Alors, sitôt rentrée à la Capitale, elle avait à peine pris le temps de se changer, pour enfiler des vêtements n'ayant jamais rencontré la mer, avant de prendre immédiatement le portail vers la Forteresse. Elle se doutait que, là-bas, il y aurait de quoi soigner un rhume, ou quoi que ce soit capable de soulager un chaton ayant frôlé la noyade de très près.
Quand ils arrivèrent, Nox ne put cacher sa curiosité. Après tout, il était né dans cette ville, peut-être cela lui rappelait-il des souvenirs. Mais il semblait beaucoup moins énergique que d'habitude, ce qui brisait le coeur de l'aventurière. En temps normal, il serait allé explorer sans aucune retenue, aurait été intenable... Mais oui, il avait certainement attrapé au moins un rhume.
Elle se dirigea alors vers la première personne qu'elle vit.
- Pardon, je... En fait, ce petit a failli se noyer. Est-ce que vous connaissez quelqu'un qui vend quelque chose qui pourrait aider à le soigner, ou à lui réchauffer le coeur ?
Et, ainsi, de personne en personne, elle se fit balader à travers la ville, mais, finalement, elle finit par trouver le marchand indiqué.
- Excusez-moi, est-ce que vous auriez...
- Ah, en voilà un qui a attrapé froid. Mais, malheureusement, je viens de tout vendre à... Mais attendez, il est encore dans le coin. C'est cet homme, là !
Après s'être assurée qu'ils parlaient bien de la même personne, Kasha remercia le marchand et s'élança sur les pas de son concurrent. Quel que soit son but, elle savait en avoir plus besoin que lui. Etait-ce simplement un biais lié à son inquiétude pour son familier ? Oui, complètement. Mais elle était persuadée d'avoir raison. Alors, elle ne fit pas vraiment attention à son entrée en matière lorsqu'elle aborda cette personne.
- Excusez-moi... J'aurais un besoin urgent de l'un de ces fioles. Je peux même vous la payer, si vous voulez.
Les cristaux menaient le monde, non ? Dans tous les cas, s'il refusait ne serait-ce que de négcier, elle pourrait peut-être... Non, c'était illégal. Mais d'un autre côté... Il avait acheté tellement d'articles identiques... Un de plus ou de moins ne devrait pas poser de problème, si ?
L’éclat de voix avait attiré l’oreille de quelques passants, puis ces derniers avaient repris leur route. Pourtant, dans la petite échoppe, l’affaire semblait très loin d’être calmée. En son sein : deux protagonistes. Agil était un marchand aguerri et, pour cause, sa vie tout entière avait été dédiée à son échoppe. Il l’avait héritée de son père, comme son père avant lui, et tenait comme à la prunelle de ses yeux aux différentes marchandises qu’il proposait. Potions, objets magiques, bazar en tout genre… si la boutique pouvait paraitre un peu fourre-tout, il n’en restait pas moins vrai que la négoce possédait une exclusivité sur de nombreuses denrées particulièrement précieuses pour la forteresse.
Néanmoins, malgré son expérience, c’était bien lui dont la voix s’était étranglée. Et face au marchand, Naël gardait un sourire imperturbable, le bras croisés, ses yeux ambrés fixés dans ceux de son homologue. Le jeune homme était à la citadelle pour raisons personnelles, mais laisser passer l’occasion de faire fructifier quelques cristaux n’était pas dans sa nature.
« Pas le moins du monde. » Répondit l’aventurier avec un léger sourire un peu narquois.
« 10 cristaux sombre ? C’est du vol ! Tu sais combien je vends ces fioles d’ordinaire ? » Répondit Agil, hors de lui.
« 10 cristaux la fiole, quand même, je ne suis pas un monstre. » Le taquina Naël.
« 10 cristaux la f-… » Le marchand s’interrompit, reprenant son souffle et tachant de rester calme. Il connaissait Naël et savait pertinemment que le jeune homme préparait quelque chose. « Outre le fait que tu saches pertinemment que je les vends au bas mot vingt ou trente fois ce prix… Tu peux directement en venir au fait ? »
Naël, jusqu’alors adossé à un mur de l’échoppe, se redressa. Il affichait toujours un souvenir confiant. Il appréciait Agil. Sincèrement. Le négociant avait beau l’air outré par la proposition, il n’était pas un ange lui non plus. Aucun marchand ne l’était réellement d’ailleurs. L’aventurier s’approcha d’un bijou à l’apparence luxueuse. Il s’agissait d’un collier en or dont le pendentif était serti d’un rubis.
« Il est magnifique, ce collier. Tu me le fais à combien ? » Lança-t-il, ignorant la question de son homologue.
Agil soupira, et répondit avec une profonde lassitude.
« Rubis, Or, il coûte normalement 300 cristaux gris. Je te le laisse à 200 si tu fiches le camp dans la minute. »
Le sourire de Naël s’agrandit.
« C’est une sacré somme. Ah tiens d’ailleurs, c’est pas le même que tu as vendu à Mark il y a cinq ans ? Je suis sûr qu’il t’avait acheté un collier dans le genre pour le mariage d’Helena… »
Et soudain, le visage du marchand se mit à blêmir.
« Il ne sait pas se contenir quand il s’agit de faire un cadeau à sa fille… Je me demande comment il le prendrait s’il apprenait que le bijou qu’elle porte fièrement depuis des années n’est en fait que de la camelote… » Insinua le jeune homme, tout sourire.
Agil peina à répondre, et fini par soupirer.
« Comment… tu l’as su ? » Lança-t-il.
« Franchement Agil, tout le monde l’a vu, mais tout le monde adore Helena et personne ne veut lui faire de peine. Néanmoins… Echouer une négociation pousse à faire des choses qu’on ne voudrait pas vraiment faire… Tu ne crois pas ? »
Agil fusilla Naël du regard.
« Tu me fais chanter ? » Siffla-t-il.
« Oh non, non, ce n’est pas mon genre ! » Répondit Naël. « Mais soyons sincères, le collier vaut en réalité au mieux une cinquantaine de cristaux sombres. Vu les bénéfices que tu as faits, tu peux au moins t’affranchir de quelques fioles pour une somme plus modique, non ? En plus, tu sais qu’à la forteresse leur prix est en train de baisser, alors qu’à Grand-Port, vu les tempêtes en ce moment en mer, elles font fureur. Je t’affranchis même du coût du trajet jusqu’à là-bas qui t’aurait coûté une vraie fortune. Leur coût de production n’est pas si haut, et tu ne les vends même pas à perte… Ce n’est pas comme si je t’arnaquais… » Argumenta le jeune homme.
Devant le silence du marchand, Naël reprit en tendant la main vers lui.
« Alors, marché conclu ? »
___
La pochette contenant une dizaine de fioles confortablement calée dans son sac de voyage, Naël quitta l’échoppe, un fin sourire sur les lèvres. Il n’était pas pressé de les revendre et savait que ses pas le ramenaient régulièrement à Grand-Port. Aussi, ce n’était qu’un agréable à côté qui lui permettrai d’accéder à un nouveau marché et de tisser des liens avec certains capitaines renommés. En soit… c’était une bonne journée.
Lorsqu’une jeune femme l’accosta quelques mètres plus loin, Naël la dévisagea alors qu’elle lui exposait sa demande. Jeune, un semblant de panique et de précipitation dans le regard et dans la voix… Déjà une cliente ? Naël lui offrit un sourire et un clin d’œil charmeur en retour, avant de lui répondre.
« Oh, c’est Agil qui doit vous envoyer. Vous avez de la chance, j’allais partir ! » Commença-t-il sur un ton amical. « Ce n’est pas mon genre de ne pas aider une jeune femme aussi charmante, alors, rassurez-vous, je devrais pouvoir négocier avec mon client pour qu’une fiole de moins arrive à bon port, quel que soit le manque à gagner. »
Son ton était calme, et le jeune homme paraissait sincère. Et pour cause, il l’était. Naël ne mentait que très rarement. Quel prix avait annoncé Agil ? Entre deux et trois cents cristaux sombres ? Mouai. Il devait au moins tenter de les refourguer le double. Ce qui voulait dire qu’au vu de l’efficacité drastique de ces potions et de la forte demande à Grand-Port, Naël pouvait en tirer au bas mot 500 cristaux sombres. Il posa son sac au sol, fouilla dans la pochette et en ressorti une des fameuses fioles.
« Je ne vais pas vous faire payer un transport qui n’existe pas, alors je vous la fait à 300 cristaux sombres, ça vous va ? » Lança-t-il avec un clin d’œil.
- J'ignore qui est cet... Agil, mais si c'est ce marchand, là-bas, alors oui. Et, euh... Donc vous êtes commerçant ?
Voilà qui changeait la donne. Avec Lorena et surtout sa mère, elle avait été introduite à ce monde...Auquel elle avait toujours autant de mal à s'intégrer. Alors, oui, sous sa véritable identité, elle avait moins l'air d'un pigeon, donc les commerçants avaient moins tendance à tenter de l'arnaquer, mais cela n'empêchait pas de rester sur ses gardes. D'un autre côté... Nox avait vraiment besoin de quelque chose, quoi que ce soit. Et elle était allée jusqu'à envisager un vol, quand même. Cela lui ressemblait tellement peu qu'il ne lui en faudrait pas beaucoup pour en être effarée. Enfin. Elle était prête à tout pour son chaton, leur aventure précédente l'avait bien montré. En effet, que serait-il arrivé si Red ne l'avait pas remarquée, ou, plus simplement, s'il n'avait pas été aussi têtu et avait accepté de l'abandonné après l'une des nombreuses fois où elle le lui avait demandé... Elle serait certainement morte, et peut-être Nox avec. Elle avait vraiment été stupide, sur ce coup...
Enfin. Là n'était pas la question. Il venait d'annoncer un prix... Dont elle ne savait absolument pas s'il était cher ou non. Elle pouvait presque entendre la remontrance de Clara "Enfin, Kasha, c'est la base, pour un marchand, de savoir évaluer le prix d'un article ! Comment veux-tu jouer Lorena, et surtout Launie, correctement, sans savoir ça ?" "Lorena est naïve, donc ça passe. Et Launie... Je ne pense pas qu'elle vendra réellement quoi que ce soit. Et de toutes façons, elle est artisane, donc plus douée avec ses mains qu'avec la négociation."
Evidemment, un dialogue intérieur avait un inconvénient certain : son interlocutrice ne pouvait pas la contredire indéfiniment. Ce qui serait probablement le cas si elle avait vraiment la marchande face à elle. Mais, de plus, jamais une telle conversation n'aurait eu lieu ainsi, en public, personne ne devant savoir que Kasha, Lorena et Launie étaient une seule et même personne...
Elle réalisa alors qu'elle était restée dans ses pensées après l'offre, sans y répondre. Que dire ? Finalement, elle opta pour une semi-vérité :
- Excusez-moi, simplement... Je connais des commerçantes, dont l'une dit toujours qu'il faut négocier, ou au moins évaluer la valeur de l'article avant d'acheter. Mais, honnêtement, ce n'est pas mon point fort. Et...
Elle observa le chaton, qui semblait écouter la conversation avec attention.
- Je suis prête à tout pour lui. Très bien, faisons comme ça !
Elle fit passer le chaton sur son épaule pour se libérer les mains, alors qu'elle fouillait dans ses affaires pour retrouver sa bourse, dont elle sortit les cristaux, qu'elle remit à l'homme. Une fois la potion en main, elle hésita sur la marche à suivre. Nox devait-il boire ça pur ? Fallait-il le mélanger à un liquide ? Puis elle se dit qu'après tout, elle avait face à elle une précieuse source d'informations à ce sujet :
- Et, euh... Honnêtement, j'ai juste suivi des conseils en venant chercher ça, je ne sais pas comment il faut s'en servir. Est-ce qu'il peut le boire tel quel, ou est-ce qu'il faut le diluer ?
« Ravi de faire affaire avec vous, si en plus c’est pour aider cette adorable boule de poil… » Lança-t-il, gardant son sourire.
Il récupéra ainsi les cristaux tendus par l’inconnue qu’il rangea ensuite dans son sac. Il la salua alors une dernière fois.
« Passez une bonne journée ! »
Puis il tourna les talons. L’espace d’un instant. Il interrompit soudainement son départ en entendant une nouvelle fois la voix de la jeune femme. Décidément… Il soupira. Après tout, il avait vendu la potion au prix fort, il ne lui coutait rien de lui donner une ou deux astuces. Reprenant son sourire, il se retourna.
« Ah, vous n’avez jamais utilisé ça… » Fit-il.
Il se décala alors dans la rue pour ne pas se trouver au milieu du passage et invita la jeune femme à le suivre. Il déposa son sac contre un mur et s’assit en tailleur près de ce dernier. Il y fouilla quelques instants pour en sortir une gourde et un bol en bois, et, lorsque ce fut fait, son regard se porta à nouveau vers son interlocutrice.
« Vous permettez ? » Lui lança-t-il sur un ton plus confiant, tendant la main pour récupérer la fiole.
Une fois la fiole dans la main, Naël en versa environ un tier dans le petit bol. Il reboucha précautionneusement la petite fiole, la déposa contre son sac, puis remplit de moitié le même bol avec de l’eau fraiche contenue dans sa gourde. Il tendit ensuite le bol au petit chat ailé qui, loin d’être farouche, s’approcha rapidement pour renifler. Lorsqu’il commença à lamper, l’aventurier reposa le bol au sol et laissa le petit être à ses affaires, puis tendit la fiole au deux-tier pleine à sa propriétaire.
« Je ne devrais peut être pas le crier sur tous les toits, mais ces potions sont généralement prévues pour des individus plus… Corpulents disons. » Dit-il, accompagnant ses propos d’un clin d’œil. « Pour lui, ça devrait être largement suffisant. Et il vous en reste même pour une prochaine fois, si vous gardez bien la potion fermée. »
Il attendit qu’elle récupère son dû, avant de reprendre.
« Où avez-vous trouvé votre compagnon ? Je crois bien qu’il s’agit de la première fois que je vois un chat aussi… particulier… » Lança-t-il, amusé.
Néanmoins, lorsqu'il l'attira à l'écart du chemin, elle ne put retenir un petit sourire. Avait-elle encore affaire à quelqu'un du genre de Fenrir, qui se cachait derrière un air bourru ? Non, il n'avait jamais prétendu être froid ou quoi que ce soit.
Elle déposa donc la fiole dans sa main tendue lorsqu'il lui indiqua clairement ce qu'il attendait d'elle.
Puis elle s'accroupit près de lui pour observer ce qu'il faisait, rapprochant ainsi indirectement de lui le chaton, qui, visiblement, n'avait rien perdu de son insatiable curiosité. Et qui comprit visiblement assez vite ce qui était attendu de lui. Comme d'habitude, elle le couva un moment d'un regard attendri, avant d'être capable de reprendre ses esprits. Elle récupéra donc la fiole, qu'elle rangea dans ses affaires, hochant la tête aux informations que ce retour lui valut.
Elle laissa échapper un petit rire à la question suivante :
- Si vous saviez le nombre de fois qu'on me l'a posée, celle-là !
Puis, reprenant son sérieux, elle répondit, cette fois vraiment :
- En fait, pas si loin d'ici. Pour faire court, je l'ai acheté sous forme d'oeuf. Et il a éclos...
Elle tourna un peu sur elle-même, observant les bâtiments alentour, avant de pointer une auberge du doigt :
- Là-bas !
C'était vraiment la version courte de son histoire. Elle se souvenait encore de la version complète, tout en étant consciente d'en avoir certainement oublié quelques détails en cours de route, mais il lui semblait inutile d'en dire trop. Sauf si l'homme se montrait curieux, auquel cas elle serait ravie de lui raconter un autre de ces récits au cours desquels elle était incapable de s'arrêter.
Mais pour l'heure, il y avait autre chose qu'elle voulait faire. Elle s'était levée, sans trop savoir quand. Alors, s'approchant de l'homme, elle lui tendit la main :
- Si vous voulez éviter de vous faire sauter dessus par le monstre quand il aura fini, vous aurez plus de chances de l'esquiver si vous êtes debout, vous savez !
Evidemment, c'était plus une boutade qu'autre chose. Si Nox retrouvait l'énergie d'être aussi sociable que toujours, que sa cible soit debout ou non ne changerait pas grand-chose, car, grâce à ses ailes, il ne faisait pas de différence entre les différentes altitudes. En tous cas, c'était l'avis de Kasha, qui ne pouvait pas communiquer directement avec son petit compagnon...
Naël était plutôt soulagé. Elle n’avait effectivement pas l’air d’être trop en difficulté, aussi il ne regrettait pas sa décision. Dans tous les cas, la petite boule de poil noir était diablement attendrissante. Le jeune aventurier s’était toujours bien entendu avec les félins, et ce dernier ne semblait pas échapper à la règle. Il reporta néanmoins son attention sur l’inconnue. Il était plutôt curieux de nature, et son statut l’intriguait. Ses pas et son attitude ne laissaient penser ni à une noble, ni à une égérie martiale. Elle n’était pas non plus marchande, pourtant ses revenus semblaient plutôt honorables. Mais hors de question de poser une question si personnelle de but en blanc.
« Oh ? Ces œufs sont loin d’être donnés pourtant. Mais j’en déduis en tout cas que vous avez l’habitude de voyager, ou alors c’est une sacrée coïncidence que vous vous retrouviez pile à l’endroit où votre compagnon à éclot. » Lança-t-il, amusé.
Il n’utilisa qu’à moitié la main tendue de la jeune femme pour se redresser, trop « galant » pour risquer de l’entrainer avec lui dans sa chute. Ainsi relevé, il en profita pour se présenter.
« Mais j’en oublie les politesses. Naël. Naël Leoxses. » Fit-il avec un sourire. « Je-… »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Le petit démon noir avait fini sa boisson et, rassasié, il avait en deux temps trois coups d’ailes effectué un atterrissage contrôlé sur l’épaule du jeune homme. Le matou était plutôt léger comparé à ce que l’aventurier avait l’habitude de transporter sur ses épaules, il ne fut heureusement pas trop déstabilisé. Fier d’être installé aussi « haut », Le félin se mit à ronronner naturellement.
« Et bien, il n’est pas féroce au moins… » Lança-t-il, amusé. « Il a éclot ici alors ? J’imagine que ça a dû être une sacrée surprise ! J’ai entendu dire que ces animaux naissaient rarement dans le calme… Vous emmeniez votre œuf à chacun de vos voyages ? »
La question était en apparence anodine, mais permettait aussi à Naël de confirmer certaine de ses théories à propos de l’inconnue. Il ne s’agissait là toutefois que d’une simple curiosité, car l’aventurier n’avait aucune intention malsaine. Après tout, ce n’était ni la première, ni la dernière fois qu’il discutait avec un inconnu, et quelque chose lui disait que son interlocutrice était sans doute bien plus intéressante que ceux avec qui il partageait des badinages ordinaires.
- Euh, en fait... Je...
Bon, stop. Il avait visé juste, mais elle ne devait pas se laisser faire. Après tout, il n'était pas Rhis, donc elle était capable de lui tenir tête, non ?
- Hum. En fait... Je n'ai pas fait attention. Et oui, j'y ai mis presque tous les cristaux que j'avais sur moi.
Quant au fait de se trouver près de l'auberge ayant été le théâtre de l'éclosion... Un sourire amusé se dessina lorsqu'elle repensa à ce jour.
- L'aubergiste a dû nous détester, il y avait aussi un autre aventurier et son familier avec moi. J'aimerais bien aller voir ce que devient cet homme, et peut-être m'excuser.
Bon, elle exagérait un peu. Les familiers avaient été relativement sages. Néanmoins, elle doutait que ce soit le quotidien de l'aubergiste de voir à sa table deux petits animaux, dont l'un était carrément né sur cette table... Avant de s'emmêler dans les cheveux de sa maîtresse. Hum... Oui, finalement, elle avait peut-être fait un peu trop de bruit à ce moment-là.
Enfin. Elle aurait toujours le temps de retourner voir cette connaissance qui n'en était pas réellement une. Elle fut surprise du peu de poids ressenti lorsqu'elle aida le commerçant à se lever. Que cela signifiait-il ? Pour elle, soit il acceptait son aide et ne dissimulait pas son poids, soit il refusait et ne prenait pas sa main du tout. Cette solution, cet entre-deux, était hors de sa zone de compréhension. Cependant, discrète, étant très bien placée pour savoir que, parfois, certaines vérités étaient mieux cachées du grand public, et cet homme n'étant pas l'une de ses cibles, elle ne posa pas de question.
Naël. Bien. Elle s'en souviendrait, comme elle le lui indiqua en lui adressant son hochement de tête caractéristique. Jusqu'à ce que Nox décide d'interrompre les présentations à peine commencées. Elle soupira. Le perchoir improvisé ne semblant pas plus dérangé que cela, elle laissa donc faire le chaton, et se préparait à se présenter à son tour, lorsqu'elle fut soudain enfouie sous une avalanche de questions plus ou moins formulées. Levant les mains devant elle, comme pour se protéger, mais avec un sourire démentant toute impression de défiance, elle lança :
- Doucement ! Une question à la fois, je vous prie !
Puis, s'accordant quelques instants pour réfléchir, elle commença, méthodique :
- Alors, d'abord, ce que le petit monstre ne m'a pas laissé le temps de dire. De mon côté, je suis Kasha Shlinma, aventurière, donc oui, vous avez bien deviné, je voyage. Ah, et, évidemment, si je vous appelle par votre prénom, faites-le vous aussi pour moi.
Il était hors de question qu'ils se traitent différemment l'un l'autre. S'il ne l'appelait pas par son prénom, elle s'arrangerait pour ne plus le faire. Et ce serait la même chose pour le cas inverse. Elle s'adapterait. Après tout, avec le mensonge et la nage, sa capcité d'adaptation complétait le trio de ses principaux points forts.
- Ensuite, pour Nox... Vous n'avez pas idée. Le plus difficile est souvent de le détacher de vous. N'hésitez pas si vous en avez assez de lui. Ensuite... On voit que vous n'avez pas de familier.
Songeuse, elle tourna de nouveau son regard vers l'auberge. Puis, retournant un instant son regard jusqu'à croiser celui de Naël, elle lui indiqua :
- Repenez vos affaires. En fait, si je vous raconte l'histoire, ça risque d'être assez long, autant s'installer plus confortablement.
Et ce fut tout naturellement qu'elle le mena jusqu'à la fameuse auberge. Inconsciemment, elle le précéda vers la même table que celle sur laquelle Nox était né, reproduisant presque la scène, elle et un homme face à face, le chaton installé sur la table... Bon, l'homme n'était pas le même et ne sortirait probablement pas son épée au milieu de la conversation, et le chaton avait grandi, mais visiblement, l'aubergiste la reconnut lorsqu'il vint, assez rapidement, prendre la commande. Son regard sur le chaton fut éloquent.
- Euh, oui, désolée. Je vous promets que, cette fois, il sait se tenir.
Ce n'était absolument pas vrai. Mais, après tout, le mensonge était sa vie, qu'était un petit mensonge de plus ? Elle espérait simplement que le chaton serait trop intéressé par Naël pour faire de nouvelles bêtises durant leur conversation.
Puis, l'employé parti, elle soupira et se lança :
- Alors. Si vous voulez toute l'histoire... ça commence un matin, le lendemain de...
L'espace d'un instant, elle se rappela cette soirée enchantée qui ne quitterait jamais son esprit. Mais... Connaissait-elle assez cet homme pour lui en parler ? Non, clairement pas.
- Enfin, peu importe. Il faut juste dire que j'avais pris quelques jours pour moi. Et ce matin-là, je devais partir. L'aubergiste m'a alors indiqué une boutique où je devrais, selon lui, faire un crochet avant de rentrer. Et vous l'avez sûrement deviné, mais c'est là que j'ai récupéré Nox.
Devait-elle lui montrer la boutique en question ? S'ils devenaient amis, et qu'il exprimait la volonté d'avoir un familier, peut-être. Mais dans tous les cas, pas dans l'immédiat.
- Et en sortant, j'ai apostrophé le premier aventurier venu en quête de conseils, puisque je ne savais absolument pas comment ça fonctionnait, tout ça. Il m'a guidé pour faire des achats, puis on est venus pour l'éclosion. Vous dites que ça ne se fait pas dans le calme ? Bon, dans mon cas, c'est vrai, puisque c'était dans une auberge, mais j'imagine que quelqu'un qui saurait s'y prendre pourrait parfaitement le faire seul dans sa chambre... Au calme, justement.
Encore une fois, elle s'interrompit, l'observa un moment, prit son temps, pour ménager ses effets. Puis elle daigna conclure :
- Prenez votre oeuf, nommez-le, et laissez la magie faire effet.
Encore une pause. Et elle l'observa, légèrement taquine, cette fois.
- Comme vous le voyez, cet oeuf m'a accompagné au cours d'un très long voyage. Des boutiques à cette auberge !
Un léger détail sorti néanmoins l’aventurier de sa litanie pensive. Un « autre » aventurier. Ses théories se confirmaient donc avant même que la jeune femme ne lui ait réellement révélé son identité. Elle était bel et bien une aventurière… une consœur donc. Aussi, cela changeait légèrement les choses. L’homme aux cheveux violets n’était pas un enfant de cœur, surtout concernant les affaires, mais mettait un point d’honneur à ne pas truander les autres aventuriers. Leur vie était suffisamment… complexe comme ça. Naël était néanmoins trop fier pour avouer ce tord et la rembourser séant. Il se promit alors de la rembourser plus tard, de quelque manière que ce soit, sans qu’elle ne le remarque réellement.
Lorsque la jeune femme lui indiqua de stopper ses innombrables interrogations, Naël éclata de rire avant de s’interrompre. Elle avait raison, sans doute avait-il était un peu trop pressant. Il la laissa poursuivre tranquillement. Kasha – sans surprise, donc, une aventurière -. Le jeune homme nota l’information dans un coin de sa tête. L’appeler par son prénom n’était en aucun cas un problème. Naël s’était toujours montré familier, même avec les inconnus. Un peu trop sans doute parfois, car son côté direct avait tendance à en étonner plus d’un. A sa proposition de changer d’air, il hocha légèrement la tête.
« Kasha et Nox alors. Je m’en souviendrais. » Dit-il avec sincérité, avant de récupérer son sac. « Et l’idée de me poser quelques minutes me va bien, je vous suis. »
Alors, le nouveau tandem se dirigea vers la fameuse auberge dans laquelle le chat ailé avait visiblement fait ses premiers pas. Naël ne manqua pas, amusé, de croiser le regard de l’aubergiste. Il avait l’air de s’en souvenir, de cette journée… Le tenancier finit néanmoins par venir prendre la commande. Après lui avoir demandé un verre de vin, le jeune homme reporta son attention sur l’histoire de Kasha. Il tâcha d’en noter chaque détail, bien conscient que leur promiscuité n’était pas encore assez prononcée pour que son interlocutrice lui dévoile des pans entiers de sa vie. Et même si Naël était du genre curieux, il n’était pas non plus intrusif si le jeu n’en valait pas la chandelle. Et ici, il ne tentait pas réellement d’analyser l’aventurière, ni même de marchander. Aucun intérêt, donc, de la forcer à s’attarder sur des éléments qu’elle semblait taire volontairement.
La jeune femme avait l’air d’être légèrement… téméraire. Ou au moins, dans certaines situation, elle ne semblait pas hésiter à foncer. Acheter un familier sans savoir ni comment le faire éclore, ni comment le choisir, et demander toutes ces informations à un inconnu ? Tous n’auraient pas pris ce parti. Beaucoup auraient simplement choisi au hasard, mais elle avait au moins prit le risque de bien faire. Du reste… elle avait eu la chance de tomber sur un individu qui avait pu réellement l’aider. L’attitude de Kasha intriguait le jeune aventurier.
« C’est une sacrée histoire effectivement… Vous avez eu de la chance de tomber sur quelqu’un qui vous a vraiment aidée ! » Répondit-il finalement. « Dans tous les cas, merci d’avoir partagé cette expérience. Sait-on jamais, si je souhaite un jour un compagnon pour mes errances, j’aurais au moins quelques bases pour commencer ! »
Il accompagna ses propos d’un clin d’œil, puis il recula dans le fond de sa chaise. Prenant un air quasi-sérieux, il croisa les bras avant de reprendre.
« Kasha, je peux me permettre une question ? » Le jeune homme marqua un temps d’arrêt, laissant le soin à l’aventurière de le lui permettre. « Vous n’êtes pas obligée de répondre, car la question pourra vous sembler un peu personnelle. Mais j’admets être intrigué… Ainsi, vous ne paraissez pas être une guerrière, quels genre de travaux effectuez-vous pour la guilde ? »
Le ton de Naël était bienveillant, dénué d’arrière-pensées. Le jeune homme voulait simplement connaitre les talents qui lui avaient permis d’intégrer le groupe.
« Rassurez-vous, je garderais ces informations pour moi. C’est juste que j’écume davantage la campagne que les villes, et que je n’ai pas l’habitude de croiser d’Aventurier qui ne soient pas des chasseurs ou des combattants… »
Enfin, elle pourrait remettre ces pensées à plus tard. Lorsqu'elle serait de nouveau seule semblait un bon moment, non ? Car ils étaient à présent à l'auberge. Lorsqu'il décrivit Sileas comme "quelqu'un qui vous a vraiment aidée", elle haussa les épaules :
- Honnêtement, je pense ne pas lui avoir laissé le choix... Et j'ai bien vu qu'il avait déjà un familier, je n'ai quand même pas choisi complètement au hasard.
Etait-ce vrai ? Avait-elle vu le glooby au premier coup d'oeil ? En tous cas, ce qui était sûr, c'est que, si tel était le cas, elle n'en avait pas été marquée, puisqu'elle se trouvait incapable de répondre à cette question.
Puis il suggéra... Qu'elle le conseille pour un éventuel futur familier ? Cette fois, elle ne put retenir son rire :
- Dites, vous... Vous m'espionnez, ou on a juste énormément de points communs ? Tout à l'heure, vous aviez les mêmes mimiques que moi, et maintenant, vous parlez comme mon... Hem. Comme l'un de mes proches.
Elle avait légèrement rosi en évoquant presque Rhis. Mais il allait falloir qu'elle se calme, après tout, elle n'était probablement rien de plus qu'une amie, à ses yeux. Même si, bien sûr, elle allait devoir changer tout ça, Myradia avait fini par l'en convaincre. À présent, Lucy devrait se charger de les faire se rencontrer, comme elle savait si bien le faire... Tu t'égares, encore.
D'autant plus qu'une question lui fut posée juste au moment où elle sortit de ses songes. Il faudrait vraiment qu'elle apprenne à rester concentrée pendant plus de quelque secondes... Sa spécialité ? Elle afficha un doux sourire, légèrement énigmatique, alors qu'elle lançait :
- En effet, c'est personnel. Je serais assez réticente pour en parler... Sauf, bien sûr, face à ma famille, celle que j'ai choisie.
Puis, se penchant vers lui, elle lui glissa :
- Vous avez dit que vous voyagez également... Feriez-vous partie de cette famille ? De la Guilde ? Êtes-vous digne de confiance ?
Toutes ces questions avaient pour elle la même réponse. Mais elle avait modulé son ton pour le faire comprendre, alors qu'elle reprenait sa position initiale, un éclat joueur toujours présent dans les yeux. Elle était presque certaine que la réponse à ses questions était un oui. Mais elle avait préféré transformer la fin de la présentation de l'homme en jeu, car elle était irrécupérable, n'est-ce pas ? Certains la diraient trop sociable, mais pour elle, elle profitait simplement de chaque instant lorsqu'elle sentait qu'elle pouvait se le permettre.
Néanmoins, aucun détail ne lui échappait, et la mention du potentiel petit ami ou compagnon de la jeune femme lui arracha un grand sourire. Il n’allait une nouvelle fois pas insister, mais il était amusant de la voir rougir pour si « peu ». Même s’il pouvait le comprendre, sur ce point, il était très différent de l’aventurière. Il ne releva néanmoins pas cette esbrouffe. Kasha et lui n’étaient certainement pas assez proches pour avoir ce genre de discussions… pour l’instant tout du moins.
« Je ne me permettrais jamais d’espionner quelqu’un… Et puis, ce n’est pas un domaine dans lequel je suis particulièrement doué. » Répondit-il, amusé. « La discrétion n’est vraiment pas mon fort ! Mais je suis flatté. Avoir des points communs avec des gens intéressants est plutôt un compliment. »
Naël accompagna ses propos d’un clin d’œil. Pour le reste, il était on ne peut plus sincère, et il suffisait de le regarder pour comprendre que le jeune homme préférait rester au centre de l’attention que s’y soustraire. Cheveux longs, violets, bijoux dorés en tout genre, tenues colorées… Il arborait presque la même visibilité que certain bourgeois de Grand-port, bien qu’il n’en faille pas parti. Mais il s’agissait de sa façon de vivre. Exubérante, directe… Sans en faire trop non plus, car il ne fallait pas tomber dans la vulgarité…
La jeune femme, elle, paraissait bien plus secrète. Et pour cause, elle voulu pour l’instant garder pour elle la nature de ses capacités. Naël respectait ce choix. Si lui-même possédait un pouvoir utile – ou un pouvoir tout court – sans doute aurait-il préféré taire cette capacité et la garder comme un atout dans sa manche. Néanmoins, Kasha révéla une facette de sa personnalité qui allait bien arranger l’aventurier. Elle paraissait… très attachée à la guilde. Sans doute, en un sens, bien plus que lui, même si Naël avait beaucoup de respect pour ses pairs. Il prit alors un air malicieux pour lui répondre.
« Digne de confiance… c’est un bien grand mot… » Lança-t-il mystérieusement, reprenant rapidement un air amusé. « Disons que oui, entre autres, je suis un aventurier. »
Joignant le geste à sa parole, il dévoila sa plaque située dans la doublure de sa veste. Authentique, elle suffirait à convaincre la jeune femme.
« Je serais réellement ravi de connaitre vos attributions et missions au sein de la guilde, néanmoins gardez à l’esprit que toute question me concernant vous décevrait surement. Je ne possède ni pouvoir ni trait notable, et je reste plus proche d’un mercenaire classique que d’un véritable atout pour les aventuriers. »
Naël avait gardé son sourire. Il se fichait éperdument d’avoir des capacités « spéciales » tant que celle qu’il avait déjà lui permettaient d’avancer.
- Ah oui ? Pourtant, enlevez ces bijoux, changez de vêtements et, si vous savez vous comporter de manière à ce qu'on ne vous remarque pas trop, il ne devrait pas vous être trop difficile de passer inaperçu, du moins dans une foule. Et, avec un peu d'entraînement... Même avec cette apparence, vous pourriez réussir à ne pas attirer l'attention. De plus, croyez-moi, c'est parfois en pleine lumière qu'on est le plus discret.
En effet, son expérience lui avait appris que se cacher pouvait parfois attirer une attention malvenue. Parfois, même souvent, les gens observaient ceux qui ne semblaient pas vouloir faire preuve de discrétion sans vraiment faire attention à eux, à condition, évidemment, que les personnes en question n'en fassent pas trop. Alors que si un passant surprenait quelqu'un qui tentait de se cacher, il pourrait attirer sur le pauvre espion en herbe une attention bien peu désirable.
Néanmoins, elle venait de lui donner un indice précieux sur cette fameuse spécialité qu'il voulait connaître, sans même réellement y penser. Saisirait-il l'allusion ? Gardant son esprit joueur, elle décida de ne pas lui dire que c'était un indice. Soit il le comprenait et elle lui donnait peut-être toutes les informations la concernant sous cette forme, soit... Ils aviseraient.
Et le voilà qui disait qu'il n'était pas digne de confiance, tout en affirmant être aventurier, preuve à l'appui. Elle rit doucement, puis répliqua :
- Encore une fois, on dirait moi. Sauf que moi, j'ai une bonne raison de le dire. Vous, je choisis de vous faire confiance. Que vous le vouliez ou non, vous faites désormais partie de ma famille.
Et elle lui avait laissé un autre indice. Néanmoins, quelque chose l'intéressa. Il ne se trouvait pas intéressant ? Il n'avait pas de pouvoir ? Elle devait absolument le détromper :
- Tout le monde a un pouvoir, qu'on l'aime ou non. Il faut croire que c'est une volonté, ou peut-être un don, de Lucy. Aryon est magique, et ses habitants ne font pas exception. De la même manière, je veux croire que vous avez des atouts. Partons en mission ensemble pour que vous vous en rendiez compte !
Etait-ce une véritable invitation ? Elle n'en savait rien. Mais s'il la prenait au mot, elle s'arrangerait donc pour lui trouver quelque chose qui pourrait leur correspondre à tous les deux.
Puis, finalment, elle récupéra sa propre plaque et la fit tranquillement glisser, l'air de rien, sur la table, vers son comparse. Sa spécialisation en infiltration ainsi que sa fonction la plus souvent exercée, contrôleuse d'éthique, y étaient mentionnées. Elle garda les yeux fixés sur le visage de son vis-à-vis pendant qu'il prenait connaissance de l'objet, étudiant les expressions de son visage, qui pourraient certainement lui fournir des informations précieuses sur ce qu'il pensait. Une autre compétence qu'elle avait gagné au contact de diverses personnes toutes plus différentes les unes que les autres : elle savait plutôt bien lire les expressions faciales.
« Oh, je ne suis pas discret, mais je n’ai jamais vraiment voulu l’être non plus… » Lança-t-il, amusé, accompagnant ses propos d’un clin d’œil. « Mais je vous rejoins, être en pleine lumière permet de cacher beaucoup de choses dans son ombre après tout. »
Les propos de la jeune femme témoignaient d’une certaine… connaissance des arts de la dissimulation. Naël n’en était pas sûr bien évidemment, mais elle avait l’air à l’aise avec le sujet. Autant qu’elle avait l’air à l’aise avec d’autres membres de la guilde. Depuis qu’elle avait deviné le métier de l’ancien marchand, la conversation était devenue nettement plus légère. Ce n’était pas pour déplaire au jeune homme, même si lui ne partageait pas forcément le même avis qu’elle. Pour Naël, la guilde représentait certes de franches idées de camaraderie et de fraternité, mais elle n’était pas non plus sa famille. Il était entré dans la guilde pour des raisons bien précises et ne l’avait jamais caché. Ainsi, il s’agissait plus pour lui d’un moyen que d’une fin.
Pour ce qui était de ses pouvoirs, là non plus Naël n’avait pas menti. Il ne se considérait toutefois pas comme totalement perdu ou déboussolé sans. Après tout, quelque chose qu’il n’avait jamais connu ne pouvait pas lui manquer. Le jeune homme avait déjà à sa disposition d’autres qualités qui lui permettaient largement de survivre et de mener à bien son métier. Rien d’exceptionnel bien évidemment, ou rien que d’autres ne faisaient mieux que lui.
« Oh, j’ai des atouts, je ne m’en cache pas. » Répondit-il, légèrement taquin. « Simplement, ces derniers ne sont nullement aussi incroyables ou exceptionnels que ceux d’aventuriers de plus haut rang. Quant à partir en mission ensembles… pourquoi pas, si vous avez un jour besoin de renforts ! »
Alors, Naël jeta un œil sur sa plaque. Ses traits trahirent un instant la surprise, puis l’amusement. Sa plaque à lui ne contenait aucune information particulière, si ce n’était qu’il était surtout considéré comme un combattant. Il la fit néanmoins glisser vers la jeune femme, avant de la regarder avec un air rieur.
« Contrôleuse d’éthique alors ? En quoi cela consiste-t-il ? Vous vérifiez que vos pairs restent polis avec la clientèle ? » La taquina-t-il.
Puis il embraya sur ses atouts. Kasha ne put retenir un petit rire :
- Oh, d'accord, d'accord. Visiblement, je ne fais que me tromper, aujourd'hui ! Et pour ce qui est de se comparer avec les autres... Personnellement, franchement, j'évite. Sinon, je me sentirais vite nulle !
Peut-être un autre point commun ? Quelque chose lui disait qu'elle serait vite fixée. Elle répondit d'un hochement de tête à ce qu'il eut à répondre à sa propre proposition. Si un jour elle avait besoin d'aide, elle tâcherait de penser à lui.
Et, évidemment, il commenta sa plaque. Franchement, un jour, il faudrait qu'elle rouvre les négociations pour effacer cette mention. Certes, c'était son activité la plus pratiquée, mais ce n'était en rien son activité principale ni même ce qu'elle préférait ! Néanmoins, c'était elle qui lui avait donné cette information. Indirectement, certes, mais cela ne changeait rien aux faits. Elle lui devait donc des explications. Alors, s'assurant que personne aux tables voisines ne les écoutait, elle se rapprocha de lui.
- Je suis envoyée par des commanditaires dont j'ignore tout pour aller vérifier dans les papiers des cibles qu'on me désigne qu'ils n'entretiennent aucune activité illégale ou louche. En gros, je déblaie le terrain pour des enquêtes plus poussées, si vous voulez.
Puis, abandonnant la discrétion supplémentaire qu'elle avait prise au cas où un potentiel commanditaire ou une potentielle cible se trouve dans les environs, elle soupira :
- Mais je n'aime pas cette partie de mon travail. Parce que la plupart du temps, on m'envoie voir des citoyens parfaitement respectables, qui n'ont rien à se reprocher. Et quand je tombe sur un vrai criminel ou futur criminel, ce n'est pas moi qui mène l'enquête approfondie. Dans tous les cas, ce n'est pas très gratifiant. Je préfère vraiment les vraies infiltrations, qui me font prendre un vrai rôle, et interagir directement avec mes cibles ou leurs proches. J'aime communiquer, et pas me contenter d'agir dans le dos des autres.
Elle avait à peine terminé son monologue que Nox décida que les deux humains avaient assez parlé. Alors, après avoir un peu tiré les cheveux de Kasha pour attirer son attention, il quitta les lieux, sans même s'assurait qu'elle suivrait. Peut-être parce qu'il savait qu'elle le ferait...
Elle soupira.
- Bon, vous m'excuserez, j'ai un chaton à récupérer. Peut-être pourrons-nous nous revoir plus tard ? Si Lucy le veut...
Néanmoins, avant de partir, elle déposa sur la table les cristaux qui devraient à peu près correspondre au prix de leurs consommations. Puis elle s'élança à la suite du petit diable, notant mentalement qu'elle devrait lui apprendre les bonnes manières, à l'avenir...