Depuis quelques jours le soleil est écrasant. Un épisode de canicule qui n’est pas sans laisser des traces dans les environs de la Forteresse, d’ordinaire enserrée dans un écrin de glace. Les rivières ont enflé d’un nouveau débit de neige fondue, parfois au grand plaisir de certains locaux. Les difficiles habitants du nord ont ainsi troqué plusieurs couches de vêtements pour s’adonner à de festifs et très brefs bains dans ces eaux froides dans le but de fuir la morsure du soleil sur leurs têtes. Ce jour-là toutefois, Mary, 12 ans et impossible vaurienne, décide de faire une fois encore courir et hurler ses parents.
En une poignée de secondes d’inattention, la gamine utilise son pouvoir pour se transformer en gloot et se gonfle de tous ses petits poumons. Véritable balle gonflable lâchée sur les flots, portée par son rire diabolique tonitruant, l’effroyable môme se retrouve instantanément emportée dans les rapides et le flux d’eau croissant. Côté adultes, voilà que ça hurle, ça se cherche, ça se pointe du doigt et ça panique. Vous savez bien sûr qu’à part vous, présentes ici pour la raison de votre choix, personne n’a la capacité de retrouver la fillette – le père et la mère reviennent d’ailleurs bredouilles et essoufflés de leur tentative de rattraper leur progéniture.
Vous savez également que cette rivière serpente et s’achève dans la forêt en contrebas et que la montagne peut être dangereuse par ces températures trop chaudes qui modifient brutalement le paysage et fragilisent certaines parois glacées haut en altitude. Et vous savez bien sûr que Mary aura tout, sauf envie de revenir.
Participants : Evelyn & Enola
Thème actuel : Aléas climatiques
n'amasse pas mousse
Une panique gonfla chez les gens présents. Evelyn se releva, remit ses bottes, rabaissa le bas de ses pantalons et accrocha son arc à sa hanche. Lorsqu’elle releva la tête, elle cligna des yeux, surprise de tomber nez à nez avec Enola. «Belle journée pour perdre un enfant», fit-elle à son intention, usant de sarcasme.
Les enfants pouvaient être turbulents, se montrer indisciplinés, faire des bêtises et donner bien des craintes à leurs parents. Evelyn savait cela. Evelyn comprenait la crainte des parents de Mary. La comprenait et la ressentait. Alors, devant le père et la mère, Evelyn dit : «On va la retrouver. Restez ici. …Ah, et préparez des bières pour notre retour, on risque d’être assoiffées.» N’ayant pas trop le choix de leur faire confiance, les parents hochèrent la tête.
Evelyn s’éloigna en compagnie d’Enola. D’un pas rapide, les deux femmes commencèrent à descendre la rivière, en direction de la forêt, pour rejoindre le point où la rivière s’achevait. «Retrouver les âmes perdues, c’est un peu ta spécialité», lui dit-elle avec sérieux. Et comme la chasse et la forêt étaient deux spécialités d’Evelyn, à elles deux il y avait bon espoir. Sauf si Mary désirait vivre avec sa nouvelle famille, les Gloots. «Ça va depuis la dernière fois?», s’enquit-elle, puisqu’elles avaient le temps d’échanger un peu.
ft. Evelyn Westwood
Enola faisait partie de ces curieux et avait profité de la fin d’une garde à la forteresse pour profiter de ces températures inhabituelles parmi la petite foule. Elle arrivait à peine sur les lieux lorsqu'un petit monstre se déclara. C’était une petite fille, Mary, à en croire les cris des deux individus qui cherchaient à la retenir et qui devaient sûrement être ses parents, qui venait sous les yeux ébahis des témoins de se transformer en une gelée visqueuse et bleue, en gardant son gabarit de jeune fille, et commençait à glisser sur la rivière.
« Belle journée pour perdre un enfant » fit une voix féminine à sa droite.
Enola tourna la tête pour tomber en face d’Evelyn Westwood, son amie aventurière, qui avait déjà commencé à prendre les choses en main. Alors que Enola s’approcha rapidement de la rivière pour voir se perdre dans les sinuosité des ruisseaux, elle entendait Evelyn rassurer les parents présumés à sa manière.
« On va la retrouver. Restez ici … ah et préparez les bières pour notre retour, on risque d’être assoifées. »
Elles se mirent alors à descendre le long de la rivière des pas les plus grands qu’elles puissent esquisser, alors qu’Enola était alourdie par son armure et Evelyn par son plastron en cuir. Enola commençait déjà à être anxieuse de la situation, aux vues de la vitesse à laquelle l’enfant avait pris sa trajectoire : dans combien de morceaux est-ce qu’il allait arriver en bas ? En sa compagnie, Evelyn, bien plus bavarde qu’elle, commençait la discussion.
« Retrouver les âmes perdues, c’est un peu ta spécialité.
- Peut-être … » répondait-elle seulement, pensive.
En effet, Enola et Evelyn s’étaient rencontrées aux abords de la forteresse alors que cette dernière s’était échappée d’un groupe de brigands, alors qu’Enola l’avait entendue courir à perdre haleine dans un recoin de la forêt. Peut-être que cette fois encore Enola pourrait tester sur le terrain son pouvoir d’ouïe ? Elles le verront en arrivant en bas. Pendant ce temps, il fallait encore vérifier que la petite ne s’était pas arrêtée entre deux méandres.
« Mary ! Où es-tu ? criait Enola tout en continuant sa trajectoire et en gardant un oeil sur la rivière.
- Ça va depuis la dernière fois ? lui demandait en retour Evelyn.
- Rien de bien spécial à part une mission dont je suis revenue, mais je ne peux rien te raconter malheureusement. Et toi tu as retrouvé ta Sofia ? … Mary !! »
Elles continuaient de descendre, Enola s’arrêta une fois en ayant cru trouver un creux à côté de la rivière, mais il n’y avait rien. Elle n’entendait plus de cris d’enfants non plus, et aurait aimé pouvoir la suivre ainsi mais ce n’était pas possible à moins qu’elle se concentre. Les bords de la rivière qui avaient été inhabituellement humidifiés par la crue étaient particulièrement boueux et Enola commençait à ajouter cela à la liste des risques qu’elle prenait. Bien évidemment, il aurait été hors de question de rester en haut sans rien faire, mais sans assignation, pas d’assurance.
n'amasse pas mousse
Sa Sofia, oui Evelyn l’avait retrouvée. Au bout de trois semaines d’attente à la Forteresse. Heureusement, on pouvait compter sur Catherine, à la guilde, pour transmettre des messages. Evelyn sourit à la question qui lui était posée, ce qui vint adoucir son air naturellement sérieux. «Oui. Rien ne peut nous séparer définitivement», lui répondit-elle. Sauf la mort, évidemment, pensa Evelyn. La mort qui venait pour tous et chacun un jour ou l’autre.
À intervalle régulier, Enola criait le nom de la petite. Evelyn la laissa s’occuper de cette tâche; il était inutile d’être deux à s’écorcher ainsi la voix. Les appels d’Enola restèrent sans réponse, et ce sans surprise. Sur leur passage, des oiseaux et autres petits animaux déguerpirent. Elles s’arrêtèrent à quelques reprises sur leur trajet, mais continuèrent jusqu’à atteindre une portion où la rivière s’élargissait et où le courant diminuait considérablement. Il y avait là, en bordure de rivière, des traces laissées dans la boue, très récente, qui pouvait tout à fait correspondre au gloot en cavale qu’elles recherchaient. Evelyn examina les environs et tomba sur une trace de pas. Mary avait donc repris forme humaine après s’être amusée à descendre la rivière. Elle indiqua cette information à Enola et indiqua la direction qu’elle croyait que Mary avait prise. Traquée un humain, c’était comme traquée un animal en fait.
Néanmoins, Evelyn se sentait un peu nerveuse. Dans ce jeu de cache-cache, elle espérait que la petite Mary ne fasse pas de mauvaises rencontres, une mauvaise chute, ou quelque chose du genre. Elle n’avait aucun désir d’apprendre une mauvaise nouvelle aux parents.
«Elle a de l’avance sur nous. Si tu veux utiliser ton pouvoir», suggéra-t-elle. «Je te couvre.» Elle tenait son arc à la main gauche depuis qu’elles étaient entrées plus profondément dans la forêt, pour pouvoir réagir quelques secondes plus rapidement, si nécessaire; parfois quelques secondes faisaient la différence entre la vie et la mort.
ft. Evelyn Westwood
Alors que le petit cours d’eau animé s’engageait dans un cours plus large, tranquille et plat, la chasseuse désigna une trace qu’elle avait trouvée dans la boue. Une trace de pas humain, de petite taille, qui ne pouvait qu’être la petite. Celle-ci, bien moins intéressée par la dynamique de ce nouveau cours d’eau, avait dû vouloir chercher des frissons ailleurs, en s’engageant dans la forêt. Enola connaissait bien ces parages : on pouvait croiser des animaux endémiques dangereux, et d’autant plus pour une fillette, mais aussi d’autres inoffensifs. Quoi qu’il en soit, cette petite Mary n’avait rien à faire là aujourd’hui.
Les deux adultes s’échangèrent un regard et d’un commun accord, suivirent la direction désignée par l’aventurière. Enola avait confiance en ses talents concernant la chasse dans la forêt et elles marchaient d’un pas décidé mais au bout de quelques temps à marcher dans le silence, il fallait se rendre à l’évidence : elle restait introuvable.
« Elle a de l’avance sur nous, fit l’aventurière, et Enola s’était fait la même réflexion. Si tu veux utiliser ton pouvoir, je te couvre »
Elle tenait à la main gauche un grand arc d’aventurière qui rappelait à Enola le souvenir de sa sœur. C’était donc à elle de prendre la relève ? Enola eut un moment de doute quant à cette idée, soupçonnant son amie de surestimer le pouvoir de Sluha. En effet, c’était lui qui lui avait peut-être sauvé la vie il y a quelques semaines. Alors qu’Enola s’entraînait dans les montagnes, elle avait entendu le souffle de la jeune femme qui s’échappait et avait ainsi réussi à la localiser et à l’emmener à la base. Mais, à ce moment là, cela faisait quelques temps qu’elle était en pleine concentration, l’esprit reposé, ce qui n’était pas le cas aujourd’hui. Mais elle se rappela ensuite que si elle voulait faire valoir son pouvoir sur le terrain en tant que garde, il fallait encore qu’elle en trouve l’occasion et c’était aujourd’hui le cas, et elles ne couraient pas le plus grand danger.
Alors elle se mit en position assise sur un petit rocher qui se trouvait là, posa ses épées sur ses genoux et ferma les yeux, rassurée par le gai que faisait Evelyn.
Comme à son habitude, son pouvoir mettait quelque temps à se développer. Elle rentrait dans un état de sur-sensibilité au niveau de son ouïe, et petit à petit les sons qui l’entouraient étaient de plus en plus précis et forts. Le moindre mouvement de son amie, le moindre crissement du cuir de ses chaussures et de la cuirasse était décuplé. Elle entendait presque un petit sifflement lorsqu’elle respirait par le nez. Au bout d’une minute, elle commençait à entendre et localiser le cours d’eau, certainement celui même qu’elles avaient quitté il y a quelque temps mais qui passait tout de même plus loin, sur leur droite. Aucune trace des pas naïfs d’une petite fille qui se promenait dans une forêt, pour l’instant. Aucun moyen de la localiser.
Au bout de plusieurs autres longues minutes qui fatiguaient particulièrement Enola, son ouïe étant parasitée par le cours d’eau qui prenait une place de plus en plus considérable dans son esprit, et par les crissements de l’armure de l’aventurière, elle faillit presque perdre patience lorsqu'elle entendit soudainement des bruits de vols, un peu plus loin vers leur gauche. Elle ne pouvait en aucun cas dire quels oiseaux cela pouvaient être mais ils volaient farouchement, ce qui laissait entendre à Enola qu’ils étaient dérangés par quelque chose. C’était le seul indice qu’elle pouvait déceler, mais son instinct lui disait que c’était la curiosité d’une petite fille autour de niz qui avaient dérangé ces animaux. Elle voulut sortir de son état de Sluha, mais fut retenue une seconde par un grondement étrange provenant des montagnes. Mais elle n’avait pas le temps de l’étudier et ouvrit les yeux.
« Je crois qu’elle est partie par là, fit elle à sa camarade d’un ton fatigué. J’ai entendu un vol d’oiseaux suspect … je pense qu’elle peut en être à l’origine, mais je ne suis pas sûre. »
n'amasse pas mousse
Plusieurs minutes s’écoulèrent, et la chasseuse posa un regard sur Enola, laquelle méditait sur un petit rocher. Elle ne lui avait jamais demandé de détails concernant son pouvoir. Peut-être l’avait-elle surestimé. Peut-être aurait-elle dû se fier uniquement à ses capacités de pistage. Peut-être perdaient-elles présentement un temps précieux. …Cependant, Enola avait su la trouver dans les montagnes, alors Evelyn avait confiance.
Les montagnes. La garde ne l’avait pas retrouvée au mieux de sa forme. Ce qui s’y était passé, aux mains des brigands, Evelyn préférait ne pas se le remémorer. Elle préférait aller de l’avant; elle désirait aller de l’avant. L’archère avait la force d’esprit nécessaire pour continuer. Si ce n’avait pas été le cas, si elle n’avait pas été endurante et résiliente, elle serait morte il y a plusieurs années de cela; une chute qui n’aurait rien eu d’accidentelle, à la mort de sa famille. Elle avait retrouvé la liberté, même si elle avait frôlé la mort, et c’était tout ce qui comptait. …Elle avait frôlé la mort à plusieurs reprises au cours de sa vie, maintenant qu’elle y pensait.
- Je crois qu’elle est partie par là, lui annonça Enola. - J’ai entendu un vol d’oiseaux suspect … je pense qu’elle peut en être à l’origine, mais je ne suis pas sûre.
Aucune assurance malgré le pouvoir d’Enola, mais c’était une piste intéressante à suivre. La chasseuse hocha la tête et prit les devant, prenant soin d’adapter son rythme à celui de son amie que l'utilisation de ses pouvoirs semblait avoir fatiguée. Elles marchèrent jusqu’à arriver à l’endroit désiré. Ils y avaient quelques oiseaux inoffensifs sur une branche qui battirent des ailes à leur arrivé. L’un deux, plus impétueux que les autres, chercha à les effrayer en volant près d’elles. Evelyn y porta peu d’intérêt et examina les lieux pendant un instant. «Elle était bien là», confirma-t-elle en repérant des traces dans le sol. Puis, elle prit un instant supplémentaire avant de pouvoir ajouter, après avoir fait le tour des lieux et repérer des traces significatives dans la végétation: «Elle est partie dans cette direction. Ces parents devraient lui mettre un talisman de localisation», commenta-t-elle avant de retomber silencieuse. Parler inutilement serait une distraction. Les deux femmes prirent donc cette nouvelle direction, se rapprochant sans nul doute de leur objectif. On pouvait dire que les deux femmes étaient chanceuses, dans leur exploration, pour le moment; …pour le moment, les choses pouvant vite changer.
ft. Evelyn Westwood
Elles arrivèrent au lieu qu’Enola avait entendu et où semblait défendait son niz une femelle hirondelle. Elle faisait mine d’attaquer Evelyn qui ne lui prêtait pas attention, scrutant autour d’elle. La petite avait-elle utilisé la branche basse de l’arbre afin de voir ce qu’il y avait dans le niz ? Les quelques poils bleus que l’on pouvait apercevoir accrochés aux imperfections de la nature semblaient racontaient qu’elle était retournée en forme de gloot pour monter sur cette branche. Une drôle d’idée, mais Enola n’eut pas plus de temps pour la comprendre car Evelyn avait repéré une piste.
« Elle était bien là. », et Enola aperçut les mêmes traces de pas que sa coéquipière avait repéré, des pas qui tournaient vers la droite. Vers les montagnes. « Elle est partie dans cette direction. Ses parents devraient lui mettre un talisman de localisation » fit elle d’un ton bien plus sérieux que lorsque leur ballade avait commencé. Plus le temps maintenant pour prendre des nouvelles ou pour discuter de quoi que ce soit. Elles s’engouffraient de plus en plus dangereusement dans la forêt et elles ne pouvaient pas savoir si elles allaient retrouver cet enfant, ou même si elles allaient le retrouver vivant.
Evelyn prenant la petite à la chasse et accélérant le pas, Enola ne put que la suivre, à l’affût de signes dans les environs. Quelque chose dans cet environnement ne lui plaisait pas. Elle avait l’impression de reconnaître la forêt, mais que celle-ci avait presque un message à lui faire passer, un message d’urgence. Ce furent d’abord les insectes qui lui mirent la puce à l’oreille. Ceux-ci volaient ou se déplaçaient tous dans la même direction : à l’opposé de la leur. Elles croisaient des sortes de bousiers se terrer et des pic-verts rentraient dans les troncs des arbres. Une famille de chantelunes passaient au dessus de leurs têtes et suivaient la même direction que les autres oiseaux. Qu’est-ce qui les attiraient par là-bas ? Ou bien, qu’est-ce qui les repoussaient du nord ?
Au fond de son oreille, elle crut entendre un grondement, quelque chose qui se décollait petit à petit d’autre chose et qui menaçait à tout moment de tomber. Elle ne savait pas si Evelyn, qui avançait toujours en suivant la trace sinueuse du pas allant et enfantin, avait entendu ce bruit, mais elle n’eut pas le temps de lui demander car un autre bruit attira son attention. Cette fois-ci, elle savait parfaitement de quoi venait ce bruit. C’était un cri aigu et guttural, celui d’un foreur qui devait se défendre de quelque chose. Impossible qu’Evelyn ne l’ait pas entendu elle aussi.
« Ça ne peut être qu’elle. Allons-y. » fit Enola avant de se mettre à courir jusqu’à l’endroit d’où provenait le bruit.
n'amasse pas mousse
Rapidement par la suite, Enola fonça en direction de ce bruit. Il s’agissait d’un foreur, si on se fiait au cri. «Attends!», lui lança Evelyn, en vain, qui ne put faire autrement que de courir derrière son amie, entre les arbres. Elle souhaitait la mettre en garde, mais cela allait devoir attendre.
Rattrapant la garde, Evelyn déboula dans la zone à ses côtés. Un coup d’œil lui permit de constater quelques détails. De un, la forêt se faisait de moins en moins dense, jusqu’à atteindre un escarpement rocheux deux cents mètres plus loin. De deux, la fillette qui devait être Mary était là et s’amusait à provoquer un foreur en lui lançant de petites pierres. Elle visait très mal, mais le foreur était tout de même énervé et préparait sûrement une contre-attaque.
L’aventurière s’interposa aussitôt. Elle retint le bras de Mary pour l’empêcher de persécuter l’animal et lui dit : «Bon, Mary, tu t’es bien amusée, mais maintenant il faut rentrer, tes parents sont--», encore une fois, Evelyn ne termina pas sa phrase. Car Mary avait son mot à dire, elle ne désirait pas rentrer, ça non! Alors elle envoya son pied rencontrer le tibia d’Evelyn, couru vers un arbre et se transforma en boule bleue pour s’aider à grimper.
La chasseuse serra les dents et fit un pas en avant. Un seul pas, avant de s’immobiliser. Ce n’était pas à cause du foreur, lequel n’émettait plus aucun son et semblait s’être volatilisé. Non. Ce qui figea Evelyn, ce fut une vision inquiétante. «Un grognours», dit-elle à voix basse, cette fois sans être interrompue. Elle fit un signe à Enola, si cette dernière n'avait pas encore aperçue la créature. Là, à une centaine de mètres, regardant dans leur direction. «Allez, passe ton chemin», continua de murmurer Evelyn, pour elle-même. Sa main gauche serrait son arc. Sa main droite s’était déplacée pour venir toucher l’extrémité d’une flèche, dans son carquois de hanche. La chasseuse ne souhaitait aucune confrontation avec la bête, laquelle était plus grosse, plus robuste et nettement plus dangereuse que son cousin. …Elle ne voulait aucune confrontation, mais l’ours grognait déjà dans leur direction. Puis, il se mit temporairement sur ses pattes de derrière pour gronder de plus belle. Pour être imposant, l’animal l’était. «Récupère la petite», dit Evelyn à l’intention d’Enola, sans regarder dans sa direction. Son ton était très sérieux et ne laissait paraître ni peur ni hésitation.
Hésiter pouvait être fatale. Alors, quand l’animal retomba sur ses quatre pattes pour charger dans sa direction, c’est avec célérité qu’Evelyn encocha puis décocha une première flèche, avec sa précision habituelle. La flèche atteignit sa cible, mais n’arrêta pas la créature. Évidemment, il fallait davantage que des flèches pour venir à bout de cette bête.
Tout en tirant sa première flèche, elle se déplaça. Puis, elle couru, passa rapidement entre des arbres, glissa sous un tronc de travers, sur le sol qui commençait à devenir rocailleux à cet endroit, décocha une seconde flèche, puis une troisième, lesquelles atteignirent également le grognours qui n’avait d’yeux que pour l’archère. D'ailleurs, cette dernière avait davantage l'impression de l'énerver que de le blesser, avec ses flèches. Et les deux en oubliaient cette paroi de glace qui les menaçait; mais Evelyn avait des problèmes immédiats plus urgents.
ft. Evelyn Westwood
L’aventurière se dirigea directement vers la petite fille, l’agrippant par le bras et l’empêchant de continuer dans son étrange activité, tandis qu’Enola s’approchait, accroupie, du foreur qui se défendait toujours autant en voyant une grande humaine inconnue arrivée. Il n’avait pas plus confiance en elle qu’en la petite et Enola le comprit, bien qu’elle essayait de le rassurer.
« Tout va bien c’est fini ... »
Le foreur arrêta soudainement de se défendre, ayant flairé une odeur nouvelle. De son côté, Evelyn se débattait avec la petite, qui lui donna un coup de pied dans la jambe en profitant d’une baisse dans la poigne dans l’aventurière pour grimper à un des arbres. Le foreur n’était pas attiré par la vision de ces événements mais plus par une odeur particulière derrière lui. Il se laissait guider par son museau, le laissant bouger discrètement, puis se figea une demi seconde avant de partir en courant vers son trou au ras de la montagne. Enola n’eut le temps de comprendre aussi vite que lui ce qui se passait ni quel était le nouveau danger, et elle se releva en le regardant partir.
Elle sentait effectivement une présence hostile quelque part dans l'environnement, comme si soudainement le temps s'immobilisait, méfiant face à la suite des événements. Elle entendit la voix de son amie derrière elle, particulièrement inquiète.
« Un grognours ... »
Enola peçut tout de suite la gravité de la situation. Même si elle n'avait toujours pas relevé la tête pour voir l'animal, elle s'avait que ce n'était plus le moment de se battre avec la petite qu'Enola ne savait pas être montée sur un pin à proximité, ni de rassurer un quelconque foreur. L'objectif, c'était de se faire les plus petites possibles, d'attendre que la bête ait remarqué leur présence, se soit rendue compte que personne dans les environs ne voulait la provoquer en duel et qu'elle continue le tour de son territoire. Les grognours étaient des animaux particulièrement territoriaux, et assez belliqueux. Si vous aviez le malheur de passer sur son territoire lors de ses tours quotidiens, celui-ci pouvait le percevoir comme une injure, et il n'aurait qu'un coup de patte à déployer pour vous couper la tête. Avec chance, ces animaux restent des êtres des montagnes et il était fort possible que son territoire se terminait alors que la forêt plate prenait la place.
Elle prit le danger de lever le regard dans la direction. Une montagne de poils drus, de muscles tendus et un souffle fort leur tenait tête, aussi imposant que dans les écrits qu'Enola avait connu. C'était un mâle prêt à l'attaque qui attendait le premier signe pour partir à l'attaque. Il n'avait d'eux que pour Evelyn, à la surprise d'Enola qui croyait que son armure allait être ce qui l'attirerait le plus, mais l'aventurière soutenait plus ou moins son regard en tenant son arc du bout des doigts. Enola distingua « Allez, passe ton chemin » dans ses paroles, et ce vainement car l'animal commençait faire résonner ses grognements. L'attaque était certaine, seule son issue était inconnue.
Pendant quelques secondes qui parurent une éternité, Enola restait témoin de la scène, encore incapable de dégainer ses épées pour aider son amie et immobilisée dans cet instant de tension juste avant une explosion. La voix de l'archère atteint l'oreille d'Enola. « Récupère la petite » lui demandait la chasseuse. Elle avait raison. Si elle pouvait s'occuper de la bête, autant qu'Enola mette la petite gloot en sécurité quelque part.
C'est le moment que choisit l'animal pour rugir et charger sur l'aventurière qui décocha sa flèche pour se défendre. Enola chargeait elle aussi, mais elle fonçait en réalité sur le pin en haut duquel s'était hissée une petite boule de poils bleus. Elle était obligée de se débarrasser du plus gros de son armure ainsi que de ses épées en bas du pin afin de gagner en agilité, et elle commença à monter. Impossible non plus de hurler le nom de la petite pour lui faire reprendre la raison, alors elle se hissa de branche en branche, se prenant des épines dans les yeux et s'écorchant les bras, fixée sur le seul objectif de faire ça le plus vite possible pour pouvoir ensuite rejoindre son amie qui était en danger évident. Elle arriva très rapidement à une hauteur suffisante pour pouvoir apostropher le petit animal apeuré qui était agrippé à la cime du pin.
« Mary ! Viens avec moi que je te sorte d'ici ! N'aime pas peur je vais te ramener à tes parents mais il faut que tu me suives, et vite ! »
Elle entendit à ce même moment le bruit très distinct de crissements en haut au niveau des montagnes. Pour elle qui les avait bien arpentées durant les années précédentes, il était clair que quelque chose était en train de se détacher des parois des montagnes, et cette chose était juste au dessus d'eux. Elle le voyait grâce à la hauteur qu'elle avait prise en montant sur le pin, et elle fut prise d'une idée pour aider son amie. Une idée risquée, mais elles n'avait jamais eu connaissance de flèches qui puissent percer la peu épaisse des grognours et il lui fallait donc inventer un stratagème pour aider l'aventurière, coûte que coûte.
De son côté, la petite qu'elle n'avait connu avec un air fourbe et frondeur hocha la tête docilement pour se blottir contre son dos. Enola sentait la chaleur et la douceur de son poil autour de ses épaules mais n'avait pas le temps de s’appesantir à apprécier cet instant car son amie était encore en train de se débattre à distance avec le grognours. Elle redescendit le pin comme une échelle, encore plus rapidement qu'elle ne l'avait monté et arriva rapidement au pied de l'arbre. Là, elle récupéra ses deux lames et, toujours la petite accrochée à son dos, elle se dirigea rapidement vers le trou du foreur. Elle savait que ceux-ci étaient les auteurs de galeries dans la roche et qui pouvaient résonner fortement. Désolée d'avance pour les tympans du petit animal, elle leva les bras aussi haut qu'elle le put et frappa la roche de toutes ses forces. Les vibrations de celle-ci n'étaient pas surhumaines, mais suffirent, un peu plus haut en altitude, à décrocher le faible petit point de glace qui tenait encore la paroi, et celle-ci descendit comme une flèche. Elle prenait de la vitesse de manière exponentielle et se dirigeait droit vers la bête et, un peu plus loin, vers Evelyn ...
n'amasse pas mousse
Quand elle se releva, après avoir repris son souffle et réalisé qu’elle était encore entière, elle contempla la glace avec étonnement et fascination. Ce n’était pas tous les jours qu’un tel évènement se produisait… Enfin, Evelyn avait expérimenté une chute de glace sous la forme de grêlons géants quelques jours plus tôt. Mais la chute d’une paroi glacée de la montagne, voilà qui était impressionnant. Et chaotique. Voilà de quoi rappeler à Evelyn à quel point la montagne pouvait être dangereuse. Toutefois, n’importe quel lieu pouvait être un danger; n’importe quelle personne également.
Elle n’aperçut pas le grognours, ni ne l’entendit, et vit Enola et la petite, ce qui la fit soupirer de soulagement. Et un immense soulagement c’était! La tension quitta aussitôt son corps. «Quel bordel», dit-elle pour elle-même; à la base, tout ce qu’elle avait désiré était de passé un petit moment tranquille au bord d’une rivière. Elle récupéra son arc à ses pieds. Passa une main sur son plastron de cuir pour enlever un peu de poussières et de feuilles mortes qui s’y étaient collés. «Tout le monde va bien?», demanda-t-elle lorsque les trois furent ensembles, ne cachant pas sa nervosité. Pendant une seconde, elle pensa disputer la petite Mary, mais les évènements lui avaient certainement servit de leçon – frôler la mort, tout ça-, puis elle n’était pas sa mère. Elle n’était la mère de personne et ne le serait plus jamais.
ft. Evelyn Westwood
Le regard de la petite était fixé non pas sur l’animal mais sur l’aventurière qui s’époussetait et remettait ses vêtements en place, nerveuse. Elle venait de vivre la peur de sa vie, et jurait en conséquence.
« Tout le monde va bien ?, demandait-elle au petit public.
- Moi, oui, elle … oui, fit Enola en regardant le visage statique et muet de la petite, mais elles … moins. »
Elle parlait là de ses épées qui, largement fissurées, ne tenaient en place que grâce à une intervention divine de Lucy. Elles avaient en effet été conçues pour trancher, pas pour résister à un tel choc contre de la pierre de montagnes, qu’elles ne pourraient jamais vaincre. Il ne lui restait plus qu’à voir quoi en faire avec un artisan, et peut-être même à les placer en retraite. Mais ce n’était pas encore le moment de s’appesantir nostalgiquement sur le souvenir des premières épées qu’elle s’était offertes avec ses premières paies, mais plutôt celui de partir d’ici rapidement.
Elle laissa la petite par terre quelques instants, le temps de remettre son armure sur son dos, puis la reprit sur ses épaules, elle qui se laissait faire docilement, sûrement choquée de ce dont elle venait d’être témoin. La petite troupe reprit la route, et Enola était peut-être la moins choquée des trois, alors qu’elles reprirent le chemin inverse silencieusement. Elle prenait un pas assez rapide, gardant en tête la menace, moins probable maintenant, d’une possible attaque vengeresse du grognours. Elles arrivèrent au coin tranquille où elles avaient quitté la rivière un peu plus tôt, et reprirent leur montée vers la ville.
« Ça va tu vas t’en sortir ? Elle en tout cas ne va pas recommencer de si tôt … » fit Enola à son amie Evelyn en désignant le petit monstre qui avait repris forme humaine encore agrippé sur son dos.
n'amasse pas mousse
Reprenant la route après qu’Enola est remis son armure, le trio avança dans le silence. De toute façon, Evelyn n’était pas la femme la plus bavarde au monde. Et puis, elle désirait surtout quitter les lieux le plus rapidement possible. Le grognours était toujours en vie, mais Evelyn ne craignait pas de seconde attaque de sa part; une attaque de la part d’un autre animal était cependant toujours possible… ou une attaque de la montagne.
- Ça va tu vas t’en sortir ? Elle en tout cas ne va pas recommencer de si tôt …
«Ça va, j’ai connu pire…», lui fit-elle, sans entrer dans les détails, un mince sourire se dessinant sur ses lèvres pour rassurer; c’était-là plutôt des histoires à raconter autour d’un feu, une bière à la main. Son regard se posa ensuite sur la petite Mary qu’Enola trimballait sur son dos, laquelle lui faisait quand même pitié, et elle ajouta: «Le monde est dangereux, c’est une leçon que l’on apprend tous un jour ou l’autre.» Puis elle se concentra sur la route devant elle.
Elles remontèrent la rivière pour revenir à leur point de départ. Le trajet de retour se passa sans heurt. Lorsque les parents les aperçurent, ils se précipitèrent vers elles et prirent leur fille dans leur bras. Une petite réunion de famille qui toucha Evelyn, laquelle sourit tendrement. …Mais son sourire s’effaça aussitôt, de même que l’effusion d’amour parental se termina, lorsque la mère de Mary s’exclama soudainement: -Mais dans quel état vous nous ram’nez notre fille! Le père, s’insurgeant également, souleva sa fille dans ses bras et les trois prirent la direction de la forteresse. Ah. D’accord. Comme si c’était de leur faute à elles. Surprise, Evelyn les regarda s’éloigner un instant avant de lâcher : «…Quel manque de reconnaissance. Pas un merci, même pas une bière.»
ft. Evelyn Westwood
La petite descendit des épaules d’Enola et continuait à lui tenir la main, peut-être un peu rassurée par un présence adulte. Elle avait un visage intéressé et placide, mais dénué de nuance, d’émotions. Elle regardait la femme qui l’avait sauvée le regard fixe, intense, mais qui ne laissait deviner ni de la reconnaissance ni de l’intérêt, peut-être une once de fascination. Evelyn quand à elle regardait droit devant elle. Enola n’osait se demander si son amie évitait le regard d’un enfant qu’elle sauvé, ce dont elle n’avait toujours pas eu la chance pour en dire le moins, et surtout si l’âme perspicace de la jeune fille n’avait pas compris ce qu’il se passait dans sa tête. Enola aurait dit que, quelque part, Mary gardait la pudeur de ne pas trop s’approcher de l’aventurière car elle avait deviné que sa lourdeur émotionnelle aurait pu éclater si elle recevait dans ses bras une petite fille reconnaissante et apeurée. Ou alors ce n’était qu’un mirage.
Quoi qu’il en soit, elles furent bientôt arrivées en haut de la colline, là où elles avaient perdu la petite au début de l’après-midi. La petite foule qui s’était approchée du ruisseau était partie, à l’exception des parents de Mary vers qui celle-ci se précipita, lâchant la main d’Enola sans remors. Les parents répondirent au mouvement de la petite à l’identique et lui l’attrapa dans ses bras, tandis que la mère pestait contre son "état". Parlait-elle des quelques petites plaies qu’elle s’était elle-même faites en montant dans les arbres ? Enola aurait voulu rétorquer qu’il aurait mieux valu revoir leur fille avec quelques égratignures que hachée par les griffes d’un grognours mais ils avaient disparu, ayant visiblement oublié la demande pourtant explicite d’Evelyn pour des boissons pour leur fêter leur retour.
« Quel manque de reconnaissance. Pas un merci, même pas une bière.
- Et c’est pas comme si tu ne leur avais pas fait la demande avant de partir. Ce n’est pas comme ça que la petite va apprendre à dire merci ... »
Enola profita de la désertion de l’endroit par le public pour enfin enlever ses lourdes chaussures et laisser l’eau fraîche glisser entre ses orteils, sous ses pieds. Ceux-ci avaient soufferts de la course et méritaient grandement un bain froid. À défaut de boisson, c’était peut-être la meilleure manière de fêter la réussite d’une mission. Elle se laissa s’asseoir sur la terre fraîche un peu boueuse, mais cela lui était égal, profitant de la chaleur exceptionnelle et repensait doucement à ce qui leur été arrivé. Elle regardait le ciel paisible autour d’elle, était assommée par le changement si soudain d’ambiance, de niveau de sonorité et de stress autour d’elle. Tout cela été passé si vite, et la petite était si rapidement passée d’une enfant gâtée à une petite fille sage et rangée auprès d’elles.
« Je ne sais pas si tout cela me dégoûte des enfants ou simplement de ceux des autres , pensait-elle à voix haute, oubliant le fait que l’évocation des enfants pouvait pincer une corde sensible chez son amie.
n'amasse pas mousse
La chasseuse déposa son arc et son carquois, retira ses bottes, s’assit aux côtés de son amie et plongea ses pieds dans l’eau froide. Elle leva la tête au ciel, contempla le magnifique ciel un bref instant, frotta sa nuque. Tout ici respirait le calme, la tranquillité, la paix retrouvé.
-Je ne sais pas si tout cela me dégoûte des enfants ou simplement de ceux des autres, lâcha soudainement Enola. Cela arracha en réalité un rire à l'archère; un rire léger, court, puis il s’éteignit et Enola put lire un peu de tristesse dans ses yeux, lorsqu’Evelyn la regarda pour lui dire: «Avoir des enfants c’est…» Il y avait en réalité beaucoup de qualificatifs facilement utilisables à cet instant. Elle marqua une courte pause avant de compléter: «C’est une chose merveilleuse, je te l’assure.» Enola était encore jeune. Et peut-être ne souhaitait-elle pas d’enfant. Elle n’était pas certaine de l’âge de son amie, mais possiblement qu’Evelyn avait à l'époque le même âge qu’Enola présentement, lorsqu’elle avait perdu sa famille dans un incendie. «Supporter ses propres enfants est plus facile qu’endurer ceux des autres!», fit-elle avec un léger sourire. «Les miens étaient…» Se rappeler d’eux était à la fois source de bonheur et de douleur. «Turbulents! …Je t’assure qu’ils savaient dire s’il te plait et merci», fit-elle, légèrement perdue dans ses pensées. Elle n’était pas du genre à s’ouvrir facilement aux autres et elle n’aimait pas s’épancher sur sa vie, néanmoins après les évènements de la journée, cela lui apparaissait naturelle.
Elle bougea la tête, haussa les épaules, chassa ses souvenirs; c’était le passé et il valait mieux le laisser là où il était. Elle se pencha vers l’avant pour plonger ses mains dans l’eau et mouillé ses avant-bras.
ft. Evelyn Westwood
« Avoir des enfants c'est ... »
Enola voulait compléter sa phrase : complexe ? difficile ? enrichissant ?
« ... c'est vraiment une chose merveilleuse, je te l'assure. », fit-elle enfin avec le regard triste. Tout chez elle était à l'équilibre sur le fil du rasoir entre la peine et la gaieté. Enola ne savait pas si, par quelle parole que ce soit, elle allait faire tomber son amie d'un côté ou de l'autre. Tout ce qu'elle savait c'était qu'il fallait la laisser s'exprimer librement. Elle semblait avoir besoin d'une oreille.
« Supporter ses propres enfants est plus facile qu'endurer ceux des autres ! Les miens étaient ... turbulents ! ... je t'assure qu'ils savaient dire s'il te plaît et merci. »
Heureusement, c'était bien le minimum. Enola se demandait quel genre de maman son amie avait été lorsqu'elle l'était encore. La personne qu'elle avait en face d'elle en ce jour d'été, endurcie par les épreuves, n'était pas la même personne qu'elle avait pu être auparavant, car les traumatismes peuvent, bien plus que toutes les bonnes paroles du monde, changer quelqu'un en profondeur.
« Qui est-ce que tu étais avant tout ça ? Comment est-ce que tu te décrirais rétrospectivement ? »
Enola ne savait pas exactement pourquoi elle avait formulé sa question de cette manière mais ce qui était dit était dit.
n'amasse pas mousse
«On change constamment au court d’une vie; des rêves qui changent; des goûts qui évoluent; des espoirs et des envies différents…»
La vie était remplie de bouleversements. Au croisement des routes, on choisissait de prendre une voie plutôt qu’une autre, et la vie s’en retrouvait modifiée, et on s’en retrouvait changé. La chasseuse quitta des yeux l'oiseau et tourna la tête vers son amie; elle avait peu d’ami, peut-être de par son caractère solitaire. Elle n’avait aucune intonation particulière dans la voix lorsqu’elle dit :
«Je croyais en réalité ma vie toute tracée. Une vie simple et routinière; un gentil mari, des enfants qui grandiraient pour reprendre le travail, moi qui leur tricoterait des vêtements…»
Elle perdit à nouveau son regard au loin. Ouais, parlant de tricoter, elle avait été plutôt douée, fut une lointaine époque… même si, franchement, elle préférait nettement manier l’arc que les aiguilles.
«J’étais… naïve. Mais comme tu dois le savoir, le monde n’est pas peuplé que d’Unicornes et de Nérouj. …Mes voisins te diraient que j’étais "tout à fait charmante"!», conclut-elle en riant doucement, l’image desdits anciens voisins en tête. ...Maintenant qu'elle y pensait, elle se rappelait qu'elle leur apportait, parfois, des tartes aux pommes. Charmante, ce n’était pas nécessairement le mot qui venait aux lèvres des gens pour décrire rapidement Evelyn. Souvent, la chasseuse pouvait paraître sévère et distante. «Bon. Assez parlé de moi. Et si on allait prendre un verre? J’crois qu’on le mérite.»
ft. Evelyn Westwood
« On change constamment au cours d’une vie. Des rêves qui changent, des goûts qui évoluent, des espoirs et des envies différents … Je croyais en réalité ma vie toute tracée : une vie simple et routinière, un gentil mari, des enfants qui grandiraient pour reprendre le travail, moi qui leur tricoterait des vêtements … J’étais … naïve. Mais comme tu dois le savoir, le monde n’est pas peuplé que d’Unicornes et de Nérouj … mes voisins te diraient que j’étais " tout à fait charmante" ! »
Un rire et elle s’arrêta. Enola ne savait pas qui elle allait être dans quelques années, et si elle devenait mère un jour, elle craindrait à tout moment qu’un accident comme celui qu’avait vécu Evelyn éclate. L’idée même que ceci puisse se produire la marquait dans sa chair et l’empêchait de s’imaginer un quelconque futur sans le prendre en compte. Elle ne vivait pourtant pas dans la peur.
Enola suivit le mouvement de son amie vers la Forteresse. Il était temps de rentrer.
« Bon. Assez parlé de moi. Et si on allait prendre un verre ? J’crois qu’on le mérite. »
Enola hocha la tête avec vigueur.
« Bonne idée ! Allons chercher ces pintes qui nous sont dues ! »