Jelena, Fani Ehnaudi

des doigts délicats glissant sur le clavier blanc et noir d'un piano, laissant derrière eux une trace dans la fine couche de poussière qui recouvrait l'instrument de musique. longtemps il avait été laissé là, objet de décoration plus que de passion. seul savait en jouer sa grand-mère, et elle était décédée voilà plus de dix ans maintenant.
pourtant, jelena avait conservé des souvenirs si lucides de ces moments mélodieux, du bruit ambiant s'effaçant dans son esprit au profit d'une claire et mélancolique mélopée. elle se souvenait des rayons du soleil passant par les fenêtres du salon, laissant apparaître - si l'on y prêtait attention - le ballet des particules qui flottaient tout autour d'elles ; et soudainement la poussière prenait vie et devenait belle, dansante, comme des milliers de participants à une réception où sa merveilleuse grand-mère jouerait une valse incroyable.

il n'y avait qu'elle pour croire en un quelconque destin pour tout à chacun. même pour sa petite-fille.

mais voilà longtemps que la jeune et turbulente jelena, celle qui jouait sous le piano et mordait ses sœurs,  avait laissé place à celle qu'elle est aujourd'hui.

une jolie jeune femme, certes.
de bonne compagnie, certes.

mais désabusée et paresseuse, persuadée de n'être douée en rien d'autre que dans le fait d'être jolie. modèle d'exhibition, plus qu'être humain, elle se souvient de sa mère qui la traîne dans toutes les mondanités avec elle, depuis sa plus tendre enfance. et là où ses deux sœurs aînées ont rapidement eu le droit de décider ce qu'elles voulaient faire de leur journées - de leurs vies,
jelena est restée l'adorable créature de sa mère.

jusqu'à ce qu'elle atteigne ses quinze ans et que la cruauté d'une adolescence compliquée avec son physique fasse apparaître la cruauté sous-jacente du comportement de sa mère. encore aujourd'hui, elle porte en elle la sensation de ce lent abandon. de cette soudaine découverte d'une solitude qui enfanta une douleur lancinante et quotidienne.

les sorties se sont réduites puisque tout à coup, elle n'était plus si intéressante, plus si attrayante.
sa mère s'est désintéressée d'elle comme on le fait avec un vêtement trop porté et qui nous apparaît soudain usé et plus si seyant. l'ironie du sort a voulu que c'est à cette même période que ses deux grandes sœurs quittèrent la maison.
et que la seule personne qui avait toujours était pour elle source de douceur et de réconfort, disparaisse, emportée par la paisible mort.
des pertes consécutives, un défaut d'attention et l'incapacité de vomir tout ce ressentiment, la colère, la tristesse et le reste... tout cela a donné le terreau dans lequel elle a grandit. elle a été idiote plus d'une fois au cours de cette période. elle s'est oublié. elle s'est rebellée. elle a beaucoup pleuré.

puis un jour, elle a réalisé qu'elle n'était plus si triste, plus si enragée, plus si intéressée. elle n'était plus qu'animée par la lassitude, et une douce mélancolie. le monstre des sentiments qui s'agitait auparavant venait d'abdiquer. ne restait que la béance du désintérêt.

et l'ironie vint à nouveau frapper, puisque refleurissait cette beauté innocente dans le corps d'une jeune femme. et à nouveau les regards se tournaient vers elle. à nouveau, on lui offrait un semblant d'intérêt.
la fortune de sa famille, leur lien étroit avec la royauté, tout cela lui offrait une place de choix.
des années de conflits internes pour s'approprier un destin et elle découvrait avec un certain cynisme qu'elle n'avait aucunement besoin de se battre pour quoi que ce soit. c'est alors que commença le cycle de l'imposture.
celui dans lequel elle joue le rôle de la jeune femme de noble lignée modèle. sa mère est à nouveau fière de pouvoir revendiquer son enfant comme telle. ses sœurs ont créés de parfait petits descendants pour perpétuer leur nom. quand à elle, elle s'est engouffrée dans des passions et des lectures trop nombreuses. puis elle en a choisit une, la botanique en l’occurrence, et en a plus ou moins fait son travail. une occupation qui ne manque pas de poésie.

fleuriste à l'esthétique délicate, son statut de cousine de la famille royale lui a permit de travailler régulière au palais, que ce soit dans les jardins ou même pour fleurir les salles de bal. elle y a fait plus ample connaissance de la reine - qui s'est avérée être une des meilleures personnes qu'elle n'ait jamais croisée.

elle rit parfois du brio de son ironique existence. une mascarade si rondement menée qu'elle mériterait probablement de se voir offrir le droit d'y mettre enfin fin.
puis elle se souvient qu'elle ne sait pas faire de réels efforts et continue juste son lent chemin vers le rien.

ignorant avec soin le mince et fugace espoir d'embrasser enfin ce fichu destin.

misc.
— La famille de Jelena fait partie d'une branche cousine de celle de la famille royale.
— ce sont ses grands parents qui ont contribué à rendre la fortune familiale réellement très importante.
— sa grand-mère était une pianiste extrêmement douée et populaire, en grande partie à cause de son don.
— ses parents l'ont eu sur le tard, ses sœurs étaient déjà âgées de 10 et 11 ans.
— son père est mort quand elle était petite, d'une crise cardiaque foudroyante alors qu'il montait à cheval. elle n'a que très peu de souvenirs de lui. sa mère s'est remariée quatre ans plus tard, avec un homme des plus inintéressants. mais fort riche.
— même si ça n’est pas flagrant, jelena a reçu ne très bonne éducation et elle possède toutes sortes de connaissances dans des sujets très variés.
— la botanique restant son sujet de prédilection favori, elle a suivit un apprentissage il a quelques années avec plusieurs professeurs et a fini par obtenir le droit auprès de sa mère d'apprendre le métier de fleuriste - mais pas celui d'herboriste ou de botaniste.
— son pouvoir est quelque chose qu'elle tend à minimiser un maximum au fil des années. les odeurs qu'elle exhale lorsqu'elle éprouve des émotions négatives pouvant devenir vraiment incommodantes.