Un coup. Elle n’avait eu besoin que d’un coup de poing pour le mettre à terre. La force d’Adeline était sans pareille. Il le savait et pensait avoir pris les dispositions adéquates cependant cette potion n’avait pas fait effet assez rapidement. Legion allait l’entendre. Cette sorcière était parvenue à fracasser l’armure de Marc-Antoine et à grièvement blesser ce dernier. Des fragments de métal issue de son plastron avait transpercé sa chair. L’ancien membre de la garde craignait le pire. Le de l’Épée ne saignait pas – ou très peu – mais n’était pas à l’abri d’une hémorragie interne. Au moment du choc, il avait senti son corps vibrer comme jamais auparavant.
Marc-Antoine titubait en jetant par moment des regards derrière lui ; Personne ne le poursuivait. Sa sœur était mal au point et la priorité des autorités était probablement de secourir les vivants et de s’occuper des morts. Dans ce genre de situation, traquer les responsables venait en second plan. De plus, l’explosion à l’atelier de Noximilien avait assurément dû attirer l’attention de certaines troupes. Les effectifs de la garde étaient dispersés et le jeune homme en profita pour fuir. Si dans un premier temps, il avait dû bousculer des passants, des femmes et des hommes afin de se frayer un chemin, il rejoignit bientôt les ruelles les moins fréquentées de la Capitale. Il lui fallait changer d’apparence, se teindre les cheveux. Il lui fallait quitter la ville. Il lui fallait aller plus vite, marcher avec plus de vigueur. Une multitude de pensées de ce genre fluaient et refluaient dans l’esprit de Marc-Antoine. Bientôt, il tomba nez à nez avec un de ses collègues, un interne tout comme lui, surpris de voir son camarade aussi amoché.
▬ Marc, tu vas bien ? Que fais-tu ici, tu ne te prépares pas pour l’exam- Et il se tut à jamais. Marc-Antoine poursuivit sa route, enjambant le corps de son ami et tâcha de rejoindre la sortie de cette maudite ville.
Des bruits de pas provenant des rues adjacentes alertèrent Marc-Antoine. Dans son état, il ne pouvait décemment pas combattre. Par ailleurs fuir n’était pas chose aisée. Le jeune homme avait un mal fou à mettre un pied devant l’autre. Il devait se cacher. Faire quelque chose afin de reprendre des forces … Si seulement il avait accepté l’aide de Legion. Une nouvelle fois, il maudissait sa naïveté et un juron quitta ses lèvres ensanglantées. Sous pression, il crut devenir fou avant de finalement regagner ses esprits. La taverne où travaillait Terry n’était pas loin …
▬ Grr.
Marc-Antoine rechignait à rejoindre sa bien-aimée dans ses circonstances. Il ne voulait ni l’impliquer dans cette histoire, ni qu’elle le voit dans cet état. Elle allait lui poser des questions, tout un tas de question. Il hésita longuement. Puis, un tantinet paranoïaque, Marc-Antoine crut entendre à nouveau la voix d’un de ses collègues … Et il entrouvrit la porte de la taverne en espérant y trouver la jeune aventurière.
Il n’y avait jamais grand monde le matin, à la taverne. Jusqu’à midi, sauf cas exceptionnel, l’endroit était toujours relativement calme. Un client ou deux de passage, tout au plus, des clients calmes qui ne faisaient que s’asseoir dans un coin, voir au bar, pour discuter tranquillement avant de poursuivre la journée. En ce qui te concernait, tu ne travaillais plus ici, et c’était officiel. Ton cher père avait décrété que tu ne pouvais pas tout faire, et même si ton nouveau statut d’aventurière te laissait largement le temps d’aider ici, Norbert refusait catégoriquement que tu serves le moindre verre. Au début, ça n’avait pas été simple de simplement être présente dans la salle et devoir le laisser faire, d’accepter de le laisser se débattre avec les demandes, les commandes, le service … mais après quelques jours, ça allait déjà mieux et ce matin, tu t’étais tout simplement installée au bar, du côté des clients, les coudes appuyés sur le bois et un verre de jus de fruits tout juste pressé sous le nez. Tu étais songeuse, si bien que tu n’avais pratiquement pas décocher un mot au vieil aventurier qui s’était assis à côté de toi et qui s’évertuait à te raconter les histoires de ses quêtes passées. En temps normal, tu aurais sans doute bu ses paroles et dévorer ses histoires mais tu étais ailleurs. Tu songeais à retourner à la Guilde pour un nouveau contrat, tu le ferais probablement dans la matinée, d’ailleurs puisque tu n’aimais pas rester sans rien faire. Et puis, à côté, tu savais aussi que l’examen de Marc-Antoine était aujourd’hui même et tu hésitais. Tu te demandais si tu devais aller à sa rencontre un peu plus tard dans la journée ou si tu attendrais simplement un peu. Un soupire … tu viens finalement boire une gorgée dans ton verre en relevant la tête vers le vieux bonhomme à côté de toi. Tu le gratifies d’un sourire avant de t’étirer légèrement, puis te détourner le regard vers la porte lorsque tu entends son grincement habituel. Cette vieille porte était bien pratique. Il suffisait de la pousser très légèrement pour les gonds se mettent à émettre ce son bien reconnaissable. Ainsi, on ne ratait jamais personne.
Cette fois, cependant, loin de s’ouvrir totalement, voir à la volée comme souvent ici … la porte ne reste qu’entrouverte et alors que ton père est en grande discussion avec un client à l’autre bout du comptoir, ta curiosité te pousses à te lever pour aller voir. Et c’est un visage familier que tu découvres à l’extérieur … familier, oui, mais différent des autres fois et ça, ça ne t’échappe pas. Ce qui ne t’échappes pas non plus, c’est le sang sur ses lèvres, et sa façon de se tenir.
Entrer dans cette taverne n’était dans aucun des plans fomentés par Marc-Antoine. Dans tous les scénarios qu’il avait envisagés, jamais il n’avait été question de venir ici. Pénétrer dans la taverne comportait bien trop de risques ; Pour Terry bien sûr mais aussi pour lui. A tout instant, Norbert, un client un peu trop curieux ou la cuisinière pouvait le voir. Si tel était le cas, il serait fichu. Certes il pouvait faire taire ce beau monde en cas d’ultime nécessité mais il se voyait mal décimer autrui dans la demeure même de la fille qu’il aimait. D’ailleurs, lui expliquer le pourquoi du comment de sa venue ici n’allait pas être une mince affaire.
Bien que blessé, Marc-Antoine était tout de même assez lucide pour comprendre les questions posées par l’aventurière. La détresse de la jeune femme était palpable et quand bien même sa seule envie était de se reposer, il répondit :
▬ J’ai échoué.
Parler était difficile. Les sons peinaient à sortir de sa bouche. Son diaphragme était comme bloqué. Ces mots étaient sortis instinctivement. Effectivement, le jeune soldat n’était pas parvenu à tous les faire disparaître et à se faire passer pour la victime de l’histoire. Il n’était cependant pas certain de vouloir dire toute la vérité à Terry. Il était préférable pour elle, pour eux mais surtout pour lui qu’elle ne sache rien.
▬ Je t’expliquerai mais avant ça. Aide-moi à monter.
En haut, dans sa chambre, à l’abri des regards indiscrets, pour quelques heures tout au plus, le temps qu’il reprenne ses esprits. Dans tous les cas, il ne comptait pas rester en ville indéfiniment. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’Adeline ne parle et explique aux autorités ce qu’il s’était réellement passé. Aidé par l’aventurière, Marc-Antoine montait les escaliers non sans peine. Réfléchir à un mensonge plausible n’était pas chose aisée dans ces conditions. Dire la vérité aurait été tellement plus simple. En un sens ; il le voulait. Cela lui aurait épargné une réflexion qu’il jugeait inutile.
Une fois arrivé au second étage, il poussa la porte menant à la chambre de la demoiselle et s’installa sur le lit. C’était la première fois qu’il venait ici. Si en temps normal, il se serait attardé sur la décoration ou sur certains petits détails, ici, il n’en fit rien. Il se fichait de la couleur des murs, de l’agacement de la pièce : Seul s’allonger l’intéressait.
Avec sa main gauche, il palpa son estomac, son cœur et différents organes afin de juger de la gravité de la situation. D’après son expertise, il n’y avait ni hémorragie interne ni dommages importants occasionnés sur les zones inspectées.
▬ Je vais devoir quitter la ville dans la journée, peut-être ce soir.
Encore une fois, il retardait l’échéance. Lui qui d’accoutumée était si doué pour mentir ne trouvait rien. En tout cas rien de plausible sur le moyen ou long terme. « Cela allait se savoir tôt ou tard alors autant le lui dire » pensa-t-il.
▬ J’ai tué deux de mes frères.
Il était difficile de faire plus explicite. Si jusque-là il avait dit la vérité, Marc-Antoine savait que quelques mensonges allaient être nécessaires s’il ne voulait pas perdre Terry à tout jamais.
Rien de pire que confusion dans ce genre de moment … le fait d’observer, de tenter d’analyser sans parvenir à comprendre quoi que ce soit, sans réussir à faire en sorte que les choses s’emboîtent, soient cohérentes entre elle. L’incompréhension totale mêlée du coup à tant de questions qui ne parviennent ni à trouver réponse toutes seules, ni à franchir la barrière de tes lèvres dans l’immédiat. Tu n’en poses que deux, et ça te parais déjà être le bout du monde alors que tu restes plantée là, pratiquement au beau milieu de la pièce. Il avait échoué. Naïvement, il n’y a que cet examen qui te viens en tête, et ça amène alors de nouvelles questions. Il était si difficile que ça, cet examen ? Tu pouvais parfaitement déceler une forme de souffrance dans ses traits, il était blessé, quelque part. Comment ça avait pu arriver ?
Perdu, Terry.
Lorsqu’il ouvre à nouveau la bouche, tu voudrais parler, mais rien ne vient. Quitter la ville. Là, comme ça, dans la journée. Lui qui devait passer son examen, devenir garde, ici, dans cette même ville. Voilà qu’il t’annonçait vouloir quitter la Capitale dans les heures à venir. Et le pire n’était même pas là, non. Le pire arrive quelques secondes plus tard. Quelques mots supplémentaires … un aveu qui te glace le sang et les os à t’en faire mal.
Horrifiée et probablement déçue, Terry reculait jusqu’à en toucher l’armoire. Evidemment elle ne comprenait pas. Elle ne pouvait de toute façon pas comprendre les réelles motivations de Marc-Antoine. L’aventurière était bien trop douce et bien trop pure pour cela. De son côté, l’apprenti garde regretta presque aussitôt ses aveux. Il n’était cependant pas envisageable de mentir. Tôt ou tard, elle aurait appris la vérité et lui aurait alors tourné le dos. La meilleure chose à faire s’il voulait la garder auprès de lui était de lui en dire suffisamment pour qu’elle ne se sente pas lésée et trop peu pour qu’elle comprenne réellement les noires desseins du de l’Épée.
Face aux larmes de Terry, Marc-Antoine éprouva un pincement au cœur. Il grimaçait de douleur mais aussi de honte en se relevant afin de rejoindre la jeune femme. Les mots qu’il allait prononcer étaient d’une importance capitale, il le savait et n’avait pas le droit à l’erreur.
▬ Je devais le faire. Je suis désolé, j’ai tout gâché.
La sincérité transparaissait dans la voix de l’interne. Par ses actes il avait effectivement réduit en cendres toute possibilité d’avenir paisible pour le jeune couple. L’espace d’un instant, Marc-Antoine maudissait sa trop grande ambition. Ils auraient pu vivre des jours heureux ensemble, lui en tant que membre de la garde, elle en tant qu’aventurière. Il avait un nom, une famille influente et n’aurait eu à se soucier de rien. Mais il ne pouvait mettre de côté ses désirs et son orgueil. Le de l’Épée aspirait à plus. Son égoïsme et sa folie des grandeurs le poussaient à aller toujours plus loin, quitte à mettre en péril ce qu’il possédait déjà et aurait dû le contenter. Il profita de ses remords et de cet élan – bref – de sincérité pour lui asséner son plus beau mensonge ; Un mensonge empreint d’héroïsme, un mensonge noble :
▬ Ils prévoyaient de commettre un coup d’état. Je devais le faire …
Les de l’Épée étaient influents et bien qu’ils eussent toujours servi le roi, il jugea bon de mettre en doute leur loyauté. C’était probablement sa meilleure défense. Par le passé, il y avait eu des rumeurs et jouer de celles-là était ce que Marc-Antoine pouvait faire de mieux. Il fit à son tour quelques pas – en avant – et caressa la joue droite de Terry afin d’essuyer les larmes qui coulaient le long de cette dernière. Dans le même temps, il chercha du regard Terry qui, pour sa part, semblait le fuir. Il ne voulait pas la perdre et répéta :
▬ … Je devais le faire.
Curieusement, les larmes de Terry rendaient cette dernière encore plus belle aux yeux de Marc-Antoine. Et s’il se sentait affreusement mal, il comprit à cet instant qu’il l’aimait réellement et ne manqua pas de lui signaler :
▬ Je t’aime Terry.
Cette fois-ci il n’y avait pas d’hésitation, pas de calcul. Il passa sa main derrière la tête de l’aventurière et l’amena à lui pour la réconforter.
▬ Je suis désolé.
Il ne l’était pas. Et bien qu’à cet instant il aurait aimé se persuader du contraire, il le savait : Si ça avait été à refaire, il l’aurait refait. Encore et encore. Il l’aurait refait et le refera.
Tu ne sais probablement même pas ce que tu ressens, exactement, en ce moment. C’est douloureux, ça, c’est une évidence, mais pourquoi ? Tu ne saurais le dire avec certitude. Tu es déçue, oui, les raisons de cette déception sont là encore un peu floues et tu ne sais pas si tu es déçue du jeune garde – qui n’en est même plus un, et n’en sera probablement jamais plus un – ou de la situation en elle-même. Tu es effrayée aussi. C’est bien de deux meurtres dont on parle, là maintenant. De la mort de deux êtres humains. Et puis il y a un mélange de bien d’autres choses. Ton corps entier s’est mis à trembler, tes larmes se sont mises à couler sans que tu ne parviennes à les retenir plus longtemps. Pourquoi as-tu subitement l’impression qu’une partie de ce qui te composes vient littéralement d’exploser, de tomber en morceaux, de se transformer en nuage de poussière balayé par le vent ? Tu ne parviens même plus à penser au-delà de cet instant. Aucune de tes questions n’a réellement de sens.
Fixée sur un point droit devant toi, sur le sol, un point invisible, tu ne réagis même pas lorsque le jeune homme se lève de ton lit pour te rejoindre. Il n’y a que lorsque sa voix résonne dans la pièce que tu poses les yeux sur lui, et encore, tu évites scrupuleusement son regard, de peur de ce que tu pourrais y lire, sans doute… Rien de ce qu’il te dit n’a de sens dans en premier temps. Il devait le faire ? Qu’est-ce qui avait bien pu le pousser à en arriver à une telle extrémité ? Qu’est-ce qui pouvait justifier que l’on élimine sa propre famille … Pour toi, évidemment, ce n’était même pas concevable. Ta famille était si précieuse. Ton sang. Ta chair. Tu aurais tout donner pour qu’on ne leur fasse jamais le moindre mal. Tu ne pouvais pas comprendre. Et même lorsqu’il finit par te donner ses raisons, ou plutôt, sa raison … Tu as encore des milliers de questions. Un coup d’état. Ce sont des choses qui te dépassent, et de loin. Alors tu ne dis rien. Tu essayes de comprendre, tu y mets toutes tes forces, toute ton énergie et toute ta bonne volonté. Il a l’air si sincère dans ses aveux, et tu supposes que ça lui coûte énormément de tout te révéler. Il aurait pu mentir. Il ne l’a pas fait. Et malgré tout, alors qu’il vient chasser quelques-unes de tes larmes de ses doigts, tu continues de fuir ses yeux. Il devait le faire. Il t’aime. Il t’aime … et ça, quand il le dit au beau milieu de ce discours, ça vient te faire l’effet d’un bon coup de poing dans l’estomac. Mais encore une fois, tu ne dis rien. Tu le laisses t’attirer à lui, et puis tu soupires alors que lentement tu viens poser les mains sur sa poitrine. L’idée de le pousser, de l’éloigner de toi te traverses l’esprit. C’est même ce que tu t’apprêtes à faire avant de te raviser et finalement accrocher tes doigts au tissu de ton haut. Tu es tiraillée. Tu es tellement en colère, tu as envie de hurler, tu sens au fond de toi que ça ne peut que te faire du bien.
Elle ne l’avait pas repoussé. L’idée lui avait probablement effleuré l’esprit néanmoins elle n’en avait rien fait. Au contraire, Terry semblait disposée à excuser Marc-Antoine. En tout cas elle ne souhaitait pas le voir quitter la ville. De son côté, le jeune homme ne voulait pas s’en aller non plus mais allait devoir s’y résoudre. Rester dans la capitale au vu de son nouveau statut n’était pas raisonnable. A moins de se procurer une potion transformante, Marc-Antoine se voyait mal déambuler dans les rues sans être arrêté. Bientôt, la nouvelle allait faire le tour de la capitale, des bars et peut-être même des villages voisins. Il devait quitter la ville cette nuit, rejoindre Legion et s’organiser convenablement avant d’être traqué.
Les petites cellules grises de Marc-Antoine s’activèrent. Différents plans vinrent en tête au de l’Épée qui les écarta un à un. Il ne pouvait pas emmener Terry avec lui, pas maintenant, pas ce soir. Il avait encore quelques affaires à régler et n’était pas sûr que son évasion nocturne se déroule sans encombre. La jeune femme avait beau avoir fait des progrès, elle restait un poids ; Un poids qu’il ne pouvait se permettre de traîner. En outre, il craignait de devoir faire couler du sang ce soir et ne voulait pas offrir ce genre de spectacle à celle qu’il aimait. Pour l’heure Terry n’avait rien fait de mal. C’était une aventurière comme les autres et pouvait à ce titre voyager sans attirer l’attention. Elle et Marc-Antoine pouvaient tout à fait se donner rendez-vous sur les routes et se retrouver là-bas. C’était probablement la meilleure chose à faire oui ; La retrouver dans cinq ou six jours quand les choses se seront tassées. Il voulait lui dire, il voulait lui proposer néanmoins il n’eut ni le temps, ni la présence d’esprit. Ses pupilles rencontrèrent celles de Terry et les deux amoureux échangèrent bientôt un baiser bref, au goût amer pour la jeune femme qui ne tarda pas à reculer. Marc-Antoine comprit bien vite la raison de ce retrait prématuré et passa sa main près de ses lèvres afin de les essuyer. Ceci-fait, il rétorqua :
▬ Je pense oui.
L’ancien membre de la garde avait perdu des choses aujourd’hui mais il n’avait pas totalement perdu Terry et c’était là l’essentiel. Il tenait difficilement debout mais tenait tout de même. Notez qu’il n’était pas le plus à plaindre parmi les de l’Épée. Par précaution – et aussi pour montrer à Terry que tout allait bien – il palpa de nouveau ses côtes. Comme précédemment il ne remarqua rien d’anormal. La douleur était liée au choc, rien de plus. D’ici quelques heures, tout irait mieux pour lui. En attendant …
▬ Tu peux m’aider ?
Il souhaitait retirer son armure fracassée. Marc-Antoine éprouvait une certaine gêne à l’idée de demander cela à Terry néanmoins il ne pouvait le faire seul. Ce poids le dérangeait, en plus de le faire souffrir. Une fois l’objet retiré de façon bien laborieuse, l’épéiste le posa à même le sol. Ce moment offrit au cadet des de l’Épée une réminiscence d’une scène passée. Ce jour-là, il ne l’avait pas laissée tomber. Aujourd’hui c’était elle qui lui venait en aide et lui permettait de tenir.
▬ Quoiqu’il arrive, je ferai en sorte que nous puissions toujours être ensemble.
Le ton de sa voix ne le laissait pas entendre toutefois cette phrase faisait à la fois office de promesse à Terry et était dans le même temps une menace qu’il proférait à l’encontre du reste du monde. Il avait tué trois personnes pour moins que ça aujourd’hui et n’aurait pas de scrupule à recommencer si cela s’avérait nécessaire.
Libéré du poids de son armure et débarrassé du sang sur ses lèvres, Marc-Antoine défit la distance qui le séparait de Terry et baisa le cou de la jeune femme. Il l’embrassa par la suite sur les lèvres durant de longues secondes. En parallèle, ses mains passèrent autour de sa taille puis descendirent plus bas encore. De la même façon que lui venaient ces pulsions meurtrières, le de l’Épée éprouvait en ce moment un désir charnel fort pour l’aventurière.
Probablement blessé, tu baisses les yeux pour l’observer, tentant de déceler la moindre trace de sang sur lui, en vain. S’il l’est, ce n’est pas visible et ça ne saigne pas, ou alors très peu. Après quelques secondes, Marc-Antoine vient appuyer sur ses côtes et tu comprends instantanément qu’il a dû prendre un sacré coup … mais que ce n’est probablement pas si grave que ça. Ça doit faire mal, en effet, mais tu oses espérer qu’il n’est pas assez fou pour continuer de déambuler en se sachant blessé plus ou moins gravement. Tu ne peux retenir un soupire, et puis, tu viens essuyer tes joues humides. Tu as cessé de pleurer. Ça ne veut évidemment pas dire que tu es calme et que tout va bien … Au contraire. Ses paroles continuent de passer en boucle dans ta tête, tu continues de te demander comment tout ça avait pu arriver et franchement, même si une part de toi est curieuse de détails, tu évites scrupuleusement les questions sur le déroulement des événements. Tu doutes d’être prête, dans l’immédiat, à en encaisser davantage.
Ses paroles suivantes viennent te toucher de plein fouet. A tel point que tu restes droite, la bouche entrouverte durant quelques secondes. Il finit par s’approcher de toi et immédiatement ses lèvres viennent se poser au creux de ton cou, il embrasse ta peau et un frisson te parcours immédiatement, se propageant dans ton dos tandis que le blond vient finalement reprendre tes lèvres. Ce baiser s’éternise, et tu sens les mains glisser sur ton corps ce qui te pousses à te presser davantage contre lui tandis que tes mains remontent et que tes bras passent derrière sa nuque. Il éveillait toujours ce petit quelque chose en toi, lorsqu’il t’embrassait, pourtant à ce moment, tu aurais pu affirmer avec certitude que quelque chose était différent. Ce baiser est différent. Probablement plus intense que tous les autres auparavant … peut-être à cause des derniers événements, à cause de la peur, de la pression, tu n’aurais su le dire. Toujours est-il que tu finis tout de même par lâcher ses lèvres, tu recules à peine, tu restes contre lui, ton visage à quelques centimètres du sien, ton regard planté dans le sien.
Le fratricide avait envie d’elle et, sans trop chercher à savoir si ce sentiment était réciproque, laissa ses mains se balader le long du corps de la jeune femme. La distance entre les deux tourtereaux s’amenuisait avec le temps et à mesure des baisers. Au cours de leurs nombreux rendez-vous il leur été arrivé de se rapprocher l’un de l’autre mais, par pudeur et peut-être par principe, jamais une telle proximité n’avait pu être observée. Bien vite, les mains de l’aventurière se posèrent autour du cou de notre héros qui tressaillit. Ses mots soulagèrent encore un peu plus Marc-Antoine. Un sourire presque naïf se dessina sur son visage alors que ses lèvres entrèrent de nouveau en contact avec celles de l’aventurière.
Pour un moment, le de l’Épée oublia les heures, l’espace ainsi que ses futurs soucis de fugitif. Il oubliait les plans qu’il avait fomentés, les devoirs qu’il devait accomplir et même la douleur qui pourtant était bien présente et le rappela à l’ordre en le faisant grimacer par moment. A nouveau Terry lui avait permis d’atteindre une forme de sérénité, si bien qu’il en oublia même les personnalités qu’il lui restait à tuer … Toutes ces choses lui paraissaient futiles à cet instant. Il aurait aimé contrôler le temps afin de faire en sorte que ce moment dure une éternité mais revint bien vite à la raison. D’ici quelques heures, il allait quitter la ville et ne plus revoir Terry avant plusieurs jours. En songeant à cela, ses mains caressèrent avec plus d’insistance le muscle glutéal de sa vis-à-vis puis montèrent à nouveau jusqu’à rejoindre ses hanches. Sans trop de subtilité, Marc-Antoine guidait l’ancienne serveuse et l’amena contre la porte de sa chambre.
D’un geste habile, il ferma à double tour sans quitter l’aventurière des lèvres ou du regard. C’est entre deux baisers qu’il tâcha de déboutonner le chemisier de la rousse, non sans une certaine maladresse. Si Marc-Antoine était doué avec les objets comme les portes et les serrures, il l’était bien moins avec les vêtements féminins. Il parvint malgré tout à lui ôter son haut qu’il fit tomber à même le sol, sans grande précaution. Après avoir réalisé de façon quelque peu laborieuse cette première besogne, il entreprit de mener la jeune femme à son lit. Pour ce faire, il passa ses mains autour de ses cuisses puis porta Terry sur quelques mètres. Durant le processus et au moment d’allonger la jeune femme, il ne manqua pas de la décoiffer et d’humer ces cheveux. Encore aujourd’hui, comme au premier jour, ils avaient cette senteur citronnée qu’il affectionnait particulièrement.
Ses caresses se font plus appuyées, ses mains plus insistantes sur ton corps, toi, d’ordinaire si pudique, si timide, tu ne ressens pourtant pas le moindre gène, bien au contraire. Tu n’as plus envie de quitter ses lèvres, plus envie non plus envie non plus de t’en éloigner en tant soit peu. Le temps de quelques mots, et vos lèvres sont de nouveau en contact. Ses mains remontent sur tes hanches et sans toutefois se détacher de toi, il te guide, te poussant légèrement vers l’arrière, tu ne prends même pas la peine de quitter ses lèvres pour regarder derrière toi, tu te laisses faire tout simplement, même lorsque ton dos vient s’appuyer contre la porte et que tu entends le bruit de la serrure qui se verrouille. Tu as bien compris où il voulait en venir … tu sais probablement ce qu’il veut de toi à ce moment précis, parce que c’est ce que tu veux aussi.
Un a un, les boutons de ton chemisier sont défaits … l’un d’eux saute d’ailleurs, tu l’entends tomber sur le sol mais tu te contentes de bouger légèrement afin de faciliter la tâche du jeune homme tandis qu’il te retire ton haut et s’en débarrasse au sol. Il te soulève ensuite. Tes bras s’accrochent à son cou tandis qu’il retourne du côté de ton lit tout en continuant de t’embrasser. Il passe ses doigts dans tes cheveux et finit par te déposer sur le matelas. Tu prends ainsi le temps de l’observer un court instant, comme si tu voulais graver ses traits dans ta mémoire, juste au cas où, de même que ce moment. Tu savais bien que dans quelques heures, le garçon dont tu étais amoureuse devrait quitter cette ville et que tu n’allais pas le revoir avant au moins plusieurs longs jours … cette simple pensée aurait pu te serrer le cœur, toutefois, tu la repousses tandis que tes mains glissent sur ses épaules et que tes doigts s’accrochent au tissu de son haut sur lequel tu tires afin de le lui faire retirer. Tu as ainsi le loisir de caresser sa peau et tes doigts fins glissent délicatement sur ses côtes, sur cet hématome frais mais déjà bien visible qui s’est formé là. Tu n’appuies pas, tu ne fais que t’y attarder quelques secondes avant de revenir vers sa nuque pour l’attirer à toi de nouveau. Tu profites de ses lèvres, de ses baisers, de chacune ses caresses, tant de choses que tu ne manques pas de lui rendre.
Au final, tu avais offert ton amour, ta confiance, ainsi que ton corps … tu en avais eu besoin, de ce moment hors du temps durant lequel tu n’avais pas eu à penser aux conséquences de ce jour, ou encore à l’avenir. Le soir même, cette pénible réalité reviendrait te hanter. Vous hanter. Mais en attendant, il n’y avait que lui et toi, et c’était tout ce que tu désirais.
Aidé par Terry, le fratricide retira son haut. Son combat contre Adeline lui avait laissé une vilaine marque, marque qui n’échappa pas à la jeune femme. Le derme de notre héros avait viré au bleu voire au noir par endroit. Sûrement perturbée par cette blessure, signe de son crime, l’aventurière frôla l’hématome un moment avant d’attirer à elle l’ancien interne, faisant finalement fi de cette ecchymose. Présentement, ni lui ni elle ne souhaitaient ressasser le passé ou imaginer le futur. Ils échangèrent caresses et baisers tandis que leur corps s’entremêlaient.***
Allongé sur le lit en compagnie de Terry, Marc-Antoine se fendit d’un sourire mutin lorsqu’il entendit le tavernier appeler sa fille. Il était midi passée et l’heure pour leur petite famille de déjeuner. Ainsi, il laissa sa belle le quitter puis se leva à son tour. Le de l’Épée enfila ses bas puis se mit à faire les cent pas dans la pièce, attendant avec impatience le retour de l’aventurière. Curieux, son regard se posa sur tout les meubles, sur tous les objets. C’était une chambre simple mais élégante, bien rangée et qui laissait par moment deviner des fantaisies propres à la demoiselle. Terry avait eu la présence d’esprit de rapporter avec elle quelques restes, de quoi satisfaire en parti l’estomac du jeune homme. Les deux amants partagèrent ensuite leurs dernières heures ensemble, à discuter de tout, de rien – mais surtout pas des sujets susceptibles de les fâcher. Comme lors de leurs rendez-vous au lac, ils s’échangèrent des marques d’affections en se racontant leurs petites histoires, celles qui n’avaient pas d’intérêt au regard des évènements s’étant déroulés plus tôt dans la journée.
Finalement, le soleil se coucha bien vite. Marc-Antoine eut un pincement au cœur au moment d’enfiler cette armure brisée. Il aurait aimé rester avec elle encore quelques heures mais savait que cette situation ne pouvait durer éternellement. Avant de quitter le domicile des Heartlake, le de l’Épée enfila une cape rouge appartenant à Terry. Grâce à elle, il dissimula sa chevelure dorée et son faciès, en partie. Il échangea un dernier baiser avec l’aventurière et, comme pour la rassurer, se mit à plaisanter :
▬ Ne t’en fais pas, je compte te la rendre bientôt.
« Bientôt », voilà qui était vague. Marc-Antoine hésitait. Il n’était pas sûr de vouloir fixer un rendez-vous, entre-autre car il n’était pas sûr de pouvoir s’y tenir. D’un autre côté, il n’avait pas le choix s’il voulait revoir la jeune femme. Les chances pour qu’il tombe sur elle par hasard étaient minces. Et il se voyait mal revenir à la capitale ou même payer un messager afin de lui faire passer un mot doux. Ce n’était pas prudent, Legion allait le lui faire remarquer mais malgré tout, il lui susurra à l’oreille :
▬ Je serai à Bourre-la-Ville dans huit jours.
Elle comme lui connaissaient cette bourgade. C’est en se rendant à Bourre-la-Ville que Terry et Marc-Antoine avaient chutés du haut d’un pont. Sur ces mots, le de l’Épée quitta la taverne et embrassa sa nouvelle vie de fugitif.
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