Cependant, un matin, alors que je faisais le tour du marché sur la place des commerces à la recherche de fourniture pour mon prochain voyage. Un jour où j’avais troqué mon équipement habituel contre une tenue plus légère, adapté à la vie en ville, seulement un couteau dans ma botte par sécurité. Le destin avait voulu qu’un morceau de mon village me rattrape, une trace de mon passé dont j’avoue avoir oublié quelque peu l’existence avec tout ce qu’il m’était arrivé.
Une villageoise, plus jeune que moi et de qui j’avais été proche pendant une époque de ma vie d’avant, presque un grand frère pour elle. Agneta qu’elle s’appelait. Je me souviens encore d’elle comme d’une enfant et j’étais loin de me douter, malgré l’évidente réalité, qu’elle avait grandie. Trêve de suspens, voilà comment débute cette histoire !
Un artiste errant interpella mon attention, l’un de ceux faisant étalage des petites créatures qu’il possédait pour gagner de l’argent. Le genre d’endroit où l’on pouvait facilement se faire détrousser en n'y prenant pas garde. Je m’avançais alors au milieu du groupe grossissant peu à peu et par chance, je parvins à me retrouver devant.
L’artiste était doué, c’était indéniable, il avait vraiment su apprivoiser les différentes bébêtes en tout genre qu’il possédait. Je regardais ce spectacle avec un petit sourire jusqu’à ce que je me rende compte qu’une personne derrière moi tenté tant bien que mal de regarder par-dessus mon épaule, gâchant quelque peu ma bonne humeur car je déteste qu’on fasse ça.
Au bout d’un moment, je sentis un doigt tapoter doucement mon épaule pour m’inviter à porter mon attention sur sa propriétaire et en me retournant, alors que j’entendais la personne me formuler une demande pour inverser nos places, le visage qui se découvrit à moi me laissa un moment sur la surprise. Jusqu’à ce que je parvienne à articuler.
- Agneta ? C’est bien… toi ? Mais… Qu’est-ce que… tu fais ici ?
J’admets avoir eu du mal à formuler mes propos tant les questions se bousculer dans ma tête. Pourtant, sur le moment, j’avais encore du mal à me dire que c’était bien elle, elle avait tellement changé en 5 ans.
Jamais elle n’avait mis les pieds ici, elle errait telle une ombre parmi les habitués, trouver de quoi manger allait s’avérer être plus ardu que prévu. Les mains plaquées sur son sac en cuir, elle prenait soin de caler ses coudes de sorte à former une petite protection autour d’elle. Tous lui avaient répété lorsqu’elle était partie : « Fais attention, ce sont tous des voleurs là-bas ». Aujourd’hui allait sûrement signer le début des dérives de la vie à la capitale.
Une petite foule s’était regroupée autour d’un étal. La brune s’y rapprocha doucement, avec précaution mais ne put apercevoir qu’un morceau de ce qui se tramait : des petites créatures étonnantes. Faiblarde, petite et surtout invisible, elle n’osait se frayer un chemin à travers les spectateurs pour elle aussi voir ce divertissement. De loin, c’était une chieuse, de près, une chieuse. Elle s’était attaquée aux enfants qui étaient plus simple à défaire de leur position, jusqu’au moment où elle se retrouva confrontée à plus grand, plus imposant. Les pensées se bousculaient dans sa tête : comment aborder poliment la chose, comment se faire respecter, comment… Et puis tant pis, elle se hissa sur la pointe des pieds et admira le spectacle d’ici. Et elle chuta, pas totalement, mais assez pour entendre sa cheville souffrir.
Sans comprendre pourquoi, elle saisit l’épaule de l’homme devant elle.
- Excusez-moi, est-ce que…
À peine eut-elle le temps de finir sa phrase, que son visage se décomposa. Livide et blême, les yeux écarquillés. Les mots ne suivaient pourtant pas et tout son corps se figea. Lui par contre, avait réussi à prononcer deux trois mots. Lui, il se retrouvait devant elle après cinq ans et des poussières. Les larmes montaient mais en se pinçant la bouche elle se retint. Le vacarme, les entrains des spectateurs commençaient soudainement à la mettre mal à l’aise, elle saisit le poignet de l’homme et s’engouffra entre les corps pour se retrouver à l’air libre. Dommage pour les bêtes.
Son teint se réchauffait petit à petit et enfin sa bouche n’était plus pâteuse et désagréable.
- Fenrir ? Elle poussa un rire de soulagement en posant sa main sur ses lèvres. Je pensais que tu étais mort depuis le temps.
La vérité, et elle ne l’admettrait jamais, c’est qu’elle n’avait jamais compris pourquoi il était parti sans un mot. Sans rien dire, comme ça dans la nature il s’était évaporé et un beau matin, elle s’était simplement réveillée et dans sa routine, tout s’était retrouvé brisé. Non, il n’avait jamais été question d’amour mais plutôt de fraternité. Il avait été ce pilier constant dans sa vie, celui qui avait su remplacer son véritable frère, un pourri qui ne méritait que la mort. Il remplaçait celui qui avait eu un vrai talent.
Agneta avait toujours apprécié la légèreté des moments passés avec Fenrir et tout à coup tout revenait. En partie, c’était aussi ça qui l’avait poussé à partir, l’amour des contes, l’amour de l’aventure et l’envie de comprendre et de retrouver un ami. Un frère.
Elle se contenta de croiser ses mains sans son dos et à se dandiner subtilement de droite à gauche pour tenter de calmer son anxiété et timidité.
- Je pensais que… tu nous détestais tous. Et à demi-mot, ajouté. Du coup, je suis aussi partie à l’aventure…
Elle afficha un sourire rayonnant.
- Et si on allait manger pour rattraper le temps perdu ?
Elle prononça mon prénom, me donnant l’impression de revenir plusieurs années en arrière d’un coup, sans même que j’y ai mon mot à dire. Ce n’était pas de sa faute, simplement la mienne en refoulant sans cesse cela pour me concentrer sur le présent. Sauf que le présent était bien là cette fois. Je l’observais silencieusement, attendant une réponse de sa part.
Sa première réaction me glaça le sang, bien sûr que non, je ne les détestais pas. J’avais simplement eu envie de vivre ma vie, la mienne ! Pas celle qu’on voulait me faire vivre. J’ai juste saisis à l’époque un moment où j’avais la certitude que tout le monde m’avait tourné le dos pour concrétiser mes envies.
- Bien sûr que non… Attends quoi ?!
Lâchais-je avant de réaliser la suite de ses mots, elle avait décidé de partir à l’aventure elle aussi. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui avait pris ? Alors que je l’observais, incrédule, les souvenirs remontaient doucement. Je me rendais compte que dans mon égoïsme, j’avais pu faire beaucoup souffrir mes proches. Cependant, je devais bien lui accorder qu’un endroit plus intime serait plus adéquat pour parler de ça, lorsqu’elle me proposa d’aller manger quelque chose.
- Oui, viens, c’est moi qui offre. En souvenir du bon vieux temps.
Je lui fis un signe de tête pour l’attirer à part de la foule et me diriger vers un vendeur de brochette un peu plus loin, à proximité de la place central ou trônait une fontaine qui avait au moins le mérite de rafraîchir l’air. Je commandais alors deux brochettes de boulette de viande et laissé Agneta prendre ce qu’elle voulait. Ce fut lorsque nous étions installées plus confortablement sur un des bancs que je lui lançais sans ménagement.
- Pourquoi es-tu partie ? Qu’est-ce qui t’a pris ? Tes parents l’ont pris comment ?
En l’observant, je n’arrivais vraiment pas à comprendre sa décision, sans forcément lui en vouloir, je ne pouvais m’empêcher de me dire que c’était une erreur. Sauf que, les premiers mots qu’elle avait prononcé été encore présent dans mon esprit et je préférais tout de suite balayer ses mauvaises pensées en clarifiant de suite ce point.
- Écoute Agneta, pour ce que tu as dit juste avant. Te méprend pas, je n’ai rien contre vous ! C’est simplement que j’ai voulu vivre ma vie. Puis avec ce qu’il s’est passé, j’avais plus que jamais besoin de ce renouveau.
Je faisais référence à deux choses, Enora et mon père. La première m’avait tourné le dos en me traitant de menteur et le second avait voulu m’imposer sa vision de ce que je devais être. Mais Agneta ne serait sûrement pas au courant de ce deuxième élément, elle avait surtout été au courant de cette histoire avec Enora. Je soupirais longuement, les 5 dernières années avaient été de loin, les plus belles de ma vie… Pouvais-je vraiment lui en vouloir d’avoir choisi ce renouveau aussi ?
- Calme tes questions ! dit-elle dans un ricanement. Je ne sais pas si j'avais vraiment une raison de partir, c'était avant tout une envie égoïste de ma part.
Ses yeux fuirent le regard de son ami, même si son choix avait été accepté, son cœur portait encore en lui les regrets d'un abandon familial. Le sourire de son père lors de son départ restait comme une image permanente gravée sur sa cornée.
- Puis tu sais comment est papa, toujours enjoué ! Maman n'a fait que suivre ce qu'il disait, je crois qu'au fond elle s'y attendait un peu, mais pour ... Elle émit une pause, hésitante. Pour mon frère... Ça a été un peu plus compliqué.
Pourquoi diable était-elle incapable de remettre un nom sur cet homme qui pendant si longtemps avait été son frère, qui l'était toujours, mais qui dans son comportement n'avait été qu'un pur inconnu. Elle n'avait qu'un frère, c'était Fenrir. L'autre silhouette brune n'était qu'un cloporte. Il y avait toujours eu une sorte de jalousie de la part d'Agneta : comme sa mère, son frère avait été gâtée d'un don de guérison, de soin, à vrai dire elle n'avait jamais trop suivi l'affaire mais le simple fait de savoir qu'elle n'était qu'une incapable de par son don l'agaçait.
- Il m'a dit que je devais revenir pour reprendre l'auberge.
Ses yeux brillèrent à la formation d'une couche aqueuse, elle passa doucement sa main et reprit son sourire habituel. Elle n'avait aucunement envie de parler de ce fardeau trop lourd à porter. Retrouver Fenrir relevait déjà du miracle, elle s'estimait chanceuse de pouvoir, même loin de chez elle, avoir une main tendue sur laquelle compter. Le départ de Fenrir avait certes laissé un vide dans sa vie, mais après tout elle le comprenait mieux que quiconque aujourd'hui en ayant suivi le même chemin.
Il avait vécu de nombreuses passes, des histoires d'amour, ça avait été quelque chose. De l'amour, de la rancœur, et puis Agneta s'était immiscée dans sa vie de couple au jour le jour, sans vraiment prévenir, comme si elle avait toujours fait partie de la famille. Encore maintenant, elle se demandait à quoi rimait leur relation, le saut dans le temps de cinq ans n'aidant pas, elle n'osait rouvrir des plaies peut-être trop profondes.
Elle enfila la seconde brochette comme elle le put dans sa bouche, laissant un des morceaux d'aubergine glisser lentement le long de la tige en bois et le vit s'écraser à même le sol, d'un mouvement disgracieux et nonchalant. Parfois, elle les ramassait. Puis les mangeait. Mais pas aujourd'hui. Pas devant tant de gens.
- Et pendant ces cinq belles années, t'as vraiment été à l'aventure ? Elle engloutit un morceau de viande, brouillant un peu les mots qui sortaient de sa bouche. Je veux dire, tu es aussi un vrai aventurier ? Ou t'as préféré t'aventurer dans les maisons closes.
Elle savait pertinemment que Fenrir, bien qu'un homme, n'était pas de ce genre qui se gavait d'alcool, de bouffe et de filles à longueur de journée. Pourtant la tentation avait été trop forte pour ne pas le taquiner. Elle n'avait fait qu'une seule aventure jusque-là, en même temps, cela ne faisait pas si longtemps qu'elle avait rejoint les troupes, mais elle rêvait d'entendre encore d'autres histoires d'aventure, et aussi de prendre des nouvelles de son cher frère de cœur.
Voir à quel point il avait changé.
Je l’écoutais donc me parler de son départ qui semblait visiblement avoir été bien prit par ses parents. Mordant dans la viande que j’avais achetée tout en tendant mon oreille, je compris bien vite que c’était son frère qui avait posé problème. Toujours la même chose, je devais admettre que j’étais plutôt ravi de constater que certaines choses n’avaient pas vraiment changé et j’aurais été bien incapable de dire si c’était un mal ou un bien. A se dernière réplique, je lâchais d’une voix détendue.
- Au moins, tu peux toujours revenir en arrière si le besoin s’en fait sentir.
C’était un simple constat, mais aussi une réalité. Je ne rentrais pas, car de mon côté, je n’aurais clairement pas un accueil à bras ouvert, je m’en doutais bien. Donc, c’était quand même plus simple de se dire qu’un retour en arrière était envisageable au fond. Plus rassurant aussi, cependant, je pensais dur comme faire que si j’avais eu cette ligne de sécurité, je n’aurais pas profité autant de cette nouvelle vie et déployé les efforts pour la conserver. Agneta ramena rapidement la conversation sur moi et je devais admettre que j’allais avoir de grandes peines pour me mettre en valeur.
- Oh, ben, tu sais, la gloire ne m’a pas plus attiré que les maisons de passe au fond. En ce qui me concerne, je me suis contenté de voyager, voir le monde que je n’aurais pas pu voir depuis ce petit village excentré d’où nous venons.
Je prenais une grande inspiration, raconté des histoires était devenu une habitude pour moi, alors autant dire que me demander ce que j’avais vécu revenait à lui en conter une en soi.
- J’admets que durant ma première année, je n’ai pas fait le fière, c’était dur, mais je me suis accroché sans rien lâché jusqu’à réussir à économiser assez pour débuter mon premier voyage. Je continue de préserver les connaissances en chasse que ma mère m’a enseignée en dehors de mes voyages. Mais sinon, dès que j’en ai l’occasion, je trace une crois sur la carte et je prends la route.
Un petit sourire amusé avait dû apparaître sur mon visage quand j’avouais.
- J’ai pu voir des montagnes plus hautes que les nuages eux-mêmes, des étendues d’eau jusqu’à perte de vue, des forêts aussi dense que sauvages, des créatures tout simplement magnifique. Tiens ! Tu me crois si je te dis qu’un jour, j’ai pu observer deux dragons totalement diffèrents l’un de l’autre coup sur coup. Puis… Certains paysages que j’ai pu voir resteront dans ma mémoire jusqu’à ma mort.
Avant de reprendre sur un ton plus sérieux.
- Puis le nombre d’histoire, de légendes et j’en passe. Je dois bien admettre que j’ai été plus que servit durant les années après mon départ.
Que dire de plus à vrai dire ?
Les problèmes d’argent, elle y faisait face encore, mais personne n’en savait rien, ou peut être que si mais jamais le sujet n’avait été abordé en long et en large. Agneta, ce n’était ni une jeune fille forte, ni intelligente, moyenne partout sauf en cuisine, malheureusement, ce talent avait très peu d’utilité en situation réelle, à moins qu’elle n’aille s’aventurer pendant des mois avec quelques aventuriers aguerris.
- Des dragons ? Carrément ? Elle écarquilla les yeux de surprise. Ils étaient comment dis !
L’excitation se sentait dans sa voix, ses jambes vibraient sous les petits tapotements de pied qu’elle donnait au sol. Les créatures les plus rares étaient sûrement les plus impressionnante, quelque soit leur taille. Encore aujourd’hui, le petit dragon rose de cerisier s’affichait comme l’une des créatures à ne pas manquer dans une vie, même si elle doutait parfois de leur existence tant leur rapidité les rendait invisible.
Son impatience l’avait fait oublier le monde environnant et alors qu’elle tapa un nouveau coup sur le sol, celui-ci se heurta à quelque chose : une autre paire de chaussures. Relevant les yeux puis le menton, Agneta distingua une assez vieille femme, haute comme cinq pommes, en tablier rustique assez classique à carreaux bordeaux où était accroché un petit insigne dorée en forme de maison.
- Jeunes gens…
Paniquée, elle se tourna vers Fenrir, très peu habituée à se faire alpaguer dans la rue par des inconnus. Prête à détaler comme une malpropre, la vieille dame réagit comme si elle comprenait son ressenti et apaisa directement la situation.
- Excusez-moi, ce n’est pas convenable. Laissez-moi me présenter, je suis Madame Haurrak et je travaille pour l’Orphelinat. Elle tirait derrière elle un petit caddie en tissus rempli de divers consommables et vraisemblablement assez lourd. Elle le posa droit derrière elle et s’adresse à Fenrir. Je vous ai entendu parler jeune homme, je vois que vous avez de nombreux récits à revendre. Elle hésita un court instant. Pour ne rien vous cacher, nous avons de plus en plus d’enfants à gérer et de moins en moins de personnel pour s’en occuper, et ils peuvent être un peu agités ! Seriez-vous partant pour les occuper quelques instants, le temps que moi et mes collègues préparions le repas ?
Traquenard. La broche dorée lui disait quelque chose, et pour cause, il s’agissait d’une petite indication pour le personnel permanent de l’orphelinat, leur donnant droit à quelques faveurs de certains artisans et commerçants lorsqu’il s’agissait de nourrir et faire survivre les petits. Au final, c’était encore une fois à Fenrir que tout le mérite se portait, et pour cause : lui seul avait véritablement vécu des aventures qui faisaient rêver. Elle, sa seule aventure notable méritait d’être passée sous silence, Sainte Pampersa n’était pas le genre de personnage à introduire à de jeunes enfants. Elle se consola en repensant au mot cuisine, mais espérait secrètement profiter elle aussi des récits de son cher Fenrir. Souriante, elle se tourna vers lui et lui accrocha le bras avec l’intérieur de son coude, sans vraiment lui laisser le choix, même s’il avait toujours la force de contester.
- Ça te rappellera la belle époque.
J’admets que fasse à Agneta, je ne savais pas trop comment conduire. Je lui racontais un peu mes péripéties en me disant que ce n’était peut-être qu’un sentiment passager, mais je savais au plus profond de moi-même que je ne pourrais pas non plus faire comme si de rien n’était. D’une certaine façon, ça me rassurait un peu, car j’en venais à me dire que 5 ans étaient bel et bien passés et que moi-même, j’avais clairement évolué depuis.
Elle sembla enthousiaste lorsque je lui parlais des dragons. Un petit sourire naquit sur mon visage en réalisant qu’elle n’avait pas changé d’un pouce elle, toujours aussi rêveuse. Devais-je lui dire qu’entre le rêve la réalité, il y avait un fossé conséquent ? Que toutes ses histoires d’aventuriers qu’on lisait étant gamin n’étaient que de vulgaire conte fantasmé dans le besoin d’apporter une version plus impressionnante que la version de base.
- Oui bien sûr, mais ce n’était pas aussi grandiloquent que je veux bien le faire croire. L’un des dragons appartenait à une autre personne et le second, c’était fait capturer dans un piège. Nous l’avons simplement libéré et fin de l’histoire.
Avant même que j’ai le temps de réaliser quoi que ce soit, une tierce personne vint nous accoster pendant que je finissais mon frugal repas. J’observais l’inconnu avec un regard curieux en comprenant rapidement que c’était bel et bien à moi qu’elle s’adressait. Des histoires ? À des enfants ? C’était inédit en un sens, je n’avais pas fait ce genre de chose depuis longtemps. Depuis l’époque où je vivais au village.
Avant même que je puisse réagir, bien que je m’apprêtais à accepter, Agneta me saisit le bras et je ressentis comme une électrisation dans celui-ci. Je n’avais plus l’habitude de me laisser toucher de façon aussi familière et mon premier réflexe fut de me dégager gentiment de son bras puis de lui dire d’une rassurante.
- Désolé, j’ai plus trop l’habitude. Tu peux me comprendre non ? Ça fait un moment que je suis sur les routes en solo.
Puis de me tourner vers la femme de l’orphelinat pour lui dire d’une voix plus enthousiaste.
- Bien sûr, nous vous suivons. Où se trouve votre orphelinat ?
Avant de faire un signe de tête à Agneta.
- Tu viens, je suis sûr que tu pourras leur raconter ton départ en tant qu’aventurière ! On ne dirait pas, mais ce genre d’histoire fait bien plus rêver que tous les dragons de la terre pour certains gamins.
Ils se levèrent et emboîtèrent le pas à la vieille femme, toujours dans ses pensées, elle se demandait quelle aurait été sa réaction si elle s’était retrouvée face à une créature apeurée prisonnière. Certes, la voir s’énerver état quelque chose de rare voire d’impensable, mais les quelques fois où cela s’était produit, une marque avait toujours été laissée et les témoins s’en souvenaient.
L’adrénaline et l’appréhension venaient en elle à chaque pas vers l’orphelinat. Peut-être que ces histoires d’aventuriers ne passionnaient plus les jeunes d’aujourd’hui, peut-être même que toute sa vie n’était qu’un mensonge et que de la raconter mettrait en exergue les faux pas et les mensonges. Personnellement, elle n’avait pas seulement rêvé de la vie d’un aventurier et de l’indépendance, non, ce qui était avant tout merveilleux dans cette vie nomade, c’était la découverte. Fenrir avait dû en profiter bien plus qu’elle ne l’avait fait, quoi qu’elle ne puisse réellement se plaindre.
La bâtisse de l’orphelinat était de pierre, le lierre se répandait sur toute sa surface et un écriteau un peu bancal indiquait la couleur. Pourtant, même si l’extérieur semblait austère, la lumière des bougies se percevait à travers les voilages translucides qui donnaient un minimum d’intimité aux habitants. La vieille dame poussa la porte et les laissa rentrer avant elle avant de refermer soigneusement celle-ci et de placer un petit coussin de laine dans le bas de la porte.
- Entrez, n’ayez crainte. Elle arborait un sourire innocent et bienveillant. Je suis persuadée qu’ils seront ravis de voir de nouvelles têtes. Elle porta sa voix aux enfants. Jeunes gens, des aventuriers sont ici pour vous !
À droite, dans une grande salle chaleureuse, une dizaine de petites têtes les fixaient tantôt avec curiosité, tantôt avec méfiance. De tout âge, ils paraissaient pourtant tous unis dans cette misère que le personnel tentait de rendre un peu plus heureux chaque jour. Une petite fille s’approcha de Fenrir et d’Agneta, leur tournant autour. La jeune aventurière n’osait bouger de peur de l’apeurer. L’orpheline se planta alors devant eux, et levant son index elle cria tout fort.
- Pourquoi ils n’ont pas d’armures ?!
Son visage, rouge de colère, trahissait sa vision fantasmée des récits d’aventures. Les bibliothèques du fond regorgeaient de livres en tout genre mais ceux aux dos les plus usées étaient vraisemblablement ceux d’héros en armure, à cheval, prêts à combattre le mal. Agneta sourit et se posa dans le canapé délavé. Quelques enfants l’entourèrent et la vieille dame invita Fenrir à s’asseoir avant que toutes les places ne soient accaparées.
A bien y réfléchir, elle ne savait pas vraiment quoi leur dire. Son malaise se ressentait dans ses mains tremblantes et dans ses pieds mouvants. Ils étaient sages et l’étincelle dans leurs yeux faisait fondre son petit cœur. Elle n’aimait pas particulièrement les enfants, ils étaient gentils, mais ils demandaient beaucoup de temps et de responsabilités. Elle souffla discrètement et se redressa. Sa main attrapa le seul livre qui traînait sur le bas-côté.
Le titre était à moitié effacé, mais elle pouvait y lire « et la montagne maudite ». La couverture montrait un chevalier en armure doré, épée en l’air dans un décor glacial. On devinait en arrière-plan un dragon noir.
- Tous les héros n’ont pas d’armure, sourit-elle à l’orpheline. Tous les héros non plus ne chassent pas les vilains dragons des montagnes.
Les mines boudeuses se tournèrent. Comment pouvait-elle affirmer cela alors que les dragons étaient, dans les récits, les méchantes créatures à anéantir ?
- Et si … elle réfléchit un instant. Et si le méchant dragon protégeait ses bébés du héros ? Est-ce que vous le tueriez quand même ?
Dans le silence, les regards s’échangeaient et d’un commun accord, ils firent tous non de la tête.
- Est-ce que vous l’aideriez à protéger ses bébés si des gens leurs voulaient du mal ?
Dans le fond, un petit « mais c’est pas possible, on serait brûlés avant » se fit entendre et le visage d’Agneta s’illumina. Ce n’était pas totalement faux, du moins pour le dragon du livre. Elle tapota la tête du plus jeune à sa droite qui s’était blotti contre elle.
- Tous les dragons ne sont pas aussi gros, et tous ne crachent pas de grandes flammes. Elle tentait de faire des gestes en même temps pour captiver leur attention mais sentait qu’elle s’y prenait mal. Il y a même des aventuriers dans cette salle qui ont vu de vrais dragons !
Elle adressa un regard à Fenrir, qui avait l’air penaud dans son petit fauteuil crème usé. Il fallait bien les occuper.
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