L’élevage et le dressage d’animaux représentent des inconnus pour Cassandra qui n’a pas grandi pendant son enfance en compagnie de familiers. Elle avait des camarades de son âge qui s’amusaient en famille dès les premières années de leur vie avec un mantabu ou un dracoloutre sur le sable chaud des plages des îles. À chaque fois qu’elles les recroisaient, leurs amis d’une autre espèce se développaient, leurs mandibules s’élargissaient sur le bord de mer ou leurs écailles se multipliaient sur leur peau d’amphibien reptile. Le lien d’affection qui peut se tisser entre deux races différentes est quelque chose de rare à observer et à vivre. Pendant le trajet qui les menait à leurs foyers respectifs, la description de la lieutenante Alnilnam de sa rencontre pendant une mission avec son familier monture, a constitué une découverte et un nouvel objectif à atteindre.
Cassandra ne peut certifier qu’un lien va s’établir selon son bon vouloir avec le familier de son choix car ce type de relation doit être mutuelle, l’autre doit la choisir elle aussi. Nous ne sommes pas dans un règne animal où seul celui qui commande obtiendra la confiance de n’importe quel familier qui sortira de sa coquille pour s’ouvrir au monde. Elle ne pourra pas imposer sa présence à un familier parce qu’elle l’oblige ou l’ordonne comme dans le travail ou lorsqu’elle commande son repas à la taverne. Il faut qu’elle apporte les arguments et l’ouverture nécessaire à cette rencontre bienveillante pour que quelque chose d’électrique se passe et que cela devienne naturel de vivre côte à côte avec le nouveau-né dans la suite de ses aventures. Dans son habitation, elle a commencé à penser l’agencement d’un espace pour le sommeil et les soins de son étrange compagnon qui va s’immiscer soudainement dans ses habitudes. Il ne faut pas dévaloriser la confiance qui est recherchée tant chez le maître que chez l’obligé. Ce dernier peut s’enfuir et celui sans âme demeurera à fouiller en vain dans les forêts ou les montagnes pour le retrouver car il aura meilleur nid pour l’accueillir.
Cassandra travaille beaucoup, et elle est plus souvent au Palais que dans ses appartements. Dans le carrosse, elle a installé un petit lit berceur pour laisser le familier se reposer pendant les trajets entre le domicile et son cabinet de ministre. Au sein de son bureau, une belle fourrure de qualité près de sa bibliothèque permettra à son ami de patienter dans la douceur et la chaleur pendant qu’elle s’affaire sur des dossiers avec ses conseillers et ses assistants politiques. Sa stagiaire Nuii risque d’être surprise en la voyant arriver le prochain matin avec cet être à peine sorti du nid, des morceaux de coquille d’œuf reposant toujours sur le museau et les oreilles poilues.
Avec tant de rêves et d’espoir, on ne peut que provoquer le destin, non ? Elle est sortie de la Capitale pour se rendre spécialement dans une boutique de familier de la grande forêt d’Aryon. Elle espère que lors de sa visite de la boutique située au milieu de la nature pour garantir un lieu d’élevage parfait pour les divers familiers de la région, elle trouvera un bonheur partagé car elle souhaite bien s’occuper de son protégé. Certainement, en grandissant, l’animal pourra se détacher d’elle et elle le laissera s’approcher des autres humains, s’il ne reste pas trop éloigné d’elle.
La clochette sonne à son entrée dans le commerce. Il y a différents espaces naturels reconstitués selon les besoins des espèces au bord de l’éclosion. Il y a une partie plus ombragée, pour créer la sensation de frais, d’air et d’ombre protectrice d’une forêt. Une autre partie est plus ouverte à la lumière du soleil extérieur et les œufs dorment sans bouger dans de la paille. Un des nids de cette partie de la boutique, plus en hauteur, contient plusieurs embryons plus grands que la moyenne. Cassandra est attirée par la couleur jaune sage et brillante de ces œufs. Est-ce que parmi ces anges, un seul va voir sa coquille se craqueler à son approche ? Ils ne peuvent découvrir la lumière du jour sans qu’un nom leur soit adressé. Sa main posée sur le bord du nid, sans toucher les œufs, elle sent qu’un être vibre et fait trembler le reposoir. Ce n’est pas son imagination, l’un d’eux semble réagir à la vibration de sa main humaine qui ne le presse pas de sortir et propose son aide.
Elle n’a pas besoin d’y réfléchir, le prénom lui vient en tête quand elle se connecte pendant une fraction de seconde à son appel de vouloir naître en ce monde à ce moment précis. Le vendeur n’intervient pas, il a l’habitude de laisser faire les rencontres entre familiers et acheteurs. C’est comme la baguette magique dans Harry Potter, qui choisit vraiment, l’objet magique ou le magicien ?
- Flore, je suis là, souffle Cassandra pour ses premiers mots et pour l’accompagner dans son éveil matinal tardif.
- Félicitations, vous voilà détentrice d’un Solnar, un familier cousin de la race des renards, ils ont un pelage chatoyant. Celle-ci, c’est une femelle, elle a l’air particulièrement pressée de vous rejoindre, elle aura un tempérament aventurier. Elle aura besoin de calme et de sécurité pour grandir. Je ne m’inquiète pas, vous saurez la mettre en confiance, Dame Heydell.
Flore ne s’enfuie pas quand Cassandra projette les miettes de coquille autour. C’est déjà un bon présage. Elle semble sentir son odeur, se recroquevillant après, timorée. En la sortant du nid, elle remarque que son pelage est composé d’un dégradé de couleur allant du jaune au oranger. Elle s’accroupit face à elle et tend son bras pour voir si elle souhaite grimper dessus et s’y agripper pour le reste du voyage. Son museau pousse sa main, elle préfère rester sur place. Ça commence bien.
- Elle est en train de tester votre lien, si vous ne l’abandonnerez pas ? Regardez, elle commence à émettre un peu de chaleur, elle vous recherche j’en suis sûr, elle a juste un peu peur. Ce familier me paraît en bonne santé, voulez-vous passer au règlement ?
Cassandra dans sa bulle de joie, acquiesce à cette demande et règle la somme de 200 cristaux. En se retournant, elle regarde une dernière fois le nid des Solnar dans lequel d’autres œufs se reposent, s’étant séparés de sa chère Flore.