Aujourd’hui, c’était l’anniversaire de la mort de ta mère.
Aujourd’hui, ça faisait 14 ans que ta mère avait été assassinée…
Son meurtrier court toujours, mais tu sais très bien ce que tu vas faire s’il a le malheur croiser ton chemin. Tu connais son odeur, tu as toujours un morceau de tissu que ta mère lui avait arraché en se débattant. Tu serais incapable d’oublier une odeur que tu étais venu à haïr et à rechercher dès que tu avais le sentiment de l’avoir flairée. Au deuil de ta femme qui t’avait élevé et chéri se joignait celui d’une femme que tu as aimé quand tu habitais de l’autre côté du gouffre. Elle, elle était morte d’une infection généralisée : elle avait été blessée par un monstre qui laissait peu de chances de se rétablir… Même avec les soins d’une chamane avec une grande expérience. Une chose en amena une autre et, plus tu tirais sur fil de tes souvenirs, plus tu peinais à chasser ces visions de ton esprit.
Tu ne te souviens pas du trajet jusqu’à la caserne.
Du moins, pas de façon nette.
C’était comme un délire, une hallucination où tout était plus flou que d’habitude. Tu n’arrivais pas à te concentrer sur quelque chose en particulier et tu étais devenu assez agressif. Afin d’éviter que tu finisses dans la je-ne-sais-plus-combientième bagarre, les autres gardes te emmenèrent hors du commerce afin de t’amener au dortoir. Tu baragouinais et t’agitais, tu avais des fous rires peu rassurants et les mains trop baladeuses. À un moment donné, tu avais refusé de bouger et tu t’étais jeté par terre, alors, tes collègues ont dû te traîner par les pieds.
Tu te souviens vaguement du ciel aux aurores.
Pas des couleurs, tu ne pouvais pas les voir, mais de la luminosité qui commençait à t’enquiquiner. Grognant, tu te laissas redresser et porter comme un sac à patates quand les autres gardes ont commencé à partir pour retourner au travail. Le dernier avait hâte de se débarrasser de toi, parce qu’il voyait le moment où tu allais complètement disjoncter et il ne voulait pas être là – tu alternais des moments d’euphorie et d’autres de tristesse et colère. Heureusement pour lui, tu décuvais à bon rythme grâce à ce surprenant métabolisme que la Nature t’avait offert. Finalement, le garde aperçut quelques camarades d’armes, mais il jeta son dévolu sur la seule femme qui entra dans son champ de vision.
— Hey, Adilys. Vous pouvez le raccompagner dans sa piaule et le surveiller, s’il n’y a pas son coloc ? Si on lui tourne le dos, il est capable de faire une connerie. Il n’est pas méchant, mais, si j’étais toi, je surveillerais ses mains. demanda-t-il et, sans même attendre sa réponse ou donner plus de détails, il te posa et te poussa sur elle avant de prendre la fuite à son tour.
Qu’il parte, donc.
Tu avais quelqu’un de plus intéressant pour te tenir compagnie. De ce fait, tu plissas les yeux, approchant ton visage de celui de ta cadette avant de humer le parfum de ses cheveux – affichant un petit air satisfait : tu aimais bien ce que tu sentais. Tu étais myope, mais tu voyais bien de près et, ceux qui ne le savaient pas, pouvaient trouver ton geste déplacé. Maintenant, tu pouvais tenir debout et marcher, mais l’alcool n’était pas près de quitter entièrement tes veines.
— J’sais pas qui t’es, beauté, mais j’t’aime bien. Tu sens bon, ça m’donne faim. soufflas-tu, affichant un petit sourire béat – même si, à la base, tu tentais de lui faire du charme. C’quoi ton petit nom, hm ?
Cette pauvre malheureuse s’était trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment. Elle ne risquait pas de se débarrasser de toi avant un moment, à moins que ton coloc soit dans la chambre ou qu’elle trouve quelqu’un d’autre à qui te refiler !
- Hein ? Bredouilla-t-elle maladroitement alors qu’on venait de lui lâcher un poids mort sur les bras. Un grand et lourd poids mort d’ailleurs. Elle tituba un peu avant de réussir à le remettre presque droit, le tenant du mieux qu’elle le pouvait tout en posant son regard sur l’autre garde. Ses mains ? Pourquoi surveiller ses mains ? Ses yeux comme des soucoupes laissaient aisément paraître sa surprise et sa perplexité face à tout ça. Son collègue ne lui laissa même pas le temps de répondre qu’il fila, lui laissant son ami dans les bras. Désespérément elle avait tendu la main dans sa direction dans l’espoir de l’attraper avant qu’il ne soit trop loin mais sa tentative se solda par un échec cuisant. Riley resta un moment immobile, l’air stupide. Puis la masse se mit à s’agiter légèrement venant humer ses cheveux avant de se placer si près qu’elle louchait presque.
Des yeux vairons caractéristiques. Un physique terriblement androgyne. Il était impossible pour la garde de se méprendre sur l’identité de la personne qu’elle tenait encore contre elle. Yvlavmir Ersev entraîneur. Ou peut-être entraîneuse. Elle n’avait jamais su le déterminer réellement. Le corps d’Yv portait à croire que c’était une femme et pourtant sa façon d’être pu laisser suppose le contraire. Aussi Riley n’avait jamais vraiment réussi à trancher et surtout, elle ne le connaissait pas et n’était pas du genre à juger sans savoir. Ce moment de réflexion fut rapidement interrompu par les paroles de l’entraîneur. Qui a n’en point douter venant de la déstabiliser au plus haut point. Elle ? Belle ? Donner faim. Décidément rien ne tournait rond aujourd’hui.
- Qu’est-ce que vous voulez dire ? Murmura-t-elle sans attendre vraiment de réponse. Puis elle ajouta : - Riley Adilys. À son tour elle huma le parfum du garde avant de planter son regard dans le sien sans chercher une échappatoire à cette proximité qui ne la gênait en rien. Au fil de ses années passées au bordel, elle avait appris à supporter les distances et toucher imposés par autrui et a s’en accommoder. - L’alcool. Lâcha-t-elle finalement plus pour elle-même que pour le buveur en question. Sans lui demander son avis elle fit passer son bras par-dessus sa nuque et tenta tant bien que mal d’aider le brun à marcher. Il n’était pas prévu dans son programme du jour mais aurait-elle vraiment pu le laisser là dans un état aussi piteux ? Probablement pas. De plus, si les recrues et autres soldats le voyaient dans cet état, elle était convaincue que des dizaines de rumeurs se mettraient à pleuvoir, toutes plus dérangeantes les unes que les autres. Et Riley savait à quel point cela pouvait blesser.
- Vous pouvez marcher ? Le repoussant bien sur le côté pour qu’il prenne appuie sur elle, elle glissa sa main libre le long de sa hanche afin d’être sûre qu’il ne perde pas l’équilibre. Principalement parce que s’il chutait, elle était sûre qu’elle se vautrerait lamentablement en même temps que lui. - Où est votre chambre… ? Elle tourna à nouveau son visage vers lui dans l’espoir d’une réponse cohérente. Intérieurement, elle se mit à prier Lucy pour ne pas tomber sur d’autres gardes ou jeunes recrues. Les voir bras dessus, bras dessous pouvait attiser les langues de vipère bien plus que la soirée de beuverie qu’avait pu passer Yvlavmir.