Peu à peu, Zéphyr sentait ses muscles se détendre. Il retint un soupir de soulagement, les yeux clos et l'oreille attentive. Il était dans sa petite bulle, dans son petit monde à lui - personne n'aurait osé le déranger et, de toute façon, personne n'aurait osé déranger l'atmosphère paisible de la représentation qui se donnait alors. En effet, l'ailé assistait avec grand plaisir à une prestation musicale, et pas n'importe laquelle : un concert de l'héritière Horizon elle-même ! Si ses parents s'étaient depuis longtemps forgés un nom dans le milieu, elle les avait vite rattrapés en haut de l'affiche, s'attirant ainsi une petite popularité qui avait su capter l'attention du fils Winterhound.
Si sensible depuis sa plus tendre enfance, Zéphyr n'avait jamais pu rester indifférent aux arts - et même s'il s'était plutôt tourné vers les arts littéraires ou botaniques, la musique l'attirait de plus en plus au fil des années. Sans doute y était-il plus réceptif qu'autrefois, maintenant que sa vue avait tant baissé. Un doux sourire apparut sur ses lèvres alors qu'il écoutait, paisible et reposé. Il avait grand besoin d'une pause, et il n'avait pas pu résister en apprenant qu'Ava allait jouer de son violon ce soir.
Peu à peu, le spectacle touchait à sa fin, arrachant ainsi Zéphyr de sa paix nouvellement acquise. Mais, trop obstiné pour l'abandonner, il avait déjà tout prévu : il n'était pas n'importe qui, et s'il pouvait faire jouer de ses relations pour s'octroyer quelques privilèges, il n'allait pas s'en priver. Certes, d'aucuns blâmeraient ses actions mais, au fond, il ne faisait de mal à personne ! Résolu, il quitta sa place juste avant le morceau final et alla se poster dans les coulisses - un endroit habituellement interdit au public mais, pour lui, on pouvait bien faire une exception.
En effet, le bougre avait réussi à convaincre qui de droit de lui accorder une entrevue privée et exclusive avec la mélomane elle-même. Presque fébrile, il attendait impatiemment la fin des dernières notes de musique, les ailes fermement plaquées contre son dos dans l'expression de sa nervosité. Elles tressaillaient parfois, comme si elles voulaient révéler son trouble intérieur - alors que son visage, lui, avait réussi à conserver son expression sereine habituelle.
On se ressemble presque...
Ce soir, Ava doit jouer ses plus morceaux lors d’un concert qui s’annonce plein à craquer. De nature anxieuse, elle avait toujours le traque avant de monter sur scène. Assise dans sa loge, face au miroir, elle inspira profondément. Puis elle fini de se préparer, soignant les moindres détails de son apparence. Ses cheveux détachés, bien peignés, sa robe moulante scintillante de mille feux, ses longs gants blancs immaculés… Tout était parfait. Quelqu’un frappa à la porte et entra.
- Mlle Horizon, c’est à vous.
Ava adressa un sourire à son assistante en acquiesçant de la tête, saisie son violon et se dirigea vers la scène. Le brouhaha ambiant confirmait bien que la salle était complète, comme à son habitude.
Les lumières s’éclipsèrent alors pour venir mettre en évidence la scène. Un tonnerre d’applaudissement retentit et Ava se présenta au milieu du décor. Elle salua le publique, puis se positionna, violon en main. La virtuose commença à jouer sous les milliers de regards détaillants chacun de ses faits et gestes. Son esprit s’envolait avec le son qui s’échappait de son instrument. Pour elle, ces instants étaient synonyme d’échappatoire. Comme si elle était une autre personne, dans un autre univers.
Son spectacle se déroula sans accrocs, le publique reparti conquis. Rien ne pouvait rendre Ava plus heureuse. Elle salua la foule une dernière fois, dans un sourire chaleureux, puis quitta la scène pour retrouver sa loge, satisfaite.
- Mlle Horizon, pardon, quelqu’un souhaite absolument vous rencontrer en personne.
Son assistante désigna de la main un jeune homme qui laissa une lueur de surprise dans le regard d’Ava. Il fit tout de suite penser à un être céleste, de par son allure élégante et angélique. De plus, il avait une prestance assez fascinante. Deux grandes ailes cristallines ornaient son dos, Ava n’en avait jamais vu de si somptueuses. Mais que pouvait-il bien lui vouloir ?
La jeune femme reprit ses esprits lorsqu’elle plongea son regard dans celui du jeune homme. Elle le salua en se penchant avec élégance en avant, le violon plaqué contre sa poitrine. Puis elle lui adressa un sourire amical avant de se tourner vers son assistante. Celle-ci lui prit son violon et en échange lui donna un cahier et un stylo. Ava y rédigea quelque chose, puis elle donna le papier à son assistante.
- Mr, Mlle Horizon vous invite dans sa loge.
Ava observa le garçon les yeux pétillants, ce n’était pas tous les jours qu’elle recevait quelqu’un rien que pour elle.
Enfin, elle s'approchait et, malgré sa vue défaillante, Zéphyr ne pouvait s'y méprendre - Ava était entourée de l'aura scintillante propre aux artistes au sommet de leur talent (ou peut-être était-ce l'effet des lumières sur sa robe blanche qui semblait alors briller de mille feux mais, encore une fois, difficile de reconnaître distinctement les choses dans l'état de notre ami ailé). Il sentit son sourire s'élargir plus qu'il ne l'aurait voulu et il se redressa inconsciemment un peu plus. Ses ailes, elles, commençaient doucement à s'entrouvrir, prenant ainsi plus de place dans l'espace qui l'entourait - pour paraître plus imposant ? Moins intimidé ? Pour distraire le regard afin qu'on ne se concentre pas sur son trouble apparent ?
Il la vit s'incliner vers lui et, versé dans l'art des bonnes manières, il pencha à son tour la tête vers elle dans un salut respectueux.
— Votre prestation était ravissante, crut-il bon de commenter en guise de bonsoir. Elle lui souriait, mais il n'avait pas le luxe de le voir - la journée avait été longue et ses yeux trop fatigués par les lumières du conservatoire pour réussir à se concentrer de manière efficace. Même les traits d'Ava ne lui étaient pas nets.
Peut-être la situation aurait-elle été meilleure s'ils s'étaient trouvés dans un endroit aux lumières moins agressives et dans le calme... Et, comme en réponse à ses vœux secrets, Zéphyr fut surpris d'apprendre qu'Ava l'invitait dans ses quartiers. Il n'en demandait pas tant ! Mais, maintenant qu'on lui offrait cette opportunité, il n'était pas prêt de la laisser filer ! Il laissa donc son visage s'éclairer de son plus beau sourire avant de répondre avec un entrain non feint :
— Ce serait un honneur, dame Horizon ! Peut-être était-elle trop jeune pour se faire appeler dame, mais Zéphyr l'estimait trop pour lui donner un titre moins élégant. Malgré sa jeunesse, elle n'en restait pas moins une lady, et de noble lignée.
Il gardait les yeux respectueusement rivés vers le sol - non dans une expression de honte comme on pouvait s'y attendre, mais dans l'expression paisible de celui qui écoute. Il aurait pu fixer le regard sur Ava afin de mieux la voir, mais il savait qu'à cette heure tardive de la journée, il était trop fatigué pour exercer sa vision - il ne saurait que fixer son interlocutrice et, sans doute, la gêner au plus haut point. Ainsi, il avait décidé de ne même pas essayer, comptant juste sur le flou artistique qui envahissait sa vision périphérique pour se guider vaguement. Il était prêt à la suivre vers sa loge, guettant déjà les piliers et autres obstacles qui risquaient de se mettre en travers de sa route - progresser en terrain inconnu n'était jamais une promenade de santé pour lui.
— Je me nomme Zéphyr Winterhound, se présenta-t-il avec humilité. Sa famille, bien que noble, n'était pas forcément connue de tous - en réalité, seuls les milieux militaire et politique étaient susceptibles de le reconnaître. Pour le reste, il n'était sans doute qu'un riche quidam de plus. J'admire beaucoup votre travail, continua-t-il, une main sur la poitrine, en se penchant légèrement en avant pour mettre l'emphase sur sa sincérité. Il était réellement ravi d'être là, et de pouvoir enfin adresser la parole à l'artiste dont la musique réconfortait tant son cœur.
On se ressemble presque...
Voyant que la créature céleste était enchantée d’accéder à sa loge, Ava acquiesça avec satisfaction tout en se dirigeant vers celle-ci. L'être se présenta alors tout en la suivant. Un certain Zéphyr Winterhound. Ava jeta un œil dans sa direction et remarqua qu’il fixait le sol pendant qu’il la suivait. Il la complimenta avec un tel égard sur ses talents d’artiste, que la jeune femme rougit en portant la main à sa bouche, arborant un sourire embarrassé. Cependant il ne relevait toujours pas ses beaux yeux limpides. Peut-être était-il gêné ? Il n’en avait pourtant pas l’air.
Elle ouvrit la porte de sa loge et s’immisça dans la pièce invitant d’un signe de la main Zéphyr à entrer. Soudain, Ava réalisa une chose très importante… Savait-il qu’elle était dénuée de parole ? Elle sentit sa gorge se serrer et les traits de son visage se crisper. Alors, c’était surement pour ça qu’il voulait la voir. Il ne devait pas savoir, ce qu’elle est vraiment…
La violoniste l’installa fébrilement sur la méridienne qui se trouvait au fond de la pièce puis alla chercher une carafe en cristal et deux verres. Elle contenait un alcool fort, mais il lui fallait bien ça pour se détendre. Elle alluma une bougie au passage qu’elle plaça au centre de la table basse. La pièce n’était pas très éclairée, seul un lampadaire trônait de l’autre côté. Cependant cela ne dérangeait pas Ava, une ambiance tamisée favorisait toujours l’intimité.
La demoiselle servit un verre à son invité et lui déposa devant lui. Elle en fit de même pour soi avant de s’installer sur l’un des deux fauteuils placés en face de la méridienne. Elle observa un instant le liquide que contenait son verre, avant d'en avaler une gorgé. Ses yeux turquoise ne purent s’empêcher d’essayer de croiser ceux du jeune homme.
Était-il différent des autres personnes qu’elle avait rencontré jusqu’à aujourd’hui ?
Ava prit le cahier et le stylo qui étaient posés sur le coin de la table, gribouillant quelques mots dessus. Elle le posa ensuite délicatement devant Zéphyr.
« Enchantée de vous connaitre Zéphyr. »
Il réussit à la suivre docilement, sans heurter quoi que ce soit. Heureusement, les couloirs du conservatoire n'étaient guère très meublés et, juste après la représentation, ils étaient encore vides de monde. Ainsi, Zéphyr ne fut pas indisposé par son handicap et put rejoindre la loge d'Ava sans encombre, et sans se trahir. Une fois arrivés, elle le conduisit vers un charmant salon meublé, où il s'installa avec aisance. Décidément, dame Horizon ne faisait pas partie des nobles les plus exécrables : il fut surpris de constater qu'elle entreprit de le servir elle-même, sans faire appel à des domestiques. Était-ce la preuve de sa simplicité, de son humilité malgré tout son talent et ses richesses ? Ou bien savait-elle qui il était, et espérait-elle ainsi s'accorder les faveurs d'un conseiller royal ?
C'était bien malgré lui que Zéphyr se méfiait ainsi - mais il n'en pouvait rien. Avec le temps, il avait appris que tout le monde ne lui voulait pas que du bien, et qu'on était prompt à vouloir l'influencer. Il avait beau n'être doté d'aucun réel pouvoir au sein de la cour, on ne rechignait jamais à l'avoir de son côté... Mais non, Ava n'était sûrement pas de ce genre-là. Et même si elle l'était, il le découvrirait bien assez tôt - pour l'instant, il voulait juste lui accorder une chance.
Il se saisit du verre offert avec gratitude, et avisa le liquide ambré avec un sourire en coin. L'odeur sucrée et forte qui s'en dégageait confirma ses suppositions : il s'agissait bien là d'alcool, et pas de la piquette ! Il prit soin de noter mentalement qu'Ava devait être une jeune femme raffinée (il avait la fâcheuse habitude, vous l'aurez compris, d'analyser constamment ses pairs) et prit une subtile gorgée - à peine de quoi se tremper les lèvres, en vérité. Il n'était pas très bon avec l'alcool. Oh, il ne trouvait pas le goût désagréable, loin de là ! Mais sa faible constitution ne l'aidait pas à bien tenir la liqueur, et il savait qu'il allait devoir boire très lentement pour ne pas finir sous la table.
La demoiselle se saisit alors d'un carnet, qu'elle finit par poser devant lui après y avoir écrit quelque chose. Il retint ses gestes délicats et silencieux, et se dit qu'elle devait avoir été éduquée de la meilleure façon. Il posa alors son verre pour prendre doucement le carnet à son tour et le rapprocher de son visage - l'ambiance tamisée du lieu, bien que très reposante et agréable pour ses yeux, ne l'aidait pas à y voir très clair. Il dut sans doute rapprocher le carnet bien plus qu'une personne normale en aurait eu besoin... Mais quand il réussit enfin à déchiffrer le message, il ne put s'empêcher de rire. Était-ce contre la bienséance ? Était-ce impoli ? Sans doute, mais il espérait de tout cœur que le son de son rire délicat paraisse assez raffiné pour se faire pardonner cet affront - et il reposa le cahier sur la table basse, les paupières se plissant dans une expression rieuse.
— Pardonnez mon impolitesse, je... Il prit une grande inspiration, histoire de se calmer. C'est de moi que je ris. A la vue du carnet, du message et du silence apparent d'Ava, son cerveau n'avait pas mis longtemps à faire le calcul - il était vrai qu'il avait déjà entendu des rumeurs à ce sujet, mais... Elles ne l'avaient tout simplement pas marqué. En effet, Ava se caractérisait dans son esprit par son talent, et non par son silence. Il se trouvait bien idiot d'avoir oublié ce léger détail, et c'était réellement de lui-même qu'il se moquait.
— Voyez-vous, je suis moi-même... commença-t-il avec joie, avant de laisser sa phrase en suspens tandis que son sourire s'effaçait peu à peu. Il ne réussit pas à le dire. Il ne savait même pas ce qu'il avait compté dire en commençant son explication. Alors, il referma la bouche, et un air de tristesse passa sur son visage. Il pinça les lèvres, incertain, avant de poser enfin les yeux sur le visage de la musicienne. Disons qu'il faudra écrire grand, choisit-il finalement. Ses yeux n'arrivaient pas vraiment à se fixer sur un point précis, donnant l'impression qu'il regardait dans le vague - et leur voile blanchâtre était sans doute un indice suffisant sur sa condition.
Cependant, Zéphyr ne voulait pas se laisser abattre, et risquer de gâcher une si belle soirée par sa maladresse. Il se força donc à sourire à nouveau, avant d'ajouter d'un ton décidé : Le silence ne me dérange pas. Il ne doit pas être un compagnon facile dans la vie de tous les jours, mais... Vous compensez plutôt bien. Il faisait évidemment référence à la musique qu'elle jouait - sans doute était-ce sa façon de s'exprimer, comme l'art l'était pour bien des personnes... Dans un certain sens, il pouvait compatir.
On se ressemble presque...
Ava fut très attentive à la réaction de Zéphyr. Il tenait le papier étrangement près de son visage. La jeune femme en vint à se demander si elle avait mal écrit, elle qui était pourtant douer dans le domaine des arts quel qu’il soit. Sa réaction ne se fit pas attendre puisqu’il se mit à rire. Était-ce nerveux ? Ava partagea son sourire, essayant de le rassurer. Il s’excusa d’ailleurs, de son attitude qui aurait pu la blesser, mais Ava fit un signe de la main signifiant que tout allait bien.
Elle reprit une gorgé d’alcool ; quand son invité lui avoua quelque chose de tout à fait déroutant, mais qui donna un sens à tous ces petits détails qu’elle avait pu remarquer au cours de la soirée. Il était en fait malvoyant... Son visage avait complètement changé d’expression. Ava en eu un pincement au cœur de s’être montrée si naïve. Elle avait eu tant d’indice, mais n’avais rien vu…
Soudain un nouveau sourire, bien qu’il soit surement artificiel, réapparu sur le visage du jeune homme. Sans doute voulait-il faire bonne figure et éviter de plomber l’ambiance. Mais il ne devait pas s’en vouloir, ce n’était pas de sa faute. Il réconforta la jeune femme sur le fait qu’elle soit muette, complimentant même son talent de virtuose. Ava, déposa son verre sur la table et reprit le carnet.
Elle gribouilla quelques minutes, concentrée sur ce qu’elle faisait, puis le tendit à Zéphyr accompagné d’un large sourire.
« Vous ressemblez à un bel oiseau. »
Elle avait fait exprès d’écrire plus gros et juste en dessous, la jeune femme avait dessiné un oiseau aux ailes majestueuses. Elle fini son verre avant de se lever et d’aller chercher son violon trônant sur son support. Ava jeta un œil espiègle à Zéphyr, puis positionna son instrument entre l’épaule et le menton. Une douce mélodie s’échappa alors de son violon. Ava se tenait bien droite, les yeux clos, espérant de tout cœur que cette mélodie improvisée ravirait le jeune homme. Une façon pour elle de le remercier de lui avoir tenu compagnie, ne serait-ce qu’une soirée...
Elle prit une nouvelle fois le carnet, et Zéphyr patienta calmement. Il ne se trouvait nullement indisposé par le silence, qu'il affectionnait bien plus que le bruit et l'agitation dont certains avaient besoin. L'atmosphère lui semblait douce et reposante, un vrai petit havre de paix pour bien terminer la journée. Quand le carnet lui fut rendu, il fut touché d'y lire un compliment tout à fait charmant, agrémenté d'un dessin qui le fit sourire. Indéniablement, ses plumes avaient tout de la blanche colombe, bien que le ciel lui restât aussi inaccessible qu'à n'importe quel humain.
— Merci beaucoup. Je vois que vous auriez aussi pu faire carrière dans le dessin ! affirma-t-il avec un léger rire. Vous êtes réellement bénie des Muses... S'agissait-il d'un don inné, ou d'une éducation rigoureuse ? Le talent d'Ava existait-il réellement, ou était-il plutôt le fruit de longues heures d'entraînement acharné ? Il ne savait que trop bien le prix du talent, et caressa le croquis d'oiseau du bout des doigts.
La musicienne se leva alors, pour aller s'emparer de son violon et commencer à en jouer. Zéphyr en fut d'abord surpris, puis il se détendit peu à peu au rythme de la douce mélodie. Plus qu'une entrevue en privé, il avait même droit à une prestation personnelle... Sans doute commençait-il à trop profiter de ses privilèges, et il en ressentit une pointe de culpabilité. Mais une pointe seulement. Il n'osa pas interrompre la musique - à vrai dire, il respirait à peine. Et, quand ce fut terminé, il eut l'impression de revenir à la réalité, comme s'il l'avait quittée... Il sortait d'un rêve, et un doux sourire vint étirer ses lèvres alors qu'il reprenait conscience.
— Vous me gâtez, dame Horizon... admit-il en un murmure. Je suis votre admirateur depuis longtemps déjà, et vous ne devriez pas m'accorder tant d'égards, car je risquerais d'en profiter. Une étincelle de malice brillait au fond de son regard trouble. Ava semblait aussi délicate et raffinée que son rang le suggérait - était-ce là la façade qu'arboraient souvent les nobles, ou une réelle innocence ? Vous devez être épuisée par votre représentation de ce soir. Je vous en prie, venez vous asseoir près de moi. Sans doute aurait-il dû en profiter pour s'excuser, la laisser se reposer et arrêter de lui voler de son temps, mais Zéphyr ne pouvait s'empêcher de vouloir rester. Était-ce du narcissisme qui pointait là ?
Quoi qu'il en soit, il n'était pas prêt de partir, à moins qu'on le lui demande de manière explicite. Il était intrigué par Ava et voulait en savoir plus sur elle. Sans se l'admettre, il lui paraissait qu'ils n'étaient pas si différents l'un de l'autre... Et il voulait savoir quels stratagèmes elle avait dû inventer pour se faire comprendre d'autrui. Lui-même avait dû se montrer ingénieux pour ne pas se faire renvoyer du palais - alors elle, comment faisait-elle dans sa vie de tous les jours ? Reposait-elle tous ses atouts sur son précieux carnet, ou avait-elle d'autres façons de communiquer ?