Qu'elle avait l'air plus vivante, cela elle voulait bien le croire. Elle avait toujours trouvé le visage des nobles trop lisses, trop poudrés, trop serein. Les gens du peuples avaient les mains calleuses, les traits fatigués, les côtes creuses, le visage marqué par la vie, par les difficultés, par la faim, la fatigue. C'était cet ensemble qui rendait les gens vivants, qui leur donnait leur particularité. Si elle n'avait jamais eu à se battre ou à chaparder pour avoir sa nourriture, Elia n'aurait sans doute pas cette expression malicieuse qu'elle arborait si souvent. Elle n'aurait ni cette apparence, ni ce caractère. Elle serait une totale autre chose. Et malgré tout son discours, elle ne souhaitait pas échanger sa place avec une noble. Elle savait où était sa place, ou du moins elle pensait le savoir.
Arthorias s'attaqua lui aussi à son plat avec appétit, ce qui ne manqua pas de surprendre la rouquine. Il mangeait comme un loup affamé. Elle n'avait pas imaginé qu'un garde de son statut puisse manquer de nourriture. Il n'avait ni l'air maigre ni mal nourri, en tous cas. La jeune fille poursuivit elle aussi sa dégustation, rongeant les côtelettes jusqu'à l'os sans laisser le moindre bout de chair. Elle leva la tête, du gras sur les lèvres, en entendant son interlocuteur dire qu'il ne mangeait pas souvent de la viande de qualité. Se privait-il volontairement ? Ou le couple royal donnait-il à ses précieux gardes royaux de la nourriture de piètre qualité ? Elle n'osa pas poser la question, ne voulant pas connaître les détails de la vie au palais. C'était un monde bien trop éloigné d'elle, qu'elle ne pouvait imaginer. Elle termina son plat assez rapidement, et se mit à craindre les maux de ventre qui surgissait après un trop gros festin. Tant pis, pour une fois qu'elle était pleinement rassasiée, elle n'allait pas s'en plaindre.
Elle ne répondit pas lorsque le jeune homme blond lui proposa de prendre autre chose. Elle avait de l'eau devant elle, qu'elle s'empressa de boire, assoiffé par la viande. Elle ne voulait rien d'autre, et surtout pas lui être redevable d'une manière ou d'une autre. Allait-il vraiment tenter quelque chose pour punir le garde qui avait tué son frère ? Elle avait encore la missive qu'il lui avait donné dans sa poche, et elle semblait tout à coup peser un poids incroyable. Elle préférait ne pas poser la question, elle n'était pas sûre de la réponse qu'elle voulait entendre.
Elia baissa la tête dans son assiette vide, et finit par dire :
- Non. Non merci. Je ne peux plus rien avaler en fait. Elle eu malgré elle un petit sourire et leva les yeux vers Arthorias. Vous êtes gentil. Pour un garde.
Petite pique, guère méchante, mais honnête en vérité. La rouquine n'avait jamais rencontré de garde aussi sympathique, et intéressé par le bas peuple. Etait-ce parce qu'il s'agissait d'un garde royal, bien éloigné des problématiques des gardes civils ? Après quelques instants de silence, un peu gênant, l'adolescente finit par reprendre la parole :
- Je vais vous laisser, vous devez être très occupé, par des trucs de garde, enfin je suppose. Elle se leva et s'inclina légèrement. Merci. On ne me traite pas souvent comme ça, alors même si vos pairs ne sont pas vraiment mes amis... Merci. Au-revoir.
Sans attendre davantage, Elia se dirigea vers la sortie du restaurant, une sensation un peu étrange dans les jambes. Elle n'avait vraiment rien comprit à ce qu'il s'était passé aujourd'hui, il allait lui falloir un moment pour réfléchir à tout ça et faire le point. Il fut vite clair dans son esprit qu'elle ne dirait rien de cette rencontre à Valeera. Sympathiser avec un garde ne faisait pas parti des choses que sa maîtresse encouragerait, cela ne faisait aucun doute.
Quelle drôle, drôle de journée.
Le repas finit, Arthorias paya sans regarder, plus intéressé par la petite que par l'addition.
Les deux loups retournèrent près de leurs maitre, ayant visiblement plus que bien mangé. Inutile de s'attarder d'avantage.
Il fallait parfois se contenter de ce qu'on avait. Et dans le cas présent, c'était l'un des premiers vrai contact d'Arthorias avec la population "normale".
La petite lui tira un petit sourire, ce à quoi il répondit avec un air espiègle
-Et toi plutôt aimable pour une voleuse
Et... C'était bien plus profond que cela. L'homme avait toujours vu les criminels comme la face sombre de la pièce. Jamais comme des êtres humains, ce qui expliquait en grande partie son côté froid et intransigeant envers ces gens qu'ils considéraient comme nocif.
Prendre en compte le passé, les excuses, ou quoi que ce soit d'autre l'avait toujours dépassé, et voilà qu'il avait même offert le repas à ces gens qu'il chassait habituellement.
Il aurait suffisamment de route pour y réfléchir, et sortit à la suite de la petite, lui faisant un signe de la main.
-N'oublie pas ce que je t'ai donné petite Elia, et porte toi bien d'ici là
Il espérait un jour la revoir, peut être par curiosité ou par espoir... Mais à peine eut elle tournée au coin de la rue que son attention se replaça sur la chasse.
Une longue route l'attendait, et d'une manière ou d'une autre, il allait falloir trouver un moyen de quitter la ville.
Ne restait qu'à aller au premier endroit possible pour cela: la guilde des aventuriers
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