Les journées d’examens d’entrée étaient toujours un moment que Vivianne appréciait. Elle qui était pourtant si blasée par la vie depuis un siècle retrouvait un semblant d’envie durant ces journées où le stress faisait s’écrouler plus d’un candidat. Cela lui rappelait sa jeunesse. Cette jeunesse qu’elle n’avait pas eue, emprisonnée au service d’un enchanteur. Ces 23 années qu’elle n’avait passé qu’à mourir à petit feu dans un lit ou servir un homme qui ne la regardait même pas. Toutes ses années sans rien apprendre, pas comme elle avait appris par la suite. Alors, voir toutes ses jeunes vies se bousculer pour élargir leur esprit, eux qui avaient si peu de temps, c’était une vision mirifique pour elle. Oui, ils avaient si peu de temps, leur vie s’éteignait, comme un souffle. Un souffle qu’elle aurait du mal à voir, une brise qui l’avait suivie toute sa vie durant, mais un souffle qu’elle admirait. Une passion dévorante qui créait quelque chose d’éternel. Une chose qu’elle verrait toujours, car elle était condamnée à l’éternité.
Elle oublierait les visages, mais jamais les idées. Alors en regardant le nouveau vivier de candidat qui s’étalait devant elle, elle se demandait bien lesquels auraient les idées de demain. Laquelle de leurs recherches lui ferait changer son regard sur son monde changeant ? Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Elle écoutait les conversations badines et les monologues d’étudiants stressés qui pensaient pouvoir apprendre tout ce qui leur manquait à quelques minutes de l’épreuve fatidique. Elle s’amusait de se cacher dans la foule pour épier un peu, les autres académiciens et magisters comptaient sur elle. De par son apparence d’à peine 23 ans, Vivianne se confondait particulièrement facilement avec les autres étudiants. Elle était en réalité bien plus vieille, allant bientôt sur sa 200ème année, elle avait parcouru longuement les routes de ce pays, vécu autant de vies qu’elle avait pu et engrangé autant de connaissances qu’elle pouvait s’en souvenir. Un puits de connaissance qui lui avait ouvert les portes de l’académie. Se faisant passer pour la petite fille du grand enchanteur Alistair Abelas, qui était en réalité son propre fils, elle avait gagné le droit de passer les examens malgré son âge visible non réglementaire. Examens qu’elle avait réussis haut la main à la grande surprise générale.
Une cloche sonna et tous se turent. Le directeur allait faire son petit discours. Elle ne l’écouta que d’une oreille. Blablabla la connaissance, blablabla la liberté … Sa relation avec le directeur Pendragon était devenue aussi froide que la glace depuis qu’elle avait mis son grain de sel dans un domaine de recherche discutable. Travailler sur des gaz potentiellement toxiques pour le ministre des armes n’était pas vraiment vu d’un très bon œil, mais elle s’en fichait. Que le ministre lui demande de fabriquer des protections ou des armes n’était pas son problème. Elle poursuivait un autre objectif, celui de s’émanciper de la Cabale, de retrouver sa liberté qu’elle avait perdue par amour d’une organisation qui n'était plus celle qu’elle avait vu grandir.
Les futurs étudiants suivirent leur professeur vers leur salle d’examens et ne restèrent que les siens et quelques autres qui étaient un peu perdus. Vivianne les laissa se demander pourquoi on les avait oubliés avant de s’avancer face à eux. Son groupe était un mélange parfaitement hétérogène en termes d’âge, d’origine et de sexe. Un mélange parfait qui donnerait probablement une belle promotion s’ils en avaient les capacités.
« Bonjour à vous, dit-elle en se postant devant eux. »
Elle laissa leurs regards interloqués se perdre dans le néant avant de commencer.
« Je suis l’académicienne Abelas, spécialiste de la magie et notamment de la magie spatiale de poche, ainsi que l’enchantement runique. »
Un murmure se propagea dans le petit groupe. Abelas ? La plus jeune académicienne de la vénérable institution ? Certains la regardèrent de haut, bien plus âgés qu’elle, mais la plupart des regards se teintaient d’admiration. Un léger sourire se dessina sur son visage et elle reprit son discours.
« Si tout s’est bien passé, vous devez être tous inscrit en cursus magique, option magie runique et enchantement, sinon je crains de ne rien avoir à vous apprendre sur le mode de reproduction des dragons fée, il faudra vous adresser au professeur Malenia pour cela ! *Elle rit* bien, nous allons avoir l’immense honneur d’utiliser la salle Pendragon du nom de l’ancêtre de notre directeur bien aimé. Vous avez de la chance, c’est la moins exposée au soleil, vous devriez donc avoir une température acceptable, d’autres salles sont de vrais fours solaires ! Suivez-moi. »
Elle les guida à travers les couloirs jusqu’à une grande porte gravée. En réalité cette salle n’était pas utilisée pour les examens d’entrée, mais Vivianne avait soudoyé le secrétariat pour qu’elle lui soit attribuée par erreur. Et une fois les feuillets publiés, il était trop tard pour changer le lieu de l’examen. L’enchanteresse détestait les cagibis incandescents que l’académie appelait « salle d’étude ». C’était si cher de se fournir en cristaux de glace pour rafraîchir ces passoires énergétiques ?
La salle était immense et les quelques bureaux placés en son milieu pour les candidats n’arrivaient pas à la remplir entièrement. Plusieurs meubles avaient été poussés sur les côtés pour faire de la place au centre. Vivianne les laissa s’asseoir et s’empara du tas de copie qui traînait sur le plus grand bureau. Elle les déposa ensuite face cachée devant chaque candidat et retourna enfin au tableau.
« Votre première épreuve est une simple épreuve de traduction runique. Vous aurez à traduire des énoncés magiques de plus en plus complexes. Faites le maximum, c’est un test pour jauger votre niveau, il va bien au-delà de ce qu’on attend d’un disciple, ne vous inquiétez pas. Si vous n’avez pas de question, nous allons commencer. »
Elle renversa le sablier et le temps commença à s’échapper petit à petit.
Il y’avait des années que Maara n’avait pas mis les pieds dans ce qui pouvait s’apparenter à un établissement scolaire. La dernière fois remontait à l’enseignement commun fournis à l’ensemble des habitants du royaume, et où il avait reçu une éducation plus que sommaire mais heureusement complétée en parallèle et par la suite par une horde de précepteurs zélés. Celui qui était alors jeune enfant, avait déjà le goût de la connaissance, il était un élève attentif et particulièrement travailleur. D’aucun diraient qu’il était un génie, mais en réalité il n’en était rien, cette notion avait-elle-même un sens ? Sa connaissance et son érudition étaient le fruit de centaines d’heures d’études passionnées et intenses. Il ne se contentait pas d’apprendre ses leçons et emmagasiner des connaissances, mais de questionner ces dernières, la façon dont certaines conclusions avaient été tirées, le cheminement qui menait au résultat.
Ceux qui se trouvaient là avec lui, candidats à recevoir une éduction scientifique auprès de la prestigieuse académie des sciences, étaient de tous âges, certains parmi les plus jeûnes étaient même venu accompagnés de leurs familles. Le notaire était lui venu seul, bien qu’il ait fait part à sa bien aimée mère de sa volonté de rejoindre l’académie et de sa présence à cet évènement.
L’agitation était de mise, une excitation contenue et maitrisée, mais les esprits étaient aux abois. Maara était cependant relativement calme, bien sûr il ressentait une forme de pression, mais il n’était pas naïf quant à ses compétences, et se savait parfaitement préparé aux épreuves écrites théoriques.
Jusqu’à présent, il avait suivi la voie qui avait été tracée pour lui par son paternel, et si son métier de notaire lui convenait tout à fait, il ne pouvait combler cette soif de connaissance et de découverte qui sommeillait en lui depuis tant d’années et qu’on ne lui avait pas laissé explorer à sa guise.
Maara avait tout cela en tête lorsqu’un son de cloche tinta, et que le directeur prononça un discours de bienvenue pour tous les candidats réunis ce jour. Il écouta le discours avec attention, avant de se diriger en direction d’une rangée d’étudiants, où il devait attendre que l’examinateur ne vienne les chercher.
Les minutes passèrent, et les rangées furent toutes attribuées à des salles de classes, toutes, sauf celle de Maara. Des rumeurs commençaient à émerger parmi les élèves du groupe :
« Vous croyez que ça fait partie du test ? … Peut-être que l’examinateur a eu un empêchement ? … Tu crois qu’on nous a oublié ? »
Maara ne pris pas part aux discussions, bien que certains aient tenté de lui adresser la parole, ce à quoi il répondit d’un signe de la tête. Il fallait dire que le jeune homme se détachait du reste du groupe de part sa posture parfaitement droite et quelque peu impressionnante. Il avait par ailleurs une musculature plutôt atypique pour un érudit lambda, le tout rendant l’ensemble assez détonant du reste des communs.
Aussi, il sursauta tout de même alors qu’une jeune femme, visiblement du même âge que Maara, ou alors légèrement plus jeune, pris soudainement la parole se présentant comme Académicienne et leur examinatrice. Cette dernière était visiblement une spécialiste dans ses domaines, et en particulier, pour ce qui intéressait Maara, en enchantement runique. Elle serait certainement une personne qu’il côtoiera souvent à l’avenir s’il venait à être accepté.
L’apparente jeunesse de l’Académicienne souleva un vent de murmures au sein du groupe, auquel bien sur le notaire ne participa pas. Il était intrigué, le nom d’Abelas lui était familier, son grand-père était un enchanteur de renom. Certains la regardèrent de haut, se sentant le droit de ne pas la respecter à la mesure de son rang, s’imaginant certainement qu’elle n’en avait pas les épaules ou qu’elle avait dû obtenir ce dernier par piston.
Maara la considérait comme elle devait l’être, une institution aussi prestigieuse n’aurait certainement pas admis une parfaite ignorante à un poste aussi important, et elle devait certainement même avoir du être jugée plus sévèrement du fait de son jeune âge. Il avait même plutôt de l’admiration pour elle, à quel point avait-elle du se dévouer à l’étude pour être parvenu à un tel niveau de connaissance si rapidement ?
Le groupe fut installé dans une pièce visiblement importante de l’académie, elle portait le nom de son directeur. Effectivement, la chaleur dans les couloirs et les salles de l’académie n’étaient pas des plus clémentes, mais celle de la salle d’examen était parfaitement acceptable et agréable.
La taille du lieu semblait démesurée en comparaison avec le nombre d’élèves venus passer l’examen, et Maara en profita pour conserver une place de distance à sa droite et à sa gauche avec d’autres élèves. Il ne voulait pas qu’un autre profite de sa copie, ou qu’on puisse l’accuser de tricherie si cela venait à se produire.
La première épreuve débuta, son sujet était somme toute assez caractéristique du domaine dans lequel Maara souhaitais poursuivre ses recherches.
Il avait bien préparé son examen, et avait révisé les classiques du domaine afin de réactiver sa mémoire quant aux leçons qu’il avait reçu de ses professeurs. Les premiers textes furent assez simple, pourtant impossible à traduire pour le commun des mortels, la traduction runique était loin de faire parti du tronc commun ou des enseignements les plus classiques. Le notaire avait pu influer quelque peu sur les thèmes de ses cours et avait insisté pour recevoir des leçons sur les bases des sciences magiques.
Alors que l’ambiance devenait de plus en plus lourde au fur et à mesure que le sablier s’écoulait, et que les énoncés devenaient de plus en plus complexes, nombre d’étudiants posèrent leurs plumes, arrivant au bout de leurs compétences. Maara réussit, à son avis, à traiter une partie conséquente des textes, plus que la plupart des autres élèves, il poussa jusqu’au dernier grain du sablier afin de tenter de traduire les derniers mots qui devenaient de plus en plus compliqués et fastidieux à traduire, posant sa plume avec délicatesse une fois le temps écoulé. Il savait que d’autres élèves avaient certainement un meilleur niveau que lui, mais savait avoir réussi l’épreuve.
Le temps s’écoula et le dernier grain du sablier se perdit dans le récipient inférieur. Vivianne claque des mains pour marquer la fin de l’épreuve, arrachant leur stylo aux retardataires qui tentaient de griffonner une réponse supplémentaire pour gratter des points. Tout le monde lui passa sa copie à laquelle elle ne jeta pas un regard pour l’instant. Elle empila le tout sur son bureau.
« Vous avez 15 minutes de pause, puis nous passerons à une épreuve de production écrite. »
Elle leur indiqua la porte d’entrée qui menait à la cour de l’académie.
« Allez prendre un peu l’air. »
Son ton sous-entendait que le conseil pourrait leur être bénéfique, mais également que la suite serait plus ardue que ce premier examen. Reconnaître des symboles était simple, mais qu’en en plus on vous demandait de les produire de mémoire, cela se compliquait significativement. L’enchanteresse commença à feuilleter les copies tandis que les étudiants se mettaient à parler de l’examen comme ils le font tous à chaque fois qu’ils passent des tests. Vivianne n’écoutait que d’une oreille, parcourant les copies du regard, identifiant les plus problématiques, celles qui allaient lui donner du fil à retordre. Pour l’instant, elles n’étaient pas trop nombreuses. Il n’y avait pas dans ce lot d’étudiant un petit malin complètement idiot qui passait systématiquement à côté de chaque question, car il était trop stupide pour les lire.
« Eh bien, on progresse avec le temps. »
La pause se termina en un éclair et tout le monde revint à sa place. Le sujet fut donné et à voir la tête des candidats, ils n’étaient plus aussi simples que le précédent.
« Cette fois-ci, ce sera une épreuve de production écrite. Vous devrez vous-même écrire les runes qui correspondent au message qui est écrit dans la question. Ne vous inquiétez pas, nous vous demandons de n’utiliser que des systèmes runiques proches de la langue écrite, mais si vous en connaissez d’autres, notamment les iconographiques ou syllabiques, n’hésitez pas. Évitez cependant des systèmes trop exotiques, il serait dommage d’avoir à faire venir un expert pour déchiffrer votre réponse. Croyez-moi, même si vous connaissez un vieux système totalement dépassé, cela ne vous fera pas sortir du lot durant cet examen, restez sur les systèmes les plus connus … »
Elle retourna le sablier et le temps commença à filer. En réalité, Vivianne était capable de lire bien des systèmes runiques et était familière de leur alphabet, mais sa mémoire n’était pas non plus extensible. L’idée d’avoir à passer des heures avec un grimoire pour lire les réponses des étudiants n’était pas vraiment séduisante. Et puis, ce n’était pas ce qu’on leur demandait. Qu’ils maîtrisent les bases des systèmes les plus polyvalents avant de se lancer dans d’autres aux utilisations très précises. Cette fois-ci, elle lut sur le visage des étudiants que l’épreuve avait augmenté d’un cran. Des petites gouttes de sueur perlaient à leur front et Vivianne voyait le tremblement de leur main alors qu’ils traçaient maladroitement des runes. On ne s’attendait pas à ce qu’ils brillent durant cette épreuve, un étudiant brillant à ce moment-là n’aurait probablement pas grand-chose à apprendre par la suite, mais elle était tout de même nécessaire pour dessiner une représentation aussi fidèle que possible des niveaux dans cette promotion. Il lui fallait une image précise.
Les heures s’écoulèrent et le temps imparti fut de nouveau consommé. Vivianne récupéra les copies, observant au passage les têtes d’enterrement que tiraient les étudiants. Il était si simple de se décourager … Le soleil brillait à travers les carreaux, indiquant que midi était passé.
« Très bien vous avez maintenant deux heures de pause pour vous restaurer. Ceux qui veulent manger au réfectoire peuvent me suivre … »
Elle laissa le secrétariat prendre les copies qu’on lui redonnerait plus tard après anonymisation et prit la tête d’une petite file d’étudiants jusqu’au réfectoire. Là elle les laissa s’installer pour discuter avec ses collègues et échanger un peu sur les promotions de cette année. C’était une coutume d’académicien et de magister de faire leurs petits commentaires sur la nouvelle génération d’étudiants. Le réfectoire se remplit petit à petit au point de devenir noir de monde. Ce n’était pas toujours le cas, mais lors des sessions d’examen, l’académie accueillait beaucoup d’externes et l’endroit était vite bondé. Les candidats se rassemblaient souvent ensemble à la même table et se regroupaient généralement avec ceux qui passaient l’examen avec eux dans la même salle.
Les discussions allaient bon train, mais elles se turent subitement. Vivianne venait de s’asseoir à la table des candidats l’air de rien, n’ayant amené que son écuelle et un verre d’eau. N’adressant la parole à personne, elle mangeait simplement à leur côté et tout dans son attitude indiquait qu’elle était ouverte à la discussion si quelqu’un voulait l’aborder. Pourtant, ce n’était pas commun de voir un professeur manger avec les autres, normalement ils avaient leur propre salle réservée dans la mezzanine, alors que faisait-elle là ?
Les examens n’étaient pas vraiment dans les habitudes de Maara, avec ses précepteurs l’évaluation était plutôt sur un mode continue et non sous la forme d’examens aussi protocolaires. Néanmoins, l’exercice semblait plutôt aisé au notaire qui était de nature consciencieuse et lui-même assez rigide dans son fonctionnement. Voir certains élèves ainsi céder à la panique, action qui lui semblait plus que contreproductive, lui fit comprendre les paroles d’encouragements prodigués par sa mère le matin même. Elle était venue lui rendre visite jusqu'à son bureau pour cette unique raison. Jusqu’à présent il ne comprenait pas réellement la nécessité de tant de démonstration, mais il fallait croire qu’il était bien le seul à ne pas avoir à subir le fameux stress des examens.
Un court entracte fut accordée au groupe, avant d’enchainer avec la prochaine épreuve. Un temps durant lequel Maara en profita pour s’hydrater convenablement, mouillant son visage d’un peu d’eau à l’aide d’un morceau de tissu afin de ne pas en renverser sur sa tenue. La chaleur était plus supportable ici que dans le reste du bâtiment, mais était tout de même bien présente. Il s’assit sur un banc, un peu à l’écart du groupe dont les membres échangeaient vivement sur la nature de la première épreuve et la difficulté de cette dernière. Agir de la sorte devait leur servir à se rassurer … quelque chose comme ça.
Maara, lui, fidèle à ses habitudes, ne participa pas à la discussion, se perdant plutôt dans ses pensées, intrigué à propos de son examinatrice. Elle était définitivement bien jeune, et semblait pourtant avoir un caractère bien trempé, bien différent des autres de son âge. Maara lui également était particulier à sa manière, il se demandait ce qui la rendait si spéciale.
De retour en classe, le jeune homme repris sa place, attendant les instructions de l’épreuve suivante. Le thème de cette dernière était particulièrement intéressant. Alors que les autres se décomposèrent lors de la découverte du sujet et des documents, Maara lui était tout excité. Bien, sur il l’était à sa manière c’est-à-dire de façon contenue, laissant s’échapper un sourire sur le coin de ses lèvres. Ce n’était pas de la vantardise, mais plutôt l’expression d’une joie simple et sincère.
Le potentiel futur étudiant avait étudié de nombreux systèmes runiques, il en avait appris les bases afin de pouvoir former ses propres théories et étudier son pouvoir. L’exercice, sans être un jeu d’enfant, allait être pour lui certainement bien moins problématique que pour un certain nombre de camarades.
Il s’affaira alors à la tâche, usant principalement de systèmes basiques comme demandé, usant cependant à quelques occasions de système un peu moins habituels, dont un particulièrement archaïque, ne parvenant pas à retranscrire certains messages par d’autres moyens.
Lorsque le sablier s’écoula, une bonne partie du travail demandé avait été accomplis, et Maara pensait avoir répondu correctement à un bon nombre de questions. Il s’arrêta lorsque le temps fut écoulé, puis se perdit immédiatement dans ses pensées, se demandant s’il n’aurait pas pu utiliser telle ou telle méthode … Au point de sursauter au passage de l’enseignante au moment de lui restituer son travail, lui souriant de travers, l’air confus et gêné.
Finalement, les épreuves de la matinée terminées, le groupe fut dirigé en direction d’un réfectoire qui semblait relativement petit pour le nombre de convives, ce qui ne permit pas à Maara de s’asseoir seul pour profiter de son repas. Il échangea quelques conversations de politesse avec les personnes attablées avec lui, il n’était pas un rustre, mais se contenta du strict minimum.
Soudain, le brouhaha constant de la pièce fut rompu, l’examinatrice s’était assise à la table des candidats. Personne ne semblait vouloir briser le silence de plomb qui venait de s’installer, pourtant ce fut Maara qui le rompit le premier, contre tout attente.
« Est-ce votre première expérience en tant qu’examinatrice ? Où s’agit-il d’une habitude que vous avez prise afin de cerner au mieux vos candidats ? »
La question pouvait paraitre déplacée par son coté direct, mais de toute évidence l’examinatrice s’était elle-même extirpé du scénario attendu, alors il ne sembla pas inapproprié à Maara de questionner ainsi l’académicienne. Il la posa sans une once de défiance, plongeant son regard strict en direction d’Abelas.
Il ne savait pas vraiment sociabiliser, mais c’était là sa façon d’engager la discussion, et d’en savoir un peu plus sur ce qui faisait de cette personne, une personne aussi particulière.
Son regard glissa sur l’aile des enseignants. Elle y croisa quelques regards interloqués et d’autres plus désapprobateurs. Depuis son coup de poker auprès du ministre et son faux chantage auprès du directeur, elle avait senti la tension dissimulée qu’il pouvait y avoir avec ses collègues. Une sorte de dégoût, une impression de gâchis qu’ils avaient tous dans les yeux quand il la regardait. Elle était arrivée à l’académie comme une étoile filante, une gamine à qui on avait laissé le bénéfice du doute en lui faisant passer les examens réglementaires pour devenir académicienne. Des examens sur lesquels on ne lui avait pas fait de cadeau. En même temps, son âge était déjà une exception, il n’aurait pu en être autrement. Elle s’en était sortie avec brio et avait ensuite proposé des idées nouvelles qui avaient réussi à capter l’attention de tous ces vieux chercheurs. Une entrée fracassante qui résonnait avec son départ dans le silence. Partir travailler sur des armes chimiques, car tout le monde savait que ses recherches sur le grossark n’allaient pas être que pour de la défense, était un destin que personne n’avait envisagé pour elle. Si jeune et pourtant déjà perdu dans sa carrière … Vivianne aurait pu en être affectée, mais tous ces gens ne pouvaient voir qu’une partie du tableau. Briser sa carrière n’était un drame que si votre vie avait une fin, et ce n’était pas son cas.
Un léger sourire se dessina sur mes lèvres et je détournai mon regard vers le bambin qui venait de m’accoster. Il ne voyait pas les regards des autres, ou alors il n’en avait que faire. Un affranchissement des codes sociaux que je respectais au plus haut point. Toutefois, cela ne lui attirera pas que de bonnes choses, à commencer par mon attention.
« Il est bien présomptueux de votre part de croire que je continue mon travail d’examinatrice pendant ma pause déjeuner. Vous voir écrire toute la matinée devrait être bien suffisant n’est-ce pas ? »
Je ris doucement, laissant planer le doute sur le sens réel de mes propos. Surveiller les candidats était une tâche comme une autre, j’étais patiente et détachée, alors ce n’était pas vraiment une corvée, contrairement à ce que pouvaient vivre mes collègues pendant les périodes d’examen. Mais allez savoir, peut-être que ce cher candidat comprendrait le contraire ?
« Peut-être aussi que les cristaux de glace de la salle des professeurs ont rendu l’âme après la dernière démonstration du professeur Radahn et qu’il y règne maintenant une température infernale. »
Elle prit une gorgée d’eau tout en indiquant la petite mezzanine ou mangeait les professeurs. En effet, la plupart d’entre eux semblaient suer à grosse goûte, d’autres avaient laissé tomber quelques couches de vêtements.
« Un vrai calvaire, chuchota-t-elle. Et puis, avec mon âge je fais bien tache parmi eux, il est plus plaisant de me mêler aux élèves, d’habitude je passe inaperçue, mais pour vous qui m’avez vu ce matin, ce n’est pas une surprise ! »
Le ton badin de Vivianne sembla en détendre plus d’un, les conversations reprirent et d’autres candidats trouvèrent le courage de s’adresser à elle comme l’avait fait le type à lunette. Elle se fit un plaisir d’y répondre, notamment sur les épreuves de la matinée.
« Rassurez-vous, vos notes sont surtout indicatives et nous permettrons de vous aiguiller dans votre projet d’avenir. Il est inutile de vous faire entrer si vous n’avez pas le niveau de base, ce ne serait que vous enfoncer un peu plus en vous mettant face à un mur. Cette après-midi vous aurez une épreuve pratique et demain vous aurez un entretien individuel avec moi pour discuter de vos aspirations. À cette occasion, je vous ai préparé une petite surprise … »
Elle laissa planer le doute sur la nature de cette « surprise » et son sourire tantôt doux tantôt carnassier ne donnait aucun indice pour déterminer si c’était une bonne ou une mauvaise surprise.