Heureusement, les Empyréens n’avaient pas le don d’Allys Renmyrth. La reine savait détecter les mensonges d’autrui, et si cela était un pouvoir bien utile au vu de son statut, cela aurait été autrement plus dérangeant que leur nouveau voisin possède également cette faculté psychique.

Quand Rhis arriva donc au poste de la Frontière, l’espion royal n’hésita pas une seconde et décida de leur offrir une semi-vérité. Il fut parfaitement honnêtement au niveau des objets qu’il apportait avec lui. Il s’était contenté d’apporter une dague et son katana, ainsi que de vêtements de rechanges et d’autres éléments susceptibles d’être utiles au cours de son voyage. Aucun n’était réellement doté d’une particularité magique, mais l’homme ne pensait pas en avoir vraiment besoin. Il s’agissait après tout d’une prise de contact, et il valait mieux de pas froisser leur nouveau voisin en prenant des objets qui attireraient naturellement leur méfiance.

Rhis avait donc été honnête pour son équipement, mais il n’en avait pas été de même pour son pouvoir. Il n’était pas difficile d’imaginer la réaction des Empyréens si ces derniers apprenaient que le garde savait lire leurs pensées. Probablement que les citoyens le verraient comme un extraterrestre ou tout du moins comme un danger potentiel, qui pouvait éventuellement découvrir quelques-uns de leurs secrets. Or, la dernière chose que voulait le conseiller, c’était d’être mis poliment à l’écart pendant toute la durée de leur périple. S’il était espion, ce n’était pas pour faire joli. Il voulait en apprendre le plus possible sur ce nouveau monde, fréquenter des personnes bien placées, et comprendre tout le rouage d’Empyrée. Quelles étaient leurs forces et leurs faiblesses ? Leur gouvernement et les grandes familles de cette cité ? Pouvaient-ils réellement établir des liens durables, ou bien devraient-ils s’en méfier comme la peste ? Les Empyréens cachaient forcément des choses, ce qui était bien naturel. Est-ce que ces secrets pouvaient consister en une menace pour le Royaume ? Et si oui, comment les neutraliser ?

Il y avait bien des questions sans réponse et Rhis désirait donc avoir une certaine marge de manœuvre pour en apprendre le plus possible sur ce mystérieux pays. Le beau brun avait ainsi prétendu que son pouvoir était l’empathie. Deviner les émotions des gens pouvait encore être assez facile si on savait observer le comportement d’autrui et consulter les pensées les plus spontanées des personnes alentours. Sans scrupule, il avait énoncé son mensonge avec flegme et aplomb, et heureusement, le douanier n’y avait vu que du feu.

A présent, ils arrivaient enfin à Empyrée, et le conseiller royal s’était contenté de suivre les indications de leurs hôtes. Il s’était approché de la nacelle sans rechigner, mais il n’avait pas non plus caché sa perplexité quand il avait aperçu un titan de pierre, celui-là même qui tirerait leur moyen de locomotion jusqu’à leur destination. Le golem ne semblait transpirer aucune émotion, comme s’il n’avait aucune forme de vie, et l’espion s’était demandé par quelle ma… non, par quel prodige ils arrivaient à animer un tas de minerais qui étaient totalement inerte sur Aryon. Enfin, c’était probablement un mystère qui intéresserait les enchanteurs. Rhis espérait qu’un maximum de rapports seraient envoyés au palais pour qu’on puisse compiler toutes les informations sur Empyrée, mais il faudrait probablement du temps avant que le Gouvernement ne puisse établir un puzzle cohérent et complet de leur nouveau voisin.

L’escrimeur était accompagné de Kasha et de Fen. Il connaissait la première depuis quelques temps, et comme convenu, ils avaient fait le voyage ensemble jusqu’à la frontière. Le garde avait rencontré Nox avec une certaine surprise, Rhis l’avait même caressé un peu, mais il n’était pas tant que ça habitué aux animaux et il l’avait donc particulièrement laissé aux soins de sa maîtresse. Ca ne l’avait pas empêché d’être sociable, bien entendu : on pouvait dire qu’il s’entendait particulièrement avec l’aventurière, et leur voyage jusqu’au campement avait relativement été paisible. Les deux compères avaient finalement eu une dernière surprise en rencontrant Fen à cause du chat volant. Celui-ci était un petit filou qui aimait bien faire des bêtises, et c’est en faisant une de ses cabrioles qu’il était tombé nez-à-nez avec le chasseur. Kasha comme Rhis l’avaient déjà rencontré le passé, et le protecteur royal en avait retiré un a priori positif. L’espion avait en tout cas pu apprécier les capacités et le caractère du chasseur, aussi, c’était presque tout naturellement que l’aventurier s’était joint à leur petit groupe. Apparemment, Fen connaissait également Kasha, ce qui était un plus, puisqu’ils allaient devoir collaborer ensemble durant leur séjour à Empyrée.

En temps normal, le conseiller royal était quelqu’un de sociable, et il se comporta comme tel jusqu’à la douane de la frontière. Une fois dans la nacelle, cependant, il ne put s’empêcher d’être un peu silencieux, laissant l’occasion à Nox de faire le show ou à Kasha et Fen de faire la conversation jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.

Et le spectacle fut… étonnant. D’abord, les voyageurs entendirent beaucoup plus d’animation à l’extérieur. Un vague brouhaha arriva jusqu’à eux, puis les portes de leur embarcation s’ouvrirent, et Rhis se permit de sortir en premier de leur véhicule.

Il ne put totalement dissimuler sa surprise lorsque son visage tomba sur plein de petits bonhommes en pierre vêtus d’uniformes. Disposés en rang et formant un couloir devant eux, il était certain que les Aryonnais étaient attendus et que leurs hôtes avaient mis les formes pour les accueillir. Rapidement, l’espion aperçut un homme arriver vers eux, et le garde eut tout juste le temps de se demander si ces golems pouvaient être utilisés dans le cadre d’une guerre. Il était sûr qu’un titan de pierre pouvait faire des dégâts à un humain, et que les combats pourraient s’avérer ardus si ces créations ne ressentaient aucune douleur face aux attaques qu’on pourrait leur envoyer.

Mais Lucy soit louée, Empyrée n’était pas pour l’heure pas un ennemi… Et Rhis plaqua un sourire affable sur son visage, alors qu’il se reconcentrait sur l’essentiel. Peu importe ses considérations, il les ferait part au Gouvernement plus tard, quand il serait loin des oreilles indiscrètes. En l’état actuel, l’objectif était de nouer de bonnes relations, et c’est donc sous sa figure de conseiller royal que Rhis accueillit l’inconnu devant eux. D’un air sociable, il écouta Ullas Dicad se présenter. Il avait un uniforme semblable à celui des golems, nota Rhis, même si sa couleur et quelques accessoires différaient des titans en pierre. Les vêtements trahiraient donc certaines professions des Empyréens ? C’était une question à poser, éventuellement. Plus tard, quand l’occasion se présenterait.  

Quoi qu’il en soit, Rhis se permit de prendre la parole en premier.

- Mes compagnons et moi-même vous remercions pour votre accueil, Monsieur Ullas. Nous serons heureux que vous nous accompagniez et que vous nous fassiez découvrir votre belle cité.

C’était une phrase un peu polie, d’accord, mais le conseiller préférait goûter la température avant de se permettre davantage de liberté. D’ailleurs, il l’écouta avec intérêt déclarer qu’il ne serait qu’un « surveillant » car un éminent membre de la famille Grimmere désirait s’entretenir avec eux. Intéressant. C’était particulièrement ce que voulait Rhis, mais il n’eut pas le temps d’intervenir davantage qu’une voix féminine retentit soudain au bout du couloir.

Intrigué, il releva la tête pour dévisager un joli bout de femme, pressée de les rejoindre apparemment. Un joli diadème sur son visage, elle semblait a priori sûre d’elle et l’impression de Rhis fut bientôt confirmée quand il écouta le reste du dialogue des deux Empyréens. Même, il rectifia sa pensée : la belle inconnue n’était pas seulement sûre d’elle, elle savait aussi imposer sa volonté. D’ailleurs, sa jolie robe pourpre et le respect que lui témoignait Ullas montraient bien qu’elle devait probablement être bien placée dans la hiérarchie sociale : on ne vouvoyait pas quelqu’un si elle n’était pas notre supérieure, et leur surveillant préférait manifestement éviter une confrontation trop directe avec la jeune femme. De plus, l’assurance et la maîtrise de la nouvelle venue prouvaient bien qu’elle ne se considérait pas comme n’importe qui, et l’ombre d’un sourire naquit sur le visage de Rhis lorsqu’il constata qu’elle avait manifestement gagné la partie.

Cela ne voulait pas dire que les choses allaient être aisées pour autant, et le conseiller royal vit donc Dame Demidicus s’avancer vers eux avec une expression victorieuse sur le regard. L’espace d’un instant, Rhis eut l’impression que les trois voyageurs étaient avant tout pour elle un joli divertissement, des bêtes de foire qu’elle voulait connaître à fond pour s’amuser un peu, mais loin de montrer ce qu’il en pensait, il se contenta de lui accorder un sourire tout aussi poli et presque charmeur en inclinant très légèrement la tête.

- Enchanté de faire votre connaissance, Tsarra. Vous pouvez m’appelez Rhis, et mes compagnons ici présents s’appellent Kasha et Fen.

S’il n’avait aucun doute sur les capacités d’adaptation de l’aventurière, il ne savait pas comment le chasseur allait réagir. Dans tous les cas, ses camarades ne devraient probablement se brusquer si l’homme présentait son petit groupe.

Toujours était-il que la demoiselle semblait bien déterminée à ne pas suivre le programme d’Ullas, ce qui attira à la fois la pitié et l’amusement de Rhis. Pauvre surveillant, il allait avoir la vie dure avec leur groupe... Quand enfin leur belle guide les interrogea, l’espion interrogea du regard ses deux compagnons pour savoir s’il pouvait prendre la parole, puis il s’adressa directement à Tsarra.

- En ce qui me concerne, fit-il prudemment, je serai ravi de visiter vos lieux préférés, Tsarra. La cité est grande et nous n’y connaissons pas grand-chose, pour ainsi dire rien, continua Rhis, d’un ton quelque peu sincère. Je suis sûr que vous avez des goûts de choix et que vous pouvez nous faire découvrir quelques merveilles d’Empyrée, sourit-il.

Du peu qu’il en avait vu, cette femme n’irait certainement pas leur présenter les étables ou les bas étages d’Empyrée. Non, elle semblait appartenir à la haute société, tout du moins si son instinct ne le trompait pas. Par ailleurs, si Tsarra avait également une haute estime d’elle-même, elle voudrait probablement les impressionner et leur faire part de la beauté de leur pays. Est-ce qu’elle mordrait à l’hameçon ? Il était curieux de voir comment elle réagirait à la perche qu’il lui tendait.

D'abord calme, la jeune femme l'avait écoutée paisiblement tout en se rapprochant de leur groupe. Elle  hocha bientôt la tête avec fierté quand le conseiller royal évoqua le fait qu'elle pourrait bien leur faire visiter la ville et leur présenter des lieux bien sympathiques. Nul doute qu'elle avait bien confiance en elle, et Rhis continua sa réflexion.

- Cela étant dit, si vous avez des monuments qui représentent votre nation, votre fonctionnement ou votre histoire, je pense que ça pourrait peut-être nous intéresser, poursuivit l'homme aux yeux saphirs. Mais mes camarades ont peut-être des envies particulières. Je leur laisse vous en faire part.

L’espion laissait ainsi toute la liberté à ses amis de réagir et quand ceci fut fait, il se permit quand même une dernière observation en regardant la demoiselle devant lui.

- Excusez-moi, mais pouvons-nous juste savoir qui est la famille Grimmere et Monsieur Sisko ? Je vous demande pardon si ma question peut sembler idiote, mais nous ne savons encore rien sur Empyrée, et il serait intéressant de savoir… eh bien, qui est cet homme qui voulait également nous voir ?

Désormais, Tsarra s'était arrêtée et se trouvait pile devant lui. La femme était grande, aussi elle se pencha légèrement vers lui et Rhis baissa légèrement la tête pour soutenir son regard. Un silence s'ensuivit, presque trop long où les deux personnages se dévisagèrent, Rhis toujours avec son air affable, Tsarra avec son éternel sourire qui semblait vouloir sonder les tréfonds de son âme. Puis, après une poignée de secondes où régnèrent uniquement le silence, la demoiselle ouvrit enfin la bouche.

- Maiiiiiis dis donc, c'est qu'on a un petit curieux ! C'est bien ça, il en faut !

Le conseiller royal ne s'était pas départi de son attitude paisible, presque tranquille, mais il remercia intérieurement Ullas de rétablir la distance entre eux deux. La belle Empyréenne sembla en tout cas comprendre le message, car elle recula un peu avant de lui répondre.

- Les Grimmere sont, de toutes les familles, les moins favorables à votre venue ici.

Oh. Super. C'était fichtrement génial, et Rhis haussa légèrement un sourcil en accueillant la nouvelle. Indifférente à sa réaction, Tsarra pencha légèrement la tête sur le côté et leur sourit.

- Donc en venant à la place de Sisko je vous rends un grand service ! C'est pas génial ça ?

Rapidement, Rhis se reprit et se contenta d'accorder de nouveau un sourire à leur interlocutrice.

- Vous nous en voyez ravis.

Maintenant, si Fen et Kasha pouvaient lui demander pourquoi les Grimmere n'étaient pas disposés à les accueillir, et pourquoi Tsarra était si enjouée à être leur guide, il leur en serait infiniment reconnaissant...

Inventaire:

En résumé:

Comme promis plus tôt, Rhis l'avait invitée à se rendre avec lui en Empyrée. Bien qu'un peu surprise que sa présence n'ait pas été requise auprès d'un convoi officiel en compagnie du gouvernement ou même, soyons ambitieux, de la Couronne elle-même, elle n'avait pu cacher sa joie lorsqu'elle avait sauté sur l'occasion. Et puis, de toutes façons, elle mentirait si elle disait qu'elle avait essayé de la dissimuler. Rhis s'en doutait de toutes façons probablement, à quoi bon essayer de lui mentir ?

Toujours était-il que, fidèle à lui-même, Nox s'était immédiatement montré curieux envers l'homme, et Kasha ne l'avait pas retenu. Peut-être que le chaton en avait profité. Ou peut-être avait-il détecté l'affection étrange que la demoiselle ressentait pour cet homme. Toujours était-il qu'il s'était montré bien plus entreprenant que d'habitude. Néanmoins, Kasha avait fini par le récupérer lorsqu'elle avait remarqué que le conseiller semblait assez peu réceptif aux élans d'affection du petit animal. Et le voyage s'était déroulé plus ou moins calmement, Kasha tentant tant bien que mal de converser avec l'homme tout en surveillant son chaton, qu'elle finit par laisser voleter autour d'eux, laissant le soin à l'homme de s'assurer qu'ils ne s'écartaient pas de l'itinéraire prévu.

Une fois arrivé à un campement visiblement dressé pour eux, Nox disparut. Kasha commençait à avoir l'habitude, et ne fut donc pas surprise de le retrouver en compagnie de Fenrir, qu'elle croisait très souvent, dernièrement. Elle s'était même fait la réflexion que Lucy devait certainement avoir du temps à perdre : après avoir rapproché l'aventurière et le conseiller royal, voilà qu'elle s'appliquait à tisser une amitié entre son familier et un autre humain... Alors que Kasha aurait voulu que les amis proches de Nox soient des familiers, afin qu'ils aient au moins quelques caractéristiques en commun.

Enfin. Elle avait donc laissé Nox avec Fenrir alors que son tour venait de passer à la douane. Elle n'avait pas grand-chose à cacher, son carnet à secrets ayant une apparence de carnet de notes tout à fait innocente et son manteau d'eau étant simplement présenté comme la seule bague que contenait son petit ensemble de bijoux. Elle passait certainement pour une femme un peu coquette, mais, après tout, cela n'était-il pas la vérité ?

Aucun mensonge en ce qui concernait le pouvoir non plus, même si elle s'était contentée de quelque chose de simple et rapide, afin de diminuer au maximum les contrecoups de cette utilisation. Elle en ressortit avec une légère fatigue accompagnée d'une envie irrépressible de bâiller pendant la prochaine demi-heure. Ce qui était sommes toutes acceptable, surtout en compagnie de personnes en qui elle avait confiance. Fenrir en profiterait peut-être pour la taquiner, mais elle savait qu'il n'avait aucune mauvaise intention. Quant à Rhis... Il avait déjà vu bien pire, niveau contrecoups.

Alors qu'elle suivait ses compagnons dans la nacelle, Kasha ressentit un étrange mélange d'émotions. Certes, elle appréciait ce léger vent qui faisait flotter ses cheveux sous l'effet du mouvement de la structure. Mais elle n'en connaissait pas le mécanisme... Et s'il cessait de fonctionner ? Elle s'aggripa instinctivement au rebord de la structure, tout en sachant pertinemment que cela n'aurait aucun effet en cas de chute. Et puis, depuis sa mission au Village Perché, elle savait qu'elle avait le vertige... Hors de question qu'elle regarde en bas, ne serait-ce que pour jauger de la distance restante avant l'arrivée.

Après un moment, elle eut néanmoins la présence d'esprit de prendre ses précautions.

- Nox, viens ici.

À regret, le chaton quitta les épaules de Fenrir pour obéir. Kasha le saisit, et le plaça tour à tour devant chacun des hommes, puis le fit tourner pour lui faire face.

- Regarde bien ces trois humains. Ce sont les seuls avec qui tu pourras jouer librement, compris ? Pour les autres... Traite-les comme le prêtre.

L'espace d'un instant, elle s'arrêta pour réfléchir. La notion même de religion était-elle connue pour les animaux ? Finalement, elle se reprit :

- Enfin, l'homme dans les montagnes. Celui qui n'avait rien à voir avec Fen. Ah, et qui n'avait aucun familier non plus. Et pas non plus celui qui sentait la nourriture. Ce ne sont pas mes cibles, mais tu dois les traiter comme lui, même s'ils sont curieux, et ils le seront probablement. Ah oui, et contrairement à cet homme, ne t'avise pas de les guider, où que ce soit. C'est eux qui nous guideront, pas l'inverse.

Elle soupira :

- Bref, en résumé, reste toujours avec l'un de nous et sois sage. Et tout devrait bien se passer.

Puis elle le libéra, le laissant aller où bon lui semblait... Qui, sans surprise, se trouva être de nouveau Fenrir.

Lorsqu'ils eurent terminé cette partie de leur voyage, Kasha prit presque peur en voyant les rangées de golems et, instinctivement, se plaça derrière Rhis, comme s'il pouvait la protéger de... De quoi, au fait ? Il n'y avait aucun danger, les créatures ne bougeaient pas. Lorsqu'une voix humaine se fit entendre, elle quitta enfin son bouclier humain improvisé. Qui s'empressa d'ailleurs de parler en leur nom à tous. Ainsi donc, il se plaçait en position de chef d'expédition ? Cela semblait parfaitement normal à Kasha, qui le laissa donc parler alors qu'elle observait l'homme face à eux avec une curiosité non dissimulée. De toutes façons, les Empyréens étaient probablement aussi curieux à leur égard qu'elle-même, elle n'avait donc pas honte d'être honnête avec ses émotions. Et puis, elle observait, et ne faisait donc rien de mal.

Lorsqu'il consulta sa feuille où étaient probablement notées les informations les concernant, Kasha ne put s'empêcher de tendre l'oreille, toujours aussi curieuse. Peut-être pourrait-elle connaître le nom complet de... Ah ben non. Fen, encore. Elle ne put se retenir de lui murmurer :

- Sérieusement ? Même en mission officielle ? Qu'est-ce qu'il a, ton nom, pour que tu le détestes autant ?

Car oui, s'il le cachait, cela ne pouvait que signifier qu'il le détestait...

Elle renchérit aux paroles de Rhis par une petite révérence qu'elle n'avait pu retenir, avant d'ajouter :

- Je serais personnellement ravie d'échanger avec vous au sujet de nos deux pays.

Toujours plus intéressée par les gens que par les choses. Il y avait certaines choses qui ne changeaient pas, apparemment.

Puis une autre personne vint s'ajouter au groupe qu'ils formaient tous. Cette femme ne lui disait rien qui vaille... Mais, utilisant ses compétences en matière de jeu d'actrice, elle ne laissa rien paraître de sa méfiance et garda un sourire poli alors qu'elle ne disait rien. Encore une fois, ce fut Rhis qui parla à leur place. Elle ne put s'empêcher de penser que ce rôle de chef d'expédition lui allait comme un gant. Si cela ne tenait qu'à elle, elle l'aurait volontiers laissé diriger les opérations. Mais, apparemment, leurs avis à tous les trois étaient requis.

Ce dont elle avait envie, hein ? La solution était vite trouvée. S'assurant néanmoins d'un coup d'oeil que Nox restait sage, toujours blotti dans les bras de Fenrir, elle prit enfin la parole :

- De mon côté, ce qui m'intéresserait serait plutôt de m'entretenir avec... Qui vous jugerez utile de me présenter, en fait. J'aimerais échanger au sujet de nos habitudes, nos modes de vie... Qui me semblent si différents ici et là-bas, à Aryon. Je suis sûre que nos échanges pourront être enrichissants.

Le femme se contenta d'écouter attentivement, hochant la tête de temps à autre. Bon, très bien. Réaction parfaitement logique, selon Kasha. Elle prenait probablement note mentalement, comme elle-même l'avait si souvent fait. Impossible donc de la juger là-dessus.

Puis Rhis posa une question... Que Kasha n'aurait su juger. Avait-il raison de la poser ? Etait-ce trop indiscret ? Les réponses qui lui furent faites ne parvinrent pas à lui apporter l'information qu'elle cherchait. De plus, elle ne pouvait s'empêcher de ne pas apprécier ses minauderies à l'égard de Rhis... Les points serrés, elle observait la femme, se mordant les lèvres pour s'empêcher de parler.
Puis, soudainement, elle se reprit. Non mais elle se serait giflée. Rhis faisait bien ce qu'il voulait, elle n'avait aucun droit de le juger là-dessus. Surtout que l'initiative ne venait pas de lui.

La famille la moins favorable à leur venue ? Pourquoi sentait-elle qu'elle aurait eu plus de facilité à croire cette information si elle venait de l'homme, auquel elle adressa un regard compatissant. Si jamais l'occasion lui en était donnée, elle se promettait de tenter de le sortir de sa situation probablement plus qu'inconfortable.

Néanmoins, elle ne pouvait nier que quelque chose la dérangeait dans l'attitude de cette femme. Elle qui était habituée à mentir et jouer un rôle pouvait sentir que quelque chose de louche se tramait ici.

- Dame Tsarra...

Non, elle avait dit pas de formalité. On recommence.

- Pardon, Tsarra... Notre venue semble vous faire excessivement plaisir... Y aurait-il une raison à cela ? Je ne pense pas que nous ayons fait quoi que ce soit d'extraordinaire...

Dame Demidicus posa alors son menton entre son pouce et son index avant de répondre :

- Certes, mais... Moi non plus après tout, ce qui est extraordinaire c'est de se rencontrer que maintenant !

- Certes...

Pour elle, cela n'avait rien d'extraordinaire. Elle se doutait que la Couronne ne pouvait pas se permettre d'envoyer ses sujets vers l'inconnu sans tâter un peu le terrain auparavant, afin ne serait-ce que de s'assurer de ne pas envoyer son peuple à la mort dans un territoire belliqueux. Mais elle ne voulait pas se lancer dans un débat, encore moins avec cette femme. Moins elles parlaient, mieux elle se porterait. Qu'elle parle plutôt à ses compagnons... Hum, non, qu'elle parle plutôt à Fenrir !

Leur arrivée avait été bien organisée, semble-t-il. Lorsque Kasha se plaça derrière lui, à la sortie de la nacelle, Rhis ne tarda pas à comprendre qu’elle avait dû être impressionnée par la rangée de golem. Son regard légèrement troublé ne pouvait que venir de là, et tout ce que le conseiller put faire sur le moment fut de lui accorder un sourire rassurant, au moins ça, même si en vérité, il n’en menait pas large non plus. Ce fut d’ailleurs Fen qui fut le plus curieux, puisqu’il s’approcha d’un des bonhommes en pierre pour le tapoter du doigt. Si ce dernier ne bougea pas d’un pouce, le jeune chat, lui, n’était pas plus rassuré que sa maîtresse, à tel point qu’il… urina sur la main du chasseur. Evidemment, l’intéressé pesta, enjoigna le félin à faire ses besoins ailleurs, ou au moins sur Kasha. Rapidement, il utilisa sa gourde d’eau afin de nettoyer le liquide qui était sur lui.

- Heureusement, il a fait ça sur toi plutôt que sur nos hôtes, relativisa Rhis avec l’ombre d’une expression amusée. Le beau brun n’aurait pas ri si Nox s’était pas mal comporté avec les Empyréens. Peut-être conscient qu’il avait fait une bêtise, le chat retourna sur l’épaule de sa maîtresse. Il était sans doute encore trop intimidé par ce nouveau lieu pour aller explorer tout seul… et c’était sans mieux.

Quoi qu’il en soit, le groupe fit d’abord la connaissance d’Ullas. Rhis, Kasha, puis Fen se présentèrent, et le beau brun écouta distraitement l’échange entre ses deux camarades. Apparemment, ça excédait légèrement l’aventurière que Fen ne révèle pas totalement sa vraie identité, alors que celui-ci, au contraire, trouvait que son diminutif lui allait très bien. Le conseiller royal ne fit aucun commentaire sur le moment, mais le fin sourire qui parsemait son visage montrait bien qu’il avait tout entendu et qu’il en savait peut-être plus que la demoiselle. Il aurait bien suggéré à Kasha d’aller au comptoir de la Guilde : là, on avait assurément le nom complet de Fen, et avec un peu d’adresse, la jeune femme aurait pu avoir toutes les réponses à ses questions mais… Ullas était présent, et ça lui aurait semblé incongru d’énoncer la Guilde en présence du surveillant. L’Empyréen n’aurait pas tout suivi, et le but n’était pas de l’écarter de la conversation. Rhis se tut donc, mais avec la curiosité infinie de sa complice, peut-être que le sujet serait abordé à un autre moment.

Une nouvelle-venue arriva bientôt. Tsarra Demidicus. Une belle jeune femme, à l’apparence avenante, mais Rhis se demanda bientôt si elle ne cachait pas son jeu derrière son joli sourire. En tout cas, ce serait leur guide, ils allaient donc devoir faire avec… Quand Kasha suggéra qu’elle leur fasse rencontrer des gens pour leur permettre d’échanger ensemble, il jugea que ce n’était pas une si mauvaise idée que ça, encore que la dénommée Tsarra était peut-être assez haut-placée pour répondre à toutes leurs questions. A voir : qui était la famille Demidicus dans l’Empyrée ? Était-elle assez puissante, ou servait-elle juste d’autres personnes comme la famille Grimmere ? Il ne pouvait pas lui poser la question directement, mais il aurait sans doute une occasion pour en savoir plus sur elle et accessoirement sur la politique de cette cité.

Cela ne l’empêcha cependant pas de demander qui était le fameux Sisko, évidemment. Trop concentré sur Tsarra, qui s’était d’un coup bien rapproché du conseiller royal, il ne vit pas le regard presque foudroyant de Kasha envers l’Empyréenne. Ullas vient néanmoins les séparer – que Lucy l’en bénisse – et l’homme aux yeux saphirs en profita pour se tourner vers l’aventurière alors qu’elle posait une question intéressante. Pourquoi Tsarra était si enjouée à l’idée de les voir ? Était-ce simplement le fait d’accueillir des Aryonnais ? Rhis avait assez de maîtrise pour s’empêcher de ricaner, mais il lui parut évident que Dame Demidicus évitait royalement la question de sa compagne. A la place de la jeune femme, il aurait accueilli les Empyréens de manière tout à fait aimable, certes, mais il l’aurait fait dans un but bien précis et pas simplement dans un pur élan d’enthousiasme, « parce que leur rencontre était extraordinaire ».  

Bref, Tsarra avait-elle un objectif précis en les accueillant elle-même ? Était-elle là pour quelqu’un d’autres ? Quel intérêt tirait-elle de tout cela ?

Quant à Fen, son compagnon demanda s’ils ne pouvaient pas aller visiter tout seul Empyrée, pour découvrir toutes les facettes de ce nouveau pays. Sans aucun doute voulait-il éviter un petit tour tout gentil de leur cité. Le chasseur voulait découvrir la ville sans filtres, avec ses bons comme ses mauvais côtés et Rhis pouvait le comprendre… Mais ce ne serait sans doute pas pour aujourd’hui. Pas pour une première prise de contact en tout cas, et le protecteur royal ne fut absolument pas surpris de la réponse de Tsarra. Sur ce point, il la rejoignait même et pouvait la comprendre. Quelle idée de montrer les failles de leurs systèmes directement, leur vie quotidienne la plus pure, avec ses avantages et ses inconvénients ? Politiquement parlant, c’était bien plus avantageux de leur montrer une nation forte et solide, sans à-coup, bien que ce soit moins naturel. C’était probablement l’intention de Tsarra et l’espion ne pouvait pas lui en vouloir. Si leurs rôles avaient été inversés, Rhis n’aurais certainement pas fait visiter à Ullas et à sa compagne les rues les plus mal banales de leur capitale, où on pouvait voir autant des honnêtes gens que des pauvres et plus rarement des criminels qui étaient poursuivis par la Garde.

Mais Fen n’avait pas la langue dans sa poche et le conseiller vit l’ambassadrice empyréenne tourner trois fois la langue dans sa bouche avant de parler davantage. Elle promit donc que si elle se rappelait certaines histoires ou légendes, elle leur en ferait part… et que celles-ci viendraient de toute façon en temps et en heure. Probablement allait-elle donc enterrer le sujet ou ne plus les mentionner. Pourtant, ils devaient bien avoir une histoire qui était la gloire de leur nation, non ? Était-ce si difficile de la leur raconter en cours de route, même brièvement ?

Rhis s’abstint donc de tout commentaire, et alors que Tsarra se retournait pour leur annoncer le départ, il lança une œillade à Fen et à Kasha. Il ne fallait pas être télépathe pour qu’ils comprennent que l’espion n’était pas dupe de cette mise en scène, qu’il pensait donc qu’il y avait anguille sous roche et qu’il leur enjoignait à être prudent.

L’homme était cependant déterminé à suivre les règles (pour le moment), et il n’utilisa donc pas son pouvoir, ni ne se massa la nuque, comme le lui avait suggéré Fen en passant. Au contraire, il se contenta de suivre leurs guides, en essayant de réunir le maximum d’informations qu’ils pouvaient.

Ils étaient donc à la surface… Mais ce n’était apparemment pas une zone habitable. Il y avait des maisons en pierre et en bois, certes, mais elles avaient l’air davantage d’être des stocks de marchandises, ou des simples magasins sur le pouce, qui permettaient de se restaurer rapidement. Ici, il n’y avait que des adultes qui semblaient d’ailleurs assez pressé, et apparemment, c’était le premier endroit où avait vécu Empyrée, selon Tsarra. Elle évoqua les Meskos, une escouade composée de traqueurs et de chasseurs s’il avait bon souvenir, ainsi que « les mineurs du hurleur ». Rhis savait que c’était un volcan assez spécial, mais il ignorait que des mineurs travaillaient dans cette zone…

- La surface est donc un endroit de passage ? demanda l’espion en inclinant légèrement la tête sur le côté. Je vois beaucoup d’adultes, mais pas d’enfants, ni de vieillards. Donc ce serait un lieu de transition vers l’extérieur ? Par exemple vers la jungle ou votre volcan ?

Sans se retourner, l’Empyréenne lui répondit :

- Tout à fait jeune homme ! Nous avons laissé ces bâtiments le plus intacts possibles afin de préserver notre histoire, mais cette surface n'est utile qu'à ceux qui travaillent dans les zones extérieures.

Ca expliquait donc pourquoi il n’y avait ni des jeunes en bas âge, ni des personnes âgées… C'est sur ces entrefaites que Fen posa une question à sa guide et Rhis l'écouta avec intérêt. Il attendit que Tsarra réponde, puis ce fut au tour du conseiller royal de continuer leur interrogatoire.

- Dans ce cas, si la jungle et le volcan se trouvent à ce niveau, vous n’avez jamais des nuisibles qui essaient de pénétrer votre enceinte ? Ou les Meskos se chargent de faire régner un bon équilibre avec les bêtes et animaux alentours ? J'ai cru comprendre que c'était... on va dire, un équivalent de nos aventuriers, hasarda Rhis pour trouver une comparaison relativement efficace.

Cette fois, Tsarra se retourna dans sa direction.

- Très bonne déduction ! L'équivalent de vos aventuriers ici sont les membres du clan Meskos. A l'origine c'était une famille de chasseurs, mais de nos jours, c'est plus un titre qu'un réel lien de sang. Pour ce qui est des nuisibles, disons que oui, ils occupent beaucoup notre attention. La jungle est extrêmement dense et repousse si vite qu'il nous a été impossible d'étendre les murs de notre cité là-bas.

La demoiselle tourna la tête en direction du mur nord-ouest, mais la gigantesque tour le cachait.

- Mince, on ne le voit pas d'ici, mais chaque jour des meskos coupent des racines qui montent sur le mur. Et chaque nuit, elles repoussent... Pour ce qui est du hurleur, les mineurs ont souvent besoin d'escorte pour immobiliser les minerais.

Rhis se contenta d’hocher la tête alors que la jeune femme reprenait la marche en se permettant une petite blague.

- Pour répondre à votre question du coup, si vous considérez que cet épuisant et dangereux travail est une "aventure" oui, haha, nous aussi avons des aventuriers. Je suis curieuse de voir comment vous nommez ceux qui nettoient vos toilettes du coup !

Huuuum, il y avait peut-être maldonne ici, puisque leurs aventuriers faisaient autre chose que combattre une jungle invasive, mais Rhis décida de ne pas répondre. Il était possible que Kasha et Fen intervinssent, en revanche, puisqu’ils étaient davantage liés à la Guilde.

Leurs guides entrèrent ensuite dans une grande tour, visiblement d’une bien meilleure qualité que le reste de la surface. Il était évident que l’architecture était plus raffinée que les édifices qu’ils avaient vus jusqu’à présent. Le conseiller se demanda succinctement si Empyrée n’avait pas commencé à creuser en profondeur à cause de la nature hostile, ou si cela avait été dû à une surpopulation éventuelle. Peut-être que ses compagnons poseraient la question. Quoi qu’il en soit, l’espion suivit sagement Ullas et Tsarra, qui étaient bien décidés à ne pas les perdre dans toute cette foule. D’abord intrigué par ces portes coulissantes, qui s’ouvraient toute seule à l’approche des passants, le protecteur royal ne tarda pas à examiner l’intérieur de la tour avec curiosité, qu’il ne chercha pas vraiment à cacher, d’ailleurs. Ca n’avait pas lieu d’être, même si Rhis continuait à afficher une expression détendue, comme s’il faisait confiance aux Empyréens.

Il laissa Tsarra s’éloigner pour s’approcher d’un comptoir, et le beau brun se pencha légèrement vers Ullas quand il vit que la jeune femme et son interlocutrice utilisaient une sorte de… tablette.

- A quoi est-ce que ça sert ? demanda-t-il d’une voix un peu plus basse à son guide, sur un ton manifestement intrigué. Kasha et Fen pourraient certainement l’entendre, ce serait peut-être moins le cas pour Tsarra et la femme au comptoir, qu’il ne voulait pas particulièrement déranger durant leur échange.

Son interlocuteur lui répondit assez vite, come si c’était l’évidence même :

- A payer... Comme chez vous j'imagine, vous avez bien une monnaie ?

Ca une… monnaie ? Ce n’était pas casse-bonbon de transporter sur soi des tablettes pour payer certaines choses ? Rhis eut une mine un peu surprise, mais il nota aussi qu’Ullas n’était pas particulièrement loquace.  A priori, s’il voulait en apprendre davantage, il lui faudrait sans doute se reporter sur Tsarra.

Celle-ci s’occupa d’ailleurs de tous les détails nécessaires à leur… voyage et elle finit par se diriger vers le pilier central, afin de trouver la porte 25. Elle abaissa un levier et finit par entrer dans une sorte de pièce ou de cabine, plutôt. Des fauteuils circulaires s’y trouvaient, et leurs guides s’y installèrent, visiblement habitués à la chose.

L’ambassadrice empyréenne ne tarda pas à rouvrir la conversation. Apparemment, elle avait préféré faire vite en sachant que la descente prendrait du temps. Ca ne dérangeait pas particulièrement Rhis, puisqu’il aurait été difficile de dialoguer avec tout le brouhaha alentours… Et au moins, ils étaient pour l’instant à l’abri des regards. Préférant s’asseoir à côté de Kasha et de Fen, l’espion écouta la jeune femme leur poser une question… ma foi intéressante.

- Je suis conseiller royal à la cour d’Aryon, déclara-t-il sans ambage, mais sans avoir un ton hautain non plus. C’était un constat, tout simplement. Pour faire simple, ma tâche consiste à assister leur Majesté et à m’assurer que tout fonctionne correctement au palais. Je dois aussi parfois les représenter dans certaines tâches officielles. Par exemple, tout récemment, j’ai assisté à un tournoi de la noblesse, où se déroulait quelques épreuves sportives, comme l’escrime.

Kasha était au courant, mais pas les autres. En tout cas, il se demandait comment réagirait ses hôtes, principalement la jeune Demidicus. S’il y avait bien quelqu’un qui jouait probablement dans la même cour que lui, c’était elle. A moins qu’Ullas ne joue un double-jeu, mais Rhis en doutait fort.

Cette fois, l’espion sembla surprendre Tsarra, qui ajusta machinalement sa coiffure avant de lui répondre. Elle ne s’attendait visiblement à ce quelqu’un d’aussi proche de la royauté soit présent à cette visite. Eh bien, il fallait bien un peu de piquant dans la vie, n’est-ce pas ?

- La royauté ? Mince, si j'avais su je me serais mieux habillée. Souriant, Rhis esquissa un geste pour signifier que ce n’était pas grave. C'est une coutume chez vous d'envoyer des personnes importantes comme si c'était de simples citoyens ? Cela doit être passionnant d'assister les dirigeants de votre si grande nation. Pas de tout repos j'imagine !?

Sans se départir de son expression aimable, Rhis lui répondit le plus naturellement possible.

- C’est une tâche que je suis ravi d’honorer, mais il va de soi qu’elle octroie quelques responsabilités, reconnut-il. Puis il enchaina : J’aurais peut-être pu me présenter totalement à la douane, mais comme je suis venu ici avec des amis, je ne voulais pas non plus mettre votre nation au branle-bas de combat seulement à cause de moi. Considérez-moi donc comme un simple visiteur. Et puis, il valait mieux que les choses tournent ainsi, puisque nous avons grâce à cela deux bons guides, sourit Rhis.

Si Sisko Grimmere avait appris qu’il était le conseiller royal… Peut-être n’aurait-il pas laissé Tsarra venir. Encore que, rien n’était moins sûr. De toute façon, entre se taper un homme potentiellement grincheux qui ne désirait en aucun les voir et la jeune Demidicus, le choix était rapidement fait.

Rhis se tut pour laisser ses compagnons répondre, particulièrement intéressés par la façon dont Kasha allait tourner les choses. Elle n’allait pas dire ouvertement qu’elle espionnait les gens pour le compte de ses clients… si ? Quant à Fen… Est-ce qu’il allait être loquace, lui ? Autant il avait confiance en la sociabilité de sa partenaire, autant son autre compagnon était peut-être… un peu trop franc pour son bien ?

En tout cas, il fallait répondre à l’Empyréenne, et quand ce fut fait, Rhis n’hésita pas à lui renvoyer l’ascenseur.

- Et vous ? Quelle est votre activité au sein d’Empyrée ? Ullas, j’ai vu que vous aviez un uniforme un peu semblable à ceux des golems… Est-ce que ça a un sens particulier ?

Bon soyons honnêtes, Ullas ne l’intéressait pas tant que ça, mais toute information était bonne à prendre, et accessoirement, ça lui ferait prendre un peu part à la conversation. Bien sûr, il restait Tsarra, et c’était de celle-là qu’il voulait arracher quelques informations… Mais quelque chose lui disait qu’elle pouvait très bien être une vipère cachée, qui jouait magnifiquement bien le rôle qu’elle s’était désigné.

Rhis laissa donc l’homme répondre et Ullas parut manifestement surpris qu’on lui adresse la parole. Son regard se tourna brièvement vers leur hôtesse qui lui adressa un sourire bienveillant. Ainsi, il avait besoin de l’aval de Tsarra pour parler ? Il y avait donc bien une hiérarchie entre eux deux, suffisamment prégnante pour qu’Ullas ne parle librement en sa présence.

- Eh bien... pour nous différencier d'eux je dirais ? Bien qu'on remplisse la même fonction, je reste un humain. C'est important pour les citoyens de pouvoir nous distinguer, on ne demande pas la même chose à un golem de race garde et à un garde humain.

Pouvoir les distinguer… Rhis réfléchit un instant, puis comprit qu’effectivement, on pouvait peut-être confondre un golem et un humain si on les voyait uniquement de dos.

S’abstenant d’enchainer trop vite ses propos, le conseiller royal laissa éventuellement ses camarades réagir. Puis, après un petit temps de silence, le garde regarda leur hôtesse principale.

- Et vous, Tsarra, quelle est votre activité au sein d’Empyrée ? Votre famille a un rôle particulier ?

Comme si elle s'attendait à cette question et s'apprêtait à réciter un texte, la dame hocha la tête en écoutant la question.

- Je savais que je n'allais pas y échapper haha. Pour faire simple, notre famille est certes plutôt riche et assez influente dans certains domaines mais ce n'est pas pour ça que nous sommes connus. Non. La population connait avant tout les Demidicus car nous sommes les plus enclins à changer nos vieilles traditions sur la magie et son utilisation. Naturellement nous avons beaucoup de monde à dos, mais beaucoup de soutiens aussi ! Autant d'intellectuels que de simples villageois. Nous essayons donc de convaincre un maximum de monde. Logiquement, votre récente apparition à plus que jamais porté ce débat sur le devant de la scène.

Rhis hocha la tête en signe de compréhension. Cette nouvelle était sans doute, depuis le début de leur périple, la plus intéressante. Est-ce qu’ils pourraient éventuellement se faire un allié de sa famille ? Mais ça entraînait aussi de nouvelles questions… Si Tsarra était favorable aux Aryonnais, pourquoi Sisko Grimmere, qui n’aimait pas visiblement leur peuple, aurait laissé, disons, son « ennemie », son « opposante » prendre sa place ? Était-il possible qu’il les méprise suffisamment pour ne pas venir ?

Cela étant dit, il n’était pas normal que ce soit uniquement Rhis et son groupe qui posent les questions, et l’espion décida donc de tendre une perche à leurs interlocuteurs.

- Y a-t-il des choses que vous voulez savoir sur Aryon en particulier ? Nous ferons de notre mieux pour y répondre.

Un peu surprise par la question, Tsarra ne la refuse pas pour autant, au contraire.

- En particulier ? Hm... difficile de choisir. J'aurais envie de dire que je veux tout savoir ! Mais s’il faut commencer quelque part je dirais... tiens ! Vous me parlez d'aventuriers, mais de ce que j'ai pu comprendre votre nation s'étend sur tout le territoire disponible derrière la frontière. Vient donc ma question : qu'avez-vous encore à découvrir ? N'êtes-vous pas maîtres de votre territoire depuis ce temps ?

Elle pose la tête entre ses mains en attendant la réponse. Toujours avec son grand sourire.

En résumé:

Au niveau des golems, Nox revint rapidement vers elle. Un rapide coup d'oeil vers Fenrir lui donna une idée de ce qui s'était passé. Néanmoins, elle ne savait pas comment réagir. En temps normal, elle l'aurait grondé, mais là... Cette réaction, qu'il n'avait d'ailleurs jamais eue auparavant, semblait incrontrôlable, proboquée par une émotion forte... Même si elle le grondait, cela changerait-il vraiment quoi que ce soit ? Néanmoins, si elle ne disait rien, elle courait le risque qu'il recommence. Avec un soupir, elle se contenta de lui offrir quelques caresses pour le rassurer, prenant cependant soin de ne pas lui prodiguer celles qu'il préférait. Etait-ce vraiment une punition ? Elle n'avait de toutes façons pas le coeur de lui en faire subir une plus importante.

Lorsque Fenrir répliqua au sujet de son nom, elle remarqua la légère réaction de Rhis... Ses yeux firent des allers-retours entre les deux hommes. Elle avait légèrement l'impression qu'on se moquait d'elle.

- Vous deux, il va falloir que vous m'expliquiez certaines choses... Plus tard. Quand on pourra parler librement.

La prochaine prise de parole de Fenrir lui donna envie d'aller lui faire la morale, ou de lui donner deux claques. Mais enfin, à quoi pensait-il ? Il était évident qu'ils ne pourraient pas aller se balader seuls dans cette ville, après tout, il était très probable que certains aspects feraient mieux de ne pas leur être révélés. D'un autre côté, elle pouvait le comprendre, ils ne pourraient pas savoir exactement à quoi s'en tenir avec Empyrée s'ils n'en voyaient volontairement que des côtés positifs. S'ils voulaient aller explorer, il faudrait le faire discrètement...

Avec un sourire indéfinissable, elle s'approcha de lui et, s'arrangeant pour qu'il soit le seul à l'entendre, elle lui glissa :

- Une approche frontale ne marchera jamais. Il y a peut-être d'autres moyens...

Puis elle reprit rapidement sa place initiale et une expression neutre, espérant que personne d'autre que Fenrir, et éventuellement Rhis, n'ait remarqué sa manoeuvre. Evidemment, cela l'arrangerait que ce dernier n'ait rien vu, car il lui en voudrait certainement s'il venait à savoir ce qu'elle avait suggéré... Mais elle se pensait capable de faire en sorte qu'il l'accepte... À condition, encore une fois, qu'ils aient l'occasion de discuter librement, autrement dit, sans Empyréen à portée d'oreille. Ce qui semblait peu probable.

Lorsqu'enfin le petit groupe se mit en marche, Rhis leur accorda un coup d'oeil. Kasha lui répondit par son fameux hochement de tête. Mais, bien vite, son attention fut monopolisée ailleurs. Autrement dit, elle devait se concentrer pour ne pas se laisser avaler par la foule. Son agoraphobie l'empêchait de se concentrer sur l'architecture des lieux. De toutes façons, même en temps normal, les lieux l'intéressaient moins que les gens... Ce qui était ironique, d'ailleurs. La demoiselle appréciait en effet de discuter avec des personnes, qu'elle les connaisse ou non, mais dès que ces dernières devenaient trop nombreuses, elle cherchait à s'enfuir immédiatement. Mais ici, cela n'était pas possible. Alors, elle se rapprocha de ses compagnons, dans une tentative futile de se cacher parmi eux. Elle se concentra sur Fenrir et Rhis, dont les deux présences étaient rassurantes pour elle. Sentant son trouble, Nox vint se poser sur son épaule et s'appliqua à lui débarbouiller le cou. Kasha répondit par des caresses distraites.

Mais cela, ce fut avant de remarquer que ces personnes bien trop nombreuses les observaient... Elle laissa échapper un gémissement. Elle n'avait vraiment pas besoin de ça ! Alors, elle concentra son regard sur celui du chaton, qui la fixait, suivant ses compagnons dont elle sentait la présence sans avoir besoin de les voir. Elle espérait néanmoins qu'ils pourraient rapidement trouver un lieu plus calme...

Ce fut peine perdue. Une fois à l'intérieur du bâtiment, elle eut l'impression d'étouffer. Y avait-il réellement plus de personnes qu'à l'extérieur ? Ou était-ce la présence des murs qui rendait tout cela bien plus oppressant ? Peut-être un peu des deux... Nox ne la quittait plus, visiblement inquiet. Elle tentait de le rassurer, mais cela avait visiblement peu d'effet...

- Nox... Ne t'inquiète pas. C'est... Juste les gens.

Visiblement, il ne la croyait pas. Elle soupira. De toutes façons, ils finiraient bien par arriver en un lieu moins peuplé, non ? À ce moment-là, le petit Tenko finirait par se rendre compte qu'elle se connaissait quand même un minimum.

Lorsqu'elle sentit Ullas se rapprocher d'eux, elle lui accorda un coup d'oeil reconnaissant. Se concentrer sur ceux qu'elle connaissait, Empyréens comme Aryonnais, devrait l'aider à passer cette épreuve avec un minimum de succès.

Enfin, ils finirent par arriver dans une salle vide. Kasha put enfin respirer, et Nox l'avait probablement remarqué, puisqu'il s'autorisa à s'envoler, explorant les lieux, malgré les recommandations qui lui avaient été faites au départ. Néanmoins, Kasha le laissa faire. En effet, si elle lui avait demandé de ne pas explorer, c'était surtout par peur de le perdre. Mais ils se trouvaient à présent dans une pièce fermée... Le chaton ne pourrait donc pas s'éloigner de trop. Et puis, Kasha le savait curieux. Il était impossible de renier sa nature profonde, elle le savait. Alors, autant le laisser explorer ici plutôt que de le retenir jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus et explore de force en un lieu où cela serait plus malavisé...

Lorsque Tsarra reprit la parole, Kasha ne put retenir un rire ironique. "Pardonnez mon empressement" ?  L'aventurière lui en était plutôt reconnaissante. Aurait-elle pu survivre à plus de temps au milieu d'une telle foule ?

Néanmoins, elle leur avait posé une question. Leur métier ? Kasha commençait à réfléchir à ce qu'elle pouvait lui dire et ce qu'elle devait lui cacher, quand Rhis la prit de vitesse.

La réaction de la femme au monologue du conseiller amusa Kasha. En effet, elle aussi lui avait démontré un certain respect eut égard à son rang... Et il lui avait bien fait comprendre que cela avait peu d'importance pour lui. Comment le ferait-il comprendre à cette personne ? Elle eut vite sa réponse. Un simple geste ? Alors, cette femme ne lui semblait pas assez intéressante pour mériter des paroles ? Malgré elle, Kasha ressentit une certaine satisfaction, comme si elle avait pris sa revanche avec succès. Néanmoins, ce sentiment était loin d'être désagréable...

Elle le laissa terminer, puis ce fut son tour. Alors, simplement, elle déclara :

- Pour ma part, je suis une simple aventurière.

Tsarra se contenta de hocher la tête. Néanmoins, Kasha se souvint que Rhis avait développé. Peut-être devrait-elle le faire également ?

- Enfin, "simple"... Ce n'est peut-être pas tout à fait vrai. Après tout, la majorité de mes collègues savent combattre !

Elle laissa échapper un petit rire, puis, reprenant son sérieux, poursuivit, non sans avoir observé Rhis pendant un moment, songeuse. Après tout, elle pouvait s'inspirer de lui et jouer avec la vérité...

- En fait, je pourrais dire que je suis à mi-chemin entre une hôtesse et une examinatrice. Cela ne vous évoque peut-être pas grand-chose, mais sachez simplement qu'on m'envoie discuter avec de potentiels clients afin de m'assurer qu'ils n'aient rien à se reprocher. Après tout, la Guilde ne fait pas dans l'illégalité !

Son seul vrai mensonge concernait ses cibles : en effet, il ne s'agissait évidemment pas de futurs clients, la demoiselle ne connaissant même pas ses commanditaires. Pour le reste... Elle avait été honnête, sans être trop précise. En effet, elle ne détaillerait pas comment elle parvenait à obtenir les informations demandées... Puis elle jeta un coup d'oeil à ses compagnons. Fenrir ne savait pas quelle était sa spécialité, serait-il lui aussi tombé dans le piège ? Cela lui importait peu, car elle avait confiance en lui, mais cela lui donnerait une idée de ce qui pourrait se passer dans la tête des Empyréens : si Fen était convaincu, ce serait probablement aussi leur cas. Dans le cas contraire... Elle aviserait. Pour ce qui était de Rhis... Il connaissait parfaitement sa spécialité. Mais il lui avait également demandé de le suivre s'il commençait à jouer avec la vérité. Certainement, il ne lui en voudrait pas si elle inversait les rôles, n'est-ce pas ?

Quoi qu'il en soit, ces nouvelles précisions semblaient avoir piqué l'intérêt de son interlocutrice, qui se contenta néanmoins d'un simple :

- Hmmm d'accord... Une hôtesse examinatrice, un conseiller. Je commence à comprendre pourquoi vous êtes venus ensemble !

Kasha se garda bien de lui donner la vraie raison. Principalement parce qu'elle l'ignorait. Certes, Rhis et elle-même s'étaient plus ou moins promis de se retrouver pour aller à Empyrée si possible, mais elle se demandait encore s'il n'avait pas plus important à faire que de s'encombrer d'elle... Oh, bien sûr, elle était ravie qu'il ait tenu cette promesse qui n'en était pas vraiment une, mais elle se demandait encore pourquoi. Après tout, si c'était simplement pour se revoir, Lucy semblait décidée à leur créer des opportunités...

Enfin, ce n'était pas le moment de se perdre dans des questions qui avaient toutes les chances de rester sans réponse. Rhis parlait à Ullas... Kasha y vit une occasion de donner une certaine importance à ce dernier. Elle écouta donc la réponse avec attention, puis saisit la perche ainsi tendue :

- Et en quoi consistent ces différences d'assignations ? J'imagine qu'en tant qu'humain, vos fonctions sont... Peut-être plus intellectuelle ?

Avec un ton parfaitement poli et professionnel, il se plia à ce qui allait devenir un mini-interrogatoire :

- Exactement, les Golems sont une force très efficace, mais il faut tout de même un esprit humain pour encadrer tout ça.

Cela piqua sa curiosité. Non seulement, il acceptait de parler, mais il énonçait des faits très intéressants aux yeux de l'aventurière... Qui, sans vraiment réfléchir, l'interogea un peu plus :

- Mais encore, comment les encadrez-vous ? Est-ce que vous honorez certains devoirs sans les golems ? Et excusez-moi, je suis peut-être trop curieuse...

Elle avait en effet fini par se rendre compte de l'avalanche de questions qu'elle risquait de faire pleuvoir sur lui si elle continuait. Néanmoins, cela ne sembla pas le déranger alors que, animé d'une vie qui faisait plaisir à voir, il répondait de bonne grâce :

- Eh bien imaginez des hommes infatigables, silencieux, ayant très peu de besoins mais obéissants comme des chiens bien dressés. Eh bien nous faisons en sorte qu'ils nous aident le plus possible. Avec toute la magie dont vous disposez sur aryon cette question n'a jamais dû vous effleurer l'esprit mais... Imaginez construire des choses gigantesques, s'occuper de créatures au propriétés les plus incongrues sans pouvoir, sans rien. Nous avons du nous adapter et utiliser notre environnement pour faire face à ces défis.

Un toussottement.

- Pardonnez ma réponse un peu longue.

Consciente de la passion mêlée d'une forte fierté patriotique qui transparaissaient dans son discours, elle lui offrit un sourire rassurant alors qu'elle l'assurait :

- Oui, je comprends où vous voulez en venir. Merci pour votre réponse.

Après un moment de réflexion, elle poursuivit, s'adressant à Ullas, même si elle ne serait pas surprise que ce soit Tsarra qui réponde... Ce qui, honnêtement, ne l'arrangerait pas.

- Aussi... Quel genre de hiérarchie existe-t-il entre vous et Tsarra ? Chez nous, les gardes sont plus indépendants que ce qui a l'air d'être le cas ici. J'avoue être curieuse. Après tout, en tant qu'aventurière, j'ai déjà eu plusieurs occasions de collaborer avec vos semblables à Aryon. Une comparaison serait intéressante, j'espère que vous comprenez.

Les deux se regardèrent, interloqués. Il semblait que cette question ne leur avait jamais effleuré l'esprit... Patiente, Kasha les laissa formuler leur réponse, curieuse de ce qu'elle serait. Et, comme anticipé, ce fut Tsarra qui prit la parole :

- Hiérarchie ? Je n'aurais pas vraiment la prétention de dire que je commande un garde... Mais j'imagine que mon statut de membre de la famille Demidicus m'octroie quelques libertés, dont je profite parfois je l'avoue, mais je reste soumise à la loi.

- Hmmm oui de même ! En tant que garde je suis avant tout la pour protéger la population. Bien que dame Demidicus soit impressionnante, je reste dépositaire de l'autorité.

Ils se regardèrent, puis Tsarra émit un rire semblable à celui de Kasha lorsqu'elle était un peu gênée :

- Enfin... Je fais de mon mieux.

Kasha, de son côté, observait leur échange, dubitative. Leur définition de la hiérarchie était-elle vraiment celle qu'ils leur avaient donnée ? Car selon ses observations, c'était plutôt l'inverse... Enfin, elle ne fit pas de commentaire.

La réponse de Tsarra à la question de Rhis l'intéressait également, néanmoins, elle n'en laissa rien paraître. Après tout, elle avait clairement affiché son intention de parler avec Ullas, et c'était la plus pure vérité. À ses compagnons de poursuivre la conversation avec cette femme, qu'elle surveillait néanmoins du coin de l'oeil.

Néanmoins, la noble ne semblait pas de cet avis. Avec un soupir, Kasha se détourna d'Ullas pour répondre :

- Honnêtement, même en tant qu'aventurière, même si je voyage, je pense qu'il y a ici quelqu'un qui saura mieux vous répondre que moi. Fen, je t'en prie !

Evidemment, elle pensait également à son sens de l'orientation, déplorable dès lors qu'elle quittait les milieux urbains... C'était Fenrir qui lui avait donné des astuces pour s'orienter. Elle... Même s'il était possible qu'elle ait découvert de nombreux lieux, en pleine nature, cela aurait simplement été pendant qu'elle se perdait en cherchant à retrouver son chemin. Donc, elle ne serait même pas capable d'y retourner. Non, vraiment, ce n'était pas à elle qu'il fallait demander de servir de guide pour une exploration.

Suite à sa proposition, les deux Empyréens se tournèrent vers Fenrir. Visiblement, Tsarra n'était pas la seule à être curieuse au sujet de l'exploration...

Rhis n’avait pas hésité à poser des questions sur la surface. Ce n’était peut-être pas le plus essentiel, mais c’était quand même intéressant de savoir que l’enceinte était un lieu de passage vers des zones extérieures. Fen aussi, du reste, n’hésita pas à interroger Tsarra, quitte à poser des questions qui auraient pu paraître bêtes pour l’Empyréenne. La demoiselle leur confirma qu’ils vivaient sous-terre, mais cela semblait poser problème au chasseur, puisqu’il avait du mal à imaginer que leurs voisins aient un apport suffisant en oxygène, sans compter qu’ils n’avaient pas la lumière du soleil. Là-dessus, le conseiller royal trouva que la remarque de son compagnon était assez juste, mais la jeune Demidicus leur répondit simplement que la phosphorite, des plantes, et quelques tuyaux leur donnaient ce qui étaient nécessaire. Est-ce que ce n’était pas une réponse un peu… simple ?  Cela dit, peut-être que les Aryonnais avaient des idées un peu préconçues sur Empyrée. Ils ne les imaginaient peut-être pas dans des grottes, mais Rhis avait du mal à imaginer correctement leurs tunnels, leur ville, et tout le reste. Enfin. C’était pour ça qu’ils étaient là, après tout : voir la réalité empyréenne de leur yeux et la rapporter ensuite à leur nation.

Le beau brun écouta le reste de la conversation de Fen avec Tsarra sans intervenir davantage, puis ce fut lui qui continua à interroger la jeune femme. Bientôt, ils arrivèrent dans une tour, où il y avait encore plus de monde qu’à l’extérieur. Pour peu, on aurait pu se sentir oppressé et perdre de vue ses compagnons en moins de deux, dans cette si grande salle, mais leurs guides étaient bien décidés à ne pas les laisser s’égarer. Suivant d’abord leur gardienne, Rhis jeta quand même un œil à ses compagnons à mi-chemin. Fen avait l’air d’aller bien, mais Kasha peinait à cacher son malaise au milieu de toute cette foule. Presqu’instinctivement, l’homme ralentit le pas pour se retrouver à la hauteur de l’aventurière.

- Kasha, ça ne va pas ?

Son familier, lui aussi, semblait inquiet et essayait peut-être de rassurer sa maîtresse, sans trop de succès, apparemment. Rhis attendit une réaction, puis, avec un sourire qui se voulait apaisant, il lui présenta son bras.

- Appuie-toi sur moi, si ça peut te soulager. Et ne regarde pas les gens aux alentours. Dans quelques temps, on ne sera plus là. Un silence. J’espère. Parce qu’en vrai, il n’en savait rien évidemment, et il dépendait du bon vouloir de leur accompagnatrice. Quoi qu’il en soit, l’espion attendit à nouveau une réaction de sa belle compagne, avant de reprendre la parole. Je suis là, et Fen aussi, donc essaie de te raccrocher là-dessus.

Voix rassurante, toujours, mais ça valait mieux que d’ignorer sa complice et de la laisser angoisser toute seule. Quand ils entrèrent dans l’ascenseur, Rhis sentit Kasha se détendre, et il lui accorda un sourire en coin, qu’elle seule put peut-être voir. Puis, ils s’assirent, et ils commencèrent chacun à se présenter.  Quand ce fut le tour de la jeune femme blonde, elle révéla d’abord simplement son rôle au sein de la Guilde, puis commença quand même à développer son propos. L’espace d’un instant, Kasha sembla observer Rhis, comme pour chercher ses mots, et il lui accorda un regard à la fois tranquille et confiant. Il aurait bien laissé échapper un air espiègle aussi – tous deux savaient qu’ils pouvaient ne pas dire spécifiquement la vérité – mais il fallait se maîtriser et jouer sur les apparences en présence des deux Empyréens. Donc bon. Ils parleraient à cœur ouvert plus tard, quand il n’y aurait plus toutes ces oreilles indiscrètes.

Quoi qu’il en soit, Kasha dit une semi-vérité, ce qui n’était pas une mauvaise idée en soi puisque, moins on s’emmêlait dans le mensonge, plus nos réponses sembleraient naturelles et spontanées. Dans leurs cas, mieux valait jouer sur les deux tableaux… Et ce n’était pas l’espion qui allait reprocher à Kasha de mettre des voiles sur un pan de ses activités, loin de là. Quand Tsarra reprit la parole, Rhis surenchérit d’un ton tranquille.

- Nos rôles se complètent bien, et ça nous permet d’avoir différents points de vue.

En tant que « hôtesse » examinatrice et en tant que conseiller royal, l’un agirait prétendument pour la Guilde et l’autre pour la Royauté. Chacun avait des objectifs un peu différents mais complémentaires, et Fen, qui était censé être un aventurier actif, permettaient de compléter leur trio. Kasha qui reprit les rênes de la conversation, en interrogeant Ullas sur les golems. Donc on pouvait en juger que, pour les Empyréens, c’était des créatures sans vie particulière ? Inanimées en somme ? Cependant, elles avaient visiblement besoin d’un être humain pour fonctionner correctement quand on leur donnait des ordres complexes, semblait-il. L’espion nota ce détail dans un coin de sa tête, et il ne tarda pas à féliciter mentalement Kasha lorsqu’elle demanda à leurs hôtes quelle était la hiérarchie entre eux. C’était justement un point qui l’intéressait grandement et la réponse fut… un peu étonnante. Manifestement, c’était Ullas qui avait l’autorité, ici, mais en terme de charisme, c’était Tsarra qui avait davantage l’âme d’un leader que le garde devant eux.

Mais en matière de rang et de statut, rien n’était simple, et Rhis n’aurait pas été surpris que les rôles de Tsarra et Ullas soient inversés. Sur le papier, elle devait bien lui obéir, et certainement qu’elle ne devait pas faire n‘importe quoi, mais en pratique, il était manifeste qu’elle avait une force de caractère suffisante pour imposer sa volonté.

D’ailleurs, la suite le lui confirma bientôt lorsque leur jolie guide les informa bientôt qu’ils allaient à l’étage trente-six, et pas le quarante-sept. Un sourire discret apparut sur les lèvres de Rhis à cette nouvelle. Pourquoi n’était-il pas surpris ? Plus le temps passait, plus son impression que Tsarra menait la danse s’accentuait. D’autant plus que Ullas considéra cela que « c’était un honneur », sans être outré davantage de leur changement de programme. Allaient-ils donc dans un endroit uniquement réservé aux grandes familles d’Empyrée ?

- Je suis bien impatient d’arriver, sourit le conseiller royal d’un air coquin. Mais dites-moi, à quoi sert cette boîte rectangulaire ? A donner et recevoir des instructions ? demanda l’espion. Nous n’avons pas de tels outils dans Aryon, et si c’est aussi populaire que vous le dites chez vous, c’est assez… intriguant. avoua-t-il.

Tsarra et Ullas le regardèrent aussitôt d’un air curieux et la jeune femme crut même qu’il racontait une blague.

- Oh allons très cher ! Ne me faites pas croire que votre moyen de communication le plus développé est la lettre tout de même ? Quoi que... peut être ? Je m'étais dit qu'avec votre magie vous auriez pu développer quelque chose."  Au fur et à mesure de sa phrase elle reprend son sérieux : Mais en tout cas si vous n'y avez jamais pensé je vous conseille de le souffler à l'oreille de votre souverain, c'est très pratique de communiquer à distance.
- On a des cristaux de communication, répondit Rhis, qui sont très pratiques. Je suppose que ça a la même vocation que votre outil, sauf que c'est plus petit, et que tous nos contacts sont dedans grâce à la magie. Evidemment, pour que ça marche, il faut que notre interlocuteur ait un cristal, lui aussi. La seule différence, c'est qu'on peut parler ensemble, comme vous et moi. C'est pratique pour prendre directement les nouvelles de quelqu'un, et c'est beaucoup plus rapide qu'à l'écrit.  

D'accord, c'était un outil qui n'était pas toujours très courant, mais si des pourparlers étaient entamés, il était évident qu'Empyrée se renseignerait sur les objets magiques d'Aryon et finirait par découvrir l'existence des cristaux.  Peut-être même que d'autres groupes envoyés en tant qu'ambassadeurs avaient emporté de tels objets avec eux et l'avaient montré à la douane.

- Ah oui voilà j'en étais sûre ! Ca aurait été très étonnant que vous n'ayez pas d'équivalent. Et donc, la magie s'occupe de mémoriser tous ceux que vous avez croisés ?  
- Il suffit qu'on pense à notre interlocuteur pour qu'un lien entre nos deux cristaux soient opérés, donc on peut dire que la magie garde en mémoire ceux qu'on a croisés, oui.

Son interlocutrice sembla sincèrement impressionnée.

- Evidemment... je n'en attendais pas moins de la magie ! C'est fantastique !

En pratique, il fallait que leurs deux cristaux soient mis côte à côte la toute première fois, mais le beau brun n'allait pas s'arrêter dans les détails...

Enfin, l’ascenseur s’arrêta, et on peut dire que le spectacle fut à la hauteur de ses attentes. Quand ils pénétrèrent la tour, d’abord, on voyait déjà qu’ils avaient changé de décor : ils n’étaient plus dans un milieu populaire, mais mondain, voire aristocratique ou noble. C’était beaucoup plus luxueux que la normale, et Rhis lança un regard intrigué aux tableaux qui s’animaient tout seul.

Mais il ne s’attendait pas au spectacle qui s’offrirait à eux en sortant de là. Car vraiment, ils se seraient crus comme en plein jour, et si l’homme n’avait pas été certain d’être descendus pendant plus de vingt minutes, il aurait presque pu croire qu’il était à l’extérieur. Il y avait des lacs, des plaines, des arbres, quelques maisonnées, aussi, et surtout un énorme château. Rhis ne chercha pas à cacher sa surprise, ce qui dut peut-être ravir Tsarra, avant qu’elle ne leur fasse la révérence et qu’elle leur dise qu’ils étaient chez les Demidicus.

Bon, ce n’était pas prévu, tout ça.
Ce n’était pas prévu, mais Rhis devait bien admettre que leur guide avait bien joué son coup.

- C’est impressionnant, fit-il. Tout semble naturel et on se croirait à l’extérieur. Les étages des grandes familles sont-ils tous aussi bien conçus ? demanda-t-il en souriant à Tsarra. Ou le vôtre est particulièrement plus splendide que les autres ?

Son ton était légèrement taquin, cette fois, mais la demoiselle avait l’air assez souple en matière d’étiquette et tolérerait certainement une ou deux petites plaisanteries.  

Tsarra regarda quelques oiseaux virevolter dans le ciel avant de lui répondre.

- Hmm oui, les grandes familles sont assez riches pour s'acheter un étage. Mais il n'y a pas qu'elles, certains entrepreneurs ou hommes d'influence le font aussi. Cependant, tous ne préfèrent pas les transformer en grands domaines naturels ou en châteaux. Certains laissent les villes en place et profitent juste de rentes sur le secteur.

Puis la demoiselle fit une petite moue, certainement à cause de la petite plaisanterie de Rhis, et elle réfléchit un instant.

- Hmmm... il est vrai que je trouve cet étage très joli mais... Elle s’était rapprochée de l’espion tout en parlant, et se pencha vers lui comme au tout début de leur rencontre. C'est surtout les hôtes qui donnent son charme à ce lieu.

Elle lui lança alors un petit clin d'oeil et recula avant qu'un millicien ne s'inquiètât du rapprochement entre eux deux. Rhis, de son côté, ne s'était pas écarté ni ne l'avait repoussée (ç'aurait été la fin de toute diplomatie), mais il se fit la réflexion que Tsarra sauterait sur chaque occasion qui lui permettrait de jouer avec les règles établies apparemment. Bon. S'il restait près de Kasha, est-ce que ça la dissuaderait peut-être ? Il n'en était pas sûr...

Cela étant dit, "blagues" mises à part, le conseiller avait d'autres questions, évidemment. C’était un grand espace. Comment cet étage était-il géré ? Comment les Empyréens arrivaient-ils à créer des paysages si réalistes ? Devaient-ils faire des commandes spéciales ? Ils prétendaient ne pas utiliser la magie, alors quelle technologie leur permettait de telles prouesses ?

Mais bombarder leur hôte de questions aurait pu être un peu indélicat, surtout que des domestiques étaient arrivés jusqu’à eux. Des gardes aussi, et Rhis leur dédia un coup d’œil alors qu’Ullas se dirigeait vers eux. Pour leur dire quoi ? Leurs fonctions ? Impossible de les entendre, de là, et de toute façon, un serviteur s’approcha pour leur dire que la table était servie.

- Goûtez vos plats me semble une excellente initiative, à moins que mes compagnons ne veulent faire un tour de votre propriété avant ? demanda-t-il en laissant la possibilité à Fen et à Kasha de réagir. C’est que nous n’avons jamais visité un si prestigieux étage, continua l’espion – cela allait sans dire, c’était la première fois qu’ils en visitaient un –, donc je suis un peu curieux de voir tout ce qu’il regorge. acheta-t-il, toujours avec son si calme sourire. D’ailleurs… Quel est votre endroit préféré, Tsarra ?

Concerant leur collation ou leur repas, Rhis doutait que Tsarra cherchât à les empoisonner, même si le risque n’était évidemment pas nul. Mais ce n’était pas dans l’intérêt immédiat des Demidicus, du moins. Par ailleurs, c’était toujours un signe de courtoisie que d’accepter l’accueil de son hôte, ce compris le repas qu’elle avait fait préparer pour eux.

Mais il fallait voir si ses compagnons étaient de ce avis, ce qui n’était pas garanti.

Tsarra, elle, tapa dans ses mains face à la réaction du l’espion.

- Très bien ! C'est remarquable de votre part de toujours consulter l'avis de vos collègues. L’air affable de Rhis ne changea pas d’un iota mais il n’en pensa pas moins. Elle s’attendait donc à ce qu’il dirige tout parce qu’il était le conseiller royal ? D’accord, celui-ci avait certainement un statut plus conséquent, et le beau brun avait souvent pris l’initiative, mais il n’en restait pas moins que l’avis et le bien-être de ses compagnons étaient importants à ses yeux.  En attendant qu'ils se décident, je dirais que mon endroit préféré est... la bibliothèque, assurément ! Ou le chemin au bord du lac, les petites ballades avec ma soeur sont de très bon souvenirs... Oh et puis la salle de jeu aussi ! Non, décidément cette question est trop dure haha.

Une erreur. Elle avait dit que c’était une erreur. Rhis se garda bien de faire le moindre commentaire à Tsarra, mais aucun membre du trio n’était dupe sur leur changement de destination. D’ailleurs, Fen le dit à demi-mot au nom de tous. La femme l’avait certainement décidé ainsi depuis le début. Restait encore le fait qu’Ullas l’avait facilement accepté. Peut-être était-il curieux de voir le domaine des Demidicus.

Quoi qu’il en soit, il fallait bien être sociable, et Tsarra comme le conseiller royal commencèrent à converser ensemble sur les cristaux de communication. Pour l’espion, il s’agissait avant tout de paraître ouvert et de ne pas laisser non plus un certain malaise s’installer dans la cabine. Puis, il était curieux aussi, mais il n’avait aucune intention cachée derrière leur discussion. C’était juste un dialogue comme un autre, et quand Kasha l’interpella avec un air un peu grognon, le beau brun lui lança un regard interrogateur. Forcément, l’homme était à mille lieux de s’imaginer qu’une simple conversation avec Tsarra susciterait la jalousie de Kasha. A ses yeux, il était sociable et remplissait son rôle, c’était tout.

Quand ils arrivèrent sur les lieux et que Kasha demanda à parler à l’Empyréenne en privé, Rhis haussa un sourcil en se demandant ce qu’il se passait, et il se trouva donc seul à seul avec Fen. L’espion lui lança un regard en coin quand l’aventurier lui affirma que les ignorants étaient de véritables bienheureux… et le conseiller royal en conclut vite une chose de leur conversation. Peu importe comment, il devrait toucher un mot à Kasha à propos de toute histoire. D’abord, il ne pouvait pas s’intéresser à Tsarra – car derrière ses grands sourires, ça restait une inconnue dont il se méfiait comme la peste – et ensuite, il devrait peut-être glisser à la jeune femme que son rôle, ici, était avant tout politique. En d’autres mots, il se devait jouer les sales hypocrites, certainement comme Tsarra, et essayer de nouer une relation positive avec Empyrée. Même si cela revenait à jouer à l’intéressé ou à lancer des compliments à droite et gauche.

Mais bon, il ne pouvait pas non plus en vouloir à la maîtresse de Nox. Après tout, avec Lorena, elle l’avait côtoyé de très loin ; avec Victoria, il l’avait acculée et davantage exposé son côté méfiant et donneur de leçons ; et aux bains, il avait davantage été lui-même qu’autre chose. Kasha n’avait jamais donc vu réellement sa couverture de conseiller royal, où l’homme voletait de noble en noble, avec un sourire faux et hypocrite sur le visage.

Peut-être qu’il aurait dû lui expliquer davantage qu’il pouvait être sournois et condescendant avec autrui, surtout en matière de politique. Mais bon…

« Si elle devient jalouse avec Tsarra, qu’est-ce que ce sera si elle me voit un jour dans un bal où plein de jeunes femmes veulent danser avec moi… »

Un soupir s’échappa des lèvres de Rhis alors que les deux femmes revenaient vers le reste du groupe. Son amie semblait déterminée à le suivre, mais le conseiller ne put retenir un sourire amusé quand elle embraya sur le sujet du lac. Il savait bien qu’elle adorait l’eau, mais l’horreur qui naquit sur le visage de Fen accentua également son sourire, puisque cela lui rappela aussi leur première rencontre, quand l’espion avait tiré l’aventurier d’un cours d’eau où il était en train de se noyer. Décidément, ses compagnons étaient totalement opposés sur ce point-là.

Fen préférait en tout cas se promener tout seul et si Rhis avait eu les moyens de communiquer avec lui par la pensée, il lui aurait bien demandé de retenir un maximum d’informations pour qu’ils fassent ensuite le point ensemble. Contre toute attente, Tsarra accepta la proposition de Fen à condition qu’il ne soit accompagné d’un garde. Un surveillant en somme. D’une certaine manière, il pouvait la comprendre : si leurs rôles avaient été inversés et qu’il avait dû accueillir l’ambassadrice au Palais, il ne l’aurait certainement pas laissée se balader seule. Silencieux, Rhis la vit donc donner ses directives à l’escorte de Fenrir, et l’espace d’un instant, l’ambiance détendue du domaine sembla se figer totalement. Il fallait dire que le garde avait bien gaffé : on ne disait jamais, lors d’une rencontre diplomatique, qu’on pourrait blesser ses invités si cela s’avérait nécessaire. C’était encore plus délicat de dire cela en compagnie d’un conseiller royal qui aurait pu rapporter cette « anecdote » à la royauté d’Aryon. Tsarra, sans doute, en avait conscience, puisqu’elle la coupa net et qu’elle lui fit part, avec un ton faussement doux et mielleux, qu’elle voulait surtout que rien n’arrive de fâcheux à Fen. Sous-entendu : le garde n’avait pas à toucher à l’aventurier. Et il y avait intérêt. L’espion comptait bien protéger les apparences, mais il n’apprécierait pas du tout qu’on touche à ses compagnons.

Quoi qu’il en soit, Rhis avait eu un regard impénétrable tout au long de cette intervention, alors qu’il dévisageait successivement Tsarra et la milicienne. Un sourire s’étirait bien sur ses lèvres, mais on pouvait facilement deviner que c’était un sourire de politesse. Il pouvait bien comprendre que la venue des Aryonnais suscitât une appréhension et une animosité chez leurs voisins, mais ils ne seraient pas venus et ne se seraient pas pliés à leurs règles s’ils avaient véritablement l’intention de leur faire du mal. Quant au changement de plan… Rhis aurait bien aimé écouter jusqu’au bout le fond de sa pensée, mais cela ne changeait rien au fait qu’il ne fallait pas balancer de telles âneries devant les invités qu’on recevait. Peut-être que la garde recevrait même des reproches en privé.

En tout cas, Tsarra fit signe à Kasha et à l’espion de la suivre, et avant d’embrayer, le beau brun lâcha tout bas un commentaire à l’attention de Fen, que lui-seul put probablement entendre puisque les deux hommes étaient côte à côte.

- Sois prudent.

Puis il suivit Tsarra, qui s’engouffrait dans un escalier en colimaçon. Leur guide était un peu plus silencieuse, loin de sa gaieté habituelle, et pour une fois, le conseiller royal ne chercha pas à relancer la conversation immédiatement. Préférant descendre aux côtés de Kasha, à qui il proposa d’ailleurs son bras si elle en avait envie, il observa le luxe de l’escalier, du bois poncé et verni ainsi que les murs aux pierres blanches finalement taillées. Les Demidicus étaient riches et puissants, cela allait sans dire.

Mais apparemment, l’Empyréenne n’était pas tranquille puisqu’elle sortit de nouveau sa tablette pour donner des instructions… A qui ? L’espion aurait bien aimé le savoir, mais il préféra ne pas encore poser des questions trop indiscrètes là-dessus. Peut-être le découvriraient-ils plus tard. Profitant en tout cas qu’elle soit occupée, le beau brun en profita pour glisser un mot discret à Kasha, assez bas pour que leur guide ne l’entende pas.

- Au fait, pour ton information. Je ne m’intéresse pas du tout à Tsarra tu sais ? Je fais de la politique, comme elle, mais rien de plus.

Il attendit sa réaction éventuelle, puis l’attention de Rhis fut ramenée sur l’ambassadrice qui venait de ranger sa tablette.

- Décidément, certains ont peur pour rien de nos jours.

Tsarra leur avait finalement souri et avait même rouvert la conversation. Rhis décida donc à en faire de même et lui lança simplement un sourire courtois.

- Pour être honnête, je peux comprendre que certains des vôtres voient d’un œil méfiant notre arrivée à Empyrée, fit-il. Je suppose que notre magie doit en effrayer plus d’un et que notre seule présence doit susciter des appréhensions légitimes. Dites-moi, votre famille semble favorable à la magie, mais je suppose que ce n’est pas si courant que ça en Empyrée. Et j’ai entendu que votre cité en avait une certaine peur… A quoi tout cela est dû ? Pourquoi cette crainte de la magie ?

Il aurait bien rajouté qu’elle n’était pas si catastrophique que ça, au contraire, mais c’aurait été parlé avec son cœur d’Aryonnais et il valait mieux s’arrêter là.

En tous les cas, sa question était assez large, ça permettrait sans doute à Tsarra de trier les informations qu’elle voulait bien lui donner sans trop de mal.

Tout en descendant, le regard de la demoiselle se posa sur les détails des murs tandis qu'elle réfléchissait.

"Hm... l'histoire n'a jamais été mon fort mais la création même de la cité est due à l'abus d'un certain... détenteur de magie. Disons que comme toute sorte de pouvoir ou d'ascendant, sans contrôle il perverti forcément le détenteur. Sur ce sujet, un membre de l'illustre famille Ashryn saura bien mieux vous raconter les détails de la création de notre magnifique cité.

Rhis se contenta d’hocher la tête, puis une dernière question se posa dans son esprit.

- Si ce n'est pas indiscret, comment votre famille en est-elle venue à... aimer... ou je dirais plutôt apprécier la magie ? S'il y a un rejet général d'Empyrée à ce sujet, c'est plutôt intriguant que vous ne partagiez pas l'opinion de vos pairs. Mais évidemment, je ne veux pas vous forcer à en parler, continua l'espion, un sourire plus aimable toujours plaqué sur son visage.

Tsarra apprécierait (peut-être) de parler de sa famille, en tout cas si elle appréciait sa lignée, ce qui était généralement le cas chez les nobles. Cette dernière fit manifestement signe que cela ne la dérangeait pas de répondre en secouant la tête, puis prit la parole.

- Alors, sans dire que nous aimons la magie, les Demidicus essayent avant tout de prôner une révision de certains textes qui depuis un peu plus de deux millénaires n'ont pas beaucoup changés. Vous et la magie ne fait que s'inscrire dans cette mouvance, mais nous avons beaucoup de règles ici qu'il serait bon de faire évoluer."

En résumé:

Il fallait être honnête, la perspective de combattre en terre empyréenne ne l’enchantait guère. D’accord, ce serait amical, et d’accord, il n’y avait pas lieu de penser que son adversaire serait mauvais joueur, mais bon… Ca pouvait être un mal comme un bien, lors de rencontres diplomatiques, et si ça avait dépendu de lui, Rhis n’aurait pas proposé une telle idée lors de leurs premiers contacts avec Empyrée.

Mais Kasha était très motivée. Un instant, l’espion royal avait cru qu’elle avait laissé tomber, puisqu’elle interrogea Tsarra sur les règles archaïques de son pays. Distrait par sa réponse – bien intéressante, d’ailleurs, il y avait donc de la discrimination si on était hybride ? –, le beau brun avait estimé que le sujet d’un tournoi amical était clos. Mais il n’aurait pas dû sous-estimer la jeune femme, et encore moins la connivence de la gent féminine. Car oui, Tsarra estima bien sûr que c’était possible, et le conseiller laissa échapper un soupir ennuyé.

Bon, au moins, ça l’avait surpris l'Empyréenne, et ni Kasha ni Rhis ne pouvaient lui en vouloir. Il dut saluer bon gré mal gré sa capacité d’adaptation, car peu de gens auraient pu élaborer un combat amical en pleine promenade avec des invités de marque. Leur guide n’était pas une incapable, loin de là.

Quoi qu’il en soit, l'espion aurait presque trouvé comique que les deux femmes soient devenues d’un coup aussi « complices » pour une affaire aussi triviale. Ullas, au moins, partageait l’ennui de Rhis de devoir se mettre ainsi en avant, et les deux hommes faisaient pour ainsi dire une drôle de paire avec leur mine pas très convaincue.

- Qu’est-ce qu’elles peuvent avoir comme idée parfois… lâcha-t-il tout bas.

Tsarra ne l’entendrait certainement pas, ni Kasha, car la miss était en train de proposer son aide à leur ambassadrice. Ullas, par contre, pouvait capter ses paroles et d’ailleurs, il lui répondit.

-  Ouais et encore, t'as pas vu de quoi elle est capable.
- Ca me fait craindre le pire, répond Rhis avec un sourire en coin pour montrer qu'il n'était pas totalement sérieux, même s'il prit mentalement note de l'information.

Tsarra, de son côté, n’accepta pas que leurs invités lui donnent un coup de main, mais ça ne lui paraissait pas un problème de trouver des armes factices d’ici à ce qu’ils arrivent au lac.

Rhis eut une mine un peu plus intriguée quand Ullas mentionna qu’il avait une clé avec lui. Quelle clé ? Se disant qu’il aurait bientôt sa réponse, il ne l’interrogea pas davantage, mais il contempla d’un air songeur l’enthousiasme soudain profond de de l'Empyréenne.

« Je crains qu’on ne soit devenu leur nouveau divertissement… » songea-t-il en regardant les deux femmes s’éloigner.

Qu’est-ce que serait la tête de Fen en arrivant…

Rhis suivit en tout cas ses compagnons sans mot dire, jusqu’à ce qu’ils arrivent devant un joli lac en croissant de lune. Une terrasse était aménagée avec un ponton de bois un peu plus loin et le conseiller regarda la zone avec une certaine admiration pour le savoir faire empyréen. Il ne comprenait toujours pas comment ils pouvaient arriver à créer des lieux si réalistes alors qu’ils étaient sous-terre.

Mais bientôt, son attention fut attirée par tout autre chose, et l’espion ne put cacher sa surprise quand on leur présenta un golem. Voilà qui était d’un coup… intéressant. Le garde n’avait jamais imaginé qu’il en combattrait un durant son périple, mais il ne comprenait pas exactement ce que venait faire Ullas là-dedans, pour être honnête. Il avait dû l’appeler, ça, c’était clair. En tout cas, il le supposait.

- Vous savez les appeler à distance ? demanda l'espion.
Ou est-ce quelqu’un d’autre qui a indiqué au golem de venir ici ?
-  C'est Dame Demidicus qui l'a convoqué ici plus précisément.
Le conseiller royal hocha la tête tout en réfléchissant tout haut.
-  Par la télécommande, je suppose…
-  Télé...Quoi ? Vous voulez parler de la tablette ? Oui, c'est via ceci.

Le golem était en tout cas costaud. Nullement essoufflé ou fatigué malgré sa course, ce dernier semblait en pleine forme et l’esprit combattif du beau brun cherchait déjà à trouver quelques-unes de ses faiblesses. Il était un peu plus haut que le combattant aryonnais. Ce n’était pas vraiment un problème en soi… La question était plutôt : jusqu’à quel point le golem était fort ? Puis, avait-il une endurance ? S’il était inépuisable, cela pourrait poser problème en cas de conflit potentiel. Aucune chose n’était invincible, mais où étaient les faiblesses de cette… créature ?

Sans bouger, Rhis observa Ullas aller à l’arrière du golem, sortir une espèce de… couteau en bois et se… connecter au golem. Du moins, c’est ce que l’homme d’Aryon supposait. Ou alors Ullas le programmait pour que la créature réalise une série d’actions. Le conseiller ne savait pas trop bien, mais il eut bientôt des réponses. Après que la création en métal ait eu quelques spasmes, qui inquiétèrent Rhis l’espace de quelques secondes, le golem changea littéralement du tout au tout. Il devint… plus humain, oui. Et bientôt, il comprit qu’il semblait lié à Ullas, comme si le golem reproduisait tous les mouvements de celui-ci. C’était… étonnant et l’espion ne chercha pas à dissimuler sa surprise. Mais il saisit le pommeau de l’épée factice avec un sourire sincère lorsque la créature la lui présenta.

Tout pour plaire à ces dames ?

- Je crains qu’on n’ait pas le choix, lança-t-il sur un ton affable, un peu plus intéressé que précédemment, toutefois.

Ce serait une première de pouvoir croiser le fer avec un golem, et ça leur en apprendrait énormément. Il fallait qu’il saisisse cette opportunité pour en apprendre plus sur ces créatures bizarres.

Attendant que le golem se mette en position, Rhis se mit lui aussi en garde et répondit par l’affirmative quand Ullas lui demanda s’il était prêt.

C’est alors que le combat amical commença.


Fut-il curieux de toutes les possibilités que lui offraient un tel combat avec un golem, l’espion royal ne comptait pas se donner à fond.

D’abord parce qu’il était en mission diplomatique. Ensuite, parce que ses amis n’étaient pas en danger. Et enfin, parce que ça restait simplement un tournoi amical.

Il avait donc décidé dès le départ de doser sa force et de ne pas avoir un style trop offensif. Il donnait bien des coups pour que le golem puisse parer, pour qu’il puisse juger sa rapidité et sa vitesse de réaction – Rhis était trop curieux pour simplement encaisser des coups –, mais il n’était pas là pour acculer son adversaire (si c’était seulement possible ?) ni pour gagner à tout prix. Au contraire, il échangeait des passes d'arme, montrait sa maîtrise de l’escrime, mais montrait bien que c’était un duel à l’amiable.

Il n’en restait pas moins que c’était intéressant.
En termes d’endurance d’abord.
Le golem ne semblait pas montrer de signe de fatigue. Ullas non plus. S’il s’était bien « connecté » à la créature, est-ce qu’il la contrôlait de manière télépathique ? Le surveillant avait les bras croisés, il ne bougeait pas. Le golem, lui, était bien en train de combattre et semblait parfaitement à son aise. Est-ce que le contrôle du golem dépendait de l’état physique de son « maître » ? Et si celui-ci était débranché de la créature, est-ce que cette dernière était neutralisée et deviendrait une matière inerte ? Passerait-elle à un mode « automatique » en attendant qu’un Empyréen reprenne le contrôle ? Tant de questions… Et si peu de réponses.

En termes de forces, ensuite.
Le golem n’avait pas une force démentielle, mais Rhis ne pouvait être certain qu’il avait affaire à toute sa puissance. Peut-être qu’Ullas avait diminué volontairement les capacités offensives de sa créature, pour que le conseiller royal ne soit pas catapulté à dix mètres en recevant un coup. Après tout, à leur départ de la Frontière, est-ce que ce n’était pas un golem qui avait tiré leur fiacre ? Ne fallait-il pas être sacrément fort pour tirer une telle charge ? Il était difficile de savoir si les golems avaient des aptitudes différentes en fonction de leurs rôles, mais il ne devait pas fermer cette option.

En termes de dégâts, enfin.  
Ullas était un bon prince, il ne voulait absolument pas le blesser. Mais concrètement, dans un combat réel, il serait beaucoup plus difficile pour Rhis d’avoir l’ascendant dans ce combat. Devant lui, il avait affaire à une armure en métal, pour vulgariser un peu les choses. Il n’y avait ni chair, ni sang, ni organes à atteindre. C’était donc un combat où l’adversaire des golems était en net désavantage. Pour gagner, il fallait certainement atteindre l'arrière de la tête, où il y avait la clé. Ou alors, il fallait atteindre le propriétaire du golem, celui qui le contrôlait tout du moins. Dans tous les cas, Ullas ne semblait pas ressentir ses coups, il ne ressentait donc aucune douleur potentielle face à des attaques ennemies.

Quoi qu'il en soit, une chose était sûre.
Magie ou pas, il n’était pas bon d’avoir ces choses à combattre sur la ligne de front.

Il avait intérêt à faire un long rapport sur ce point à son retour à Aryon. Non seulement à la famille royale mais aussi au gouvernement en place. Peut-être qu’en parler à Furi serait une bonne idée, d’ailleurs…

Mais au-delà des considérations politiques et tactiques, Rhis était bon joueur : lui aussi félicitait Ullas quand il réussissait à l’atteindre ou qu’il se défendait in extremis. Il maitrisait bien le golem… Et devait reconnaître qu’il prenait plaisir à leur affrontement.

Affrontement qui fut brusquement interrompu. Le beau brun ne comprit pas la réaction du golem quand celui-ci saisit son épée pour l’attirer brusquement vers lui. Il avait distraitement entendu qu’on l’interpelait par derrière, mais trop concentré sur le combat, il n’avait pas pris la peine de comprendre qui avait pris la parole. Bientôt, les choses furent claires et quand Rhis se rapprocha d’Ullas, il remarqua enfin la garde qui avait été prise par surprise par le golem. Il ne dissimula pas sa surprise en voyant que c’était une hybride, mais il se reprit rapidement, et soutint le regard accusateur de la milicienne. Probablement avait-elle cru qu’il attaquait Ullas, mais… Même si elle était de bonne foi, c’était un comportement que Tsarra risquait de ne pas laisser passer.

D’ailleurs, la suite lui donna raison. L’Empyréenne fit signe à la garde d’aller plus loin, sans lui adresser un mot, et elle adressa un sourire à ses invités, en leur disant de « profiter » du calme et de la verdure. Nul doute qu’elle allait passer un savon à la garde, et Rhis lui répondit brièvement en lui accordant un sourire aimable, qui se voulait rassurant.

- Je vais bien, Ullas a bien maîtrisé la situation, fit-il, accordant par la même un signe de tête à l’intéressé en guise de remerciement.

Tsarra était en train de s’éloigner avec l’hybride, et Rhis accorda un regard de biais à ses camarades. S’ils voulaient intervenir d’une quelconque manière, pour incriminer ou peut-être sauver la milicienne, c’était maintenant. Lui… il avait surtout intérêt à remercier Ullas, en vrai, et après avoir laissé intervenir ses camarades, surtout Fen, il se rapprocha du surveillant en chef.

- Merci pour le combat, lui fit-il. Comme vous vous en doutez, lui sourit Rhis, c’était la première fois que je combattais un golem et je dois dire que c’était une expérience très intéressante. Son ton était sincère et montrait qu’il ne mentait pas le moins du monde. Je suis un peu perplexe face à votre technologie, poursuivit-il, on ne connait pas vraiment ça à Aryon. On aurait dit que le golem était une extension de vous-mêmes… c’est difficile, de donner des ordres à une telle créature ?

C’était une question assez large, pour permettre à Ullas de répondre comme il le voulait. L’espion se doutait évidemment qu’il ne lui donnerait aucune information sensible, c’était probablement un secret jalousement gardé par sa nation. Mais la tirade de Rhis avait au moins eu pour but de le remercier et de montrer son intérêt pour le combat qu’ils avaient partagé ensemble.

Son interlocuteur sembla un peu fier et lui retourna le compliment. Apparemment, le beau brun n’avait pas été un adversaire facile.

-  Normal, ces golems sont vraiment le bijou de notre nation, on a mis beaucoup de temps avant de maîtriser leur fonctionnement, lui répondit-il.  Ceci dit, Ullas avait l'air un peu surpris quand même. Avec votre magie et tout ce que ça implique vous n'êtes pas capables de faire un équivalent ?
- Nous n'utilisons pas des golems en Aryon. Disons que des enchantements sont possibles grâce à la magie, mais c'est un tout autre domaine que votre technologie.
Ullas avait l'air un peu surpris de voir une limite si rapidement à la magie, que tous les Empyréens semblaient considérer comme quelque chose d'absolu.
-  Vous ne pouvez pas... faire bouger des golems ? Mais on m'a raconté que chez vous, les livres s'écrivent tout seuls, les portes parlent, les brosses coiffent par magie les cheveux... comment est-ce possible ?
- Il y a du vrai et du faux, nous avons bien une scribouilleuse, qui nous permet de prendre note de tout, ainsi que des peignes ensorcelés et d'autres objets magiques, mais tout n'est pas enchanté pour autant. Par exemple, nos portes ne parlent pas, sauf si son propriétaire demande à un enchanteur d'essayer... et le résultat n'est pas toujours garanti. Nous pourrions peut-être animer des golems par la magie, mais plus l'objet est complexe, moins c'est facile, et nous ne devons être prudents pour ne pas avoir des petites catastrophes.

Le garde était honnêtement intéressé et prenait même quelques notes.

-  Hmm oui d'accord je vois... Je n'irai pas en demander plus, je pense que ça sort de mon domaine de compétences !

Rhis sourit alors qu’il se demandait s'il devait parler d'une des expériences de Lin, mais il préféra prudemment renoncer.

- Les enchantements sont complexes, mais si tout cela vous intéresse, vous pouvez toujours vous adresser à nos enchanteurs pour en apprendre plus sur les limites et les possibilités que nous offrent la magie.

Sachant, bien sûr, qu'il ne fallait pas non plus TOUT dire à leurs voisins.

-  C'est marrant je voyais ça plus.... magique, niveau possibilités.
- La magie permet énormément de choses, c'est difficile de bien l'expliquer, fit Rhis d’un ton conciliant.  Vous arriveriez peut-être à mieux la saisir si vous venez un jour en Aryon et que vous voyez notre mode de vie.

Sa conversation avec Ullas étant terminée, le conseiller se tourna vers Kasha, à qui il adressa un sourire plus franc.

- Alors, qu’est-ce que tu en as pensé ? Je veux une réponse sincère, évidemment.

Son combat n’était pas du même acabit que celui qu’il avait partagé avec Vivi : Rhis s’était retenu, Ullas aussi, et le beau brun avait essayé de tirer un maximum d’informations de cet échange amical. Mais il espérait quand même que cela avait plu à la demoiselle. Après tout, c’était pour elle qu’il avait combattu.

L’aventurière lui répondit, et après l’avoir écoutée, Rhis chercha des yeux Fen, pour voir où il était. Il se rapprocha alors légèrement de son compagnon, et profitant que Tsarra soit éventuellement éloignée, il lui adressa la parole.

- Alors, du nouveau ?

Le chasseur le regarda d’un air faussement indigné.

- Du nouveau ? Quoi pendant que vous faite mumuse avec des bouts de ferrailles, moi je devrais bosser ?

Rhis laissa échapper un léger rire avant de répondre, d’un ton un peu taquin..

- Ne pas faire d’incident diplomatique et en apprendre plus sur les golems (même si ce n’était pas prévu au programme), c’est aussi travailler, figure-toi !

Son interlocuteur lui décocha un regard torve avant de se détendre.

- Mouais, Bonnet-blanc ou Blanc-bonnet. Appelle ça comme tu veux. Il réfléchit ensuite avant de poursuivre : J'ai peut-être découvert un truc qui pourrait... Non rien oublie, ce n'est pas une bonne idée en fait.
- Vas-y. Qu’as-tu à perdre à nous en parler ?

Fenrir soupira et s’assura que seul le conseiller royal - et Kasha si elle était proche – puisse l’entendre avant de reprendre la parole.  

- Eh bien, l'écosystème d'Empyrée est légèrement diffèrent du notre. Le fait de vivre sous terre semble avoir une incidence sur la faune et la flore. Même si ce n’est pas facile à définir dans un "jardin", j'ai constaté des différences au niveaux des feuilles et écorces comme j'ai l'habitude d'en manipuler en forêt, il y avait une différence notable si on regarde de près même si de loin, bah on dirait de la verdure standard. J'ai même pu voir une nouvelle... Enfin pour nous pauvre voyageur au pouvoir incertain et potentiellement incontrôlable selon certain... Tu feras ce que tu voudras de cette info aussi, c'est cadeau ! Revenons à nos moutons... Une nouvelle espèce de créature. Tiens regarde mon croquis, des sortes d'oiseaux dans une caverne... ce n’est pas commun du tout de mon point de vue.

Il sortit son carnet et lui montre le croquis qu'il avait fait tantôt. Attendant un signal de Rhis pour reprendre.

Animal dessiné dans le carnet de Fen:

Rhis regarda le croquis avec intérêt.

- Ca a l’air d’être une belle bête. Si la faune et la flore sont différents… il faut le prendre en compte. Je ne suis pas sûr que transporter des animaux d’Aryon à Empyrée, et inversement, ne soit une très bonne idée, d’une part parce qu’ils vivent dans un environnement différent, d’autre part parce que la santé des bêtes pourraient être impactées par le voyage. Mais on pourrait s’échanger des herbiers, peut-être pour paliers à des carences réciproques en herbes médicinales ou autres. S’échanger des bestiaires pourrait aussi être intéressant… Qu’est-ce que tu en penses ?

Fen grogna, peut-être parce qu’il s’était fait piquer son idée.

- Précisément ce que j'ai songé. Si l'écosystème est différent, on devrait logiquement trouver des plantes ayant des propriétés différentes que celle d'Aryon. Ca pourrait te servir d'un point de vue diplomatique parce que si ça marche dans un sens, ça marche forcement dans l'autre. Pour l'herbier j'y ai songé aussi, Tsarra devrait peut-être en avoir un ou deux pour peu qu'elle ait une bibliothèque. Vu la taille de son domaine, elle doit forcément avoir un apothicaire ou quelque chose se rapprochant d'un médecin sur place qui pourrait nous en dire plus. Il observa le domaine et dit d'un ton plus sérieux : - Oh et non, introduire une nouvelle espèce en Empyrée serait la pire des choses à faire... Si vous décidez de mettre en place des échanges, songe à faire interdire d'office les créatures. Faire rentrer un animal dans un écosystème qui n'est pas le sien. Ça aurait des conséquences plus que dramatiques car on aurait le risque qu'il n'ait pas de prédateur potentiel et que la bêbête puisse littéralement pulluler. Ce qui aurait un impact plutôt nocif. Idem pour un prédateur. Dans les deux cas, ça pourrait engendrer la disparition de certaines espèces, de ressource est j'en passe. Là encore, d'un côté comme de l'autre.

Rhis écouta jusqu’au bout l’aventurier, et finit par hocher la tête.

-  Hum. Il va falloir lui demander si elle a un herbier quand elle en aura fini avec la garde. Je doute qu’on puisse reprendre un exemplaire avec nous si elle en possède ici, mais se renseigner sur les grandes plantes d’Empyrée serait bénéfique pour qu’on en parle déjà dans notre rapport, à notre retour. Je pense pouvoir déjà lui suggérer un échange possible avec la flore de notre peuple… Mais si tu veux t’en occuper, vas-y,  sourit-il. Puis, il prit un air plus sérieux quand le chasseur lui parla de la faune et des prédateurs. Merci de l’avertissement, j’en ferai part au gouvernement si cette possibilité est évoquée en haut lieu.

Une expression un peu plus amusée apparut sur son visage quand Fen lui fit part qu’il ne voulait pas piquer son boulot en parlant de l’herbier à Tsarra.

- Mais je veux bien jeter un œil dans un herbier pour des raisons plus personnels.
- Si Tsarra nous donne accès à un tel carnet ou à sa bibliothèque, je vous laisserai tous les deux le regarder, évidemment, fit le conseiller royal. Mais je vais attendre qu’elle en ait terminé avec la garde.[/color]