Enlevé ? Séquestré ? Torturé ? Autant physiquement que mentalement. Forcé à faire des choses ? Quand on fait une grande enjambée dans l’horreur, on s’imagine déjà tous les pires envisageables. Tous ceux qui sont trop honteux pour en parler. Ceux qui mettent des années, voire des décennies à franchir la frontière du témoignage. Je la dévisage avec une compassion dont j’ignorais l’existence ces dernières semaines, moi qui n’en avais aucune pour moi-même. La certitude se fait. Elle est brisée. D’un point de vue physique, ça saute aux yeux. Dans son comportement, c’est la psychologie qui en a pris un sacré coup. Et même si je suis pas psychiatre et que le prochain que je croise sera dans six mois, je sais bien que c’est là que les blessures sont les plus longues guérir, surtout quand on laisse le temps faire son effet. Contrairement au physique, ça ne fait qu’empirer. Seul, on ne remonte pas. Je l’ai bien appris.
Le comble, c’est qu’elle s’intéresse à moi et à ma pitoyable vie alors qu’elle est déjà au bord de la rupture. Je ne lui réponds pas avec des mots, je lui réponds avec des gestes. Alors qu’elle lâche son verre dans lequel elle a bu une gorgée tremblotante, je lui agrippe la main. Sa faible main tremblante dans ma main ferme. La chaleur de mon corps contre ces doigts glacés. Ces petites mains dans mes massives paumes.
Elle sursaute et lâche un petit cri de surprise.
Lentement, je lui frotte les doigts avec mes pouces. Une marque de douceur et de chaleur. Nos regards se croisent. Le sien est voilé par ce qu’elle ne cesse de revoir. De ressentir. Le mien se veut le plus chaleureux possible de ce que je peux fournir en ce moment. Quel gâchis. Je me fais une promesse. Si un jour je trouve ceux qui ont fait ça. Je leur ferais payer. Qu’importe la façon. Même si elle est sale. Une promesse qu’on prend à la légère et qui me poursuivra longtemps surement. On ne peut pas vraiment dire qu’on se connaît, mais en cette période troublé de ma vie, elle a été là. On ne lui enlèvera pas l’effet, même minime, qu’elle a pu avoir sur moi pour me faire redresser la barre, si j’ose dire. Il n’y a pas beaucoup de gens entrant dans cette catégorie. Franchement, elle n’est que gentillesse. Pourquoi lui faire ça ? Non. Aucune pitié. Et le destin me mettra un jour sur leur chemin, j’en suis certain. Et on verra si Whiskeyjack Callahan est un homme de parole ou s’il ne vaut pas mieux que les enfoirés qui l’ont mi dans cet état.
Peut-être bien que cela fait deux minutes que ça dure ainsi. Ça parle. Ça s’amuse autour. On reste silencieux, parce qu’il n’y a pas de mots à mettre là-dessus. Elle tomberait en morceau si on ne la soutient pas. Et je vais la soutenir. Je m’approche doucement, centimètres par centimètres, sans perdre le contact de son regard. Plusieurs fois, elle tressaille et il y a comme un mouvement de répulsion. Je lâche pas la prise, mais je m’arrête d’avancer. Comme avec un animal. Instaurer un climat de confiance. Jusqu’à être vraiment à ses côtés. Je passe un bras sur ses épaules. Elle tremble. La dernière fois, j’ai fait le même geste. Mais pas méprise. Il n’y a pas le même but. Elle se sent menacé de partout, je lui offre ce cocon dans lequel elle pourrait se reposer. Se détendre. Pose-toi, Nema. Tu n’as pas plus à t’inquiéter.
Elle continua de baisser la tête perdue dans le verre et dans un limbe de pensée néfaste. Elle pourrait, mais n’avait pas la force d’avouer en détail ses sévices. Elle ne pensait même pas y arriver un jour. Même si cela aurait pu être pire, cela l’avait marqué. Peut être en mal certes, mais si elle arrivait à passer cette étape de malheur. Sa main était posée sur la table, ses ongles n’était plus aussi bien entretenus. Quelques morceaux avaient été tiré par le rongement nerveux, un moment de folie. Elle n’avait conscience de son environnement, n’écoutant plus rien. Un contact la fit lâcher un cri de surprise. Elle retourna un regard apeuré vers l’homme devant elle.
Elle tremblait, tel une feuille, elle ne comprenait pas trop. La marque de tendresse commença à lentement la faire se calmer. Le contact avec quelqu’un qu’elle appréciât, cela faisait tant de bien à son moral. Malgré les flashs qui lui lançait dans la tête, la féline soupira pour la première fois, marque d’un léger réconfort. Cela ne pourra jamais combler le vide, mais juste un temps, un moment, un instant.
Les minutes défilèrent et le sentiment d’être protégée revenait petit à petit. Elle se colle un peu plus à lui, elle cherchait une protection, un moyen de se compléter avec ce qui s’était brisé en elle. Elle se lova dans ses bras, plongeant son regard ayant perdu cette pointe de malice depuis cette terrible nuit. Nema s’en foutait des regards, elle finit par poser sa tête sur son épaule, avançant sa chaise. C’était un premier pas vers la rédemption et l’oubli. Elle ne pourrait jamais passer une croix dessus, mais peut être que cela ira mieux dans les jours à venir. Elle finit par serrer elle aussi ses bras, venant entre lacer ses doigts dans ceux de Jack. Elle souffla un bon et regarda le brun devant elle.
-Je peux dormir avec toi s’il te plait Jack, ta présence… me réconforte.
Une demande, même si petit à petit, elle avança sa tête. Sa main se fit de plus en plus ferme et elle se désintéressa un peu dans tout le monde autour. L’accolade finit par faire fin, mais elle continua de regarder Jack dans le blanc des yeux, frémissant un peu des lèvres. De légères larmes plurent sur son visage, elle n’était pas de tristesse, mais de joie de se savoir protéger. De savoir que quelqu'un sera là pour elle.
Et chaque geste, même insignifiant, éveille des souvenirs aussi brulants que des charbons ardents. La chaleur de son corps tremblant contre le mien. La sincérité des ses yeux. Son odeur. Une accolade qui ne ressemble en rien à ce qu’on a pu vivre la dernière fois. Ça me rappelle autre chose. Des souvenirs d’un temps dans les montagnes du nord, dans les draps d’une autre. Son visage me revient. Je le vois même là, à cette table non loin, me fixant de son regard de glace. M’observant. Me jugeant. A quoi se mesure la puissance des sentiments que l’on a pu avoir ? Peut-être à cette capacité autodestructrice consistant à se dire que rien ne peut les remplacer pendant un temps dont on ne connaît pas la fin. C’est mon cas. Couché n’est pas trahir. Ressentir oui. Et même si ça pourrait être plus simple comme ça, ça n’en est pas plus facile.
-Va pour cette nuit. Je t’emmène.
J’ai dit qu’il pleuvait ? Il pleut. Quel enfer. Je romps temporairement l’étreinte. Je remonte la large cape de Nema sur elle histoire qu’elle ne prenne pas froid. Les béquilles, ça va être chiant, alors, je fais signe à un serveur de venir. Je lui dis de les ramener à mon adresse contre quelques cristaux qui couvriront ses frais plus une petite commission. Il embarque le trop plein et je soulève Nema dans mes bras puissants. Je vous ai dit que j’avais fait de la salle ? Probablement. Recroquevillée contre moi, elle semble encore plus fragile. Dans mes souvenirs, elle me semblait plus lourde. Quand on traverse ce genre d’épreuves, on pense pas nécessairement à avoir une saine alimentation. Sans forcément qu’elle soit saine, hein. Je la transporte du coup, avec toute la douceur dont je peux faire preuve. On nous mire, mais je m’en tamponne. Dehors, il pleut toujours. Averse. Une serveuse en pause m’aide à héler un carrosse de transport et je monte à bord en évitant de cogner Nema contre un bout. Ça serait mauvais genre. Je donne l’adresse. On part. Je la garde contre moi. On se tait. Chacun avec ses pensées. Les miennes ? Un peu de tout. Une bonne action. Ça l’aidera. Pour trouver comment s’aider. Il est vain de croire que je peux être celui qui guérit quand on n’arrive pas à se guérir soi-même.
Qu’est ce qui nous attend ? Pas grand-chose. Un lit douillet. Du repos. La chaleur humaine. Et probablement des promesses. Quand on aura fait le deuil de ce qu’on a traversé. Chacun à sa manière. On ne sait pas de quoi est faite la vie. Si je vous disais que je vais devenir conseiller dans six mois, vous y auriez cru ?
Non, surement pas. Et vous auriez raison.
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