Tout en observant la surface miroitante du lac qui se déployait devant elle, vaste étendue limpide où se reflétaient, dans un parfait miroir, les aspérités neigeuses des montagnes le ceignant, Dahlia se demanda dans quoi elle s'était engagée. Citadine depuis toujours, à Capitale dans les premiers temps de sa vie puis à Forteresse depuis plus récemment, elle n'avait qu'une connaissance bien moindre des milieux naturels et des particularités des espèces les peuplant. Aussi, la garde se trouvait presque totalement ignare au sujet de ces fameux canards, et n'était que peu certaine de pouvoir les distinguer parmi le panel des différents oiseaux aquatiques - foulques, oies bernaches et autres poules d'eau. Il en était de même pour Keruberosu, son fidèle canitribus l'accompagnant, habitué à la faune urbaine mais bien moins à celle de ce présent lac de montagne.

Et pourtant, Enola et elle étaient bien décidées à remporter ce concours, car il en allait de la réputation du Blizzard, s'étant inscrites pour faire honneur à leur régiment. Cette activité, aux enjeux pourtant peu élevés, aiguillonnait leur sens de la compétition car elle présentait un nouveau défi à relever pour ces deux jeunes gardes, à des lieux de leurs missions habituelles. Elles n'allaient pas laisser ces aventuriers - dont certains semblaient bien trop confiants, et s'autorisaient même à les toiser avec un air suffisant - s'en sortir à si bon compte. Acquiesçant à la proposition d'Enola qui succéda au top départ, Dahlia lui répondit :

« Prenons nos distances en effet, afin que tu puisses employer ton pouvoir dans de bonnes conditions. Penses-tu pouvoir reconnaître le cancanement d'un canard ? Enfin, si l'on s'oriente vers le mauvais oiseau, on pourra toujours procéder ensuite par élimination… »

Elles ne perdraient rien à essayer, et leurs déconvenues n'en seraient qu'instructives.

« Keruberosu va se scinder en trois, afin de nous aider à couvrir davantage de terrain. Je pourrais emprunter la vision, l'ouïe ou l'odorat de chacune de ses entités canines au besoin. »

Ce faisant, le familier à trois têtes de Dahlia se décupla en trois chiens distincts, l'un deux - Keru - restant auprès d'elles, tandis que les deux autres - Bero et Su - partaient explorer les environs de leur côté. Si Dahlia avait la capacité d'emprunter ses sens, elle ne pourrait le faire que ponctuellement, car cela la priverait de ses propres sens en cours d'emploi. Avec l'ouïe exacerbée d'Enola et ce pouvoir, elles mettaient davantage de chance de leur côté, et parviendraient peut-être trouver le canard tant recherché... En revanche, elles restaient limitées par leur connaissance des particularités, anatomiques ou comportementales, de cette espèce, et n'étaient pas épargnées du risque de se tromper de volatil.

« Je ne m'y connais pas vraiment, en canard, mais je sais une chose : chez les colverts, il n'y aurait que le mâle qui possède des plumes émeraudes… La femelle, quant à elle, arbore un plumage brun, semblable à des feuilles mortes. »

Il n'y avait plus qu'à leur souhaiter bonne chance.

Alors qu'elles s'avançaient sous le couvert des frondaisons du bois bordant le lac, baignées par la lumière éparse filtrant jusqu'à elles par-delà la canopée, Dahlia apprécia l'odeur sucrée des pins environnants se distillant dans l'air. Tout comme la quiétude qui émanait de ce sanctuaire champêtre, et qui semblait inaltérable. Elle regrettait de ne pas réaliser davantage de sorties dans les environs, et de rester cantonnée dans l'enceinte des contreforts de Forteresse, engoncée dans son quotidien citadin. Cela la desservait, présentement, tant elle se sentait démunie pour mener à bien leur présente mission.

« Bonne idée pour le ruisseau, avec un peu de chance il ne sera pas gelé, contrairement au lac… » Ce dernier n'était en effet qu'un ample disque de givre impropre à être arpenté par des canards, à moins qu'ils ne fussent friands de patinage.

Enola évoqua l'utilisation imminente de son pouvoir et Dahlia acquiesça, pleine d'espoir, avant de s'efforcer d'être le plus silencieuse possible. Elle ne souhaitait pas déranger son amie, ni provoquer des interférences alors qu'elle déployait son ouïe à un niveau hors du commun. La garde se demandait comment cela devait être, de percevoir tous ces sons -  le froissement des ramures, le pépiement guilleret des oiseaux, le bourdonnement fugace des insectes, la clameur cristalline d'un cours d'eau... - de façon aussi démesurée. Cela devait donner l'impression d'accéder à un niveau supérieur de conscience… et sûrement engendrer une sacrée migraine, de surcroît. Elle lui demanderait davantage de détails, à son retour à la normale.

Enola ayant les yeux clos durant son état de Sluha, Dahlia préféra rester à ses côtés et veiller sur elle, au cas où un danger ou une créature viendrait à leur encontre - après tout, il y avait bien plus que des inoffensifs canards ayant pour habitat les forêts du nord, et il aurait été fâcheux de croiser la route d'un sanglier des montagnes, voire d'un grognours. Pour employer son temps à bon escient, Dahlia choisit pour sa part de se priver de son ouïe - celle de son amie étant suffisamment décuplée pour deux - afin d'emprunter celle de Su. Il s'agissait de la plus courageuse personnalité des trois entités qui constituaient son canitribus, et elle avait donc bon espoir qu'il soit sur une piste intéressante. Mais ce qu'elle entendit au travers de ses oreilles duveteuses la fit tomber des nues.

¤ « On a bien fait d'installer ces filets en avance, c'est un sacré gain de temps, moi j'te l'dis ! » ¤

¤ « Clairement, on a plus qu'à faire le tour des pièges installés, et prier Lucy de tomber sur un satané canard. Ce concours, c'est la même tannée chaque année. » ¤

Manifestement, il y avait des tricheurs parmi les compétiteurs. Mettant fin à son partage de sens, elle attendit qu'Enola stoppe également son pouvoir pour lui faire part de ses découvertes, attendant également de connaître les siennes avec impatience.