- Kasha ? Enfin, tu es là... Tu as des nouvelles d'Agneta ?
Euh... Très bonne question. Elle s'était engagée auprès d'elle, c'était vrai, mais dernièrement, elle avait été très prise. Bien sûr, ce n'était pas une excuse, mais elle ne savait pas ce que sa protégée devenait. Alors, sachant qu'elle pouvait être sincère avec cet hôte, son "grand frère", comme elle aimait l'appeler, ce fut honnêtement qu'elle répondit :
- En fait, non. Mais oui, profitons de ma présence... Tu sais vers où elle pourrait être ?
- Aux dernières nouvelles, elle retournait à son village natal. Il se trouve quelque part dans les plaines, voici un plan.
Et il lui indiqua un point sur un plan... Kasha ne put retenir une grimace, au souvenirs de ses expériences récentes... Assez catastrophiques, pour ce qui était de l'orientation. Néanmoins, elle ne dit rien, prit le plan, remercia l'hôte et rejoignit sa chambre pour l'étudier et mettre des vêtements de voyage.
Une demi-heure plus tard, Nox voletant autour d'elle, elle se mit en route. Pendant qu'elle commençait à marcher, elle ne pouvait détacher son regard de la feuille de papier. Pendant tout le temps qu'elle avait pris dans sa chambre, quelque chose l'avait dérangée à ce sujet, sans qu'elle ne puisse mettre le doigt dessus. À présent, elle savait. Ce point... Il lui disait quelque chose. Elle s'y était probablement déjà rendue. Quand ? Probablement un moment auparavant. À quelle occasion ? C'était assez vague.
Alors oui, elle ne savait pas grand-chose, mais c'était déjà mieux que rien. Néanmoins, elle prit soin, sur le chemin, de se renseigner auprès de chaque personne qu'elle croisait, lui montrant son plan pour lui faire confirmer qu'elle était sur la bonne route. Bien lui en prit, car, plusieurs fois, elle dut changer de direction, car elle était sur le point de se perdre. Franchement, comment avait-elle pu croire en son sens de l'orientation ?
Finalement, le soir tombait lorsqu'elle finit par arriver. Elle chercherait un hébergement plus tard. Pour l'instant, l'important était de retrouver Agneta, tant qu'il faisait encore assez jour pour qu'elle puisse la reconnaître si elle la croisait.
Sans réaliser que Nox s'était éclipsé, elle se promena dans les rues, observant rapidement chaque personne qu'elle croisait, afin de ne pas paraître suspecte en les regardant dans les yeux. Elle savait que, si Agneta était encore dehors à cette heure-ci, elles finiraient forcément par se croiser, les populations des villages étant beaucoup moins importantes que celles des grandes villes dont elle avait l'habitude.
Le chemin du retour vers son chez-elle lui parut d’une rapidité folle, les excuses de son retour si prématuré défilaient dans sa tête et elle imaginait déjà la mine réjouie et fière de son grand frère qui pourrait enfin prouver au monde entier, du moins au village entier, que sa cadette n’était une bonne à rien. Les derniers pas sur le gravier de l’entrée du village alourdirent son cœur. Rien n’avait changé, le vent poussait toujours les amas d’herbe sèche sur le chemin délabré et la pancarte de l’auberge arborait encore la petite guirlande de fleurs défraîchie qui, fut un temps, resplendissait de beauté.
Le soleil s’était à peine couché, mais déjà les ivrognes habitués avaient repris leur siège, à travers le vitrage opaque, laissant entrevoir les lumières et les formes sans pouvoir les distinguer, elle devina les chopes se lever et retomber d’un coup franc sur la table. L’humeur était joyeuse là-dedans, tandis que la sienne était bien morose pour un retour qui se voulait réconfortant. Agneta contourna par la gauche, par le chemin de terre, et y trouva le seau d’eau retourné. Elle le poussa contre le mur de pierre et s’y posa, laissant sa besace bien chargée sur le côté, rendant son dessous terreux et humide.
Sa tête s’affaissa progressivement sur l’une des pierres du mur, ses paupières se fermaient sans qu’elle ne puisse réellement lutter. Ce chemin avait été moins fatigant à l’aller. L’une de ses mains effleurait la terre battue pendant que l’autre reposait sur ses cuisses. La lumière du jour s’était nettement dissipée et avait laissé place à un trait de lumière vive disparaissant doucement à l’horizon. Ses yeux s’habituèrent lentement à l’obscurité naissante, elle se redressa et dans le brouhaha de l’auberge, elle observa du coin de l’œil les villageois rentrer chez eux par l’allée principale. Elle en reconnaissait certains, par leur style vestimentaire, par leur démarche ou par la vivacité des paroles qu’ils lançaient aux passants. Puis, il y eut ces pas.
Ils étaient familiers, vifs mais prudents. Agneta se releva tant bien que mal de son petit seau et épousseta la robe lie de vin qu’elle portait. La besace qu’elle avait rapportée resta au sol, près de la porte de service condamnée, et la jeune fille se dirigea vers l’allée principale, enjambant la barrière fine qui s’opposait à elle. Le deuxième pied toucha le pavé glissant, son regard se porta sur la silhouette familière, déjà devant elle, continuant son chemin dans le village, non pas vers les habitations, mais vers les divers commerces et les lieux de rassemblement. Dégageant le pan de sa robe qui s’était coincé dans le haut de la barrière, elle entama une marche rapide en direction de ce qu’elle pensait être une femme.
Elle la rattrapa sans difficulté. Le deuxième pied toucha le pavé glissant, son regard se porta sur la silhouette familière, déjà devant elle, continuant son chemin dans le village, non pas vers les habitations, mais vers les divers commerces et les lieux de rassemblement.
- Tu ne peux pas te passer de moi ?
Un sourire radieux s’afficha sur sa mine qui jusqu’ici avait été bien grise. Finalement, peut-être que l’aventure la rappelait.
- Je te fais visiter ?
Cependant, si je tachais d’esquiver cet endroit, les marchands que j’accompagnais parfois eux n’avaient pas ce luxe. C’est ainsi que je me retrouvais en vue de ce dernier, mais incapable de m’y rendre, le plus souvent, je le contournais et je passais la nuit dans un bivouac alentour pour retrouver les marchands sur la route le lendemain. Prétextant n’importe quelle raison, une quête à réaliser dans les parages, une chasse à donner.
Mais la malchance avait voulu que cette fois, je n’avais pas vraiment le choix d’y échapper. Une lettre que mon oncle m’avait remise, une parmi de nombreuses autres à vrai dire au cours des cinq années qui sont passées. Ma mère avait tenu à me tenir un peu au courant de tout ce qui évoluait, comme si j’étais encore un membre de la famille. Malheureusement, je ne me souviens pas avoir répondu aussi souvent que je l’aurais dû.
LA dernière faisait état d’un événement dans notre famille, l’arrivée prochaine d’un petit frère ou d’une petite sœur. Ce qui n’était pas rien quand on savait à quel point ma mère avait du mal à avoir et porter un enfant. Ma naissance ne s’était pas fait sans souffrance et d’ailleurs, mon départ non plus.
J’arrivais dans le village, ayant abandonné le groupe qui passait par une autre entrée, tachant d’être aussi discret que possible. Je ne ressemblais plus autant à celui que j’étais avant mon départ, mes cheveux longs m’y aidant beaucoup. On ne me calculait donc pas, comme la plupart des aventuriers de passage ici.
Mais je n’avais pas prévu ce qui commençait à devenir une espèce de petite malédiction pour moi. Un chat avec des ailes qui se retrouva rapidement sur ma tête, attirant, bien trop l’attention. Pourquoi cette boule de poils devait-elle être aussi mignonne ? Et pourquoi Kasha n’avait pas encore opté pour un collier de je ne sait quoi, permettant de retrouver la trace de ce petit pot de colle.
- Excusez-moi, votre visage m’est familier, on se connaît ?
Demanda un homme ayant passé la quarantaine. De mon côté, j’étais complétement dépassé par la situation et je ne parvenais même pas à le regarder dans les yeux alors que je tenais le chaton dans mes mains pour l’empêcher d’ameuter plus de monde.
- Euh, j’ai… j’ai un visage plutôt commun, on me le dit souvent ! Ne vous occupez pas de moi. Vous savez par où se trouve l’auberge ?
L’homme resta suspicieux et des gamins venaient se rameuter autour de moi pour voir le Tenko de Kasha. Bon sang, pour une entrée discrète, c’était raté ! Merci Nox ! J’observais les alentours jusqu’à trouver Kasha qui était avec… Oh oh … Agneta. Là j’avais compris que mon passage dans ce village risquait d’être plus compliqué que je ne l’aurais voulu.
Puis de toute façon, je ne me faisais pas d’illusion, j’aurais été démasqué tôt ou tard en voyant mon père ou ma mère.
- En fait, je voulais prendre des nouvelles. Mais visiblement, il n'y avait pas à s'inquiéter !
Puis, sa mine joyeuse se fit plus soucieuse. Pas à s'inquiéter ? Que faisait-elle là, alors ?
- Agneta... La Guilde ne te plaît pas ? Ou tu es en vacances, peut-être ? Jespère au moins que tu ne comptais pas nous quitter sans me prévenir !
Ce qui serait la moindre des choses. Si elle voulait quitter l'organisation, elle en avait parfaitement le droit, après tout, Kasha ne pourrait pas lui en vouloir de réaliser qu'elle n'avait pas trouvé sa voie. Mais, compte tenu de l'engagement qu'elle avait pris vis-à-vis d'elle, elle espérait bien être mise au courant si jamais une telle chose venait à se produire.
Puis, soudain, Nox la rejoignit.
- Oh tiens, tu étais parti, toi ?
Elle reporta alors son attention sur Agneta :
- Regarde, j'ai un petit compagnon, maintenant ! Je te présente Nox !
Le chaton bomba son torse minuscule, comme s'il avait compris, puis il vint tourner autour de la brune, avant de pousser son nez du nuseau, joueur. Néanmoins, son retour voulait dire une chose... Lorsqu'il disparaissait comme ça, sans prévenir, c'était toujours pour aller voir la même personne. Et s'il était revenu, cela voulait dire... Elle tourna sur elle-même, observant les alentours, jusquà ce qu'elle le voie. Et, n'ayant cure du fait qu'elle attirerait ainsi probablement l'attention, elle le héla :
- Fen ! Salut !
Invitant d'un geste Agneta à la suivre, elle le rejoignit. Puis, elle prit un moment pour les observer tous les deux, alors que Nox, visiblement aux anges, jouait tour à tour avec chacun des trois humains. Puis, elle reprit la parole, éloignant le chaton qui lui gênait la vue, le poussant vers les autres... Mais il semblait décidé à l'embêter, car il revint immédiatement tourner autour d'elle. Agacée, elle finit par l'attraper et le garder dans ses bras, prenant soin de lui entraver les ailes de ses doigts pour l'empêcher de retourner voler là où il dérangeait le plus... Tout en prenant bien garde à ne pas froisser ces ailes. Le but était d'avoir la paix, certes, mais sans maltraiter le chaton, qui se mit à râler, mais la blonde était sûre que c'était plus pour la forme qu'autre chose, car il se calma bien vite.
- Bon. Vous vous connaissez ou je vous présente ?
Elle avait continué comme si de rien n'était, comme si le chaton n'avait jamais rien perturbé.
- Dés :
Certes, elle l’avait envisagé et la pensée traversait parfois son esprit tel un éclair : une jeune aventurière peu téméraire, ça ne rapportait pas gros, c’était même une très mince bourse qu’elle trimballait sur son chemin et à vrai dire c’était pour cette raison qu’elle était retournée chez ses parents ce soir, pour tenter de retrouver du contact et manger autre chose qu’un gruau fade et à la texture douteuse. Le vent poussa dans sa danse naissante les herbes mortes qui jonchaient l’allée en pierre : elle en était certaine, elle trouverait de quoi s’en sortir, après tout, il le fallait. Ses lèvres s’entrouvrirent mais le son qui s’apprêtait à sortir fut arrêter par une petite boule noire tombant du ciel.
Le petit Tenko trébucha sur l’épaule de Kasha et la mine de sa mentor s'égaya à la vue de celui-ci. Fascinée, Agneta tendit la main par réflexe, n’ayant jamais eu l’occasion d’en toucher un en vrai : le seul qu’elle avait touché jusqu’ici était celui dont le dessin était presque effacé dans l’encyclopédie des animaux qu’elle chérissait tant. Nox. En voilà un nom qui lui allait bien. Son pelage noir se fondait peu à peu avec la nuit mais ses deux billes brillantes le trahissaient dans celle-ci, tout comme ses ailes qui une fois déployées lui donnaient un petit air majestueux.
Les larmes montaient, comment résister à une si petite merveille ? Fier comme un pape, ses poils se dressant royalement sur son petit torse, il s’approcha d’Agneta avant que cette dernière n’y passe très rapidement une main et ébouriffe le petit familier. Tout était si trouble autour d’elle, les larmes de joies obstruant ses yeux, il n’y avait rien de plus beau qu’un familier aimant quelqu’un d’autre que son maître.
- Fen ! Salut !
La vue lui revint subitement. Fen ? Comme Fenrir ? Elle n’avait jamais osé l’appeler comme ça, preuve de respect ou de stupidité, jusqu’ici elle s’était toujours contenté des prénoms sans prendre la peine de chercher un diminutif ou un surnom. Suivant Kasha, elle rejoint Fenrir qui détonnait dans le décor de leur village natal, la nostalgie d’une époque où eux deux, hauts comme trois pommes, chahutaient dans les ruelles revenait peu à peu. Nox tournoyait entre les trois mais finit par reprendre goût à sa propriétaire qui en semblait plus agacée qu’heureuse. Il termina saucissonné.
Dans un autre contexte, le retrouver ici sans avoir été prévenue l’aurait mise mal à l’aise, toutefois, leur escapade à la Capitale avait permis d’apaiser les retrouvailles. Le sourire de la jeune femme était crispé et retenu, ses yeux balayaient de haut en bas l’homme qu’elle considérait comme son grand frère et finalement la question de Kasha faillit finir dans l’oubli avant qu’elle ne se reprenne.
- On peut dire ça, oui.
Le halo des lampadaires se faisait de plus en plus faible, la nuit dévorait chaque faisceau restant et malgré leur volonté, la puissance qu’ils possédaient ne pouvait lutter. D’un geste maladroit, Agneta invita les deux aventuriers à venir à l’auberge où elle pourrait alors leur offrir un toit et un repas, ou même deux, selon les restes.
Depuis la rue adjacente, les joyeusetés déjà s’entendaient, entre les familles, les amis et les ivrognes, il y en avait pour tous les goûts. Elle escalada la petite barrière qu’elle venait d’emprunter et ouvrit la porte arrière de la bâtisse, passant une tête avant ses invités pour éviter une poêle jetée malencontreusement par sa mère qui tenterait de se défendre. La course aux fourneaux se faisait sentir alors que la nuit venait à peine de commencer, son père ne prit même pas la peine de relever les yeux mais fit signe à sa fille de venir et désigna une petite cocotte en fonte rouge dans le fond de la cuisine.
Agneta recula les deux bancs qui se faisaient face dans la salle annexe de la cuisine pour permettre à ses convives de s’installer confortablement. En cuisine, elle souleva le couvercle de la cocotte et découvrit un ragoût non identifiée auquel elle décida de rajouter deux brins de ciboulette qu’elle améliora subtilement, grâce à son don, pendant une bonne minute. Le hachage s’avéra plus difficile que prévu, la pièce tanguait et sa tête tournait, elle se sentait mourir à petit feu et s’offrit une pause de deux petites minutes sur le tabouret moisi qui servait à entasser les casseroles pour la plonge.
Elle revint toute rayonnante devant ses camarades, ses amis, une assiette dans chaque main et la dernière sur l’avant-bras. Elle souriait naïvement, l’effet de son pouvoir agissant toujours un peu sur son humeur, un peu dans les nuages mais assez consciente pour ne rien renverser.
- Et du coup… elle s’engouffra entre la table et le banc, à côté de Kasha, tant bien que mal. Tu as fait tout ce chemin pour me voir ? lança-t-elle à la blonde.
La première cuillère agit comme un électrochoc. Là, dehors, dans la fraîcheur de soirée, elle se souvint que son acolyte d’expédition le connaissait lui, son grand frère de cœur. Peut-être même plus qu’elle ne le connaissait lui-même. La panique montait en elle, une chaleur atroce partant du ventre et remontant jusque dans son front, des petites gouttes perlaient imperceptiblement dans ses cheveux bruns : à quels points se connaissaient-ils ? N’était-elle qu’une pâle figurante après tout ce temps ? Elle avait déjà ressenti cette sensation auparavant, celle d’une pauvre fillette abandonnée et jalouse pour rien. La serviette qui était alors sur ses genoux vint tapoter ses tempes, toujours le sourire niais sur la face.
Il était temps d’apprendre à laisser les autres être libres.