Son examen était proche, de même que le commencement de son projet fratricide. A ce titre, il n’était pas question de s’attirer les foudres de sa hiérarchie ou de sa famille. Son examen d’ailleurs … Parlons-en. Loin de stresser à l’idée d’échouer, Marc-Antoine était le seul étudiant serein au sein de sa promotion. Tous ses camarades étaient pris de panique à l’idée de ne pas être admissible. Par conséquent, tous s’affairaient à l’entraînement et tous ressentirent à un moment donné ce besoin de décompresser. Par principe, un apprenti garde convia Marc-Antoine à suivre la troupe à la taverne. En règle générale, le grand blond refusait ce type d’invitation. Il n’avait jamais apprécié l’ambiance des bars et n’était pas un grand buveur. Néanmoins l’idée de revoir la demoiselle qu’il avait escorté et qui officiait en tant que serveuse à la taverne motivait notre héros à accepter.
Face à la réponse positive de Marc-Antoine, le collègue du grand blond arqua un sourcil avant de reposer la question, juste pour être sûr. Cette fois-ci il jugea bon de mettre l’emphase sur le fait que le groupe d’ami comptait aller dans une taverne. Ce détail ne semblait néanmoins pas déranger le garde, bien au contraire et il fit savoir à son camarade qu’il serait prêt en temps et en heures pour partir.
Sur les coups de vingt-heures, la petite troupe quitta la caserne afin de rejoindre un établissement bien moins noble. La taverne n’était pas loin et il ne fallut pas plus de dix minutes au groupe d’apprentis pour rejoindre cette dernière. Une fois sur place, ils commandèrent chacun quelque chose. Le propriétaire de la taverne s’affairait tandis que Marc-Antoine pour sa part demanda :
▬ De l’eau ?
Était-il seulement possible de commander pareille boisson ? En tous cas les clients entourant le jeune homme furent surpris par une telle demande.
▬ Oubliez. Je vais prendre la même chose que lui.
Il pointa du doigt son collègue à sa droite. De toute façon, il ne comptait pas boire. Rien ne l’obligeait. L’apprenti chevalier pouvait tout à fait commander quelque chose sans pour autant le consommer. Certes c’était une perte d’argent mais il n’était pas particulièrement inquiété financièrement. Tandis que le vieil homme bedonnant remplissait les verres de ses camarades – et le sien – Marc-Antoine passait en revue la salle et cherchait du regard la serveuse.
Le voyage de retour n’avait pas été de tout repos. Tu avais perdu un temps considérable, et inutile de préciser qu’une fois la petite bourgade rejointe, rappelons-le, sans chaussures, sans cape, une partie de ton haut en lambeaux et le reste de tes vêtements encore humides, tu n’étais plus vraiment disposée à faire preuve de patience vis-à-vis du marchand qui t’avais forcée à venir jusque-là. Du coup, tu n’avais pas été très courtoise avec le petit homme, tu avais même été plutôt expéditive en lui demandant de livrer l’alcool due à la taverne au plus vite. Tu avais obtenu ce que tu voulais … tu n’avais simplement pas échapper à sa hausse de prix, cependant, il avait tout de même consenti à ce que rentre à la Capitale installée dans son chariot ce qui évidemment, n’avait pas été de refus.
Lorsque tu étais rentrée à la maison, tu avais eu le droit à mille questions. Tu étais évidemment dans un drôle d’état, et tout ça n’avait pas échappé à ton père qui s’était mis à se faire un sang d’encre inutile, allant même jusqu’à t’imposer un repos forcé dont tu n’avais absolument pas besoin. Tu avais bien essayé de batailler pour qu’il te laisse travailler comme à ton habitude … en vain. C’était quatre ou cinq jours de repos, minimum pour lui, et ce n’était pas autrement. C’est qu’il pouvait avoir de l’autorité, quand il s’y mettait. Fort heureusement, le vieux bonhomme était du coup très occupé, ça te permettait donc de venir servir quelques clients, par-ci, par-là, de donner un coup de main en cuisine, c’est que tu t’ennuyais à ne rien faire, toi qui avais toujours pour habitude de travailler du matin au soir ici.
L’après-midi, avait en revanche été plutôt calme. Ce ne fut qu’aux environs de vingt heures, en soirée, que la taverne se mit subitement à se remplir. Tu avais senti, entendue cette agitation que tu aimais tant voire ici alors, de la cuisine, tu avais penché la tête pour observer la salle avec l’envie bien présente de te mêler à la salle. Comme toujours, quelques aventuriers qui parlaient trop forts, des clients réguliers, certains qui venaient même tous les soirs pour profiter d’une pinte fraîche, et puis le même groupe de gardes que la dernière fois. Tu avais reconnu quelques voix. Quelques visages aussi, avant de t’attarder sur l’un en particulier. D’un signe de main, tu avais pratiquement aussitôt fait comprendre à la cuisinière que tu te joignais à la salle et sans attendre la moindre réponse, tu t’étais mise à avancer, saluant au passage quelques visiteurs bien connus avant d’aller attraper les derniers verres dans les mains de ton père pour les porter toi-même.
▬ C’est toujours le cas en ce qui concerne l’alcool. Cette taverne en revanche présente quelques qualités. Elle a son charme en un sens.
La décoration était sommaire, de même que la carte. Il ne fallait donc pas chercher le « charme » de ce côté-là. L’ambiance quant à elle était semblable à celle de toutes les tavernes du royaume : Bruyante. C’est dans cette cacophonie qu’il écarta son verre d’un revers de la main, comme pour montrer son désintérêt vis-à-vis de la boisson. Il avait commandé par courtoisie, dans le but de ne pas s’attirer les foudres du tavernier ou les regards inquisiteurs des autres clients. A aucun moment il n’avait prévu de boire. Le verre allait rester plein un bon moment. Son collègue de gauche allait sûrement s’en saisir tôt ou tard.
▬ Nous passons un examen dans quelques semaines. C’est pour cette raison que mes amis et moi-même sommes ici. Pour décompresser j’imagine.
Décompresser … C’était vite dit. Le bougre ne ressentait aucune pression tant il se fichait dudit examen. Il se savait capable d’y arriver et – dans le pire des cas – n’avait qu’à tricher ou soudoyer les examinateurs. En outre, si Marc-Antoine avait une myriade de passe-temps lui permettant de se libérer l’esprit, aller se saouler dans une taverne n’en faisait pas parti. Terry avait servi tout le monde à cette table. Avant de la laisser s’en aller, le grand blond passa sa main près de la sienne, frôla ses doigts avant de lui chuchoter :
▬ Passez à la caserne demain à huit heures. C’est un jour de pause, je suis de rangement et la salle d’entraînement devrait être libre. Je pense que cela peut vous plaire, en plus de vous servir pour la suite.
Par « la suite », il entendait son avenir en tant que membre de la guilde. Du moins si elle souhaitait toujours entrer dans cette dernière. Connaissant ses collègues, ils allaient boire toute la soirée. Jamais ils ne seraient réveillés pour huit heures et quand bien même ce serait le cas, qui aurait dans l'idée de s'entraîner un jour de repos ? Sûrement pas un de ces gus. Marc-Antoine quant à lui prévoyait de prendre congé de ses camarades au plus tôt, prétextant la maladie, la fatigue ou bien le devoir. Après tout il allait devoir se réveiller tôt afin d’effectuer le rangement de fin de semaine.
Marc-Antoine avait fait ce qu’il avait à faire ici et n’avait qu’une idée en tête : Quitter cet endroit bruyant qui empestait l’alcool et regagner sa chambre. Il ne savait pas si Terry viendrait ou non demain matin.
Il était étonnant de retrouver le jeune homme ici … lui qui avait semblé si sûr de lui lorsqu’il avait annoncé qu’il n’était pas dans ses habitudes de mettre les pieds dans une taverne, lui qui avait aussi affirmer ne pas boire une goutte d’alcool. Ta curiosité l’avait emportée. Il avait fallu que tu poses la question, tout en gardant tout de même un minimum de discrétion – autant dire que tu avais l’habitude – pour ne pas créer de situation embarrassante en présence des autres apprentis.
Un regard vers ton père t’indique que ce dernier à déjà terminé avec son vieil ami, il a été servi et ton vieux papa est retourné au bar, ne manquant pas de te lancer quelques drôles de regards pour te rappeler que tu n’as à travailler ce soir.
Le lendemain, tu es levée aux aurores. Dés les premières lueurs du jour, tu es même déjà en bas, à la cuisine sous les regards surpris de ton père et d’Esther, la cuisinière.
Le tavernier hurla le prénom de celle qui, l’autre jour, avait été la camarade de route de notre héros, précipitant ainsi son départ de la salle. De son côté et « pour ne pas s’ennuyer comme un rat mort » comme le disait si bien son ami, Marc-Antoine se prêta au jeu et parla avec ses collègues de tout et de rien. Si en apparence, le jeune homme avait l’air de s’amuser, il n’en était rien en vérité. A la première occasion, le bretteur prit congé des autres gardes, affirmant avoir à faire chez lui. En tout et pour tout, il était resté une bonne heure et demie à la taverne, un exploit d’après certains. Une fois de retour, le cadet des de l’Épée regagna sa chambre et rejoignit les bras de Morphée. Une longue journée l’attendait demain.
Levé de bon matin, Marc-Antoine fit un rapide tour des lieux. Comme prévu, il n’y avait personne. Ses camarades de l’internat dormaient toujours. Selon toute logique ils n’allaient pas se réveiller avant deux ou trois bonnes heures, au minimum. L’épéiste se gratta machinalement la tête, comme pour stimuler ses cellules grises. Il avait invité Terry à le rejoindre sans pour autant préparer un véritable programme à l’apprentie aventurière. Avec du recul, Marc-Antoine se voyait mal coacher quelqu’un, quand bien même cette personne lui était inférieure. L’apprenti garde s’entraînait une fois tous les trente-six du mois, sa légitimité à jouer les profs était donc plus que bancale. Soit dit en passant, il n’était même pas sûr de voir Terry arriver. La jeune femme n’avait pas eu le temps de répondre à son invitation, qui sait, sa présence était peut-être requise ailleurs. Les doutes de notre héros furent dissipés bien assez vite quand il vit la jeune femme, seule dans la cour.
▬ Bonjour. Vous êtes venue au final.
Bien entendu la question était rhétorique. Marc-Antoine n’ayant rien préparé de particulier, il allait devoir improviser ; Il excellait dans la discipline, regardait autour de lui et fit quelques pas en direction du bâtiment le plus à l’ouest, là où se trouvait le fameux mur d’escalade sur lequel il s’était entraîné. Sur le trajet, Marc-Antoine jugea bon de faire la conversation :
▬ Vous ambitionnez toujours de rejoindre la guilde un jour ? Est-ce que vous savez quelles sont les épreuves du test d’entrée ?
Lui, n’en avait pas la moindre idée. D’ailleurs, il ne savait même pas s’il y avait un test ou non. Dans tous les cas, il ouvrit la porte du gymnase, laissa entra Terry puis pointa du doigt le gigantesque mur :
▬ Cela vous rappelle quelque chose ?
Bien sûr, il était différent. Moins réaliste, moins humide, moins haut aussi mais tout aussi difficile à gravir.
▬ Vous voulez essayer ? Vous serez attachée, je vous rassure.
Au test d’entrée de la guilde – en supposant qu’il y en ait un –, il n’y avait probablement pas d’épreuve d’escalade néanmoins cette qualité était nécessaire à tous les aventuriers. Être en mesure de nager, d’escalader, toutes ces aptitudes étaient des prérequis évidents pour un garde ou un aventurier digne de ce nom.
Tu restes parfaitement immobile, droite, tandis que ton regard se balade d’un endroit à un autre sans réellement s’attarder particulièrement. Tu te demandes même ce que tu fiches ici, au final. C’est vrai ça, Terry, pourquoi est-ce que tu es venue … Par curiosité. Pour voir. La perspective d’apprendre une ou deux choses, aussi, peut-être. Tu avais des lacunes dans de trop nombreux domaines, c’est ce qui continuait de te faire hésiter, du moins en partie, sur le fait de rejoindre ou non la guilde. Disons que tu avais simplement envie de te donner les moyens de réussir, de réussir pour de bon. Rejoindre la guilde était chose relativement facile, du moins, de ce que tu en savais, l’entrée n’avait pas l’air de nécessiter le moindre examen de passage … Une fois sur le terrain, pour de bon, c’est là que les choses devenaient compliquées.
Il faut un peu moins d’une minute pour qu’une voix familière se fasse entendre derrière toi, ce qui te rassure grandement, tu te voyais mal parcourir l’endroit de long en large, seule. Tu n’aurais pas su t’expliquer si tu étais tombée sur quelqu’un d’inconnu, en plus.
La porte ouverte, tu t’engouffres dans la nouvelle pièce observant avec attention le mur d’escalade qui se tient devant toi.
▬ Non, en effet. Vous ne risquez pas. Et il faut bien commencer à un moment ou à un autre.
Marc-Antoine ainsi que ses collègues étaient tous tombés à de multiples reprises lors de leurs premières tentatives. En somme, échouer ici n’était pas une honte en soi. Anxieuse, Terry ôta sa cape puis prit place face au mur. L’interne lui tendit le harnais antichute et tenta de la rassurer … A sa manière :
▬ Assurément, vous ne l’êtes pas. Mais vous êtes là pour apprendre.
Lui qui jusqu’à présent tentait de faire preuve d’amabilité afin de plaire à la rouquine était retombé dans ses vieux travers. Par moment, il ne pouvait s’empêcher ce type de réflexion à voix haute. Il faut dire que la pédagogie n’était pas le fort de notre héros, tout comme la modestie d’ailleurs. D’autant que dans le fond, il n’était pas si doué que ça en matière d’escalade. Il avait eu de la chance l’autre jour. Si son talent ne s’était pas activé à temps, le jeune homme aurait sans doute passé l’arme à gauche. Certains de ses collègues, eux, auraient été en mesure de gravir ledit obstacle sans même avoir recours à leur talent héréditaire, à la simple force de leurs bras. Le de l’Épée quant à lui manquait cruellement d’assiduité et d’entraînement. Tout cela l’empêchait d’accomplir pareille prouesse. Marc-Antoine fit une ou deux fois le tour de la serveuse, procédant ainsi une énième inspection. Il s’assurait une dernière fois de la solidité de la corde, des sangles et autres nœuds. En clair, il vérifiait que Terry était bien attachée, puis déclara :
▬ C’est bon, vous pouvez y aller. Je vous assure.
Le bleu de la garde tenait entre ses mains une corde lui permettant de retenir l’éventuelle chute de sa camarade. Il observa avec attention les faits et gestes de Terry afin de lui prodiguer des conseils pour la suite. Si Perceval était là, il exploserait de rire. Marc-Antoine donner des conseils … Lui qui est incapable d’écouter ceux des autres.
Commencer à un moment ou à un autre … il n’avait pas tort. Et puis surtout, il fallait bien commencer quelques part. Voilà plusieurs années maintenant que tu songeais à apprendre quelques petites choses que tu jugeais pratiques, utiles. Seulement, tu n’avais jamais vraiment eu l’occasion de le faire. Ni même trouver une personne qui soit en mesure, ou volontaire pour te donner un petit coup de main. Les aventuriers qui passaient par la taverne n’étaient que des connaissances … la plupart avait bien trop souvent pris tes histoires de guilde pour les histoires d’une enfant bien trop rêveuse, et maintenant que tu avais quelques années de plus, pour certains, c’était juste tout bonnement impossible, voir même excessivement ridicule. Bien sûr, il y en avait eu quelques-uns pour te soutenir, voir même t’encourager, sans plus. Et puis, tu n’avais jamais osé non plus, pour finir.
Tu attrapes le harnais, prenant un certain temps pour le tourner dans tous les sens plusieurs fois entre tes mains avant d’en comprendre le sens et le fonctionnement avant de parvenir, tant bien que mal ne nous le cachons pas à l’enfiler relativement correctement. Tu ne relèves pendant ce temps pas la remarque de l’apprenti. Il est vrai que la politesse et la courtoisie aurait voulu qu’il tente au moins de te rassurer sur tes capacités … mais c’était à croire que tu commençais à avoir l’habitude de son comportement. Et puis. Ce qu’il venait de dire n’était pas faux du tout. C’était même la stricte vérité.
Tu te retournes, une fois, avant de te concentrer de nouveau sur ce mur. Tu inspires, expires. Okay. Ça ne pouvait pas être si infernal que tu te l’imaginais, il suffisait de trouver les bonnes prises. Bien plus simple que sur une paroi rocheuse toute lisse … Tu attaques donc le mur par l’endroit que tu juges être le plus propice à un départ accrochant tes mains à deux prises en hauteur avant de poser un pied, puis un autre. Tu n’es évidemment pas à l’aise. Tu as même l’impression la sensation tout à fait désagréable de sentir que l’un de tes pieds, celui sur lequel tu as le plus d’appui glisse peu à peu de la prise et … effectivement, c’est le cas puisque quelques secondes plus tard, tu es de nouveau les deux pieds sur le sol. Pas une remarque de ta part. Bien trop concentrée sur ton départ, tu n’oses pas pour le moment engager la moindre conversation, tentant de comprendre par toi-même ce que tu fais mal. Et puis, tu recommences. Les mains, les pieds, et cette fois, tu fais en sorte de ne pas trop t’attarder sur ton appui, l’objectif étant de grimper, tu continues dans la foulée grimpant de quelques prises supplémentaires avant de t’arrêter de nouveau. Plus tu montais, plus les prises se faisaient plus rares, elles s’espaçaient, doucement mais surement. Tu en avais repéré une … cependant, tu étais retenue par cette crainte de chuter à n’importe quel moment.
Le de l’Épée vit Terry se lancer et ne put s’empêcher de grimacer. « Je n’aurais pas commencé comme ça » avait-il pensé sur le coup. Quoiqu’il en soit, il s’abstint de tout commentaire et laissa la jeune femme œuvrer en silence. En soi, tout le monde avait sa propre façon de faire, ses propres prises et chemins de prédilection. Et s’il était admis par le plus grand nombre que certaines prises étaient plus risquées que d’autres, elles n’en restaient pas moins praticables dans certaines circonstances. Sans grande surprise, Terry regagna le sol quelques secondes après son départ, suite à un mouvement quelque peu hasardeux. Il était encore un peu tôt pour tirer des conclusions quant à sa technique. Aussi, il préféra ne pas déconcentrer la jeune femme avec des conseils superflus. Comme son instructeur aimait le répéter ; Terry devait dans un premier temps « prendre ses marques et faire connaissances avec le mur ». Pour ce faire, il n’y avait malheureusement pas de solution miracle. Il fallait essayer, échouer, encore et encore.
La jeune femme peinait à progresser et – loin d’être un enfant de chœur – Marc-Antoine prit un plaisir malsain à voir Terry échouer. Cela l’amusait et le réconfortait en un sens quant à ses propres compétences.
▬ Mes mains vont bien, merci. Elles n’ont pas trop enflées grâce à vous.
Certes elle n’avait pas fait grand-chose néanmoins retirer les morceaux de roche les plus incrustés et bander les mains du grand blond avait permis de limiter l’inflammation.
▬ Au fait, cela n’a rien à voir mais je suis retourné sur les lieux avec des collègues. Je voulais récupérer mon armure et vos vêtements mais nous sommes arrivés trop tard car il n’y avait plus rien. J’imagine que nos malheurs ont fait au moins un heureux.
Un ou plusieurs, oui. A l’heure où il parlait, l’armure devait être sur l’étale d’un marchand ou bien sur le dos d’un aventurier peu scrupuleux.
▬ Enfin bon. On y retourne ?
Comprenez par là : « Tu y retournes ? » car en soi, à part tenir la corde et amortir la chute de Terry, Marc-Antoine ne faisait pas grand-chose. Il avait repéré quelques faiblesses dans les mouvements de sa camarade mais préféré d'attendre avant de lui prodiguer quelque conseil que ce soit. Qui sait, elle allait peut-être corriger le tir d'elle-même.
Comme prévu, tu ne parviens pas à te débrouiller pour grimper jusqu’en haut. Tu ne t’attendais pas à réussir, évidemment. Tu t’attendais aux chutes, et malheureusement pour toi, ce n’est que la première d’une longue série. Si tu apprenais généralement vite, il ne fallait tout de même pas exagérer. Il te faudrait de la pratique pour parvenir à un niveau ne serait-ce que potable. Et pourtant … le fait que tu ais parfaitement conscience des choses n’empêche pas ton caractère impatient de se manifester. Si tu ne dis rien, du moins pas clairement, tu ronchonnes pour toi-même, tu pestes intérieurement, et chacun de tes gestes ne manque pas d’être accompagné d’un soupire qui en dit long sur ton état d’esprit du moment.
Tu te mets à chercher un nouveau départ. Tu testes. Tu voudrais éviter de rester bloquée au même endroit que précédemment, tu profites de la chance que tu as de pouvoir t’y reprendre à plusieurs fois et surtout, de pouvoir faire le choix quand au chemin que tu empruntes. Cependant … le résultat n’est pas bien brillant. Et le suivant l’est encore moins. De même que celui qui suit. Rien à faire, si tu parviens à escalader sur deux, voir trois mètres de hauteur, c’est bien ton maximum. Tu finis toujours par t’arrêter, par hésiter, puis retomber.
▬ C’est dur à dire, plein de choses je pense.
Terry n’était pas forte physiquement, en tout cas pas encore. A ce titre, se hisser et supporter son poids était bien plus difficile pour elle que pour quelqu’un d’autre. De la même façon, elle n’avait pas habituée ses tendons et ses nerfs à effectuer certains mouvements. De plus, elle changeait trop fréquemment de voie pour réellement s’habituer à une d’entre-elle et ainsi espérer la « valider ». Sans prendre la peine de s’attacher, Marc-Antoine s’avança vers le mur et plaça ses mains sur deux prises que Terry avait touchés quelques minutes plus tôt.
▬ Ici, ça me semble être un bon départ pour commencer. Ensuite, il y a plusieurs façons de faire mais une des plus simple à mon avis, c’est celle-là.
Et il grimpa sur six mètres la voie que les gens surnommaient ici « la route des débutants ». De peur de chuter, il n’alla pas beaucoup plus haut et redescendit avec précaution. Certaines prises étaient assez espacées mais aucune ne nécessitait un passage en force ou l’exécution d’une pirouette invraisemblable. Selon toute logique et d’après le de l’Épée, il était tout à fait possible d’arriver au bout sans vraie puissance physique et sans technique transcendante.
▬ C’était pour la démonstration. Pour ce qui est de la technique, tu ne m’as pas l’air si maladroite que ça. Je m’attendais à pire en vérité. Juste deux ou trois détails à corriger ; Par exemple quand tu places tes pieds sur une prise, évite de trop bouger. En général, quand on essaie de réajuster ses pieds, c’est mauvais, surtout quand on débute. De la même façon, hisse-toi toujours avec ta main la plus forte.
Sans vraiment s’en rendre compte, il s’était remis à la tutoyer. C’était un phénomène de plus en plus récurrent chez lui. Marc-Antoine réfléchissait, tentait de se remémorer les erreurs qu’il avait pu voir jusqu’à présent et eut soudain une révélation
▬ Et change de chaussures.
Pas qu’elles ne soient pas à son goût mais elles n’étaient simplement pas adaptées à la discipline. Il aurait dû y penser plus tôt et prévoir une paire à la taille de Terry.
▬ Tu peux te mettre pieds nus. Ce sera plus pratique.
En tout cas lui aurait préféré être pieds nus que porter ce type de chaussure.
C’était comme ça, parfois. Il te fallait tout en un simple claquement de doigts. Tu n’avais pourtant pas été élevée pour être capricieuse, d’ailleurs, ce n’était pas ce que l’on pouvait appeler des caprices, c’était de l’impatience. Si tu avais bien conscience de t’y prendre tard – trop tard – pour commencer à apprendre ce genre de choses, tu n’en étais pas pour autant plus disposée à l’admettre. C’est dans ces moments là que tu aurais bien troquer ton pouvoir contre un autre … celui d’apprendre plus rapidement, par exemple, d’assimiler les choses plus vite que la normale. Ça, ça t’aurait été utile. Pas comme cette pluie que tu ne parvenais à faire tomber que lorsque tu étais agacée, énervée ou encore triste.
Evidemment, peu importe ton impatience et ta frustration, tu écoutes avec grands attention le moindre conseil que pourrait te donner le blond. De même que tu l’observes sans le lâcher du regard lorsqu’il se met lui-même à escalader la paroi sur plusieurs mètres sans même être attaché. Clairement, il avait plus d’aisance que toi. Il n’y avait qu’à voir la rapidité avec laquelle il était arrivé au plus du double de la hauteur maximum atteinte de ton côté. Au moins, à l’écouter, tu n’es finalement pas si dénuée d’adresse que ça … tu as cependant évidemment quelques lacunes, il t’en liste certaines et tu en prends note dans ton esprit. Tu hoches la tête, à plusieurs reprises, te rendant finalement compte de ce léger changement dans sa façon de s’adresser à toi. Le vouvoiement formel avait disparu, laissant place à un tutoiement plus familier, plus souple, ce qui te convenais en réalité bien mieux … même si par principe, tu avais pris cette habitude de vouvoyer tout le monde et de maintenir une certaine forme de politesse.
Tu baisses finalement les yeux sur tes chaussures. C’était les seules qu’il te restaient pour le moment, les autres ayant été abandonnées près de la rivière. En les observant, tu te dis qu’en effet, elles ne sont pas très adaptées. Ce n’était que des chaussures de ville, simples mais dont la semelle était relativement lisse. Tu t’en débarrasses donc sans protester, sachant que cette fois tu pourras les récupérer et puis, pieds nus cette fois, tu te replaces près du mur.
Terry écoutait avec une attention certaine les dires de Marc-Antoine, ce qui flattait l’égo du jeune homme qui adorait plus que tout s’entendre parler. Diriger, donner des conseils, jouer au professeur … Tout ceci avait quelque chose de gratifiant. Pour l’apprenti il n’y avait rien de plus agréable que de se sentir au-dessus d’autrui. En l’occurrence, et même si Terry n’était qu’une serveuse, il appréciait pouvoir lui faire la leçon. Dire qu’elle buvait aveuglement les paroles du jeunot aurait été exagéré néanmoins elle prit bonne note de ses conseils. Soit dit en passant ceux-là n’étaient pas mauvais, loin s’en faut. Même si il lui restait bien des choses à apprendre, l’épéiste était doté d’un talent évident pour l’escalade. A ce titre et du fait de la différence de niveau entre Terry et Marc-Antoine, ce dernier pouvait tout à fait aider la serveuse et rester crédible dans son rôle de mentor.
Après avoir ôté ses chaussures, la demoiselle refit face au mur. Conformément aux exigences du bretteur, elle tenta de suivre la voie jugée la plus simple par celui-ci. Terry avait écouté avec attention les conseils du grand blond et s’évertuait à les mettre en pratique. Ainsi, elle évita tout mouvements superflus avec ses pieds. Le résultat fut positif puisqu’elle avait gagné un ou deux mètres par rapport à sa dernière performance. A mesure qu’elle grimpait Terry engrangeait en confiance. Cette confiance allait sans nul doute lui être utile pour la suite.
Surprise et fière d’elle, la future aventurière interpella Marc-Antoine en pleine ascension. Le de l’Épée arqua un sourcil en voyant Terry perdre ses appuis et maintint fermement la corde de sorte à lui éviter une vilaine chute. A cette hauteur et compte-tenu du fait que le sol soit amortissant, tomber ne lui être mortelle. Néanmoins se blesser au cours d’un séance n’était pas impossible en cas d’étourderie.
▬ C’est à croire que tu en avais douté !
Loin de paraître prétentieux – pour une fois –, le ton employé se voulait plus léger, plus comique aussi en un sens. S'il était un bon professeur, c'était aussi et surtout car elle était une bonne élève. Lui n'avait jamais été très à l'écoute de ses instructeurs. Marc-Antoine encouragea la jeune femme à reprendre l’exercice et lâcha la corde pendant un court instant. Il fit quelques pas et saisit les chaussures de Terry. De là, il tenta de déterminer leur taille. Le bleu de la garde n’était pas doué en vêtement et eut bien de la peine à comprendre qu’il s’agissait d’une paire taille trente-huit. En fouillant un peu, il devait pouvoir trouver des chaussures d’escalade à cette taille dans la réserve. Les siennes étaient six tailles trop grandes. Par ailleurs, grimper n’était pas la seule activité qui leur était possible de faire dans cette caserne. Il y avait entre ce parcours du combattant que Marc-Antoine haïssait …
Pas peu fière de ton petit exploit … tu avais perdu en concentration, pour finalement chuter du mur. Evidemment, et heureusement, tu avais été retenue et tu étais retournée sur la terre ferme sans le moindre mal. Souriante. Laissant même échapper un rire léger du fait de ta bêtise. C’est que ça allait tout de suite mieux quand tu y arrivais au moins un peu. Tu avais récupéré ta bonne humeur, au point de taquiner légèrement, même si au final, tes paroles étaient on ne peut plus vraies. Il n’y avait qu’à voir la manière dont tu avais lâcher ce mur et perdu ta concentration en plein milieu … pour comprendre que le jeune garde avait bel et bien gagner ta confiance. En un sens, il fallait dire qu’il t’avait sauvé la vie. Et ça. Ça t’avait évidemment marquée.
Pour toute réponse, tu te contentes de hausser les épaules, sans avoir quitter ton sourire. Tu n’en avais pas douté. Absolument pas. Du coup, en de meilleures dispositions désormais puisque tu parvenais avec bien moins de mal à aller bien plus loin sur ce mur, tu reprends. Objectif : aller juste encore un peu plus haut. Tu ne serais sans doute pas capable de continuer ce petit jeu pendant des heures, tu manquais d’entraînement physique et forcément, ça se ressentait autant dans tes bras que dans tes jambes. Ce serait même peut-être la dernière fois que tu tentais, mieux valait éviter de forcer et d’en faire trop d’un coup. C’est donc après un soupire – loin d’être las pour cette fois – que tu te remets à grimper. Désormais, les premières prises te paraissent être très faciles, tu ne cherches plus, tu grimpes, c’est tout. Par contre, au-dessus, ça se complique à nouveau. Un peu. Mais tu fais l’effort, et tu continues, et tu restes concentrée cette fois. Concentrée à tel point que tu n’as évidemment pas remarqué que la corde supposée te maintenir pour éviter les chutes n’était plus retenue … et heureusement d’ailleurs, parce qu’en le sachant, tu te serais sans doute mise à paniquer. C’est donc toujours persuadé que quelqu’un veille à tes chutes, en bas, que tu continues. Tu y mets toute ton énergie pour le coup, jusqu’à en arriver cette fois à des prises que tu n’as encore jamais rencontrées. Les premières passent. Les suivantes un peu moins, et sur l’une, tu hésites, et tu refais la même erreur qu’au début, tu tentes de bouger ton pied pour assurer ton appui. Grave erreur. Ton pied glisse, et évidemment, surprise tu lâches absolument tout. Pas vraiment consciente que c’est environ quatre ou cinq mètres de vide qui t’attendent là…
Marc-Antoine leva les yeux, vit son élève du jour entamer une descente incontrôlée – comprenez par là une chute de cinq mètres – et un juron s’échappa de ses lèvres. La corde était loin. Par réflexe, il lâcha la chaussure de sa camarade et accouru afin de la rattraper au vol. A cet instant, il aurait aimé être en mesure de contrôler son pouvoir. Un shot d’adrénaline équivalent à celui sécrété quelques jours plus tôt lui aurait permis d’arriver à temps et de rattraper la jeune femme sans grande difficulté. En l’occurrence, Marc-Antoine parvint à saisir Terry au vol, par la taille. S’il était parvenu à amortir la chute de la serveuse, il n’avait pour autant pas été en mesure de l’annuler totalement. Sous le poids de Terry, et à cause de l’accélération liée à la hauteur, Marc-Antoine tomba à la renverse. La scène ainsi que le mouvement de bascule de notre héros avaient un petit quelque chose de théâtral, de même que sa réaction :
▬ Rien de cassé ?
Ils étaient tous deux au sol, elle au-dessus de lui. Marc-Antoine pour sa part n’avait pas grand-chose, si ce n’est une douleur au poignet liée au choc et accentuée par le poids de la jeune femme qui écrasait présentement le membre de notre héros. Gêné par l’inconfort de la position et par cette proximité avec Terry, les pommettes du garçon prirent une teinte rosée. De là où il se trouvait, il pouvait sentir sur son visage le souffle saccadé de l’apprentie aventurière. Il imaginait sans grand mal la frayeur qu’elle avait pu ressentir. A cette hauteur, une chute aurait conduit à son hospitalisation et probablement à quelques fractures. Entrer dans la guilde ou s’entraîner afin de rejoindre celle-ci avec une jambe cassée était difficilement envisageable. Aussi, il jugea bon de s’excuser pour sa négligence.
▬ Je m’excuse.
Pour la frayeur mais aussi pour la suite des évènements. Alors qu’ils étaient restés de longues secondes dans cette position inconfortable, la tête de Marc-Antoine décolla du sol et ses lèvres vinrent lentement rejoindre celles de la demoiselle de quelques années son aînée.
Au moment où ton pied avait glissé, tu n’avais pas eu peur. Au moment précis où tes doigts avaient lâcher les prises du haut non plus. Pourtant, tout avait radicalement changé lorsque tu avais senti ton corps chuter et le vide t’emporter. Jusque-là, toutes tes chutes avaient été rattrapées, amorties, c’est ce qui avait rendu cette dernière ascension plus facile. Tu te sentais en confiance, et il était évident que savoir qu’une corde à laquelle tu étais attachée était là pour assurer une certaine sécurité. Mais là, tu ne sens pas la pression du harnais retenir ton corps. C’est la chute libre et la peur te frappe si fort, et si brusquement que tu n’as même pas l’occasion de crier, ni même d’émettre le moindre son. Tout se passe très vite. Tu te vois déjà atterrir lourdement au sol, c’est à peine si tu ne peux pas déjà t’imaginer la douleur qui sera la tienne une fois par terre. Mais ça n’arrive pas. Tu te sens attrapée, et ta chute est ralentie, amortie. Tu ne comprends évidemment pas ce qui se passe immédiatement, par réflexe, tu as fermé les yeux et lorsque tes paupières s’ouvrent à nouveau … tu n’es pas exactement au sol.
Tu ne te redresses pas de suite, tentant de calmer ta respiration erratique ainsi que les battements frénétiques de ton cœur éprouvé par cette frayeur.
Conscient d’avoir été un peu hâtif, Marc-Antoine ne pipa mot. Il ne connaissait Terry que depuis peu et tout cela pouvait paraître bien précipité à ses yeux. Ne sachant trop quoi dire, il se mordilla la lèvre inférieure avant de répondre non sans une pointe d’humour à la question de l’apprentie aventurière.
▬ Je n’espère pas. Même si jusqu’à présent, ça ne nous a pas trop mal réussi.
Pour le moment ces deux-là s’en sortaient plutôt bien, même trop bien pour ainsi dire. Dans tous les cas, quand bien même ce n’était pas perceptible aux yeux de tous – et peut-être pas encore à ses propres yeux – Terry gagnait en débrouillardise jour après jour. Si à leur première rencontre, il avait cru voir une simple serveuse, il avait maintenant en face de lui un futur membre de la guilde, il en était persuadé. Anxieux à l’idée d’avoir mal fait les choses vis-à-vis de la jeune femme, Marc-Antoine chercha ses mots. Il ne trouva cependant rien de bien intelligent à dire et se contenta de répondre aux inquiétudes de la rousse :
▬ Non, je crois que ça va.
Son poignet droit était endolori mais il parvenait malgré tout à effectuer des mouvements élémentaires. Le garde n’avait perdu ni la sensation, ni la motricité. Au pire, il s’agissait d’une foulure bénigne qui aurait vite fait de guérir après six ou sept jours d’arrêt. Dans le doute, il allait tout de même passer voir un guérisseur.
▬ Inutile de déchirer ton chemisier pour ça, je te rassure.
Sur ces mots, Marc-Antoine se leva puis prit la chaussure qu’il avait laissé tomber durant sa course. Dans la foulée, il se saisit de la seconde, posée un peu plus loin et tendit la paire à la jeune femme.
▬ Tu dois être fatiguée, on devrait peut-être arrêter pour aujourd’hui.
Fatiguée physiquement mais aussi – et surtout – mentalement aux vues de ce qu’il s’était produit à l’instant. Avant de la laisser s’en aller, le grand blond convia Terry à le rejoindre une nouvelle fois :
▬ Je suis à nouveau de rangement dans trois jours. Si tu veux revenir t’exercer, tu es la bienvenue. Même endroit, même heure.
Marc-Antoine espérait revoir Terry au plus vite. A nouveau, il ne savait pas si elle reviendrait, il était tout à fait envisageable selon lui qu'elle tâche de l'esquiver dorénavant. C'est sans un bruit et dans un contexte de gêne partagée qu'il la raccompagna jusqu’à la sortie. Le bleu de la garde n’avait toujours pas abordé le sujet du baiser et jugea préférable de ne pas le faire même si, au fond, il avait de façon tacite révélée une part de ses sentiments aujourd'hui.
Franchement, tu t’étais attendu à beaucoup de choses en venant ici. Evidemment, tu avais pris le temps de la réflexion la veille, pour savoir si tu comptais oui, oui non répondre à cette invitation. Il ne t’avait pas fallu plus de temps que ça pour trancher. Mais jamais tu n’aurais réussi à t’imaginer un moment comme celui-ci. Si tu avais reculé après quelques secondes, tu ne l’avais en revanche pas repoussé, bien au contraire puisque tu avais même pris le temps de profiter un peu de ce baiser. Maintenant, tu étais perdue. Hésitante. Tu ne savais plus quoi faire. Quoi dire. Tu étais même incapable de te décider à aborder le sujet et pour cause, tu ne savais même pas par où commencer. Tout ce qui te passais par la tête sonnait comme fade, inintéressant, et parfois même complètement ridicule. Tu préfères donc te taire, et si tu ouvres tout de même la bouche, ce n’est que pour aborder des banalités, ainsi qu’une inquiétude réelle quant à une éventuelle blessure.
Un sourie passe sur ton visage lorsqu’il répond à ta remarque et tu laisses même passer un rire léger lorsqu’il met sur le tapis cette histoire de chemisier arraché.
Quatre verres cassés. Une assiette renversée sur la tête d’un monsieur de petite taille – il n’était pas très content –, une choppe renversée – deux fois de suite – et une miche de pain qui tu ne savais quel miracle avait sauter de tes mains pour atterrir droit dans le nez de ton père. Ça, c’était le bilan de ces trois derniers jours. Tu avais repris le travail en insistant bien auprès de ton père pour lui faire comprendre que tout allait bien et finalement … tu manquais cruellement de concentration. Tu étais constamment perdue dans tes réflexions et tes pensées, si bien que tu ne faisais attention à rien et que tu enchaînais bourde sur bourde, catastrophe sur catastrophe. Trois jours exactement après la séance d’escalade, tu en étais à demander si l’idée était bonne de retourner à la caserne. Ce n’était pas l’envie qui manquait, loin de là, et bien au contraire. Cependant, aux vues de ton talent des derniers jours, tu te posais de réelles questions. Tu n’étais même pas capable de te décider sur le comportement à adopter devant le jeune garde. Et pourtant. Sur les coups de huit heures, tu étais tout de même de retour au beau milieu de la cour, cette fois, en faisant les cents pas…
Plus tard dans la journée, l’apprenti garde alla voir un soigneur, lequel jugea bon de bander sa blessure et de lui prescrire une pommade à base de plante. En plus de ne pas inspirer confiance visuellement, le remède en question sentait fort. Notre jeune héros fit néanmoins fi de ces détails et consentit à appliquer la mixture sur sa peau. Il avait trois jours pour guérir. En effet, Marc-Antoine ne voulait pas être diminué pour sa prochaine rencontre avec la jeune femme. En supposant bien sûr qu’elle ait lieu.
Deux jours plus tard, Marc-Antoine s’arrangea pour que ses collègues sortent boire. Trouver un prétexte à la beuverie n’était en rien compliqué pour le de l’Épée. Ses amis avaient tous des qualités bien précises mais aucun n’était doté du sens de la retenue. Notez que le cadet des de l’Épée ne fit pas l’effort d’accompagner ses camarades ce soir-là. Il y avait là une part de génie chez le grand blond. En effet, il était parvenu à insuffler à ses camarades l’idée d’une soirée sans même avoir à y prendre part.
Le lendemain matin, le garçon au poignet bandé entama un tour des lieux. Si Terry le souhaitait, elle pouvait poursuivre l’escalade de ce mur dans le but de s’améliorer dans la discipline ou bien tenter une toute autre expérience. La caserne était notamment équipée d’armes factices, il pouvait être intéressant de les utiliser afin de voir comment la jeune femme s’en sortait épée en main. Huit heures sonnaient à la montre de Marc-Antoine qui rejoignit la cour et put voir la jeune femme faire les cent pas. Elle était venue. Lui qui redoutait d’être seul s’était inquiété pour rien. Trois jours étaient passés depuis leur dernière rencontre, trois jours passés à la vitesse de l’éclair pour l’apprenti. Le bleu de la garde avait eu fort à faire. A ce titre, il Marc-Antoine n’eut pas le temps de songer à ce qu’il allait pouvoir dire à Terry. Il souhaitait aborder le sujet du baiser au plus vite, ne pas laisser s’appesantir la situation mais craignait, se faisant, de perdre la jeune femme. Tiraillé et incapable de mettre de l’ordre dans ses pensées, il échangea des banalités avec la serveuse.
▬ Salut, tu vas bien ?
Des banalités on ne peut plus banales comme dit précédemment …
▬ Tu veux réessayer l’escalade du mur ou tenter autre chose ? Il y a des armes factices là-bas et un parcours du combattant dans cette autre pièce. Quoique tu décides, promis, cette fois je ferai en sorte que tu ne chutes pas.
C’était devenu un lieu commun pour les deux jeunes gens. Comme l’avait souligné Terry l’autre jour, à chacune de leur rencontre, il lui arrivait un malheur, le plus souvent il s’agissait d’une chute.
Tu t’étais mise à penser, bien trop tard, que fuir serait peut-être une option potable. Il était évident que passer du temps en compagnie du futur garde t’étais plus qu’agréable, tu t’étais même rendu compte que, presque autant que l’envie d’apprendre certaines choses, c’était aussi pour ça que tu étais venue jusqu’ici trois jours auparavant. Pour le revoir. Evidemment, tu n’étais pas plus avancée que depuis que tu avais quitté l’endroit il y a trois jours. Ce baiser n’avait pas quitté tes pensées, mais ne faire qu’y penser n’avait servi qu’à te faire perdre ta concentration et une partie de ton rythme de travail. Le mieux aurait probablement été que tu ouvres la bouche pour en parler directement au jeune homme, juste après coup. Au lieu de ça, tu avais passé le sujet sous silence, tu étais passé à autre chose avant de simplement partir et de rentrer à la maison. Trois jours, Terry. Et même si tu avais envie d’en parler, de poser la question, de comprendre et de savoir, tu ne savais toujours pas comment t’y prendre. Du coup, alors que tu étais là en train de piétiner dans la cour, l’idée de fuir, de rentrer chez toi et d’abandonner l’idée de faire face à Marc-Antoine avait été tentante. Tu avais même été à deux doigts de le faire … mais il était arrivé à ce moment-là et finalement, ça n’était pas plus mal.
Quoi que.
Tu n’aurais su dire si c’était ton imagination. Ton propre stresse. Ou si tu étais dans le vrai mais, dès ses premiers mots, tu as cette impression désagréable que quelque chose cloche. Tout comme tu l’es actuellement, tu le sens plus tendu que d’habitude, du moins, il te semble légèrement différent des autres fois. Moins … léger, justement.
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