Huit jours, c’était particulièrement long. Du moins, ça l’était lorsque l’on passait son temps à réfléchir, à penser, à se poser des questions – qui parfois n’avaient vraiment aucun sens – et surtout, à s’inquiéter. Parce que oui, évidemment, tu ne pouvais pas t’empêcher d’être inquiète, comment aurais-tu pu faire autrement ? Tu avais vu Marc-Antoine quitter la taverne, l’une de tes capes sur le dos, son armure fracassée remise en place, et tu t’étais sentie totalement inutile. Bien sûr, tu avais parfaitement conscience de ce qu’il avait fait, d’ailleurs, les jours suivants, la nouvelle s’était propagée comme une trainée de poudre et il était évidemment difficile d’échapper à ce genre d’histoire au beau milieu d’une taverne. Trois morts en ville ce jour-là, tous liés d’une manière où d’une autre au garçon que tu aimais. Le pire avait sans doute été dans les rumeurs ; inventées, transformées, répétées. Un ramassis d’idiotie que tu avais supporté, les dents serrées, n’osant pas réellement ouvrir la bouche de peur de faire un faux pas. Personne ne savait. Même ton père ignorait ton lien avec le jeune blond, si bien que lui aussi s’est mis à parler, au point de faire naître en toi un sentiment de colère totalement injustifié à son égard. Tu devais tout garder pour toi, tu n’avais pas le choix, il n’y avait vraiment personne a qui tu pouvais confier tes pensées, tes sentiments et tes émotions du moment. C’était comme ça. Mais c’était ton choix.
Après exactement quatre jours à tourner en rond et à ne rien faire d’autre que rester à la taverne – ce qui était peu habituel depuis plusieurs semaines – tu avais finalement décidé de te changer les idées, de passer à autre chose, pour un temps au moins et tu avais donc fait le chemin jusqu’à la guilde. Au final, tu étais restée là-bas un très long moment, discutant avec quelques aventuriers de passage, puis avec cette vieille dame chargée de l’accueil. Il fallait que tu travailles. C’est donc après quelques mots et informations échangées à droite, puis à gauche que tu avais pris cette mission. Une récompense correcte et une affiche qui t’avais donné envie de te plonger à corps perdu dans cette quête. Le commanditaire était visiblement une vieille dame ayant perdu son mari, un aventurier, de nombreuses années auparavant. Parti en mission à la recherche d’une créature censée vivre dans une grotte non loin de la forêt, il n’était visiblement jamais rentré et aujourd’hui, alors que son fils venait d’entrer dans la garde et avait réussi son examen, elle voulait simplement tenter de récupérer l’épée de son défunt mari. Visiblement, elle était bien consciente que peut-être, cette lame était perdue à jamais, mais elle était aussi prête à verser une belle somme à quiconque serait capable de la lui ramener. Au vu du trajet, tu étais partie dés le lendemain matin à l’aube en emmenant tes affaires habituelles, ainsi que l’arc offert par Derek. Azur t’accompagnais. Azur était né peu après le départ de Marc-Antoine, durant la nuit. Tu avais trouvé cet œuf au fond de la grotte, dans les montagnes lorsque tu étais à la recherche de la pierre de cœur. Abandonné là, tu n’avais pas pu résister à l’envie de l’emmener avec toi, tu l’avais enroulé dans un tissu pour le protégé, puis ramené à la maison. Là, tu l’avais installé près du feu, sans grand espoir. Tu ne savais même pas ce qui allait sortir de cet œuf … quelle ne fut donc pas ta surprise en découvrant ce petit dragon au milieu de la pièce. Tu étais la première personne qu’il avait vue, aussi s’était-il attaché à toi bien rapidement ce qui faisais qu’aujourd’hui, tu étais de toute façon obligée de le prendre avec toi.
Tu avais pris le temps sur la route. Tu devais retrouver Marc-Antoine à Bourre-la-Ville et tu étais résolue à t’occuper de cette histoire d’arme enchantée ensuite, lorsque tu aurais été rassurée sur le sort du jeune homme. Exactement huit jours après son départ de la taverne, tu étais donc là, au milieu de ce hameau familier qui ne manquait pas d’éveiller quelques souvenirs pourtant pas si lointains. S’il en avait la possibilité, tu avais dans l’idée de demander au fugitif de t’accompagner pour le travail que tu avais à faire non loin d’ici.
Quitter la capitale n’avait pas été chose aisée. Marc-Antoine ne s’était jamais rendu compte de ce fait mais toutes les sorties de la ville étaient jalousement gardées par des soldats plus ou moins expérimentés. Il fallut bien une heure au de l’Épée pour trouver une faille au système de sécurité. Heureusement pour lui, il y avait cette sortie ouest, gardée par un interne deux à trois fois par semaine. L’homme en question avait cette fâcheuse propension à libérer son poste dès lors qu’un bruit suspect se faisait entendre. Fréquemment, on lui avait répété que son excès de zèle le poussait à commettre des imprudences. C’est cette imprudence qui permit au de l’Épée de quitter la ville sans avoir à verser la moindre goutte de sang. En effet, Marc-Antoine avait soudoyé une passante pour qu’elle hurle à l’aide et profita de cette diversion pour s’en aller.
Une fois dehors, le fratricide marcha, longtemps, il rejoignit le hameau le plus proche et prit une chambre à l’auberge sous un faux nom. Cette situation le dépitait. Lui qui aspirait à la gloire, à ce que son nom sanctifié était devenu un paria. Il ne pouvait même plus se présenter sous sa véritable identité sous peine d’être dénoncé aux autorités. Anxieux et un tantinet paranoïaque, il se retourna à de nombreuses reprises, vérifia que personne ne le suivait, que personne n’épiait ses conversations ; Bref qu’il était tout seul. Et à son grand regret il l’était.
Après avoir passé la nuit dans une auberge miteuse, il s’évertua à retrouver Legion. L’homme était difficile à contacter mais Marc-Antoine n’était pas dupe. Il repéra bien vite un des « clones » et fit le nécessaire pour que ses requêtes et questions soient remontées. Durant les jours qui suivirent, le de l’Épée s’organisa avec son compère. Bien que la mission n’ait pas été un franc succès, Perceval était tout de même décédé. De même, l’ingénieur naïf qui lui servait de grand frère n’était plus de ce monde. Cela faisait deux parasites de moins aux yeux de Marc-Antoine. Il en restait encore quelques-uns à éliminer mais ce n’était pas la priorité du jeunot. Son statut de fugitif le préoccupait bien plus. Pour cause, le fratricide n’avait jamais officiellement été du côté des « méchants » ; des « marginaux ». Bien que son sens moral ait toujours été défaillant, l’ex-membre de la garde avait toujours pu jouir des privilèges liés à son nom et à son rang. Cette situation avait changé et Marc-Antoine devait apprendre à faire avec. Et précisément c’est ce qu’il fit. Il apprit, sur le tas, difficilement mais il apprit.
Les jours passèrent lentement. Dans ces conditions, vingt-quatre heures avaient un goût d’éternité. Et c’est en tout et pour tout huit éternités que Marc-Antoine eut à endurer avant de retrouver la jeune femme qui l’avait aidé dans sa fuite. S’il était persuadé que Terry viendrait, il n’était cependant pas sûr qu’il soit sage pour lui de la retrouver conformément au plan. Peut-être les enquêteurs étaient-ils remontés jusqu’à elle ? Peut-être avait-elle été suivie ? Toutes ces questions traversèrent l’esprit de notre héros qui, pensif de longues minutes, observa la jeune femme de loin. Elle était là, sur la place centrale, à attendre un signe.
D’après les analyses – peu expertes et peu poussées – de Marc-Antoine, l’aventurière était bel et bien seule. Ceci-étant, il quitta sa cachette et l’aborda tout en sobriété :
▬ Ta cape ; Je t’avais dit que je te la rendrai.
Il l’avait en effet dit le soir de son départ et tendit le morceau de tissu à l’aventurière.
▬ Tu vas bien ?
Il imaginait que la situation à la capitale ne devait pas être facile à vivre pour elle. A tous les coups, les gens parlaient de ce qu’il avait fait. Terry étant la fille du tavernier, elle ne pouvait échapper aux ragots. Pour sa part, il n’allait pas si bien que ça mais prétexterait sûrement le contraire si elle lui posait la question.
Tu avais pris place sur le même muret que la dernière fois, pratiquement exactement au même endroit. Tu avais probablement un peu d’avance, pourtant, tu ne pouvais simplement pas t’empêcher de regarder partout autour de toi. Tu n’étais pas surveillée, tu le savais. Et pourtant, une part de toi avait bel et bien conscience de ce que tu venais faire ici. Pour toi, tu venais retrouver une personne que tu aimais. D’un point de vue extérieur, tu venais retrouver un fugitif recherché pour meurtre en cachette. En clair, tu n’étais sereine, et tu ne pouvais du coup pas t’empêcher de laisser les rumeurs que tu avais entendu passer par la taverne t’envahir et même provoquer chez toi un désagréable frisson. Heureusement, cette attente ne dure pas bien longtemps et bientôt, voyant le jeune homme approcher, tu te redresses. La première chose qu’il fait, c’est te rendre la cape qu’il t’avait empruntée pour fuir la Capitale. Tu viens donc reprendre le vêtement, le roulant en boule pour le serrer contre toi un instant tandis que perché sur ton épaule, le petit dragon s’agite comme pour s’installer correctement.
Si tu allais bien ? Tu n’aurais su le dire clairement. Tu n’en savais rien. Si effectivement, tu avais choisi de croire les paroles de Marc-Antoine et de lui faire confiance, la situation restait pour toi anormalement compliquée et presque surréaliste. Au beau milieu de ce village, en le regardant, tu réalisais seulement que tu pouvais désormais faire une croix sur les moments que vous aviez passés ensemble en ville ou au lac, à ces rendez-vous donnés et à tout un tas de choses que tu avais appris à apprécier, et qui étaient passées dans ton quotidien.
Un sourire peu naturel s’était dessiné sur le visage de Terry. Un sourire gêné, un sourire que notre héros interpréta – probablement un tort – comme un sourire pitié. Fier comme un paon, Marc-Antoine éprouvait une vaste palette de sentiments allant de la honte à l’agacement. Il fit néanmoins fi de ce ressenti et répondit, toujours avec sobriété :
▬ Tant mieux. Je vais bien aussi, je te rassure.
C’est surtout lui-même qu’il essayait de rassurer en mentant de la sorte. La vérité c’est qu’en un peu plus d’une semaine, Marc-Antoine ne s’était toujours pas acclimaté à cette nouvelle vie. Il n’était pas sûr d’y arriver un jour. Quoiqu’il en soit, le fratricide suivit Terry et longea les murs, écoutant avec attention ce que l’aventurière avait à raconter. La jeune femme parla de mission, de guilde, le tout sans entrer dans les détails. Tout ceci fit décrocher un sourire au bretteur. Pour cause, ces histoires de quête étaient tellement éloignées de ses préoccupations et de ses priorités actuelles … De plus il ne s’attendait pas à recevoir pareille proposition de la part de la jeune femme. Loin d’être offensé pour autant, il trouva simplement comique qu’elle vienne ici et lui propose de partir en quête comme s’il était un aventurier ou un garde comme les autres. D’un naturel taquin, il ne put s’empêcher de lui faire la réflexion.
▬ C’est curieux comme rendez-vous galant ça. Je ne m’y attendais pas vraiment, je dois l’avouer. J’accepte, évidemment.
« Ce n’est pas comme si j’avais beaucoup des choses à faire de toute façon » avait-il eu envie d’ajouter sur le coup. Il s’abstint néanmoins, jugeant cette remarque désobligeante, inutile et excessivement négative. Elle avait fait l’effort de venir jusqu’ici malgré tout ce qu’elle avait pu entendre à son sujet ces derniers jours, l’aigreur ne lui était donc pas autorisée.
▬ Du coup ; De quoi il en retourne ? Où va-t-on ?
Il imaginait mal sa quête se dérouler au lac ou en forêt. C’eut été trop beau. A tous les coups, ils allaient sillonner les galeries souterraines d’on ne sait trop quelle grotte miteuse dans le but de récupérer du minerai ou un caillou quelconque. Il était néanmoins prêt à s’atteler à la tâche sans rechigner, du moment qu’il restait avec Terry. D’ailleurs, une pensée lui traversa l’esprit. Une pensée qui rapidement fut convertie en mot :
▬ Au fait, merci d’être venue.
Ces remerciements emplis de pudeur sonnaient comme « je t’aime ». A aucun moment il n’avait douté d’elle. Malgré tout, nombreuses sont les femmes qui, à sa place, seraient restées à la capitale et auraient abandonné Marc-Antoine à son sort. C’est à la suite de cette litote qu’il reprit, sur un air bien moins sérieux :
▬ Je te préviens, je prends au moins trente pour cent.
Évidemment. Cela allait sans dire.
Les quelques mots qu’il prononça, sans doute pour te rassurer quant à son sort et sa condition actuelle sonnèrent comme un gros mensonge dans tes oreilles. Tu ne pus retenir une grimace légèrement que tu n’eus cependant aucun mal à dissimuler. Non seulement tu n’étais pas complètement stupide, mais en plus, tu avais toujours été particulièrement empathique et donc très réceptive à ce genre de choses … il mentait, et il mentait bien en plus. Cependant, tu ne lui fis pas la moindre remarque ou le moindre reproche à ce sujet, tu supposais qu’il avait ses raisons et pour toi, il avait fatalement une bonne excuse pour le faire. C’était probablement encore de la naïveté, mais tu préférais garder cette façon de penser. Tu n’avais aucune envie de commencer à être méfiante vis-à-vis à Marc-Antoine, quand bien même, objectivement, tu avais déjà plusieurs de l’être.
Un sourire bien plus franc, plus sincère et bien loin d’être forcé vint se dessiner sur tes lèvres à sa remarque. Tu avais évidemment conscience que ta requête pouvait paraître étrange et à vrai dire, ce n’était pas non plus comme ça que tu aurais imaginé vos retrouvailles ici quelques jours auparavant, néanmoins, tu ressentais l’envie de bouger, de faire quelque chose, de t’occuper l’esprit afin d’éviter de retomber dans tes sombres pensées du moment.
Subitement, tu t’arrêtes de marcher. Tu ressers encore la cape en boule contre toi, les doigts légèrement crispés autour du tissu rouge. Ce petit remerciement te provoque un léger pincement au cœur …
Un léger soupire plus tard, ton poing vient doucement s’écraser contre l’épaule de Marc-Antoine.
Innover, c’était effectivement ce qu’elle avait fait. Marc-Antoine n’était cependant pas de ceux qui estimaient que toute innovation était bonne à prendre. Il se souvenait d’un de ses précepteurs, un certain Orson. Le maître d’arme avait pour habitude de répéter que « innovation avait beau rimer avec amélioration, l’un impliquait rarement l’autre. » Quand bien même ledit chevalier était une enflure de première aux yeux de Marc-Antoine, les deux hommes se rejoignaient sur bien des questions et notamment sur celle-là.
Le travail de Terry consistait à retrouver une lame enchantée ayant appartenue à un aventurier mort en mission. L’homme en question avait eu une femme et cette dernière désirait récupérer le bien de son mari. Si jusque là, la quête était tout ce qu’il y a de plus classique, Marc-Antoine fut surpris d’apprendre que la mort de l’aventurier remontait à une dizaine d’année, si ce n’est plus. A priori, la veuve souhaitait récupérer l’arme de son défunt mari dans le but de l’offrir à sa progéniture. L’intention de cette femme était louable néanmoins le de l’Épée craignait que la dure réalité ne vienne la frapper. Le grand blond n’était pas pessimiste de nature néanmoins il avait du mal à croire que l’épée en question pouvait être retrouvée. Statistiquement parlant, les chances étaient faibles pour ne pas dire nulles. Dix années … Compte-tenu du nombre croissant d’aventuriers et pour peu que la grotte fut visitée une dizaine de fois chaque saison, cela ne présageait rien de bon. Loin de détailler le fond de sa pensée, Marc-Antoine lâcha une platitude :
▬ Dix ans ? C’est long …
Long, oui. C’était le bon terme. Probablement trop long pour pouvoir espérer retrouver l’épée mais qu’importe. Il allait faire le nécessaire pour retrouver cette épée perdue quand bien même l’idée d’explorer une grotte ne l’enchantait guère. Dans le fond, il la suivait dans l’unique but de lui faire plaisir. S’il pouvait compter sur elle, il aspirait aussi à ce que Terry puisse se reposer sur lui par moment.
▬ Vingt ? Et bien … Vous êtes dure en affaire madame.
Comment souvent, sa voix était pleine d’ironie. Il vit Terry sourire et même rire. Cette image la ramena huit jours plus tôt, à la taverne, à ce moment où elle avait fondu en larmes en apprenant ce qu’il avait fait et où il avait tenté de la consoler. Il se mordilla la lèvre inférieure et ôta cette pensée de son esprit. Ses yeux se posèrent ensuite sur le dragon azur que l’aventurière tenait entre ses bras. S’il avait remarqué sa présence tout à l’heure, il avait préféré ne rien dire, ne pas poser de question. Il imaginait qu’elle avait fait l’acquisition de cette créature dans la semaine qui avaient suivie son départ ou. L’espace d’un instant, il se sentit perdu. Il avait quitté la jeune femme un peu plus d’une semaine et la voilà qui revenait un dragon entre les mains.
▬ Oui. Ne t’en fais pas. Je passe d’auberge en auberge mais je m’en sors. C’est une vie comme une autre. Tu sais, il y a plein d’endroits sympathiques où dormir partout où l’on va, des endroits calmes.
Toute sa vie, Marc-Antoine avait été habitué à un certain confort. De même, le silence lié à la solitude le paniquait. Entre la caserne et la maison familiale, le fratricide avait toujours évolué dans des environnements bruyants. « Ces endroits sympathiques et calmes » n’étaient donc pas fait pour lui. Le bougre aimait le faste et le bruit.
Les deux amants quittèrent Bourre-la-Ville, direction les falaises. En tant qu’ancien membre de la garde, Marc-Antoine passait le plus clair de son temps en ville et n’avait eu – contrairement aux aventuriers – qu’à de rares occasions le loisir d’explorer les grottes. Aussi, quand bien même Terry était néophyte, il laissa sa camarade prendre les devants. Bien sûr, il gardait un œil attentif sur ses mouvements et se tenait prêt à dégainer en cas de besoin.
A l’entendre, il n’était pas réellement plus convaincu que toi quant au potentiel succès de ta mission. Dix ans, c’était long en effet. En dix ans, il se passait beaucoup de chose et croire que cette épée était restée là-bas, au fin fond de cette grotte durant une décennie était probablement d’une naïveté affligeante. Elle était probablement déjà aux mains d’un aventurier, voir sur l’étal d’un marchand, ou encore à l’abandon, quelque part, après avoir été une nouvelle fois perdue, égarée. Pourtant, hors de question de laisser tomber de ton côté, étant bien trop honnête, tu voulais en avoir le cœur net, être sûre de toi avant d’annoncer quoi que ce soit à la veuve. Et vu que tu étais effectivement un peu naïve, tu avais toujours le petit espoir, au fond de toi, de réellement mettre la main sur l’arme enchantée. Têtue, tu t’étais mise en tête de mener à bien ta mission et force est de constater que Marc-Antoine, lui, malgré ses préoccupations du moment semblait bien décidé à te suivre malgré tout … L’ambiance entre vous est plus légère qu’il y a quelques jours, le ton plein d’ironie du jeune homme te fais rire, sourire et après la semaine que tu viens de passer, le moins que l’on puisse dire c’est qu’effectivement, ça fait du bien.
Cependant, ça n’empêche pas cette inquiétude de persister en toi, et ça ne l’empêche pas non plus de se manifester à travers tes questions. Encore une fois, tu te demandes si tu peux croire en ces paroles-là. A l’entendre, tout à l’air plutôt simple, trop simple même, si bien qu’il te donne l’impression de tout garder pour lui … sans doute pour te préserver, t’épargner la réalité. Mais as-tu réellement besoin de ça ? Tu ne le penses pas. Peux-tu vraiment lui en vouloir d’agir de la sorte ? Tu ne le pense pas non plus, surtout quand on se rappelle ta réaction devant son aveu il y a huit jours de cela.
La petite ville est rapidement mise derrière vous, la route empruntée t’est familière, du moins, tu as quelques points de repère dans tes souvenirs malgré le fait que tu ne sois passé par ici qu’une seule fois. Tu doutais de te perdre cette fois-ci, pour la simple et bonne raison que tu avais appris – en peu de temps finalement – à te concentrer, et à observer pour te repérer. Tu étais capable de retrouver ces falaises et d’ailleurs, il fallu moins d’une heure pour rejoindre approximativement l’endroit où vous étiez remontés la dernière fois.
Elle n’y croyait pas le moins du monde. Marc-Antoine avait beau essayer de la rassurer, il savait que cela n’était pas suffisant. Ses mensonges étaient convaincants mais pas assez pour dissiper les doutes de l’aventurière. Ce « je vois » fit sourire le de l’Épée. Autrefois, il avait eu un ami adepte de cette expression qu’il jugeait « passe-partout ». En règle générale, il l’utilisait afin de ne rien dire, de ne rien laisser transparaître et aussi – et surtout – dans le but d’éviter un sujet potentiellement fâcheux. Ceci-étant, le fratricide ne poursuivit pas.
Le duo continua son bonhomme de chemin et quitta bientôt Bourre-la-Ville. Une fois ce joli hameau derrière eux, l’aventurière ainsi que l’ex-membre de la garde rejoignirent les falaises. Si la route s’était faite dans un silence plus ou moins religieux – ponctué malgré tout de quelques banalités d’usage –, Terry jugea bon de présenter les lieux à Marc-Antoine. Il se sentit ridicule lorsqu’elle lui expliqua que plus loin se trouvait un chemin permettant de rejoindre les hauteurs.
▬ Ah. Oui. Je vois.
C’était à son tour de claquer ce fameux « je vois ». Le grand blond suivit de près Terry jusqu’à arriver à l’entrée de la grotte. L’endroit était humide et peu éclairé. Afin de pallier au manque de luminosité, l’aventurière sortit de son sac une lampe magique et demanda au grand dadais s’il était prêt.
▬ Ça ne peut pas être pire qu’une tour hantée ou une forêt pleine de brigands. Donc oui, allons-y.
Certes le bougre en avait vu des choses ces derniers mois mais cela ne devait pas être une raison pour lui de de sous-estimer à ce point les potentiels dangers qui sommeillaient dans cette grotte. Marc-Antoine avait bien vite oublié cette histoire de monstre et d’aventurier disparu. Ce n’était pas une balade de santé qu’il réalisait en compagnie de sa bienaimée mais bien une mission. Et cela ; il n’en avait pas encore pris la pleine mesure. Hormis pour fomenter des plans, Marc-Antoine n’était pas précautionneux. Il n’avait ni lampe, ni quoi que ce soit d’utile sur lui. Terry était néophyte mais bien plus concernée et consciencieuse. La jeune femme posait des questions, se préparait en conséquence … Tout le contraire du de l’Épée qui, pour le coup, était venu les mains dans les poches. Il faut dire qu’il n’avait pas eu le temps d’acheter grand-chose depuis sa fuite il y a huit jours. Il avait simplement fait l’acquisition de quelques outils et objets utiles pour la suite de son plan machiavélique. Les lampes, cartes et autres outils d’aventuriers ne faisaient pas parti des items qui intéressaient Marc-Antoine. Il préférait les potions …
Sans plus tarder, le duo pénétra dans la grotte. Plus les deux amants avançaient, moins la lampe s’avérait utile. Petit à petit, les yeux de Marc-Antoine s’étaient habitués à l’obscurité. De plus, si de l’extérieur, la grotte paraissait sombre, il n’en était paradoxalement pas de même à l’intérieur. Quelques ouvertures – plus ou moins naturelles – au plafond permettaient de laisser passer de faibles faisceaux lumineux. Le chemin emprunté par les aventuriers était étroit. Bientôt, ils rencontrèrent une intersection et, sans raison apparente, notre héros prit la main de la jeune femme, celle-là même qui tenait la source de lumière et ordonna :
▬ Éteins ta lampe.
L’ancien garde n’avait rien vu ni entendu d’alarmant mais avait comme un mauvais pressentiment. Il craignait d’attirer les monstres. Ou pire les humains.
Atteindre la grotte avait été particulièrement facile. A ta première mission, tu te souvenais t’être beaucoup appuyée sur Velvet, tout comme tu t’étais appuyée sur Marc-Antoine sur la route pour trouver ce marchand il y avait maintenant plusieurs semaines de cela … A force, tu avais fini par remarquer que lorsque tu faisais ça – à savoir trop compter sur les autres – tu avais tendance à oublier d’être prudente, et à arrêter de faire attention. Pour le coup, même si la présence du jeune homme était un plus, et même un gros avantage pour toi, tu t’appuyais bien moins sur lui qu’auparavant, simplement parce que celle qui avait les clés en main, et qui avait préparé cette quête en amont. Tu connaissais plus ou moins le chemin à suivre et tu avais emporter ce que tu avais jugé nécessairement utile … comme cette lampe magique, par exemple, qui t’avais déjà bien servie auparavant.
De l’extérieur, cette grotte n’avait pas l’air bien différente de celle que tu avais visité précédemment. C’était sombre, et probablement humide. Il allait simplement falloir que, cette fois, tu fasses réellement attention où tu mettais les pieds histoire d’éviter une nouvelle chute quelque part. Il n’y avait pas un bruit, tu avais beau tendre l’oreille, tu n’entendais rien en provenance de l’intérieur et c’est ce qui te décides finalement à pénétrer dans la grotte. Au final, en avançant, tu te rends compte que c’est un peu différent de la dernière fois … l’autre été sombre, vraiment sombre, un noir pratiquement opaque. Celle-ci est plus lumineuse et pour cause, quelques rayons de lumière percent par-ci-par-là à travers la roche entaillée. Tu conserves néanmoins la lampe magique dans la paume de ta main, même si elle ne sert pas à grand-chose. Ce n’est qu’après plusieurs minutes, alors que vous arrivez tous les deux devant une espèce d’intersection. Il y a deux chemins … et donc un choix à faire. Un soupire s’échappe de tes lèvres, pour la simple et bonne raison que tu n’apprécies guère ce genre de petit dilemme. Rien ne peut aider à faire un choix à première vue … C’est alors que tu sens la main du blond se poser sur la tienne. Tu fronces légèrement les sourcils devant sa demande mais étant donné que tu y vois clair, tu ranges la pierre lumineuse sans opposer de résistance.
Tu continues de reculer, tout en tâchant de faire le moins de bruit possible. Peu importe l’origine de ce bruit, tu comptais sur le fait que ta voix n’ait pas été entendue précédemment.
Avec le temps, Marc-Antoine avait appris à maîtriser son pouvoir. Ce talent, qu’il supposait à tort être une variante plus faible du don d’Adeline, lui permettait de réaliser bien des prouesses. A cet instant, il aurait cependant préféré posséder le don d’Alberic. Avoir une chance insolente lui paraissait être un atout de poids. En l’occurrence, cela lui aurait été plus utile que le contrôle des hormones cérébrales. En effet une chance digne des dieux lui aurait permis de passer outre les maladresses de Terry. L’aventurière avait écouté le de l’Épée et éteint sa lampe. Néanmoins, dans la foulée, elle pensa à voix haute et fit de ce fait l’annonce de sa présence à tous ceux qui se trouvaient dans cette grotte. Comme pour répondre à son exclamation, un bruit métallique parcourut les parois de la grotte. Paniquée, la rousse se tut avant de questionner Marc-Antoine. Malheureusement, l’ancien membre de la garde était tout autant dans le flou qu’elle. Il espérait que la cause de ces bruits soit animale, qu’il s’agisse par exemple d’une vilaine farce d’un Koutoulou. Évidemment, il avait beau espérer le meilleur, le fugitif s’attendait au pire. Le pire à cet instant aurait probablement été de rencontrer un Infernal ou d’autres hommes mal intentionnés.
Afin de répondre aux questions de Terry le plus silencieusement possible, Marc-Antoine hocha la tête puis haussa les épaules. De là, il fit signe à la jeune femme d’approcher. Ils s’engouffrèrent dans la voie de droite. Le bretteur tenait fermement son épée entre ses mains dans l’éventualité où la situation dégénérerait. Il espérait ne pas avoir à en faire usage mais n’hésiterait pas le moins du monde à attaquer si cela s’avérait nécessaire. Il avait déjà tué des bêtes et des hommes par le passé et n’éprouverait aucun scrupule à recommencer. Les deux jeunes gens firent une trentaine de pas tout au plus avant d’être arrêtés. Ce chemin de droite bien qu’exigu n’était pas long à proprement parler. Il menait à une pièce plus vaste et plus sombre aussi. Seuls trois faisceaux lumineux parcouraient la pièce. Et ce n’étaient en rien de la lumière naturelle.
▬ …
Sans un bruit mais par un geste explicite, il fit signe à Terry de se baisser. Marc-Antoine se cacha derrière une colonne de roche et vit des hommes arriver. Ils n’étaient que trois mais seul l’un d’eux prit la parole. Sa voix était claire, limpide et elle résonnait à travers la grotte alors que les sources lumineuses se mouvaient à mesure de leurs pas :
▬ A ce rythme-là, on y est encore pour la nuit. Le chef veut qu’on trouve la bête mais de quelle bête il parle … Il n’y a rien ici. Ça se saurait si un monstre de terre vivait là. On nous a raconté des cracks.
« Un monstre de terre ; Il s’agit probablement du monstre ayant terrassé l’aventurier dont on cherche l’épée » songea Marc-Antoine. Le fugitif n’était pas expert en la matière mais ces hommes là n’avaient pas l’air d’aventurier. A en juger par leur faciès et leurs vêtements – et c’est bien connu l’habit fait le moine –, ils devaient être des braconniers. En tout cas, ils étaient à la solde d’un autre homme qui, pour l’heure, brillait par son absence.
Concentré sur les propos des trois hommes - qu'il n'arrivait plus à entendre -, Marc-Antoine en oublia presque Terry. Il espérait que la jeune femme ne soit pas trop paniquée.
C’est comme ça bien trop souvent. Tu penses partir avec des bases solides, tu te dis que tu as tout prévu … et puis en fait, et bien pas du tout. Tu avais l’éventualité d’un échec en tête, oui, évidemment. Tu t’attendais à venir jusqu’ici pour rien, à fouiller cette grotte durant des heures en vain et rentrer bredouille. Tu aurais bougé pour rien. Tu aurais perdu un temps fou. Tu n’aurais pas eu la moindre récompense, ou alors une maigre compensation, mais rien de plus. Des monstres, à la limite. Un sanglier. Ce genre de chose. Rien d’insurmontable. Mais lorsque tu l’entends, ce fameux bruit, tu te dis que là, forcément, vous allez tomber sur un os et clairement, tu te félicites de ne pas être venue ici toute seule. Alors certes, du coup, tu as probablement entraîné Marc-Antoine dans une mission risquée, n’empêche qu’il était quand même plus débrouillard que toi dans bien des domaines.
N’empêche qu’il n’est pas plus avancé que toi. Le bruit, il l’a entendu, mais il est loin de l’avoir identifié, il se contente d’agiter la tête, de hausser les épaules et puis, d’un signe t’entraînes dans la fameuse voie de droite. Qu’on se le dise. Si tu avais été seule, tu ne serais pas allée dans la voie de droite. Ni dans la gauche d’ailleurs. Tu aurais probablement fait demi-tour. Courageuse, oui. Téméraire, non. Toujours est-il que tu suis, silencieusement cette fois. Et que peu à peu, la clarté de la grotte s’efface, tout devient plus sombre avant que ces lumières ne viennent trancher l’obscurité. Ce n’est pas comme tout à l’heure. Ce n’est pas le soleil qui perce quelque part … ces lumières là sont plus comme ta lampe, ta lampe magique, éteinte, dans ta poche. Le geste de ton compagnon te fait comprendre qu’il faut que tu te baisses, et c’est ce que tu fais tout en longeant la paroi pour te cacher derrière un rocher. Tu entends les voix. Tu comprends qu’ils cherchent quelque chose, mais assurément pas la même chose que vous. Il est question d’un monstre, pas d’une épée et tu te souviens du discours de la veuve à propos d’un dangereux monstre que son mari était parti chasser. Une quête pour la gloire qu’elle disait, avant de tenter de rassurer son monde en disant que cette chose n’était probablement plus là après dix longues années. Erreur, visiblement.
Tu n’oses pas faire le moindre mouvement, de peur de provoquer un bruit aussi léger soit-il. Tu savais, comme tu pouvais être maladroite lorsque tu cherchais à agir, même de facile subtile. Il était hors de question que ces hommes vous repèrent … ce n’était pas des aventuriers, tu le saurais, n’est-ce pas ? Généralement, les aventuriers de la Guilde ne se marchaient pas dessus, et tu n’avais pas vu de missions pour un monstre dans les parages sur le panneau. Tu t’en souviendrais. Tu retiens donc simplement ton souffle, ta main serrant la poignée de ton couteau, juste au cas-où. C’est ce moment précis, alors que tu es sous pression, qu’Azur choisi pour glisser le long de ton épaule et sauter au sol. Toujours sans oser le moindre geste, encore moins le moindre mot, tu observes ton petit dragon avancer, trottiner sur le sol et sortir de ta cachette pour s’avancer tout doucement dans la galerie … apeurée à l’idée qu’il lui arrive quelque chose, tu te penches légèrement en avant pour l’observer. C’est un animal, il risque moins que vous deux s’il est repéré, n’empêche que c’est tout de même un Dragon, aussi petit soit-il et que tu crains qu’il soit tué, attrapé par ces brutes. Tu t’avances donc légèrement, tendant la main pour tenter de l’attraper, de le tirer à toi, et tu le touches presque, à quelques millimètres près, tu pourrais l’attraper … sauf qu’il accélère, visiblement intrigué par la lumière, les voix. Alors tu soupires, te réinstallant dos au rocher pour regarder dans la direction de Marc-Antoine en lui faisant des signes censés exprimer ton moment de panique. Il n’était même plus question de faire demi-tour maintenant, il fallait que tu récupères Azur.
Marc-Antoine tourna la tête en direction de Terry et maudit sa naïveté. Pendant un long moment il n’avait pas prêté attention aux faits et gestes de sa camarade. Quelle erreur de la part du de l’Épée qui le regretta aussitôt. Aigri, la seule pensée qui lui vint en tête à ce moment était un « Evidemment … » plein de sarcasme. L’aventurière était dans une curieuse position. Penchée, elle était à la recherche de quelque chose. Et s’il ne comprit pas immédiatement quelle était la raison de sa posture, tout devint plus clair lorsqu’il vit l’animal miniature se balader joyeusement.
Si ça n’avait tenu qu’à lui, Marc-Antoine aurait abandonné la créature mythique à son propre sort. Le grand blond avait le sens des priorités, comme tous les de l’Épée. Et ce même instinct primitif lui indiquait que sa vie avait bien plus de valeur que celle d’une bête bleutée dont il ne connaissait rien, pas même le nom. Se mettre à découvert maintenant était risqué, pour ne pas dire complètement déraisonné. Ils n’avaient ni l’avantage du terrain, ni celui du nombre. Si en plus de cela, ils perdaient leur effet de surprise … Marc-Antoine ne préféra même pas y penser.
Bien que naturellement peu enclin à aider le dragon, notre héros fut bien obligé de le faire. Pour cause, il comprit à ses grands gestes que Terry ne resterait pas immobile et jugea préférable d’intervenir de lui-même avant que les choses ne dégénèrent. Marc-Antoine était sous pression. Il manquait de temps et ne pouvait établir de plan décent vu l’urgence de la situation. Ce n’était qu’une question de secondes avant que les trois individus ne remarquent la présence du dragonnet. Le cadet des de l’Épée, contrairement à ses deux aînés, n’était pas friand des combats à handicap. L’idée d’affronter trois personnes à lui seul ne l’enchantait pas. Aussi, il fit comprendre à Terry qu’il aurait besoin d’elle sur ce coup et signa grossièrement « toi, dans cette direction, moi, dans celle-ci. » Et sur ces gestes de mains, il sortit de sa cachette et prit la direction opposée à celle empruntée par le dragon en espérant que Terry ait le temps de récupérer ledit animal.
A découvert et arme en main, Marc-Antoine aurait aimé attaquer un des trois bandits. La distance entre lui et le groupe d’hommes étant trop grande, il ne put prendre par surprise un des trois individus et, à défaut, préféra faire ce qu’il savait faire de mieux : l’idiot.
▬ Bonjour jeunes gens. Je suis un voyageur égaré et j’aimerais retrouver ma route vers la sortie. Auriez-vous l’amabilité d’aider une pauvre âme en peine.
Son niveau de crédibilité était tel que même un homme sourd, aveugle et muet aurait pu affirmer qu’il mentait. En tout cas les lumières s’étaient toutes dirigées vers lui, de quoi laisser le temps à Terry de récupérer le dragon azur et peut-être même de les attaquer par derrière. A en juger par leur faciès, les trois hommes n’étaient pas disposés à aider Marc-Antoine. Activant son pouvoir, il s’élança donc afin de les faire taire au plus vite. Aux dernières nouvelles, ils avaient un chef et peut-être d’autres alliés dans cette grotte. Le de l’Épée ne voulait pas les laisser prévenir tout ce beau monde sans quoi leur quête allait vite tourner au désastre.
Tu y tenais à ce dragon. Pas que ce soit un attachement si profond que ça, vu qu’il n’était né qu’il y a quelques jours, n’empêche que ce n’était qu’un bébé, tu lui trouvais des excuses, il ne comprenait probablement même pas ce qui se passait réellement. Et puis, c’est toi qui l’avais emmené jusqu’ici, du coup, c’était toi la responsable. Tout ça t’empêchait de ne serait-ce que songer une seconde à laisser le bébé dragon derrière toi. Tu avais probablement bien conscience des risques, pourtant, oui, tu voulais le récupérer et tu ne ménageais clairement pas tes efforts pour le faire comprendre à Marc-Antoine. A son tour, il se met à te faire des signes, bien plus calmes et plus compréhensibles que tes grands gestes. Il va d’un côté, toi de l’autre, c’est plutôt clair et tu te contentes de hocher la tête pour faire comprendre que c’est bon pour toi. Tu le laisses donc s’éloigner, dans un premier temps, tu ne bouges pas, ou très peu, tu l’observes, évidemment inquiète de ce qui pourrait arriver. Tu ne sais pas ce qu’il a prévu de faire et tu es surprise de constater qu’il se contente de rester à découvert, et qu’il va même jusqu’à aborder le groupe d’hommes.
Tu soupires. Toute leur attention est focalisée sur Marc-Antoine alors, discrètement, tu t’avances et aussi vite que possible, tu attrapes Azur. Docile, le dragon se laisse faire, il n’oppose aucune résistance et va même directement retrouver sa place sur ton épaule. Ta petite mission réussie, tu n’es pas soulagée pour autant. A cause de toi, le grand blond est coincé et sans que tu ne t’y attendes vraiment, il finit même par s’élancer droit sur eux. Trois contre un. Tu ne voudrais pas sous-estimer les capacités de Marc-Antoine, n’empêche que pour toi, ça se présente assez mal. L’idéal aurait été de ne pas se faire repérer … à cause de ton familier, vous aviez perdu l’effet de surprise. Ta réaction face à tout c’est plus instinctive et impulsive qu’autre chose. Il n’y a aucune réflexion, ou presque, tu te contentes d’attraper l’arc offert par ton oncle, puis une flèche. Tu n’as pas encore été vue, repérée, alors tu prends tout ton temps pour viser et assurer ton tir. Ils bougent. Le combat est lancé et cibler une cible qui s’agite est loin d’être évident pour toi. Tu tentes d’abord de viser une épaule … mais sans que tu ne comprennes réellement comment, la flèche part et va se loger dans la cuisse du type que tu n’avais pas en ligne de mire. Oui. Il y avait encore du boulot. Cependant, le cri qui résonne dans la grotte est significatif de la douleur provoquée par ton projectile. L’homme recule, cherche autour de lui et ses yeux se posent bientôt sur toi. Tout naturellement, tu viens à la hâte chercher une seconde flèche que tu tires sans viser … raté. Et alors qu’il approche encore, tu en attrapes une troisième qui cette fois, tu ne sais pas quel miracle vient se loger dans sa seconde cuisse. Un petit « désolée » s’échappe de tes lèvres tandis que tu grimaces, l’homme vient de tomber à genoux devant toi et son regard enragé t’effraies. Il va te tuer s’il t’attrape. Alors tu viens finalement attraper une grosse pierre au sol, tu la sers dans ta main et puis tu viens lui en asséner un bon coup au niveau de la tempe pour l’assommer, avant de lâcher cette arme de fortune et de fixer ce type inerte à tes pieds, en oubliant presque la situation de ton compagnon qui lui, en avait encore deux sur les bras. Tu pourrais remercier Derek pour les quelques leçons qu'il t'avais données tiens.
Marc-Antoine avait pris la parole et fait l’idiot un court instant. De là où il se trouvait et de par l’absence de lumière, il avait le plus grand mal à apercevoir les formes de sa camarade. Le jeune homme espérait néanmoins que cette dernière avait eu le temps de récupérer le dragonnet. Sans plus de cérémonie, il se lança dans la bataille. Sa lame embrassa celle de son opposant et une gerbe d’étincelle fut générée par le choc. Alors qu’il était aux prises avec cet ennemi, un second adversaire approcha, désireux d’en découdre lui aussi. Ses mains, rendues incandescentes par son pouvoir, prirent une teinte rougeâtre. Le duel de force entre les deux hommes se poursuivit jusqu’à ce que Marc-Antoine qui y mette fin. Un coup de pied dans l’abdomen permit au de l’Épée de prendre ses distances et d’éviter la frappe du second individu.
Marc-Antoine observait avec attention les moindres faits et gestes des deux hommes. A la manière d’un animal sauvage prêt à bondir sur sa proie, il effectuait quelques pas de côté et, par mimétisme, ses adversaires firent de même. La « danse » des trois guerriers dura quelques secondes tout au plus, chacun essayant de deviner les intentions de l’autre. Le de l’Épée n’avait pas l’avantage du nombre et jugea préférable de ne pas attaquer le premier. Son style académique favorisait la riposte à l’attaque.
Complètement absorbé par le combat, Marc-Antoine avait oublié la présence d’un troisième homme. Vraisemblablement ses alliés aussi l’avaient oublié. En effet, le cri du dernier bandit perturba le guerrier à l’épée. Malgré l’obscurité, Marc-Antoine remarqua ce détail et, en bon opportuniste, en profita. De nouveau, il bondit. Pris par surprise, l’équilibre de son adversaire était instable. L’ancien membre de la garde asséna coups après coups. L’adrénaline lui montait à la tête à mesure qu’il frappait et lui donnait un avantage certain. Dans le but d’assister son collègue dans le mal, l’homme aux mains brûlantes intervint de nouveau. Il accourut en direction du de l’Épée et tenta de l’attaquer par derrière. Marc-Antoine jeta un œil derrière lui et un shoot d’adrénaline fut sécrété au sein de son cortex. A cet instant, tout lui parut plus limpide : les mouvements d’épée de son adversaires, sa façon de se mouvoir aussi, la trajectoire de cet homme aux dextres incandescentes ; tout.
Il transperça la défense de son ennemi, le désarma puis effectua une roulade au dernier moment afin d’éviter la frappe ennemie. Le bras embrasé du bandit vint finir sa course dans le torse de son camarade. Sous le choc, il resta perplexe et n’eut pas le temps de réagir. Marc-Antoine pour sa part lui asséner un coup d’épée et lui transperça le flanc droit. Le sang gicla et l’homme rejoignit son allié au sol.
Après s’être débarrassé des deux nuisibles, Marc-Antoine retrouva Terry. L’aventurière allait bien et avait même su se montrer utile – à sa grande surprise.
▬ Je crois que cette quête sera plus compliquée que prévu. Nous devrions partir d’ici tant qu’il en est encore temps.
Ces trois hommes n’étaient pas seuls. Et les autres gus n’allaient pas tarder à rappliquer, alertés par les cris des différents protagonistes. Marc-Antoine ne pouvait pas combattre et assurer la protection de Terry dans le même temps. De fait, il jugea la fuite préférable.
Le fratricide entreprit de revenir sur ses pas … Les bruits provenant du couloir qu’ils avaient empruntés quelques minutes auparavant l’amenèrent à se raviser bien vite.
▬ Cachons-nous.
A nouveau. En espérant cette fois-ci que le dragon daigne rester auprès de sa maîtresse. Les bandits n'allaient pas tarder à remarquer les corps de leurs compagnons.
Figée, tu en es à te demander s’il est mort. Une flèche dans chaque cuisse et un coup à la tempe suffisent-ils à tuer un être humain ? Telle était ton questionnement du moment. Si Marc-Antoine semblait ne pas éprouver de réelle difficulté à blesser gravement ou à tuer ses adversaires, de ton côté, il en était tout autrement. Tu savais parfaitement que si ces hommes en avaient eu l’occasion, eux n’aurait probablement pas hésité une seconde avant de te tuer ou de faire du mal. Pourtant, c’était comme ça, même en cas de légitime défense, tu rechignais à faire du mal à autrui … ce qui serait surement problématique à un moment où à un autre de ta vie.
Le soulèvement régulier de la poitrine de ton assaillant te fait réagir. Il est encore en vie, probablement assommé et dans les vapes pour un bon moment, du coup, tu relèves la tête pour enfin reposer les yeux sur le blond. Les deux hommes sont à terre, et dieu merci, il fait bien trop noir pour que tu ne remarques distinctement le sang présent autour de leurs deux corps.
Après un nouveau demi-tour rapide, tu observes les alentours à la hâte pour finalement retourner derrière un pan de roche. A genoux, tu viens attraper Azur sur ton épaule pour le serrer dans tes bras, par précaution. Hors de question qu’il fasse des siennes à nouveau, et de ton côté, alors même que tu n’y vois rien, tu n’oses même pas lever la tête, ou te pencher sur le côté pour observer ce qui se passe … Peu importe ce qui peu bien venir de la galerie, tu ne le vois pas, tu ne fais que l’entendre, ou plutôt, tu entends des pas, ou ce qui te semble être des pas réguliers et finalement assez lents sur le sol rocheux de la caverne. Encore une fois, tu oses à peine respirer, et tu te contentes de bouger légèrement pour appuyer ton épaule contre la paroi froide près de toi avant de sortir ton couteau, d’en serrer la poignée de toutes tes forces tout en maintenant l’arme près de toi, juste au cas où. Tu n’avais plus envie de te faire surprendre.
Après avoir vaincu ces trois personnes, Marc-Antoine et Terry prirent la décision de retourner sur leurs pas. Malheureusement les deux aventuriers furent bien vite obligés d’abandonner ce projet. Des renforts arrivaient et empruntaient précisément la direction qu’il leur fallait prendre pour quitter la caverne. Bien décidé à ne pas se faire repérer, le fratricide se cacha du mieux qu’il le pouvait. Il convia Terry à le rejoindre et – cette fois-ci – garda les yeux rivés sur Azur, le petit dragon bleu qui avait fait des siennes.
Cette fois, ce n’étaient pas trois mais une multitude de faisceaux lumineux qui transpercèrent l’obscurité. Les bandits étaient en nombre mais seule une voix résonnait dans la pièce, celle d’un homme en armure sombre que Marc-Antoine entraperçut après avoir laissé sa tête dépasser du rocher un bref instant. L’individu en question était grand, probablement aussi grand que Marc-Antoine. Son teint, presque livide, contrastait avec sa chevelure d’un noir profond. Ses sourcils tombants et ses yeux verts surplombaient un nez aquilin et lui donnaient un regard perçant. Son visage fermé, triangulaire, sa carrure imposante ainsi que la teinte de son équipement inspirèrent la peur à notre héros. Il déglutit difficilement puis posa ses pupilles sur Terry. Par principe, il esquissa un sourire faussement confiant.
La diction du chevalier noir était claire, son ton autoritaire et le silence autour de lui laissait penser qu’il s’agissait du fameux chef mentionné plus tôt par les trois individus. Le lancier – puisqu’il était doté d’une lance – ne tarda pas à parler d’eux en des termes peu élogieux :
▬ Ces trois abrutis sont morts ?
Un individu, visiblement médecin, examina leur corps inerte puis donna son diagnostic d’une voix à peine audible. Irrité, le chef grimaça avant d’ordonner :
▬ Fais ce que tu as à faire. Et vous, trouvez les responsables ! Que quelqu’un monte à la garde à l’entrée de cette grotte ! Personne ne doit pouvoir entrer ni sortir. Je rêve … Il faut tout vous expliquer.
Pour la seconde fois de la journée, Marc-Antoine pensa à Orson. Cet individu avait une voix semblable à celle du précepteur ; lourde, nasillarde et avec une propension à vriller dans les aigus lorsque l'énervement le prenait. Après avoir écarté cette pensée stupide de son esprit, Marc-Antoine tâcha de réfléchir à un moyen de fuir cet endroit. Terry et lui ne pouvaient retourner sur leurs pas sans affronter plusieurs bandits, la manœuvre était trop risquée. De plus, ils ne pouvaient quitter leur cachette sous peine d’être vus. Bien que sombre, la pièce était dorénavant convenablement éclairée. Les sources de lumières étaient nombreuses, de même que les hommes qui s’évertuaient à passer au peigne fin cet endroit dans le but de venger leurs camarades. Marc-Antoine retint son souffle. A plusieurs reprises, les bandits manquèrent de le trouver. Un d’entre eux s’approcha dangereusement du pan rocheux derrière lequel ils avaient trouvés refuge quand un cri de panique parcourut les murs humides de cette grotte. L’homme ayant poussé ce râle d’agonie était loin, très loin d’ici. Et pourtant, ses mots avaient été clairs. Le de l’Épée aurait juré avoir entendu un « Au monstre » des plus explicites. Ces termes n’échappèrent pas aux bandits ici présents qui, comme un seul homme, se dirigèrent vers la pièce d’où provenait ce cri.
▬ Tous avec moi. La bête est à nous !
A eux, oui. Qu’ils la prennent. Marc-Antoine n’en avait cure.
Ce que tu peux la regretter cette fichue quête. Tu te maudis. La pression sur ton estomac par cette peur grandissant te donne la nausée, tu as beau lutter pour garder ta frousse en toi, pour ne pas la montrer, elle transparaît quand même et ça, tu le sais. Ton corps tremble. Tu as probablement blêmi en entendant ces nouvelles voix à travers la galerie et franchement, tu n’arrives pas à empêcher ton esprit de te reprocher tes choix, ou encore d’imaginer tous les pires scénarios possibles. Vous êtes pris au piège, c’est la réalité et si effectivement, tu as réussi à mettre à terre l’un des trois hommes … tu sais que tu ne seras pas capable d’assurer, d’être réellement utile face à plus d’adversaire. L’affrontement devait à tout prix être évité.
Ton regard reste fixe un long moment. Tu écoutes la voix de cet homme sans oser bouger comme le fait Marc-Antoine pour voir à quoi il ressemble. D’ailleurs, lorsque tu reposes les yeux sur ce dernier, il te gratifie d’un étrange sourire, mi inquiet, mi assuré qui ne t’inspire rien de bon, soyons honnête. Forcément, la découverte de ces trois hommes vient de vous mettre dans l’embarras. Il ne faut pas être un expert pour voir que ce n’est pas un monstre qui s’est occupé de ces deux là … il suffit de regarder tes flèches pour le comprendre, par exemple. Ils sont sur les dents maintenant. Et voilà que celui qui semble être le chef ordonne de faire surveiller les entrées, les sorties, dans le but évidemment de vous empêcher tous les deux de quitter cet endroit. « De mieux en mieux … » Songes-tu, alors que tu caresses distraitement le dragonnet pour tenter de te calmer un peu. Comment est-ce que vous alliez vous sortir de ce mauvais pas, maintenant ? Tout ça, c’était ta faute. Uniquement ta faute. A croire que vraiment, tu n’étais finalement pas faite pour être aventurière. Tu aurais probablement piqué une crise sur l’instant, si tu n’étais pas dans l’obligation de garder le silence pour ne pas être trouvée derrière ton rocher. Aucun de vous deux ne peut agir. Vous êtes coincés là où vous êtes … même la pénombre n’est plus là pour couvrir d’éventuels déplacement, puisque désormais, la pièce où vous vous trouvez est pratiquement totalement éclairé. On y voit comme en plein jour. Ou presque. Et puis, même sans voir, tu entends que ça bouge de partout et a un moment, l’un des hommes approchent, encore, et encore, si bien que ta main vient attraper celle de Marc-Antoine. Tu la sers de toutes tes forces, comme si ça pouvait changer quelque chose … et justement, au même moment, un cri retentit, la voix de l’homme de tout à l’heure se fait de nouveau entendre, il évoque une bête avant d’emmener ses troupes à sa suite et de quitter la pièce où vous vous trouvez.
Tu attends quelques, tendant l’oreille. Tu entends des cris lointains, des déplacements, mais rien de proche et finalement, tu oses te pencher pour observer la pièce de nouveau plongée dans l’obscurité. Il n’y a plus personne à l’exception des trois hommes inertes sur le sol dont tu distingues les formes.
La peur poussa Terry à se saisir de la main de Marc-Antoine. Ce dernier resta immobile et sourit par moment à la rousse afin de la rassurer. Les hommes quittèrent bientôt la pièce et laissèrent le de l’Épée ainsi que l’aventurière, seuls, plein de doute. Les questions se bousculaient dans la tête du fratricide. Terry était elle aussi submergée d’interrogations. La demoiselle fit part de deux d’entre elles à son amant qui ne sut quoi lui rétorquer. Avant d’improviser une réponse, Marc-Antoine fit les poches à un des trois bandits allongés à même le sol. Il prit une lampe à un d’entre eux puis haussa les épaules :
▬ Aucune idée.
Il imaginait que la bête recherchée par le groupe était la même que celle traquée par l’aventurier décédé il y a dix ans. Emettre cette hypothèse ne l’avançait cependant pas à grand-chose puisqu’il n’avait aucune information sur la nature de la créature en question. Quant à savoir s’ils pouvaient profiter de l’occasion pour quitter la grotte … Allez savoir. L’ancien apprenti de la garde était mitigé. Nombreux étaient les hommes à avoir suivi le guerrier à l’armure. Son « tous avec moi » était pour le moins explicite. Le chef attendait de ses soldats qu’ils l’appuient du mieux qu’ils le pouvaient. A ce titre, il était possible que même ceux censés garder l’entrée l’avaient accompagné. Sans plus de réflexion, il conclut :
▬ Profitons-en pour décamper.
C’était peut-être leur seule et unique chance de s’enfuir. Marc-Antoine et Terry emboitèrent le pas des bandits une fois parti. Leur avancée était volontairement lente afin de ne pas rattraper les hors-la-loi. Malheureusement pour eux, à en juger par les cris et leur provenance, la bête se trouvait sur le chemin menant à la sortie. Marc-Antoine se sentit ridicule … Il n’avait pas pensé à ce détail et médita un moment. Stressé, il se mordilla la lèvre inférieure.
▬ Reste là. Je te ferai un signe si la voie est libre.
Elle était en sécurité ici et préférait la savoir là qu’avec lui. Plus loin, il doutait de pouvoir la protéger convenablement. S’il n’y avait rien au bout du couloir, il retournerait la chercher ou lui ferait un signal lumineux afin de la faire avancer. Dans le doute, il préférait être seul, pour elle comme pour lui.
Prudemment, il s’avança. Ses yeux n’eurent pas le temps de s’acclimater à l’obscurité qu’il rejoignit la pièce précédemment empruntée, celle-là même où la lumière transperçait le plafond. Au sol, les corps s’empilaient, les lampes jonchaient le parterre fait de pierre et leur faisceaux lumineux rejoignaient les parois humides de cette caverne. Seuls une petite dizaine de bandit était encore débout. Marc-Antoine avait été vu mais il n’était pas la cible de leurs attaques. Le groupe s’attelait à faire tomber une créature aux allures de tigre grisâtre. Ses canines acérées et sa crête attirèrent l’attention du de l’Épée. Face à ce Changelement des cavernes, Marc-Antoine resta bouche-bée. Il fut cependant tiré de sa rêverie par les dires du chevalier au nez aquilin.
▬ Toi ! …
Il y avait dans sa voix un quelque chose de menaçant. Marc-Antoine devina bien vite quelles étaient ses intentions à son égard : Il voulait lui faire la peau et venger ses hommes. Aux prises avec le monstre, le chevalier sombre et ses collègues étaient bien trop occupés. Ils ne pouvaient diriger leur attention sur le de l’Épée quand bien même ce fut leur intention. Le tigre enchaînait attaque sur attaque et Marc-Antoine fut bientôt pris dans la mêlée. In extremis, il bondit afin d’éviter un coup de patte adressé initialement à un bandit. Ce monstre était puissant. Et quand bien même ils avaient eu pendant un long moment l’avantage du nombre, le groupe de bandits eut la plus grande peine à en venir à bout. Des ombres recouvrirent l’homme à l’armure qui se protégea des attaques ennemies. D’un air faussement conciliant, il affirma :
▬ La bête est épuisée. Prête nous main forte et nous pardonnerons tes crimes. Si tu le désires, je te laisserais même rejoindre nos rangs.
Marc-Antoine était incapable de dire s’il mentait ou non. Il tourna machinalement la tête et remarqua que les hommes à terre étaient légion. Il ne restait plus que quatre membres de leur groupe encore en état de combattre. En somme, eux aussi était acculés, d’où la proposition du chef. Le de l’Épée resta néanmoins méfiant. Les promesses et le pardon d’un bandit ne valaient pas grand-chose à ses yeux.
Ce que tu pouvais être défaitiste quand les choses n’étaient pas à ton avantage… Tu craignais le pire, quand bien même l’intervention de ce monstre non identifié semblait vous donner une occasion en or de vous en sortir en un seul morceau, toi, tu continuais de douter, sans un mot, dans un coin de ta tête, songeant que peut-être c’était encore trop facile. Trop facile ! Trop facile ? Vous aviez déjà échappé à la mort une fois avec ces trois guignols. Trois, oui. Seulement trois. Maintenant, à quelques mètres de vous, à peine, ils étaient plus d’une dizaine, voir même le double de cette fameuse dizaine. Tu avais peur d’y aller. Peur d’avancer. Peur de devoir faire face à de nouveaux assaillants, et pourtant, il fallait bien que tu avances, que vous tentiez au moins le coup. Sauf que c’est évidemment peine perdue. Le vacarme de l’affrontement est proche, bien trop proche. Ils sont là, cette créature est là, juste devant vous, au bout de cette galerie. Entre vous deux, et la sortie tant convoitée. Près de toi, tu sens bien que Marc-Antoine est comme … stressé, sous pression. Il l’est autant que tu l’es, probablement, et le connaissant, il est probablement déjà en train de réfléchir à un moyen de vous sortir tous les deux d’ici. C’est finalement après quelques longues secondes qu’il se tourne à nouveau vers toi, pour te demander de ne pas bouger, de rester là où tu es et de guetter un signe de sa part une fois que la voie serait assez libre pour te permettre de sortir de là.
Dans un premier temps, le plan te va parfaitement. Tu te connais, tu sais que tu serais bien inutile autant face à ces hommes que face à ce monstre, d’ailleurs, tu te dis pendant un instant que c’est là la meilleure solution qui soit. Tu pourrais le gêner. Tu pourrais faire pire que mieux et dans votre situation actuelle, ça pourrait devenir vraiment dramatique. Alors tu le laisses s’éloigner, tu l’observes, bien sûr, tu le fixes jusqu’à ce qu’il disparaisse de ton champ de vision et à partir de ce moment, tu te mets à faire les cents pas. La bête continue de rugir. Les hommes continuent de hurler. Ton petit-ami est là-bas. Et toi. Toi. Tu es là, en train d’user tes chaussures sur la roche. Un lourd soupire finit par quitter tes lèvres et tu tournes légèrement la tête vers le petit dragon.
Comme l’affirmait l’homme au nez pointu, la bête était épuisée. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle ne soit totalement à la merci du groupe de bandits. Le Changelement étant dans le mal, il adopta une nouvelle stratégie. Sa façon de se mouvoir, d’attaquer, de se défendre ; bref de combattre avait changé. Acculée et motivée par l’envie d’en finir au plus vite, la bête entra dans une forme de rage primitive.
De l’autre côté, les hommes n’étaient pas au mieux de leur forme non plus. S’ils avaient eu l’avantage du nombre à un moment, il n’en était plus rien dorénavant. Certes ils étaient encore quatre contre un néanmoins, face à une bête de cette envergure, une supériorité numérique de cette nature n’avait pas grande valeur. Au milieu de ces deux camps, il y avait Marc-Antoine. Ce n’était pas le plus grand des combattants mais le chevalier noir comprit bien vite que son aide allait être nécessaire, d’où ses paroles. L’homme au nez aquilin n’avait pas l’air conciliant de nature néanmoins, dos au mur, il avait su mettre de l’eau dans son vin et proposer un arrangement à Marc-Antoine. Entre deux esquives, le grand blond tâchait de réfléchir à ladite proposition.
La fratricide hésitait. Il voulait simplement quitter cet endroit et doutait de pouvoir s’en aller indemne s’il prenait parti. Servir de chair à canon et tenter de porter des coups au Changelement ne faisaient pas parti de ses plans. En outre il doutait de la sincérité du bandit. Dans l’idéal, Marc-Antoine aurait aimé apparaître une fois le monstre décédé et les hommes à bout de souffle. Il aurait ainsi pu tuer les derniers survivants sans grand mal avant de quitter les lieux. Le destin en avait cependant décidé autrement. Il lui fallait faire un choix et vite. Heureusement pour lui, Terry n’était pas là pour le gêner dans sa prise de décision.
▬ …
« Elle est folle … Elle veut notre mort. Elle va nous faire tuer tous les deux » pensa-t’il. L’intervention de Terry était tout sauf judicieuse. Evidemment sa flèche n’occasionna aucun dégât à l’homme à l’armure magique. Soit dit en passant le regard de ce dernier en disait long sur ses intentions du moment. Si jusqu’à présent Marc-Antoine n’avait pas pris de décision, les actes de Terry poussèrent le fugitif à faire un choix. La bête tacla le chef des bandits qui, bien qu’équipée d’une armure magique aux étranges pouvoirs, fut grièvement touché. Ses hommes de main toujours debout profitèrent de l’occasion pour attaquer le tigre par derrière. Tous ensemble, ils se ruèrent sur la bête. Après avoir poussé un râle rauque, le Changelement riposta et envoya valdinguer les sous-fifres. La bête en avait trop fait. Rester sous cette forme un long moment était éprouvant. De plus, elle avait subi durant à de multiples reprises les assauts répétés de dizaines de guerriers. Tout ceci amena le Changelement à reprendre sa forme primitive et à battre retraite. Ce qui était un tigre d’une dizaine de mètres il y a quelques secondes était devenu sous les yeux de Marc-Antoine un simple chat grisâtre. Rapide, le félidé s’enfuit, sous les yeux du de l’Épée qui ne tenta même pas de le rattraper.
▬ Vous deux …
Il l’avait presque oublié celui-là. Le chef des bandits accusait le coup. Bien qu’au sol, sa rage et sa haine étaient bien visibles. Il tâchait de dissimuler ces deux ressentiments mais Marc-Antoine n’était pas dupe. Dans d’autres circonstances, il se serait empressé de tuer Terry et Marc-Antoine.
▬ Terry, quitte la grotte. Je te rejoins.
Le chevalier noir était au sol et Marc-Antoine n’allait pas manquer l’occasion de l’achever. Il ne voulait pas avoir affaire à lui dans un futur proche et préférait éliminer cette menace tant qu’il le pouvait encore. De plus, il possédait quelque chose qu’il voulait, un objet qui avait attisé sa curiosité. Certes l’armure était dans un sale état mais un forgeron digne de ce nom pouvait la réparer. La magie contenue dans cet artefact n’avait pas disparue. Il la sentait de là.