Le sommeil, tu avais eu du mal à le trouver, si d’ordinaire tu sombrais assez rapidement dans les bras de Morphée, ces derniers temps, c’était compliqué et ce soir, ça avait été quasiment impossible. Tu n’avais pas arrêté de t’agiter, jusqu’à finalement te lever avant l’aube … Plus que tout le reste, c’était la discussion de la veille qui tournait encore et encore à l’intérieur de ta tête. « Apprends-moi. » Oui … mais t’apprendre quoi, au juste, Terry ? Apprendre à tuer ? A ne plus rien ressentir ? Ce n’est pas ce que tu voulais. Tu n’aspirais pas à devenir une meurtrière, et pourtant, pourtant oui tu avais songé à un moment aux possibilités qui s’offriraient à toi si tu venais un jour à savoir faire ça. Tu serais probablement libérée d’un poids immense. Tu ferais des progrès. Tes craintes en moins, tout serait surement bien plus simple.
Assise en bas, dans la grande salle de l’auberge encore vide de si bonne heure, tu pousses un lourd soupire tout grignotant distraitement ta tartine. Le sommeil te fuyait. La faim aussi. La journée commençait mal et pourtant, tu étais décidée à retourner dans cette grotte. Pas tout de suite, ce n’était pas pressant après tout, il ne s’agirait que d’un simple aller-retour, une vérification, histoire de ne pas passer à côté d’une prime aussi bêtement. Avalant ton jus de fruit rapidement, tu finis par repousser le reste, et puis tu te lèves, offrant un sourire timide à la femme de l’aubergiste occupée à faire les poussières. De ton côté, tu reprends l’escalier, tu retournes dans la chambre que tu avais quittée il y a déjà une bonne demi-heure. La pièce est toujours plongée dans la pénombre, simplement parce que tu n’as encore touché aux rideaux histoire de laisser Marc-Antoine dormir. Un miracle que tu ais réussi à faire l’aller-retour jusqu’au rez-de-chaussée sans qu’il n’ouvre au moins un œil. Tu supposais que la journée d’hier l’avait particulièrement fatigué et qu’il avait besoin de sommeil. En plus, il était tôt. Vraiment tôt. Tout doucement, sans faire le moindre bruit, ou presque, tu reviens t’asseoir sur le lit et tu te penches légèrement sur le jeune homme pour l’observer. Du doigt, tu viens dégager une mèche blonde de ses yeux avant de poser la tête sur le matelas, non loin de la sienne. Un léger sourire passe sur tes lèvres … c’était bien la première fois que tu pouvais l’observer de cette façon, endormi, finalement si calme, paisible. Rien à voir au final avec ce qu’il était au quotidien, même si après un peu plus d’un mois, tu avais appris à quel point tu pouvais le trouver adorable parfois. C’est peut-être bien ce qui t’avais fait fondre, céder, tomber en amoureuse, du moins, ça y contribuait.
Tu laisses le silence planer durant de longues minutes, et puis, tu approches un peu plus pour venir déposer un baiser sur son front, puis un autre sur sa joue, et le dernier sur ses lèvres … en somme, tu essaies de le réveiller, à ta manière, sans le brusquer.
Peu importe la distance à parcourir, peu importe d’où l’on vient, il est toujours possible de progresser et d’atteindre ses objectifs.
Selon Marc-Antoine savoir se battre était à la portée de tout le monde. Si lui avait appris, Terry le pouvait aussi. Par ailleurs le pouvoir de la jeune femme n’était pas si faible qu’il n’y paraissait. Être en mesure de commander aux nuages et de faire tomber la pluie pouvait présenter un intérêt dans certains cas de figure. Présentement, le de l’Épée ne voyait pas dans quelles circonstances ce talent était utile en combat mais il imaginait que, en travaillant son don, il était possible pour elle d’en tirer quelque chose. Et quand bien même ce n’était pas le cas, elle était dotée de deux bras, de deux jambes et pouvait à ce titre apprendre à manier un arc, une épée ou un quelconque item enchanté. Bref, Marc-Antoine médita longuement sur la question durant la route. Route qui fut ponctuée de quelques mots, échangés par moment entre les deux tourtereaux.
Le chemin du retour s’était déroulé – tout comme celui de l’aller – sans encombre. Rien de spécial n’avait été à signaler. Afin d’éviter tout désagrément pour lui comme pour son amie, Marc-Antoine avait pris soin de dissimuler son visage. Le fratricide portait une cape qu’il ôta seulement une fois arrivé à l’auberge. La journée s’était écoulée à une vitesse folle et, bien vite, les deux amants partirent se coucher. Ces derniers temps, le sommeil de Marc-Antoine avait été agité. Rien d’illogique en un sens. Il est en effet facile de comprendre qu’un homme recherché ait quelques difficultés à trouver le repos. Ainsi, le chevalier avait accumulé des heures et des heures de sommeil en retard, heures qu’il rattrapa partiellement ce soir-là. Si Terry avait eu du mal à trouver les bras de Morphée, Marc-Antoine pour sa part s’était endormi comme un bébé. Passées six à sept heures dans le monde des rêves, une sensation curieuse mais loin d’être désagréable le parcourut. Les doigts fins de Terry jouaient avec ses cheveux. Puis la rousse couvrit notre héros de baisers, ceux-là ne tardèrent pas à le sortir lentement mais surement de sa torpeur. Regagnant peu à peu sa lucidité, Marc-Antoine esquissait un sourire et, doucement, ses paupières se rouvrirent un instant, le temps de voir le visage de sa bien-aimée, avant de se refermer aussitôt.
▬ Je t’aime … Bien dormi ?
Trop fatigué, il n’avait pas prêté attention au sommeil de son amante. S’il avait été plus observateur, il aurait noté que la jeune femme n’avait presque pas trouvé le repos la nuit passée. Les sons sortis de sa bouche étaient à peine audibles et entrecoupées d’onomatopées semblables à des ronronnements. Marc-Antoine n’était pas pleinement réveillé et ses mots avaient tout juste été susurrés. Peu à peu, il émergea et ouvrit les yeux pour de bon. A son tour, il passa une main sur son visage avant de l’embrasser puis demanda :
▬ Alors, tu as décidé quelque chose ?
Aujourd’hui, c’était à Terry de décider du programme de la journée. Ils pouvaient retourner explorer la grotte ou bien s’adonner à d’autres activités. Le couple pouvait tout aussi bien rester là, à ne rien faire pour le restant de la journée. Ça aurait eu un air de déjà-vu.
Tes gestes et tes baisers, aussi doux soient-ils n’avaient pas tardé à éveiller Marc-Antoine. Tout doucement, il s’était mis à bouger très légèrement avant que tu ne captes ce petit sourire sur ses lèvres. Tu avais cessé de le harceler de tes baisers pour le laisser émerger, et il avait finit par ouvrir les yeux durant quelques secondes à peine. Silencieuse, tu te remets à sourire tout en l’observant, en l’écoutant aussi. Tu ne réponds pas immédiatement à cette question à peine audible, en réalité, tu le laisses se réveiller complètement avant de songer à ouvrir la bouche. Lorsqu’à son tour, il vient t’embrasser, tu estimes que c’est bon.
Terry souhaitait retourner explorer la grotte. La veille, les deux aventuriers n’avaient pas ratissés les lieux dans leur entièreté. L’épée était peut-être toujours là-bas, cachée, prête à être trouvée et rendue à son propriétaire légitime. Quand bien même les chances pour que cela soit le cas sont faibles, la rousse était bien trop consciencieuse pour abandonner maintenant. Elle se voyait mal rentrer bredouille et expliquer à la veuve que la lame de son défunt mari était perdue à jamais sans avoir fait le maximum au préalable. Caressé dans le sens du poil depuis son réveil, l’ancien garde répondit avec docilité, sans arrières pensées ni sarcasme :
▬ Très bien. Nous irons là-bas.
Nul doute que dans quelques heures il rechignerait à y aller et avancerait à reculons mais, à cet instant, le jeune homme ne vit aucun inconvénient au fait d’accompagner sa douce. Celle-ci n’était de toute façon pas pressée. Tôt ou tard, il lui faudrait prendre la route et retourner à la Capitale auprès de son père mais, plus cette quête s’éternisait, plus elle pouvait rester aux côtés de Marc-Antoine, ce qui n’était pas pour lui déplaire.
▬ Je te répondrais que ça me va totalement.
Il prit la jeune femme par la taille et, de nouveau, ses lèvres rejoignirent celles de Terry. Durant de longues minutes, les deux amants échangèrent caresses, baisers et multiples marques d’affection.***
Terry et Marc-Antoine quittèrent le lit et, une fois convenablement habillés, leur chambre. La bourgade dans lequel ils se trouvaient n’était ni la plus peuplée ni la plus connue du royaume mais elle possédait néanmoins quelques endroits charmants où il était possible de se balader. L’autre jour, Marc-Antoine avait notamment repéré ces jardins et c’est précisément à cet endroit qu’il comptait emmener Terry.
Il était encore tôt mais le blond nota une grande affluence dehors. Bourre-la-Ville était un hameau paisible et le fratricide fut surpris de voir pareille activité. Il ne connaissait pas bien la ville mais c’était la première fois qu’il voyait une telle effervescence ici. L’espace d’un instant, il se serait cru à la capitale un jour de marché. Etonné et anxieux, il interpella une passante. La quinquagénaire expliqua au jeune couple que le festival annuel de Bourre-la-Ville prenait place aujourd’hui. Bon nombre de marchands ambulants étaient venus pour l’occasion. Ils installèrent chacun leur stand et, jeunes comme moins jeunes, passèrent tour à tour observer les marchandises et les différentes activités proposées par chacun des commerçant.
▬ C’est … Coloré.
En quelques heures seulement, la ville s’était métamorphosée, arborant des couleurs plus claires, plus joyeuses. Joignant l’utile à l’agréable, Marc-Antoine nota la présence d’un stand éphémère tenu par un homme se ventant d’être « le meilleur forgeron de la région. » Il irait probablement le voir par la suite afin de lui présenter l’armure qu’il avait déniché la veille. En attendant, il profita de sa ballade avec Terry.
Tu n’avais eu aucune envie de quitter cette chambre ou même ce lit dans l’immédiat. Tu t’y sentais bien, si bien que tu en oubliais tout le reste et ça, forcément, ça faisait un bien fou. Tu avais besoin de cette espèce de pause. Ce temps mort au beau milieu de vos vies. Rien que quelques longues à ne rien faire d’autre qu’échanger baisers et caresses. Et puis, lorsque les rayons du soleil avaient été assez forts pour percer à travers le rideau de la chambre de l’auberge, vous aviez enfin décidé de vous lever et de quitter cet endroit pour prendre l’air. Dehors, il faisait beau. Pas un nuage à l’horizon, un soleil éclatant et pour couronner le tout, il y avait toutes ces bonnes odeurs qui se propageaient à travers la longue rue. Bizarrement, il y avait du monde, plus de monde que la veille, plus de monde que la fois où tu étais passée par ici pour rencontrer ce marchand. En réalité, il y avait tellement de monde que circuler était devenu carrément difficile et il avait fallu que le blond à tes côtés ne se décide à aborder une inconnue pour vous apprendre que vous étiez tombés au beau milieu d’un festival annuel … Un nouveau sourire éclaira ton visage, de ton côté, tu aimais énormément ce genre d’évènements, tu étais typiquement le genre de fille qui aimait flâner et observer les étals en tous genres. C’est d’ailleurs la première chose que tu eus envie de faire et attrapant la main de Marc-Antoine, tu l’entraînes à ta suite, te faufilant au beau milieu de la foule avec aisance.
Bourre-la-Ville étant une toute petite ville, tu es relativement surprise par la diversité et surtout, par le nombre de marchands ayant fait le déplacement jusqu’ici pour y exposer leurs marchandises. Nourriture, bijoux, minerais, plantes, armes, armures, bibelots … il y a de tout et silencieusement, tes yeux parcourent les objets avec intérêt. Rien cependant n’attire assez ton attention pour que tu t’y arrêtes réellement ou que tu songes à sortir quelques cristaux. Du coup, ta main toujours bien accrochée à celle de ton petit-ami, tu finis par revenir vers lui toujours aussi silencieuse … Subitement, te voilà songeuse de nouveau. Traîner au lit. Se balader dans les rues d’une petite ville au beau milieu d’un joli festival. Tu pourrais t’y habituer. Malheureusement, la réalité est toute autre et ça, tu l’as appris de façon assez brutale il y a déjà un peu plus d’une semaine maintenant. Terminées les balades main dans la main, adieu les rêves de vie simple et tranquille.
Marc-Antoine se baladait en compagnie de Terry. Le grand blond portait une cape et tâchait de dissimuler ses traits distinctifs afin de ne pas être reconnu. Se promener aurait dû être agréable mais cela sonnait faux. Depuis qu’il avait commis l’irréparable, le fratricide avait peur de la foule. Il craignait d’être épié, surveillé et avait la plus grande difficulté à apprécier ce moment privilégié qu’il partageait aux cotés de l’aventurière. La vérité c’est qu’il préférait de loin être cloitré dans une chambre qu’être à l’extérieur. A la lumière, il ne se sentait pas à sa place. Ou du moins, il ne se sentait plus à sa place.
Les stands proposaient tous des objets différents. Certains attisèrent la curiosité de Marc-Antoine, d’autres non. Si l’enthousiasme du de l’Épée était difficile à percevoir, celui de Terry en revanche se voyait comme le nez au milieu de la figure. Il trouvait fascinante son aptitude à s’émerveiller de petites choses. Tout ceci lui fit presque oublier sa situation, ses priorités, ses devoirs aussi. Et pourtant, entre la visite de deux stands, une question hors-sujet et pour le moins gênante vint rappeler certaines réalités au bretteur.
▬ Remettre les pieds en ville ?
Il fit semblant de ne pas comprendre. Son ton se voulait innocent pourtant l’ancien garde voyait bien où elle souhaitait en venir. Terry faisait forcément mention de la capitale. Si tel était le cas, remettre les pieds les bas revenait pour Marc-Antoine à signer son arrêt de mort. Il voyait mal ses anciens confrères le laisser se pavaner dans les rues comme si de rien était. Sans pour autant être le criminel le plus recherché du pays, il était assurément sur liste noire. Le de l’Épée avait des connaissances, des relations. Son nom ainsi que son passé lui avaient permis de tisser un réseau. Il avait longtemps profité de tout cela, notamment lors de ses jeunes années à la garde. Aujourd’hui, il n’avait plus grand-chose, nombreux étaient les hommes qui ne voulaient plus entendre son nom. Quant à ceux qui ne lui avaient pas tournés le dos … Ils n’étaient pas fréquentables et Marc-Antoine préférait ne pas traiter avec eux pour le moment. Quoiqu’il en soit, personne ne pouvait l’aider. Pour cause, personne hormis le roi ne pouvait lui offrir de grâce pour ses crimes. Et quand bien même, il aurait obtenu pareil honneur, il se serait empressé de souiller ce cadeau d’un nouveau crime, plus odieux encore que le précédent.
Perturbé, il garda le silence et laissa Terry discourir sur les aptitudes de ce « Derek ». Marc-Antoine n’avait jamais entendu ce nom et haussa un sourcil lorsqu’on lui apprit qu’il s’agissait de l’oncle de sa petite-amie. « Génial » pensa-t ‘il sur un ton ironique.
▬ C’est gentil, vraiment. Mais je peux me débrouiller. N’en parle à personne, pas même à ton oncle. Je n’ai pas envie de l’impliquer et je n’ai pas de t’impliquer, toi non plus.
Pour elle, c’était raté. Le simple fait qu’il l’ait invité ici et qu’elle soit venue la mettait en danger. Du reste, c’était l’orgueil du blondin qui le poussait à refuser l’aide d’autrui, encore plus celle d’un proche parent de Terry. Il se voyait mal impliquer un membre de sa famille dans ses affaires. Par ailleurs, il n’avait pas envie de traiter avec un inconnu. Car, certes, cet homme était affilié à la rousse mais cela ne fit pas pour autant de lui quelqu’un de confiance. À tout moment, il pouvait le dénoncer, précisément dans le but de protéger sa nièce d’une mauvaise graine. Non, pour Marc-Antoine c’était assurément trop dangereux, trop dangereux et inutile par-dessus le marché. Car quand bien même il ne se satisfaisait pas de sa vie actuelle, il voyait mal comment ce Derek pouvait arranger les choses. A moins d’être magicien bien sûr …
▬ Tu ne devrais pas t’inquiéter pour moi, vraiment.
« Vraiment ». En règle générale, quand il insistait et terminait ses phrases ainsi, il mentait. Le stand face à lui vendait des anneaux et autres babioles. Il le pointa du doigt, comme pour changer de sujet, et alla voir de plus près les articles mis en vente. Il espérait ainsi ne plus entendre le nom de Derek pour les heures à venir. Évidemment, il savait qu'il allait y avoir droit.
Des « relations » comme on appelait ça communément, tu n’en avais pas. Tu étais capable de regarder la vérité en face, tu n’étais que la fille d’un tavernier, un bien gentil tavernier connu pour ses services, pour son sourire et pour sa générosité. Si Norbert connaissait effectivement énormément de personnes à la Capitale, et par extension, toi aussi, la modeste famille Heartlake n’avait jamais trempé dans quoi que ce soit de louche. Derek était la seule personne qui te venais à l’esprit pour ce genre de … problème. Certes, ton oncle n’était pas non connu pour être un bandit de grand chemin, mais tu le connaissais bien, il était tout à fait différent de ton père et il avait toujours eu ce petit quelque chose. C’était un esprit libre. Quand il s’agissait d’agir, ton cher tonton n’avait que faire des règles, des lois, cependant, il était un homme prudent et particulièrement habile qui avait toute ta confiance. C’est d’ailleurs bien pour ça que tu te permets d’évoquer son nom devant Marc-Antoine. Evidemment, le jeune homme est bien loin de sauter sur l’occasion, ou même de réellement s’intéresser à ce que tu racontes. Il balaye tes suggestions d’un revers de la main. A l’entendre, il n’a besoin de personne, il sait se débrouiller seul et d’ailleurs, il n’a pas envie que tu parles de lui à ton oncle, ni à personne d’autre d’ailleurs. Il n’a même pas envie que tu t’en mêles à dire vrai. Et plus que le reste, c’est ça qui vient te toucher, te percuter de plein fouet. Il ne veut pas t’impliquer. Mieux. Il ne veut pas que tu t’inquiètes, non plus.
Tu le rattrapes, non loin du stand, tu fais mine d’observer distraitement les objets durant quelques secondes, néanmoins, si effectivement, tes yeux balayent les bijoux, c’est comme si tu n’y voyais rien tant tes pensées sont ailleurs.
Marc-Antoine ne voulait pas être dépendant de parfaits inconnus, quand bien même ceux-là entretenaient un lien fort avec Terry. De la même façon, il ne souhaitait pas impliquer plus que de raison l’aventurière ou sa famille. Il s’était mis seul dans la panade et en sortirait seul. Évidemment sa bien-aimée ne voyait pas les choses ainsi. Inquiète, elle insista pour que le blond la laisse parler à son oncle. Il y avait foule autour d’eux mais cela n’empêcha pas l’archère de faire état de son mécontentement. A défaut de lui dire qu’ils en parleraient plus tard, à l’abri des oreilles et des regards indiscrets, Marc-Antoine pointa du doigt un stand et observa de plus près la marchandise. C’était pour le grand blond une manière plus habile et détournée de changer de sujet.
▬ Effectivement, c’est joli.
De toutes les couleurs et de toutes les formes, les pierres posées sur la table étaient censées porter chance. Il allait sans dire que ces babioles ne renfermaient en elles aucun pouvoir magique. C’était un attrape-nigaud. Et évidemment, le marchand pensait avoir affaire à des idiots :
▬ Alors ma petite dame, vous avez fait votre choix ? Et vous monsieur, une préférence ?
Là, comme ça, il n’en avait aucune. Soit dit en passant, Marc-Antoine avait horreur des marchands qui alpaguaient ainsi leur client. Le commerçant insista, proposa une gemme bleue au fratricide et eut pour unique argument que cette dernière était du même bleu azur que ses yeux. Paranoïaque, Marc-Antoine tourna discrètement la tête. Personne ne l’avait entendu. Ou en tout cas personne n’avait prêté attention aux dires du marchand. Poliment, il répliqua :
▬ Non merci, c’est gentil.
Il voulait partir, quitter ce stand mais le vendeur le retint une dernière et ultime fois. La flatterie ne fonctionnait pas avec Marc-Antoine. Fort de ce constant, l’homme sortit le grand jeu, deux colliers incrustés, en apparences identiques.
▬ Un pour vous, un pour madame. Ils sont enchantés.
Intrigué, il plissa les yeux et esquissa un sourire de défi. Qu’allait-il lui inventer cette fois ? D’après ses dires, les colliers jumeaux permettaient à leur porteur de s’envoyer des messages – des SOS soyons clair –, qu’importe la distance qui les séparaient. Le vendeur fit une démonstration au couple avant d’annoncer son prix. Sans même prendre la peine de concerter Terry, Marc-Antoine sortit de sa bourse quelques cristaux puis affirma :
▬ Ok.
Il n’avait pas envie de négocier et cet objet valait son prix d’après le de l’Épée. De plus, Marc-Antoine se doutait que le marchand ne les laisserait pas partir les mains vides. Une fois la transaction effectuée, il se saisit des deux colliers, en tendit un à Terry avant de mettre le sien dans sa poche. Puis, il ironisa :
▬ S’il m’arrive quelque chose, je compte sur toi pour venir me sauver.
Il avait acheté cet objet pour rassurer Terry mais aussi pour se rassurer lui, en un sens. Ce collier lui permettait d’avoir, où qu’il soit, un œil sur l’état de santé de l’aventurière.
Tu avais bien compris qu’il était inutile de continuer cette discussion, qui finalement, ressemblait plus à un monologue qu’autre chose. Tu parlais. Tu râlais, même. Tu exprimais ton agacement en dépit des passants et après quelques remarques que tu avais ressenti le besoin de lui envoyer, tu avais tout de même fini par comprendre qu’il était inutile d’insister pour le moment avec tout ça. Il ne pourrait pas t’empêcher d’être inquiète, tout comme il ne pouvait pas t’empêcher de te poser encore et toujours les mêmes questions concernant sa situation actuelle. Il ne fallait pas t’en vouloir, tu ne lui en voulais même pas … n’empêche que clairement, ce n’était pas comme ça que tu voyais ta vie. Votre relation était récente. De cela, tu avais effectivement parfaitement conscience. Tout avait été si vite entre vous, une rencontre somme toute assez banale, puis une seconde un peu plus atypique, c’est tout ce qu’il avait fallu pour que ce garçon ne se fraye un chemin jusqu’à ton cœur. Il t’avait tout de suite plu. Sa façon d’être. De parler. D’agir. Son caractère. Ce qu’il montrait. Ce qu’il semblait dissimuler. Il pouvait être agaçant, et ça tu le savais, il t’avait agacée, plusieurs fois. Et pourtant … toi, tu savais à quel point il pouvait être doux, et plutôt attentionné. Tu y tenais. Tu tenais énormément à lui.
Lèvres pincées, tu pars sur un sujet plus léger à ton tour. Tu te mets à observer les babioles exposées par le marchand qui se trouve d’ailleurs juste en face de toi. Tu sens son regard sur toi, il t’observe et au bout de quelques minutes il finit par t’aborder. Pour toute réponse, tu lui offres tout simplement un sourire poli tout en hochant la tête afin de lui faire comprendre que tu n’es pas spécialement intéressée, que tu n’es donc pas prête à sortir tes cristaux pour ses cailloux colorés. C’est donc du côté de Marc-Antoine qu’il tente sa chance … toujours avec les fameuses pierres de chance dans en premier temps, argumentant de plusieurs manières avant d’abandonner et de sortir autre chose. Tu ne dis rien. Tu te contentes d’observer sa démonstration, te demandant un instant si, comme les jolies pierres, ce n’est que de la poudre aux yeux ou si ces colliers sont, comme il le dit, bel et bien imprégnés de magie. Histoire d’éviter la moindre déconvenue, de ton côté, par principe, tu ne l’aurais pas cru. Tu es donc particulièrement surprise de constater que ton petit-ami lui, se laisse au contraire convaincre par le discours du marchand. Il dépose quelques cristaux dans la paume de ce dernier, attrape les deux bijoux et t’en offre un tandis qu’il fourre le second dans l’une de ses poches. Toujours surprise, tu observes quelques secondes le petit objet avant de le saisir entre tes doigts. Le cordon est somme toute assez simplet, la pierre en revanche est quant à elle plutôt jolie, plus simple que les pierres de chance, moins colorée, elle est plus brillante cependant, plus lisse, plus petite aussi et surtout, légèrement transparente.
Tu reparlais de Derek. Mais pas maintenant. Tu avais donc entraîné ton amant plus loin, pour continuer de parcourir le festival, et puis, quelques heures plus tard, en fin de matinée, après le repas, tu avais décidé de revenir sur le sujet de la grotte. Certes, tu étais dérangée par l’idée de revenir bredouille et de devoir peut-être mentir à cette dame … mais maintenant que tu y étais, tu n’avais déjà plus la motivation que ce matin pour retourner jusqu’à cette grotte.
Drôle, il l’était en règle générale. Dans le cas présent son but n’était toutefois pas de faire dans l’humour mais plus de rassurer sa petite-amie. Evidemment il n’avait pas pu s’empêcher d’ironiser. Le collier récemment acheté rejoignit bientôt celui que Terry portait autour du cou. Après avoir remercié et embrassé Marc-Antoine, l’aventurière mit en garde son amant. Il esquissa un sourire et, toujours avec cet air de défi, répondit :
▬ Oh, je m’en doute. Ce n’était de toute façon pas mon intention.
A peine. L’idée de discuter de longues minutes – voire de longues heures – avec elle sur ce sujet l’ennuyait déjà au plus haut point mais il se doutait qu’il n’y échapperait pas. Pour qu’elle insiste ainsi, ce Derek devait vraiment avoir le bras long. A moins que Terry ne soit simplement naïve au point d’idéaliser les compétences de son oncle. L’un dans l’autre, son avis sur la question était clair. Il ne voulait pas d’aide. Malgré tout, et pour ne pas générer de scène de ménage au beau milieu de ce festival, il se tut, adressa un sourire taquin à Terry puis poursuivit sa route.
Pendant une à deux heures, le duo se balada et fit le tour des différents stands. Chacun vendait ses petites affaires, ses babioles ou ses armes. Terry et Marc-Antoine s’arrêtèrent à quelques reprises afin d’observer les spectacles des artistes ambulants. Là encore, il y avait de tout : des jongleurs, des cracheurs de feu et même des dompteurs de Lumios. C’est après le déjeuner que Terry revint à la charge, non pas pour mentionner son oncle mais bien pour discuter de l’épée et de cette veuve.
▬ Euh.
Pris au dépourvu, il haussa les épaules avant de parler librement, sans réflexion aucune.
▬ Je la pense définitivement perdue, oui. Si tu veux mon avis, elle pourrait être partout, à la ceinture d’un garde, sur l’étal d’un de ces marchands ambulants ou entre les mains d’un collectionneur quelconque. Donc oui, retourner là-bas est une perte de temps. Mais bon.
« Mais bon. » Elle voulait se rendre là-bas non ? Marc-Antoine n’était pas sûr de comprendre. Si en règle générale, il faisait preuve d’une certaine clairvoyance, ici, il ne visualisait pas quelles étaient les intentions de Terry.
▬ D’un autre côté, nous n’avons pas fait le nécessaire. Nous n’avons rien à perdre et cela ne coûte rien d’y retourner alors … Je pense que ce n’est pas une si mauvaise idée. On aura peut-être une bonne surprise.
Une bonne surprise ? Il n’y croyait pas le moins du monde et ne voulait pas se rendre là-bas. D’autant qu’il y avait bel et bien des choses à perdre en remettant les pieds dans cette grotte : du temps et de la santé. Le renégat tenait ce discours afin de ne pas offenser Terry. Il se voyait mal lui expliquer que son idée était nulle et qu’il était préférable de mentir à la veuve. S’il était un expert en la discipline, il n’était pas pour autant enclin à faire l’apologie du mensonge à sa bien-aimée.
▬ Pourquoi poses-tu la question ?
Y avait-elle songé ? Avait-elle pensé à mentir à la veuve ? Cette pensée fit sourire Marc-Antoine en son for intérieur.
▬ Quoiqu’il en soit, nous devrions prendre la route avant deux-heures, histoire de ne pas rentrer trop tard.
Tu t’y attendais. Marc-Antoine n’avait définitivement pas ton optimisme, loin de là. Pour lui, cette épée, si elle avait réellement un beau jour été dans cette grotte ne s’y trouvait probablement plus et en vérité, tu commençais à le penser, toi aussi. Dix ans. C’était long. Cette grotte était connue de bien des aventuriers, et le simple fait que l’on puisse à la guilde te fournir son emplacement exact aurait sans doute déjà du te mettre la puce à l’oreille. Tu n’étais pas la première, en dix années, à remettre les pieds là-bas ce qui faisait que oui, forcément, l’épée avait probablement été emportée ailleurs, vendu, donné, offerte, peut-être même qu’elle était perdue ailleurs que dans cette grotte … toujours est-il que si c’était le cas, tu ne remettrais jamais la main dessus, la veuve non plus d’ailleurs.
La route jusqu’aux falaises, vous commenciez à la connaître, du moins tu commençais à la connaître. Elle t’avait parue cette fois encore plus simple et surtout plus rapide que la veille, et tu n’avais pas eu besoin non plus de chercher l’accès pour trouver l’entrée de la grotte. En trois quart d’heure, à peine, vous étiez de nouveau devant la caverne, et sachant que la lumière régnait déjà à l’intérieur, tu n’avais même pas pris la peine de sortir la lampe magique de tes affaires, du moins pour le moment. A première vue, tout semble relativement similaire à la veille … sauf que bien vite, tu discernes assez clairement le sang noirci au sol, noirci mais encore poisseux. Et puis les corps, aussi, qui portent très nettement les traces des griffes du monstre qu’ils ont tenté d’affronter. Tu détournes assez rapidement le regard, n’osant même pas poser les yeux à l’endroit où étaient étendu l’homme blessé lorsque tu avais quitté la caverne hier. Vous n’êtes pas là pour ça, aussi, tu avances sans un mot d’un pas décidé pour rejoindre la galerie de gauche, celle que vous n’aviez pas exploré et une fois engagée à l’intérieur, tu te décides à sortir ta lampe puisqu’il y fait bien plus sombre qu’à l’entrée. Ici, l’obscurité est totale, les ténèbres opaques, tu restes donc prudente, avançant lentement pour ne pas trébucher sur quelque chose. Malgré tout, tes pieds finissent quand même par heurter quelque chose au bout du tunnel. Tu entends un « crac » sonore qui résonne dans la nouvelle pièce qui s’ouvre devant vous et lorsque tu baisses les yeux, tu t’aperçois qu’il s’agit d’ossements. Des ossements humains, très reconnaissables puisque le squelette est entier, installé contre la paroi, assis, comme s’il était mort comme ça ici.
Lui aussi manquait de motivation. Retourner dans la grotte allait les occuper pour un moment. Marc-Antoine avait mieux à faire c’est pourquoi il acquiesça à la proposition de Terry. Prendre la route dès maintenant était ce qu’il y avait de plus judicieux à faire puisque précisément : « Plus vite ils partaient, plus vite ils seraient rentrés » comme elle le disait si bien.
De nouveau le duo quitta Bourre-la-Ville, direction la grotte. A force, Marc-Antoine et Terry commençaient à connaître le chemin sur le bout des doigts. Ils arrivèrent après plusieurs heures de marche et constatèrent à l’entrée que tout était telle qu’ils l’avaient laissés hier. L’odeur nauséabonde envahissait les narines du de l’Épée qui – tout en avançant – grimaça. En quelques heures, le sang avait noirci et quelques charognards s’en étaient donnés à cœur joie. A certains hommes, il manquait des membres, d’autres des yeux. Pour une raison qu’il ignorait, cet organe était tout particulièrement apprécié des créatures nécrophages.
Le jeune couple pénétra plus en profondeur dans cette grotte, faisant fi du décor horrifique. Bientôt, ils rejoignirent la galerie non explorée. Le chemin emprunté était sombre. Marc-Antoine eut la plus grande peine à voir où il mettait les pieds. Peine qu’il partageait avec l’aventurière qui, très vite, marcha sur un os. Loin d’être une métaphore, la rousse avait réellement écrasé un tissu humain. Allez savoir pourquoi, Terry s’excusa auprès du squelette puis demanda à Marc-Antoine son avis sur l’identité de l’individu.
▬ C’est possible, oui. Si c’est lui, il a été dépossédé de son arme il y a bien longtemps.
Il avait à son bassin une ceinture. A en juger par le galbe de l’objet, il s’agissait d’une forme de fourreau, probablement à la mode il y a quelques années. Pour Marc-Antoine, cela ne faisait aucun doute, de son vivant cet homme avait possédé une épée. De là à ce qu’elle soit enchantée … Il n’en avait pas la moindre idée.
▬ Il est encore là, oui. C’est sûr. C’est un Changelement. Il n’abandonne pas son chez lui. Enfin, en général …
Le fratricide n’était pas monstrologue et ne faisait que répéter ce qu’il avait entendu par le passé. Si ça se trouve, la créature sauvage était déjà loin. Soit dit en passant, le grand blond aurait peut-être mieux fait de se taire. Son propos n’avait rien de rassurant.
▬ Mais je te rassure, les Changelement sont pacifiques normalement. Si on ne les offense pas, ils ne font rien. Pour qu’il se transforme, ils ont vraiment dû y aller.
Il y en avait des plus susceptibles que d’autres, bien sûr. Mais en règle générale, ces petites bêtes étaient patientes avec les humains. Marc-Antoine continua de fouiller, sans grand succès. Il n’y avait rien ici. Ceci-dit certaines parois lui paraissaient étranges, plus lisses, plus humides aussi. Comme si elles étaient apparues il y a peu ou comme si elles recouvraient un chemin qui avait existé quelques années auparavant. L’épéiste tâta la pierre longuement avant de demander :
▬ Tu as trouvé quelque chose ?
La question était rhétorique. Pour sa part, il examinait un mur qui, étonnamment, lui paraissait « creux ». Il n’avait pas envie de creuser des heures afin de vérifier sa théorie mais un bruit de ronronnement se fit entendre et parcourut la roche.
Tu te mets à observer ce cadavre, à le fixer avec une étrange insistance. Si tu avais détourné les yeux à la vision de ceux qui se trouvaient à l’entrée de la caverne, le fait que celui-ci soit entièrement décharné semble te faciliter la tâche. Ce n’est qu’un tas d’ossements et tandis que de son côté, Marc-Antoine s’éloigne un peu, sans doute pour observer le reste de la pièce obscure, toi, tu te penches un peu plus sur les os … Tu n’es pas certaine, tu ne peux pas savoir si ou non il s’agit de l’aventurier que tu cherches, cependant, tu viens quand même détacher la plaque qui trône autour de son cou, celle qui indique son appartenance à la guilde. Il s’agit bien d’un aventurier, de cela tu es certaine maintenant. De ton doigt, tu dépoussière un peu l’objet pour y lire un nom, et un prénom et puis, sans un mot, tu te redresses tout en écoutant le jeune homme parler non loin de toi. A l’entendre, le Changelement – puisque c’est de ça qu’il s’agissait – devait toujours être dans les parages. Ce n’était pas une bonne nouvelle, et tu craignais forcément de voir cette chose sortir de nulle part pour se ruer sur l’un de vous deux. La veille, ce félin avait déjà fait la démonstration de sa puissance, il avait fait énormément de victimes et tu savais bien que même un peu affaibli par son dernier combat, la bête n’aurait aucun mal à venir à bout d’une aventurière et d’un ex-garde.
La plaque d’aventurier toujours entre tes doigts, tu reviens vers Marc-Antoine.
Terry avait effectivement mis la main sur quelque chose d’intéressant ; Une plaque métallique, visiblement ancienne, témoignant de l’appartenance de ce bon monsieur à la guilde des aventuriers. Bien qu’ils n’aient aucune preuve de cela, tout laissait à penser que cet homme était bien le mari de la commanditaire.
▬ Oui. C’est plausible.
Ce « plausible » était une litote. Marc-Antoine n’était pas du genre à vouloir se mouiller mais il était quasi certain d’être face à l’homme ayant possédé la fameuse lame enchantée recherchée par la veuve. A défaut de retrouver l’arme de son défunt mari, celle-ci allait pouvoir se consoler avec cette plaque. Marc-Antoine ne voyait pas bien ce qu’elle pouvait faire d’un tel objet mais il estimait que revenir avec cette plaque était préférable au fait de rentrer les mains vide.
L’aventurière ne toucherait peut-être pas la totalité de la récompense néanmoins, ni Terry ni Marc-Antoine n’étaient faiseur de miracle. Explorer une grotte abritant un monstre était dans leurs cordes. Retrouver une épée dans ladite grotte sachant qu’elle avait probablement quitté cette dernière depuis belle lurette en revanche ne l’était pas.
Afin de répondre à la question posée par sa petite-amie, le jeune homme pointa du doigt les murs qu’il jugeait étrange et invita tacitement Terry à s’approcher. Les ronronnements gagnèrent en intensité. Même l’aventurière les entendit et exprima sa surprise.
▬ Aucune idée.
Là encore, il ne prenait pas grand risque en affirmant ne pas connaître la réponse à cette question. En vérité, il avait sa petite idée. La lampe de Terry montrait des signes de fatigue. Elle clignotait de plus en plus et, bientôt, s’éteignit. Les bruits de ronronnement laissèrent place à ceux de crissement. Ce qu’elle prit pour une erreur de débutant s’avéra en réalité être une chance. Terry souhaitait quitter la caverne mais Marc-Antoine était d’avis de rester. Il avait un pressentiment qui, pour une fois, n’était pas mauvais.
▬ Attends.
Il faisait noir et Marc-Antoine prit la main de Terry. Par précaution et dans le but de parer à toute éventualité, sa dextre empoignait son épée. Comme il fallait s’y attendre, quelque chose – ou plutôt quelqu’un – forait la paroi. Bientôt, une nouvelle route fut dévoilée, une route ancienne bloquée par la roche plus récemment. Le Changelement sous sa forme primitive tentait probablement de remercier les deux aventuriers pour leur comportement de la veille. Mine de rien, Terry avait aidé le monstre en faisant diversion et Marc-Antoine était le seul guerrier à ne pas avoir attenté à la vie de la créature. De plus, la bête aux allures de félin avait apprécié le geste – involontaire – de la rousse qui avait éteint sa lumière afin d’offrir quiétude et sérénité aux résidents de cette grotte. Peu après avoir « débouché » la voie, le Changelement effectua quelques pirouettes et, agilement, retourna se cacher au cœur même de la grotte.
▬ On m’avait raconté qu’ils aidaient les voyageurs par moment mais je ne pensais pas que c’était vrai. Enfin. Allons-y.
Main dans la main, ils avancèrent dans les ténèbres. Sans lumière, il était difficile de se repérer mais, peu à peu, les yeux des deux amants s’accommodèrent à l’obscurité. Marc-Antoine ne distinguait pas bien les formes mais il crut reconnaître une garde au sol. En marchant, le duo allait vite se rendre compte que cette épée était en mille morceaux.
Ce que tu peux te sentir idiote … tu les enchaînaient, décidément. Et toi qui hier encore demandait à être prise au sérieux, à ne pas être reléguée au rang de fille faible, toi qui clamais pratiquement haut et fort que tu pouvais et que tu savais te débrouiller seule. Tu prouvais encore une fois le contraire. Et ça venait de nouveau te faire douter. Un long et lourd soupire de lassitude s’échappe d’entre tes lèvres, tu as beau serrer la lampe dans ta main, aussi fort que tu le peux, rien ne passe, rien à faire, elle ne se rallume pas. Tu sers les dents, gênée, peu importe qu’il fasse noir, tu as détourné le regard et tu es même à deux doigts de présenter des excuses, ici, maintenant, alors même que tu sais que ce n’est pas le moment et que les bruits étranges se répètent et que d’autres retentissent. Au final, tout ce qui sort de ta bouche, c’est cette proposition un peu maladroite de faire demi-tour et d’abandonner la quête. Tu as la plaque. S’il s’avère que le nom du mari défunt est bien celui inscrit dessus, tu as des chances que ce ne soit pas un échec total. Pour toi, mieux valait faire demi-tour, tu ne voulais pas risquer ta vie, encore moins celle de Marc-Antoine pour une nouvelle bêtise. Tu ne serais de toute façon pas à la hauteur pour affronter ce félin, même si c’était nécessaire.
Cependant, malgré ta demande, et alors que tu aurais pensé que le jeune homme sauterait sur l’occasion pour laisser cette bien trop longue histoire de quête derrière lui … il vient simplement prendre ta main dans l’obscurité. Tu sers ses doigts entre les tiens, angoissée. Il fait si noir. Le monstre vu hier pouvait bien apparaître, attaquer, tu ne verrais rien venir. Les bruits s’accentuent eux. Ils approchent même. Et à ta grande surprise, le mur que ton petit-ami observait précédemment finit par se fendre, s’effriter et à la place, apparaît alors un nouveau chemin, une voie non explorée depuis sans doute bien des années. La simple perspective de voir, ou de trouver quelque chose de perdu te redonnes soudainement un peu de courage et de motivation … ton âme d’aventurière refait surface. C’est bel et bien la créature de la veille qui creusait. Tu l’aperçois, quelques instants à peine, avant qu’il ne disparaisse comme il était venu … Rien. Pas une attaque. Pas un grognement. Simplement cette voie nouvelle, ouverte, offerte. Une voie que Marc-Antoine choisi évidemment d’emprunter.
Il y fait toujours sombre, cependant, ta lampe magique étant éteinte depuis un moment, tes yeux ont eu le temps de s’habituer un peu à cette pénombre et si évidemment, tu es loin d’y voir totalement clair, tu es bien désorientée, tu à l’impression de voir les formes, de pouvoir t’orienter plus facilement, et progresser avec bien moins de mal. La progression à travers ce nouveau tunnel est lente … très lente. Tu traînes des pieds, histoire de bien savoir où tu marches et c’est encore une fois le bout de ta chaussure qui vient heurter quelque chose. Cette fois, ce n’est pas un squelette. C’est plus solide. Plus dur. Plus métallique aussi.
▬ Avec de la chance, oui.
Finalement, ils l’avaient trouvé cette fameuse lame enchantée. Certes elle n’était pas dans son meilleur état néanmoins ils avaient fait le maximum et n’avaient rien à se reprocher. Marc-Antoine n’était pas sûr que la veuve s’en satisfasse mais, comme le répétait si bien son précepteur : « Les choses sont ce qu’elles sont. » N’étant pas magicien, il ne pouvait réparer la lame. Qui sait, peut-être qu’un forgeron talentueux serait en mesure de souder le métal et de reformer les morceaux manquants. Quoiqu’il en soit, tout ceci ne concernait plus le de l’Épée. Il vit sa bien-aimée ranger la garde ainsi que les morceaux de métal et songea à « ce qu’il souhaitait faire ensuite ».
Intrigué, ses yeux passèrent en revue les couloirs que Terry désirait quitter. « Décidément » pensa-t-il. L’aventurière ne souhaitait vraiment pas poursuivre les recherches. Lui qui dans un premier temps avait rechigné à l’idée de rejoindre cette grotte s’était finalement laissé prendre au jeu. Curieusement Marc-Antoine était d’avis de continuer. En quelques heures seulement ils avaient déniché des fragments d’une épée magique, un corps vieux de dix ans et une plaque d’aventurier qui – quand bien même elle n’avait aucune valeur pécuniaire – représentait un vestige du passé. Après avoir pesé le pour et le contre, il décida de se ranger du côté de la rousse.
▬ Tu as raison. Ne tentons pas le diable. Il nous a aidé, laissons son lieu de vie tranquille.
Le fratricide n’était pas monstrologue toutefois il imaginait que l’avarice des aventuriers ne faisait pas parti des traits de caractère que le Changélement cautionnait. Si jusqu’à présent il avait été clément, Marc-Antoine n’était pas sûr que cela se poursuive s’ils restaient ici dans le but de piller son domicile. La veille, il avait vu de quoi le monstre était capable et préférait ne pas abuser de son hospitalité. Ainsi, quand bien même il était persuadé de passer à côté de nombreux trésors, il rebroussa chemin en compagnie de Terry. Il reviendrait ici dans un futur proche, c’était une certitude. En attendant, il tâchait de se repérer du mieux qu’il le pouvait afin de regagner la sortie. N’ayant plus de lampe à disposition, le chemin du retour fut plus long que le chemin aller. C’est après trois bons quarts d’heure qu’ils quittèrent cet endroit, sain et sauf. Marc-Antoine leva les yeux au ciel et tenta de déterminer l’heure grâce à la position du soleil – qui n’était déjà plus très haut.
▬ C’était à prévoir, il est plus tard que prévu mais nous devrions pouvoir arriver à une heure respectable.
Comprenez par là entre vingt-deux heures et minuit. Le duo pouvait tout aussi bien camper ici si elle le désirait, lui n’en avait cure.
▬ En tout cas nous avons bien fait de venir ici. Même si l’épée est brisée, elle pourra peut-être la réparer en s’adressant à la bonne personne.
En supposant bien sûr que ce soit bien l’épée recherchée. Marc-Antoine présumait – peut-être à tort – que c’était bien celle-là mais il n’en avait pas la moindre preuve.
Si une part de toi avait en effet envie de visiter cette caverne … tu savais en revanche que le faire n’était pas le choix le plus raisonnable qui soit, bien au contraire. Malgré tous tes efforts pour obtenir un semblant de lumière au milieu de cette obscurité, ta lampe magique semblait être totalement vide d’énergie. Elle avait refusé de te fournir le moindre petit halo de lumière et il avait fallu que tu ramasses les morceaux de l’épée sans y voir à un mètre devant toi. Il y avait peut-être autre chose tout au fond de cette grotte, néanmoins, le matériel faisant défaut et le Changelement rôdant dans les parages vous aviez finalement décidé tous les deux de faire demi-tour et c’est non sans mal que vous aviez enfin regagner la sortie.
A l’extérieur, le soleil avait commencé à décliner depuis un bon moment, la lune était même déjà bien visible. Soupirant légèrement, tu prends une longue inspiration pour savourer l’air frais retrouvé, puis, tu prends le temps de poser le sac au sol pour en examiner rapidement son contenu, sortant la garde de l’épée brisée pour l’observer. Il n’y avait pas à dire, jadis, cette arme devait être particulièrement belle, autant qu’impressionnante d’ailleurs. Tu n’avais aucun moyen de savoir si oui, ou non elle était bel et bien enchantée, tu ne savais même pas si un enchantement perdurait sur un objet aussi abîmé, pourtant, tu continuais d’espérer que cette épée soit celle que tu étais venue chercher. Vous aviez traîné plus que prévu, c’était vrai, mais au moins, cette fois, tu ne repartais pas les mains vides.
A votre retour en ville, la nuit était définitivement tombée, sans lumière, au beau milieu de la nuit, dans l’obscurité, vous aviez probablement ralenti un peu la cadence mais finalement, ce n’était pas si grave. Tu en avais oublié tes gaffes. Tu étais plutôt satisfaite d’avoir cette épée en ta possession ainsi que la plaque d’aventurier, même si tu n’étais pas certaine de ramener le bon objet, au moins, tu aurais essayé.
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