Tous étaient loin de se douter quelle tournure allait prendre cette soirée si particulière.
Dans un calme religieux, plusieurs silhouettes se réunissaient en se dissimulant avec adresse dans les ombres d'immenses bâtisses. Leurs visages masqués par de fines écharpes ou bien des masques de cuir, ils se saluaient en silence par des gestes furtifs. Une énième forme se dessina dans les ténèbres puis, là où devaient se trouver les yeux du mystérieux personnage, une lueur bleutée apparut subitement. Parmi ces cinq fantômes, certains s'inclinèrent et d'autres se contentèrent d'un modeste hochement de tête. Maintenant qu'ils étaient au grand complet, le spectacle allait pouvoir commencer.
- D'accord... Mais cet endroit me fait un peu peur.
- Ça ira ma puce, je suis avec toi.
Est ce que ça ira ?
Je jette un dernier regard derrière moi, regardant les traces des sabots laissées par ma monture qui nous a conduit jusqu'ici. Sommes nous assez loin ? Est ce que ce sera suffisant ? Et Arthorias qui est introuvable depuis trop de temps...
Cela fait plus d'une semaine que j'ai une sensation bizarre à la capitale. L'impression qu'on m'observe, qu'on épit mes gestes, qu'on me traque. Moi ou elle, je ne sais pas et ça ne me plait pas. Pas du tout.
La décision de vivre avec Kahlua malgré tous les risques que ça impliquait, je l'ai prise avec le Capitaine de la Garde Royale. Malheureusement, peu après il est parti en mission et n'est jamais revenu. A-t-il fuit ? S'est-il fait ensorceler ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est qu'ensemble nous avions parlé à mes parents du fait qu'il se proposait d'adopter Kahlua dès que nous serions marié. Et même si mes parents adoptifs n'ont clairement pas apprécié la nouvelle, la force d'autorité du capitaine a fini par les faire flancher.
Mais maintenant qu'il n'est plus là, et que je ne sais absolument pas ce qui lui est arrivé, je doute. L'intimidation a-t-elle été suffisante ? Mes parents auraient-ils repris le dessus ? L'aurait-il... tué ? Cette idée m'a souvent traversée l'esprit ces temps ci, et mes larmes ont longuement coulé une fois que Kahlua s'endormait le soir.
Alors... Depuis que j'ai cette horrible sensation, rien ne va plus pour moi. Au point que j'ai décidé de fuir. Fuir enfin cette putain de capitale avec la seule chose qui compte à mes yeux. Et ce, malgré le risque que cela représente... Après tous, mes parents peuvent me torturer à distance sans que je ne sache comment.
Et plus je m'éloigne de la capitale sans ressentir la moindre douleur, plus je me dis qu'Arthorias à certainement réussi à me délivrer de leur emprise... Et s'il n'est pas revenu, c'est qu'il l'aura surement payé de sa vie.
Mais même si j'aurai envie de m'effondrer de tristesse, je ne le peux pas : je dois avant tout m'occuper de Kahlua et m'assurer qu'il ne lui arrive rien. Le reste, on verra plus tard...
La planque du monstrueux mercenaire était toute aussi sinistre que ce que sa réputation laissait présager. Cette bicoque sans vie, dénuée de toute fourniture, n'abritait en son sein que des crapules en tout genre et c'était avec la boule au ventre que les gardes du corps de la noble dame l'avaient accompagnée jusqu'à ce point de rendez-vous qui avait tout du traquenard. Ils étaient arrivés à la tombée de la nuit et avaient curieusement été traités avec égard et respect, chose qui les surprenaient au plus haut point. Le maitre des lieux, attablé au beau milieu de ce qui avait dû faire office de salon, les y attendait en les jaugeant de son regard perfide. Camouflé sous d'imposants tissus, il dissimulait son visage émacié rongé par les vers sous un curieux masque doré.
"Madame Lys, nous vous attendions."
Peu à son aise, l'intéressée salua son vis-à-vis d'un hochement de tête et prit place lorsqu'elle y fut invitée. Les gardes restèrent à ses flancs mais se doutaient bien qu'en vue du nombre de brigands présents sur les lieux, ils avaient tout intérêt à ne pas faire de vagues en cas de conflit sur les termes de la visite. Alors qu'une tension s'installait peu à peu dans la maison en ruine, l'assassin reprit:
"Vous veniez discuter, non ? Faites-moi part de ce qui vous tracasse, je vous en prie."
Un silence lourd s'installa brièvement mais, face à l'empressement évident du maître de l'Ossuaire, Adrienne Lys finit par acquiescer avant de confirmer brusquement les raisons de sa présence. Sa nervosité était si intense que Khepra la ressentait déjà.
"Lunarya Lys, ma nièce. Son mariage doit avoir lieu d'ici quelques semaines, il faut qu'elle disparaisse avant."
Les lèvres de la noble étaient pincées et son ton, presque agressif. Malgré sa profonde malveillance, elle semblait éprouver quelques difficultés à révéler ainsi qu'elle souhaitait se débarrasser d'un membre de sa propre famille. Enjoué, son interlocuteur reprit :
"Qu'elle disparaisse, vous dites ? De manière... définitive, je suppose ?"
Incapable d'apporter une confirmation verbale, Adrienne se contenta d'opiner du chef en guise de réponse. Cette hésitation fit sourire davantage le monstre qui, étrangement, se montrait toujours aussi affable malgré la dureté de ses propos.
"Très bien. Nous vous demanderons des informations complémentaires concernant notre cible, puis nous nous mettrons en chasse aussitôt. Autre chose ?"
"Oui. Il y a quelqu'un d'autre."
Quelqu'un ? Le retournement de situation fit hausser un sourcil à la créature éternelle. Il n'avait jamais été question d'une seconde cible, cependant Khepra n'y voyait pas d'inconvénient. Plus de proies signifiait également une récompense plus juteuse, et le premier paiement négocié pour Lunarya allait justement s'avérer tout à fait adéquat. Alors qu'il s'apprêtait à demander des détails concernant cette soudaine demande, il fut pris de court par Adrienne, qui vint compléter sa demande avec une fermeté presque abjecte :
"C'est une enfant bâtarde qu'elle a mis au monde en secret. Nous venons tout juste de découvrir son existence. Elle se trouve actuellement avec sa mère alors occupez-vous d'elle."
La joie évidente du criminel disparut. Sous son masque d'or, ses traits tirés s'affaissèrent lentement alors qu'il se reculait sur le dossier de sa chaise, comme pour s'éloigner de cette cliente pour laquelle il éprouvait désormais un certain dégout. Il tâcha toutefois de se montrer professionnel et enchaîna donc :
"Entendu, nous nous occuperons d'elle."
- Oui, encore.
- C'est... C'est parce qu'il n'est pas revenu, c'est ça ? Arthorias...
C'est difficile de rester forte face à cette jeune fille qui me regarde avec tant d'amour dans les yeux, mais aussi tant de compréhension. Après tout, elle aussi à vécu la souffrance que je ressens, enfin au moins en partie...
- D'une certaine façon oui. Mais ça va aller. On va s'en sortir, même si c'est que toutes les deux.
Cette fois je craque et c'est elle qui vient me serrer dans ses bras sous l'œil de mon mist que personne d'autre que moi ne voit.
- Oh Ma', pardon, c'est de ma faute ! Tout est de ma faute ! Tu m'avais dit que c'était dangereux qu'on se voit et... et...
Immédiatement, je m'accroupie pour être à sa hauteur.
- Hé, non. Non, Kahlua, ce n'est pas de ta faute et ça ne le sera jamais, d'accord ? Si quelqu'un est fautif, c'est moi et uniquement moi. Je n'aurai jamais du lui demandé de l'aide, je n'aurai jamais du fuir avec lui, tombée amoureuse de lui... Mais toi, toi tu n'y es pour rien, d'accord ? Tu es ce qui importe le plus à mes yeux, d'accord ? T'avoir avec moi, c'était notre décision, à lui comme à moi, mais toi, tu n'es pas responsable, tu m'entends ? Tu n'es pas responsable de tout ça.
J'ai simplement cru que grâce à Arthorias, ma vie pourrait enfin changer, s'améliorer. Et en un sens, j'avais raison de le croire. Il a respecté sa promesse : il semblerait bien que je sois enfin libre de partir avec ma fille sans avoir à me tordre de douleur, c'est bien un signe non ?
A telle point que mes parents ont été obligé d'envoyer des assassins à nos trousses pour m'avoir.
Mais je ne les laisserai pas faire.
Résolu à accomplir sa mission malgré les terribles conditions de cette tâche ingrate qu'était la sienne, le monstre s'approcha lentement de la demeure discrète dans laquelle leur cible avait trouvé refuge. A une heure si tardive, l'enfant devait probablement dormir sous la protection de sa mère qui, peut être, se savait traquée. De sa cape immense, Khepra vint extraire ses deux crochets foreurs puis entama d'escalader la structure avec une aisance surnaturelle.
Arrivé à mi-hauteur du bâtiment, il cessa momentanément son ascension et abandonna ses ustensiles certes très utiles, mais néanmoins bruyants, afin de se rapprocher latéralement d'un point qui attirait son attention. Cela fait, il se pencha légèrement sur le côté afin de jeter un coup d'œil à travers l'une des fenêtres poussiéreuses. Eclairée par la faible lumière d'une bougie se trouvait la femme qui faisait l'objet de sa mission, à savoir Lunarya Lys en personne. Une fois la présence de la cible confirmée, il se raccrocha à son piolet et conclut son escalade dans le plus grand des silences.
Arrivé au sommet, Khepra attacha solidement une corde à l'une des cheminées et fit signe aux autres meurtriers professionnels de le rejoindre. Les hommes et les femmes encapuchonnés saisirent la corde et, avec cette même adresse surprenante, ils eurent tôt fait de se retrouver tout en haut de leur perchoir.
Si Khepra n'en connaissait qu'une poignée, il se savait bien entouré. Leur cible faisait partie de la Garde Royale, d'où le sérieux avec lequel l'assassin avait traité la demande formulée. La somme qu'on lui avait remis pour venir à bout de cette besogne était si importante qu'il n'avait eu aucun mal à s'offrir le luxe de quelques mercenaires supplémentaires afin de s'assurer une victoire absolue et totale. L'éternel passa une dernière fois en revue ses effectifs puis, dans un ultime signal avant le lever de rideau, il prit la parole de sa voix horrifiante :
"Mes chers compagnons, je ne vous ennuierai pas avec un discours. Je veux que ce soit bref, brutal et surtout efficace. On entre, on règle le problème, on fout le feu puis on met les voiles chacun de son côté. Comme convenu, vos paiements seront entreposés là où vous les avez demandés. Ne vous souciez pas du bruit, mais tâchez d'agir vite. C'est clair ?"
Les silhouettes masquées opinèrent du chef avant de s'atteler aux tout derniers préparatifs. Avec calme et méthode, chacun prépara son attirail meurtrier. Une femme se munissait d'une arbalète colossale qui semblait avoir été taillée pour transpercer la cuirasse d'un Genbu, un homme comptait et recomptait ses couteaux de lancer et un troisième, costaud comme un ogre, vérifiait l'intégrité d'une hache ornées de crans acérés. Khepra les observait du coin de l'œil tout en s'équipant de sa propre arme secrète, à savoir le fameux scarabée doré qui faisait sa renommée en matière de combat. D'une main décharnée, il abaissa son écharpe et enfonça l'artefact magique dans sa chair, activant aussitôt la magie obscure de son outil dans une série de cliquetis mécaniques.
"Un dernier point: ne touchez pas à la petite."
De son masque doré, une épaisse brume bleue s'échappa alors tandis que ses yeux s'illuminaient avec vivacité. Chacune de ses articulations craquèrent tandis que sa silhouette macabre se distordait dans des postures extravagantes, le tout sous les regards furtifs de ses compères. Ils étaient fin prêts.
Heureusement, avec moi, j'ai Haku, mon mist et meilleur partenaire d'insomnie, d'autant plus que depuis que j'ai l'anneau de pensée, je peux lui parler sans plus avoir besoin de prononcer le moindre mot qui pourrait réveiller Kahlua qui dort paisiblement dans la pièce d'à côté.
L'eau fait tout juste chanter la bouilloire sur le feu quand un bruit presque inaudible parvient à mes oreilles, brisant la conversation que j'avais avec mon mist.
Et sous le sifflement de la théière, le bruit du verre se brisant me fait me lever d'un bond, tandis que je dégaine mon arme tandis que la rage et le désespoir s'empare de mon âme.
Cette fois ça y est, nous sommes enfin arrivé à ce moment que j'ai tant de fois imaginé, tant de fois cauchemardés. Un instant, je regarde mon mist comme pour m'assurer que ce n'en est pas encore un de cauchemars... Mais non, cette fois c'est bien réelle.
Les Lys nous ont retrouvées, et ils feront tout pour m'arracher ma fille.
Plutôt mourir que de la leur laisser.
Se manifestant en tout dernier, Khepra glissa telle une terrifiante araignée depuis le rebord d'une fenêtre détruite. Après une pirouette monstrueuse, il laissa son corps reprendre une forme plus ou moins humanoïde dans un abject concerts d'os et de chair froissée. Lunarya se trouvait devant lui, en garde. Il la dévisagea de ses prunelles luminescentes et décela dans les yeux de cette dernière une myriade d'émotions toutes plus vives les unes que les autres. De la colère, de l'incompréhension, mais surtout une peur évidente. La militaire fit quelques pas sur le côté, venant se placer en égide devant une porte fermée puis, entre ses dents, elle vociféra :
"Vous ne toucherez pas à ma fille."
Le maître de la macabre excursion soutint un moment le regard de la femme qui lui faisait face avec toute la hargne d'une lionne acculée. Elle n'avait pas peur pour sa propre vie, mais bel et bien pour celle de l'innocente âme qui se cachait derrière cette simple porte de bois. Sans mot dire, le mort-vivant claqua des doigts, un carreau fusa alors immédiatement en direction de Lunarya, qui l'esquiva d'un geste habile sur le côté. Lorsqu'elle fit à nouveau face à ses adversaires, elle dut immédiatement en découdre avec un homme armé d'une paire de dagues.
Elle para à l'aide de son épée puis administra un violent coup de pommeau à ce premier ennemi. Ce dernier fut déboussolé mais enchaîna aussitôt avec une estoc, que Lunarya évita encore une fois avec brio. Malheureusement pour elle, il n'était pas question de combattre dans les règles de l'art, aussi l'homme à la hache partit récupérer son arme plantée dans le sol avant de se joindre à la mêlée, tentant de frapper la Garde dans le dos.
Khepra voyait déjà venir la fin de son contrat mais un tintement métallique suivit d'un claquement de chair le surprirent au plus haut point. Contre toute attente, la mère enragée était parvenue à se débarrasser de son premier assaillant et venait d'effectuer une rotation complète, tranchant la gorge du colosse avec une vivacité hors-norme. Une vague de chaleur fit alors son apparition et tous furent médusés de découvrir que leur compère géant avait rendu l'âme, le visage à moitié carbonisé par l'arme magique de leur adversaire.
Après quoi, Lunarya lança un regard noir à Khepra, tout en adoptant à nouveau sa posture défensive caractéristique des militaires d'élite du royaume. L'immortel, époustouflé par une telle présence d'esprit de la part de la combattante, resta de marbre alors que son homme de main s'écroulait de tout son poids dans une gerbe où se mêlait sang et fumée. Elle était décidément bien plus redoutable que ce que son simple entraînement laissait présager, mais ils n'allaient pas lui laisser l'occasion de faire d'autres démonstrations de ses talents.
Malgré ses aptitudes, Khepra n'avait plus le temps d'observer les prouesses de cette furieuse guerrière, aussi il claqua à nouveau des doigts et fit signe à tous ses hommes de se joindre au combat. La bataille fit rage mais, peu à peu, les nombreux combattants qui l'encerclaient commencèrent à prendre le dessus. Elle fut frappée une fois, puis deux et, alors que son sang maculait le sol de la petite demeure, l'immortel entreprit de s'occuper de la mission qu'il s'était lui-même attribué. D'un pas lent et décidé, il contourna la mélée avec arrogance et se dirigea vers la chambre de l'enfant, ne prenant même pas la peine de rester spectateur de la lutte acharnée qui se déroulait dans son dos.
Il posa délicatement sa dextre squelettique sur la poignée mais, alors qu'il entreprenait tout juste de la faire tourner, il vit la pointe d'une épée transpercer son torse. Immobilisé par l'impact, le meurtrier lâcha sa prise et découvrit sans surprise qu'on lui avait asséné un coup qui lui aurait sans doute été fatal, si bien sûr il avait été doté du privilège de pouvoir trouver le repos éternel. Il tituba un peu et fit basculer sa tête sur le côté, découvrant évidemment le faciès déformé par la rage de celle qu'ils étaient venus tuer. Froidement, il lui murmura :
"Pas mal."
A mieux y regarder, il décela derrière la silhouette de la mère blessée un spectacle des plus chaotiques. De ses cinq hommes de main, il n'en restait plus que deux et ces derniers semblaient pour ainsi dire mal en point. La femme à l'arbalète gisait au sol, malgré la sécurité qu'aurait du lui procurer son arme de prédilection, alors que l'homme aux dagues se tenait près d'elle, la serrant fébrilement dans ses bras en sanglotant. Il semblait lui aussi à deux doigts de rendre son dernier soupir. Les yeux du Non-Mort allèrent ensuite jusqu'à Lunarya elle-même puis, après une brève analyse, il comprit enfin par quel miracle cette dernière était parvenue à contourner les deux derniers guerriers afin de l'atteindre.
Dans sa furie sans limite, elle lui avait foncé tel un boulet de canon, abandonnant sa garde afin d'atteindre celui qui menaçait la sécurité de sa fille. Khepra sourit discrètement en découvrant que deux épées étaient plantées dans le dos de la guerrière, juste en dessous de sa cage thoracique. De toute évidence, elle n'y survivrait pas. C'était en effet une mère digne, l'assassiner ne procurait donc pas la moindre satisfaction à l'Immortel, mais un contrat restait un contrat.
"Ne... t'approche pas... de ma fille, sale enfoiré."
D'un geste vif et calculé, Khepra pivota sans effort et fit usage de sa magie pour tordre son propre bras dans un angle impossible, frappant Lunarya au poignet et la privant de son arme incandescente. Affaiblie par ses précédents adversaires et maintenant désarmée, elle ne représentait plus aucune menace. Elle parut surprise par l'aisance avec laquelle le Non-Mort s'était débarassé d'elle malgré l'épée géante qui le traversait de part en part. Chose plus étonnante encore, les entrailles du tueur prenaient feu, mais cela ne semblait pas l'handicaper le moins du monde. Malheureusement pour elle, Khepra ne lui laissa pas le temps de mettre de l'ordre dans ses pensées et la saisit à la gorge avec brutalité, avant de la ramener à lui.
Une fois à quelques centimètres du visage la militaire éreintée, il se pencha en avant et lui chuchota quelques mots à l'oreille :
"C'est ma fille, désormais."
Lorsqu'elle entendit ces mots, Lunarya écarquilla les yeux, sous lesquels des larmes de rage sourde commencèrent à se dessiner. Elle n'eut le temps que de serrer le poing pour tenter de frapper à nouveau mais l'Eternel fut plus rapide. D'un geste expert, il vint extraire la dague ornée qu'il portait à la ceinture, la fit tournoyer dans les airs et porta le coup fatal, enfonçant la lame dans le ventre de son adversaire qui, médusée par la douleur et l'épuisement, laissa son bras retomber mollement. Le froid s'empara d'elle et ses paupières commencèrent à se clore tout doucement tandis que la vie la quittait.
Avec un respect qui ne lui ressemblait guère, Khepra relâcha son étreinte sur la gorge de la jeune mère et l'accompagna dans sa chute, l'allongeant doucement sur le plancher ensanglanté tout en ramenant son arme au fourreau. Un genou à terre, il accorda un regard à la dépouille puis, machinalement, il retira l'épée désormais tiède de son propre corps, avant d'ordonner à ses deux derniers hommes de main :
"Toi, récupère l'huile et lance le feu, prépare également des cordes pour nous extraire. On s'en tient au plan. Quant à toi, va récupérer la petite. Attache-la mais ne lui fais aucun mal, je te rejoins."
Ni l'un ni l'autre ne tentèrent de discuter les directives et, malgré leurs blessures, ils s'attelèrent à leurs tâches sans broncher. Khepra profita de ce court instant de répit pour inspecter le corps de Lunarya, sur lequel il ne trouva malheureusement rien qui puisse susciter de l'intérêt. L'homme chargé de s'occuper de l'enfant enfonça la porte d'un coup de pied et le fracas du bois brisé fut aussitôt suivi par des cris et des pleurs. Khepra n'accorda pour l'heure aucune attention à la terreur profonde de la petite et continua tranquillement ce qu'il avait entrepris.
Pendant ce temps-là, le feu causé par son compagnon se changeait déjà en un petit brasier qui aurait tôt fait de dévorer l'entièreté de la maison. Le Non-Mort se redressa puis se dirigea vers son acolyte en bien piteux état. Il posa amicalement une main sur l'épaule de ce dernier puis, d'une voix curieusement douce, il lui glissa :
"Très bon travail, cher ami. On passe à la suite."
D'un coup, le brigand ressentit une douleur intense au niveau de son bas-ventre. Il baissa les yeux et découvrit avec stupeur que Khepra venait tout juste de lui asséner un coup de dague, lui ouvrant les entrailles par la même occasion. Le voyou hurla, tant par surprise que par souffrance, mais l'immortel ne lui laissa pas le moindre répit pour se défendre et frappa à nouveau, à plusieurs reprises, jusqu'à ce que le pauvre homme se taise pour de bon. Cela fait, le Non-Mort tourna les talons sans mot dire et s'engouffra dans la chambre de la fameuse Kahlua qui, terrifiée, était déjà attachée et bâillonnée sur son lit.
Lorsqu'il avait entendu les hurlements de son compère, le tout dernier bandit s'était retourné vers la porte de la chambre et avait aussitôt adopté une posture défensive. Lorsqu'il vit Khepra pénétrer dans la pièce, ce fut avec une incompréhension des plus totales qu'il se prépara à demander ce qui venait de se dérouler dans la salle voisine. Il n'eut pas la chance d'éclaircir ces questions que, d'un bond, Khepra nullifia la distance qui les séparait.
L'homme comprit tout, de l'insanité totale de son employeur jusqu'aux moindres ficelles de son plan machiavélique, mais bien trop tard. Il n'avait jamais eu l'intention de les laisser sortir vivants de ce cauchemar. Khepra savait pertinemment que Lunarya les tuerait un par un, il espérait simplement voir ses hommes l'affaiblir suffisamment pour pouvoir lui administrer le coup de grâce avant de les achever eux aussi.
N'ayant pas le temps de comprendre les motifs de ce revirement, le bandit tenta une frappe latérale à l'aide de sa lame mais ne rencontra que le vide. Faisant usage de sa magie, Khepra se replia sur lui-même pour esquiver le coup puis arma un coup d'estoc, embrochant sans mal son adversaire avant de le désarmer à l'aide de sa main libre. Désireux de priver son ennemi de parole dans ses ultimes instants, le meurtrier usa de l'arme volée pour l'égorger, l'empêchant ainsi de révéler malencontreusement à l'enfant la trahison dont il venait d'être victime.
Le cadavre s'abattit lourdement sur son flanc et Khepra, se sachant acculé par les flammes qui gagnaient du terrain, s'empressa de rejoindre la petite Kahlua qui, apeurée, le dévisageait malgré les larmes qui obscurcissaient sa vision. Feignant sans mal l'urgence et la crainte, il lui cria :
"N'aie crainte, Je suis un ami de ta mère ! Je suis venu pour te sauver alors tu vas devoir me faire confiance. Nous n'avons pas une minute à perdre, on doit partir."
Sans prendre le temps de détacher cette dernière, Khepra la chargea sans ménagement sur son épaule et quitta la chambre en enjambant les nombreuses dépouilles. Malheureusement, Kahlua eut le temps d'apercevoir le corps de sa défunte mère et se mit alors à hurler en se débattant, mais Khepra renforça sa prise pour la maintenir en place. S'il comprenait parfaitement le désespoir de la pauvre enfant, il ne pouvait se permettre de lui accorder plus de temps au milieu de ce tas de cendres en devenir.
"Je suis désolé, mais il est trop tard pour elle. Nous n'avons pas le temps de la pleurer, on doit faire vite avant de finir brûlés vifs !"
Les flammes grondaient de plus en plus fort et la fumée s'accumulait jusqu'au plafond. Dehors, des citoyens réveillés par le bruit et la lueur des flammes hurlaient et appelaient la Garde à l'aide. Khepra n'avait pas le temps de ménager la petite et encore moins de lui accorder les adieux qu'elle désirait obtenir. Il se jeta avec adresse par la fenêtre brisée et saisit la corde entreposée pour son évacuation. Il se laissa glisser jusqu'au sol puis, une fois à terre, il tourna la tête pour s'assurer de ne pas avoir blessé la petite. L'horreur de découvrir le décès de sa mère couplée aux fumées nocives lui avaient sans doute fait perdre connaissance, mais elle ne semblait pas avoir été touchée par le brasier grandissant.
Alors que les cris des civils venus combattre l'incendie se faisaient de plus en plus proches, Khepra s'engouffra dans les ténèbres et disparut, ne laissant derrière lui que la mort et la désolation. Dans sa course, il accorda un dernier regard à la maison embrasée de laquelle émanait désormais un véritable geyser brûlant. Etaient-ce des regrets qu'il éprouvait ?
Ma fille, mon amour, ma raison de vivre.
Elle est vivante.
Je croyais... Je croyais que les Lys l'auraient tué elle, mais finalement, c'est moi qui meurt sur ce sol entouré de flammes. Est ce que ça doit vraiment se finir comme ça ?
Dans ma tête, la voix de ma fille résonne, m'appelle via l'anneau qu'elle m'a offert. Vingt fois, puis plus rien. Plus rien mis à part sa terreur que me retransmet son bracelet relié au miens.
Suis-je encore capable de lui répondre ?
*Kahlua*
Je ne sais pas si elle m'entend, mais sa terreur s'apaise un peu sans pour autant disparaitre. Est-ce qu'elle m'écoute ? Est ce qu'elle m'entend ?
Et si c'est le cas, que dire ? que dire en vingt mot ? Dix neuf maintenant que j'ai prononcé son nom.
*Désolé, j'ai échoué.*
Je lui envoie ma peine incommensurable alors que des larmes roulent sur mes jouent inertes tandis que la vie me quitte sous le regard larmoyant de Haku que personne ne peut voir sauf moi.
*Obéis, sois docile, reste en vie.*
Déjà dix. Dix putains de mots. Comme si vingt pouvait suffire à lui dire tout ce qu'il faudrait. Tout ce que j'aurai à lui dire.
*Je t'aime. Maintenant et à jamais. Plus que tout.*
Je lui envoie mon amour, tout mon amour alors que cette fois, mon esprit s'éteint.
*Adieu.*