C'était quelques jours avant le départ pour le territoire inconnu, dans le nord, en quête du Béhémoth qu'elle allait devoir tuer. Ca allait être le plus combat le plus édifiant de sa carrière, probablement de sa vie entière, - à moins que le bestiau ne s'avère être qu'un de ces sacs de frappe sur lesquels elle avait l'habitude de faire son pain ? On l'avait mise en garde, pour l'Osarex, et elle n'en avait fait qu'une bouchée. Le dragon, quant à lui, n'avait même pas réussi à esquinter son formidable pouvoir. Ses flammes s'étaient avérées inoffensives, face à elle. - Mais le reptile avait été suffisamment malin pour s'enfuir avant le châtiment du grill.
Toutefois, ici, il était question du sommet du bestiaire. De créatures telles qu'il était irréalisable d'affronter sans une troupaille de soldats surentraînés entière. De monstres qui régnaient en dieux, dans un territoire où la peur, où le doute n'étaient pas permis. Je suis fin prête... bouillonna-t-elle, rien ne pourra m'arrêter... Elle poussa un cri féroce et projeta ses poings en l'air. L'instant d'après, ils fumèrent comme du charbon de bois, et vrillèrent dans un bruit de roquette dans le ciel noir, défiant la nuit de leur chaleur délirante. Les projectiles pleuvaient en furie, défiant le monde, défiant Lucy... Un véritable feu d'artifice, visible à des milliers de lieues.
« Ce Béhémoth... ne sera que le premier d'une longue lignée ! »
Depuis quelques temps, j’entends des rumeurs sur cette Aniel qui appartient elle aussi à notre guilde, une aventurière hors pair, une femme qu’il faut avoir dans son équipe et j’en passe. Ce soudain intérêt pour beaucoup d’hommes m’a aussi mis la puce à l’oreille, on lui prêtait tout un tas de louanges mais étaient elles vraies ? Si c’était le cas, il me fallait ce genre de femmes dans mon équipe, elle pourrait m’être utile en toutes circonstances et pourquoi pas me faire de l’argent facilement.
Je me suis renseignée auprès d’anciens camarades de missions, elle avait un pouvoir chaud bouillant je cite, je ne comprenais pas trop la signification au début, parlait-il de son tempérament, de sa prestance ou réellement de son pouvoir ? On m’avait incité à l’observer, que j’aurai ma réponse, c’est sûr que je n’allais pas me présenter devant elle pour lui dire que j’étais une fan et que je voulais l’utiliser pour mes propres besoins ainsi que de voir ce côté chaud bouillant même si l’idée m’avait effleuré quelques secondes, car il est certain qu’elle avait tout ce qu’il fallait où il faut. Après quelques jours d’observations à la guilde, je comprends qu’elle devait partir s’entraîner seule dans les plaines
Experte dans l’art de la filature, je la suis de loin, de toute façon, il y avait très peu de chemins possibles donc j’étais sûr de ne pas la perdre de vue mais elle finit par rejoindre cette grande plaine, ça devenait plus compliqué de la suivre sans se faire remarquer donc je profite pour faire un détour, restant toujours dans son dos en profitant de la topographie des lieux, les collines pouvaient m’aider mais pas indéfiniment surtout avec une chevelure comme la mienne, il n’y avait pas de zèbres dans les horizons.
Je restais donc là, à une centaine de mètres pour l’instant, même si ce n’était qu’une silhouette, mes jumelles me permettaient de voir ce qu’elle s’amusait à faire. Je compris alors l’expression chaud bouillant, elle allait réduire ce paysage de verdure en un vulgaire désert et quand j’observe son visage, elle prenait en quelque sorte un certain plaisir ou cette folie destructrice était un défouloir. Ma curiosité en prenait un coup, je voulais voir et ressentir ce pouvoir, cette femme m’intriguait trop à mon grand désarroi et active mon pouvoir pour m’approcher d’elle, le soleil tombant va m’aider, elle ne fera pas attention à mes marques de pas dans les herbes hautes, elle pensera à de quelconques mouvements du vent sur ces brins d’herbe mais bon elle était tellement concentrée qu’elle ne sentira pas ma présence certainement.
J’étais maintenant à une vingtaine de mètres quand une pluie de projectiles me tombe dessus, elle avait capté que j’étais là ou c’était un pur hasard ? Je fais en sorte d’éviter la plupart même si certains tombent dans le col de ma veste, ça brûle, je me retiens de courir partout mais maintenant que j’étais à une dizaine de mètres d’elle, j’admire les traits fins de son visage, légèrement essoufflée, satisfaite de son entraînement, un air assuré, elle avait vraiment la classe. Je m’approche encore, je voulais voir la température de ses poings enflammés, elle se lance dans un cri d’encouragement, un léger sourire apparaît sur mon visage, elle a un tempérament de feu mais sa prestance, elle l’a gagné à force d'entraînements et de convictions mais je parle trop vite, un autre caillou tombe dans ma veste dans un endroit improbable, c’était trop chaud là, j’essaye de le défaire mais je faisais du bruit, on m’entendais souffler et je me rendis pas compte quand je finis par la bousculer tout en gardant mon pouvoir actif...
Ses poings continuaient de fendre l'air en projectiles, le sifflement sinistre des roquettes de feu terminant de mettre en laisse Dame Nature et ses beaux projets de fertilité. La Fée constata avec délice à quel point il était plus simple de détruire que de construire. Ce plateau herbeux pouvait être là depuis la nuit des temps, la guerrière en avait fait un champ de ruine en quelques minutes. Qui la blâmerait ? C'aurait pu être l'acte d'un dragon, ou de quelque créature féroce un peu trop pyromancienne sur les bords. A cette heure, il n'y avait personne, de toute manière. Les plaines, de nuit, étaient craintes pour leurs meutes de Kerberus. Des bestiaux assoiffés de sang, qui vous réduisaient un chevalier et son canasson en charpie l'espace d'une erreur, si vous ne faisiez pas suffisamment attention.
Qu'ils se ramènent... rumina-t-elle, confiante. Son bras explosa dans un bruit assourdissant de rocaille, comme s'il n'était rien de plus qu'un filon de magma, projetant des scories dans les alentours. Du bras, il n'y avait plus qu'une monticule bouffante de lave fondue, dégoulinant comme de la sève. Contrairement aux idées reçues, - de ses amis d'enfance, qui pensaient tout savoir sur les volcans - la lave n'est pas à proprement parler un liquide mais de la roche en fusion, bien plus dense qu'on pouvait se l'imaginer. Comme si la terre prenait vie dans son aspect le plus macabre.
Elle était satisfaite, pour ce soir... Demain, l'entraînement continuerait. Et le surlendemain encore. On ne naissait pas champion : on le devenait. C'est du moins ce dont elle essayait de se convaincre, pour calmer ses excès de mégalomanie, - elle pour qui Lucy l'avait choisie, ou défiée, au choix.
Le bras encore éblouissant de lave, elle crut toutefois entendre un bruit étrange. Elle connaissait son pouvoir, et ça n'avait rien de semblable avec une échappée de gaz. C'était... un bruit de vêtement, qu'on secouait.
« QUI EST LÀ !? »
Son humeur n'aidait en rien. Comme chaque personne qui disposait de capacités élémentaires, Aniel était, pour ainsi dire, un volcan, quand son pouvoir éruptait. Elle changeait du tout au tout, dans une projection d'elle-même presque schizophrénique. Ce qui attendait l'intrus était la mort.
« Montre-toi ! », hurla-t-elle, le visage grimé par la rage.
Il, - ou elle, quoi que ce fut - ne pouvait l'échapper. Bientôt, tout son buste vola en éclats, laissant place à un corps fulminant, de la braise pure. La chaleur devenait insoutenable. S'approcher était, décidément, la pire idée du millénaire. Combien de temps pourrait-il tenir, avant de se mettre à flamber comme une torche dans ce giron ardent ?
Pourquoi il a fallu que mon seul moment d’égarement soit pile le moment où je suis à quelques centimètres d’une torche humaine, non Lucy m’en veut je crois ou elle teste ma faculté à résister à une insolation ou ma capacité à survivre à un volcan en éruption, j'hésite encore. Elle s’était transformée en quelque chose qui était moins sexy du coup, un caillou en fusion qui bave, je ne suis pas sûre qu’elle puisse emballer comme ça mais il était sûre qu’on pouvait faire plein de jeux de mots forts intéressants. “ Chaude comme la braise “ et j’en passe mais je crois que le mec qui a dû dire ça, gît encore en poussière quelque part dans un coin pour finir ensuite dans les égouts mais revenons à nos moutons.
J’étais accroupie au sol, le genou à terre, évitant les dernières pierres qui tombaient au sol. Je lève la tête devant cette femme en fusion, elle était dangereuse, je pouvais rester là invisible, attendre que ça se calme mais je ne suis sûre qu’elle l’entende comme ça, elle serait capable de toute détruire aux alentours pour trouver l’usurpatrice que j’étais et personnellement je tenais encore à ma vie mais me présenter en face d’elle, visible à ses yeux étaient tout aussi suicidaire à mon goût, il y avait juste une meilleure façon de mourir que les autres.
Je compris alors que la patience n’était pas une de ses qualités quand elle somme à l’intrus de se montrer et je pense que la case humour doit être rayé de la liste mais je vais tenter néanmoins ma chance. Je me redresse sur mes deux jambes en silence, recule de quelques pas pour au moins me trouver à trois mètres d’elle, de toute façon, elle dégageait tellement de chaleur que ce n’était pas possible de rester plus près, ça serait moi, je serai en maillot pour profiter de la séance de bronzage mais je ne pense pas qu’elle apprécie qu’une femme l’observe s’entraîner pendant qu’elle essaye de se bronzer la pillule.
Je lève alors mes mains en l’air, un regard plein de défi, je voulais mourir pleine de dignité alors autant avoir le style.
- Tout doux la bouilloire, c’est Carciphona, je fais partie de la guilde également.
Je gardais mes bras ainsi pendant quelques secondes, je voulais montrer mes bonnes intentions et continue de l’humour.
- Tu n’aurais pas un peu de fièvre là ? Tu devrais sérieusement consulter pour ces poussés de chaleur.
Bon, au pire je serai morte en disant une blague, un magnifique épitaphe.
Aniel la considéra d'un oeil dément. C'était un miracle que ces vêtements n'aient pas encore brûlé. Qu'elle ne se soit pas évanouie, comme l'avait fait cette forgeronne, un mois plus tôt. Qui qu'elle fut, ce n'était pas la demi-portion qu'elle se donnait l'air d'être. Elle avait de la tripe, - plus que la plupart des autres aventuriers. Malheureusement pour elle, c'était d'un cerveau et d'une bonne paire de jambes dont elle avait besoin en ce moment même. Ce qui lui fit défaut, quand la guerrière l'entendit dire :
« Tout doux la bouilloire, c’est Carciphona, je fais partie de la guilde également. »
Mauvais choix. La Fée Rouge n'aimait pas l'impudence ; pas cette sorte d'impudence. Une bulle de gaz éructa de son bras, dans un croassement mat, lâchant avec elle une nuée de marnes fondues. Les débris touchèrent le sol et fumèrent comme des glaciaires. Ce après quoi, la bonne femme ajouta :
« Tu n’aurais pas un peu de fièvre là ? Tu devrais sérieusement consulter pour ces poussés de chaleur. »
« Assez ! »
L'ordre claqua comme un fouet. Ce n'était pas Aniel qui avait hurlé, mais elle. Cette chose désincarnée qu'elle était actuellement. L'alter-ego implacable qu'elle abritait dans ses entrailles flamboyantes ; le monstre dans la fille. Et ce monstre, à cet instant, se demanda le bruit que ferait cette abrutie, si cinquante kilos de roche en fusion lui tombait sur le visage. Il se demandait ce qu'il en resterait, - probablement rien. Une pulpe rouge, membraneuse, comme les rejets gastriques des tripodes de la Guerre des Mondes. Elle, toute entière, haute, vigoureuse et taquine, réduite à moins qu'une fiente d'épagneul.
« Je me fiche bien de qui tu es, désormais. »
Son bras bulla de plus belle. Il était maintenant plus large qu'un buste humain, bougonnant comme un obus. La lave visqueuse qui s'en écoulait rappelait la bave d'un chien.
« Les petites pestes de ton genre n'ont rien à faire devant moi, disparais ! »
C'était la fin. Un bruit fracassant éclata au-dessus de sa tête, au moment où elle bondit.
Aniel, incrédule, leva les yeux... l'instant d'après, elle fut trempée par trois litres d'averse. Sa lave, sa précieuse lave, commençait déjà à se rigidifier, se craquelant comme de la peinture sèche. Qu'est-ce... Elle reprenait ses esprits, peu à peu. Son pouvoir commençait à décroître à vue d'oeil, - il décroissait réellement ? Aux yeux de l'intruse, cela n'était peut-être dû qu'à un sursaut de conscience. La Fée Rouge avait décidé de l'épargner... ou pas. Elle ne le saurait jamais.
Elle resta immobile, un long instant. Toutes ses humeurs avaient disparu ; la bête s'était recroquevillée au contact de la flotte. On lui avait ôté sa rage comme on aurait ôté un drap en soie, à bout de doigts, brusquement. Elle avisa l'inconnue, un instant, avant de faire volte-face. Elle s'accroupit, - Lucy qu'il pleuvait ! - planta son poing sur le sol et le fit fondre avec une telle netteté qu'il semblait s'être dérobé d'un coup d'un seul. Elle se glissa à l'intérieur de la cavité, pour s'abriter comme un petit mammifère. Dans le fracas de la pluie, on l'entendit dire d'une voix calme :
« Que me veux-tu ? »
Ce ton autoritaire quand elle me reprends sur ses poussés de chaleur, j’en avais des frissons, elle était terrifiante, si je retrouve le mec qui m’a dit qu’elle était cool, je lui ferai b*uffer ses dents, il se souviendra du pays celui-là. Ma raison me dit de ne pas bouger, rester calme, ne pas enfoncer le clou mais j’entends un petit diablotin me dit tout autre mais pour l’instant je restais calme, tétanisée sur place, suffocante, je vais vraiment finir par me déshabiller enfin à ce stade, j’ai les vêtements qui me collent à la peau, je crois que j’arriverai à rien du tout.
Son bras gonfle, elle devenait immonde ou était passé la fille sexy que tout le monde idolâtre, remboursé mais je continuais de la fixer, essayant de garder une attitude neutre même si le dégoût et la peur pouvait s’entremêler. D’un hochement de tête, j'acquiesce lorsqu’elle me dit que j’étais personne, je ne voulais pas l’énerver elle pourrait me transpercer en deux avec son poing en fusion et voir mes viscères étalées n’étaient pas des plus grandioses sauf si elle voulait faire du boudin.
Elle me traitait de peste maintenant, là il ne fallait pousser le bouchon trop loin, je suis casse-pied, un brin relou mais j’étais attachante et rebelle mais peste c’était pour les gamines, comme l’autre petite qui saute partout, Hel de mémoire. Puis j’entends le bruit qui sonne m’a fin, elle a invoqué les ténèbres de la centre de la Terre, elle va me carboniser vive sur place et sans aucune preuve mais au lieu de ça, c’était une trombe d’eau qui nous tombe dessus, sérieux ?
Un orage, je ne m’y attendais pas tout comme sa réaction de s’enfuir sous terre, elle avait peur de la pluie ou de voir comment son pouvoir décroisse, c’est vrai ce n’était pas folichon de passer à un truc irradiant de lave et autre à de la pierre froide qui craquelait au fur et à mesure, on pouvait en reparler de son charisme, elle redevenait humaine et en quelque sorte sans défense en apparence car elle vient de détruire le sol pour créer une sorte d’igloo, un abri de terre pour se protéger de la pluie, de la vapeur sortait de son trou, elle était encore bouillante et à moins de vouloir faire un hammam avec elle, je vais rester ici trempée à la dévisager.
Elle me demande ce que je voulais d’une voix beaucoup trop calme, c’était quoi ce ravivement de situation, elle était où la femme tyrannique qui détruisait tout son passage, c’était celle-là qui me faisait rêver, elle avait l’air… mignonne en quelque sorte. Bon quelle carte je joue, la sincérité, l’affront ou l’humour ? Je me gratte l’arrière de la tête, elle se montrait dans un moment de faiblesse, enfin ça en avait tout l’air donc autant jouer la sincérité.
- Je voulais connaître qui était la Grande Aniel, j’ai entendu beaucoup de bien sur toi et je ne pensais pas à trouver une femme qui pouvait tout détruire sur son passage.
Je finis par m'accroupir à son niveau, l’eau ruisselait partout sur moi, mes vêtements étaient imbibés, lourd, j’avais beau l’observer, les siens n’avaient pas eu le bonheur d’être transparent à mon plus grand regret mais le naturel revient au galop et la taquine de nouveau.
- Tu aimes souvent te cacher dans les trous comme ça ? Des antécédents familiaux de taupe ou marmotte, ah non un pika mais c’est beaucoup trop mignon, on va rester sur une marmotte !
Je pense que la comparaison avec un rat aurait été de trop mais j’avais une infime chance de m’éloigner du trou si elle comptait riposter.
Elle s'allongea contre le mur comme pour s'y assoupir. La pluie tombait drue. Elle fallait qu'elle se calme, pour espérer que la Fée quitte son repaire. L'eau affaiblissait son pouvoir et, le cas échéant, l'annulait complètement. En temps normal, il fallait plus que quelques gouttes pour l'arrêter, mais dehors, l'averse battait son plein. Il y avait de quoi finir trempée en moins d'une minute. Elle retira ses bottes et les fit sécher sur le côté, avant d’essorer les manches de ses vêtements.
« Tu aimes souvent te cacher dans les trous comme ça ? Des antécédents familiaux de taupe ou marmotte, ah non un pika mais c’est beaucoup trop mignon, on va rester sur une marmotte ! »
Elle sortit précautionneusement une petite cassette de son sac, l'ouvrit et en tira un cigare, qu'elle coinça entre ses dents. Elle l'alluma ensuite, du bout de l'index, avant de soupirer. Que c'était pesant... ! On ne pouvait plus s'entraîner en paix, de nos jours, sans qu'un climat hostile ne vous tombe sur la tête.
A mesure qu'elle ruminait, elle largua quelques bouffées de fumée dans les airs. Les fientes de lave de la galerie avaient fini par sécher, réduites à de la roche froide. Entre deux lattes de cheroot, Aniel marqua un temps, interdite, et finit par dire :
« Tu es encore là ? »
C'était étrange de la voir ainsi, si calme, si flegmatique. Une minute plus tôt, elle aurait réduit cette pimbêche à l'état de purée minérale, si l'orage n'avait pas éclaté. Pourtant, là, rien d'autre que sa dégustation de tabac ne l'importait. Elle finit toutefois par l'aviser, du coin de l'oeil. Son regard la déshabille aussi méchamment que s'il s'agissait d'un bout de viande. Ce qu'elle était ni plus ni moins. La pluie l'avait trempée, elle aussi, mais ça ne semblait pas la déranger, bien au contraire : ses nibards jaillissaient avec audace, promesses de désirs réciproques qu'elle supposait pouvoir avoir avec la Fée Rouge. On l'avait définitivement mal renseignée.
« Tu joues avec le feu, jeune fille. Je n'ai rien à voir avec ceux que tu as pu côtoyer tout au long de ta vie. Et je n'aime pas être dérangée. » Elle avait marqué le « pas » d'un rictus de l'oeil. L'avertissement était clair : cette tanière était la sienne, et quiconque essaierait de rompre sa tranquillité subirait un sort terrible. Quel sort, cependant, pouvait attendre celle qui avait déjà survécu à la colère de la Fée Rouge ? Après tout, il n'avait fallu qu'une averse pour l'apaiser.
Je crois qu’elle ignorait totalement ma présence quand je vois qu’elle faisait sa petite vie dans son trou, je regarde la scène d’un air dubitatif, j’étais si transparente que ça pour elle, elle prenait même la peine d’allumer son cigare avec son doigt. La classe jusqu’au bout, je m’imagine avec mon pouvoir pareil, arriver devant une conquête et allumer sa cigarette d’un claquement de doigts, bon ça épate que les fumeurs et je ne fumais pas mais on pouvait continuer avec des jeux de mots tout aussi risible, “ je vais te mettre le feu “ et j’en passe mais je crois qu’elle n’avait pas ce genre d’humour et me contente de prendre la pluie et je pense que je vais crever d’ici là vu comment je suis trempée.
Elle lève enfin ses yeux dans ma direction, elle s’étonnait peut-être encore de ma présence et d’un sourire je lui répondis.
- Oui, malheureusement pour toi.
Mais elle continue de me regarder, ce n’était plus le regard de tout à l’heure, on dirait qu’elle va me bouffer ou me tuer au choix mais ce regard qui semblait plein d’audace invitait peut-être à autre chose mais je ne m’étais pas renseigné sur toutes ces activités, je voulais voir la femme forte mais si je pouvais aussi apprendre d’autres facettes de ce personnage mystérieux, c’était tout aussi intéressant. Elle m’annonce un avertissement clair, ne pas l’approcher, je n’étais pas prête à ce qui m’attendait si je m’approche de ce brasier vivant. Est-ce que j’avais déjà écouté la moindre personne ? Non… alors je ne vois pas pourquoi mes jambes ne veulent pas bouger et la rejoindre dans sa grotte donc je préfèrais tenter ma chance de là-haut.
- J’aime bien les femmes âgées aussi ce n’est pas un soucis, puis effectivement tu as l’air assez unique.
Les bras croisées autour de mes genoux, je profite de regarder ce cigare qui a le plaisir de se trouver sur ses lèvres.
- Tu crois que c’est raisonnable de fumer à ton âge puis arrête de faire cette tête, je sais que tu apprécie ma présence sinon tu ne prendrais pas la peine de me parler non ?
Un excès de confiance qui est survenu de nul part, il faut montrer son audace aux vieux même si ça pourra me coûter la vie mais je sais que j’ai ma chance d’en savoir plus sur elle si je me montre un brin téméraire.
« Tu crois que c’est raisonnable de fumer à ton âge puis arrête de faire cette tête, je sais que tu apprécie ma présence sinon tu ne prendrais pas la peine de me parler non ? »
L'intruse venait de zieuter sur ses lèvres. Cette désaxée la voulait, ça ne faisait aucun doute. Elle continua de la mirer un long moment ainsi, de ces yeux durs, cuivrés comme deux pièces de monnaie, avant de cracher son cheroot plus loin, comme si elle avait suivi le conseil de la jeune femme. Elle se leva ensuite, époussetant ses cuisses et s'approcha ; Carciphona pouvait bien reculer, Aniel ne lui ferait aucun mal. Notamment car elle se mit à lui sourire, glissant sa main gantée sur sa joue pâle. Une main chaude, mais pas nécessairement désagréable. Difficile d'imaginer qu'elle bullait comme un chaudron il y a deux minutes de cela.
« Ceux qui t'ont amenée ici ne te voulaient aucun bien. C'est pour moi que tu es venue, n'est-ce pas ? »
Elle continuait de la regarder ; et le sourire avait de quoi être de plus en plus sincère, (gênant) affichant sa rangée de dents impeccablement blanches. Aniel mentait avec autant de netteté que c'en était absurde. Mentait-elle seulement ? Après tout, c'est elle qui était passée au stade de démon des enfers à fumeuse de saloon en l'espace de quelques secondes. Et si les légendaires crises de colère de la Fée Rouge n'étaient en réalité qu'un trouble lunatique ? Si elle était réellement en train de lui sourire ? Autant de questions qui pouvaient se bousculer dans la tête de l'inconnue.
« Tu as raison, je me suis emportée. Je n'ai aucune raison de te faire du mal. Après tout : tu ne m'as rien fait. »
Elle l'avait dit comme on aurait annoncé le beau temps. Telle une évidence des plus limpides, et c'était vrai : aucun humour ne méritait la peine de mort, aussi maladroit eut-il été.
« Tu peux venir, si tu le souhaites, pipa-t-elle en faisant volte-face. Tu vas finir par attraper une pneumonie, dehors. Ma lave a déjà fondu, rassure-toi. »
Sa voix faisait écho dans la galerie. La combattante joignit ses mains dans son dos, précieuse, et eut un petit claquement de talons, comme un majordome qui saluerait son maître. Un éclair frappa au même moment la mer, à quelques lieues de là. Tout comme il avait frappé cent mètres plus loin, une minute plus tôt. Il s'approchait. Et ce refuge était le bienvenu.
Elle était encore sur ses gardes, elle juge mes réactions et mes mots à tout instant, il fallait que je pèse mes mots, si je franchis une seule fois l’ultime limite, rien ne pourra arrêter ce monstre mais le jeu en vaut certainement la chandelle quand je vois ses yeux me fixant encore et encore, il n’y avait certes aucun désir dans son regard mais je l’intriguais certainement, elle trouvait même de cracher avec une certaine son cigare tout en gardant le contact visuel, elle ne lâchait donc jamais sa proie des yeux. Le terme de proie était approprié, elle pourrait tout faire de mon corps à l’instant, je pourrai en mourir heureuse même si j’aimerai le rester encore quelques années voir des dizaines mais en tant qu’aventurière, on ne savait jamais ce que sera fait le lendemain.
Elle finit par se lever, quittant la protection de son abri et une main chaleureuse sur ma joue, je fis un léger écart quand sa main s’approche de moi, je m’attendais à main chaude mais non, la température était raisonnable mais ce qui me dérouta le plus était son sourire qui semblait franc sur son visage, il y a encore quelques instants, c’était une combattante au pouvoir destructeur pour trouver maintenant en face de moi, une femme qui semblait douce en prime abord. J’essaye de ne pas montrer mon étonnement et garde l’audace qui m’est propre depuis le début de cette rencontre.
- Il se pourrait que c’est bien toi que je suis venue voir.
Son sourire s'agrandit, une dentition parfaite s’additionne à son visage, avait-elle quelconques défauts physiques ? Puis elle me traite de jeune fille, qu’elle était son vrai âge, j’aurai dis une dizaine d’années de plus que moi et encore, jeune fille est employé pour des personnes encore plus âgés mais oublions ce soucis, on discutera de ce léger détail bien plus tard. D’un ton doux, elle s’excusait de son comportement, comme si ce n’était plus la même personne qui me parlait, est-ce que la source de son pouvoir était une entité qui prenait possession d’elle et j’avais en face de moi la vraie Aniel ?
Elle se déplace retourne dans son trou, m’invitant à la suivre si je le souhaitais, elle était prévenante, m’assurait qu’il m’arriverait rien là-dessous mais pourquoi j’hésite encore alors qu’une femme belle comme la Lune m’invite dans sa tanière, c’était en quelque sorte romantique non ? L’orage me rappelle alors à l’ordre, effectivement, il n’y avait rien pour s’abriter des kilomètres à la ronde, autant profiter de cette invitation plus que généreuse. Je glisse tout doucement dans cet abri de fortune pour retrouver la femme qui avait gardé une stature militaire, comme un garde à vous, ses talons frappant l’un à l’autre.
- Pourquoi pas.
Il faisait encore chaud la-dessous, je sentais mes muscles se détendre avec cette soudaine chaleur, j’attraperai sûrement juste un petit rhume mais à force de gambader dehors, mon organisme a fini par s’y habituer. Ce n’était pas une grotte quatre étoiles, on ne pouvait pas faire une réception avec une centaine personne mais dans cette situation, j’avais le loisir de profiter de cette soudaine proximité. Je finis par m’assoir, mes genoux contre ma poitrine et regarde la combattante d’un air songeur.
- Comment tu fais pour passer du truc démoniaque qui était dehors à une femme au tempérament calme, tu as peur de l’orage c’est ça ?
Je fis signe de la main qu’elle s’assoit à côté de moi si elle souhaite et repose mes avants-bras sur mes genoux pour y lover ma tête dedans, sourire aux lèvres.
- Promis, je ne mords pas.
A l'intérieur, il fait chaud. La galerie a fini par s'éteindre sous l'humidité, mais l'intruse marche sur rien d'autre que des plaques de lave séchée. La faune, - vers, scorpions, rongeurs, et Lucy sait quoi qui vivait sous le sol - a rejoint le paradis des bestioles inutiles en un claquement de langue. Il y fait chaud, oui, et davantage quand Aniel s'approche de la demoiselle aux cheveux bicolores. Elle semble l'épier, l'ausculter d'un sourire sincère, - ses yeux souriaient aussi - et finit par s'accroupir à côté d'elle.
« Comment tu fais pour passer du truc démoniaque qui était dehors à une femme au tempérament calme, tu as peur de l’orage c’est ça ? »
La Fée secoue la tête, doucement.
« Tu te trompes, je n'ai peur de rien. Mais d'où je viens, l'orage apporte sur nous autres, habitants de l'archipel, un mauvais présage. Il est le signe d'une catastrophe à venir. »
Elle continue de la regarder, et elle est si proche... Carciphona peut presque sentir son souffle chaud remuer ses narines. Il y a du tabac, là-dedans, mais aussi une fragrance suave, terriblement féminine, comme un grain de chaleur perdu au fond de sa gorge. Elle ne sent rien : l'odeur du pétrichor, à l'extérieur, masque les odeurs. La Fée finit par sourire.
« Promis, je ne mords pas. »
Elle n'en doutait pas, mais elle vint quand-même cueillir sa lèvre inférieure du bout de son pouce, pressant contre la chair rosée, comme en quête d'une canine à expertiser. Ce après quoi, elle s'approche, déraisonnablement. Leurs bouches se collent, et elle lui vole un baiser, étouffant, dans un ballet de langues qui n'en finit pas. Sa main coulisse copieusement d'un sein jusqu'à sa gorge, qu'elle serre.
Quand leurs lèvres se retirent, moites, son regard a changé. Carciphona peut le remarquer, mais bien trop tard : le démon est revenu.
Alors, le monde éclate dans cette vérité terrible qui ne voulait dire qu'une chose : Aniel mentait. Elle mentait comme elle respirait, depuis le départ. Sa main gauche se mit à bouillir dangereusement. Celle qui enserrait cette gorge de porcelaine, cependant, resta intacte.
« Ne t'avises pas de bouger, ni même de prononcer quoi que ce soit. Je vais te briser, tu m'entends bien ? Tu n'as plus nulle part où aller, désormais. »
Et cette voix vire au rouge, comme une marmite qui boue. Le sort qu'elle lui réserve brûle au fond de ses yeux méphitiques : pire, ou presque, de ce qu'elle pouvait espérer d'une mort rapide. Dehors, la foudre claque, à mesure que les doigts longilignes de la Fée s'enfoncent dans le cou de la malheureuse.
L'orage est toujours porteur de mauvais présage. Toujours.
Elle finit par s’assoir là, tout près de moi, nos souffles se mélangent, elle n’avait pas l’odeur d’une femme qu’on pouvait croiser à n’importe quel coin de rue, elle avait déjà ce goût de l’interdit, ce volcan brûlant qui bouillonne dans le corps d’une femme magnifique, ce regard qui pouvait en dire long, elle semblait avoir l’habitude de la réaction qu’elle donne aux autres, moi qui me sentait si sûre habituellement me retrouve en quelque sorte aux réactions de cette femme. Elle était imprévisible, elle a vérifié d’elle-même si je n’avais pas des dents aiguisées pour la mordre, cette soudaine proximité en devenait chaude non pas qu’elle avait de nouveau activer son pouvoir, non c’était mes sens qui s'enflamment ainsi que mon imagination.
Elle parle de catastrophe, le plus grand danger c’était elle à mon goût, un charme fou, elle pouvait faire tomber n’importe qui à ses pieds mais aussi tout détruire sur son passage sur un simple excès de colère donc si celle-ci reste calme, je ne risque rien enfin c’est ce que j’essaye de me convaincre. Mais ses lèvres posées contre les miennes font effondrées toutes mes barrières, elle avait briser ce mur invisible par ce geste, elle avait fait le premier pas et je n’étais donc plus une nuisance, non elle semblait apprécier ma présence. Je répondis alors à ce baiser que je voulais moins chaste quand je sentis sa main parcourir mon corps quand elle finit par se trouver sur ma gorge, je me disais que c’était une pratique comme une autre quand je sentis sa poigne se renforcer sur mon cou, j’arrête alors notre baiser quand les yeux ouverts, je vois apparaître de nouveau le monstre qui se déchaînait quelques minutes plus tôt. Elle s’était jouée de moi, son corps se réchauffe mais pas la main qui renferme l’étau sur ma gorge.
Encore un avertissement de sa part, ce n’était plus le ton calme de la femme radieuse qui m’a invité dans sa grotte, ce n’était plus la même personne, je pouvais encore respirer mais est-ce que jouer encore la carte de l’audace ne me précipiterait pas vers une mort atroce ? Dois-je prononcer un mot car finalement c’est ce qu’elle attends, que je la provoque, qu’elle voit qu’elle n’a pas le contrôle sur moi mais que faire quand j’ai en face de moi une torche humaine qui m’avait clairement sous son emprise ?
Mais à quoi bon, elle m’étrangle, si je ne tente rien je mourrai avec regret enfin si il y a quelque chose après la mort bien sûr mais ce n’était pas dans mes principes de me laisser faire, attendre qu’on vienne me chercher pour m’amener rejoindre mes aïeux. L’air venait à manquer, mes pensées deviennent irraisonnées certainement dues au manque d’oxygène, je fis un dernier sourire nerveux, mes mains attrapent son poignet même si je ne pouvais pas me débattre.
- Je crois que je n’ai pas tout entendu de ce que tu as dis, tu peux répéter s’il te plait ?
J’essaye maintenant de me débattre mais je n’avais plus forcément la force nécessaire de le faire, c’est à elle de voir si elle doit me laisser la vie sauve ou non.
- J’aurai au moins eu un baiser de la délicieuse Aniel…
Voici ce que je pouvais dire avant de perdre peut-être connaissances dans les prochaine secondes...
La Fée expurge sa faim insatiable à mesure que les heures s'écoulent. Ses gestes sont rageurs, sa précaution nulle. Elle griffe, elle mord ; et ses pulsions contaminent les alentours. Une chaleur légère mais bien réelle, qui brasille comme deux pépites de soufre au fond de ses yeux d'or. Viennent alors les premières lueurs qui engloutissent la grotte. La pluie, dehors, a fini de battre. Elle en a terminé.
Elle se redresse, pesamment, les cuisses engourdis et les bras brûlants d'efforts et se rhabille. Elle coince une cigarette entre ses lèvres et l'allume, d'un claquement de doigts, avant de prendre le pas vers la sortie. Derrière elle, rien qu'un monde de ténèbres, qui n'a pas connu le lever du jour.