ALLYS RENMYRTH

Jour de pluie.

Le regard perdu dans le vide,  elle se laissait bercer par le clapotis apaisant de la pluie, la fraîcheur de cette dernière s'infiltrant par la fenêtre ouverte de la terrasse. Les averses abondantes telles que celles-ci ne manquaient jamais de lui rappeler ce jour fatidique, celui-là où elle dut bien malgré elle monter sur le trône, incertaine encore d'être prête pour un tel poids sur ses épaules. Le choix, cependant, ne lui appartenait pas.

Las d'une journée étourdissante de rencontres protocolaires, elle appréciait la soudaine quiétude, ne s'épargnant cependant pas un brin d'inquiétude pour son époux et ses enfants ; une mauvaise habitude dont elle n'avait jamais su se défaire, mais qu'elle essayait de voir comme une qualité plutôt que défaut exploitable. Avoir du cœur était après tout un atout pour une souveraine, et toujours Allys s'était refusée de s'endurcir plus que nécessaire, ses émotions une force la poussant à toujours avancer. Dans la bonheur autant que la peine.

Une résolution à laquelle elle s'accrochait fermement depuis des années déjà.

Quelques pas l'avaient menée vers ladite terrasse, le marbre luisant de pluie sous le soleil à peine visible entre les lourds nuages. Paupières closes, elle n'avait que ses propres pensées pour compagnie, incapable de réellement s'en défaire, ou peut-être ne le désirant tout simplement pas. L'odeur de pétrichor se mêlait à ses souvenirs mornes, réveillant doutes qu'elle ne savait totalement enfouir. Si quelconque malheur devait arriver à sa famille, deviendrait-elle le reflet de sa mère, femme au cœur brisée, coquille vide et sans espoir? Loin d'être naïve, elle connaissait mieux que quiconque le prix de l'amour et de la famille : la perte, le deuil. Car les perdre était là sa plus grande peur, bien plus que ses responsabilités ou sa couronne! Que ferait-elle sans son époux, sans ses enfants? Ils avaient toujours été à ses côtés, consciemment ou non, lors des périodes les plus difficiles de sa vie, et elle était tout bonnement incapable d'imaginer sa vie sans eux.

Ah. La sentimentalité ne lui allait pas, pas alors qu'elle devenait mélancolie, menaçant de l'engloutir à tout moment. La Reine ne se connaissait que trop bien, ses propres anxiétés tracés dans les pages de son existence avec une netteté presque dérangeante. Oh, elle n'était que femme, que chair après tout. Pouvait-on réellement la blâmer? Personne n'oserait.

Jamais directement, du moins.

Voilà un autre désavantage à être née princesse : le manque d'authenticité, d'honnêteté. Très tôt elle s'en était rendue compte, enfant éveillée au monde l'entourant, d'autant plus influencée par le don qui s'était révélé à elle. Une arme à double tranchant, la confortant dans cette impression de n'être entourée que de mensonges et la poussant toujours plus loin dans son désir de franchise, de vérité. Un désir qui finirait par se présenter sous la forme de celui qu'elle finirait par épouser (trop prématurément selon certains) et qui encore aujourd'hui se trouvait à ses côtés. Grimvor. Un roc inébranlable, une épaule sur laquelle elle pouvait se reposer en cas de besoin, sans craindre de se retrouver abandonnée.

Puis, ils y avaient ses enfants. Deux trésors inestimables, chair de sa chair et partie de son cœur. Ils avaient grandit si vite, bien trop vite à son goût. D'un côté, Aeron le petit garçon devenu prince trop tôt, le torse gonflé d'une fierté semblant l'empêcher d'encore accepter l'affection de sa mère comme lors de son enfance ; de l'autre, Atheas, sa chère petite princesse, espiègle comme elle l'eut été à une époque aujourd'hui révolue, avide d'une liberté qu'elle n'ose consentir à lui donner, de peur qu'il lui arrive quoi que ce soit. Un crainte qui la ronge jour après jour, silencieuse mais toujours présente, saisissant toute opportunité de se saisir d'elle.

Femme. Mère. Reine.

Trois facettes d'une même personne, un poids conséquent sur ses épaules qu'elle craint parfois d'être trop frêles. Avec les années cependant, elle a su apprendre à jongler entre ses responsabilités, parfois avec difficultés. Mais au bout du compte, le travail en valut la peine, assurément.

Un bruit, une pour qui s'ouvre soudainement, attira son attention vers l'entrée de la vaste pièce. Un visage apparu dans son embrasure, une vue lui tirant un sourire chaleureux et doux. « Ah, mon amour. Je ne pensais pas te voir de si tôt. » Il lui avait manqué.