait pas en parler plus.

- Et pour ce qui est de la Guilde... Un sourire tendre naquit sur ses lèvres alors qu'elle continuait d'une voix douce. [/color=#666699]C'est exact, elle est toute ma vie, à présent.[/color]

Et, un peu trop vite à son goût, lui laissant trop peu de temps pour sortir de ses pensées pour réagir correctement, il s'éloigna, lui indiquant de prendre sa place. Secouant la tête négativement, légèrement taquine, elle répliqua :

- Vous m'avez donné deux possibilités auxquelles je n'ai pas répondu, ce qui me laisse le choix... Je choisis la gourmandise !

Joignant le geste à la parole, elle sortit du bassin. Evidemment, l'eau ruisselait sur tout son corps, partant principalement de ses cheveux, encore mouillés après son passage sous-marin. Mais la demoiselle n'en avait cure. Après tout, il s'agissait d'une salle dédiée aux bains, cela ne devait donc pas poser trop de problèmes si elle mettait de l'eau partout, si ? Dans tous les cas, personne n'était là pour la juger, le conseiller étant visiblement concentré sur sa nage et aucun personnel n'ayant fait irruption... Au grand soulagement de la demoiselle.

Lorsqu'elle s'approcha du plateau, elle décida finalement de le prendre avec elle alors qu'elle allait s'installer dans un coin, assez loin du bassin pour permettre à son corps de sécher un minimum, tout en étant assez proche pour pouvoir épier le nageur, tout en grignotant un biscuit. Elle n'eut pas le temps de le terminer avant que l'homme ne revienne vers elle pour lui parler à nouveau. Cependant, elle prit le temps nécessaire, même si cela pouvait lui donner l'air de ne pas avoir entendu, voire de ne pas même avoir écouté, les dernières paroles lui étant adressées. Cependant, il n'en était rien. Simplement, elle profitait de son en-cas autant que possible.

Lorsqu'enfin ce fut terminé, malicieuse, elle se rapprocha du bord du bassin le plus proche et, tentant d'imiter une domestique, probablement sans succès, puisqu'elle n'avait jamais vraiment fréquenté ce genre de personnes, s'agenouilla sur le bord et lui tendit le plateau, lui offrant une vue imprenable sur les délices qu'il contenait :

- J'en pense que Monsieur devrait goûter, malgré ses principes.

Elle le laissa se servir ou décliner l'offre. S'il refusait, elle n'insisterait pas. S'il acceptait, elle ne manquerait pas de le taquiner au sujet de la faiblesse de ses convictions, tout en étant ravie d'avoir réussi à le convaincre (et d'avoir finalement gagné son point). Dans les deux cas, elle finirait par aller remettre le plateau à sa place, avant de revenir vers lui. Elle n'avait pas spécialement envie de lancer un nouveau sujet de conversation. Simplement de profiter. Reprenant sa position assise du début de leur conversation, elle resta là, sans rien dire, et se surprit à penser que finalement, ce n'était pas une si mauvaise chose que cet homme l'ait rejointe. Pour la première fois de la soirée, elle commençait à vraiment se sentir à l'aise, et puis... Etait-ce le fait de s'être un peu confiée à lui ? Le fait de simplement s'être souvent croisés ? Le fait d'avoir la sensation de toujours avoir eu de bons souvenirs à ses côtés ? Ou tout simplement le cadre informel de la situation ? Toujours était-il qu'à ce moment précis, alors qu'elle l'observait simplement, sans insistance, elle avait l'impression de voir l'homme qui se cachait derrière le conseiller. Etrangement, elle sentait, dans son esprit, la figure du noble qu'elle avait toujours vu comme son supérieur à ne surtout pas contrarier s'estomper légèrement, commençant à dévoiler qu'en réalité, ce n'était qu'un homme comme les autres, peut-être un peu plus écrasé sous les responsabilités que le premier inconnu venu, mais un homme accessible, d'une certaine manière. À qui elle pouvait peut-être s'adresser sans y mettre autant de formes. Alors oui, elle jouait avec lui, se permettait des taquineries, mais parce que lui agissait de même. Peut-être que lui était capable de voir au-delà de son rôle. Pourquoi elle-même ne le ferait-elle pas ? Et il y avait peut-être un moyen de savoir si elle pouvait se le permettre ou non...

Brisant le long silence qu'elle avait entretenu, timidement, elle posa une question :

- Dites... Je peux vous appeler par votre prénom ?

Un moyen pas si discret de lui demander ce qu'il pensait de leur relation...

Il n’y avait aucun mal à être gourmand, certes. En tout cas quand on ne prenait pas du poids dès qu’on s’autorisait un petit écart. Rhis avait un organisme qui lui permettait de manger beaucoup sans grossir, donc on pouvait dire que Lucy était de son côté à ce niveau-là. Mais si l’espion était un bon mangeur à l’occasion, cela ne voulait pas dire non plus qu’il se jetait sur la nourriture comme un morfal. Il savait apprécier les bons plats et les banquets, oui. Mais il n’était pas un goinfre non plus, et tant mieux pour lui, car être continent avait du bon quand on était en mission pour la Couronne et qu’on n’avait pas toujours des réserves inépuisables en poche.

Enfin, dans tous les cas, il allait bien falloir réserver un sort aux gâteries qu’on leur avait laissées, mais la conversation dévia d’abord sur leur jeu de devinettes, lié au pouvoir de Rhis. Un sourire amusé apparut sur ses lèvres lorsque sa partenaire lui déclara qu’elle voulait gagner le deuxième round, et il finit par acquiescer de la tête alors qu’elle évoquait leurs facultés psychiques.

- En toute honnêteté, les maux de tête sont une plaie, donc si vous avez surtout l’envie de dormir après avoir utilisé votre pouvoir, ce n’est peut-être pas plus mal, si ça n’altère pas trop votre concentration.

Encore que, au théâtre, ça avait été un petit fiasco, puisqu’elle s’était endormie sur place, mais… La jeune femme avait quand même des circonstances atténuantes, puisque non seulement elle avait tenu la face en public, lorsqu’ils étaient tous deux devant le noble ; et puis, elle avait attendu le conseiller royal. Celui-ci était donc indirectement responsable de la sieste de la demoiselle… Mais bon, d’autre part, il ne pouvait pas savoir que Victoria était Kasha.

Peu importe, l’exubérance et l’enthousiaste dont l’aventurière faisait preuve était agréable, assez pour que Rhis soit totalement détendu en sa présence. On pouvait dire qu’il s’amusait et se sentait bien, et  lorsque la jeune femme suggéra que son pouvoir s’activât suite à un contact visuel, le beau brun ne tarda pas à opiner du chef.

- Correct. Comme vous, je suppose, vous devez sans doute fixer un point pour faire apparaître votre illusion et ne pas trop vous déconcentrer pour maintenir votre mirage. Moi, je dois aussi voir ma cible en vue, et attendre un petit peu pour établir un lien avec elle.

Il lui avait tendu une grande perche, là, suffisamment pour qu’elle puisse lui proposer divers pouvoirs sur le champ.

- Du coup, je suppose que vous n’avez plus vraiment de doutes maintenant ? Il ménagea un petit silence, afin de laisser Kasha réagir à ses derniers paroles, puis il confirma ou infirma ses propos. Je peux lire dans les pensées des gens, mais, contrairement à ce que vous pourriez le croire, je peux pas transmettre mes pensées à quelqu’un d’autre. Ce sera peut-être possible plus tard, mais mon don n’est actuellement pas assez puissant. Donc je peux lire, par exemple, vos pensées spontanées et immédiates. Mais pas celles les plus profondes, évidemment. Et je ne peux pas non plus lire les souvenirs des gens.

Il avait essayé de présenter au mieux son pouvoir, avec ses limites et ses faiblesses et il attendit sa réaction.

- Cela étant dit, ce que je disais tout à l’heure reste vrai, je n’ai jamais lu votre esprit, pas même quand vous étiez Lorena, fit-il, peut-être sur le ton de la confidence. Je vous avoue que votre rôle à la Forteresse m’avait intrigué, parce que vous sortiez de nulle part du jour au lendemain, mais quand cela n’est pas utile pour mes missions ou pour la Couronne, j’essaie quand même au maximum de respecter l’intimité des gens. Après,  reconnut Rhis sans problème,il y a des moments où ce don s’avère bien utile, spécialement quand on veut avoir l’une ou l’utre information. L’homme aux yeux saphirs se tut ensuite pour regarder l’aventurière. Alors, qu’est-ce que vous en pensez ?

Il pourrait comprendre que cela la refroidisse, d’autant que Rhis évitait généralement le sujet de son pouvoir. C’était assez rare qu’il confie son don à quelqu’un, mais il se fiait quand même à son instinct, et quelque chose lui disait que Kasha était fiable et n’irait pas crier son pouvoir sur tous les toits.

Quand le sujet dévia vers Empyrée, la jeune femme lui dévoila qu’elle connaissait peu d’aventuriers combattants et qu’elle aurait préféré être accompagnée pendant le voyage. C’était totalement compréhensible, vu comme les alentours n’étaient pas une oasis de paix où il faisait bon vivre. L’espion se permit un léger temps de réflexion, puis il finit par accéder à sa demande.

- Si les conditions le permettent, ça ne me dérange pas de vous accompagner. Quitte à ce qu’elle prenne son identité de Victoria. Etant espion, il n’était pas choqué à ce que quelqu’un revête différentes identités, mais il faudrait alors que sa partenaire du jour soit suffisamment à l’aise pour maintenir son rôle sans faillir le long du voyage. Elle l’avait fait avec Lorena, elle pourrait donc sans doute le faire avec son autre identité de noble. Cela étant dit, Rhis ne serait sans doute pas seul : il y aurait d’autres membres de la haute société, peut-être des conseillers royaux, les ministres ou le Prince lui-même. Qu’Aeron aille à l’Empyrée serait certainement bénéfique pour entretenir des relations cordiales, mais d’autre part, le conseiller royal ne faisait totalement pas confiance à leur nouveau voisin, et il n’y avait pas intérêt à ce qu’il arrive quelque chose à l’héritier du trône durant leur périple ou une fois sur place. Si un groupe de voyage se crée et qu’on a besoin d’aventuriers, je vous recommanderai, fit sincèrement Rhis. Ca justifierait alors pleinement sa présence de Kasha. Mais il est possible aussi qu’une grande délégation soit envoyée, aventuriers, nobles et citoyens confondus. Il sera alors possible de se retrouver plus ou moins facilement et de rester ensemble pour l’ensemble du voyage. On pourrait même rester en contact une fois arrivé dans le nouvel Etat.

A dire vrai, vu les facultés d’adaptation de Kasha, son aide sur place serait appréciable pour en apprendre le plus possible sur Empyrée, mais il était peut-être un peu trop tôt pour parler de ça.

- Je suis effectivement doué à l’escrime, et spécialement au sabre et au katana. D’ailleurs, vous avez déjà vu mon arme à la Forteresse. Maintenant, pour être honnête avec vous, j’espère que je ne devrai pas l’utiliser et que le voyage sera sécurisé.

Il écouta enfin ses derniers arguments, puis esquissa un sourire qui se voulait rassurant.

- Je ne peux pas vous faire la promesse solennelle que nous serons ensemble quoi qu’il arrive, fit-il honnêtement. Il préférait être sincère plutôt que de lui mentir. Mais s’il y a la moindre possibilité de faire le voyage ensemble, je vous préviendrai. Voyager avec la noblesse vous pose problème ? Et vous habitez toujours à la Guilde, je présume ? Il préférait s’en assurer pour savoir où la chercher. Vous comme moi serons de toute façon tenus au courant de la suite des événements par la presse ou même par la Couronne. Le roi et la reine devront tenir au courant leur peuple si des échanges culturels ont lieu avec Empyrée. A partir de là, le temps que tout se prépare et se mette en place, je pourrai sans doute venir vous trouver, ou tout du moins vous envoyer des missives pour vous tenir au courant et voir ce qu’il vaut mieux faire pour aller là-bas.

Grâce à son statut, il pourrait sans doute la recommander, pour autant qu’il ait des motifs suffisants pour justifier sa présence.

- En tout cas, je ferai mon possible,, conclut-il pour rassénérer l’aventurière. Et généralement, il essayait de tenir parole quand il faisait de telles promesses. Ne vous éloignez peut-être pas trop de la capitale pour que je puisse facilement vous contacter.

Rhis l’écouta ensuite parler de son cousin, qu’elle aimerait revoir et une expression indulgente apparut sur ses traits.

- Rien ne vous empêche de vous renseigner. S’il a une longue expérience à la Guilde, cela dira peut-être quelque chose aux hôtes de l’établissement. Le mieux serait probablement que vous enquêtiez au Grand Port. Vous pouvez glisser aussi un mot à vos collègues de la Capitale.  Tout ce que vous risquez, c’est de faire chou blanc. Est-ce qu’il était un aventurier renommé ou avait-il un rôle particulier dans la Guilde ? Cela pourrait vous aider à le retrouver.

Au moins, elle lui confirma que la Guilde avait une place particulière dans son cœur et le sourire tendre qui était apparut sur le visage de Kasha trahissait bien l’affection qu’elle portait à l’antre des aventuriers. C’était une bonne chose qu’elle ait une maison, une « famille » à laquelle elle pouvait retourner à la fin de ses missions.

Quand l’homme lui proposa enfin de prendre sa place pour profiter du jet de bulle, la demoiselle lui répondit du tac au tac en affirmant qu’elle choisissait la gourmandise et Rhis éclata légèrement de rire.

- Eh bien, faites, gente dame, ces en-cas n’attendent que vous ! lui lança-t-il avec un air espiègle.

Il laissa donc l’aventurière quitter le bassin alors que l’espion faisait de son côté quelques longueurs, leur laissant ainsi à chacun un temps de pause. D’une part, Kasha pouvait se sécher un peu tout en grignotant les douceurs à sa portée ; et lui pouvait profiter du bassin pour nager à son aise.

Rhis était à l’entrée du bassin lorsque sa partenaire se leva de son coin, saisit le plateau, et vint au bord de l’eau en imitant gauchement un domestique. Il était clair qu’elle était loin d’être une servante idéale, mais sa mimique fit sourire le beau brun alors qu’elle lui tendait le plateau.

- J'en pense que Monsieur devrait goûter, malgré ses principes.

Pendant une ou deux secondes, le conseiller royal l’observa avec un air badin, une étincelle amusée dans son regard.

- Je vous ai déjà dit que vous aviez de la suite dans les idées ?Une expression taquine apparut sur son visage. Vous n’abandonnez pas si facilement quand vous avez quelque chose en tête.

Cela étant dit, Rhis avait saisi l’un des biscuits, et il enchaina quand même d’un ton un peu plus doux et sérieux :

- Mais merci de m’en avoir apporté. Il croqua d’ailleurs dedans, alors qu’il goûtait la douceur qu’il avait prise. C’est pas mal, reconnut-il. Vous avez une préférence parmi tout ce que vous avez goûté ?

La demoiselle s’était assise, elle lui sembla même un instant perdu dans ses pensées et Rhis se demanda un instant ce qui la préoccupait tant. Il avait les moyens pour savoir, bien sûr, mais il fallait savoir utiliser son don avec parcimonie, et utiliser ses pouvoirs auraient de toute façon pu dégrader ses relations avec elle, ce dont il n’avait pas envie. Il envisagea donc de la laisser tranquille et même de sortir du bain, mais une question de Kasha l’arrêta net et il tourna un regard surpris vers l’aventurière.

L’appeler par son prénom ? D’où est-ce que ça sortait, ça ?
Est-ce que c’était ça qui la tracassait depuis qu’elle était sortie du bain ? Après tout, la jeune femme avait été assez silencieuse depuis qu’elle avait mangé les encas. Rhis avait assumé qu’elle voulait juste en profiter et grignoter en silence, mais il s’était peut-être trompé pour une fois.

Enfin, il devait bien lui répondre, d’autant que son expression n’avait pas dû échapper à Kasha et aurait pu être mal interprétée par la miss aux longs cheveux blonds.

Et donc… L’appeler par son prénom ou pas ?

- … Ca ne me dérange pas, finit par répondre l’intéressé, avec un regard un peu plus amène, remplaçant l’expression abasourdie qui l’avait habité. Vous pouvez m’appelez Rhis, à conditions que je vous appelle Kasha de mon côté, ajouta-t-il avec un léger sourire, qui avait pour but de détendre l’atmosphère et de la rassurer.

L’espion se permit même de réfléchir encore davantage. Au fond, qui était Kasha pour lui ? D’accord, ça avait été d’abord une jeune femme un peu suspecte, sous Lorena, puis, elle avait été une noble qu’il avait un peu acculée pour être sûr d’obtenir la vérité de sa bouche. Mais ici, la soirée qu’ils avaient ensemble leur permettait d’être eux-mêmes, sans plus de faux-semblants. On pouvait même dire qu’il voyait pour la première fois la véritable aventurière qui se cachait sous les traits de Kasha, si on mettait à part le fait qu’il l’avait raccompagnée une fois à la Guilde. Et on pouvait dire qu’il apprécait ce temps passé avec la demoiselle.

- Je ne suis pas contraire à ce que l’on se tutoie également, fit-il en sortant du bain.Lucy semble aimer nous faire nous rencontrer, je ne serai donc pas étonné qu’elle nous réserve encore quelques surprises, blagua-t-il en récupérant son verre de vin. Et si on se retrouve pour ce qui concerne Empyrée, alors je préférerais sincèrement qu’on établisse une relation durable, où on se fait mutuellement confiance. Rhis se tut brièvement avant de reprendre. Après, j’avoue que je n’ai jamais pensé véritablement du mal de vous et que vous m’avez toujours fait bonne impression jusqu’ici.

Elle se contenta de hocher la tête lorsqu'il commenta les effets secondaires de leurs talents respectifs. Ne pas altérer la concentration ? Elle ne pouvait pas dire qu'il avait totalement raison, sur ce point. Après tout, la fatigue restait cela, de la fatigue et, même si l'utilisation de son pouvoir la faisait venir plus rapidement qu'une quelconque autre activité, son apparition restait progressive, diminuant donc cette fameuse concentration avec le temps. Mais elle n'avait pas envie de le contredire. Du moins, pas en cette soirée. Peut-être en reparleraient-ils plus tard, et peut-être serait-elle plus motivée pour en parler à ce moment.

Puis vint le sujet du contact visuel. Cette fois, elle s'autorisa à corriger :

- Un point... Oui et non. Je dois garder le contact visuel avec ma cible. C'est aussi ce qui a rendu l'exercie plus difficile, au théâtre : vous avez déjà essayé d'écrire sans regarder votre feuille, vous ?

Même sans essayer, il était facile de comprendre que c'était un exercice presque impossible.

- Donc j'ai simplement tenté de tromper mon cerveau, de lui faire croire que je regardais toujours cet homme... C'est probablement pour ça que je me suis laissée surprendre par la fatigue aussi vite, d'ailleurs...

Mais il était temps de laisser tomber ce sujet. Place au jeu ! Elle avait bon, encore une fois.

- Alors...

Ils avaient parlé en même temps. Se retenant avec difficulté de se plaquer les mains sur la bouche telle une enfant prise en faute, elle s'interrompit pour le laisser mener la conversation. Plus de doutes ? La partie se terminait déjà ? Mais elle avait d'autres questions en stock, en fait... Mais elle se sentait obligée de répondre, ce qu'elle fit, sans réfléchir, ce qui donna un très peu élégant :

- Euh...

Sérieusement ? "Euh" ? C'est tout ce que tu as à lui dire ? Pour une fois, elle était parfaitement d'accord avec cette voix. Elle aurait mieux fait de ne rien dire. Alors, après avoir, cette fois, pris le temps de former une phrase correcte dans son esprit, elle se racla la gorge pour tenter de chasser la gêne qui l'avait gagnée et se lança :

- En fait, j'avais préparé d'autres questions. Mais attendez, ne me donnez pas la réponse tout de suite, je vais quand même essayer de trouver.

Enfin, avec si peu d'éléments, elle était presque sûre de faire fausse route. Tout ce qu'elle savait, c'était que c'était un don psychique, et elle réalisa que le détail du contact visuel ne lui apportait rien. Encore une fois, elle avait été trop spontanée. D'un autre côté... Elle avait bien un autre élément, qu'elle avait obtenu sans le vouloir, mais tous les coups étaient permis, non ?

- À en juger par votre réaction tout à l'heure... Est-ce que j'aurais trouvé par le plus grand des hasards ? C'est bien la télépathie ?

Elle s'attendait à ce que ce soit faux. La coïncidence aurait été bien trop grosse... Et pourtant. Elle ne put retenir une petite exclamation de surprise lorsqu'il confirma qu'elle avait raison. Si elle s'attendait à ça... Et dire que tout était parti d'une simple plaisanterie... Elle se concentra cependant lorsqu'il donna plus d'informations. Et laissa échapper un rire lorsqu'il énonça les pensées spontanées... Avant de se reprendre aussitôt :

- Oh, désolée. Je ne me moque pas de vous, simplement... J'étais en train d'imaginer ce que ça donnerait si... Eh !

Soudain inspirée, elle... Ne fit rien. Parce que l'homme avait repris la parole. Mais elle comptait bien mettre son idée à exécution dès qu'elle en aurait la possibilité. Possibilité qui se présenta assez vite, mais, d'abord, elle devait lui dire quelque chose de plus important. Il l'avait suspectée lors de leur première rencontre, elle l'avait bien vu. Cependant, il l'avait aussi respectée, en ne se rendant pas coupable d'intrusion mentale. Et elle ne pouvait pas laisser cela passer inaperçu.

- Je vous remercie pour votre discrétion. Et... Je vous promets de ne plus vous mentir, aussi.

Elle ne savait pas si cette dernière phrase était adressée au conseiller ou à elle-même. En effet, elle cherchait également à se rassurer elle-même, pour ne plus être victime de cette incertitude quand au bien-fondé de ce mensonge au cours duquel ils s'étaient rencontrés. Elle s'était toujours sentie mal de lui avoir menti ainsi, plus tard, lorsqu'elle y repensait.

Mais l'heure n'était pas aux sombres réminiscences. Elle devait à présent énoncer l'idée qu'elle avait eue avant qu'il n'ait le temps de reprendre la parole. Se plaçant bien en face de lui, elle déclara :

- Mais maintenant... Du temps a passé, oserais-je même dire que je vous connais... Et vous aussi me connaissez. Mais peut-être voudriez-vous en savoir un peu plus à mon sujet ?

Elle marqua une pause, hésitant sur la manière de tourner sa demande. Puis, plongeant son regard dans le sien, elle offrit :

- J'aimerais bien une démonstration.

Bien sûr, il pouvait refuser. Elle en serait déçue, évidemment, mais elle ne voulait surtout pas le forcer. Restait à savoir à quoi penser. Elle voulait lui offrir quelque chose de clair, de préférence à son sujet... Et, finalement, elle eut une idée. Toute simple, et qui serait plus facile à penser qu'à dire à voix haute.

Rétablissant le cap de son regard, qui s'était détourné pendant qu'elle réfléhissait, visant les yeux de l'homme, elle déclara, d'un ton qu'elle voulait assuré :

- Je suis prête.

Puis, après une inspiration pour se donner du courage, elle attendit quelques instants, se souvenant de la mention comme quoi il y avait un peu de latence, puis pensa, se forçant à se concentrer sur chaque mot, pour lui faciliter la tâche :

- J'ai volontairement oublié mon passé.

Elle aurait voulu ajouter un "Merci de ne plus m'en parler", mais elle ne voulait pas lui donner d'ordre.

Après la petite expérience, vint l'Empyrée. Elle fut heureuse d'apprendre qu'il ne rejetait pas sa proposition, bien au contraire. Néanmoins, il s'amusa à lister tous les obstacles possibles à leurs retrouvailles. Même si cela ne lui plaisait pas, elle devait bien admettre que c'était nécessaire. Ne serait-ce que pour ne pas être surpris si l'un de ces obstacles se présentait. Lorsqu'il évoqua la possibilité de forcer le destin et de se retrouver en cas de groupe important, elle ne put résister à la tentation de lui lancer une nouvelle pique :

- Donc, vous braveriez vos ordres pour retrouver une simple aventurière ? Vous devez avoir l'habitude des ragots !

Un rire franc, puis elle redevint sérieuse :

- Faites quand même attention à vous. Tant que cela ne nuit pas à votre réputation, je serais heureuse de vous y retrouver.

Lorsqu'il fit son apparté sur l'escrime, elle hocha la tête, dans une posture signifiant : "c'est noté". Les mots étaient inutiles, Kasha étant entièrement d'accord sur ce point. Bien sûr, elle aussi préfèrerait grandement ne pas devoir se battre, ni l'y forcer, même si on ne savait jamais sur quoi on pouvait tomber sur les routes. Et, si elle devait être honnête avec elle-même, n'importe quelle situation, avec ou sans nécessité d'armes, lui aurait convenu. Sans se l'avouer, elle voulait simplement avoir l'assurance de le revoir à l'avenir.

Et il revint au sujet précédent. Peut-être s'avançait-elle un peu, mais il avait l'air de partager son avis sur la question... Amusée, elle ne put rester de marbre alors qu'un petit sourire, ni taquin ni moqueur, simplement amusé, se dessinait sur ses lèvres. Et il disparut lorsqu'il évoqua la possibilité de voyager avec des nobles. Evidemment, lui était noble, donc c'était inévitable, mais...

- Ce n'est pas spécialement la noblesse qui me dérange... Mais plutôt le fait qu'avec eux... Je ne sais pas... Je ne me sens pas libre.

Finalement, elle avait trouvé les mots pour exprimer ses pensées à la perfection. Pas libre, c'était exactement ça. Rhis était la seule exception, le seul noble face à qui elle ne se mettait plus la pression. Mais les autres membres de cette société... Elle les savait prêts à juger le moindre mot ou geste de travers. Elle avait peur que la moindre erreur de sa part ne prenne des proportions considérables. Surtout si ces erreurs avaient lieu en la compagnie du conseiller, dont elle ne voulait surtout pas briser la brillante carrière. Enfin. Elle préféra passer au sujet suivant :

- Oui, toujours à la Guilde. Jack m'avait dit que c'était réservé aux débutants, mais... Je suppose que je suis encore une débutante, alors, puisque je n'arrive pas à m'émanciper !

Elle rit de sa propre boutade. Avant de se rappeler de ses mots.

- Ah, euh, Jack, mon cousin. Désolée.

Il ne manquerait plus qu'elle évoque des noms lui étant inconnus sans les expliciter...

- Ne pas m'éloigner de la Capitale ? ça ne devrait pas être trop compliqué, puisque j'y vis. Et, maintenant que j'y pense... C'est vrai que j'ai le droit d'utiliser les portails. Je suis venue à pied, mais je peux rentrer en quelques secondes. Ce qui sera également le cas à l'avenir. Je pense que je pourrait toujours être à la Guilde au moins la nuit et en soirée.

Et, étrangement, elle reçut des conseils pour retrouver son cousin. Oh, tiens, elle ne pensait pas que ce sujet intéresserait Rhis... Prenant le temps de réfléchir, elle finit par formuler sa réponse :

- Il était... Examinateur, si je me souviens bien. La Capitale me semble un bon point de départ, en effet... Et vous pourrez me retrouver sans m'entraver dans mes recherches !

Sérieusement, pourquoi ne pouvait-elle pas rester sérieuse deux minutes dès qu'il était dans les parages ? Elle avait réussi à tourner à la plaisanterie un sujet qui, sans être austère ou déprimant, restait sérieux.


Lorsqu'elle lui proposa son plateau, une fois de plus, elle fit le choix de la plaisanterie alors que, faussement innocente, elle reprenait les mots de l'homme :

- De la suite dans les idées ? Naaaaan, vous croyez ?

Puis, malicieuse, elle poursuivit :

- Mais j'ai quand même gagné ! Deux-zéro pour moi, il va falloir vous rattraper, très cher !

Puis, comme fuyant la réponse, quelle qu'elle soit, elle alla ranger le plateau désormais inutile, alors qu'elle réfléchissait. Une préférence ?

Lorsqu'elle revint s'asseoir, elle déclara calmement.

- Eh bien... Le choix est difficile, il faut l'avouer. Décidément, les organisateurs ont très bon goût. Mais j'avoue avoir toujours eu un faible pour les fruits, je pense préférer cet en-cas aux fruits rouges que vous avez failli tester. Vous avez eu tort de le louper !

Un sourire, pas de taquinerie, cette fois. Elle énonçait simplement son avis, en toute franchise, désormais assurée qu'il ne lui en voudrait pas.

Elle l'observa, patiente et compréhensive, lorsqu'il sembla intérieurement retourner la question de la femme dans tous les sens. Aucun jugement dans son attitude, si elle avait remarqué la surprise affichée par son vis-à-vis, elle prit sur elle pour ne pas immédiatement retirer sa question. De toutes façons, les mots étaient sortis, ils ne pouvaient désormais plus disparaître. Elle se contenta donc d'attendre la réponse, ne pouvant s'empêcher d'analyser les expressions se succédant sur le visage de l'homme. Après tout, il fallait bien s'occuper pendant l'attente, non ?

La réponse qui vint finalement lui offrit une agréable surprise, bien qu'elle imaginait qu'elle aurait également été surprise en cas de refus. Lorsqu'il mentionna le fait de l'appeler elle par son nom, elle le laissa à peine terminer, tant son cri du coeur voulait sortir :

- Mais évidemment ! Vous n'avez pas à demander, pour ça.

Immédiatement, elle s'en voulut. Rosissant légèrement, sans le regarder, elle se reprit :

- Oups, pardon, je suis trop enthousiaste. Mais oui, il n'y a aucun problème pour moi.

Cette fois, ce fut elle qui afficha une mine de surprise totale à la proposition qui suivit. Elle, tutoyer un noble ? Un noble si haut placé, de plus, et qu'elle tenait en si haute estime. D'un côté, elle se doutait que cette proposition, à l'instar de celle qu'elle-même avait faite plus tôt, était peut-être un moyen de se rapprocher, mais... Que dire ? La vérité. Hmm... Oui, après tout, pourquoi pas. Prenant une profonde respiration, elle finit par déclarer, laissant les mots sortir comme ils le voulaient, sans les moduler :

- Je vais être honnête. Il me semble évident que vous me tutoyiez, mais de mon côté... Je ne pense pas être capable d'en faire autant. Même si j'adorerais penser autrement, pour moi, vous êtes toujours mon supérieur, et j'aurais l'impression de vous manquer de respect en vous tutoyant... Même si vous me l'avez vous-même proposé. Alors, je peux essayer, mais je ne promets rien.

Ce fut lorsqu'elle eut terminé qu'elle réalisa qu'elle n'avait utilisé aucun pronom dans sa dernière phrase. Certainement un moyen d'esquiver la difficulté, même si elle savait qu'à un moment ou à un autre, elle devrait y faire face. Et elle ne savait absolument pas comment elle s'en sortirait le moment venu.

Elle détourna le regard au compliment qui suivit, sentant qu'elle risquait encore de rougir. La demoiselle découvrait qu'elle ne savait pas vraiment réagir aux compliments... Néanmoins, elle devait lui faire comprendre qu'elle avait entendu, et opta donc pour la réponse la plus simple du monde dans ce genre de situation :

- Merci.

Le conseiller royal n’avait peut-être pas été suffisamment précis en prenant la parole. Quand il avait dit que Kasha devait fixer un point pour utiliser son pouvoir, il sous-entendait par là qu’elle ne devait donc pas quitter sa cible du regard, mais ils ne s’étaient apparemment pas compris. Ce n’était pas bien grave, et il se contenta d’hocher la tête lorsque la jeune femme lui expliqua qu’écrire dans son carnet tout en créant des illusions lui avait particulièrement posé problème au théâtre.

- C’est effectivement compliqué, je l’admets. De mon côté, si n’importe quoi rompt le contact – une personne, un objet ou autre –, mon pouvoir s’interrompt automatiquement, je n’ai donc pas intérêt à perdre quelqu’un de vue.

Kasha aimait visiblement prendre des notes. Rhis, de son côté, n’aimait pas se reposer sur un carnet : si vraiment, il devait écrire ses observations quelque part, il le ferait alors sur un cahier enchanté que lui seul pourrait consulter. Mais, de manière générale, l’espion préférait plutôt utiliser sa mémoire ; quand on était en pleine conversation avec des nobles, il était difficile de leur dire de s’arrêter le temps d’écrire le moindre petit secret que le conseiller royal avait aperçu, découvert, ou perçu grâce à ses facultés psychiques. Lorsqu’il fallait mettre cela sur papier, par exemple à destination du couple royal ou de la maître-espion, il faisait attention à ce que ses rapports ne puissent pas être utilisés à mauvais escient s’il tombait, pour n’importe quelle raison, en des mains inopportunes. Pour le reste, Rhis préférait faire part de ses observations oralement à Allys, Grimvor ou Zahria, lorsqu’il était sûr qu’il n’y avait pas d’oreilles indiscrètes dans les environs.

Quoi qu’il en soit, la conversation se poursuivit et vint un moment un peu cocasse où Kasha et lui parlèrent en même temps. Le protecteur royal esquissa un sourire un peu amusé mais la jeune femme le laissa continuer. Il supposait qu’elle devait bien avoir des idées sur son pouvoir, maintenant, mais un très élégant « euh » sembla démentir ses suppositions, et c’est seulement après s’être raclé la gorge de manière un peu gênée que Kasha lui révéla qu’elle avait d’autres questions. Décidément, elle était bien curieuse, mais c’était le jeu, et Rhis ne lui en voulait pas vraiment, pour être honnête.

- Posez-les maintenant, alors, fit-il tranquillement,  vous n’aurez peut-être pas l’occasion de les poser plus tard.

Il était difficile de savoir dans quelles circonstances l’aventurière et le beau brun pourraient se rencontrer à l’avenir, s’ils tombaient encore l’un sur l’autre. Peut-être qu’ils endosseraient chacun un rôle, ou que son statut de conseiller royal ne lui permettrait pas de lui parler aussi ouvertement que maintenant. L’espion pouvait donc bien lui laisser la chance de poser ses questions, qu’elles soient liées à son pouvoir et à leur jeu de devinettes, ou à tout autre chose, au demeurant.

Kasha décida en tout cas de lui faire une proposition pour son pouvoir, et elle rebondit sur la réaction de Rhis un peu plus tôt. Celui-ci acquiesça donc de la tête puis prit la parole pour confirmer quel était le don que lui avait accordé Lucy, ce qui généra un petit rire chez la demoiselle. Le beau brun haussa légèrement les sourcils – car il ne voyait rien de drôle là-dedans, en fait, très peu de monde rigolait quand il révélait vraiment la nature de son don – , mais l’homme laissa couler alors que la blondinette lui expliquait qu’elle ne se moquait pas de lui. Kasha semblait bien avoir une idée derrière la tête, mais elle la garda pour elle et remercia l’espion plutôt de ne pas être avoir lu dans son esprit à la Forteresse. L’intéressé esquissa un geste pour dire que ce n’était rien, mais cela étant dit, il n’aurait eu aucun remords à lire ses pensées s’il en avait vraiment eu besoin. A l’époque, après tout, elle était davantage une inconnue, bien qu’ils aient été pour un temps compagnons de voyage. Enfin, elle n’avait pas besoin de le savoir, et quand la jeune femme lui promit de ne plus lui mentir, il reprit la parole.

- Ne me faites pas aveuglément confiance non plus, lui sourit-il. Vous avez certainement vos secrets comme j’ai les miens. Et il me semble juste que, comme moi je ne peux pas tout vous dire, vous gardiez certaines choses pour vous si vous en avez envie.

Actuellement, d’ailleurs, il n’avait aucune raison de vouloir découvrir les secrets de Kasha. Il savait déjà pas mal de choses sur la jeune femme, de toute façon, quand il y pensait un peu. La demoiselle avait (au minimum ?) deux couvertures, elle était aventurière spécialisée dans l’infiltration, elle avait des capacités de marchande, elle vivait à la Guilde ; a contrario, c’était Rhis qui lui révélait très peu de choses, mais ce n’était pas comme s’il allait non plus lui parler de son quotidien en tant que conseiller royal ou en tant qu’espion à la solde de Zahria.  

Apparemment, néanmoins, la jeune femme était curieuse, suffisamment pour qu’elle suggère que le beau brun utilise son pouvoir. Ca, bien sûr, c’était largement dans ses cordes, et une expression taquine apparut sur son visage alors que l’aventurière se plantait devant lui et le regardait dans les yeux.

- J’aurais cru que vous ne vouliez justement pas que je l’utilise, lui fit-il, mais pourquoi pas ?. Esquissant une brasse ou l’autre, il poursuivit : Choisissez alors simplement ce que vous voulez que je découvre et dites-moi ce quand vous êtes prête.

Il laissa Kasha détourner le regard pour réfléchir à ce qu’elle voulait faire, puis, quand elle sembla prendre sa décision, elle darda de nouveau ses prunelles bleues dans son regard et le prévint qu’elle était prête. La jeune femme semblait sûre d’elle-même, en tout cas, c’était déjà ça.

- J’y vais, la prévint-il.

Il lui fallut quelques secondes pour établir le contact avec la demoiselle, mais si tôt que son lien spirituel fut créé, Rhis entendit distinctement ses pensées. Une expression abasourdie apparut alors bientôt sur son visage, expression suffisamment éloquente pour que la miss comprenne qu’il avait bien lu ses pensées.

Elle avait quoi ?  

Généralement, on devenait amnésique sans que ce soit de notre fait, car contrôler sa mémoire et ses souvenirs demandaient un grand effort de volonté, et tout le monde n’était pas capable d’y arriver. Pour que Kasha oublie volontairement tout son passé… Est-ce qu’elle avait subi un traumatisme ? Est-ce qu’elle fuyait quelqu’un ? Reniait-elle son passé par mépris ou par manque d’amour de sa famille ? Dans tous les cas, il fallait bien qu’il lui prouve qu’elle avait lu dans son esprit, et la jeune femme devait s’attendre à ce que l’homme se pose des questions puisque c’était elle qui avait choisi de lui révéler cela.

- C’est… surprenant, commença Rhis. Je comprends que vous vouliez vivre votre propre vie, mais oublier votre vécu et vos souvenirs, c’est un choix radical. Est-ce qu’endosser une nouvelle identité n’aurait pas pu suffire ? Pourquoi aller si loin ?

Il savait ce que cela voulait dire, renoncer à son passé. Quand il avait accepté le rôle d’espion royal, le Vieux lui avait dit qu’il devait tout laisser derrière lui. Ca n’avait pas été si difficile ni horrible puisque sa famille était déjà décédée, et le cursus d’espion lui avait convenu à merveille. Mais il n’en restait pas moins que faire fi de son vécu, de ses amis, de sa camaraderie avec les autres espions, en faisant croire qu’il abandonnait tout, avaient demandé des efforts qui n’avaient pas toujours été réalisés de gaieté de cœur.

- Quand on renonce à son passé, poursuivit l’homme,  on doit au moins dire adieu à ses amis et sa famille. Je ne m’attends pas à ce que vous sachiez répondre si vous avez tout oublié de propre fait, mais vous ne regrettez pas d’avoir perdu contact avec certains proches ? Tout ne devait pas être tendre, mais certaines choses, ou certaines amitiés devaient compter pour vous, non ?

Rhis lui laissa le temps de répondre, puis la conversation dériva sur l’Empyrée, et Kasha lui lança une espièglerie, comme quoi il « braverait ses ordres pour une simple aventurière ». La bonne blague. Il rit légèrement, puis darda ses prunelles saphirs dans ceux de la demoiselle.

- Je ferais coïncider les objectifs de ma mission, voilà tout, sourit-il avec un air de malice. Quand on s’en va dans un pays étranger, avoir une spécialiste de l’infiltration ne peut être que bénéfique, blagua-t-il à demi, et compte tenu de vos compétences, vous pourriez simplement être envoyée en reconnaissance dans la troupe de voyage..

En vrai, il était lui-même un spécialiste de l’infiltration, même si Kasha ne le savait pas. Et il travaillait habituellement en solo, donc il n’avait techniquement pas besoin d’aide. Travailler en équipe pouvait néanmoins bénéficier aux espions, puisqu’ils ne connaissaient rien à ce « nouveau monde » au-delà de la Frontière. Kasha ne faisait pas partie de la famille des espions, mais son caractère juvénile et honnête avait un certain charme. S’il pouvait donc la protéger un minimum, tout en profitant de son expertise et de ses découvertes, pourquoi s’en priverait-il, s’il appréciait en plus sa compagnie ?

Quand l’aventurière lui dit donc de faire attention à lui, un sourire plus sérieux apparut sur son visage.

- Ne vous inquiétez pas. Comme vous quand vous avez une quête, mes missions passent en premier également. En plus, je pense que nous n’aurons pas tellement le droit à l’erreur, fit-il avec une légère grimace, donc il faudra être prudent à ne pas froisser nos invités s’ils nous invitent un jour - ou si c’est nous qui les invitons sur nos terres. Bref, ce que je veux dire, c’est que je ne me compromettrai pas impunément, sachant que vous pouvez vous débrouiller par vous-mêmes et que vous avez certainement de la ressources.

D’une certaine manière, il lui disait par là qu’il avait confiance en ses capacités, pour ce qu’il avait vu de Lorena et de Victoria. Maintenant, il n’avait pas examiné de fond en comble les capacités de la demoiselle, mais elle avait certainement reçu des quêtes de la Guilde qui l’avait aidée à s’aguerrir et à avoir de l’expérience.

Vint le sujet des nobles, que Rhis côtoierait forcément durant son voyage possible à Empyrée, et Kasha avoua qu’elle ne se sentait pas à l’aise avec eux, qu’elle n’était tout simplement pas libre. L’espion haussa dès lors un peu les sourcils alors qu’il lui faisait part de ses suppositions :

- A cause des règles, de la bienséance, des normes qu’ils imposent ? Je comprends que vous ne vous sentiez pas totalement à votre aise parmi eux, mais certains nobles veulent vraiment le bien de leurs semblables et du Royaume. Tous ne sont pas des gens bien éduqués qui ne pensent qu’à colporter des ragots, à s’élever, et à bien paraître à la cour… Même s’ils sont la majorité, admit-il.  Si vous reprenez votre identité de Victoria – sincèrement, je ne vous encourage à pas le faire et à l’éviter si possible –, vous rencontrerez peut-être des gens de cet acabit.

Puis, Kasha lui parla de Jack, son cousin, et elle lui révéla qu’il était examinateur. Elle avait donc des chances de le retrouver, c’était déjà une bonne position… Le seul Jack dont il avait eu connaissance, de très très loin et uniquement grâce à Zahria, c’était qu’un conseiller de la Guilde, aussi nommé Jack, avait été attaqué par Nevaeh Farley.  

Rhis sourit lorsque la jeune femme le taquina à propos du plateau, affirmant que leur petit jeu en était à 2-0. Si ça lui faisait si plaisir de gagner, c’était bien qu’elle s’en amuse.

- La soirée n’est pas encore finie, méfiez-vous,, lui rétorqua-t-il avec un air gai.

Il l’écouta donner ensuite son avis sur les encas, puis, la discussion prit un tournant un peu surprenant lorsqu’elle lui demanda si elle pouvait l’appeler par son prénom. Rhis en fut surpris, et son expression dut ne pas échapper à la demoiselle, mais après un très léger temps de silence, il lui donna son accord. La réponse qu’elle lui offrit si tôt qu’il eut terminé sa phrase l’amusa un peu, tant on voyait la sincérité et la spontanéité de l’aventurière. Apparemment, elle en était plus contente qu’il ne l’aurait cru, tant son cri semblait venir du cœur et elle rougit même légèrement face à son attitude.

- Eh bien, je n’aurais pas pensé que ça vous fasse autant plaisir, observa-t-il avec un ton taquin. Mais votre sincérité vous honore et vous êtes mignonne quand vous rougissez, fit-il avec une expression quelque peu espiègle, montrant ainsi qu’il la titillait gentiment, sans que ce soit méchant. Peut-être qu’elle rougirait d’autant plus, mais pour une fois, c’était lui qui jouait un peu avec les pieds de Kasha.

Puis, ce fut au tour de l’intéressée d’être surprise. Apparemment, elle ne s’attendait pas à sa dernière proposition en date, et son air interdit trahit bien son étonnement. Pour Rhis, il n’y avait pas de mal à tutoyer quelqu’un, sachant que, de toute façon, la demoiselle n’était pas noble, mais il comprit bientôt que l’aventurière ne partageait pas son raisonnement… En fait, vu son statut, il pouvait la comprendre un minimum. Cela dit, il ne partageait pas entièrement le même point de vue que la miss et le conseiller reprit la parole.

- D’où vous êtes-vous mise en tête que j’étais votre supérieur ? Lors du convoi  marchand, peut-être, il fallait bien une hiérarchie, mais ensuite… Vous êtes libre comme l’air, et à moins que vous ne soyez au palais ou que vous ne gravitiez autour du couple royal, je n’ai aucun ordre à vous donner. Du reste,  fit-il avec un ton plus léger, je suis un être humain comme un autre, vous savez ?


Rhis n’était pas du genre à se prendre la tête avec les classes sociables. Les nobles étaient au-dessus, évidemment et la plèbe leur devait le respect. Mais ce n’était pas parce qu’il vivait à la cour qu’il était imbu de lui-même et qu’il se prenait pour le roi du monde, pouvant impunément imposer sa loi aux gens du peuple. En ce sens, il ne se pensait pas supérieur à Kasha, à Enora, ou à autrui, il fallait de tout pour faire la société, et si un certain ordre devait être respecté, cela ne voulait pas dire que les citoyens devait s’accroupir devant lui à tout bout de champ.

- Quoi qu’il en soit, poursuivit l’espion, je ne vous force à rien. Faites comme vous voulez, et choisissez ce qui vous met le plus à l’aise, tant que vous n’oubliez pas bien vous comporter en public.

Certains nobles avaleraient de travers s’ils voyaient une stricte inconnue, aventurière qui plus est, tutoyer Rhis le plus naturellement du monde.

Dans tous les cas, il profita de cette accalmie pour sortir du bain, et après avoir revêtu un peignoir, il alla récupérer le verre de vin à qui il devait bien faire un sort, finalement.

Kasha, de son côté, ne semblait pas vraiment savoir où se mettre suite à son dernier compliment, et Rhis esquissa un sourire, alors qu’il s’asseyait sur un des sièges à leur disposition, pas trop loin de la jeune femme. Peut-être valait-il mieux changer de sujet pour la mettre plus à l’aise.

- Vous avez des plans particuliers pour cette saison ? Des quêtes en particulier que vous comptez accepter ? Ou d’autres coins que vous allez explorer ?

Etant aventurière, Kasha pouvait avoir mille et une possibilités, et il était curieux de savoir ce qu’elle comptait faire prochainement.

Une rupture du contact visuel annulait tout... Kasha hocha la tête. Encore une fois, ça ressemblait à sa propre situation.

- Nous avons visiblement beaucoup en commun, commenta-t-elle simplement.

Retour au "jeu"... Les incompréhensions se succédaient visiblement. Hochant négativement la tête, elle rétablit la vérité, du moins, elle l'espérait :

- Non... C'était d'autres questions pour cette petite partie de devinettes. Mais maintenant que j'ai la réponse, ça ne sert plus à rien.

Elle laissa passer un moment, perdue dans ses pensées, avant de lâcher :

- Mais j'aurai très probablement bientôt beaucoup de questions. Vous savez déjà presque tout de moi, il serait temps d'équilibrer tout ça, très cher !

Son expression taquine était revenue. C'était vrai, après tout, elle se doutait qu'elle n'en aurait jamais assez et voudrait toujours en apprendre plus à son sujet... Une curiosité qui lui faisait presque peur, d'ailleurs. Cela la mènerait-elle à devenir indiscrète ? D'un autre côté, elle se doutait qu'il ne lui donnerait pas d'information sensible, ou qu'il ne voulait pas lui donner. Elle était déchirée entre, d'un côté, une intense curiosité, et, de l'autre, la peur de le braquer en en demandant trop... D'un autre côté...

- Mais vous venez de m'autoriser à vous poser des questions, n'est-ce pas ? Même si ce ne sont pas celles auxquelles je pensais ?

Elle voulait de nouveau jouer avec lui, peut-être également avec la limite de ce qu'il voudrait bien lui dire, mais aucune question précise ne lui venait à l'esprit. Alors, simplement, affichant une expression indéchiffrable, pouvant à la fois être vue comme joueuse, sérieuse ou toute autre nuance entre les deux, elle déclara :

- Vous en savez beaucoup sur moi, et je n'ai pas l'impression que ce soit réciproque. Alors, racontez-moi. Qui est cet homme que j'ai face à moi, que je crois connaître, sans vraiment en être certaine ? Racontez-moi votre vie, votre histoire, ce que vous voulez, en fait. Mais juste, quelque chose. Que je ne sais pas encore, de préférence. Et que vous voulez bien me dire, évidemment.

Bon, d'accord, ce n'était pas une question. Mais c'était une demande. C'était la même chose, non ?

Puis vint un sujet... Pas épineux, non... Mais difficile. Le sujet de la confiance... La difficulté n'était pas liée au fait qu'elle ne veuille pas en parler ou quoi que ce soit, non... Mais au fait qu'elle avait déjà fait ce que, visiblement, il le voulait pas.

- Ne pas vous faire aveuglément confiance ?

Comment dire... ? Eh bien, elle continuerait sur le même ton que précédemment. Légèrement joueuse, légèrement sérieuse, et toujours amicale :

- Trop tard. Il n'y a peut-être que Jack qui a plus ma confiance que vous, mais puisque cela fait des années que je ne l'ai pas vu...

Puis, taquine, elle ajouta :

- Et pourquoi donc ne vous ferais-je pas confiance ? Vous n'êtes pas un criminel, sans quoi, jamais la royauté ne vous accepterait à ses côtés. Et si j'ai choisi de me fier à vous, vous ne pouvez rien y faire !

En réalité, si. Il pourrait très bien lui prouver qu'il n'était pas digne de confiance, si toutefois c'était le cas. Mais simplement lui demander de lui faire moins confiance... Non, ça ne marcherait pas. D'ailleurs... :

- Vous savez... Une telle demande ne me pousse qu'à me fier encore plus à vous. Quelqu'un qui voudrait se servir de moi voudrait absolument ma confiance. Donc vous me prouvez que j'ai eu raison de vous choisir comme... De vous faire confiance. Voilà.

Bon, d'accord, cette conclusion était maladroite, elle l'admettait sans peine. Mais, d'un autre côté, que répondrait-elle si on lui demandait qui était Rhis pour elle ? Elle auraitété bien en peine de répondre. Et c'est ce qu'elle venait involontairement de lui prouver. D'un autre côté, peu lui importait. Qu'il le sache ou non ne changerait pas grand-chose à leur relation, elle en était presque certaine.

- Et puis, je n'ai pas spécialement envie de vous cacher quoi que ce soit, ajouta-t-elle, mimant une enfant boudeuse.

Mais c'était vrai. Même Jack ignorait l'identité de ses avatars, par exemple. Rhis était sans équivoque la personne qui en savait le plus à son sujet. Et qui pourrait donc la trahir avec le plus de facilité... Elle chassa bien vite cette pensée. Si elle choisissait de se fier à lui, cela signifiait aussi qu'elle choisissait de partir du principe qu'il ne la trahirait pas. À tort ou à raison ? Seul l'avenir le dirait.

Il lui offrit une échappatoire salutaire en embrayant sur son pouvoir. Elle sourit, avant de préciser :

- Je n'ai jamais dit que je ne voulais pas que vous l'utilisiez. Simplement... C'est juste préférable que ce ne soit pas pour me prendre en traître, c'est tout.

Si sa dernière phrase pouvait paraître plus sérieuse, c'était surtout parce qu'elle commençait à réfléchir à la suite, à ce qu'elle voudrait lui confier silencieusement.

Chose qu'elle regretta rapidement. Evidemment, elle aurait dû s'y attendre. Mais ce n'était pas le cas, c'est pourquoi l'avalanche de questions qui suivit la prit de court. Sans le vouloir, elle devint plus froide lorsqu'elle lâcha :

- Je ne sais pas. Et je ne veux probablement pas savoir.

Le commentaire qui suivit sur l'Empyrée la fit réfléchir. Presque sans s'en rendre compte, elle finit par réfléchir à voix haute :

- Moui... Aller là-bas, me renseigner là-bas... Bien sûr, c'est dans mes cordes, mais... Si je me fais prendre, ça risque d'envenimer les relations entre nos deux pays. Et je ne suis pas sûre de vouloir prendre un tel risque...

Puis, reportant son regard, qui avait de nouveau glissé ailleurs, vers lui, elle termina sur une remarque moitié amère, moitié plaisantante :

- Vous imaginez, si je suis la cause d'une guerre ?

Puis, involontairement, elle laissa échapper :

- Vous risqueriez d'être déçu de moi, et je ne me le pardonnerais jamais...

La tirade qui suivit lui fit hocher la tête. Au moins, il ne perdait pas de vue ses objectifs. Un bon point pour lui. Et, lorsqu'une nouvelle avalanche de questions tomba, cette fois au sujet des nobles, Kasha pouffa, amusée. Avant de répondre, elle justifia donc cette réaction :

- Dites donc, j'avais peur de vous importuner en étant trop curieuse, mais, visiblement, vous l'êtes aussi, j'aurai moins de réserve pour vous poser des questions à l'avenir, alors !

Puis, reprenant légèrement son sérieux, elle répondit :

- Règles ? Bienséance ? Normes ? Tout, en fait.

C'était le mode de vie noble dans son ensemble qui lui semblait trop incompatible avec elle. Certes, lorsqu'elle incarnait Victoria, elle était bien obligée de se fondre dans le moule, mais c'était temporaire, donc elle pouvait s'y résoudre. Mais rester longtemps dans ce contexte ? Le pourrait-elle ? Elle n'en avait aucune idée. Elle était déjà restée plusieurs jours de suite sous la même couverture, mais à ce moment-là, elle avait une alliée, avec qui elle pouvait se comporter normalement, lorsqu'il n'y avait aucun témoin, évidemment. D'un autre côté... Rhis lui-même pourrait peut-être jouer ce rôle, si jamais le scénario dont il parlait se réalisait. Evidemment, il faudrait également créer une histoire qui justifierait qu'elle passe le plus clair de son temps avec lui, mais elle estimait avoir encore le temps avant de lui en parler.

Cependant, un détail la fit tiquer. Alors, le plus naturellement du monde, elle chercha à en savoir plus :

- Et pourquoi donc ne me conseillez-vous pas d'incarner Victoria ?

Aucun jugement, et encore moins de mépris, dans sa voix, à ce moment. Elle cherchait simplement à comprendre. Même si, en y réfléchissant, elle n'aurait probablement pas besoin d'incarner qui que ce soit d'autre qu'elle-même, les aventuriers semblant être bien placés pour être demandés lors de ces fameuses expéditions chez leurs voisins. Mais quoi qu'il en soit, elle était curieuse d'entendre le point de vue et l'avis de Rhis à ce sujet. Il avait déjà commencé à les lui donner, qu'il continue, donc !

"La soirée n'est pas finie"... Kasha se sentit d'humeur joueuse :

- Ah, vraiment ? Quel est le nouveau défi, dans ce cas ?

Un petit rire cristallin se fit entendre, avant qu'elle ajoute malicieusement :

- C'est vous qui choisissez l'épreuve et les règles, alors, c'est une occasion rêvée pour vous de vous arranger pour gagner !

En effet, quel serait l'intérêt d'un jeu sans challenge ? Si l'adversaire ne gagnait aucune manche, le jeu devenait vite ennuyeux... Et puis, elle devait bien admettre qu'apprendre l'un des points forts de l'homme l'intéressait. Après tout, c'était une information comme une autre... Obtenue de manière bienveillante et détendue, ce qui lui donnerait encore plus de valeur.

La remarque qui suivit fut... Kasha ne savait pas comment la définir. Elle doutait qu'elle soit complètement innocente. L'homme voulait visiblement la mettre en difficulté, et il réussit. Cessant de le regarder, elle lui tourna carrément le dos, qu'il ne la voie pas rougir encore plus. Même si cette précaution fut visiblement inutile, car elle-même entendit le tremblement dans sa voix lorsqu'elle répondit... Ou plutôt, tenta de répondre.

- Euh, je... Euh...

Encore une réponse complètement inutile.

Elle avait chaud, d'un coup. Alors, elle s'immergea, ce qui eut le double avantage de la rafraîchir et de l'éloigner un moment de l'homme.

Elle resta un moment dans l'eau, tentant de se vider la tête. Lorsqu'enfin elle put reprendre ses esprits, ou du moins, qu'elle pensa y être arrivée, elle revint vers lui... Et c'est alors que sa dernière phrase lui revint en tête. Encore. Bon. Visiblement, l'eau ne suffisait pas. Elle se sentit de nouveau rougir, mais savait qu'elle ne pouvait rien y faire. Soupirant, n'osant pas le regarder, elle s'accouda au rebord du bassin, et lança, tentant tant bien que mal de prendre un air boudeur, ce qui devait faire un curieux mélange au niveau de son visage : moue indéterminée, joues rouge, regard fuyant...

- Vous devez bien rigoler...

Bon, Kasha, respire. Il ne s'est probablement pas rendu compte de ce qu'il faisait, il faut que tu sauves les apparences. Oui, enfin, si c'était encore possible. Rien n'était moins sûr.

Il ne se voyait pas comme son supérieur ? Et il faisait écho à une réflexion qu'elle s'était faite plus tôt, comme quoi il était humain, et caetera.

- Dites, vous n'auriez pas sondé mes pensées, plus tôt ? Je me suis aussi fait la réflexion que vous êtes humain... Mais un humain qui passe son temps dans les plus hautes sphères du Royaume, un humain que je n'aurais normalement jamais pu ne serait-ce que rêver de rencontrer...

Elle se tut. Un mot de trop pourrait très vite sortir...

Finalement, elle se contenta de soupirer :

- Bref. Je ne sais pas ce qu'il faut que vous disiez pour que j'arrive à vous considérer comme accessible, honnêtement.

La remarque suivante lui sembla étrangement bien plus facile à intégrer. Elle était simplement libre dans sa manière de s'adresser à lui. Avec un sourire en coin, elle lâcha son verdict :

- Très bien. Donc ce sera Rhis et vouvoiement. Et je vous retourne le compliment, faites comme vous l'entendez avec moi également.

Puis il s'éloigna. Alors, elle put enfin respirer. Dans une tentative de calmer son esprit en ébullition, elle repartit en arrière sur l'eau, faisant la planche alors qu'elle se vidait la tête et les poumons, avant de respirer calmement, concentrée sur son souffle. Au bout de quelques minutes, elle put rejoindre le bord, l'esprit apaisé.

Une fois de plus, elle s'accouda au rebord et observa une fois de plus son compagnon, chercha à analyser son sourire, avant d'enfin réfléchir à sa question.

- Voyons... Pour ce qui est des quêtes, honnêtement, je ne sais pas encore ce qui est disponible, je... Hem.

Un nouveau raclement de gorge gêné. Elle venait de se souvenir que la Guilde ne savait pas où elle était.

- Euh, honnêtement... Il va déjà falloir que je réapparaisse aux yeux de la Guilde, ensuite, on verra.

Une fois de plus, elle détourna le regard. Que penserait-il d'elle, maintenant qu'il savait qu'elle avait menti à son employeur ? Enfin, techniquement, elle n'avait pas menti... Elle avait purement et simplement disparu. Elle se maudit. Peut-être que, si elle voulait lui laisser une impression positive, elle devrait en effet cesser d'être honnête absolument tout le temps... Certaines vérités n'étaient pas focément bonnes à dire, elle était censée le savoir.

Enfin. Elle avait d'autres choses à lui dire en réponse à cette question. Reposant les yeux sur lui, elle poursuivit comme si de rien n'était :

- Sinon... Dernièrement, j'ai créé un nouvel avatar, une personne qui aime le Village Perché, il faudrait donc que j'y aille, histoire de pouvoir être cohérente en l'incarnan. Et j'aimerais bien adopter un familier, un jour, aussi.

Elle se prit alors à rêver. À quoi ressemblerait ce fameux familier ? Elle avait entendu parler de la magie mystérieuse qui liait certains humains à ces animaux. Aurait-elle la chance de faire partie de ces élus ? Elle était presque certaine que oui. Après tout, elle appréciait les animaux. Il y en aurait bien un, parmi tous ceux arpentant les terres d'Aryon, qui voudrait bien d'elle, non ?

Elle réalisa alors que, pendant qu'elle rêvassait, elle avait dérivé. En quelques brasses, elle rejoignit donc son bord de bassin, avant de retourner la question à son partenaire du jour :

- Et vous ? Des projets autres que l'Empyrée ?

Elle était presque certaine que ce voisin occupait toutes les consciences, là-haut, dans les hautes sphères, mais elle ne perdait rien à poser la question, n'est-ce pas ?

Leur conversation continuait, mine de rien. Kasha avait vu juste quand elle remarqua qu’ils avaient quelques points communs. Pour leurs pouvoirs, ce n’était pas tellement surprenant puisqu’ils entraient tous deux dans la même catégorie. Rhis comme l’aventurière avaient besoin de se concentrer, d’avoir une cible et de ne pas la lâcher des yeux ; par contre, leurs symptômes en cas de forte utilisation différaient quelque peu.

Leur jeu de devinette aurait pu s’arrêter là, puisque la demoiselle avait trouvé quelles étaient les facultés de l’espion, mais comme il lui avait indirectement tendu une perche, elle en profita pour souligner que Rhis connaissait beaucoup de choses sur la jeune femme et que l’inverse n’était pas vrai. L’homme en avait bien conscience, il s’était fait lui-même cette réflexion quelques instant plus tôt, et il ne chercha donc pas à nier ces propos. Quant à ce qu’il allait lui dire… Ca, c’était une autre paire de manche, et le conseiller royal réagit d’abord aux dernières questions de la blondinette.  

- Vous pouvez me poser des question qui ne concerne pas mon pouvoir si vous voulez, oui, confirma le beau brun. A choisir, je préfère même que vous me les posiez maintenant que dans un lieu public. Mais je ne peux pas non plus promettre que je répondrais à toutes vos interrogations, sourit-il doucement.

Et il ne pouvait pas lui promettre qu’il ne lui mentirait pas non plus. Kasha pouvait se permettre d’être honnête avec Rhis, mais l’inverse n’était pas forcément vrai. Il suffisait qu’elle tombât sur lui alors qu’il était en pleine mission pour le roi et la reine : il n'aurait alors d'autres choix que de lui cacher ses vraies motivations. Et seule Lucy savait à quel point leur déesse s’amusait à les faire se rencontrer depuis deux saisons.

Cela étant dit, il y avait une différence entre mentir et cacher la vérité. Rhis pouvait jouer sur le deuxième tableau, au besoin, ce qui lui éviterait par ailleurs de trop la blesser. En outre, Kasha semblait assez intelligente pour deviner qu’elle ne pouvait pas tout savoir. Elle pourrait donc ne pas se formaliser si le protecteur royal protégeait ses secrets et s’il laissait autour de lui un certain pan de mystère.

Mais l’aventurière était maligne. Au lieu de lui poser une question, elle lui fit une demande assez vague et le laissa choisir ce qu’il voulait raconter. Rhis haussa donc un sourcil quand il écouta la fin de sa tirade. C’était un exercice autrement plus compliqué de raconter soi-même des parcelles de sa vie que de répondre à des questions bien précises. Mais d’autre part, cela lui laissait plus de liberté aussi.

- J’ai grandi à la capitale, commença Rhis. Dans une famille aimante, au demeurant, pas très riche, mais qui m’a enseigné de belles valeurs, malgré ma grande curiosité de l’époque. Je suis entré dans la garde, comme pas mal de monde, et j’y suis resté jusqu’à 16 ans. C’est là-bas que j’ai commencé à maîtriser l’escrime. Ensuite…

Ensuite, sa carrière avait radicalement changé d’option quand Undril était venu le trouver.

- J’ai pas mal fréquenté les milieux nobles, simplifia-t-il, au point que je me suis fait assez vite remarquer. J’ai obtenu une place au palais, jusqu’à obtenir le poste de conseiller royal. Ca, c’est pour mon parcours. Vous voulez des anecdotes plus croustillantes, ou vous en êtes satisfaite ? sourit-il.

Puis Rhis fit quand même remarquer à Kasha qu’elle ne devait pas lui faire aveuglément confiance, mais autant dire que cela tomba dans l’oreille d’un sourd, puisque, à demi-joueuse, elle déclara qu’elle lui faisait autant confiance qu’en son cousin, Jack. A cette parole, le beau brun ouvrit la bouche, la referma, regarda l’intéressée, puis soupira.

- Alors expliquez-moi une chose., fit-il de bonne grâce. Comment est-ce que j’ai fait pour obtenir à ce point votre confiance ? Il me semble que je n’ai rien fait de remarquable. Quand bien même, on peut plutôt dire que je vous ai mis des bâtons dans les pieds – au moins au théâtre – et lors du convoi marchand, nous ne nous sommes pas très fréquentés, remarqua l’espion.

Il y avait bien sûr eu cette rencontre à l’auberge, mais il s’était créé une fausse identité, sous le nom d’Alban : en quoi ça poussait à faire confiance à quelqu’un ?  

- Donc même si je suis flatté par votre confiance et que je l’apprécie, poursuivit Rhis avec un sourire léger, que diable ai-je fait pour que vous vous fiiez à moi ? J’ai une si bonne tête que ça ? demanda-t-il en blaguant à demi.

Quant au fait que la royauté l’avait choisi et que cela suffisait à lui faire confiance… C’était un bon point, il fallait l'avouer. Et Kasha ajouta même que la demande précédente du conseiller l’incitait à encore plus à se reposer sur le protecteur royal, si bien que ce dernier leva légèrement la main en signe de capitulation.

- D’accord, d’accord, j’abandonne. Vous marquez des points quand même.  

Et il n’avait pas réfléchi aussi loin aussi. Un léger rire sortit de ses lèvres lorsque la jeune femme lui affirma qu’elle ne voulait rien lui cacher aussi, avec une mine un peu boudeuse, qui donnait un air presque enfantin, de surcroît, et l’espion ne put s’empêcher de la taquiner sur ses dernières paroles.

- Est-ce que vous vous voudriez vraiment rien ne me cacher si je n’avais pas découverts vos avatars ? Il lui ménagea un temps de réponse, puis esquissa un sourire plus sérieux et sincère à la fois. Au moins, je sais que vous êtes honnête. De mon côté, c’est ça qui me permettra de vous faire confiance. Mais votre facilité à vous confier à quelqu’un est assez… impressionnante, je dois dire.

Peut-être était-elle elle-même un peu trop naïve ou trop spontanée. Kasha devrait sans doute un peu plus prudente à l’avenir, il n’y avait pas que des personnes bien intentionnées dans Aryon. Si elle prêtait foi trop rapidement à autrui, cela pourrait lui jouer de sales tours un jour ou l’autre.

Vint ensuite le sujet de son pouvoir… La jeune femme voulait que l’espion utilise son don parce qu’elle ne voulait pas être pris en traître, apparemment. Cela surprit un peu Rhis, mais cela voulait aussi dire que Kasha gardait certaines choses pour elle et l’aventurière n’avait pas envie que le conseiller les découvre à l’improviste. Soit… Ca pouvait se comprendre mais cela suscitait des questions, questions auxquelles l’aventurière n’avait pas envie de répondre, manifestement. Aussi, quand son attitude devint froide, l'homme aux yeux saphirs ne s’en formalisa pas tellement. C’était évident que c’était un sujet tabou pour la la blonde. Et si elle avait tout oublié volontairement, et bien… Ce n’était pas maintenant qu’elle allait en parler, c’était clair comme de l’eau de roche.

L’espion lâcha donc l’affaire en esquissant un geste qui se voulait apaisant.

- Comme vous voulez.

C’était une phrase un peu bateau, certes, mais c’était le meilleur moyen d’abandonner le sujet de manière un peu diplomatique.

Le sujet d’Empyrée fut ensuite abordé et Kasha lui confia ses craintes à propos de leur nouveau voisin. Une expression compréhensive apparut dans le regard de Rhis lorsqu’elle lui dit qu’elle ne voulait pas envenimer leur relation, mais quand elle lui déclara ensuite qu’elle pouvait peut-être être la cause d’une guerre, le protecteur royal intervint quand même.

- Ceux qui seront surtout dans le viseur d’Empyrée, ce seront le Prince, les ministres, et tous ceux qui représentent plus ou moins le couple royal et le pouvoir d’Aryon. Je doute qu’une aventurière à elle seule soit capable de créer une guerre, à moins que vous n’assassiniez quelqu’un ou que vous détruisiez un bien très précieux de leur royaume. Et puis, fit Rhis avec un léger ton plaisantin, si vous m’accompagnez, je ne veillerai sur vous et je vous empêcherai de faire trop de boulettes.

Quand Kasha avança qu’il serait déçu par son comportement, et qu’elle ne se pardonnerait jamais, Rhis haussa les épaules alors qu'il réfléchissait.

- Ca dépend. Si un Empyréen voulait profiter de vous et que vous le remettriez à sa place, je ne serais absolument pas déçu de votre comportement, par exemple. Il n’aurait eu que ce qu’il aurait mérité. On doit le respect à Empyrée, mais ils nous le doivent aussi. Et pour le moment, je ne leur fais pas confiance.

Il désirait des relations cordiales, mais il était aussi particulièrement méfiant.

- Donc ce n’est pas parce que vous pourriez commettre des impairs que je vous en voudrais, sourit-il. Si vous pouvez éviter, faites-le. Mais on en commettra bien à jour, d’un côté ou de l’autre, alors essayez juste d’être vous-mêmes et ce sera déjà bien.

La conversation dériva sur les nobles, et quand Kasha se moqua gentiment de toutes ses questions, l’espion royal eut un sourire presque narquois.

- Mon boulot, c’est de tout savoir, et je n’ai jamais dit que je n’étais pas curieux, observa-t-il avec un léger air espiègle. J’étais déjà comme ça durant mon enfance, après tout.

Quoi qu’il en soit, tout semblait rebuter Kasha dans le milieu des nobles, et quand elle lui demanda pourquoi Rhis lui conseillait de ne pas incarner Victoria, il lui fit sincèrement part de sa pensée.

- Si votre moi d’origine n’est pas à l’aise avec la noblesse, et que vous n’arrivez pas à faire fi de cela, votre identité de Victoria sera toujours plus bancale. En plus, il pourrait vous manquer des connaissances – sur l’étiquette, la bienséance, les grandes familles de l’aristocratie, et j’en passe –, qui pourrait attirer une attention malvenue à votre égard. Si vous n’êtes donc pas assez à l’aise pour tout cela, prenez plutôt l’identité de Lorena, ou tout simplement votre vraie identité d’aventurière, pour passer entre les mailles du filet. Vous paraîtrez peut-être pour une personne lambda, mais on ne fait pas forcément attention aux simples gens… Ce qui peut vous attirer pas mal d’informations.

Puis Kasha le défia pour qu’il trouve une nouvelle épreuve. A Rhis d’en définir les règles. L’homme resta un instant silencieux le temps de trouver une idée, puis il se tourna vers la jeune femme.

- Partons pour un jeu simple, alors. On dit une phrase et l’autre doit deviner si c’est vrai ou si c’est faux. Celui qui obtient trois points le premier gagne.

Cela permettrait de continuer ce jeu de découvertes d’une autre manière. Ils pourraient réagir aux propos de l’un ou l’autre (qu’ils marquent des points ou non) et cela resterait ludique en même temps. En plus, compte tenu de leur métier respectif – lui en tant qu’espion royal et elle en tant qu’informatrice de la Guilde – cela restait un très bon exercice. Discerner ce qui était vrai ou ce qui était faux pouvait être capital dans le cadre de leurs missions d’infiltration.

Rhis attendit l’accord de Kasha pour la forme, puis il reprit la parole.

- Je commence. Quand j’étais petit, j’ai mis un fromage puant dans la classe de mon école, à la veille de vacances scolaires. Quand on est rentré en cours, toute la salle puait à mort. Vrai ou faux ?

Un sourire malicieux était apparu sur les lèvres de l’espion. Il n’avait pas fait ça, mais son père, oui et il l’avait toujours raconté avec une immense fierté à son gamin. Avec la recommandation de ne pas refaire la même chose, évidemment…

L’aventurière lui demanda en tout cas l’autorisation de l’appeler par son prénom, et elle rougit quand elle lui donna elle-même la permission de l’appeler aussi de la sorte. Rhis pouvait donc l’appeler Kasha, mais il l’avait visiblement un peu trop taquinée, quand il lui avait dit qu’elle était mignonne lorsqu’elle rougissait. Résultat des courses, elle bégaya, devint rouge pivoine, et s’immergea en conséquence dans le bain qui leur était réservé.  Hum, avait-il était été un peu trop loin ? Ce n’était pas que le silence le dérangeait – d’ailleurs, la jeune femme revient s’adosser au bord du bassin après un temps – mais sa partenaire du jour avait le regard fuyant, les joues rouges et faisait presque la moue, comme si elle boudait. D’ailleurs, la demoiselle lui affirma à demi-mots qu’il devait bien rigoler et Rhis ne put s’empêcher d’embrayer.

- Je ne m’attendais pas à ce que je vous mette autant dans l’embarras, mais son sourire démentait tout sentiment de culpabilité. Donc oui, cela l’amusait bien. Ne me dites pas qu’on ne vous a jamais fait de compliments ? Vous n’avez jamais eu de prétendants jusqu’ici, que ce soit chez les aventuriers ou ailleurs ?    

Après tout, lui en avait vu, des dames et des dames, et aucune ne l’intéressait jusqu’ici.

- Sinon, poursuivit Rhis, ils ne savent pas ce qu’ils ratent, déclara-t-il en lui faisant un clin d’œil qui se voulait complice.

Puis, la conversation reprit, et toujours avec une mine un peu légère, le conseiller royal reprit la parole.

- Je suis un homme qui côtoie les plus hautes sphères du Royaume, c’est vrai. Mais qu’on naisse dans une couche royale ou dans le bas-peuple, on reste des hommes quand même. J’essaie de ne pas trop me croire sur un piédestal à cause de ma position car ça me desservirait sur tous les plans. En plus, celui qui croit savoir n’apprend plus.

Kasha lui fit ensuite savoir qu’elle l’appellerait par son prénom et qu’elle le vouvoirait, ce à quoi l’espion hocha simplement la tête avec un air affable.

- Je ferai de même également.    

Rhis sortit ensuite du bain, et il commença à siroter son verre tout en écoutant en coin la jeune femme. Il lui lança un regard un peu intrigué quand elle lui révéla qu’elle avait apparemment pris la poudre d’escampette du jour au lendemain, et il décida de l’interroger.

- C’est si grave que ça, de disparaître un temps ? Après tout, certes, vous dépendez de la Guilde, mais les aventuriers restent libres, non ? Si vous ne prenez pas de quêtes pour un temps, c’est votre affaire et vous n’avez tout simplement pas de rentrée d’argent ni de reconnaissance de la part de vos clients. Maintenant, je ne connais pas bien le système, donc je peux faire fausse route.

Quoi qu’il en soit, Kasha l’informa qu’elle avait créé un nouvel avatar et qu’elle devait aller au Village Perché pour le consolider. Rhis approuva bientôt d’un signe de tête pensif et il ne tarda pas à réagir.

- C’est vrai que plus vous aurez d’informations, plus vous aurez l’air convaincante. Cette région change pas mal de la Forteresse ou de la capitale. Ca n’a jamais été mon coin favori, même si j’ai beaucoup aimé m’y balader quand j’étais gosse. Et vous comptez prendre un familier ? releva le beau brun. Quelle genre d’animal vous intéresserait ?    

Bien entendu, la jeune femme lui renvoya l’ascenseur en lui demandant quels étaient ses projets à lui, hormis Empyrée, et Rhis esquissa un sourire.

- Je dois assister à un tournoi prochainement, qui sera centré sur l’escrime. J’espère y rencontrer de bons combattants, je me tâte encore pour voir si je vais y participer. Puis, je dois aller au Conservatoire avec deux jeunes nobles, pour les aider à assister un des patients qu’on va rencontrer là-bas. Ca les sortira de leur zone de confort, mais moi aussi je serai un peu dans l’inconnu, puisque ce sera la première fois que je ferai cette expérience. Je n’ai jamais été très savant en ce qui concerne le fonctionnement de la magie, voire des enchantements. Maintenant, ça ne me dérange pas de rendre service quand c’est possible… Vous avez déjà été à l’Archipel ?

Assis non loin du bassin, Rhis prit une gorgée de son verre tout en écoutant la réponse de Kasha. On pouvait dire que la soirée se passait bien, maintenant, et qu’ils étaient bien à l’aise l’un avec l’autre, désormais.

La Garde ? Vraiment ? Kasha ne l'avait jamais vu comme un garde... Presque sans s'en rendre compte, elle se mit à le dévisager, abasourdie. Tout ce qu'elle croyait savoir de lui était-il donc faux ? Referme la bouche, merlan frit ! Ah, oui. Bon, mis à part le fait que c'était très étrange de se faire insulter à l'intérieur de sa propre tête, encore une fois, c'était vrai. Elle devait se maîtriser.

- C'est... Déjà très... Enfin, j'ai énormément de questions. Je ne vous avais jamais vu comme un garde, honnêtement. Encore une fois, j'ai l'impression de ne pas vous connaître, alors que je le croyais. C'est... Perturbant.

Il lui proposait de lui en dire plus, et elle ne savait que répondre à cela. D'un côté, bien sûr qu'elle adorerait en savoir plus sur lui, mais... Cette dernière information était si difficile à intégrer, et, surtout, amenait tant de questionnements... Bien sûr, elle se doutait qu'il devait avoir ses raisons de ne pas lui en avaoir parlé, ou peut-être même qu'il pensait qu'elle le savait déjà, mais elle avait du mal à le cerner, désormais. Plissant les yeux alors qu'elle l'observait, elle laissa s'échapper quelques phrases :

- Plus je vous parle et moins j'ai l'impression de vous connaître. Qui êtes-vous, Rhis ?

Elle ne savait pas si cette question en était vraiment une, ou si elle était purement rhétorique. Par conséquent, elle ne lui en voudrait pas s'il choisissait de ne pas répondre... Elle préfèrerait clairement, d'ailleurs, qu'il refuse de répondre plutôt qu'il lui dise quelque chose qui la rendrait encore plus confuse.
Mais d'un autre côté... Cela lui donnait l'impression qu'elle ne saurait jamais tout à son sujet, et, autant que cela l'ennuyait et la perturbait, elle ne pouvait pas nier que sa curiosité s'en trouvait également éveillée. Elle ne savait plus trop ce qu'elle savait de lui ? Il lui faudrait donc plus d'informations, afin de pouvoir ranger toutes celles qu'elle avait déjà ! En effet, elle se trouvait probablement actuellement avec un puzzle dont il manquait une grande partie des pièces. Pas étonnant, dans ce cas, qu'elle ne comprenne pas ce qui les liait. L'élément indispensable était probablement encore hors de sa portée. À elle de se débrouiller pour l'obtenir. Mais comment faire, puisqu'elle ne voulait pas manipuler cet homme ? Il lui faudrait donc probablement s'attirer sa confiance, afin que les mots lui viennent naturellement. Forcer quelqu'un à se fier à vous, c'est une technique de manipulation, n'est-ce pas ? Mais à ce moment-là, Kasha ne le voyait pas ainsi. Elle ne voulait le forcer à rien. Simplement, elle laisserait leur relation évoluer, et verrait ce que cela donnerait. De toutes manières, elle doutait que l'avenir leur réserve quoi que ce soit de négatif. Après tout, le pire qui pourrait arriver serait de ne pas se revoir, non ? Dans cette éventualité, elle pourrait certainement s'en remettre.

Visiblement, il n'était pas le seul à l'avoir prise de court. Elle ne put se retenir de pouffer, tant leurs réactions étaient semblables. La question qui suivit lui fit l'effet d'un coup de poing. Bien joué. Là, elle ne savait pas répondre. Mais elle allait tout de même essayer.

- Ah mais je suis tout à fait d'accord. Vous avez posé exactement la bonne question, vous savez. Je ne sais pas répondre. Peut-être que c'est simplement le fait d'être vous ? Je ne sais pas vraiment l'expliquer, mais... C'est vrai que vous êtes la seule personne à qui je me suis fiée aussi vite.

Bon, il y avait aussi Nevaeh, mais c'était différent. Elle n'irait pas confier tous ses secrets à Nevaeh. Alors que Rhis... Elle ne le ferait pas d'elle-même, bien sûr, mais s'il le lui demandait, pourrait-elle refuser ?

Un sourire espiègle naquit sur ses lèvres lorsqu'il capitula.

- Encore ? Enfin, il va falloir se ressaisir, ce n'est pas drôle, de toujours gagner !

Puis, encore une fois, il posa la bonne question. Avec une moue résignée, elle se rapprocha de lui, puis soupira :

- Bon, vous m'avez percée à jour, vous avez maintenant un coup d'avance. Est-ce que j'ai vraiment besoin de répondre à ça ? Vous connaissez la réponse.

Evidemment, la réponse était non. S'il ne l'avait pas percée à jour, elle ne se serait probablement pas confiée à lui. Et encore, était-ce vraiment vrai ? Elle l'observa. La vraie question serait plutôt : dans quelles circonstances aurait-elle été capable de ne pas lui faire confiance ? Nouveau soupir. Puis elle corrigea :

- Non, en fait, après réflexion... Ce n'est même pas sûr. Je ne saurais pas l'expliquer, mais... Je ne sais pas.

Et pourtant, elle voulait l'expliquer, elle voulait lui donner une réponse, ou même se répondre à elle-même... D'un autre côté, pourquoi se casser la tête ?

- Autant dire... Vous avez entendu parler de l'intuition féminine ? Disons que c'est elle qui me dit que je peux parfaitement me fier à vous !

Oui, d'accord, c'était une parade un peu facile, mais, au moins, elle avait l'avantage de lui offrir une réponse, même si elle valait ce qu'elle valait.

Puis il embraya. Facilité à se fier à quelqu'un ? Oui, mais...

- Ah, euh attendez, hein ! Je ne me confie à personne ! Enfin, à part vous...

Elle avait baissé la voix sur la dernière phrase, réalisant ce qu'elle disait. Franchement, elle devrait vraiment apprendre à réfléchir avant de parler... enfin, avec lui, était-ce vraiment nécessaire, finalement ? Si elle lui semblait trop suspecte, il pourrait simplement aller chercher la réponse dans son esprit. Et elle ne se faisait pas d'illusions, elle se doutait qu'elle était très facile à lire, spécialement en cette soirée.

Quand vint le sujet de l'Empyrée, il trouva le moyen de la dérider. Assassiner ? Impossible. Détruire ?  Hum... Possible, mais seulement par maladresse. Et quand il embraya sur une plaisanterie au sujet de son propre rôle, elle ne put retenir une nouvelle pique :

- Et après ça, vous osez mettre en doute le fait que je vous fasse confiance ? Mais enfin, j'ai besoin de vous pour sauvegarder la paix, ça me semble évident !

En faisait-elle trop ? Certainement. Mais peu importait. En plaisanterie, tout était permis, n'est-ce pas ?

Puis il la surprit. Ah bon, il ne faisait pas confiance aux Empyréens ? Mais elle pensait qu'il voulait des relations d'amitié... Y aurait-il quelque chose qu'elle aurait mal compris ? Certainement. Mais elle n'avait pas envie de l'interroger à ce sujet. Et puis, peut-être que lui-même ne voudrait pas en parler. Quoi qu'il en soit, elle sourit, amusée, lorsqu'il lui conseilla d'éviter les boulettes. Il devait savoir, lui aussi, que c'était impossible, sinon, elles n'existeraient pas. Donc, cela ne pouvait être qu'une plaisanterie, et c'est donc ainsi qu'elle traita l'information.

- Être moi-même... C'est la personnalité numéro combien, ça ?

Puis elle éclata d'un rire franc. Oui, elle riait à sa propre blague, et alors ? Qu'y avait-il de mal à apprécier son propre humour ? Hum ? Egocentrique ? Non, seulement conscience de ses propres qualités.

Puis il lui fit une remarque qui l'intrigua. Son métier ? Tout savoir ?

- Oooh, ça m'intéresse, ça. Dites-m'en plus !

Néanmoins, elle garda dans un coin de la tête son côté curieux. Après tout, peut-être pourrait-elle s'en servir pour l'emmener avec elle dans une exploration, ou autre... Elle était en tous cas certaine qu'elle finirait par trouver une utilité à cette information.

Mais son attention fut vite requise par autre chose. Une réponse à sa propre question sur le fait qu'il lui déconseillait de se faire passer pour Victoria. Des arguments sensés, encore une fois. Mais lorsqu'il lui proposa d'incarner Lorena ou d'être elle-même, elle donna, le plus naturellement du monde, son avis :

- Si un jour je vais là-bas, je ne jouerai pas de rôle. J'ai besoin d'être dans un environnement un minimum familier pour pouvoir me concentrer sur mon rôle. Aryon, ça va. Empyrée, je ne sais pas comment ils vivent, là-bas, je ne prendrai pas le risque de tenter de tromper des personnes dont je ne connais pas la manière de penser. Mais ne pensez pas pour autant que je suis sans ressources, même en tant que Kasha !

Après tout, elle avait déjà mené des missions sans changer d'identité. Bon, évidemment, il ne s'agissait pas de missions d'infiltration, mais elle avait plusieurs cordes à son arc. Rhis n'avait pas pu la voir en action sous sa véritable identité, c'était vrai, mais elle tenait à ce qu'il ne la réduise pas à ses rôles. Elle savait faire d'autres choses.

Lorsqu'il réfléchit pour la nouvelle partie, Kasha l'observa, joueuse, mais aussi curieuse. Elle ne lui avait pas caché qu'elle lui donnait un avantage. S'en saisirait-il ? C'était une occasion rêvée pour lui, et elle n'était pas contre un peu de défi. Qu'allait-il pouvoir lui trouver ? Connaissait-il certaines de ses faiblesses, qu'il pourrait ainsi exploiter pour s'offrir une victoire facile ? Car oui, elle s'attendait à ce qu'il ne joue pas loyalement. Et elle en fut pour ses frais. Un jeu de vrai / faux ? Pas vraiment ce à quoi elle s'attendait... Il n'était pas possible de tricher, à ces jeux-là.

- Honnêtement, je m'attendez à ce que vous choisissiez quelque chose qui vous donnerait un avantage, ou dont les règles pourraient être truquées ou détournées... Je vous offre une chance de rattraper vos points de retard, vous ne la saisissez pas, Monsieur le trop honnête !

Toujours dans l'eau, elle se mit à lui tourner autour, imitant un requin, taquine. Puis elle retourna se poser face à lui.

- Enfin. Puisque c'est ce que vous voulez, jouons-le à la loyale. Je vous écoute.

La proposition la fit rire de bon coeur. Lorsqu'enfin elle reprit ses esprits, elle répondit, simplement, sans y mettre spécialement de formes :

- Je ne suis pas experte des enfants, loin de là, mais ça semble être quelque chose qu'ils pourraient faire. Donc je dirais vrai !

Puis ce fut à elle. Qu'allait-elle bien pouvoir lui raconter, et qu'il ne saurait pas déjà cataloguer comme vrai ou faux en se basant sur ce qu'il savait d'elle ? Ce serait compliqué, puisqu'il en savait beaucoup.

- Alors... Je suis une très bonne cuisinière ! Vrai ou faux ?

Elle y avait mis toute la fierté qu'elle pouvait mimer. En réalité, elle n'avait jamais essayé, mais se doutait qu'elle serait capable de se débrouiller. Mais elle était certaine de ne pas être "très bonne" dans ce domaine. Cependant, à elle de ne pas le montrer. Elle avait aidé une cuisinière, dans le passé. Une certaine Tessia... Autant imiter sa passion. Evidemment, elle n'imiterait pas son énergie, qui tenait plus de Lorena que de Kasha, mais elle pouvait s'inspirer.

Et, de nouveau, les taquineries... Galantes ? Elle avait du mal avec ce mot. Les joues encore roses, refusant toujours de le regarder dans les yeux, elle parvint néanmoins à aligner quelques mots :

- Je ne sais pas réagir aux compliments. Et, euh... En tous cas, à l'âge adulte, non. Ou alors, je ne l'ai pas vu comme ça...

Elle avait une fâcheuse tendance à ne pas remarquer l'évidence quand celle-ci ne l'intéressait pas. Et aucun homme ne l'avait intéressée de cette manière... Jusqu'à présent ? Non, impossible. Ou ne voulait-elle pas l'admettre ? Bref. Pensons à autre chose.

Puis il lui fit tout un argumentaire sur le thème "je ne suis pas mieux qu'un autre", ce qui lui apporta un rire libérateur :

- D'accord, d'accord, je vais essayer de voir plus loin que votre rang. Mais votre humilité vous honore, sachez-le.

Il la traiterait comme elle le traitait ? Cela lui semblait encore trop d'honneur, mais, puisqu'il était inutile de s'attarder encore là-dessus, elle se contenta de hocher la tête en signe d'assentiment.

Puis vinrent des questions sur la Guilde. Fermant un instant les yeux, elle se concentra pour récupérer toutes ses facultés mentales. Elle était la spécialiste de ce sujet, ici, il s'agissait de ne pas donner de fausse information. Qui sait, une erreur pourrait ternir la réputation de l'organisation, ce qu'elle ne pouvait se permettre.

Puis, lorsuqu'elle rouvrit les yeux, on pouvait y lire plus de sérénité, et elle était calme lorsqu'elle répondit :

- Ce que vous dites est vrai... En général. Mais, vous vous en doutez certainement, mon cas est particulier. Je suis la seule dans ma spécialité. Ce qui veut dire que dès qu'une mission dans mon domaine de compétence est disponible, c'est moi qui suis la première recherchée. Alors oui, il m'arrive de fuir. Mais... Autant dire qu'il y a un accord tacite entre la Guilde et moi. Je ne sais pas si elle a vraiment besoin de moi, mais moi, j'ai besoin d'elle. Ses membres savent que je reviendrai toujours. Et je m'égare, désolée.

Elle ne savait absolument pas si elle avait répondu à la question. Alors, elle sonda le regard de l'homme pour trouver sa réponse, tout en se doutant que, s'il lui manquait des informations, il les demanderait, tout simplement.

Puis il valida son projet d'aller au Village perché. Elle accepta la validation d'un signe de tête enjoué, avant de retrouver son sérieux. Quel familier ? Très bonne question...

- Quel animal ? Euh... Honnêtement, je n'en sais rien. Je les aime tous, vous savez. Pour autant, je n'en veux pas plusieurs. Je ne sais pas comment fonctionne le lien exactement, mais je suppose que je le saurai quand j'aurai trouvé le bon...

Elle ne voulait pas trop y penser. Elle se connaissait, si elle réfléchissait, elle risquait de s'imaginer avec toute une ménagerie. Cependant, elle savait que cela serait impossible à gérer. Un seul lui conviendrait.

Puis il lui parla de ses projets. Un tournoi... Elle réagit avec une moue appréciatrice.

- Je serais curieuse de vous voir dans un tournoi. Je pense que c'est ça, votre élément. Si je veux vous voir briller, je suppose que je devrai m'arranger pour être présente ? Et vous devez participer, évidemment.

Bien sûr, elle plaisantait sur le fait de s'y rendre. N'étant pas combattante, elle n'avait aucun doute sur le fait qu'elle ne serait pas acceptée. Et puis, elle pouvait aussi le laisser vivre sa vie sans elle... Même si elle devait bien s'avouer qu'à présent, elle avait envie de le voir, sa lame à la main, dans un combat amical. Une fois de plus, elle se prit à rêver, tentant d'imaginer à quel point il aurait fière allure...

Soudainement, elle revint à la réalité. Mais à quoi pensait-elle, à la fin ? Il ne manquerait plus qu'il ait remarqué son moment d'absence ! Elle en mourrait de honte !

Des nobles ? De la magie ? Elle avait un peu de mal à le suivre, mais elle mit ça sur le compte de sa rêverie, qui, peut-être, ne s'était pas encore totalement dissipée.

Néanmoins, elle put parfaitement entendre sa question. L'Archipel ? Encore une zone qu'il lui restait à explorer...

- Non... Même si ce serait probablement intéressant d'aller y nager, il faudrait que je prévoie ça, un jour...

Puis, finalement, elle sortit du bain, pour aller s'enrouler dans la serviette qu'elle avait apportée, et qui lui prodigua une sensation agréable.

- L'eau a beau être chauffée, à la longue, on finit par se sentir... Euh... Mouillé, dedans !

Elle rit de bon coeur, s'attendant à ce qu'il la suive. Bien sûr, ce n'était pas ce qu'elle avait voulu dire, mais elle avait dû improviser. En effet, elle voulait mentionner le froid qui s'infiltrait lorsque l'on restait trop longtemps dans l'eau, mais ce bain était chauffé à une perfection telle que non, elle n'avait pas froid.

A peine eut-il parlé de lui-même que Rhis eut l’impression de perdre Kasha, et l’homme lui lança un regard interrogateur. Pourquoi le dévisageait-elle d’un air si surpris ? La jeune femme avait même entrouvert la bouche, et l’espion ne comprenait pas ce qu’il avait dit de si incongru.  L’aventurière lui fit alors part qu’elle avait énormément de questions et qu’elle ne l’avait jamais vu comme un garde, ce qui fit sourire le principal concerné.

- Disons que je ne suis pas resté longtemps dans la Garde classique, et que je me suis converti en… conseiller très rapidement. Pas directement auprès du couple royal, bien sûr, mais comme je me suis fait assez tôt remarquer par la noblesse, ça a quelque peu modifié ma carrière.

Cela semblait cependant ne pas suffire à Kasha, puisqu’elle plissa des yeux et qu’elle affirma de moins en moins le connaître. En soi, ce n’était pas tout à fait vrai du point de vue de Rhis. Elle apprenait à en savoir plus petit à petit, mais il ne pouvait pas lui parler de son rôle en tant qu’espion. C’était sans conteste cela qui mettait pour l’heure une barrière entre eux deux. Cela étant dit, il pouvait la laisser découvrir qui était le conseiller royal, cela oui… Mais en serait-elle seulement satisfaite ? La demoiselle était curieuse et ne serait pas forcément facile à berner s’ils en venaient à se côtoyer durant certaines de ses missions comme celle de la Forteresse.  

- Je ne suis rien de moins que Rhis Dolamn, luit fit-il avec un sourire en coin. Si vous voulez en savoir plus sur moi, il va falloir le découvrir, continua-t-il d’un ton taquin.

L’homme demanda ensuite à sa partenaire du jour pourquoi elle lui faisait confiance, ou plutôt pourquoi elle s’était si vite fiée à lui en un si court laps de temps. Et elle… ne répondit pas. Parce qu’elle ne savait pas répondre. Plutôt original comme situation, non ?

D’autre part, Rhis ne se serait jamais moqué d’elle pour cette raison et quand elle lui argua finalement que l’intuition féminine l’avait guidée, il rit légèrement.

- Je vais donc me contenter de cette réponse. Mais ça me rassure que vous ne donniez pas votre confiance à tout le monde, sinon, je m’inquièterai pour vous.  

Rhis entra ensuite dans son jeu quand Kasha suggéra qu’elle avait absolument besoin de lui pour maintenir la paix en Empyrée.

- Mon aide sera primordiale, à ce que je vois ! Mais bon, tant qu’on reste chacun poli et qu’on se maîtrise… Ca devrait aller… Je suppose.

Il fallait voir quel était leur culture, leurs mœurs, et surtout qui serait leur interlocuteur. Mais Rhis ne voulait pas aborder le sujet maintenant, à défaut d’être trop nébuleux. Ils verraient bien sur place. Plus important, la demoiselle ne cacha pas sa curiosité lorsqu’il affirma que son boulot était de tout savoir, et l’homme déposa son verre de vin, désormais vide, pendant qu’il lui répondait.

- En tant que conseiller royal, plus j’en sais, plus je peux conseiller les souverains et le gouvernement, expliqua-t-il simplement. Je dois savoir me renseigner efficacement pour dresser un portrait de la situation géopolitique, et aussi rester au courant des différents problèmes que peuvent encourir la noblesse ou la population. Dans le premier cas, je peux peut-être les aider plus ou moins directement, dans le second, je peux tout du moins adresser des rapports au couple royal ou aux ministres. Si vous voulez, simplifia-t-il, je suis un peu comme vous, un informateur qui doit  faire des rapports à la guilde. Au détail près que c’est dans un autre milieu. Et puis, il me faut agir au mieux pour aider le roi et la reine.

L’espion ne tarda ensuite pas à donner son point de vue sur Victoria, et quand il lui suggéra de prendre plutôt le rôle de Lorena, Kasha lui fit aussitôt part qu’elle ne jouerait aucun rôle, et il manifesta son accord par un hochement de tête.

- C’est certainement plus sûr. Même en étant nous-mêmes, sans jouer aucun rôle, on marchera sûrement sur des œufs, donc mieux vaut être le plus proche possible de la vérité… Ce qui ne veut bien sûr pas pour autant dire qu’on devra toujours jouer franc-jeu, loin de là.

Mais encore une fois, tout cela était réservé à l’avenir, et il se prit à la taquiner un peu alors qu’il entrait de nouveau dans le bassin.

- De toute façon, même en étant vous-mêmes, je suis sûr que vous pourrez improviser si besoin est ! Et même à me suivre, si vous vous rendez compte que je mens un peu ou que j’invente des choses pas forcément véridiques.

Il était curieux d’avoir sa réponse, tiens. Est-ce qu’elle se sentirait à même de jouer son jeu même dans un pays étranger ? Aux yeux de Rhis, il était plus que probable qu’il mente à un moment donné, soit pour ne pas trop en dire sur Aryon, soit pour agir plus librement par la suite. Et la demoiselle s’en rendrait peut-être bien compte, si elle était à ses côtés.

Puis, vint leur petit jeu et Kasha observa qu’il était trop honnête, ce qui fit rire Rhis. Lui, honnête ? La bonne blague. Il mentait généralement sans aucune vergogne, et si les règles ne pouvaient pas être truquées, ce jeu n’en était pas moins difficile.

- Vous préfériez une bataille d’eau ? lança-t-il. Dans ce cas-là, j’aurais gagné à coup sûr.

Bon, ce n’était pas garanti, évidemment, mais un peu d’arrogance ne faisait jamais de mal non ?  De toute façon, le jeu était lancé et l’homme eut un sourire quand elle affirma que ce qu’il avait raconté été vrai.

- C’est faux, dans le sens où ce n’est pas moi qui ai fait cette farce mais mon père. Il paraît qu’il a eu l’engueulade de sa vie, à ce moment-là. Et c’était peut-être mérité, d’ailleurs, mais il n’a jamais vraiment regretté sa bêtise… Il en parlait avec trop de fierté pour culpabiliser, je dois dire.

Puis ce fut au tour de Kasha, et Rhis la dévisagea légèrement lorsqu’elle proposa qu’elle était une bonne cuisinière… Hum… Est-ce qu’il l’avait vue aux fourneaux durant le convoi marchand ? Pas particulièrement, mais on ne pouvait pas dire qu’ils se côtoyaient beaucoup, à ce moment-là. A l’auberge, elle avait commandé un plat, mais c’était normal, puisqu’ils n’habitaient pas à la Forteresse… Quant à sa vie d’aventurière… Est-ce que la Guilde avait une cantine à partir de laquelle ils pouvaient commander des repas ?

- Je dirais faux, mais c’est une question de chance, vous pourriez très bien être bonne cuisinière également. Je pars du principe que vous avez votre logement à la Guilde… Et que vous pouvez donc avoir quelques facilités. Sans compter qu’on est à la capitale. Les endroits où se restaurer ne manquent pas. Et personnellement, je choisis souvent la voie de la facilité, avoua le conseiller avec l’ombre d’un sourire.

Il savait cuisiner, mais de manière pragmatique. Il n’était pas là pour faire un repas gastronomique, le chef du palais était là pour ça. Son objectif, c’était plutôt de savoir se sustenter correctement quand il était en mission pour le roi ou la reine.

C’était à son tour, en tout cas, et Rhis opta pour quelque chose de simple :

- J’ai déjà été à la Ville aquatique une fois dans ma vie.    

Ce qui était faux, il n’avait pas eu l’occasion d’aller si loin.

Quoi qu’il soit, Kasha ne savait pas réagir aux compliments. C’était au moins une chose parfaitement claire. Maintenant, laissait-il tomber ou est-ce qu’il la laissait tranquille, au contraire ?

- Vous devriez apprendre à en recevoir, alors, lui fit-il en ébouriffant très légèrement ses cheveux avec sa main droite.

Mais il n’insista pas longtemps et écouta plutôt la jeune femme lui raconter qu’elle était la seule spécialiste de la Guilde dans sa branche. L’espion pouvait donc facilement concevoir que l’aventurière soit régulièrement demandée, ou qu’elle devait tout du moins être disponible pour la Guilde.  Apparemment, surtout, la demoiselle était très attachée à l’organisation qui protégeait les aventuriers, et il ne pouvait lui en tenir rancune. En tant qu’espion royal, il avait moins eu de contact avec les autres espions, mais ceux-ci étaient fort connectés les uns les autres et une affection plus ou moins sincère les unissait généralement tous.

- Je comprends le principe, fit simplement Rhis. Et en dehors de votre accord tacite, je suppose que la Guilde vous sert un peu de phare ou de repère. Mais bon, dans tous les cas, j’espère que vous ne regrettez pas votre excursion à la Forteresse quand même, fit-il d’un ton plus léger. A moins que je n’aie été insupportable jusqu’ici ? blagua-t-il en lui faisant un clin d’œil.

Kasha aborda enfin le thème d’un familier, et l’espion l’écouta avec intérêt.

- De mon côté, je ne suis pas sûr que j’en prendrai un un jour. A moins que Lucy ne se joue de moi, je préfère garder mon intimité pour le moment. Par contre, si vous vous en procurez un, je serai intéressé de voir comment ça se passe. Il paraît que chaque lien est unique entre le familier et son propriétaire.

Très certainement parce que chaque caractère était différent les uns des autres. Quoi qu’il en soit, ce fut au tour de Rhis de parler, et quand il lui révéla qu’il devait organiser un tournoi, l’aventurière ne put cacher son appréciation ni son envie d’être présente.

- Les invitations ont déjà été envoyées, et elles ne s’adressent malheureusement qu’aux maisons nobles, puisque c’est un événement sponsorisé par la Royauté, sourit-il. Mais si d’autres occasions se présentent, peut-être aurez-vous l’occasion de me voir utiliser mon sabre. De toute façon, il ne me quitte jamais vraiment et si on continue à se voir régulièrement, comme Lucy semble l’apprécier, vous me verrez peut-être à l’oeuvre un jour ou l’autre.    

Il espérait juste que ce serait dans le cadre d’une compétition amicale et pas dans d’autres circonstances, où leur vie serait peut-être mise en danger.

En tout cas, Rhis continua à raconter se projets, et il ne se rendit pas directement compte que Kasha avait les yeux dans le vague. Ce n’est que lorsqu’elle répondit de manière un peu distraite à sa réponse à l’Archipel qu’il lui adressa un regard un peu curieux.

- A quoi est-ce que vous pensez ? lui demanda-t-il simplement.

Puis, il regarda la demoiselle sortir, et un sourire espiègle naquit bientôt sur son visage.

- J’espère bien que vous êtes mouillées en sortant d’un bain, la taquina-t-il alors qu’il se dirigeait lui aussi vers la sortie du bain et qu’il se revêtait de son peignoir. Puis, il relança la conversation. Alors, verdict de la soirée ? Que pensez-vous de ces fameux bains si célèbres de la Forteresse ?

Il la laissa répondre, puis regarda la porte d'un air pensif.

- J'ai entendu dire qu'il y avait une échoppe dans le complexe thermal, pour restaurer les visiteurs. Ca vous intéresse d'y faire un tour ?

Elle avait noté l'hésitation dans sa réponse. Refermant la bouche, elle se creusa la tête un moment. N'était-il pas vraiement conseiller ? Non, c'était impossible, outre le fait qu'il serait très risqué de mentir à ce sujet, elle savait qu'il l'était réellement. Finalement, elle se dit que lui ne s'était pas gêné pour la taquiner sur le sujet qui était probablement celui qui la mettait mal à l'aise le plus aisément, donc elle se permit une revanche :

- Vous avez hésité...

Tout simple. Mais très efficace... Si elle avait visé juste, ce qui n'était pas garanti.

Néanmoins, il lui fit une offre qu'elle ne pouvait laisser passer. Découvrir qui il était ? Ce fut avec un peu trop d'enthousiasme à son goût qu'elle renchérit :

- Très bien ! Je relève le défi ! Je pense donc que vous ne verrez pas d'inconvénient au fait que je vous accompagne absolument partout en prenant des notes ?

Ce serait évidemment le meilleur moyen de savoir qui il était... Et c'était tout aussi évidemment une taquinerie. Elle n'oserait jamais l'accompagner dans toutes les facettes de sa vie... Il avait tout de même droit à une certaine intimité... Ce qui semblait être une denrée rare chez les nobles.

Ne pas donner sa confiance à tout le monde ? Mais cela allait de soi ! Alors, pour la première fois depuis un moment, peut-être même depuis qu'il était entré dans la pièce, elle fut totalement sérieuse :

- Ecoutez. C'est mon métier de mentir. Tout le temps, à tout le monde. Si je n'attends pas qu'on me fasse confiance, je sais aussi choisir les personnes à qui j'accorde la mienne. Et, honnêtement, je ne pensais pas qu'une de ces personnes pourrait ne pas faire partie de la Guilde. Vous êtes une insulte à tous mes principes, très cher !

Elle n'avait pas pu s'en empêcher. Sa dernière phrase avait fini par être une nouvelle plaisanterie.

Elle se contenta d'un hochement de tête à son commentaire sur l'Empyrée. La "prophétie" de l'homme se réaliserait-elle réellement ? Se retrouveraient-ils dans ce nouveau pays ? Elle était à la fois curieuse et terrifiée à cette idée... Ce qui faisait un étrange mélange.

Et le voilà qui lui faisait un exposé sur le thème : "pourquoi est-ce que je dois tout savoir". D'accord, c'était elle qui le lui avait demandé, mais ne pouvait-il pas parler moins et, surtout, avec moins de termes techniques ? Néanmoins, elle ne fit pas de commentaire. Lorsqu'il se compara à elle, étrangement, elle ne trouva pas comment réagir. Pourquoi donc ? Elle savait qu'il avait raison. Selon ce qu'il lui disait, ils faisaient effectivement plus ou moins la même chose, dans des contextes différents, évidemment. Alors, elle se contenta de lâcher, pensive :

- D'accord...

Elle l'écouta continuer, et lorsqu'il mentionna la possibilité de le suivre dans un éventuel mensonge, un sourire attendri naquit sur ses lèvres lorsqu'elle se remémora la Forteresse.

- Aucun problème. Si vous vous souvenez bien, je l'ai déjà fait. Même s'il est vrai qu'aujourd'hui, entrer dans votre jeu aura... Une toute autre dimension.

Elle avait baissé la voix sur la fin. Oui, à l'époque, elle ne le connaissait pour ainsi dire pas. À présent... Il y avait moyen de vraiment s'amuser s'ils lançait le même type de situation qu'à ce moment. Sans compter que le fait d'être peut-être la seule dans la confidence lui convenait parfaitement... Peut-être plus que de raison, mais elle décida de ne pas s'y attarder.

Lorsqu'elle lui reprocha d'avoir choisi un jeu auquel il était impossible de tricher, il lui fit une suggestion qui fit naître un sourire moitié taquin, moitié vicieux sur son visage.

- Vous êtes sûr ?

Puis elle disparut sous l'eau. S'arrangeant pour qu'il ne la voie pas venir, elle refit surface derrière lui et le poussa dans l'eau, profitant de l'effet de surprise. Puis, triomphante, elle reprit :

- Je ne saurais trop vous conseiller de ne pas affirmer quelque chose dont vous n'êtes pas absolument certain !

D'accord, elle aussi était trop arrogante, sur ce coup. Elle n'avait réussi son coup que parce qu'il avait été surpris. Peut-être en profiterait-il également pour, lui aussi, la surprendre, ce qui remettrait les scores à zéro.

Néanmoins, elle reprit son sérieux lorsqu'il lui expliqua qu'elle avait eu faux.

- Mais c'est quand même arrivé, je ne pourrais pas avoir... Un demi-point ?

Puis elle rit d'auto-dérision.

- Oui, bon... Même quand je ne suis pas Lorena, je ne suis pas douée en négociation, n'est-ce pas ?

Ses compétences. Ou son absence de compétence, en l'occurence. C'était quelque chose qu'elle ne pouvait pas falsifier, et elle le savait. Enfin. L'heure n'était pas aux considérations déprimantes. Elle était là, dans un cadre exceptionnel, avec un homme exceptionnel, pour vivre un moment exceptionnel. Autant en profiter.

Puis il donna sa réponse. Elle fit la moue.

- Gagné. Vous n'auriez pas triché, hein ?

Honnêtement, elle en doutait. Mais bon, elle pouvait toujours s'amuser à ses dépens, non ?

Et le voilà qui continuait. La Ville Aquatique ? Euh... Elle n'en avait aucune idée. Mais elle décida de partir du principe que, comme la réponse à l'affirmation était "faux", peut-être aurait-il dit quelque chose de vrai, à présent.

- Je n'en sais absolument rien. Mais disons vrai, cette fois ?

À son tour, à présent. Que pourrait-elle dire ? Elle eut soudain une idée, même si elle se doutait qu'elle lui donnait le point, cette fois :

- J'ai déjà été dans un temple de Lucy.

C'était bien évidemment faux. Kasha croyait en Lucy, mais elle ne faisait pas partie de ses fidèles, n'effectuait aucun des rituels demandés, et ne se souvenait même pas d'avoir prié. Une telle personne n'était pas légitime dans un temple.

Elle râla un peu lorsqu'il vint jouer avec ses cheveux, avant d'avoir une idée. Et, le regardant presque droit dans les yeux, elle renchérit, au sujet des compliments :

- Seulement de vous, alors !

Pour lui, elle pourrait faire l'effort. Lorsqu'il la lâcha pour l'écouter, elle termina sa démonstration et, rapidement, avant qu'il ne réponde, elle se laissa couler, pour remonter, quelques secondes plus tard, les cheveux plaqués par l'eau. Ainsi, elle s'était recoiffée de manière expresse, ce qu'elle compléta en les déplaçant manuellement pour qu'ils ne la dérangent pas alors qu'elle l'écoutait. Tirade qui se termina par quelque chose qu'elle n'était pas certaine d'avoir bien compris. Lui, insupportable ?

- ça suffit !

Le ton était faussement autoritaire alors qu'elle lui donnait un coup de poing léger sur la poitrine. Rien de violent, bien sûr, elle n'était même pas certaine qu'il sentirait l'impact. C'était plus une nouvelle manière de l'embêter. Puis elle compléta sa pensée :

- Vous avez été...

Que devait-elle dire ? Pour pouvoir répondre à cela, elle estimait qu'elle devrait être capable de mettre de l'ordre dans tout ça. Elle devrait comprendre et ranger tout ce qui se passait dans sa tête. Mais pourrait-il attendre que ce tri s'opère ? Oh, ça suffit, ne réfléchis pas, parle avec tes tripes !

- Charmant, euh parfait, euh... Non mais je m'enfonce !

Et elle s'enfonça également littéralement. L'eau était décidemment en train de devenir sa meilleure amie, c'était son refuge lorsque les choses devenaient trop dures à gérer. Et la perspective de s'y noyer semblait alléchante... Oho ! On ne veut plus tenter de voir ce que ça ferait d'avoir un avenir avec lui ?

... Elle l'aurait tuée. Mais oui, elle ne pouvait nier qu'elle ne pouvait pas se permettre de se noyer. Du moins, pas tout de suite. Après tout, elle avait une soirée dont elle devait terminer de profiter. Et voir où tout cela la mènerait. Alors, alors que ses poumons arrivaient à la limite du temps qu'ils pouvaient tenir sans air, elle refit surface. Au moins, l'eau et le manque d'air lui avaient clarifié les esprits. Elle s'empressa donc de répondre, avant de les perdre à nouveau :

- Oui, vous avez été intenable. Mais c'est ce qui fait votre charme.

D'accord, elle en avait encore trop dit. Mais, au lieu de se laisser aller à la gêne comme auparavant, elle décida de se concentrer sur la suite. Coup de chance, c'était un sujet qui l'intéressait. Le familier. Lorsqu'il déclara ne pas en vouloir, elle l'observa, l'étudiant sous toutes les coutures, cherchant à savoir quelle créature pourrait lui correspondre. Bien sûr, elle était loin de connaître toutes les créatures existantes, mais une idée lui traversa l'esprit :

- Vous êtes sûrs ? Même pas une monture pour vos voyages ?

Et lorsqu'il démontra de l'intérêt pour le futur compagnon de la jeune femme, le regard de cette dernière s'illumina :

- Bien sûr, je vous le présenterai, cela va de soi !

Peut-être se demanderit-il pourquoi cela lui semblait si évident, mais elle n'en avait cure. S'il lui posait la question, elle aurait certainement du mal à répondre, mais, pour le moment, elle n'y pensait pas.

Au sujet du tournoi, les invités étaient déjà prévus et, apparemment, elle n'en faisait pas partie. Doucement, elle déclara :

- Aucun souci, de toutes façons, je me doutais que je n'y serais pas acceptée. Contentez-vous d'être le meilleur !

Oui, comme si c'était la chose la plus simple au monde. Mais, d'un autre côté, cela pourrait peut-être lui servir d'encouragement ? D'ailleurs...

- Au fait... Si vous dites que les invitations sont envoyées, vous devez avoir une date ? Est-ce que je pourrais la connaître, histoire de penser à vous et de vous encourager à distance le moment venu ?

Il l'assura qu'elle aurait peut-être l'occasion de le voir croiser le fer. Elle hocha la tête, puis sourit au commentaire au sujet de Lucy. Finalement, peut-être commençait-elle à comprendre le but de la manoeuvre...

- Sacrée Lucy...

Elle ne voulait pas spécialement qu'il entende ce commentaire, qu'elle avait donc fait dans un souffle.

Puis elle s'abandonna à sa rêverie... Et réalisa que l'homme l'avait remarquée, puisqu'il le lui demanda, sans détour. Alors qu'elle pensait en avoir terminé avec lui, son trouble revint, et, comme douée d'une volonté propre et vicieuse, l'image d'un Rhis glorieux, le sabre à la main, s'imposa un peu plus à elle. À ce moment précis, elle voulait disparaître sous terre, l'eau ne lui suffisant plus.

- Ah... Euh... À rien. Oui, c'est ça. À rien du tout.

Evidemment, c'était complètement faux. Mais il était hors de question qu'elle l'admette.

Puis elle alla se cacher dans sa serviette. Dont elle dut bien vite sortir la tête, lorsqu'il lui demanda un verdict. Que dire ?

- La soirée ? Eprouvante. Sincèrement. Vous m'en faites voir de toutes les couleurs !

Un pauvre sourire se fraya un chemin pendant la dernière phrase. La pauvre demoiselle était encore toute retournée... Après avoir pris un moment pour retrouver ses esprits, ne comptant plus le nombre de fois où elle l'avait fait, elle posa la question qui s'imposait :

- Et vous ? Qu'en avez-vous pensé ?

Après avoir répondu, il l'invitait à poursuivre la soirée avec un repas. Elle ne pouvait pas se mentir, même si elle ne l'admettrait jamais à voix haute, elle auait en effet été déçue s'ils avaient déjà dû se  séparer. Néanmoins, elle ne put s'empêcher de moduler sa réponse sur un ton plaisantin :

- Si vous n'en avez pas encore marre de moi, ce serait avec plaisir !

Puis, se déplçant pour se retrouver hors de sa vue, regrettant que rien ne s'y trouve réellement pour la cacher s'il ne comprenait pas le message implicite et la suivait du regard, elle se sécha puis retourna vers ses affaires pour se rhabiller. Oh, bien sûr, elle avait gardé son maillot sous ses vêtements, mais n'aurait clairement pas été à l'aise de s'habiller sous les yeux d'un homme... Encore moins de CET homme.

Finalement, récupérant ses affaires, elle s'approcha de la porte :

- Je suis prête !

Elle glissa un oeil vers lui. S'il était prêt également, elle pousserait la porte pour le précéder hors de la salle. Sinon, elle l'attendrait et c'est lui qui prendrait les devants.[/i]

Chercher ses mots n’était pas toujours simple. Et Kasha était une bonne observatrice. Bon, elle avait intérêt à l’être si sa mission était d’espionner et de soutirer des informations à autrui, donc Rhis n’en fut pas spécialement étonné. Mais cela ne voulait pas dire qu’il allait lui faciliter la tâche non plus. L’homme aurait été inconscient de lui révéler quel était son véritable rôle à la cour et le conseiller se contenta donc de lui sourire lorsqu’elle fit sa remarque.

- Ah bon ? Ce qui est sûr, c’est que j’ai quitté la garde à cette époque, pour davantage fréquenter la noblesse. Et j’ai finalement atterri au palais. Evidemment, c’est mon parcours dans les grosses lignes, mais je ne peux pas vous décrire toute ma vie, ce serait bien trop long.

Et peut-être trop dangereux aussi, même si l’espion royal n’avait pas forcément des missions qui mettaient sa vie en péril. Enfin, si c’était possible, il préférait éviter à Kasha de se mêler de ses problèmes. Et puis, son rôle ne concernait que la famille royale et les espions, et les aventuriers n’avaient rien à voir avec ça.

Il rit cependant de bon cœur quand Kasha lui suggéra de l’accompagner absolument partout en prenant des notes.

- Refusé. Croyez-moi, vous vous ennuieriez au bout d’une heure. Non, au bout d’une demi-heure si pas moins. Ca vous ferait certainement une bonne formation pour votre rôle sous Victoria, mais je pense que vous préférerez davantage la vie trépidante des aventuriers et le confort que vous offre la Guilde.

Quoi qu’il en soit, l’espion avait plaisanté en disant qu’il s’inquiéterait si Kasha donnait sa confiance à tout le monde, mais peut-être aurait-il dû se montrer plus expressif puisque l’intéressée devint totalement sérieuse. Enfin, Rhis ne l’avait pas vraiment froissée, en fait, la jeune femme lui révéla surtout qu’elle n’aurait jamais pensé faire confiance à quelqu’un d’autre qu’un membre de la guilde et cela l’étonna un peu.

- Vous n’avez personne à qui vous faites confiance en dehors de la Guilde ? fit le conseiller d’un air légèrement surpris. J’aurais cru que vous connaîtriez d’autres personnes à la capitale sur qui vous auriez pu vous fier. Mais bon, je suppose qu’on s’attache davantage à ceux qui nous entourent, donc ce n’est pas si incohérent... Moi-même, je ferai davantage confiance au roi ou à la reine et à d’autres collègues qu’à de simples connaissances rencontrées au coin d’un bar…

Puis, le beau brun rebondit sur sa toute dernière phrase d’un air plus espiègle :

- Et vous me voyez ravi d’avoir su enfreindre vos principes !

Kasha lui sourit ensuite un peu plus tard lorsqu’il lui proposa ensuite d’entrer éventuellement dans ses mensonges, à Empyrée ou même ailleurs, si le besoin s’en faisait sentir. Apparemment, la demoiselle n’avait aucun problème avec ça, et l’espion approuvait la décision qu’elle avait pris sans hésitation. Improviser à deux pouvait certes comporter quelques faiblesses, mais cela pouvait aussi renforcer leurs couvertures mutuelles et rendre plus crédibles leurs mensonges. En plus, la complicité qui en ressortirait en serait certainement amusante. Quant au fait que Kasha l’ait déjà suivi par le passé… C’était vrai, mais ce n’était pas comparable à leurs jeux d’alors. Après tout, à cette époque, ils ne se connaissaient que très superficiellement. Ici, c’était déjà leur troisième rencontre, et puis celles-ci s’accumulaient, plus ils apprenaient à se connaître, forcément.

- Eh bien, dans ce cas, je vous prends au mot. Vous serez ma complice, si nous allons à Empyrée ensemble.

Vint ensuite leur petit jeu, au cours duquel Rhis lui demanda si elle n’aurait pas préféré une bataille d’eau. En passant, il suggéra d’un ton taquin qu’il aurait gagné à coup sûr, et Kasha eut un sourire quelque peu vicieux sur le visage. Bientôt, elle disparut dans l’eau, et le conseiller n’eut pas le temps de réagir qu’elle réapparut dans son dos pour le pousser à l’eau.

- Je ne saurais trop vous conseiller de ne pas affirmer quelque chose dont vous n'êtes pas absolument certain !

Réapparaissant à la surface, en secouant légèrement ses cheveux, un sourire… mauvais ? Démoniaque ? Interprétez-le comme vous le voulez, apparut sur les lèvres de l’espion royal.  Et il ne voulait dire qu’une seule chose : REVANCHE !

- Et de mon côté, je ne saurai trop vous conseiller de ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué !

Sur ces paroles, Rhis la saisit – gentiment, mais fermement –, la souleva fermement dans les airs et la jeta comme un sac à patates dans l’eau en grande profondeur, malgré ses cris et ses protestations éventuels.

Puis, leur conversation redevint quand même un peu plus sérieuse, mais ludique, et Rhis croisa bientôt les bras en secouant la tête lorsque la belle demoiselle lui quémanda un demi-point. Mais son sourire montrait bien qu’il jouait avec elle plus qu’autre chose.

- C’est tout ou rien, plaisanta-t-il.

En tout cas, cela lui faisait un point, et le beau brun reprit bientôt la parole.

- Evidemment que je n’ai pas utilisé mon pouvoir, fit-il gaiement. Ca gâcherait tout l’intérêt du jeu, ou alors, il faudrait que vous ayez aussi une chance de tricher pour justifier l’utilisation de mon don, ajouta l'espion en lui faisant un clin d’œil.

Kasha se trompa ensuite – encore une fois – pour la Ville Aquatique, et bon joueur, il lui expliqua pourquoi.

- Mon terrain d’action, c’est la capitale. La Ville Aquatique est un peu loin, je n’y suis donc jamais allé, même si je pourrais utiliser un jour les portails pour y faire un tour, déclara le garde en réfléchissant. En tout cas, c’est un lieu que je dois visiter, il paraît qu’il vaut le détour. Rhis marqua une légère pause. Ca me fait donc deux points. A vous !

Kasha proposa alors qu’elle était allée au Temple de Lucy. Le conseiller posa sa main contre son menton, inclina la tête pour montrer qu’il réfléchissait, puis fit une tentative.

- Sachant que vous auriez pu aller là-bas dans le cadre d’une mission pour la Guilde… Je dirais oui ?

C’était donc à Rhis de lancer (peut-être) le dernier tour, et il décida de choisir quelque chose de vrai, cette fois.

- J’aime bien les jus au sirop, les jeux d’adresse, et lire est un passe-temps qui m’intéresse.

L’aventurière l’amusa ensuite quand elle voulut bien accepter les compliments du conseiller royal uniquement et il attendit qu’elle remonte à la surface, ses cheveux désormais bien remis sur la tête, pour lui répondre.

- C’est que Madame est bien sélective. Mais soit, je relève le défi !

Moment encore plus cocasse, Kasha sembla avoir du mal à trouver ses mots l’instant d’après, lorsque Rhis lui demanda pour plaisanter s’il avait été insupportable. Le beau brun ne réagit pas à son très léger coup de poing, donné évidemment pour l’embêter, mais l’hésitation de la jeune femme était par contre bien visible, et lorsqu’elle révéla qu’il avait été charmant par un lapsus (?) révélateur, elle s’enfonça dans l’eau sans mot dire. Décidément, le bassin était son refuge et puisqu’elle ne remonta pas tout de suite à la surface, l’espion en déduisit qu’elle avait bien l’intention de rester là le plus longtemps possible.

Il fallait être honnête, Kasha était comme un livre ouvert, mais l’homme se doutait bien qu’elle se laissait autant aller de la sorte uniquement parce qu’il n’y avait qu’eux deux dans la salle. Il n’en restait pas moins que l’aventurière réagissait bien trop vite à ses paroles, et Rhis ne savait pas s’il devait s’en amuser, ou se questionner sérieusement à ce propos. Un peu des deux sûrement…

Quoi qu’il en soit, Kasha remonta avant qu’il ne lui demande si elle avait l’intention de se noyer volontairement, et elle lui déclara qu’il avait été intenable.

- Ah bon ? La faute aux nobles alors. J’avais besoin de me passer du bon temps, et vous avez fait rempli ce rôle à merveille.

Après tout, elle lui avait donné officiellement l’autorisation de lui faire des compliments non ? Il n’allait donc pas s’en priver, mais la miss enchaina aussitôt sur le sujet des familiers et lui proposa même d’avoir une monture parmi ses animaux les plus proches.

- Un cheval fait ça très bien… Mais je ne sais pas. Il faudra peut-être que je me laisse tenter, admit-il. En tout cas, si vous obtenez un familier avant moi, vous me direz comment cela se passe, je serai curieux de voir ce que cela donne. Vous pourrez peut-être me faire part de votre expérience si j’ai un familier à l’avenir !

En plus, la demoiselle semblait ravie à l’idée de lui présenter son animal de compagnie et un sourire attendri apparut sur les lèvres de Rhis face à tant de spontanéité. Il n’y avait pas à dire, la vraie Kasha était bien mignonne, et elle sembla accepter facilement l’idée qu’elle ne soit pas invitée au tournoi prévu entre les nobles. Elle l’encouragea donc à être le meilleur et il lui lança un regard un peu surpris quand elle lui demanda quel jour c’était. L'escrimeur lui répondit néanmoins de bonne grâce, sans l’ombre d’une hésitation, et lui donna précisément la date de l’assemblée.

- Au moins, je m’interdirai de perdre en pensant à vous et à vos encouragements ! lui lança-t-il d’un air complice.

Puis Kasha fut… momentanément distraite, et il ne comprit pas bien pourquoi. L’espion aurait pu utiliser son pouvoir, bien sûr, il s’était déjà passé un certain temps depuis sa première utilisation, mais il ne voulait pas entrer dans l’esprit des gens qu’il respectait. Sauf d’un point de vue stratégique et s’il s’était concerté au préalable avec ladite personne, bien sûr, mais on n’était pas dans un tel cas de figure.

Quoi qu’il en soit, le conseiller lui posa la question qu’il ne fallait pas, preuve en fut à la réponse de la demoiselle.

- Ah... Euh... À rien. Oui, c'est ça. À rien du tout.

Un sourire torve apparut sur les lèvres du conseiller alors qu’il lui répondait aussitôt :

- Mais bien sûr. Je vais finir par croire que vous pensiez à quelque chose de pas si innocent que ça.

Il laissa néanmoins couler, et de toute façon, la demoiselle sortait de l’eau. D’ailleurs, lui-même ne tarda pas à suivre. Une étincelle amusée apparut dans son regard lorsqu’elle prétendit que la soirée avait été éprouvante, et sa réplique sortit tout naturellement.

- A qui la faute ? Vous m’avez donné trop d’ouvertures ! la taquina-t-il ouvertement.

Puis, elle lui renvoya l’ascenseur et l’espion dut donc réfléchir à sa propre question.

- C’était agréable, fit-il honnêtement, avec un air sérieux, pour une fois. Ca m’a bien changé les idées, poursuivit-il. Si c’était à refaire, je n’hésiterai pas. Puis, avec un sourire malicieux : Mais avec deux verres de vin pour vous faire découvrir lhumi-nœud, cette fois.

Dans tous les cas, Rhis lui proposa de poursuivre leur soirée en mangeant au restaurant du complexe thermal, et la demoiselle accepta. Il ne restait donc plus qu’à se rhabiller correctement, et il lui laissa donc l’espace suffisant pour qu’elle se rhabille en toute tranquillité. Lui alla à l’autre bout de la pièce, et ils furent prêts quasiment en même temps.

- J’arrive, lui signala-t-il et il se rapprocha de l’entrée du bain où était déjà sa compagne. Il l’invita à sortir en premier, puis ils se retrouvèrent bientôt dans les couloirs de l’établissement. Il ne fallut pas longtemps aux deux compères pour trouver le restaurant dans lesquels ils pourraient manger, et Rhis demanda une table de deux personnes. Finalement, on leur alloua une table carrée, proche d’une belle vue sur la Forteresse et les habitations en contrebas.

Un serveur vint bientôt leur donner des cartes, et Rhis se saisit de l’une d’elle avant d’adresser la parole à Kasha.

-  Je vous avoue que j’ignore tout de vos goûts culinaires. Qu’est-ce que vous préférez manger ? lui demanda-t-il d’un ton sincèrement curieux.

Alors comme ça, lui décrire sa vie serait trop long ?

- Mais teellement intéressant !

Etait-ce une plaisanterie ou une simple remarque ? Peut-être un peu des deux. Certainement un aveu de vouloir plus le connaître, déguisé en plaisanterie. Néanmoins, elle ne voulait pas non plus le mettre mal à l'aise... Même si cela pourrait constituer une revanche bienvenue.

- Enfin, si vous ne voulez pas en parler, je vais vous laisser tranquille.

Puis il refusa sa "proposition" de l'espionner... Enfin, s'il était au courant, était-ce vraiment de l'espionnage ? Hum... De l'observer, l'étudier, plutôt. Elle abandonna donc de bonne grâce, n'ayant de toutes façons pas été sérieuse lorsqu'elle avait fait cette suggestion. Néanmoins, elle se permit un commentaire :

- Vous avez raison. Néanmoins, admettez que l'image est drôle ! Eut-être surtout parce qu'elle ne me correspond absolument pas. Je n'oserais jamais faire ce que j'ai dit, en vérité !

De nouveau, elle fit entendre son rire d'auto-dérision. Clairement, elle serait capable de l'observer en prenant des notes. Mais sans le suivre telle son ombre. Elle serait plus discrète que cela. Et puis, il y avait quand même des endroits où elle ne voudrait pas le suivre, laissons-lui un peu d'intimité...

Elle se concentra vite sur la suite avant d'avoir des pensées qu'elle pourrait regretter. Il abordait le thème de la confiance... Oui, un thème qui était venu rapidement quand elle l'avait connu, réalisa-t-elle soudain. Bien plus rapidement qu'avec n'importe qui d'autre... Préssentait-elle déjà, à ce moment, qu'il pourrait être quelqu'un de... De quoi, en fait ? De spécial... Mais non. Pas dès leur première rencontre, c'était impossible... Lors de leur première rencontre, si elle se souvenait bien, elle souhaitait d'ailleurs qu'il s'en aille, afin de pouvoir parler librement avec Nevaeh. Quand avait-elle commencé à l'apprécier exactement ? Et pourquoi se posait-elle toutes ces questions, une fois de plus ?

Alors, au lieu de poursuivre ses questionnements, elle préféra répondre, se rapprochant une fois de plus de lui pour le faire sur le ton de le confidence :

- Vous le savez, maintenant, je ne connais presque plus ma famille. Alors, maintenant, c'est la Guilde, ma famille. Je vous vois venir, oui, les amis ne sont pas la famille, mais... Je ne sais pas. Je ne me suis juste jamais vraiment liée à quelqu'un d'étranger, si on peut dire. Avant vous, bien sûr...

Elle décida d'ignorer sa plaisanterie suivante. Bien sûr, elle appréciait qu'il s'amuse, cela prouvait qu'il se sentait en confiance avec elle, ce qui ne pouvait que flatter son égo, mais elle en avait assez d'être dans tous ces états lorsqu'elle prenait réellement en compte ce genre de taquineries. D'un autre côté... Elle en avait une qui lui venait en tête, alors... D'un air faussement sérieux, elle finit par reprendre :

- Ne me le faites pas regretter !

Puis, sans trop savoir comment cela avait commencé, elle se perdit un moment dans l'infini de son regard. Elle ne savait pas combien de temps s'était écoulé lorsqu'elle parvint enfin à s'en détacher. Quelques secondes ? Quelques minutes ? Elle était presque certaine que cela ne se comptait néanmoins pas en heures, sans quoi, l'homme aurait de lui-même rompu le contact, probablement lassé.

Elle ne tarda pas à le voir refaire surface après son attaque surprise, et commença à afficher un sourire à la fois carnassier et victorieux... Avant qu'il ne s'efface presque immédiatement, remplacée par une expression de surprise et de légère panique lorsqu'elle se retrouva dans les airs. Instinctivement, elle s'accorcha à l'homme, dans un effort subtil pour retarder l'inévitable, alors qu'elle protestait :

- Eh ! Qu'est-ce que...

La fin de sa phrase se perdit dans un glougloutement incompréhensible alors qu'elle rejoignait une fois de plus son royaume aquatique. Elle en profita pour rester sous l'eau plus longtemps que nécessaire. Franchement, il n'y avait pas à dire, elle avait trouvé son élément. Il n'y avait que dans l'étendue liquide qu'elle se sentait parfaitement sereine. Quelle ironie, alors qu'elle se trouvait en compagnie d'une personne dont les taquineries avaient le pouvoir d'effacer toute sa sérénité... Finalement, lorsqu'elle refit surface, elle réalisa qu'elle avait décrit un cercle complet, car elle se trouvait exactement à l'endroit où elle était tombée.

Puis il lui refusa le demi-point. Evidemment. Elle rit de bon coeur, en lâchant un autre commentaire :

- Visiblement, je n'ai pas besoin d'être Lorena pour rater une négociation !

Mis à part qu'au moins, lorsqu'elle arborait sa véritable identité, les commerçants ne cherchaient pas à l'arnaquer. Lorena semblait-elle trop innocente, trop naïve ? D'un autre côté, cela faisait partie du personnage, elle ne pouvait donc pas se permettre de modifier ces traits...

Au moins, il n'avait pas triché. Souriante, elle se contenta de son hochement de tête signature, celui remplaçant un simple "compris", tout en faisant passer le même message, du moins, elle l'espérait.

Bon. Elle avait encore perdu.

- D'accord, je vois. Je pensais que vous ne preniez pas l'opportunité de gagner, mais il semblerait que je me trompais... Bravo ! Gagner sans tricher... Vous m'impressionnez !

Pardon ? Vous dites que c'est le but d'un jeu, de gagner sans tricher ? Qui sait... ? Quoi qu'il en soit, la justification de son nouvel échec la fit réfléchir. Peut-être qu'elle aussi pourrait apprécier de s'y rendre... Après tout, quelque chose dont le nom contenait le mot "aquatique" semblait un bon moyen de se mettre à l'épreuve en termes de natation, non ? En effet, depuis qu'elle avait découvert son aisance en milieu aquatique, à peine quelques heures auparavant, elle voulait absolument tester ses limites.

Il proposa alors une réponse à son affirmation. Une sourire victorieux naquit alors doucement sur ses lèvres, puis elle déclara :

- Perdu !

Et le le poussa de nouveau dans l'eau. Lorsqu'il refit surface, elle rit, un peu gênée, avant de se justifier :

- Désolée. Je ne sais pas pourquoi, mais c'était trop tentant. Et complètement gratuit, j'avoue !

La proposition qui suivit, suite de leur jeu, la laissa un instant perplexe. C'était plausible. Mais il ne lui avait fait que des propositions fausses jusqu'à présent... Mais justement, peut-être que pour une fois, il voulait changer ? Ou alors, il se doutait qu'elle penserait ainsi, et il continuerait dans sa lancée de propositions fausses.

- Alors... C'est intéressant, je ne sais absolument pas. Mais, compte tenu de la manière dont vous avez mené la partie jusque-là... Je dirais encore faux ?

Evidemment, la réponse était fausse, Rhis gagnerait donc la partie. Mais ça, Kasha ne le savait pas encore.

Lorsqu'il embraya sur le sujet des compliments, elle ne put retenir une petite moue. D'accord, elle s'était promis qu'elle pourrait faire des efforts pour lui, mais à ce moment, elle ne s'attendait pas à ce qu'il prenne cela pour un défi...

- Vous savez, ce n'est pas un défi quand il n'y a ni concurrents, ni objectif clair...

Elle doutait que cela suffise à lui faire lâcher le morceau, mais, au moins, elle ne se serait pas avouée vaincue sans combattre. Sa fierté serait donc satisfaite. Elle eut d'ailleurs la confirmation que son affirmation n'avait servi à rien lorsqu'un nouveau compliement surgit de nulle part. Elle laissa un doux sourire apparaître, lorsqu'elle répondit, le plus simplement du monde :

- Ravie d'avoir pu vous être utile.

Puis vint le sujet des familiers. Comment ça, comment osait-il contrer sa proposition d'avoir une monture avec l'idée d'un simple cheval ? Oh bien sûr, elle n'avait rien contre les chevaux, mais ils lui semblaient bien trop... Eh bien, ordinaires. Néanmoins, il sut bien se rattraper, en lui proposant de lui servir en quelque sorte de mentor de lien avec un familier à l'avenir.

- Moi ? Vous servir de mentor ? Vous croyez que j'en serais capable ?

... Ce n'était pas ce qu'elle voulait dire. Elle voulait accepter, peut-être se montrer fière ou le taquiner une fois de plus. Au lieu de cela, c'était son incertitude, tout aussi sincère, mais qu'elle n'avait pas réellement envie de lui montrer, qui s'était manifestée.

Enfin. Elle n'avait pas le temps de s'attarder là-dessus. Un sujet tout aussi intéressant, sinon plus, suivait. Le tournoi. Ainsi, elle semblait réussir à avoir la bonne influence qu'elle désirait.

- Ne vous surmenez pas non plus, hein. Si vous trouvez quelqu'un de plus fort que vous... C'est une qualité de reconnaître ses faiblesses.

Elle baissa la voix alors qu'elle poursuivait :

- Même si... Honnêtement, quelqu'un de plus fort que vous... ça m'étonnerait.

Il serait peut-être une fois de plus surpris. En effet, elle ne l'avait jamais vu combattre, comment pourrait-elle connaître son niveau ? En réalité, elle ne le connaissait pas. Elle plaçait simplement une foi excessive en lui, et cet état de fait durerait certainement jusqu'à ce qu'elle voie de ses propres yeux de quoi il était capable.

Evidemment, il ne crut pas à son excuse... Ou plutôt à a caricature d'excuse, pour ce à quoi elle pensait. Et son sous-entendu ajouta un peu plus à son trouble, néanmoins, elle se mura dans le silence, consciente de ne pas être actuellement capable de contrôler les mots qui sortiraient de sa bouche.

Mais le pire était qu'il insistait. Elle ouvrit la bouche, la referma, la rouvrit, la referma encore, puis finalement, eut la bonne idée de réfléchir. Puis elle soupira, et, sans le regarder, conclut néanmoins :

- C'est votre point de vue. Pour moi, vous vous amusiez beaucoup... Peut-être même un peu trop.

D'un autre côté, le voir s'amuser était agréable... Elle lui sourit tendrement :

- Mais je n'arrive pas à savoir si c'est une si mauvaise chose, en fait. C'est agréable de vous voir heureux, je ne vais pas mentir.

Il en vint même à parler de recommencer. Hum... Y survivrait-elle ? D'un autre côté, elle saurait à quoi s'attrendre, donc... Ce fut avec enthousiasme qu'elle renchérit :

- Quand vous voulez !

Peut-être avait-elle été trop enthousiaste ? Enfin, il devait avoir l'habitude, après cette soirée. Elle était probablement encore en train de se faire une montagne de pas grand-chose.


Une fois installée à table, au restaurant, lorsque le serveur leur tendit les cartes, elle prit la sienne, mais ne la consulta pas immédiatement. Le regard perdu sur le paysage visible de la fenêtre, le regardant sans le voir, elle se faisait un compte-rendu mental de la soirée. D'accord, cette dernière n'était pas terminée, d'accord, l'homme était toujours là et serait peut-être curieux en la voyant les yeux dans le vague, mais elle avait besoin de faire le point. Et puis, elle savait qu'elle n'avait rien à craindre de lui, hormis peut-être de nouvelles taquineries... Elle se disait aussi que, puisqu'ils étaient à présent en public, la suite serait peut-être plus calme, et plus facile à gérer... Même si elle devait bien admettre ne pas avoir été déçue du début de soirée.

Une fois qu'elle eut réussi à tout se repasser dans la tête, analysant certains détails, elle secoua doucement la tête pour sortir de ses pensées et revenir dans le présent. Souriant doucement à Rhis, elle lui adressa quelques mots :

- Désolée, j'étais... Ailleurs. Mais maintenant, c'est bon, je suis avec vous !

Bon, bien sûr, même lors du moment d'absence, elle était avec lui dans sa tête, mais hors de question de le lui dire. Lorsqu'il lui demanda ses goûts, son sourire gagna une nuance taquine alors qu'elle répondait :

- Je vous propose autre chose. Le thème de la soirée est d'apprendre à se connaître, non? Alors... Pourquoi ne pas faire une sorte de nouveau jeu ? On commande un repas complet, entrée plat dessert, mais chacun commande ce que l'autre préfère. Et pas de triche, ne choisissez pas ce qui pourrait me plaire, mais bien ce que vous, vous préférez. Comme ça, on se met à la place l'un de l'autre pour quelques instants, qu'est-ce que vous en dites ?