- Ralia ? Tu pourrais aller faire un tour en forêt ? Juste pour un contrôle, je ne peux pas le faire aujourd'hui.

Elle soupira. Néanmoins, elle ne pouvait pas refuser ce service à son collègue. Et elle le savait. Alors, sans un mot, elle s'en alla. Mais son compagnon savait qu'elle ferait ce qu'il lui demandait, sa conscience professionnelle l'empêchant de le planter là comme elle en mourait d'envie.

- Merci !

- Oui bon, n'insiste pas, non plus !

- Oh, pardon.

Néanmoins, en lui jetant un coup d'oeil, elle le vit rire. Nouveau soupir. Décidemment, les hommes... Tous des idiots. Enfin. Peu importait, elle devait donc aller vérifier que tout se passait bien dans la forêt. Une opération de routine, en soi. Si elle savait !

Cela faisait à présent quelques heures qu'elle se promenait, n'ayant rien trouvé à signaler. Et c'était tant mieux. Les braconniers se tenaient tranquilles, les promeneurs respectaient les règles et aucun chasseur en vue. Alors, peut-être qu'à cause du manque de stimulation, les sens de Ralia s'étaient émoussés, ou qu'elle s'était rendue coupable d'un abus de confiance. Toujours était-il que, lorsqu'elle perçut un mouvement à la limite de son champ de vision, elle réagit trop brusquement. Le louveteau qui s'était approché avec curiosité s'enfuit immédiatement.

- Non, attends ! Reviens !

Evidemment, ses cris eurent l'effet inverse de celui qu'elle visait, et l'animal continua sa fuite de plus belle. Soupirant, Ralia décida d'abandonner la poursuite. Après tout, si l'animal pouvait courir, c'était qu'il ne souffrait d'aucune blessure. Et s'il s'était approché si près d'elle, cela signifiait qu'il n'avait pas vécu de mauvaise rencontre lui ayant appris à se méfier des humains. Alors, tout était pour le mieux.

Enfin, c'est ce qu'elle se disait... Jusqu'à ce qu'elle le voie passer dans l'autre sens, une dizaine de mètres plus loin. Que se passait-il ? Il semblait avoir évité un espace... Ralia observa les lieux, confuse. Qu'est-ce qui l'avait donc ainsi repoussé ? Il n'y avait rien... Et pourquoi était-il revenu dans la direction d'où il était venu ? Etait-ce cette rivière qui lui faisait peur ? Y avait-il un coude, un peu plus loin, ou un gué, ce qui lui aurait permis de traverser ? Dans tous les cas, quelque chose ne tournait pas rond avec lui. Alors, elle s'avança, dans le but de le suivre. Mais elle, évidemment, elle pouvait compter sur ses jambes et son statut de bipède. Aussi, elle ne fit pas de détour, et se dirigea tout droit vers la rivière. Elle aurait pourtant dû étudier les lieux bien plus en détails. Car, tapie au pied d'un arbre proche de la rivière, une petite fleur avait mis en route sa défense insidieuse.

Bien vite, les brumes s'emparèrent de l'esprit de la demoiselle, qui finit par s'effondrer dans la rivière, sans vraiment avoir compris que la cause de tout cela était une simple fleur qu'elle n'avait pas vue... Cette journée commençait décidemment très bien.

Quelque chose de doux la soutenait. Etait-elle dans son lit ? Non, impossible, il n'était pas aussi confortable. Mais elle ne pouvait pas penser à un autre lieu... Quand, soudain, une pensée oblitéra tout le reste.

- Le loup !

Elle s'était redressée d'un coup. Le louveteau qu'elle avait effrayé, où était-il ? Alors qu'elle tentait de se relever, deux choses s'imposèrent à son esprit, qui la força à interrompre son mouvement et retomber sur le sol, un peu tro brusquement, lui arrachant une petite exclamation de douleur. Ces plumes... Cela lui disait quelque chose.

- Eh mais... On se connaît, non ?

Elle passa la main dans les plumes. Elle ne pouvait en être certaine, mais cette créature lui rappelait fortement celle qu'elle avait contribué à aider, quelque temps auparavant... Et c'est alors qu'elle remarqua une deuxième chose dérangeante. Elle était enveloppée, enfin, avait été enveloppée dans un vêtement, qui avait glissé suite à ses mouvements brusques... Mais qui, surtout, ne lui appartenait pas, ça, elle en était sûre.

- Qu'est-ce qui se passe, ici ?

Elle ne fit rien pour remonter le vêtement sur ses épaules. Il y avait trop d'inconnues dans cette équation. Et les chiffons n'avaient de toutes façons jamais fait partie de ses priorités. C'est alors qu'elle remarqua le feu. Hum... ça, ça n'existait pas dans la nature. Avait-elle été kidnappée ?
Alors qu'elle étudiait le feu, elle le remarqua enfin.

- Qu'est-ce que... Vous ?

Elle n'avait pu retenir un mouvement de recul. Que se passait-il, ici ? Pourquoi se réveillait-elle dans ce qui semblait être son campement ? Et quand s'était-elle endormie, d'abord ? Soudain, elle se souvint.

- Le loup... J'aurais dû lui faire confiance. Il avait senti quelque chose, c'est évident. J'espère juste qu'il va bien...

C'est alors qu'elle avisa ses propres vêtements, près du feu. Elle grimaça. Oui, vraiment, les chiffons, ce n'était pas son truc. Elle ne s'habillait que parce qu'il le fallait. Et le feu lui semblait soudain étrangement attirant...

- Il faudrait jeter ça au feu, au lieu de s'embêter à le faire sécher. Vous vous donnez du mal pour... Eh, mais...

Le chasseur était la seule autre personne humaine présente ici. Avait-il... certains fantasmes inavouables ? Etait-ce pour cela qu'il avait profité de son sommeil pour... alors, fixant sur lui un regard étrange, légèrement séducteur, elle lança :

- Je vois... Vous savez, il suffisait de le demander si vous préfériez cette autre tenue...

Disant ces mots, elle fit doucement glisser la cape, sans lui permettre de trop en laisser voir, mais elle avait décidé de s'amuser. Il s'était permis des libertés pendant son sommeil ? Elle allait entrer dans son jeu. Et n'était pas certaine de perdre. Si elle arrivait à lui faire perdre ses moyens, elle aurait gagné. Il s'attendait à la trouver effarouchée ? Certes, elle avait été perdue à son réveil. Mais à présent, elle comptait bien s'amuser à ses dépens.

Dériver ? Inconsciente ? L'espace d'un instant, son expression redevint sérieuse. Si ce qu'il disait était vrai, couplé à ce dont elle se souvenait... Alors, elle devait avoir déclenché par erreur le mécanisme de défense d'une plante quelconque. En effet, elle ne connaissait rien à la flore, une telle plante existait probablement, et il n'était donc pas étonnant qu'elle n'en sache rien. Cela aurait-il pu être l'oeuvre d'un animal ? Peut-être, mais les animaux ne prenaient la peine d'affaiblir un autre être que lorsqu'il s'agissait d'une proie. Et si tel était le cas, c'était une créature très douée en camouflage, car le seul animal qu'elle se souvenait avoir vu dans les instants avant de perde connaissance était ce loup, qui, elle en était certaine, ne disposait d'aucune magie. Alors...

Se débarrassant sans aucune gêne de la cape, elle s'examina minutieusement, en quête d'une blessure, qui pouvait se trouver n'importe où sur son corps.

Après un examen minutieux, utilisant la rivière comme miroir afin de pouvoir contrôler les zones échappant normalemnt à son regard, elle dut se rendre à l'évidence : sa peau était aussi parfaite qu'à l'accoutumée.

- Moui. Aucune blessure, ni plaie, rien. Ce qui veut dire... Une plante, aucun doute. Un animal n'aurait jamais affaibli une proie sans venir y goûter.

La remarque suivant lui arracha un rire sincère. Puis, prenant le temps de venir s'installer près de lui avant de répondre, prenant néanmoins, pour l'instant, soin d'y mettre assez de distance pour ne pas l'effleurer par erreur, elle lui exposa calmement sa façon de penser, l'observant avec douceur :

- Si j'étais l'une de ces sainte-nitouche qui pullulent en ville, peut-être. Mais au moins, vous ne pourrez pas m'enlever le fait que je suis honnête. Nous sommes seuls, je peux bien vous le dire. Les apparences m'importent peu. Les animaux se montrent tels qu'ils sont et ne passent pas leur temps à juger les autres. Je suis assez d'accord avec cette philosophie.

Lorsqu'il lui indiqua que ses actions avaient été motivées par quelque chose d'aussi terre-à-terre que sa santé, elle grimaça. Très bien, il allait falloir qu'elle lui apprenne à se détendre un peu. Néanmoins, lorsqu'il lui avoua ne pas avoir regardé, comme si l'inverse aurait été une honte, elle lâcha un rire espiègle :

- Et qu'est-ce qui vous fait penser que ça m'aurait dérangée ? Comme je l'ai dit tout à l'heure, vous pouvez vous permettre d'être honnête, je vous promets de ne pas vous juger.

Puis il lui tendit ses vêtements... Avec un sourire en coin, elle s'approcha, les récupéra, prenant soin, cete fois, de lui effleurer la main au passage, puis, elle observa son chargement, faussement perplexe.

- Plus pratique, ça ? Vraiment ? Je ne pense pas être d'accord, moi.

Puis, après avoir déposé les vêtements au sol, sans avoir fait mine de les enfiler, elle minauda un moment, avant de lancer, en s'approchant :

- Si vous voulez m'en convaincre, il va falloir, vous aussi, lâcher du leste, vous aussi. Au choix.

L'air songeuse, elle vint poser la main sur la poitrine de l'homme :

- Voyons... J'aimerais bien avoir votre nom, vous auriez aussi le mien, évidemment. Ou sinon, bien plus intéressant...

Elle marqua une légère hésitation. Se permettrait-elle... ? Enfin, après tout, elle avait décidé de s'amuser. Alors, s'approchant encore plus, elle approcha ses lèvres des siennes :

- Ou alors, quelque chose de bien plus intéressant.

Elle pouvait sentir son souffle. Néanmoins, pour une fois, elle ne l'embrassait pas de force. Du moins, pas tout de suite. Le but était de l'embarrasser, le faire mariner atteindrait son objectif de manière bien plsu efficace que si elle allait au bout de l'action, non ?

Ah ben merci, Monsieur le rabat-joie. Bien sûr, elle le savait, certains prédateurs ne seraient pas contre de la chair humaine, mais il avait détruit l'ambiance, avec cette remarque. Elle soupira.

- Honnêtement, si un animal veut vous croquer, avec ou sans vêtements, ça ne changera pas grand-chose, ce n'est pas une armure, après tout.

Puis, elle n'eut pas le temps de réagir à la réponse qui fut faite à ses avances. Alors qu'elle observait l'animal disparaître dans les profondeurs de la forêt, elle ne put retenir une remarque :

- Eh ben... J'ai bien fait de ne pas me rhabiller, moi. Encore un peu, et je pourrais croire que je sens le futur.

Néanmoins, un jour ou l'autre, il faudrait quand même qu'elle se rhabille, elle pouvait le lui accorder. Mais pas avant d'avoir séché. Alors, elle entreprit la longue et fastidieuse tâche de défaire sa coiffure.

- Si j'avais su... ça ne séchera jamais, si ça reste attaché...

Elle l'écoutait d'une oreille pendant que la majeure partie de son attention était focalisée sur sa tâche. Elle savait bien qu'elle ne l'aurait pas pu, ayant été prise de surprise les deux fois, mais... Si seulement elle avait pu détacher sa chevelure AVANT qu'elle n'entre en contact avec l'eau, tout cela aurait été tellement plus simple...

Néanmoins, lorsqu'il mentionna sa flèche, qui, au final, comme il l'avait deviné, n'avait mené à rien niveau traque, elle ne put retenir un sourire en coin :

- La flèche, hmm... En y repensant, je suis sûre que c'était votre excuse pour ne pas dire au revoir !

Puis, la tresse enfin défaite, elle récupéra sa barrette avec mille précautions, avant de poursuivre, singeant une caricature de jeune noble :

- Vous faites offense à la plus élémentaire politesse, jeune homme !

Evidemment, son ton laissait clairement entendre ce qu'elle pensait des nobles et, par extension, de leurs conventions. Et ce n'était pas cet homme, qui l'avait vue à l'oeuvre quelques instants plus tôt, qui pourrait démentir cet état de faits. Il était évident qu'en ville, elle ne se serait jamais permis un tel relâchement. Mais voilà, elle était seule avec sa "proie", comment résister ? Avec un soupir, reportant son attention sur le bijou, qui, avec la valeur sentimentale qu'elle lui accordait, était le seul objet auquel elle tenait réellement, elle compléta :

- Non, honnêtement, je serais hypocrite si je vous en voulais pour ça. Vous faites bien ce que vous voulez.

Lorsqu'il lui tendit la main, elle hésita. Elle se serait plutôt attendue à ce qu'il la haïsse, ou, au moins, qu'il ne veuille pas la toucher. Mais là... Il provoquait le contact. Alors, son sourire en coin refit son apparition. Là, il l'avait cherché. Alors, elle prit le temps de déposer son bijou sur le sol, dans un coin où personne ne devrait pouvoir le toucher, puis elle fit mine de prendre la main tendue... Et, au dernier moment, elle se saisit de son bras, sur lequel elle tira d'un coup sec. Oh, bien sûr, elle se doutait qu'il devait certainement avoir plus de force physique qu'elle, aussi jouait-elle sur l'effet de surprise pour qu'il perde l'équilibre. Néanmoins, elle voulait s'amuser avec lui, pas lui faire du mal. Aussi, elle prit bien garde à se trouver en dessous lorsqu'il tomba, afin de lui servir d'amortisseur.

Puis, avec un sourire malicieux, elle lâcha :

- Il n'y a pas de raison que je sois la seule à prendre un bain !

Néanmoins, elle prit soin de l'entourer de ses bras, afin qu'il ne s'échappe pas trop vite. Néanmoins, c'était à double tranchant, elle non plus ne pouvant pas bouger tant qu'il serait là. Alors, l'air de rien, comme si c'était parfaitement normal, elle répondit à sa question :

- Ce qui s'est passé ? Honnêtement, je n'en sais rien. Pour ne rien vous cacher, j'essayais de rattraper un louveteau auquel j'avais fait peur sans le vouloir.

Elle marqua une pause, rassemblant ses idées.

- Maintenant que j'y pense... Il semblait éviter une zone, que j'ai traversée en ligne droite... Il avait peut-être senti quelque chose, et ce serait cette chose qui m'aurait eue...

Puis, estimant qu'il était temps de le laisser reprendre ses propres décisions, elle le relâcha, s'attendant à se faire incendier.

Ses arguments faisaient sens. Enfin, vraiment ? Juste attendre qu'elle soit disponible et, pourquoi pas, s'expliquer un peu plus, quitte à continuer à débattre ou se disputer, elle ne savait toujours pas comment nommer leur interaction passée... Etait-ce trop lui demander ? Visiblement, oui.

Puis, le voilà qui, visiblement... Cherchait à la rassurer ? Au sujet du louveteau ? Surprise, elle le fixa un moment. Etait-ce vrai, ou se faisait-elle des idées ? Finalement, elle se contenta de reprendre une expression plus détendue, alors qu'elle hochait la tête :

- Oui, j'imagine... Merci du soutien, en tous cas.

Pardon ? Elle ? Remercier ? Non, ce n'était pas elle. Si la proximité avec l'homme ne limitait pas ses mouvements, elle aurait plongé la tête sous l'eau pour tenter de s'éclaircir les idées. Et elle alla même jusqu'à lâcher un petit rire à ses paroles suivantes.

- Oui, bon, d'accord, sortons de là.

Elle hésita un moment. Devait-elle prendre la main offerte ? Et d'ailleurs, pourquoi la lui tendait-il encore, après le mauvais coup qu'elle venait de lui faire ? Soit il était idiot, soit il n'était pas rancunier... Ou peut-être trop confiant.

Néanmoins, après un soupir résigné, elle finit par accepter l'aide, ne pouvant retenir une petite remarque :

- Vous avez conscience que j'aurais encore pu vous faire une mauvaise blague ?

Néanmoins, cette confiance, ou naïveté, ou comme vous voudrez l'appeler, avec quelque chose d'attendrissant. Ou alors, commençait-il à prendre goût à ses jeux ? Voilà qui aurait été un beau coup de théâtre. Et ce fut à ce moment qu'un détail s'imposa à elle :

- Dites... Vous insistez pour m'offrir à manger, mais... Je n'étais pas prévue, c'était seulement pour vous. Ne vous privez pas pour moi.

D'ailleurs... Elle allait peut-être aller se rhabiller, maintenant. Mais d'abord, elle devait se sécher. Après tout, à quoi bon enfiler des vêtments propres si elle-même était détrempée ? Alors, elle alla s'installer au soleil, offrant le plus possible de surface aux rayons dorés. Puis elle s'adressa à son compagnon, qu'elle ne voyait pas, les yeux clos :

- Vous devriez vous sécher aussi. Ce n'est pas vous qui disiez qu'il vaudrait mieux éviter de tomber malade ?

Ce fut un cri strident qui lui répondit. Surprise, elle se redressa, ouvrant les paupières :

- Pardon ?

Mais, lorsqu'elle le vit, le chasseur ne semblait pas se moquer d'elle, ni être en difficulté, ni... En fait, il ne semblait pas avoir poussé ce cri. Alors, que se passait-il ? Elle se tourna dans la direction d'où il était venu. Et c'est là qu'elle le vit. Un bébé pinplume, probablement tombé de son nid. Alors, elle se précipita pour le ramasser. Puis elle le serra contre elle. C'étaient des pinplumes qui lui avaient appris, bien malgré eux, que les braconniers n'étaient pas de bonnes personnes. Elle revenait à cette époque, où son père l'avait écartée du lieu du carnage, tandis qu'il avait lieu. À son retour, il ne restait rien.

Une petite plainte la ramena à la réalité. Accroupie sous l'arbre, elle avait entouré l'animal, comme pour lui faire un bouclier de son corps contre une menace inexistante. Réalisant alors qu'elle avait les joues mouillées, elle essuya ses larmes, espérant de tout son coeur que le chasseur ne les avait pas vues. Puis elle se releva et lui montra son protégé :

- Il va falloir le ramener là-haut... Vous m'aidez ?

Bon, honnêtement, elle aurait pu directement grimper à l'arbre. Mais avec le bébé dans les bras, cela s'annonçait dangereux. Pour l'animal, bien sûr. Sa propre sécurité, dans une telle situation, importait peu.

Ils n'eurent pas le loisir de se disputer au sujet, si futile soit-il, de la nourriture. Ralia n'avait pas fait attention à l'homme au moement de voler au secours de ce petit semblant sorti tout droit de son passé. Pourquoi, d'ailleurs ? Le destin voulait-il lui faire passer un message ? Le seul message qu'elle pourrait y voir, pourtant, était "méfie-toi". Bon, ça pouvait aussi être "les chasseurs ne sont pas forcément mauvais", mais... Sans dire qu'elle refusait de l'admettre, elle n'était tout simplement pas prête à se faire un avis sur cette question, voilà tout.

Pas commune ? En temps normal, elle lui aurait certainement fait une remarque, voire une taquinerie, à ce sujet. Mais ce n'était plus le moment. Alors, elle se contenta de l'ignorer, jusqu'à ce qu'il fasse quelque chose d'ntéressant. Changement de couleur des yeux, regard vers le haut, puis information donnée d'une voix assurée. Sa curiosité piquée, elle l'observa un moment. La gamine passionnée de magie qu'elle avait été n'était visiblement pas morte. Enfin une bonne nouvelle. Si elle creusait un peu, peut-être pourrait-elle retrouver son innocence.

C'est alors qu'elle réalisa que son intérêt pour le pouvoir à l'oeuvre lui avait fait poser un regard avide sur lui, la tête légèrement penchée sur le côté, signe de son attention. Alors, lorsqu'elle s'en rendit compte, elle s'empressa de détourner le regard. Un jour, il faudrait qu'elle le fasse parler de son pouvoir. Bien sûr, en contrepartie, elle devrait probablement lui révéler le sien également, ce qui ne la ravissait pas. En effet, il était plutôt rassurant de savoir qu'elle avait cet atout dans sa manche en cas d'imprévu. Et puis, quoi qu'il en soit, elle ne connaissait pas le nom de cet homme. Autrement dit, même si elle commençait à cerner le personnage, il était encore immunisé contre son don.

Quoi qu'il en soit, il fallait répondre à la question qui lui avait été adressée. Alors, s'approchant de l'arbre, elle y déposa la main, puis exerça une pression sur une branche. Comme elle s'y attendait, cette dernière semblait assez solide pour qu'elle puisse y grimper comme d'habitude. Certes, elle se défendait plus que bien en ce qui concernait l'agilité, mais ça, c'était quand elle avait les bras libres, et pouvait donc, à l'instar d'un singe, utiliser aussi bien ses mains que ses pieds pour s'équilibrer.

- Quel dommage... Pour une fois que je suis pieds nus, je n'ai pas l'occasion de tester ces nouveaux appuis...

Elle soupira. Pieds nus, dans les arbres, elle serait probablement capable de bien plus de prouesses qu'habituellement. Mais, quoi qu'il en soit, l'heure n'était pas à l'amusement. Après, peut-être.

- Je crois qu'on n'a pas le choix. Je suis à l'aise dans les branche, mais si je n'ai rien dans les bras. Et vous... Vous êtes un archer, donc vous avez probablement de la force dans les bras. Je crois que vous allez devoir me hisser là-haut.

Cette fois, elle ne cherchait plus à l'embarrasser. Seul le côté pratique trouvait grâce à ses yeux. Le jeu était terminé... Sur une belle victoire, évidemment.

Mais quel empoté ! Elle ne répondit pas à sa prochaine prise de parole, vexée, alors que, tant bien que mal, elle utilisait les branches pour terminer son ascension. Puis, elle eut à peine le temps de s'assurer de son équilibre que son petit protégé rejoignit directement les siens, sans un regard pour elle. Néanmoins, elle ne s'en formalisa pas. Après tout, le sauvetage avait été rapide, par conséquent, elle n'avait pas eu le temps de créer un lien quelconque avec lui. Alors, elle se contenta d'assister aux retrouvailles de la famille pendant un petit moment, avant de sauter au sol, prenant soin de faire remuer la branche le moins possible au moment de s'élancer.

Atterrissant devant l'archer, elle se souvint alors qu'il lui avait demandé un compte-rendu. Alors, tournant un visage amusé vers lui, elle s'exécuta:

- C'est un petit débrouillard, il m'a abandonnée pour retrouver sa famille !

Un petit rire attendri alors qu'elle se rappelait la scène, puis elle revint vers le campement. Et, cette fois, sa petite excursion dans les branches avait provoqué des courants d'air suffisants pour que son corps achève de sécher, elle put donc se rhabiller sans souci... Et retrouver sa chère barrette, qu'elle revint loger à sa place alors qu'elle se recoiffait... Visiblement, ce schéma tendait à se répéter. Ce n'était pas la première fois qu'elle prenait soin de ses cheveux en présence de cet homme... Néanmoins, tout en poursuivant son oeuvre, elle lui jeta un coup d'oeil :

- Je termine ça et je pense que je vais vous laisser tranquille. Au fait, je suis Ralia. Est-ce que vous pourriez me donner aussi votre nom, cette fois ?

S'y était-elle mieux prise ? Elle n'en avait aucune idée, les relations sociales si codifiées des humains restant en grande majorité un mystère pour elle. Quoi qu'il en soit, elle était décidée à le laisser profiter de son repas en solitaire, comme il l'avait prévu. Alors, à moins que quelque chose pique de nouveau son attention, elle ne tarderait pas à lui fausser compagnie... Sans pour autant le faire en cachette, contrairement à lui.

Fen ? Bien. Il lui faudrait s'en souvenir. Bien sûr, elle se doutait que cela ressemblait plus à un surnom qu'à un prénom, mais elle s'en formaliserait plus tard. Et puis, il ne fallait pas exclure la possibilité qu'il s'agisse réellement de son nom... Le froisserait-elle en supposant que c'était un surnom ? Et en quoi cela devrait-il l'intéresser, aussi ? Elle ignora royalement son invitation. Après tout, il savait déjà ce qu'elle en pensait.

Néanmoins... Elle voulait partir, oui, c'était évident. Elle tenait à sa solitude, et ces interactions n'avaient que trop duré. Mais il avait avancé un très bon argument. Alors, tout en se maudissant, elle le rejoignit. Puis elle ironisa :

- Si je ne me retrouve pas encore à l'eau... Je ressemble tant que ça à un poisson ?

Elle espérait bien que non. Qu'on la traite de singe, elle comprendrait parfaitement, d'oiseau, même si elle ne pensait pas leur ressembler, cela lui ferait plaisir. Mais un poisson... L'eau était loin d'être son élément. Hors de question qu'elle s'y retrouve une troisième fois. Elle fut bien tentée de faire mentir le proverbe : oui, deux sans trois était possible. Il suffisait d'être prudent.

Enfin. Il lui avait promis des nouvelles de la créature, non ? Alors, c'était parti. Elle devait visiblement lancer la conversation :

- Très bien, alors... Dites-moi tout ! J'imagine que vous lui avez donné un nom, même si "vous n'avez pas votre mot à dire" ? Et comment s'est... En fait, comment vous en êtes venus à vous retrouver ?

Elle était curieuse, mais elle se força à ne pas poser plus de questions. Après tout, celles qu'elle avait déjà posées devraient être suffisantes pour lancer la conversation et puis... Non, ce n'était pas du savoir-vivre, plutôt... Elle se disait simplement que si elle le braquait, elle n'aurait pas son histoire. C'était cela plus que l'envie de ne pas l'ennuyer qui la poussa à ne pas en faire trop.

S'il lui proposait de manger, elle trouverait un prétexte pour refuser. En effet, cela ne l'intéressait pas. Et puis, comme elle l'avait déjà dit, elle ne comptait pas s'imposer. Elle s'en irait une fois sa curiosité satisfaite... Si cela était possible. Ce qui était peu probable, mais on pouvait toujours espérer, non ?

Qu'est-ce que c'était que cette introduction ? Elle ne demandait pas de récit épique, simplement, la vérité. Aussi fade et inintéressante soit-elle. Et puis... Une histoire ayant une telle créature comme personnage principal ne pouvaot tout simplement pas être inintéressante. C'était aussi simple que cela.

Ce qui suivit l'intéressa bien plus. Il lui décrivait quelque chose qu'elle connaissait bein, même si elle ne l'avait jamais essayé... Enfin, jamais jusqu'au bout, plutôt. Elle pouvait utiliser ces techniques pour approcher un animal, mais elle tenait à ce qu'ils restent sauvages.

- Tu m'étonnes... Technique d'apprivoisement classique, c'est normal qu'elle ait fini par vous apprécier. Et puis...

Son petit sourire taquin fit son retour. Mais cette fois, elle n'alla pas plus loin que les mots :

- Ne me dites pas que vous ne vous y êtes pas attaché aussi ! Je pourrais presque être jalouse, vous savez. Enfin...

Elle se souvint de la manière dont la demoiselle l'avait traitée, plus tôt.

- En fait, non. Si elle se sent bien avec vous, tant mieux. Moi, je ne sera jamais son amie, ça, au moins, c'est clair.

Mine de rien, cela la blessait. Même si jamais elle ne l'avouerait, pas même à elle-même. Alors, elle resta un moment silencieuse, alors que son voisin continuait son récit passionné. Elle restait néanmoins satisfaite que la personne que cette créature avait choisie semble digne de cette confiance.

Finalement, elle se reprit. Il avait essayé de la faire partir ? Sérieusement ?

- Quelle idée. Vous savez, les crinitus ont du mal à accorder leur confiance. Vous êtes privilégié, sachez-le. Et profitez-en. Vous pourriez vivre de superbes aventures. SI vous vous acceptez mutuellement, et sans réserve. C'est parti, Monsieur ! Quand je serai partie, parce que je pense qu'elle ne m'aime pas, vous me ferez le plaisir d'accepter son affection, de ne plus vouloir la faire partir ! On n'a pas idée d'être aussi égoïste !

Evidemment, elle ne pensait pas sa dernière phrase. Mais, avec un peu de chance, cela le ferait réagir. Peut-être faisait-il partie de ces fameuses personnes qui avaient besoin d'être secouées pour révéler le meilleur en elles ? Si tel était le cas, elle pourrait peut-être jouer le rôle de... Déclencheur... Pour lui. Elle s'en savait capable. Mais il y avait un obstacle de taille... Elle voulait qu'il se rapproche de la créature volante, mais en restant dans les parages, elle augmentait le risque d'échec. Que faire ? Ce n'était pas comme si elle connaissait quelqu'un d'autre pouvant jouer ce rôle à sa place. Quoi que... Kalen ? Elle pourrait lui demander de se faire passer pour une menace, et sa carrure impressionnante ferait le reste... Mais pas sûr que cela l'intéresse. Et elle ne connaissait personne d'autre, du moins, personne dont elle serait assez proche pour établir un plan. Elle n'avait pas non plus apprivoisé le moindre animal.

Donc, pas le choix. C'était à elle d'agir. Tout en se disant qu'au moment où la fameuse créature reviendrait, elle disparaîtrait. Inutile d'envenimer les choses...

Alors, d'abord, il fallait étudier l'impact qu'aurait eu sa première pique. En avait-elle d'ailleurs eu un ?

Il pensait qu'elle aurait été plus heureuse avec ses congénères... Ralia ne dit rien. Parce qu'elle était d'accord. Mais qu'elle se doutait que ce n'était pas le genre de choses à dire à haute voix. Depuis quand se souciait-elle des conventions ? Il ne s'agissait pas là de conventions, en fait. Simplement... Pour être honnête, cela l'arrangeait de pouvoir ne pas parler à tort et à travers.

Pour ce qui était de sa réplique suivante, Ralia eut vraiment envie de réagir violemment. Mais, une fois de plus, elle se contint. Une fois de plus, c'était vrai. Ce qu'il proposait était équitable. Et, encore une fois, elle se voyait mal parler juste pour dire "je suis d'accord", sans rien ajouter.

Cependant, il réussit à la faire parler, lorsqu'il parla de la relation entre la jeune femme et la créature, du point de vue supposé de cette dernière.

- Moui, c'est vrai. Un point pour vous. Mais elle aurait aussi bien pu s'y sentir obligée, parce que... Ouais, non, je sais pas. Mais vous admettrez que nous, pauvres humains, ne pouvons pas prétendre comprendre parfaitement les animaux. Ce serait de l'hypocrisie... Et pour en revenir au sujet de cette fameuse Plume, peut-être que tout est bien plus complexe dans sa tête que ce qu'on imagine. Enfin. Je pense que vous finirez par la connaître suffisamment pour la comprendre. Je vous le souhaite, en tous cas. À tous les deux.

Puis il parla de la soigner... Et de la faire s'attacher à ses congénères ? Sérieusement ?

- Honnêtement, je ne pense pas que prendre soin d'elle la motivera à aller voir ailleurs, mais soit. Tant que vous ne lui faites pas de mal, vous faites bien ce que vous voulez.

Lorsqu'elle le vit commencer à étouffer le feu, elle comprit le message. D'accord, il fallait partir. Alors, elle observa les alentours, s'assurant qu'elle n'avait rien oublié... Même si, techniquement, elle n'avait pas d'autres bagages que ses vêtements et... Pendant un instant de panique, elle passa sa main dans ses cheveux... Et ses doigts rencontrèrent la broche. Elle ne put retenir un soupir de soulagement. Au moins, elle ne l'oublierait pas. C'était tout ce qui comptait. Alors, elle put se relever, et, tandis qu'elle ouvrait la bouche pour faire ses adieux, une fois de plus, il la fit revenir en arrière. Un cadeau ? Vraiment ? Le méritait-elle ? D'ailleurs, elle le lui demanda :

- Euh... Vous croyez vraiment que je mérite ça ?

Après tout, elle n'avait pas vraiment l'impression d'avoir été si agréable avec lui... Enfin, ce n'était pas le but, mais, normalement, les cadeaux... C'était réservé aux gens qu'on appréciait, non ? Et elle n'avait rien fait pour se faire apprécier. Jamais elle n'avait poursuivi un tel but avec un humain.

Néanmoins, il finit par l'abandonner, la plume dans les mains. Abasourdie, ce fut à peine si elle l'entendit lui demander d'y réfléchir par elle-même... Etait-ce de l'ironie qu'elle percevait derrière ces mots ? Elle soupira. Décidemment, elle n'arriverait jamais à le quitter de manière normale.

Quoi qu'il en soit, elle comptait bien le revoir. Non, elle ne lui rendrait pas la plume. Il était clair qu'il voulait qu'elle la garde, et, cela allant assez bien avec ses propres convictions, elle le ferait. Elle irait peut-être en ville, aller voir un artisan pour la sublimer en bijou ou en objet de décoration... Hors de question qu'elle s'en serve pour écrire, par contre. Elle voulait la mettre en valeur. Mais, d'un autre côté... Un artisan ne risquait-il pas de lui voler la plume, parce qu'elle venait d'une créature encore assez rare ? D'accord, si elle voulait la mettre en valeur, elle devrait le faire elle-même. On verrait donc ça plus tard. Pour l'instant... Il lui fallait savoir où le cours d'eau l'avait menée. Et pour cela, c'était très simple : elle monta à la cime de l'arbre le plus proche, pour avoir une vue d'ensemble sur la Forêt. Elle connaissait de toutes façons bien assez les formes générales du Village Perché pour le reconnaître, même de loin. À condition d'avoir un champ de vision bien dégagé.