Les gazouillis des oiseaux parvenaient docilement jusqu'à mes oreilles, la fenêtre de mon bureau ayant été laissé ouverte par l'une de mes deux servantes. De mauvaise foi, mal luné, j'avais décidé que ces sons étaient agaçants... Bien trop joyeux pour coopérer avec mon humeur cadavéreuse. Lentement, j'avais passé ma main droite, celle encore humaine, sur mon visage fatigué, me réveillant à peine d'une sieste imposée par l'excès de travail. Être noble n'offre que l'illusion d'une vie facile et tranquille... Être un pilier dans le domaine du divertissement ne rend pas le quotidien plus amusant pour autant... Le plus épuisant dans mon existence est de ne pas mourir d'ennui. Fort heureusement pour ma prétentieuse personne, l'être humain est une source inépuisable d'inspiration et d'imagination... D'un autre côté, les humains sont aussi des bouffons prévisibles... Je m'extasie donc des exceptions.
On avait toqué, trois petits coups suivis de l'ouverture de la porte. Une femme en tenue de servante s'était alors inclinée légèrement et respectueusement en entrant dans l'encadrement. Ses yeux et les traits de son beau visage s'abstiennent toujours de toute expression. Impossible d'anticiper ce qu'elle allait dire... Cette jeune femme ne trahissait jamais rien. J'en étais venu à considérer que c'était cela, son pouvoir de naissance.
- « Excusez-moi, Maître Crownfall. Un visiteur vous attend dans la salle du thé. » Annonça-t-elle.
- « Ça m'emmerde... Je n'attends personne. » Grognais-je, mes traits s'orientant vers une grimace inutile de dégoût. « Remballe-le, Natcha. »
- « Bien, Maître Crownfall. Je vais de ce pas mettre à la porte votre ami Naël Leoxses et ses nouvelles trouvailles. » Avait-elle répondu avant de s'incliner à nouveau.
- « Pourquoi n'as-tu pas juste commencé par ça... » Soupirais-je, me faisant, une fois de trop, encore avoir.
Nul besoin d'artifice comme mon fidèle manteau ou de songer à cacher, d'une quelconque manière, mon apparence disgracieuse. Mon invité surprise connaissait l'incohérence de mon corps hybridé. Loin d'être un indésirable que la courtoisie m'obligerait à accueillir avec un semblant de convivialité, l'individu en question était une véritable plaisance dans cette journée monotone rythmée par la paperasse et l'ennui.
- « Tien donc... Qui voici. » Lançais-je en guise d'introduction, adossé à l'encadrement droit de la porte grande ouverte, tirant un large sourire sur mes lèvres. Sans plus de cérémonie, j'avais pénétré le petit salon réservé à mes entretiens préférés, offrant un geste de la main à l'homme pour l'inviter à s'installer confortablement sur l'un des sofas. - « Soyez le bienvenu dans mon humble domaine Naël Leoxses, cela fait... Longtemps ? Je présume ? » Aucune idée. J'avais porté ma main droite à ma poitrine, m'inclinant poliment avant de me laisser tomber de manière désinvolte dans le canapé face à l'aventurier. - « Quelles merveilleuses aventures avez-vous amené avec vous, cette fois-ci ? » M'impatientais-je, tel un enfant attendant une surprise.
Il lui fallait donc un informateur. Des hauts gradés ? Peu de chance, Naël n’entretenait pas de très bonnes relations avec ces figures d’autorité, et, généralement, ils étaient suffisamment intelligents pour rester muets comme des tombes. Les aventuriers de rang Saphir ? Même topo, trop peu de chance d’en retirer la moindre information, d’autant qu’ils n’étaient pas vraiment du genre disponibles. Non… En réalité, l’option la plus intéressante et la plus pertinente était sans nul doute de profiter de l’opulence aristocratique. Pas la grande noblesse, non, ce n’était pas nécessaire. Naël était plus que certain que beaucoup d’informations avaient déjà fuité lors de banquets, d’orgies ou des diverses soirées organisées par la haute société. Et c’était un excellent début…
Il ne lui restait alors qu’à trouver quelqu’un capable de réunir ces informations, et, pour ça, Arius était absolument parfait. Beaucoup auraient considéré que le noble n’était pas des plus fiables – et sans doute était-ce un peu vrai – mais Naël n’était pas assez stupide pour considérer que son homologue lui rendrait un service sans rien n’escompter en retour. Et c’était sans doute en ça que les deux protagonistes s’entendaient. Ils comprenaient l’art du troc, de l’échange équivalent, et c’était sans nul doute ce qui leur permettait de collaborer sans s’entretuer.
Alors, Naël avait prit la décision de se rendre lui-même à son manoir, sans nécessairement s’annoncer. L’effet de surprise était toujours bon à prendre… surtout que le jeune homme possédait un cadeau qui devait éveiller l’intérêt d’Arius. Après le long chemin à travers la forêt qui menait au manoir, l’ancien marchand fut conduit par une charmante servante jusqu’à un salon qu’il connaissait plutôt bien. Détendu comme peu l’étaient dans l’attente de l’arrivée du noble, Naël inspecta doucement la pièce, marchant et posant ses yeux sur chaque objet. Dans tous les cas, son interlocuteur ne tarda pas et son attitude désinvolte arracha un sourire au jeune homme. Décidément il n’avait pas changé… Il le laissa finir sa litanie, avant de s’assoir à son tour, son regard ambré planté dans celui du noble.
« Sire… Comte ? Duc ? J’avoue ne plus savoir quel titre de noblesse te donner, Arius Crownfall. Néanmoins, je suis heureux de te voir. » Fit-il en souriant.
L’apparence insectoïdes d’Arius n’avait jamais dérangé Naël, et il n’attardait pas son regard sur les appendices griffus de son ami. Il s’installa confortablement, croisa les bras tout en s’appuyant sur son dossier.
« Je crains ne pas avoir beaucoup d’aventures à te conter cette fois-ci. » Commença-t-il, un peu énigmatique. « Néanmoins, tu seras sans doute ravi d’apprendre que je ne viens pas pour rien. Je sais à quel point les amabilités et simples politesses te fatiguent, et pour cause je n’aime pas vraiment m’en encombrer non plus. Alors… dis moi Arius… Tu as entendu beaucoup de rumeurs sur les royaumes du Nord récemment ? »