Après une réunion sous une pluie battante et une attaque d’immenses grêlons, les deux femmes jugèrent appropriées de poursuivre leurs retrouvailles dans un lieu plus chaleureux. Les sources chaudes semblèrent alors tout indiquées. D’ailleurs, la grande chasseresse n’y avait jamais mis les pieds, n’y avait jamais trempé ne serais-ce que le petit orteil; il y avait énormément de choses qu’elle n’avait pas faites, d’endroit où elle n’était pas allée, de sensations qui lui étaient encore inconnues. Et ainsi donc, elle prit la main de sa compagne dans la sienne et ensemble elles prirent le chemin des sources chaudes, s'arrêtant en chemin pour acheter des vêtements appropriés à leur destination. Puis, elles gardèrent le silence jusqu’à leur destination. Là, elles seront tranquilles pour discuter. Là, elles auront tout le loisir de se contempler.

Au vestiaire du complexe thermal, Evelyn enfila un bikini préalablement acheté. Elle laissa sa dague de côté et armée d’une serviette prit la direction des bassins extérieurs, aux côtés de sa compagne. Rapidement, la grande archère en repéra un plus isolé des autres. Elle y conduisit Sofia, laissa sa serviette sur le rebord et entra dans le bassin. Ce fut un véritable bonheur; pas aussi grand que celui d’avoir retrouvé sa compagne, mais un bonheur tout de même. Elle soupira d’aise, enveloppée par la chaleur des eaux. Les lieux étaient paisibles, ce qui lui plut immédiatement.

Ses lèvres s’étirèrent en un sourire; être en présence de l’aventurière inondait son cœur de soleil. Parlant de soleil, ce dernier brillait au-dessus de leur tête. Mais pouvait-on s’y fier? La météo était changeante sur Aryon. Sa main glissa sur la peau de sa compagne, effleurant l’emplacement de son tatouage, et elle dit à ce sujet : «Nótt et Svartur? Ton tatouage est différent d’autrefois. Je l’aime bien.» Ses doigts cessèrent leur douce caresse et Evelyn s’éloigna pour s’asseoir. Là où elle était, l’eau lui arrivait un peu en haut du buste. C’est d’un air un peu plus sérieux qu’elle dit, sans préambule : «Il y a trois semaines, il y a eu une altercation. On m’a cru morte ou mourante, alors on m’a jeté aux ordures.» Voilà donc comment Evelyn expliqua sommairement sa présence à la Forteresse et sa liberté fraîchement retrouvée. «C’est une bonne chose que je sois difficile à tuer», ajouta-t-elle avec un léger sourire et un clin d’œil.

Aslander. Le Thône d’Amphitrite. Employeur ou ancien employeur, Evelyn ignorait si elle avait conservé son poste au sein de la compagnie après ce qu’on pourrait qualifier d’«absence imprévue». Il était furieux, lui apprit Sofia. Furieux, oui, car Sofia ne l’avait pas prévenu, car Sofia n’avait pas cherché à obtenir son aide. Trop fière, assurément. Mais Evelyn ne pouvait pas lui en vouloir, car elle admettait intérieurement qu’aller chercher l’aide d’Aslander n’aurait pas été son premier réflexe. Furieux… Elle n’aurait pas pensé cela. Cependant, il était vrai qu’en s’en prenant à elles, les brigands s’en étaient également pris au Trône.

Evelyn contemplait également l’eau. «Bien sûr», répondit-elle doucement, lorsque Sofia suggéra de continuer à travailler pour le Trône. Evelyn n’avait aucune raison de dire non. «Je veux retrouver la vie qu’on avait avant tout ça. …Certaines choses sont perdues à jamais», elle pensa entre autre à son familier renard, Snorev, lequel avait été tué par les brigands. Cette boule de poils affectueuse lui manquait. Elle se perdit un instant dans ses sombres pensées, avant d’en émerger pour continuer : «…Mais nous pouvons reconstruire le reste.» Sous l’eau, elle prit la main de Sofia dans la sienne et la serra. Elles s’étaient retrouvées; elles étaient vivantes toutes les deux, indemne… et c’était un miracle en soi. Pour la première fois depuis un long moment, Evelyn se sentait bien.

Elles restèrent ainsi un moment, la tête de Sofia sur l’épaule d’Evelyn. Puis, l’archère s’excusa auprès de sa compagne, se détacha doucement, alla au centre du bassin et s’immergea entièrement dans l’eau, retenant son souffle un instant. Et elle laissa les eaux thermales la purifier des mois de captivité et de maltraitance.

Elle remonta à la surface. D'un mouvement de la main, elle ramena ses longs cheveux vers l’arrière pour dégager son visage. Dans l’un des bassins adjacents, elle entendit des voix mais n’y porta aucune attention. «Alors dis-moi…», fit-elle en se rapprochant à nouveau de sa compagne «Quels sont tes futurs projets?». La chasseuse la regardait avec intensité; elle avait quelques projets en tête, à court et moyen terme, et l’un de ses projets concernait la chambre qu’elle louait dans une auberge du coin.

Les mains de Sofia se baladèrent sur le corps de la chasseuse, laquelle se mordilla doucement la lèvre inférieure. Voilà longtemps que les deux femmes n’avaient pas été ainsi réunit. Visiter les appartements d’Evelyn… Dans un futur très rapproché… Dans un futur imminent. Visiter, ouais. Evelyn pourra alors lui montrer la chambre qui l’avait hébergé ses trois dernières semaines. Elle pourra lui présenter le propriétaire des lieux. Lui montrer les murs quelconques. Lui indiquer où elle rangeait ses choses. …Mais surtout, lui montrer le lit. À quel point ce lit était confortable et idéal pour des siestes.

Un léger sourire satisfait étira momentanément les lèvres de la chasseuse, lorsqu’elle vit le visage de sa compagne virer au rouge. Puis, Sofia confia ses autres projets, pour plus tard. Aventure, cristaux, ce genre de chose. "Et... Aussi pour acheter de quoi célébrer notre  mariage.... ? 'Fin... Si c'est toujours d'actualité..." Sofia semblait craindre qu’Evelyn lui dise que, pendant sa longue et pénible captivité, elle avait changé d’avis; qu’un mariage n’était plus ce qu’elle souhaitait, qu’elle n’en avait plus envie. Comme si c’était possible. Comme si de vulgaires brigands pouvaient briser sa volonté. Tendrement, elle lui répondit : «J’ai dit oui par le passé. Si tu me le redemandais, je te dirais également oui. D’ailleurs…» L’une de ses mains vint toucher le visage de Sofia et remonta délicatement pour replacer une mèche. «Quand on aura de nouvelles boussoles, tu pourras me reposer la question. Il me fera plaisir d’y répondre.»

Elle se rapprocha davantage, pour lui subtiliser un long baiser langoureux. Puis, sagement, elle se rassit à ses côtés. «Tu es retourné à la maison? Le Village et la forêt me manquent… Le Nord n’est pas aussi accueillant et chaleureux!» Le Village Perché, la Grande Forêt, leur maison… juste d’y penser, Evelyn se sentait nostalgique. «J’attends de récupérer mon pass d’accès aux portails de téléportation», fit-elle, interrogeant ensuite Sofia du regard, pour savoir si elle avait récupéré le sien. Par la suite, Evelyn comptait bien rentrer à la maison, main dans la main avec sa compagne.

Le long baiser donna à Evelyn un aperçu de ce qui l’attendait dans l’auberge, dans cette banale chambre qu’elle louait à un gentil propriétaire. La chasseuse laissa les battements de son cœur se calmer, à la suite de cet échange qui avait fait bouillir son sang… déjà qu’il faisait chaud dans l’eau des sources thermales. S’assoyant aux côtés de sa magnifique compagne, Evelyn mentionna d’abord la maison et la forêt. Il lui tardait de retrouver le Village Perché et leur résidence. Sofia lui répondit qu’elle n’était pas retournée au Village. Elle aurait pu, entre deux quêtes, mais Evelyn partageait le point de vue de sa compagne; une maison était là où l’être aimé se trouvait.

Evelyn mentionna ensuite le pass d’accès qu’elle attendait de récupérer. Sofia l'informa qu'elle avait déjà le sien. "Quand tu l'auras, on pourra rentrer à la maison." Evelyn sourit et affirma : «L’impatience me gagne». Sur bien des tableaux, oui, l’impatience gagnait l’archère.  Et elle laissa d’ailleurs ses pensées s’égarées. Imaginer que bientôt elles seraient à la maison. Que les choses redeviendraient comme avant. Qu’elles allaient pouvoir de nouveau planifier l’avenir. Retrouver, oui, une vie normale. Reconstruire ce qui pouvait l’être.

Empyrée, ouais Evelyn en avait entendu parler. Cette nouvelle l’avait surprise. Elle avait disparu plusieurs mois et, à son retour, une nouvelle nation avait été découverte. La découverte d’une vie. Alors oui, cela intéressait autant Sofia que la chasseuse. Faisant d’une pierre deux coups, Sofia prévoyait jumeler la découverte d’Empyrée à une réunion avec Aslander. «C'est d'accord, l’idée me plait», confirma-t-elle sans s’étendre sur la question. Dans l’immédiat, Aslander et Empyrée n’étaient pas une priorité pour Evelyn.

Elle déposa un baiser sur l’épaule de Sofia, puis y posa la tête et ferma les yeux. Elle poussa un soupire d’aise. Elle n’avait pas les mots pour exprimer à sa compagne combien elle lui avait manqué, pour lui exprimer à quel point elle avait craint ne jamais la revoir, à quel point elle était heureuse en cet instant. Elle n’avait pas les mots, mais ses gestes devaient parler pour elle. Et puis, elle souffla doucement, pour ne pas perturber le calme ambiant : «Je t’aime.» Trois mots remplis d’amour, prononcés avec passion. Voilà longtemps qu’elle n’avait pas prononcé ses mots; elle avait l’impression que cela faisait une éternité.

Une vague de bonheur l’envahit aux mots que prononça sa douce moitié. De belles déclarations. Evelyn qui aimait Sofia; Sofia qui aimait Evelyn. C’était beau, tout cet amour qui pouvait enfin s’exprimer; tout cet amour qu’elles allaient pouvoir consommer. Cet instant était précieux. Les mots échangés l’étaient également. Elles auraient très bien pu ne jamais vivre ce moment. Elles auraient très bien pu ne jamais échanger ses mots d’amour. La vie aurait pu les séparer à jamais; ou la mort. Y penser… Penser que la mort aurait pu emporter Sofia, comme la mort avait emporté son défunt époux… Non, il ne fallait pas y penser. Seul le présent importait. Le présent qu’il fallait chérir. Ce moment et tous les autres moments qu’elles allaient désormais pouvoir partager.

Les massages aussi, qu’elles allaient pouvoir partager. Comme celui que lui proposa l’aventurière. Contente de cette initiative, Evelyn pivota pour montrer son dos à Sofia. Elle ferma les yeux, profitant du petit massage, s’imprégnant de la quiétude des lieux. Certes, Sofia était davantage douée pour distribuer des baffes que faire des massages. Certes, ce massage manquait d’huile. Certes, certes… Mais dans le massage de Sofia, Evelyn ressentait l’amour. Et même si le massage aurait pu être mieux exécuté, Evelyn sentait, savait, que Sofia s’appliquait. Et d’ailleurs, le dos d’Evelyn en était plutôt content. Et d’ailleurs, cela donnait envie à Evelyn de s’isoler dans une pièce du complexe thermale avec Sofia.

"Et toi sinon, des projets ? A part récupérer ton pass."

Les mots de l’aventurière brisèrent le silence. L'archère prit un instant pour y penser. Son seul projet avait été de retrouver Sofia. C’était fait. Maintenant, elle devait construire de nouveaux projets. À court terme, elle savait ce qu’elle souhaitait. À très très très court terme aussi. À plus long terme, cela restait à déterminer.

«Je ne mentionnerai pas ce qui est évident...», fit-elle, faisant, au ton de sa voix, manifestement référence à une certaine chambre. «Me balader dans la forêt, aller à la chasse… peut-être même avec toi? Enlever la poussière accumulée sur les meubles de notre maison… avec ton aide!», termina-t-elle en riant doucement. «Profiter de ta présence. Te préparer un bon repas.», fit-elle d’une douce voix, tombant dans le sentimentalisme. Elle fit une courte pause. «P’t’être aller à la plage.» Une envie de s’éloigner du Nord quelques temps. «Comme toi, sinon. Gagner des cristaux. Les dépenser. Ainsi de suite.»

Elle tourna la tête pour regarder Sofia par-dessus son épaule. «Toi ton massage, tu le veux maintenant ou plus tard?», demanda-t-elle d’un air peu innocent.