BREF ! Comme je disais avant d’être grossièrement interrompue par moi-même, j’étais partie de la Capitale ! Et seul le flair d’une bonne affaire aurait pu me pousser à quitter le toit sur lequel je vivais, occupée à contempler les fourmis au labeur et en développer une colossale flemme quant à ma propre vie. C’était l’idée d’un collègue marchand qui revenait d’une petite tournée dans le Royaume, vendant ici pour acheter là, profitant du principe de « Valeur ajoutée » pour se faire son blé. Et ce vieil ami qui me savait plutôt du genre à mettre des cailloux dans les épinards pour essayer de finir un repas le ventre plein, m’avait fait venir. D’après lui, il disposait dans sa cargaison de certains invendables qu’il était prêt à me céder pour presque rien afin que je les marchande comme des antiquités ou des curiosités.
TA-TA-TA, c’est LEGAL. Sachez que techniquement, une vessie peut servir de lanterne, alors ça n’a rien de malhonnête de faire prendre la première pour la seconde. Disons que comme toutes les grandes vérités auxquelles nous tenons, celle-ci n’est qu’une question de point de vue !
Je cheminais donc avec mes sempiternelle sandales jusqu’aux forêts qui bordaient notre ravissante ville. J’avais avec moi mon SU-PERBE parapluie, une lame de cuisine pouvant faire office d’épée mais qui me servait surtout à cueillir des trucs, mon baluchon et ma bonne humeur ! Comme à chaque fois, vêtue d’un ample pantalon de lin fermé par un grand turban, une chemise bleue de la même matière serrée de deux autre turbans sous les bras. Mon air insouciant et mon regard acéré…
J’arrivais sur place et l’ombre des arbres de l’orée m’apprenait que j’étais pile dans les temps. Là ou c’était curieux c’est qu’Owen m’avait dit qu’il montait le camp. Donc en vrai il aurait dû être là depuis longtemps. Mh. Je commençais donc à arpenter la route dans les deux sens à la recherche de traces. Et il y en avait plein ! Plus exactement une de chariot, d’ailleurs. Sauf qu’elle… Ne s’arrêtait pas ? Au contraire, elle était peu profonde. Je suivais donc, sans réelle idée de la pertinence de mon geste (Bah oui, s’il s’était tiré, c’étaient pas deux traits dans une boue forestière qui allaient me dire jusqu’ou il était allé…). Quelques minutes à errer le nez au sol et voici que la route devenait, sur quelques pas, rocailleuse.
Et je voyais avec ravissement une caisse au sol ! Owen m’avait laissé quelque chose
J’allais donc voir ça, constatant une caisse abimée. « Ah ben. T’es pas en bon état toi. Tu serais pas tombée du chariot, par hasard, mh ? M’enfin, m’est avis que tu manqueras à personne, hein ? Allez hop… ! » Ni un, ni deux, le fendoir à la main comme pied de biche pour ouvrir la caisse. Deux agrafes sautent, je force. « Gniiiiiiiiiih… ! »
Puis me vient une odeur. Une odeur forte. Une odeur que je connais. Très bien. Du sang. Alors non, je vais pas me la jouer « Vétéran de guerre », non. Je parle du sang qui pue à la boucherie, genre du sang de cochon. Sauf que là, c’était fort et il n’y avait pas de boucherie. Je tends mon fendoir devant moi. Je me retourne. Je cherche. Rien à faire. Je sens une présence. Quelque chose. Mais mes yeux me trahissent. Puis un rugissement et un bond.
Je me roule par terre et me mets à courir. Premier réflexe : mettre de la distance et ne pas prendre le temps de perdre son temps à observer son adversaire avant d’être en sécurité. Et je fus bien inspirée : un warg noir.
La « Pauvre bête » était manifestement usée, pas forcément blessée, mais faible et maigre. Elle avait du sang sur le museau, surement avait-il réussi à piquer de la bouffe dans la caravane d’Owen. Le plus surprenait étant que c’était là un animal de meute et de montagne et qu’il était là, seul et en forêt. Reste que présentement, il faisait facilement 10 fois mon poids et semblait voir en moi une solution temporaire et gustative à pas mal de ses soucis.
« AU SECOUUUUUUUUUUUURS ! A L’AIDE ! » Je me mis à courir avec sur mes talons cet animal bien plus rapide et massif que moi. Il fallait gagner du temps et quelques mètres. Ma méthode avait l’avantage sur la fureur animale. Une esquive, une parade, l’art martial surplombait en tout point l’instinct. Mais dévier une seule des pattoune de ce monstre avait suffit à m’engourdir le bras. Quelle force ! Mais la partie était jouée. Un bond et… BLINK ! J’apparaissais 5 mètres plus loin, chopant au vol la branche d’arbre avant de m’y hisser et de m’asseoir. Le Warg en bas à tourner en rond en grondant.
… Et à ne pas partir. Au début je lui avais jeté des pommes de pin. Puis y’en a plus eu. Alors je lui ai parlé. Je lui ai conseillé d’aller chercher une biche. Puis je lui ai parlé d’Owen. Même de mon étal. Puis de mon appartement. De ma vie. Et vous savez quoi ?
Con de Warg, il s’est endormi. Mais clairement pas assez bête pour me laisser filer si j’avais l’outrecuidance de tenter de fuir : vu l’oreille de ces bêtes là et la faim tenace de celui-là en particulier… Me voici les pieds dans le vide assise sur une branche à 6 mètres du sol avec sous moi un animal qui, Lucy soit louée, ne savait pas grimper aux arbres…
« C’est malin… Maintenant on est deux à avoir faim… »
Alors, elle suivit la piste des signalements qui lui avaient été transmis. Son but était de retrouver l'animal et... Déjà, de vérifier s'il avait réussi à survivre. Ensuite, il faudrait trouver le moyen de le réintroduire dans son milieu d'origine, la population animale des forêts ne connaissant pas un tel prédateur. Il lui serait facile de décimer toute la faune du coin si personne ne faisait rien. Cependant, à ce moment-là, elle voulait simplement vérifier s'il était vivant et dans quelle zone précise il semblait vivre. Une fois ces informations rassemblées, elle devrait, au moyen d'un cristal de communication appartenant au poste de garde-chasse, et qui ne pouvait être lié à personne d'autre que ceux travaillant au même endroit, prévenir ses collègues afin qu'ils viennent l'aider à le capturer, bien consciente que, seule, elle ne parviendrait qu'à se faire attaquer.
C'est alors qu'elle entendit un cri. Pardon ? Un humain ? Ah oui, c'était vrai que c'était possible... Mais comment faire ? Si elle retrouvait l'animal, avoir un humain dans les pattes compliquerait toute l'affaire.
Elle suivit donc la direction dans laquelle le bruit semblait venir. Quelque chose lui disait que cela la mènerait directement à sa cible. Elle assista alors à la course-poursuite. Alors, elle se contenta d'activer le cristal, sans parler, transmettant seulement le bruit de la course et les cris de l'humaine. Il ne fallait pas être idiot pour comprendre ce qui se tramait, surtout lorsque, comme elle supposait que c'était le cas de ses collègues, on attendait un appel concernant un prédateur.
Quand enfin tout se fut calmé, elle daigna enfin parler dans son cristal, indiquant sa position le plus précisément possible. D'accord, elle n'avait pas suivi la fuyarde et son poursuivant jusqu'à leur destination, mais elle savait qu'ils étaient encore à portée d'oreille. Donc, si elle n'entendait plus rien, cela signifiait que le duo ne se trouvait pas loin.
Puis, rangeant le cristal, elle avança prudemment dans la direction où les cris s'étaient tus. Elle y trouva le warg, endormi sous un arbre. Bien. Au moins, il dormait. Néanmoins, elle garda une fléchette en main, au cas où. Et, à pas de velours, elle s'approcha. Elle savait que ces animaux avaient l'ouïe fine. Et elle vit ses oreilles bouger. Il savait qu'elle était là. Alors, elle tenta de se faire passer pour un petit animal, qui ne représenterait pas de danger pour lui. Tant qu'il ne la regardait pas, elle pouvait faire illusion. Alors, elle s'approcha. Son but était de vérifier son état de santé, et pour ça, elle devrait le toucher. Mais elle devait aussi s'approcher prudemment. Elle savait que c'était un prédateur, probablement perdu et affamé, ce qui augmentait encore sa dangerosité.
Néanmoins, elle finit par réussir à l'approcher. Il faisait toujours semblant de dormir, mais elle voyait ses oreilles qui remuaient, preuve qu'il la surveillait toujours, même sans en avoir l'air.
Et, lorsqu'enfin, elle put toucher sa fourrure, ce fut le drame ! Il se réveilla d'un coup et, avant qu'elle n'aie le temps de récupérer sa fléchette, il saisit son bras entre ses crocs. La douleur l'empêcha de parler pendant un moment. Et, étrangement, elle se retrouvait également incapable de bouger, comme s'il avait sectionné un nerf. Car, évidemment, elle pensait utiliser son autre main pour récupérer une fléchette et le calmer, mais cela lui fut impossible... Elle ne pouvait pas non plus se dégager, consciente que ce serait courir le risque de se faire arracher le bras. Elle sentait d'ailleurs que, excité par le sang qui s'écoulait depuis l'attaque, il risquait de trouver qu'elle ferait un parfait casse-croûte... D'ailleurs, n'était-il pas déjà en train de goûter sa chair ?
- S'il y a quelqu'un... S'il vous plaît...
La perte de sang l'affaiblissait déjà. Franchement, si elle s'en sortait, elle se promettait d'être prudente à l'avenir et de toujours utiliser ses fléchettes si elle devait travailler au contact d'un prédateur. Même si ce dernier semblait endormi.
… Ou pas. J’avais vu le warg remuer l’oreille. Elle aussi. Donc fatalement, moi je partais du principe qu’elle SAVAIT ce qu’elle faisait. Ben non. MAIS C’ETAIT SUR EN FAIT. Pas besoin d’être un génie pour réaliser que si on approche d’une bête sans pouvoir ni plan, et que cette bête a faim et est réveillée, on lui sert de casse-croute. Je veux dire, c’est EXACTEMENT ce qui avait failli m’arriver, sauf que moi je lui avait pas tendue la main pour me la faire bouffer ! J’étais tombée sur la bête en question par hasard juste parce que je faisais pas gaffe.
CERTES, objectivement, c’est pas beaucoup mieux, mais je peux me permettre de critiquer parce que moi je suis pas en train de me faire bouffer le bras.
La grande question maintenant c’est « Bon, je fais quoi ? ». Une bonne partie de moi estime que le warg est présentement occupé et que je peux m’en aller. Une autre partie, très décriée par mon instinct de survie me dit que cette femme est en danger de mort et que si je ne la sauve pas, non seulement elle risque d’y passer mais moi je vais rentrer bredouille puisque je pourrai pas fouiller ma caisse.
Gneuh gneuh « S’il y a quelqu’un ». BAH OUI, Y’A MOI. CELLE QUE TU ETAIS SENSEE SAUVER. PAS L’INVERSE ! Mais quelle blague ce monde, on devrait JAMAIS quitter la capitale ! Je pris le temps de souffler. Calme. Analyser la situation, prendre conscience de chaque chose avant de passer à l’action. Avant que le combat ne devienne un vrai problème j’allais disposer de quelques secondes d’initiative. Ce temps devait être décisif ou l’issu de cette passe serait parfaitement aléatoire. Je rouvris alors les yeux. Ma belle tête et ses rouages efficaces avaient trouver la solution.
Je me ramassais sous moi avant de prendre l’impulsion… Et de disparaitre. Moi, le Warg ne me sentirait pas ni ne m’entendrait. Un transfert au sol et un second immédiat pour arriver sur sa droite. Deux sillages bleutés mais guère plus pour suivre un moment parfaitement instantané et silencieux. Puis la détente sèche d’un plat de la main sur la gueule de l’animal, dans la mâchoire, de bas en haut. D’aucuns lui auraient pulvérisé les mandibules, mais moi, je n’avais pas cette force. La prise et la surprise firent relever le museau au warg qui perdit toute prise sur ma camarade d’infortune. Le reflexe attendu du carnassier à la mâchoire : le coup de patte.
Mais cette fois j’étais prête. L’essence de mon art était la circulation de l’énergie et la première application de cela… C’est le mouvement. Je voyais net en cette réaction attendue. Je voyais le potentiel en chaque attaque : celui d’utiliser la force de l’ennemi contre lui. Le pied gauche bougea, pivotant d’un quart de cercle pour entrainer le reste du corps, afin de me mettre en parallèle de la frappe. Je laissais les griffes me dépasser avant de saisir la patte d’une main, tirant un coup sec, puis de frapper au « coude » du warg d’un plat féroce de l’autre main. La détente puissante de l’animal fit tout le reste. Ma frappe s’inscrivait dans cet élan et ce ne fut pas ma force mais bien celle de mon adversaire qui rendit l’ensemble si efficace. Un craquement sec se fit entendre tandis que la bête s’étalait, l’équilibre rompu.
Si ma camarade n’avait pas reculé déjà, je lui fis signe que c’était le bon moment, prenant moi-même mes distances, avant de me mettre en garde. Une posture souple mais alambiquée, rappelant la mobilité et la détente du serpent mais possible uniquement dans la pratique du mouvement global : le corps entier bougerait, pas simplement les mains, le buste ou les pieds. Tout. Détail à noter si on s'y intéresse : ce fendoir de cuisine n'avait pas quitté son fourreau de fortune, comme si le combat au corps était une arme bien plus efficace pour moi que le maniement d'une épée de fortune.
En face, la bête se relevait. Sa patte lui ferait mal. Il ne la posera d’ailleurs pas au sol, très certainement cassée où fracturée. Mais c’était un warg. Un warg affamé, sans doute désespéré. Un warg qui avait gouté au sang et qui très certainement, était à présent plus énervé que jamais. Je me tournais vers ma camarade avec un sourire anxieux. Ca y est, l’initiative était passée, c’était du « mano à mano », à présent. Et notre adversaire pesait plus lourd que nos deux carcasses réunies. Je me tournais donc vers ma camarade non plus d’infortune, mais de combat :
« Si t’as un plan, j’écoute, parce que je suis pas loin d’avoir envie de retourner grimper dans mon arbre, là ! » Et de te laisser te demerder avec ton bras a moitié baffré par l’autre animal patibulaire.
Elle observa la scène pendant un moment. Le prédateur semblait encore plus mal en point qu'au départ. Elle fusilla donc la demoiselle du regard. D'accord, elle pouvait la comprendre, mais le but était seulement de lui faire lâcher prise. Pour le reste... Elle s'en chargeait.
- Ecartez-vous.
La fléchette préparée plus tôt était à présent hors de portée, car elle l'avait lâchée lors de l'attaque. Néanmoins, elle en avait d'autres. Et, cette fois, elle avait compris. Elle ne s'assprocherait pas. Alors, elle utilisa sa sarbacane, grimaçant lorsqu'elle dut utiliser son bras blessé. Sa visée, altérée par la douleur et le sang perdu, n'était plus aussi parfaite qu'habituellement, mais cela fut suffisant pour que sa fléchette atteigne l'animal enragé. Elle lui en projeta d'ailleurs une autre par sécurité, se doutant que sa rage pourrait le faire résister à une puissance plus importante que ce qui serait parvenu à le neutraliser en temps normal.
L'animal s'endormirait rapidement. Elle saisit l'opportunité pour récupérer sa petite réserve d'eau, qu'elle vida sur sa plaie, de la même manière que l'avait fait le vétérinaire lorsqu'elle l'avait observé s'occuper d'un canidé qu'elle avait sorti de son piège... Ou était-ce lui qui avait terminé cette action ? Ses souvenirs n'étaient pas très clairs... Et cette faiblesse grandissante n'aidait pas. Mais il était hors de question qu'elle se laisse terrasser.
- Allez-vous-en, mettez-vous en sécurité. Mes collègues ne devraient pas tarder, nous allons le réintroduire dans le territoire qu'il n'aurait jamais dû quitter.
D'ailleurs... Elle eut une idée. Une idée qu'elle n'aimait pas, mais qui pourrait leur sauver la mise si jamais l'animal se réveillait trop tôt. Il lui faudrait chasser. Lui donner quelque chose à manger. Que cela le calme ou non, il serait occupé au moins le temps de dévorer la proie offerte. Mais on n'en était pas là. Pour l'instant, il était endormi par la magie des fléchettes. Restait à voir combien de temps cela durerait...
J’allais donc pour reculer et la regarder faire, me demandant simplement « Pourquoi elle a pas commencé par ça ? ». Plutôt que d’être mauvaise langue, je décidai de considérer qu’il y avait un plan A et qu’il avait été soumis au contact de l’ennemi. En gros, que cette jeune femme avait surement toute ses raisons d’agir ainsi. En tout cas, douée, elle semblait l’être parce qu’avec sa nouvelle méthode, le warg s’était endormi comme un bébé en un tour de main.
« Impressionnant… »
Il fallait admettre que ça avait été propre et efficace. Mais voilà qu’elle me congédiait ? Genre, ni merde ni merci, rien ? Juste « Tire-toi, on gère » ? Alors déjà… Non. Parce que je suis venue pour ma caisse. Et je vais pas repartir bredouille. Ensuite, la p’tite dame elle semblait pas aller des masses bien. Ses gestes étaient ethérés, comme lorsqu’on semblait vouloir s’endormir. Et il se trouve que je tenais à ne pas lui avoir sauvé la vie pour qu’elle se fasse bouffer sous prétexte que par orgueil, madame voulait se la jouer forces de l’ordre qui assurent alors que pas du tout.
« Ouais. Alors en fait je vais attendre que vos collègues arrivent. Vous avez quand même l’air bien entamée. Et je peux m’occuper de vot’ bras. Je suis pas médecin, mais j’ai de quoi nettoyer la plaie et faire un bandage pour que ça saigne plus. »
Plus je lui rend service, plus elle acceptera de me laisser visiter ma caisse. Aaaaah ! Que c’était dur de se contenir d’aller la fouiller alors qu’elle était si proooche ! Curiosité, avarice ! Fuyez mon esprit et laissez-moi tranquille… ! A défaut d’annihiler mes vices, j’étais au moins capable de les contenir si bien que je n’eus pas le moindre regard vers l’objet de mon intérêt. Parfaitement innocente. Les yeux rivés sur ma comparse d’infortune.
« D’ailleurs vous êtes qui ? Ou quoi ? Je pensais que vous étiez juste sympa de venir me sauver mais là, j’ai l’impression que vous faites partie de la garde, ou quelque chose de proche. En tout cas, très efficace, votre machin. Il va dormir combien de temps ? On trouve ça en vente sur le marché ? Nan parce que si je peux faire ça plutôt que de taper sur les animaux qui veulent me manger, ce serait plus agréable que leur coller des pains et surtout beaucoup moins dangereux. » Je repris ma respiration, sans arrêter, déchainant en mots le fil de ma pensé. « D’ailleurs, qu’est-ce qu’il foutait là, celui-là ? Il est pas sensé vivre en montagne ? Il va pas attirer d’autres prédateurs ? Sa meute est avec lui ? Nan parce que c’est le premier warg que je vois et j’aimerai vraiment ne pas en voir d’autres d’ici longtemps. Déjà que les pissenlions c’étaient de sales bêtes mais alors lui, niveau dangerosité, c’est pas la même… ! »
Oui, j’avais décidé de rester, par sollicitude autant que par intérêt. Mais on était « loin » de la Capitale, j’avais croisé un grand fauve, le second de ma vie et j’étais encore là. A l’orée de cette forêt et la vérité que transpirait mon long discours décousu c’est que j’étais encore nerveuse, inquiète. Et ma camarade n’avait absolument rien de rassurant. C’était plutôt l’inverse, d’ailleurs, ne faisant que creuser plus encore ma nervosité latente. N’empêche que je fouillais ma besace pour en sortir quelques bandes propres et une bouteille sans étiquette qui contenait de l’alcool distillé.
« Alors ? »
Néanmoins, elle lui sauva la mise en changeant de sujet. Enfin... de sujetS. Elle en changea bien trop souvent, Ralia avait déjà perdu le compte avant la fin de la tirade. Elle soupira. Pourquoi tombait-elle toujours sur des perroquets ? Oh non, cette pensée était une insulte à ces oiseaux. Enfin. Là n'était pas la question.
- Vous sauver ? Il aurait d'abord fallu que je sache que vous étiez là, jeune fille. J'étais juste sur ses traces.
Du menton, elle indiqua le fauve, qui, endormi, semblait bien plus innoffensif que ce qu'il en était en réalité.
Et puis la voilà qui parlait de ses fléchettes... ce... Pardon... ce MACHIN ? Cet outil avait si peu de valeur pour elle ? D'un autre côté... Elle n'en connaissait probablement pas la moitié des avantages. Alors, elle décida de rester évasive, bien qu'elle connaisse parfaitement la réponse à la question qui lui avait été posée. Alors, feignant l'incertitude, elle lança :
- Euh... Peut-être ?
Puis, reprenant son assurance habituelle, elle reprit, cette fois, honnêtement :
- Quoi qu'il en soit, c'est un outil de travail. Auquel je tiens particulièrement. Alors, si vous voulez avoir peut-être une chance que je vous indique comment vous en procurer, merci d'en parler de manière un peu plus correcte. Ce n'est pas un "machin" qu'on jette s'il ne nous plaît pas !
Néanmoins, la tirade suivante fit légèrement remonter la demoiselle dans son estime. D'accord, c'était une pie (décidemment, ce n'était pas aujourd'hui que Ralia trouverait une comparaison satisfaisante), mais elle posait les bonnes questions.
- C'est exactement les questions qui m'amènent. Bon, il est sûr que dans la situation présente, je ne vais pas pouvoir le déplacer. Il faudra attendre... D'ailleurs, ils en mettent, du temps !
C'était étrange. Elle avait pourtant indiqué sa position le plus précisément possible, quelqu'un devrait déjà être là... Alors, elle reprit le cristal, tanta de l'activer, mais rien. Etrange. Soit ils étaient partis en ayant laissé leur cristal à sa place, ce qui était ce qu'ils devaient faire... Lorsqu'ils ne devaient pas travailler en équipe. Soit quelque chose ne s'était pas passé comme prévu. Dans tous les cas...
- Ce n'est pas normal... Je vais retourner à notre QG. Je vous propose de m'accompagner, au cas où le warg se réveille entre-temps. Il vaudrait mieux ne pas être dans les parages sans fléchette.
Puis, partant du principe qu'elle la suivait, elle guida la demoiselle à travers les arbres, n'imaginant pas un seul instant que ce terrain puisse ne pas lui être familier. Ralia connaissait parfaitement le chemin et était inquiète, deux raisons qui lui faisaient oublier l'évidence : les personnes trouvées près des routes avaient de fortes chances de penser se perdre si elles quittaient ce repère...
EXCUSE-MOI, LA RALEUSE. MAIS JE VIENS DE TE SAUVER LA VIE. Alors le « Merci », je peux m’en passer, mais un minimum d’amabilité serait quand même attendu ! Au lieu de ça, elle… Elle me fait la leçon sur ce son… Truc ! Et le pire ? Le PIRE ? Même pas elle me dit comment ça s'appelle !
« Pis si vous voulez que j’arrête d’appeler votre super machin un machin, peut-être qu’il faudrait me donner son nom ? Pis pourquoi pas le vôtre tant qu’à faire ? Nan parce que vous avez écorché le mien. Moi c’est « Jeune fille qui vient de me sauver le bras voire la vie », mais je suis sympa, vous pouvez m’appeler Lily. »
Non mais pour qui elle se prend l’autre, eh ? Ca y est, ça vit dans les souche et ça fait des câlins aux lapins et ça se permet le mépris ? Ah, ça me dégoute ça ! Ces vieux provinciaux pourris qui vous parlent du respect des arbres et des petits oiseaux, de la vie au grand air et des instincts sauvages et qui oscillent entre le mépris et l’indifférence dès qu’on a la politesse de leur dire bonjour. EH BEN TU SAIS QUOI ? Y’A AUCUN DEDAIN DANS LA NATURE ! Alors quitte à te la jouer gamine des forêts, prend le bon exemple ! Merde quoi, on a jamais vu un hérisson cracher sur quelqu’un !
… En plus c’est super mignon les hérissons. Plein de puces, hein, mais super mignons !
M’enfin, je ravalais mon agacement parce que visiblement, y’avait un soucis. J’aurai bien demandé quoi, pourquoi, comment tout ça. Mais non, madame avait à peine terminé sa phrase qu’elle s’était déjà tiré. Que je sache, dans la mare, les canards ils se SUIVENT et ils s’ATTENDENT. Mais bon, très bien, tu veux te tirer ? BEN CASSE TOI. Je rentrerai toute seule. Avec ma caisse.
« Gneuh gneuh, j’étais sur ses traces, gneu gneuh c’est pas normal.. A que je vais au QG… »
J’allais donc dignement rentabiliser ma journée en dégainant derechef ma lame-outil pour ouvrir la caisse. Mais à la première pression voilà qu’elle grince… Et que le Warg gronde. Ou il ronfle. Je sais pas trop. Mais il a bougé ! Ca j’en suis sue ! Alors s’il ronfle c’est qu’il bouge, et donc il peut se réveiller ! En vrai j’en sais rien mais c’est possible, et si c’est possible, vaut mieux être avec la dame aux super machins qui endorment que seule !
J’abandonnais là mes rêves de richesse pour vie vite rejoindre Ralia qui avait pris pas mal d’avance. Mais progresser en forêt n’avait rien d’une gageure pour moi. La philosophie martiale qui m’avait été inculquée pouvait se résumer à « Comprendre les équilibres qui régissent le monde pour en déduire la circulation de l’énergie afin de ne jamais aller contre, mais avec. ». Donc une forêt n’était pas un obstacle. Et rejoindre ma comparse fut relativement simple. Cette dernière pouvait d’ailleurs remarquer la chose : ce n’était pas l’aisance d’une habituée ou la forme d’une personne entrainée. C’était une osmose essentielle basée sur la compréhension intime non pas de la forêt, mais du mouvement. Je ne brisais pas une branche en marchant dessus. Je changeais mon appui pour rebondir sur la branche, la laissant intacte. Un respect absolu de ce que m’entoure, s’inscrire dans la mouvance qui m’entourait où me faisait obstacle.
Une fois à sa hauteur, je m’essayais à un brin de sociabilité pour reprendre sur de bons rapports. J'avais une tonne de question, moi, à la base. Quand est-ce qu'on arrive, on va ou, il se passe quoi, qu'est-ce qu'on fait si on tombe sur la meute de warg qui a possiblement dévoré tes collègues... Mais ce fut UNE SEULE (notez l'effort) question qui fut autorisée à franchir le seuil de mes lèvres et s'il vous plait, une question SYMPA.
« Et sinon c’est une bonne situation, ça, garde forestier ? »
Sérieusement ? Elle ignorait vraiment ce nom...
- ça s'appelle une sarbacane. Bon, je peux me tromper, mais j'ai l'impression que les enfants des villes aiment jouer avec, non ? Et pour les projectiles... Petites flèches, ça ne vous dit rien ? Petites flèches, fléchettes...
Elle mima le fait de faire le rapprochement. Puis elle ignora complètement le sujet des prénoms. Et puis quoi encore ? Lorsqu'elle demandait le nom de quelqu'un, c'était complètement par intérêt, afin que son pouvoir puisse fonctionner sur la personne en question. Et autant dire que cette femme, elle n'avait pas envie de la retrouver à l'avenir.
Lorsqu'elle partit à la poursuite de ses collègues disparus, elle ne put s'empêcher de remarquer que la demoiselle ne la suivait pas. Bof, tant pis. Cela lui ferait un problème de moins à traiter. Alors, elle put se concentrer sur les quelques informations qu'elle possédait. Lorsqu'elle avait signalé qu'elle avait trouvé le warg, elle n'avait pas eu de réponse articulée, mais elle avait senti une présence. Quelqu'un l'avait entendue, c'était évident. Lors du deuxième appel... Il n'y avait plus personne. Que s'était-il passé ? Il ne s'était pourtant pas écoulé tant de temps... Et, même dans l'optique où l'équipe envoyée pour la retrouver aurait eu la naïveté de ne pas emmener le cristal, ils auraient au moins laissé quelqu'un sur place, pour récupérer de possibles informations mises à jour, non ?
Alors, soit elle était vraiment contrainte de travailler avec de plus gros abrutis que ce qu'elle imaginait, soit il s'était passé quelque chose d'imprévu ou de grave... Ou les deux.
Elle sursauta quand une voix qu'elle commençait à trop bien connaître la sortit en sursaut de ses pensées. Et pour lui demander quoi ? Des informations sur son métier ? Est-ce que c'était vraiment le moment ?
- ça, on va voir. Tant que je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mieux vaut ne pas faire de suppositions stériles. À moins que vous ayez des idées ? Quelqu'un est là lors du premier appel, et il n'y a plus personne quelques minutes plus tard... À quoi ça pourrait être dû, selon vous ?
Etait-elle en train de sociabiliser ? Elle n'en savait rien... Pour elle, elle se servait de ce à quoi elle avait accès pour essayer de répondre à ses questions. Et, actuellement, elle avait accès à une demoiselle bavarde. Nul doute que si elle avait la moindre petite idée, elle la lui dirait. N'est-ce pas ?
En parlant de tête, il était temps de faire fonctionner la mienne :
« Si on prend en compte qu’un garde ne quitte pas son poste, surtout lorsqu’il est en charge des communications… Y’a pas 36 solutions. Soit quelque chose empêche la liaison, soit vos copains ne sont pas en capacité de répondre. Soit ils sont très occupés, soit morts ou maitrisés, soit ils ont du fuir votre QG. »
Le souci avec mes options, c’est qu’aucune n’était spécifiquement rassurante. On peut même dire qu’elles étaient globalement catastrophiques. Sauf si le souci c’était une panne. Mais mon petit doigt me disait qu’on en était pas là.
Je suivais donc, songeuse. Puis curieuse. Il se passait de drôles de choses. Chaque fois que je sortais de la Capitale, ça se passait mal. Mais ce genre de péripétie représente aussi une opportunité de se faire connaitre, de se rendre utile. Puis surtout, à présent que le mystère était déclaré… Ben j’avais envie de le résoudre, de comprendre, de savoir ! Pour faire de cela une belle histoire, il fallait déjà finir la geste ! Bref, ma curiosité maladive prenait petit à petit le relais, posant la dernière question utile que j’avais en tête pour le moment :
« On y est dans combien de temps ? »
Le ton de ma voix avait radicalement changé et je posais mes yeux dans ceux de Ralia. Pas le même regard. Il y avait un ton grave, un regard intense. Et mes yeux d’un bleu vifs qui brillaient, plissés. Cette vivacité d’esprit rare que trahissaient mes mirettes. J’avais prononcé peu mais déjà je commençais à envisager toutes les possibilités, les réactions. Comme avec le warg : une capacité d’adaptation et de réaction hors du commun. Je n’étais clairement pas dans mon champ de compétence mais absolument pas hors de mon champ d’intelligence. Ce que disait ce regard, là tout de suite, c’est que je prenais la situation au sérieux. Et que Ralia pouvait compter sur moi. Parce qu’on allait bien sur un deux tiers de probabilité… Que la désertion d’un camp de forestier soit bien pire qu’un warg isolé.
- Désolée...
Elle n'avait clairement pas l'habitude de prononcer ce mot, qui sembla lui écorcher les lèvres. Mais elle avait la sensation que la situation présente se prêtait à son usage. Alors... Elle l'avait fait. À voir si ce serait utile, si elle recommencerait à l'avenir... Pour l'instant, peu importait. Elle se justifia, répondant en même temps à la question qui lui avait été posée :
- Si la... Chose, quelle qu'elle soit, se trouve là-bas, ce ne serait peut-être pas une idée d'y aller... Je me suis jetée de moi-même dans la gueule du warg, c'est mon problème. Mais je ne vais pas vous y jeter.
Un début d'altruisme ? Elle n'en savait rien, et n'y pensait d'ailleurs pas. Elle se disait également que quelque chose de capable de réduire au silence une équipe entière en peu de temps était plus que capable de faire de même avec elles. Elle n'étaient qu'une et demie, Ralia ne se sentant définitivement plus complète... Clairement pas suffisant pour faire le poids. Alors, elle changea d'avis :
- Direction le Village ! On y trouvera probablement de l'aide !
Ou alors, ce truc les a aussi touchés. Mais elle se garda bien d'ajouter cette précision à voix haute. Inutile d'inquiéter un peu plus la demoiselle. S'assurant qu'elle suivait, elle reprit la route, cette fois en direction du Village Perché, et beaucoup plus prudemment. Qui savait ce qu'elles y trouveraient ? Ou qui, dans la meilleure des configurations.
« Stop. »
Lily baissa la main avant de décrocher sa gourde d’eau et de la tendre à Ralia. Le geste était symbolique, mais il marquait surtout un temps d’arrêt. Voilà. On se pose deux minutes le temps de bien faire les choses.
« Ecoutez, je vais pas vous apprendre votre boulot. Donc quoiqu’il arrive, la décision sera votre. Mais je sens que tout ne s’enchaine pas bien. Je ressens une crispation, un mauvais mélange entre hâte, crainte, fermé et doute. Alors on va prendre deux minutes pour respirer. Réfléchir, mettre à plat. »
Je m’accroupis dans une position d’arrêt mais également de bond, fixant toujours Ralia.
« Votre sollicitude me touche, mais elle ne doit pas vous empêcher de faire votre devoir au mieux. Moi je m’adapte, je peux vous suivre, me cacher, vous attendre. Je suis même plutôt douée lorsqu’il s’agit d’improviser et de s’en sortir. Partant de ce principe là, deux possibilités. On avance vers votre camp ou vers le Village. A peser le pou et le contre, voici ce que j’en peux dire : »
Ma voix devenait alors plus rapide et fluide. Plus de rêveries ou d’humeur, j’allongeais une liste méthodique, faisant acte de mes capacités de réflexions. C’était du basque, mais du basique pensé vite et présenté avec calme :
« Si nous allons au village, nous demandons de l’aide sans savoir pourquoi. Les hommes qui iront sur place iront à l’aveugle. Et qui plus est, nous n’aurons aucune idée du degré d’urgence. Si ça se trouve, des blessés attendent des renforts, là-bas. Si nous allons sur place, nous nous exposons au danger. J’ai dit, je vous suivrais, donc par extension, je suis volontaire. Je suis pas une pro, vous êtes blessée… Effectivement, c’est pas forcément très sage de débarquer la bas comme ça. Alors je propose de couper la poire en deux : on va sur place uniquement pour évaluer la teneur du souci et n’intervenir que si c’est indispensable. Comme ça vous rentrerez au Village tout de suite après, mais avec les infos pour traiter ce problème avec le moins de risques et de pertes possibles. »
Je me redressais alors, relevant le menton. Pour beaucoup de choses peu importantes, j’étais volage, peu fiable. Le mensonge était à peine un vice, pour moi et la survie impliquait de mépriser pas mal de détails. Mais j’étais fille de garde, élevée par la Capitale et ses Gardes. Le sens du devoir, je l’avais chevillé au corps lorsqu’il s’agissait des choses qui comptaient vraiment. Et là on parlait de gens potentiellement en danger, des gens qui étaient attendu chez eux par des maris, des femmes ou des enfants. Est-ce que j’avais les moyens d’intervenir ? Est-ce que j’étais prête pour ce genre de mission ? Surement pas. Mais je savais que je devais y aller, que je ne voulais pas que tout cela se déroule pour réaliser enfin que le pire était arrivé par défaut d’agir.
« Vous ne me jetez nul pars. Ou vous irez, j’irai. C’est ma volonté, pour le Royaume et ses hommes. » Pas d’autres orpheline paumée dans leur vie. Pas à cause de ce que j’aurai refusé de faire par peur ou lâcheté. Et puis il serait toujours temps de fuir plus tard.
- Bon, Ralia, ma cocotte, va falloir se bouger. Vous, Mademoiselle aux phrases de garde, euh... Faites comme vous voulez. Mais je vais suivre votre plan, il me semble sensé.
Puis elle se hâta vers l'endroit où tout avait commencé. Mine de rien et malgré elle, elle ne pouvait s'empêcher de plus s'inquiéter pour les locaux que pour ses occupants. Après tout, elle aimait bien cette petite cabane de bois, pas très grande, ni très chère à construire, mais qui portait une grande valeur sentimentale pour elle. Elle ne comptait plus les moments où elle y avait trouvé refuge, lorsqu'un orage l'avait surprise et qu'elle ne voulait pas faire le trajet jusqu'au Village, ou quand un animal qu'elle avait prévu de ramener s'était révélé en plus mauvais état que prévu et avait dû s'arrêter plus tôt... En résumé, cette cabane était son refuge, son escale, lorsqu'elle savait qu'elle n'irait pas jusqu'au Village dans l'immédiat. Et voilà qui donnait une justification supplémentaire au fait de passer d'abord à la cabane : c'était sur le chemin.
Une fois arrivées, elle fut d'bord soulagée de remarquer que le bâtiment était toujours fidèle à lui-même, inchangé. Même l'atmosphère qu'il dégageait, subtil mélange de calme, de sérénité et de sécurité, était toujours là. S'était-elle trompée ?
Enfin, elle le saurait bien assez vite. Elle s'approcha, et, après avoir pris un moment pour reprendre sa respiration, elle ouvrit la porte. Rien. Seule la pénombre. Personne... Mais rien qui lui avait sauté dessus non plus. Etrange, tout cela...
Courageuse ou inconsciente, ma décision était prise et j’emboitais le pas de ma camarade. J’arrivais donc jusqu’à cette cabane curieuse. Pratique, simple, efficace. En fait, on eut dit chez moi, en plus grand. Je crois que j’aurai bien aimé vivre au sommet d’un arbre. Le matin au réveil, on doit pouvoir prendre le petit dej’ avec la meilleure vue au monde ! Je laissais Ralia entrer tandis que moi, j’allais grimper sur le toit, me faire une idée des environs. C’était elle, la familière des lieux, elles qui pouvait enquêter tandis que je veillais à ce que rien n’approche.
Pour le coup, j’étais tendue comme la corde d’un arc. J’avais rarement agi avec des enjeux aussi graves. La vie d’autrui, la mienne, un partenaire à surveiller. J’avais pas l’habitude des causes aussi intenses. Dans ma vie, y’avait simplement « Ne pas se faire choper quand in pique un truc ». Autant dire que j’avais peur. Pas la peur qui fige, ni celle qui excite. Non, celle qui vous fait imaginer le pire derrière chaque tronc d’arbre et donc tous les surveiller.
En bas, Ralia ne vit rien d’anormal dans la cabane. Tout était en place. C’était même plutôt étrange : une théière tiède sur la table, des tasses pas encore vidées. Certes, elle avait passé un appel. Mais avaient-ils répondu en pleine urgence ? Là, on eu plutôt dis qu’ils étaient partis en panique. Mais il y avait cela de rassurant que rien n’était cassé. Pas de signe de lutte ou d’un fauve ayant tout décimé dans l’endroit, même pas une goutte de sang ou une odeur nauséabonde. Et moi de là-haut, je ne voyais pas grand-chose. Bon, il faut dire que dans une forêt, la vigie n’a pas la longue vue maaaais.. Voilà, sur le principe pas gran.. Eh c’est quoi ça... ?
Je plisse les yeux pour distinguer un homme, grande taille, barbu habillée d’un manteau en peaux de bête. Il semblait se diriger droit vers la cabane lorsqu’il leva le nez. Je me plaquais sur les toits en retenant un juron, et filais deux coups discrets sur la charpente pour alerter Ralia. Moi je ne pouvais pas trop le savoir. Mais Ralia, elle, dès qu’elle aurait l’occasion de regarder, reconnaitrais chez cet homme le parfait attirail du braconnier. Arbalète, filet, outils de découpe à la ceinture, un vieux manteau plein de sang séché. Cet homme puait le pas trop honnête.
Ce qui pouvait surprendre c’est que cet homme se dirigeait vers une cabane qu’en théorie, il aurait dû fuir comme la peste. Et pourtant il venait, comme s’il savait n’avoir rien à craindre de l’endroit. Peut-être était-il au courant de la disparition des collègues de alia ? Ou carrément, en était-il responsable ? Toujours est-il qu’il approchait avec nonchalance, l’arbalète sur l’épaule et mâchonnant une racine.
De mon côté, je grattais le toit. Gniiiih… Encore un peu… Je poussais une planche, élargissant un petit trou entre deux lattes jusqu’à apercevoir le plancher et… BLINK ! J’apparaissais dans la cabane en priant très fort pour ne pas faire hurler Ralia de surprise. Je m’approchais d’elle, quelle que fut sa réaction pour murmurer, désignant cet homme qui approchait : « On fait quoi, capichef Ralia ? » Oui. Je me moquais un rien mais dans le fond, j'étais un peu fière qu'on m'associe à la Garde. Je faisais honneur à mes parents ainsi qu'à mes instructeurs.
C'est alors que de discrets coups frappés au plafond détournèrent son attention. Que se passait-il ? Ce fut à ce moment qu'elle réalisa que la jeune femme qui devait l'accompagner n'était plus à ses côtés. Alors, peut-être était-elle montée pour jouer les vigies ? C'était en effet une bonne idée. Alors, elle tourna son regard vers la fenêtre. Un braconnier... Elle jura. L'amagurione était censée fonctionner pendant une heure, pouvait-elle l'éteindre ? Dans le doute, elle l'envoya le plus loin possible d'elle, dans un coin isolé, autour duquel elle disposa tous les objets qu'elle put trouver, afin de masquer sa lumière. Il ne manquerait plus que l'homme sache qu'il y avait quelqu'un ! Il semblait serein, comme certain que la cabane était vide, il fallait conserver l'illusion le plus longtemps possible, car avec elle, venait leur avantage.
Elle venait de terminer son ouvrage lorsque Lily apparut devant elle. Pourquoi n'était-elle pas restée là-haut ? Elle y serait beaucoup plus en sécurité qu'ici ! D'un autre côté... Ce n'était pas le moment de se disputer. Elles auraient bien assez de temps pour ça plus tard. Et elle lui demandait un plan... Alors, Ralia prit les choses en main, passant sans s'en rendre compte au totoiement, considérant peut-être que cette mission commune les rapprocherait... De toutes manières, il fallait collaborer. Elles étaient deux, leur adversaire était seul. Si elles arrivaient à se coordonner correctement, elles auraient l'avantage.
- Suis-moi.
Et elle l'entraîna dans un coin opposé à celui où elle avait bloqué l'amagurione. Un coin qui ferait hurler n'importe quel soldat : c'était là que les garde-chasse entreposaient quelques armes. Oh, pas de la plus grande qualité, et pas en très grand nombre non plus, mais c'était uniquement pour les urgences. Et, dans leur situation, on pouvait dire qu'il s'agissait d'une urgence. D'ailleurs... Elle se mit à compter les objets. Il n'en manquait pas. Raison de plus qui la fit se dire que, quelle que soit la raison de l'absence de ses collègues, ils avaient été d'accord pour partir... Ou y avaient été forcés sans violence. Ce qui éliminait une cause autre qu'humaine. Un humain qui savait s'y prendre. En effet, il n'avait laissé aucune trace... Comment le retrouver, dans ces conditions ? Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il s'agisse du braconnier, ainsi, elles sauraient à quoi s'attendre. Mais s'il disposait d'un pouvoir de manipulation...
- Lily ! Si tu es vraiment une garde, c'est le moment où jamais de le prouver. Voici notre réserve d'urgence, sers-toi. Dans l'idéal, ce serait bien que tu t'équipes de quelque chose que tu peux utiliser à distance, pour ensuite retourner là-haut et te debrouiller pour l'immobiliser sans l'approcher. Arrange-toi pour qu'il ne sache pas que tu es là. Il a peut-être un pouvoir de manipulation des esprits. De mon côté... J'ai masqué la lumière, mais c'est peut-être inutile, j'ai dû l'attirer avec mon sang. Donc je vais continuer, et le distraire pour qu'il ne pense pas à te chercher. Handicape-le, fais ce que tu peux. Le but est de s'arranger de pouvoir l'arrêter... Et assez vite. Si Lucy est de notre côté, il ne sait pas qu'on est là. Et il faut qu'il le croie le plus longtemps possible. Mets-toi en place, et je resterai cachée si je le peux. En cas de problème... J'ai une arme de dissuasion.
Elle pensait à son aiguille, que son alliée improvisée n'avait pas eu l'occasion de voir. Mais elle disposait également d'autres armes... Cependant, il lui manquait la plus importante : quelque chose qui pourrait annuler la magie. Enfin. À la guerre comme à la guerre, elles feraient ce qu'elles pourraient avec ce qu'elles avaient.
Ce serait impardonnable de lui faire faux bond.
Je jetais donc un œil à ce stock d’armes. Déjà les armes et moi c’est pas exceptionnel. Mais les armes à distance. L’arc ? Je savais pas tirer. L’arbalète ? Trop létal. La javeline ? Impossible sans entrainement. Le lance pierre ? Inefficace. J’observais sans choisir, prenant le temps -trop long- de la réflexion avant de sortir l’arme parfaite pour moi. La seule arme sans crédibilité qui pourtant pouvait être terrible entre de bonnes mains.
Un boomerang.
Je produisais, fière, le boomerang, comme s’il était agi d’une épée vorpale magique qui buvait les âmes.
« Prête, Capichef Ralia ! J’ai bien compris le plan, je remonte ! » Dis-je en disparaissant par une fenêtre pour grimper, silencieuse et rapide. Eh oui, depuis le sol je ne pouvais voit le plat du toit et donc m’y téléporter sans chute. Mais peu importe, en grimpant du côté opposé à celui ou notre braconnier arrivait, aucun risque de me faire surprendre.
Ce dernier, d’ailleurs, s’était arrêté net. Humant l’air, il était soudain devenu assez méfiant. Il avait posé sa bête au sol pour épauler son arbalète. Moi j’étais allongée sur le toit, à attendre. Il fallait frapper au bon moment. Si je loupais le coche, il serait averti et alors il passerait en situation de combat, devenant beaucoup plus dangereux. Après… Je n’étais pas plus inquiète que ça. Ralia semblait considérer la situation avec une gravité que ma cible ne me faisait pas partager : j’étais une experte du corps à corps. Il m’était avis que Ralia et moi, même individuellement, nous aurions été capables de nous charger de lui. Mais là ou elle disait vrai c’est qu’on avait tout à gagner à minimiser les risques.
Surtout ne pas bouger. Le mouvement était la pire chose quand on voulait se cacher. Il attire l’œil. Il n’aide pas celui qui te vise, mais clairement, impossible d’être discret quand on bouge trop. Je calmais ma respiration, tâchais de ne pas serrer mon arme trop fort. Notre adversaire, lui, semblait suivre une piste. A l’odorat. Comme s’il avait le nez d’un chien. Il fit le demi-tour de la cabane jusqu’à finir du côté ou nous étions arrivées. Le voici qui se penche et… Le sang ! Il devait avoir un pouvoir lié à son odorat et il avait senti le sang !
Je me redressais alors en même temps que lui. Mais pas pour la bonne raison Je lançais le boomerang. J’avais pleine conscience de sa trajectoire, de son équilibre, de la nature de son mouvement. L’arme hybride s’en alla dans les airs dans un bruit caractéristique mais bien rare.
Le braconnier lui s’était relevé en comprenant que ce sang n’était pas celui d’un animal. Puis il avait essayé de saisir quelque chose dans sa poche. C’était pas une réaction normale. Il aurait dû regarder partout, tirer, épauler, braquer son arbalète après avoir senti ce sang, entendu ce bruit. Mais il semblait avoir plus important à faire que se défendre et… CRAAAC. Le boomerang dans la nuque et le voici qui s’effondre net.
Mais je plissais les yeux en pâlissant un rien. Ce qu’il avait fait tomber de sa poche, ce qui semblait plus important que sa défense… Un sifflet.
« Capicheeef ! » Murmurais-je très fort depuis mon toit. « Il n’est pas seul ! ». Logique. Un homme seul n’aurait pas pu disposer de toute une troupe de forestier. Mais mon boomerang gisait à ses pieds, ses copains se poseraient bien vite des questions et lui-même ne serait pas non plus évanouit pendant des heures. Vu la taille du sifflet, ses camarades ne pouvaient pas être très loin.
« Si on prend le sifflet, on peut essayer de les attirer au même endroit pour les piéger, ou même deviner d’où ils viennent pour voir si on peut pas retrouver vos compagnons... ! » Audacieux pour ne pas dire très risqué. Mais que ce soit le piège ou le fait d’agir contre eux en libérant et armant les forestiers -à supposer qu’ils soient vivants ; les deux idées pouvaient donner.
« On fait quoi ? » Une chose était sure, on avait gagné un répit, mais seulement un très court.
Elle remarqua rapidement qu'il agissait comme un chien de chasse plus que comme un humain. Très bien. Ce genre d'animal pouvait devenir fou à la vue d'une bête blessée... Ce serait donc son rôle. En espérant que son alliée forcée se montre digne de confiance. Dans le cas contraire... Eh bien, elle risquait purement et simplement de ne plus être là pour lui en vouloir. Mais c'était soit rester à l'intérieur en attendant d'être cueillie et mourir à coup sûr, soit prendre des risques dehors et avoir une chance, même infime, de s'en sortir. Il n'y avait pas à tergiverser bien longtemps.
- Bingo, ce n'est pas du sang animal. Vous...
Elle n'eut pas le temps d'en dire plus. L'homme s'effondra à ses pieds, révélant un boomerang... Qu'elle reconnut comme étant celui que sa jeune alliée avait choisi. Bien. Elle ramassa le projectile. Quelle que soit la suite, elle devrait trouver un moyen de le lui rendre. Et, dans son état, qu'elle venait elle-même d'empirer, il ne fallait même pas penser à escalader quoi que ce soit... Mais lui demander de redescendre serait du suicide. Surtout si, comme elle le disait, il y en avait d'autres...
- Ok, inutile de chercher à être discrètes, ils sont alarmés. À deux, on n'arrivera à rien, il faut rejoindre le village... Mais s'ils nous suivent, on les amènera à des habitants sans défense. Si tu vas tout droit dans cette direction, tu finiras par tomber dessus. Vas-y, ramène des renforts. Je vais m'arranger de garder qui que soient ceux qui arrivent ici.
C'était risqué. Elle savait que, depuis que ce braconnier s'était approché, non, depuis qu'elle s'était blessée, elle jouait sa vie. Mais, quitte à mourir, elle préférait le faire en tentant de se défendre plutôt qu'en attendant passivement son destin.
Partant du principe que Lily avait obéi, elle ne fit plus attention à elle. Et pour cause : elle se trouvait face à quatre hommes bien mieux équipés que le premier. D'accord. Soit Lily se dépêchait et elle avait une chance, soit... eh bien... tout serait très vite terminé. Néanmoins, elle devait les dissuader de regarder dans la direction de son alliée :
- Dites... Vous ne trouvez pas que c'est de la triche, ça ? Quatre et demi contre une... Alors, je vous propose de changer un peu les règles. Pas d'armes à distance, d'accord ? Je ne pense pas que ce soit un trop gros handicap pour vous, non ?
Pitié, Lily, dépêche-toi ! Elle ne savait pas pendant combien de temps elle pourrait les distraire... Et si l'un d'eux décidait que le jeu était terminé, elle était prête à parier que les autres le suivraient. Sans compter celui qui était assommé et finirait forcément par se réveiller...
J’allais donc me cacher tandis que les 4 hommes avançaient vers elle, arbalète ou arc en main, l’encerclant. Sans m'en rendre compte, j'annihilais ma propre respiration, transie de peur. J'enfonças mes ongles dans l'écorce de l'arbre qui me servait d'abri tandis que je guettais.
« Dites... Vous ne trouvez pas que c'est de la triche, ça ? Quatre et demi contre une... Alors, je vous propose de changer un peu les règles. Pas d'armes à distance, d'accord ? Je ne pense pas que ce soit un trop gros handicap pour vous, non ? »
« Bien sur ma grande. On va déposer nos armes et puis se rendre gentiment sans faire d’histoire. Allez, tu mets les mains bien en évidence, qu’on puisse te menotter et tu vas aller avec les autres. Ca peut se faire calmement ou après qu'on t'ai amoché. T'es déjà blessée, va pas aggraver ton état. »
Les autres ? Intéressant, ça. Ces hommes avaient tous une épée, un couteau, une arme de jet. Ils ne plaisantaient pas. Mais visiblement, ils n’étaient pas des tueurs d’homme. C’était déjà ça. Une idée me vint alors. La plus dure de toutes les idées. C’était dans mes cours quand j’étais cadette à la caserne, en programme de correction. Naturellement, notre instinct nous pousse à agir, intervenir. Plus la situation est pénible moins on a envie de laisser les choses se faire. Pourtant, bien souvent la meilleure chose à faire, c’est rien. Attendre. L’efficacité implique très souvent l’opportunité. Et n’importe quel stratège sait, au même titre qu’un chasseur, que l’on a l’initiative que le temps du premier mouvement. Après, c’est la lutte.
Présentement, Ralia allait peut-être en baver, mis tant qu’elle n’engageait pas le combat, elle risquait d’être -relativement- bien traitée. Alors j’estimais qu’il valait mieux attendre que la situation se tasse. Qu’ils la ramènent à leur camp. Ou qu’une occasion d’intervenir se présente. Mais j’espérais pouvoir aller jusqu’au camp. Et pour cause, si ce qu’ils disaient était vrai, je libèrerai Ralia en plus des autres, avec la chance d’inciter un combat qui cette fois, serait tellement à notre faveur qu’il n’y aurait pas de lutte.
C’était dur, mais plutôt que de foncer tête baissée, le mieux à faire c’était de rester hors de vue, hors de nez, et patienter.
Sur les 4 hommes, deux se mirent un mouvement. L’un avançait vers Ralia, une corde en main pour ligoter cette dernière. L’autre pris le pouls de son camarade que j’avais assommé.
« Meric est sonné, mais ça a l’air d’aller. Cette peste l’a mis hors combat mais elle ne lui a pas fait de mal. On le ramène ». Ni une ni deux, le concerné en vint à soulever son camarade pour le charger sur son épaule.
A présent l’autre braconnier était sur Ralia. Il attendait qu’elle tende les mains. C’était le dernier moment pour la forestière de réagir avant d’être entravée. Je serrais le poing et retenais mon souffle. Si Ralia se défendait, le combat risquait de lui couter la vie, donc je serai obligée d'intervenir. Cet affrontement pouvait parfaitement tourner à notre avantage. J'avais la surprise avec moi et j'étais une experte du corps à corps. A voir cependant si ces balourds avaient des pouvoirs nocifs. Ca, c'était la grande question. Mais non seulement cet affrontement pouvait s'avérer mortel mais en plus, on risquait de ne jamais apprendre ou ses collègues pouvaient être retenus…
S’il te plait, ne fait rien, ne fait rieeeen…
Puis elle soupira. Visiblement, ils n'étaient pas réceptifs aux taquineries. Elle voulait les défier, certes, mais à un jeu du chat et de la souris, les faire courir un peu. Mais ils avaient l'avantage du nombre. Et le savaient probablement.
- Enfin, puisque vous avez décidé de ne pas être drôles... D'accord, je vous suis. Mais vous pouvez garder votre corde, de toutes façons, vous croyez que je suis en état de fuir ?
Gravement blessée et seule contre quatre... Non, clairement, même si elle le voulait, elle était certaine qu'elle ne ferait pas trois pas avant d'être rattrappée. Et puis, il était hors de question qu'on l'attache. Et, évidemment, cette mention des "autres" l'intriguait. Alors, elle les aurait peut-être suivis même sans menace, s'ils avaient simplement mentionné cela... Oui, en temps normal, d'autres humains ne l'auraient pas intéressée. Mais là... Il y avait de fortes chances qu'il s'agisse de ceux qu'ils cherchaient. Alors, elle les suivrait. D'ailleurs, elle eut une idée :
- Oh, au fait, vous avez le moyen de vous assurer de ma coopération, non ? Il n'y en aurait pas un parmi vous capable de contrôler les esprits ?
Silence.
- Rhô, allez, quoi ! Et puis, si vous voulez que je me taise, pourquoi ne pas m'y forcer ? Vous le pouvez, non ?
- On peut t'assommer, oui.
- Chiche !
... Parfois, elle ferait bien de réfléchir avant de parler. Elle ne sentit même pas le coup avant de perdre connaissance.
- Ralia ? Qu'est-ce que tu fais là ? Et qu'est-ce que tu leur as fait pour qu'ils te ramènent inconsciente ? Et puis, ils ont aussi dit que tu parles trop, c'est vrai, ça ? Tu ne nous y as pas habitués... Et oh, ton bras ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Il faut te faire soigner, et vite !
Rha, mais est-ce qu'ils pouvaient se taire, à la fin ! Elle sortait à peine de son brouillard, et déjà, on l'assommait de nouveau, mais cette fois avec des questions.
- T'étais pas censé me répondre quand j'appelais, toi ?
C'est alors qu'elle réalisa à qui elle parlait. Oui... Ses collègues... Elle les observa. Les compta. Tout le monde était là.
- Qu'est-ce qui se passe, à la fin ? Pourquoi... Vous n'avez rien vu venir ? Ou alors, il y en a vraiment un qui contrôle les esprits ?
- On parlera de tout ça après. D'abord, montre-moi ton bras.
Elle soupira alors que le plus médecin du lot l'examinait. Visiblement, l'heure n'était pas aux retrouvailles. Aussi bien elle que ses collègues avaient beaucoup de choses à dire... Et où était passée la fameuse Lily ? Avec tout ça, elle l'avait oubliée. Mine de rien, elle espérait qu'il ne lui était rien arrivé... Et qu'on avait trouvé une raison, quelle qu'elle soit, pour la garder au Village. Elle y serait mieux tant que toute cette histoire ne serait pas tirée au clair.
« Le Warg qu’on avait signalé. Il n’est pas arrivé ici par hasard. Ce sont ces braconniers qui l’avaient capturé pour le relâcher dans la forêt. Ils savaient qu’à savoir qu’un warg se promenait ici, nous aurions à intervenir. Lorsque tu as appelé, la moitié des effectifs est partie pour t’aider. Sauf qu’ils sont tombés dans un piège : ils nous attendaient, embusqués dehors. Les braconniers se sont emparés de la moitié d’entre nous. Pour l’autre moitié, on a été forcé de se rendre. Ils menaçaient de bruler l’arbre et de nous tirer comme des lapins lorsqu’on essaierait de s’enfuir, puis de tuer tous les otages. » Tandis qu’il racontait, il utilisait un matériel de soin relativement correct. Compresse, alcool pour désinfecter, bandage. De quoi effectuer un véritable pansement sue une plaie bien propre. Bien sûr, en rien cela ne retirait à cette pratique la douleur qu’on pouvait en attendre. « Ce sont eux qui m’ont donné ça pour te soigner. Ils ne veulent pas nous tuer. On est une monnaie d’échange pour Lucy sait quoi. De l’or, la libération de d’autres braconniers… »
Moi de mon côté, j’avais regardé tout ça. Grimaçant lorsque Ralia se fit assommer puis emmener. C’était pas sympa, mais au moins ma petite forestière n’était pas abimée plus que ça. A être honnête, je pouvais presque craindre qu’ils la tuent, ou la violent. Ou les deux. Mais non, ils étaient curieusement soigneux, comme s’ils avaient eu peur de l’abimer… Je les avais suivis jusqu’au camp, prenant garde à ne pas me faire voir. Un petit repérage pour savoir ou étaient les prisonniers. Bingo ! Ils étaient dans un genre de grande cage en bois, presque un enclos, avec des attaches de paille et de corde. Un prédateur ne saurait absolument pas s’en défaire, un homme désarmé non plus, d’ailleurs. Mais une fois qu’on avait la raison et de quoi couper... Défaire ce genre de prison était un jeu d’enfant.
Une idée, une idée… Simple. Un plan simple mais sa mise en œuvre impliquait de gros risques. Les forestiers étaient plus nombreux que les braconniers. Mais sans équipement, la bataille était perdue d’avance. En revanche, à armes égales, c’était pour les forestiers que la balance pencherait. Mais pour cela.. Pour cela Lily, c’était à toi d’intervenir !
Je fis machine arrière jusqu’à la cabane avant de tirer une corde pour faire un gros fagot avec les armes de la réserve et me coller tout ça sur le dos. Le retour jusqu’au camp ne fut pas exactement plaisant. Tout cela était lourd. Mais plus encore, je sentais venir en moi le poison de la peur. Après tout, je pouvais les laisser se demerder avec leurs armes, oui ? Mais il y avait un fort risque qu’il se fasse surprendre et purement et simplement tirer au travers les barreaux.
Bon sang Lily, du nerf, du calme. Allez. On respire. On respire. On reprend empire sur soi-même. Allez. On y est presque. Oui, je voyais déjà le petit camp fait de tentes et de quelques installations en bois. Il y avait 5 braconniers, plus celui qui colmatait encore à cause de mon boomerang. Ils n’étaient pas spécialement sur leurs gardes. Aussi je pus approcher de la cage par l’arrière en posant le fagot d’arme contre.
« Pssst… PSSSST ! Oui.. Par là.. Non, taisez-vous et écoutez-moi ! » Grondais-je ceux qui s’apprêtaient à s’exclamer, de ravissement ou de surprise. « Vous n’approchez pas et vous ne touchez pas à ça tant que j’ai pas donné le signal ! Dès que vous l’entendez, vous prenez ces armes et vous coupez les liens des barreaux pour sortir… » Sans attendre de réponse je filais.
Oui, j’entendais mon cœur battre à tout rompre, mes tempes s’agiter, assourdissantes. Je grimpais à un arbre, maladroite et fébrile. De là, je dominais le camp. Il fallait les distraire mais sans les alerter. Au moindre soupçon de réel danger, ce serait les prisonniers qu’ils iraient surveiller. Non, il fallait les alerter sans les mettre sur la défensive.
C’est là qu’on peut se dire « Imite un bruit d’animal ! » sauf que moi, des animaux sauvages, je n’en connaissais pas des masses ! Le pigeon, le rat.. Un pissenlion une fois… J’étais une citadine ! Si je criais « GRUIIIIK ! » j’allais juste me faire pincer. Non, il me fallait un truc que je connaissais, bien dans ma mémoire et qui..
Non… ? Si.. ? Oh.. Allez... Il faisait comme ça.. Un peu plus rauque et grave sur la fin... Ca venait du fond de la gorge. Oui... Comme ça. Bien primaire. J’allai m’entrainer un peu plus loin…
Au bout de quelques minutes un grognement se fit entendre. Peut-être pas pour les prisonniers. Mais la suite, elle fut clairement audible :
« LE WARG ! LE WARG EST PAR ICI ! »
Voila. Plus de sentinelles. Le camp entier occupé à chercher le fauve que j’avais correctement singé. Et donc littéralement. A me courir après. Alors cours, Lily. Cours. Et plus vite qu’eux !
- Il faudra quand même le renvoyer chez lui. Ou...
Elle hésita. Ce qu'elle allait proposer ne lui plaisait pas, mais s'ils n'avaient pas le choix, si c'était trop dangereux de l'approcher...
- Ou faire appel à un chasseur.
D'ailleurs, elle en connaissait un, de chasseur, non ? Il y avait juste un problème : elle ne savait pas où il se trouvait. Et puis, avant de l'appeler, il lui fallait aussi se sortir de cette situation.
Les braconniers ne voulaient pas les tuer ? Hum, voilà qui était intéressant. Peut-être pourraient-ils utiliser cette connaissance pour trouver une échappatoire ?
- Il faudrait trouver exactement à quoi on sert... Mais si on demande, on risque d'attirer leur attention, et ils pourraient se méfier... Attendez...
Alors, elle se perdit dans ses pensées. La négociation était-elle possible ? Si oui, qui devrait s'en charger ? Clairement, elle était loin d'être la mieux placée pour cela. Mais était-ce une solution qui avait des chances de fonctionner ? Après tout, elle avait vu de quoi les braconniers étaient capables. Pour l'instant, ils ne voulaient pas les tuer, mais qui lui disait qu'ils ne changeraient pas d'avis si les prinonniers ne coopéraient pas ?
Alors que ses yeux se baladaient sur les environs au fil de son cheminement interne, ils finirent par tomber sur les "barreaux" de a cage dans laquelle ils se trouvaient. De la corde ? Rien que ça ? Passant sa main dans sa botte, elle en tira sa fidèle lame. C'est alors qu'une main se posa sur la sienne :
- C'est inutile. Avec un lame aussi fine, ça te prendra des heures de ne détruire ne serait-ce qu'un seul barreau. Et ça m'étonnerait qu'ils apprécient de voir qu'on tente de s'enfuir...
- Mais on ne peut pas non plus rester sans rien faire ! La Forêt a besoin de nous !
C'est alors qu'un son métallique détourna son attention.
- Lily !
Elle avait sifflé le nom entre ses dents. Franchement, que devait-elle faire pour que la demoiselle comprenne qu'elle devait rester éloignée du danger ? Tout cela ne la concernait pas, après tout ! Et pourquoi Ralia elle-même s'inquiétait-elle, d'ailleurs ? Peut-être parce que, d'une certaine manière, elle se sentait responsable de la situation actuelle de sa cadette ? Après tout, le warg ne l'aurait jamais acculée en haut de cet arbre si les braconniers ne l'avaient pas relâché près d'elle... Et c'était à cause de Ralia et de ses collègues qu'il y avait été lâché. Pourquoi, d'ailleurs ? Quelle valeur représentaient-ils ? Tant de questions dont, elle en était certaine, elle ne connaîtrait jamais la réponse.
En parlant du warg... Il était revenu ? Vraiment ? Etrange... Un animal sauvage ne se serait jamais autant approché d'autant d'humains rassemblés au même endroit, car ils représentaient un danger trop important, surtout pour un individu isolé...
C'est en voyant ses compagnons suivre les instructions données plus tôt par sa comparse qu'elle comprit. Ah. Ainsi, c'était ça, le fameux signal. S'emparant donc d'une épée courte qu'elle pourrait manier malgré son bras encore inutilisable malgré les soins reçus, elle suivit le mouvement, et, rapidement, la cage fut réduite en miettes. Bon, il n'était peut-être pas nécessaire d'en arriver là, mais c'était le résultat des efforts combinés d'une équipe qui savait travailler en coordination, et dont chaque membre s'était attaqué à une portion de corde différente.
C'est à ce moment que Ralia prit congé :
- Cette fille est de ma responsabilité. Je vais m'assurer qu'elle s'en sorte.
- Evite les arbres !
Trop tard, elle était partie... Par la voie des branches. D'accord, elle le savait, sa blessure avait de fortes chances de se rouvrir, mais une petite plaie n'était rien à côté de la sécurité de celle qu'elle avait entraîné dans tout cela. S'il lui arrivait quelque chose, elle ne se le pardonnerait pas. Alors, ce fut en pestant intérieurement contre la demoiselle et elle-même qu'elle suivit ses traces. Il n'était pas difficile de la suivre, elle et ses poursuivants, car aucun d'eux ne cherchait réellement à être discret. Une fois de plus, les oiseaux furent ses meilleurs alliés : elle n'avait qu'à suivre la trajectoire de leur fuite en sens inverse. À présent, les rôles étaient inversés. Désormais, c'était Ralia qui suivait en attendant le bon moment pour agir. À deux contre cinq, pourraient-elles s'en sortir ? Quoi qu'il en soit, elles avaient deux fois plus de chances que la plus jeune des deux seule...[/color]
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