Depuis le déplacement du Fenrir, Ralia avait été bien plus sollicitée que d'habitude, ce qui avait pour conséquence, entre autres, qu'elle dormait peu. En effet, lorsqu'il ne fallait pas aller éplucher les bibliothèque pour tout apprendre sur les espèces pouvant désormais venir découvrir Aryon, il fallait aussi aller sur le terrain pour se rendre compte de la réalité, recenser les animaux encore inconnus, et compléter les informations, souvent partielles et incomplètes, quand elles n'étaient pas complètement fausses et légendaires, disponibles à leur sujet. Voilà pourquoi, en cette journée que n'importe qui pourrait trouver parfaite, Ralia ne voyait pas le soleil, elle qui, une fois de plus, n'avait pas dormi, passant la nuit à éplucher les différents ouvrages traitant des Crinitus, que certains trouveraient élégants, d'autres impressionnants, ou encore effrayants. Pour elle, ce serait simplement l'objet d'études du lendemain. En effet, elle devait aller recenser ces étranges dragons.

Alors, elle s'était munie, avant tout, d'une sarbacane et d'un nombre conséquent de fléchettes soporifiques. Elle avait en effet l'habitude de s'en servir si l'animal devenait agressif. Endormi, il ne pouvait pas lui faire de mal... Mais il était également sans défense, c'est pourquoi, une fois son travail effectué, elle restait aux côtés des bêtes qu'elle endormait jusqu'aux premiers signes de réveil, afin de s'assurer qu'aucun prédateur (braconniers compris) ne profitait de leur faiblesse pour les exterminer. Peut-être cette méthode était-elle l'une des raisons de son retard dans ses tâches, mais peu lui importait. La sécurité animale avant tout.

Il lui fallut plusieurs heures de marche pour en trouver un. Enfin, pas exactement. Elle sentit plutôt un souffle caractéristique lui ébourriffer les cheveux. Elle laissa échapper un grognement. Pourquoi ne s'était-il pas attaqué plutôt à ses vêtements ? Peu lui importait d'être "mal habillée" du point de vue de tous ces gens qui se croyaient mieux qu'autrui, même si personne ne lui avait jamais fait de telle remarque, mais ses cheveux, eux, faisaient sa fierté. Alors, se maudissant de ne rien avoir pris pour les demêler, elle entreprit de les détresser, dans le but de refaire sa tresse du mieux qu'elle le pourrait par la suite, même sans accessoire de coiffure.

Elle avait à peine terminé de défaire sa coiffure et de passer ses doigts dans ses mèches améthyste pour les démêler avec les moyens du bord, que le propriétaire du souffle passa devant elle. Il passa rapidement, sans la voir, mais elle eut le temps de remarquer sa blessure. Une blessure par flèche... Notant quand même mentalement qu'il y avait au moins un Crinitus dans cette forêt (après tout, c'était pour ça qu'elle était là), elle s'assit sur une branche non loin. Aucun animal ne fuyait sans raison. Et la raison en question, si elle en croyait son expérience, ne tarderait pas à se montrer. Elle n'avait donc qu'à attendre. Alors, pour s'occuper les mains, elle entreprit de refaire sa tresse, se demandant déjà comment elle allait arrêter le braconnier qui, pour elle, avait tiré cette flèche et poursuivait à présent probablement sa cible. Devrait-elle lui faire du charme ? Non, les braconniers ne méritaient pas une telle attention. Le menacer ? Elle n'était pas en position pour ça. L'induire en erreur ? Si l'animal était réellement sa cible, il n'aurait pas besoin d'elle pour savoir où il était. Alors, il ne lui restait qu'une solution. Elle servirait de bouclier humain.

Elle n'en était qu'à la moitié de son ouvrage manuel lorsqu'elle tomba nez-à-nez avec le fameux braconnier, son arc à la main. Avec un soupir, elle abandonna son oeuvre inachevée. Un but plus important l'attendait. Se relevant, lentement, sûre d'elle, elle s'approcha, tout aussi lentement. Puis, lorsqu'elle fut assez près, elle posa un doigt sur la poitrine de l'homme, et, tentant de le faire reculer par son assurance plus que par la force inexistante du faible point de contact, elle déclara :

- Et pourquoi cherchez-vous un crinitus ? Ne savez-vous pas qu'ils ne vivent pas par ici ? Vous perdez votre temps, pauvre idiot !

Elle avait peut-être eu un ton un peu plus violent que ce qu'elle voulait. Mais aucune chance qu'elle s'en veuille. Les braconniers ne méritaient aucun respect.

Bon. Il ne se laissait pas faire. Mais de son côté, elle n'allait pas se laisser amadouer pour autant. Il voulait jouer la carte de la familiarité ? Très bien. Même si cela avait été pour obtenir toutes les informations possibles afin de garantir l'arrestation d'un groupe entier, elle avait vécu des années parmi des braconniers. Et elle était d'ailleurs assez fière de ce qu'elle avait pu accomplir avec toutes les informations récoltées. Alors, ce fut tout naturellement qu'elle lâcha :

- À d'autres. Je vous connais, vous, les braconniers. Et il est hors de question que je vous laisse faire.

Mais ce n'était pas possible, il était buté, celui-là ! Et il osait, en plus de l'accuser de mentir, la... Pardon ? La... Remercier ? Elle devait avoir mal entendu... Elle l'insultait, il la remarciait. Elle avait conscience que cela pouvait être de l'ironie, mais même ainsi, elle le trouvait bien trop sûr de lui. Dans d'autres circonstances, le changement de couleur de ses yeux, signe évident de son pouvoir, l'aurait intriguée. S'il étaient proches, si elle lui faisait confiance, elle pourrait même se laisser aller à le questionner à ce sujet. Mais tel n'était pas le cas. Elle se trouvait face à un braconnier, la pire espèce possible d'êtres humains. Par conséquent, il était hors de question qu'elle le laisse s'en sortir aussi facilement. L'espace d'un instant, elle pensa à ses fléchettes. Mais premièrement, elles étaient réservées aux animaux, et puis, sa sarbacane n'était censée être qu'un outil de travail, et en aucun cas elle ne la voyait comme une arme. Néanmoins, elle ne sortait jamais sans défense. Bon, elle n'était partie que pour un recensement, pas pour arrêter des braconniers, donc elle n'avait pas voulu s'encombrer des armes imposantes avec lesquelles elle aurait été plus crédible en position d'intimidation. Grossière erreur. Néanmoins, elle pouvait toujours tenter autre chose.

Il lui tournait le dos, elle put donc aller récupérer dans sa botte la fine lame qui s'y cachait. Encore une fois, ce n'était pas censé être utilisé comme une arme. C'était simplement une sorte d'aiguille de métal, mais bien plus tranchante, dont le but était de pouvoir défaire rapidement et proprement un piège de braconniers pour pouvoir en retirer un éventuel captif. Ce serait son arme de dissuasion, ou plutôt de menace.

S'approchant silencieusement, elle le plaqua contre elle, appuyant doucement sa lame sur son cou, jusqu'à faire couler un léger filet de sang. Puis elle siffla, passablement agacée :

- Je vous déconseille de bouger, pour votre propre sécurité. Vous allez me dire immédiatement ce que vous voulez à cette pauvre créature, puis vous éloigner bien gentiment. Ou alors, je vous escorterai jusqu'au poste de garde le plus proche.

Elle avait raffermi sa prise au maximum, et s'était arrangée pour que le moindre mouvement, ou la moindre tentative de mouvement, de la part du captif, enfonce un peu plus la lame dans son cou, sans que la demoiselle n'ait rien à faire. Ainsi, elle ne lui laissait qu'une échappatoire : les mots. Et ils avaient intérêt à être convaincants.

Il tentait de démentir ses accusations. Classique. Néanmoins, elle n'allait pas se laisser avoir. Il était vrai que son père avait agi avec un groupe et, malgré ce qu'elle avait dit, il s'agissait à peu près des seuls braconniers qu'elle connaissait vraiment. Oh, bien sûr, elle en avait affronté d'autres après l'arrestation de son père, mais ne s'était jamais vraiment renseignée à leur sujet, les voyant comme des êtres à repousser le plus vite possible, et n'ayant leur ayant donc jamais accordé assez d'importance pour se renseigner sur eux.

Lorsqu'il écarta sa main, elle commença par résister... Jusqu'à ce qu'il mentionne vouloir aider la créature. Alors, toute résistance s'évanouit et le laissa l'écarter. Puis elle fit également quelques pas pour s'éloigner de lui. Certes, elle avait l'habitude de la proximité physique avec des hommes, puisqu'il s'agissait de l'une de ses armes, mais à présent, elle avait les informations qu'elle voulait. Néanmoins, elle avait conscience que certaines personnes étaient douées pour mentir. Alors, tandis qu'elle retirait son gant pour s'en servir pour nettoyer le sang qui avait coulé sur sa lame, qu'elle rangea une fois nettoyée, elle indiqua :

- La blessure se refermera toute seule assez rapidement si vous ne faites pas de folie.

Puis elle prit un moment pour ranger son gant souillé dans ses affaires. Après quoi, elle se remit en route :

- Très bien, je vous guide. Mais sachez que même si vous êtes honnête et que vous êtes vraiment un chasseur, je n'ai pas confiance en vous. Au premier geste déplacé à l'encontre du crinitus, vous le regretterez. Au passage, je suis garde-chasse, et je suis plus indulgente pour les animaux que pour les humains. Donc faites attention à vous.

Cela devrait suffire à expliquer pas mal de choses. Alors, sans un regard de plus pour lui, sans chercher à savoir s'il la suivait, elle partit dans la même direction que l'animal. Bien sûr, elle savait que, s'il avait continué à se déplacer pendant qu'ils "discutaient", elle serait incapable de suivre la piste jusqu'au bout. Sauf s'il avait perdu du sang, qu'elle pourrait alors suivre. Et l'inconnu n'avait pas sa place dans ses plans : en effet, même dans l'optique où il ne lui avait pas menti, ce dont elle doutait, elle n'avait jamais su comment se comporter avec les chasseurs. Certes, son métier l'amenait à aller leur parler, entre autres pour leur indiquer quelles proies ils pouvaient chasser et lesquelles ils devaient absolument laisser tranquille, entre autres, les femelles pleines ou allaitantes et leurs petits, mais il restait néanmoins que, même s'ils suivaient ses instructions, par moralité ou par peur de la Garde, ils tuaient des animaux. Alors, même si leur activité était réglementée par des lois qu'elle connaissait parfaitement, elle avait du mal à se fier à eux.

"L'artiste" ? Elle retint un rire moqueur et tout sauf joyeux. Pour qui se prenait-il encore, celui-là ? Enfin, il avait raison. Ils auraient tout le temps de se crier dessus... Plus tard, lorsque la pauvre créature serait hors de danger. Alors, elle le suivit, bien forcée de reconnaître qu'il était plus doué qu'elle pour... Attendez. Quel pisteur digne de ce nom ne prenait pas le temps d'étudier les spécificités du terrain ? D'un autre côté, il semblait sûr de lui... Mais n'était-ce pas plutôt pour l'égarer afin de pouvoir aller tranquillement achever l'animal par la suite ? Néanmoins, il ne semblait pas réaliser qu'elle aussi était têtue. Elle ne le lâcherait pas d'une semelle tant qu'ils n'auraient pas retrouvé la créature. Et une fois que ce moment serait arrivé... Elle le surveillerait.

Il ne lui fallut pas longtemps pour mettre son plan à exécution. En effet, la créature les surprit par derrière. Bon, Ralia devait bien avouer qu'elle avait sérieusement envisagé l'idée d'esquiver la créature pour ne laisser que le chasseur auto-proclamé sur son passage. Néanmoins, quelque chose clochait. Malgré son allure impressionnante, le crinitus n'attaquait pas. Que se passait-il ? S'il ne comptait pas les attaquer, pourquoi avoir fait une telle manoeuvre pour les surprendre ? D'un autre côté, elle était censée savoir qu'il était inutile de tenter de comprendre un animal blessé, la douleur pouvant altérer leur jugement...

Par contre, un animal dont, elle en était certaine, elle ne comprendrait jamais le comportement, c'était l'humain. Pourquoi donc cet imbécile s'était-il interposé ? Avec un soupir, elle sortit sa sarbacane et deux fléchettes, qu'elle avait pris soin de remplir de calmant avant de partir. Puis, d'une pression de la main sur l'épaule de l'homme, elle l'invita à s'écarter pour prendre sa place, alors qu'elle projetait coup sur coup ses deux fléchettes en direction du mastodonte. Chacune d'elles atteignit précisément la cible qu'elle visait pour elle, soit deux espaces sur le corps de l'animal où la chair était épaisse, afin de limiter la sensation de douleur tout en permettant au produit d'atteindre le sang de la créature, une fois libéré par les fléchettes. Puis, rangeant sa sarbacane, elle expliqua calmement à son acolyte improvisé :

- Il va falloir attendre quelques minutes. Je viens de lui injecter un calmant, il sera bientôt profondément endormi, ce qui nous permettra de le soigner sans lui faire mal. C'est une sorte d'anesthésie, si vous préférez.

Puis, sans peur, elle s'approcha de l'animal. Ce dernier, n'étant pas encore endormi, tenta de reprendre sa posture d'intimidation, mais le résultat fut pitoyable, le produit, qui commençait à faire effet, l'ayant affaibli. Elle lui chuchota des paroles apaisantes tout en continuant à approcher, plus lentement. Lorsqu'elle fut assez près, elle s'assit à ses côtés et, d'un geste méthodique, passa une main dans ses plumes. Ce geste, elle l'avait déjà fait des milliers de fois. À chaque fois qu'elle devait recenser une créature, en fait. C'était un geste qui s'apparentait à une caresse, mais qui avait en fait une fonction bien plus utilitaire. En effet, en entrant ainsi directement au contact de la peau de l'animal, et en répétant l'opération sur l'ensemble de son corps, elle pouvait découvrir de potentielles blessures cachées. C'était essentiel pour effectuer un premier diagnostic concernant l'état de santé d'un animal. Elle n'avait de toutes façons pas les compétences pour définir précisément une quelconque maladie, mais une blessure ou une résistance due à une douleur, ça, elle pouvait le détecter. Et, comme d'habitude, pendant l'examen, elle fut si concentrée qu'elle en oublia les alentours.

En raison de la taille de l'animal qu'elle examinait, l'opération, qu'elle effectua avec autant de minutie qu'elle en avait l'habitude, lui prit un long moment. Mais, au moins, une fois l'examen terminé, elle était certaine que l'anesthésie faisait pleinement effet. Alors, revenant au monde extérieur, elle se releva et se tourna vers celui qu'elle devait, qu'elle le veuille ou non, considérer comme son collègue. Et elle lui livra ses conclusions :

- Il ne souffre d'aucune autre blessure. Par contre, il souffre tout court, sans que je puisse déterminer si c'est dû uniquement à la flèche ou s'il y a autre chose, quelque chose qui ne serait pas détectable sans outils adaptés.

En parlant de flèche... Elle s'approcha de l'aile blessée. Pendant un moment, la demoiselle observa l'arme fichée dedans, puis retourna vers l'homme un regard ayant retrouvé toute sa méfiance. Le moment était venu de déterminer qui était le coupable. Et si cet homme était aussi innocent qu'il le prétendait, elle aurait un braconnier à traquer, avec une preuve aussi indiscutable que l'arme du crime.

- Les chasseurs savent retirer les flèches, non ?

Puis, se donnant l'air de lui laisser sa place, elle s'éloigna... Et passa derrière lui.

- Vous permettez ?

Sans même attendre de réponse, elle lui subtilisa une flèche, qu'elle se mit à étudier, en attendant qu'il retire celle qui n'aurait jamais dû se trouver en un tel lieu. S'il était son coupable, elle le saurait très vite.

Alors qu'elle examinait l'animal, son collègue improvisé, lui, avait dû se charger de l'environnement, puisqu'il lui indiqua qu'ils devaient se trouver près du territoire d'un fostis. Pas étonnant que sa trajectoire ait changé, si tel était le cas. Les animaux savaient le remarquer, quand ils n'étaient pas désirés. Et le combat n'était souvent qu'une solution de secours, utilisée quand aucune autre possibilité n'avait marché. Préférer la fuite, oui, cela lui semblait plausible. Elle hocha la tête pour exprimer son accord, avant d'enchaîner :

- Mais il vaudrait mieux ne pas s'attarder de toutes façons. Dans une heure, notre ami devrait se réveiller, et on pourrait en profiter pour s'éloigner. Inutile de faire peur plus que nécessaire à un oiseau dans ce genre.

Même s'il faisait jour, même si ce n'était pas la saison des amours, Ralia préférait être prudente. Alors, oui, elle avait ses fléchettes, et oui, elle était plutôt bonne viseuse, mais chercher à viser un point précis sur une cible se mouvant aussi vite qu'un oiseau... C'était compliqué, même pour elle. Et puis, dans tous les cas, si elle pouvait éviter d'endormir un animal, elle le faisait. Oh, bien sûr, son produit ne pouvait pas leur faire de mal, mais les prendre pour cible était quelque chose qu'elle n'aimait pas tant que ça. D'ailleurs, en y repensant... Pourquoi avoir endormi celui-là ? Bon, d'accord, il fallait le soigner, donc dans tous les cas, elle aurait dû le faire, pour lui éviter de souffrir, mais... Pourquoi à ce moment-là ? Pourquoi l'avoir empêché d'attaquer cet homme ? Et surtout, pourquoi ne pas avoir pris le temps de vérifier s'il voulait attaquer l'homme, ce qui n'était même pas sûr ?

Enfin. Tout cela appartenait au passé, à présent. Ignorant les protestations de l'humain, elle le regarda retirer la flèche. Elle grimça lorsqu'il sortit le couteau et amorça un geste pour l'empêcher de s'en servir sur la chair de l'animal, touchant presque son bras, lorsqu'elle parvint à se raviser et se recula sans même l'avoir effleuré. Néanmoins, elle ne le quittait pas des yeux, la main traînant près de sa botte. Juste au cas où.

Finalement, elle ne put retenir un soupir de soulagement lorsqu'elle réalisa qu'elle n'aurait pas besoin de ressortir sa lame. Alors, gardant toujours la flèche qu'elle avait volée dans une main, elle alla ramasser celle au sol de l'autre. Puis elle les compara. Enfin, plutôt, elle amrça le geste de comparer. Il y avait tellement peu de points communs que ce fut vite fait.

Lorsqu'il reporta son attention sur elle, elle lui rendit sa flèche.

- En effet, vous n'aviez rien à voir là-dedans.

Néanmoins, si cette personne était innocente... Il y avait un braconnier qui courait toujours. Elle resserra sa prise sur l'arme du crime, à tel point que ses jointures en blanchirent. Elle hésitait. D'un côté, elle avait extrêmement envie de se lancer à la poursuite de l'archer à qui appartenait cette flèche, qui qu'il soit. De l'autre, elle devait aider son compagnon à prendre soin du crinitus. D'un autre côté... Elle était presque certaine, à présent, qu'il ne pourrait pas lui faire de mal. Mais elle ne savait rien du braconnier, hormis quelles flèches il utilisait... Et puis, elle était partie pour un recensement, et n'avait donc pas pris les armes nécessaires pour une traque au braconnier. Bien. Alors, ressortant le gant qu'elle avait déjà sali un peu plus tôt, elle s'appliqua à nettoyer la flèche du mieux qu'elle le put. Puis, l'air sombre, elle la rangea comme elle put parmi ses affaires.

- Dès qu'on n'a plus besoin de moi ici, je pars en chasse.

Cette phrase lui était surtout destinée à elle-même. Elle n'avait aucune idée de si le chasseur l'avait entendue, mais peu lui importait. Elle s'était trouvé une cible. Une vraie, cette fois. Une de celles qu'elle ne pouvait pas se permettre de négliger. Une qui, pour la retrouverait, lui demanderait de se préparer correctement puis de mener une véritable enquête. Peut-être devrait-elle, à contrecoeur, collaborer avec quelqu'un de plus doué qu'elle pour récolter des indices...

Toute à sa préparation mentale, elle en avait oublié l'environnement, les poings serrés, emplie de rage.

Rien ne la retenait ici ? Sérieusement ? Il n'avait rien compris, ou il le faisait exprès ?

- Je vais finir par croire que vous le faites exprès. C'est moi qui l'ai endormi, c'est à moi de veiller à ce qu'il ne lui arrive rien jusqu'à son réveil ! Imaginez, si demain, j'apprends qu'il a été massacré à cause de l'état de faiblesse dans lequel il est PAR MA FAUTE ? Hors de question que ça arrive.

Puis vint un monologue qui commença par l'agacer, et elle fut prête à répliquer vertement, lorsqu'elle se rendit compte qu'en fait, c'était peut-être de ça, qu'elle avait besoin. Qu'on lui remette les idées en place. Enfin, ça, c'est ce qu'elle pensait... Avant qu'il ne la force à le suivre. Elle aurait freiné des quatre fers si ce n'était pas pour la diriger vers leur protégé. Alors, au lieu de cela, elle se contenta de résister, tout en le suivant néanmoins. Une chose était sûre, il l'avait cernée. Elle pourrait s'inquiéter d'avoir été percée à jour aussi vite, mais d'un autre côté... Rares étaient les habitants du Village Perché qui ne l'avaient jamais vue auprès des animaux, et qui donc, ne savaient pas que c'était là qu'elle était la plus épanouie. Bon, d'accord, la plupart ne la comprenaient pas et la prenaient pour une illuminée, mais passons. Dès que sa main toucha les plumes, elle cessa d'écouter ces paroles qui semblaient ne jamais vouloir cesser de se déverser sur elle. Alors, telle la pluie, elle les ignora alors qu'elle passait de nouveau la main dans le plumage de l'animal, cette fois sans chercher de blessure. Simplement pour le plaisir. Comme elle le faisait, enfant, avec chacun des pinplumes du groupe, juste avant que... Non. Elle ne devait pas y repenser. Néanmoins, son esprit, vicieux, avait décidé de lui rappeler le jour durant lequel son éternelle croisade contre les braconniers avait commencé. Ce jour où elle s'était sentie trahie par son père, alors qu'il ne lui avait jamais caché son métier auparavant. Il lui avait simplement caché ce qu'il signifiait.

Puis son esprit dériva. Elle ne voyait plus les cadavres des pinplumes, elle s'élevait, entourée de mille oiseaux, qui lui semblaient des fleurs. Des fleurs ? Dans le ciel ? Avec des pétales faits en plumes ? Après tout, peu importait. Mais ce n'était pas logique...

Brusquement, elle se réveilla en sursaut. Se réveilla ? Depuis quand s'était-elle endormie ? Elle avait été très imprudente, sur ce coup. S'endormir, face à un inconnu, et tout contre un animal sauvage qui pouvait s'éveiller d'un instant à l'autre et la croquer juste après... Néanmoins, elle ne pouvait pas craindre un animal qui avait fait un si bel oreiller. Alors, elle passa ses bras autour du cou du dragon, ce qui la força à s'étirer au maximum pour pouvoir l'atteindre. Il aurait été plus simple de se déplacer, mais elle n'en avait aucune envie. Puis, enfouissant sa tête dans les plumes, elle lui chuchota :

- Merci à toi d'être là.

C'était aussi simple que ça.

D'un coup, quelque chose l'alerta. Elle ne savait pas quoi, peut-être un bruit, un mouvement, ou juste une intuition. Toujours était-il qu'en quelques secondes, elle fut debout, la flèche du braconnier tenue telle une épée brandie devant elle. Son esprit encore confus de ce sommeil non prévu n'avait toujours pas reconnecté ses sens et elle ne savait pas qui ou ce qu'elle avait devant elle, ni même si elle était face à quelqu'un ou quelque chose. Mais il était hors de question qu'elle reste inactive le temps que les brumes de son esprit se dissipent. Si quelque chose menaçait le crinitus, elle serait là pour le défendre.

Une voix. Elle connaissait cette voix. Mais à qui appartenait-elle ? Elle ne pensait pas que ce soit l'un des idiots du Village Perché qu'elle aimait s'amuser à taquiner. Ce n'était pas non plus son père, évidemment. Lui, elle l'aurait reconnu immédiatement... Et n'aurait pas baissé son arme improvisée, comme elle le faisait actuellement, alors que ses sens lui revenaient progessivement. Ah. Oui. C'était... Le chasseur. Dont elle ignorait le nom. Alors qu'elle commençait à se morigéner pour l'avoir menacé alors qu'il y avait de fortes chances que ce soit lui qui soit revenu, il commença à lui faire la leçon. Alors, d'accord, elle n'était pas une experte, mais elle connaissait les bases de tous les types d'armes. Alors, piquée au vif, elle s'avança vers lui :

- Laissez-moi vous montrer si je suis aussi ignorante que vous semblez le penser. Vous permettez ?

Elle avait posé la main sur l'arc du chasseur en posant sa question. Néanmoins, elle attendit son accord pour le prendre et encocher la flèche qui lui servait à beaucoup de choses, dernièrement : pièce à conviction, arme de dissuasion peu efficace, à présent, l'utilité qu'elle était vraiment censée avoir, à savoir, projectile d'arc... Et, se vidant la tête, elle se concentra sur un arbre, quelques mètres plus loin. Elle n'était peut-être pas une experte de l'arc, mais elle savait parfaitement viser. Alors, avec assurance, elle tira. La flèche toucha le point exact qu'elle avait visé sur le tronc, sans pour autant y rester. Le projectile finit par terre. Laissant l'arc dans la main de son propriétaire, elle alla récupérer sa flèche.

- Alors ? Verdict ? Je ne suis pas si nulle que ça, n'est-ce pas ?

Puis elle se retourna pour étudier la réaction du chasseur... Qui avait disparu. Ainsi que l'animal. Elle grogna.

- Ah ben d'accord. De rien, hein.

Bon, après tout, ce n'était pas si mal, d'avoir été ainsi abandonnée. Sortant son calepin qui l'accompagnait durant ses recensements, elle nota toutes ses observations au sujet du crinitus. Ainsi que le fait qu'il allait probablement se lier à un humain... Dont elle nota également tout ce qu'elle savait. Après tout, retrouver l'humain, s'il se liait réellement à ce spécimen, permettrait également d'étudier ce dernier sans perdre de temps à se demander s'ils le connaissaient déjà. Que ce soit elle ou l'un de ses collègues qui s'en charge, raison pour laquelle elle fut aussi précise que possible.

Puis elle alla déspoer ses informations dans la cabane qui leur servait de point de ralliement, avant de rentrer chez elle. Peut-être pourrait-elle finalement dormir, cette fois.