en toute discrétion
La première était une jeune femme qu'il avait croisé à quelques reprises. C'était une des connaissances du jeune homme qui l'avait présenté : Zahria Ahlysh. Elle était la petite protégé de Hershel Nilsen, une importante tête d'une organisation dont on taira le nom. Lorsqu'Ash les avait rejoint, il aura fallu quelques temps avant qu'il rencontre le Parleur de l'Amarante et lorsque cela avait été le cas, l'homme lui avait fait grande impression. C'était un homme d'age mur à la prestance égale à son charisme.
Ash ne connaissait pas encore personnellement la demoiselle qu'il allait accueillir dans son antre mais éprouvait déjà un certain respect pour celle qui avait pu attirer l'attention d'un tel homme, même s'il ne connaissait pas leur histoire.
Le second invité à l'insomnie en cette heure si prématurée était la raison principal de cette réunion. C'était un homme d'une quarantaine d’année nommé Ërdor Orslan, enchanteur de métier. Il travaillait en ce moment sur une encre ou une magie permettant de rendre invisible des pigments selon la volonté de l'utilisateur. Ash n'était pas assez rodé en matière d'enchantement pour en comprendre le fonctionnement... Dans tous les cas, ses recherches avaient portés ses fruits et l'information était arrivé aux oreilles du cabaleux. Le jeune homme connaissait déjà le citoyen depuis une paire d'année pour l'avoir croisé plus d'une fois dans son établissement et c'est grâce à cette relation que l'organisation l'avait missionné pour obtenir l'exclusivité sur ce nouvel enchantement.
Le propriétaire de l'insomnie attendait donc l'arrivée de ses deux invités de marque...
Cela ne fait que quelques semaines que j'ai tout plaqué pour rejoindre mon père, dans ce tumulte d'émotions et de questionnements qui m'ont mené jusqu'ici, entre menaces professées envers ma famille de coeur et curiosité malsaine de savoir ce qui se passe de l'autre côté du voile, et il m'a gardée auprès de lui comme un précieux trésor. Je ne sais pas vraiment à quel point cet homme est capable de faire preuve d'amour paternel, je me doute qu'il veut seulement les informations auxquelles j'ai accès via mon poste de maître-espion, et ça a dû bien le scier que je coupe les ponts avec ce monde quand je suis arrivée, je me doute qu'il aurait préféré que je reste là-bas et je fasse double-jeu. Résultat des comptes, j'ai l'impression de vivre dans une prison dorée, dont je ne sors jamais sans lui, comme s'il avait peur que son coffre-fort d'informations confidentielles disparaisse.
C'est donc un soulagement pour moi, que cette mission qu'il vient de me donner. Je n'ai pas encore mon tatouage, et je ne fais donc pas encore officiellement partie de la Cabale, et s'il voulait me faire rentrer il était obligé de passer par une épreuve, de toutes façons. Et comme je refuse de lui lâcher le Savoir des Anciens, prétextant que je n'ai pas pu l'emporter avec moi, qui me vaudrait cette porte d'entrée sacrée, il a été obligé par ses pairs de me trouver un truc à faire. Qui plus est, du peu que j'en sais, c'est parfait.
On m'envoie négocier avec d'Ash Soven, que j'ai croisé quelques fois, un magnifique propriétaire de cabaret, auprès d'un enchanteur qui détient le secret d'une formule permettant de rendre invisibles les tatouages. La Cabale veut s'assurer qu'elle a l'exclusivité sur cet enchantement, afin de le garder secret, ce qui est tout à fait logique. En tant que future Cabaleuse, mon rôle est d'obtenir cette exclusivité, évidemment, et un contrat juteux pour la guilde noire. En tant que maître-espion, mon rôle est d'obtenir un maximum d'informations, évidemment, pour m'assurer que les Cabaleux ne seront pas impossibles à arrêter à l'avenir. Le tout sans me faire choper. Magnifique.
Quand j'entre dans l'Insomnie, je ne peux m'empêcher de voir mon reflet dans le miroir, et j'ai du mal à me reconnaître, comme si j'avais avalé une potion de changement, mais non, c'est bien moi. Mes cheveux auparavant longs et désordonnés ont été coupés dans un carré court à mon entrée dans la Cabale, plus facile à entretenir. Les pointes que j'ai voulu rouge sang pour ne pas oublier mon objectif et ma motivation - éviter à tout prix que le drame de la mort de Ruth se reproduise - contrastent avec ma peau noire et mes yeux brillants, et je porte une robe de soirée en soie, bleu nuit, ouverte sur le côté pour laisser apparaître mes jambes.
Le cabaret est encore fermé, mais l'ambiance est déjà chargée d'odeurs et de bruits qui annoncent la soirée à venir. On dirait presque que l'on a craqué une fumerolle dans ce hall enfumé, ce qui donne à l'endroit un aspect sensuel et mystérieux. Le genre où j'aimais beaucoup me rendre autrement que pour du travail, avant toute cette histoire. J'aperçois les yeux bleus éclatants de mon hôte, et me dirige vers lui, féline dans cette robe qui dessine parfaitement mes courbes, pour lui tendre ma main dans un demi-sourire en coin.
Alors que nous nous saluons, la porte s'ouvre à nouveau, et voilà notre enchanteur, dans une tenue beaucoup plus ordinaire que la nôtre, qui fait son entrée. Je garde mon sourire en me glissant aux côtés d'Ash, posant une main discrète sur son bras quand il fait les présentations. L'enchanteur me fait un baise-main plutôt banal, puis nous nous tournons tous deux vers le maître de soirée. Assurément, il doit avoir prévu bien mieux que le hall de son cabaret pour accueillir notre conversation secrète...
en toute discrétion
- Bonjour mademoiselle Ahlysh, vous êtes tout en élégance aujourd’hui
Au même moment, les portes du cabaret s'ouvrent à nouveau pour laisser entrer une tête familière. Le deuxième invité de l’après-midi, habillé sobrement d’une tenue grise, il avait encore une fois sa sacoche remplie d’objets en tout genre, aspicass, pierre de feu, calicatif, lunette magique, cristal de massage et on en passe…
- Bonjour monsieur Orslan, comment vous portez-vous depuis le temps ?
- Bonjour Ash, très bien merci. Mademoiselle.
- Mademoiselle Zahria Ahlysh, qui a été invité pour les négociations
Il s’inclina poliment devant la gente féminine de la réunion, lui faisant un baise-main tandis que cette dernière glissa son bras à celui du propriétaire des lieux. Une fois les présentations terminées, ne perdant pas son aplomb, Ash indiqua d’une main le couloir sur la droite, longeant la grande salle :
- Très bien, maintenant que nous sommes tous au complet, ne restons pas là. Suivez moi je vous prie.
Il s’engagea en compagnie de Zahria dans le couloir qu’il a indiqué, un virage à gauche et une porte plus loin jusqu’aux escaliers menant à l’étage. Il aurait pu les accueillir dans les bureaux du rez-de-chaussée mais elles étaient moins discrètes et avec le passage régulier des employés et artistes, il y avait toujours des oreilles indiscrètes. L’étage en revanche était beaucoup plus limité et beaucoup plus calme, les activités ne commenceraient pas avant une ou deux heures du matin, ils avaient pas mal de temps devant eux. Montant les escaliers, ils arrivèrent à une petite salle d’attente à la lumière tamisée et aux tentures rouges. Sur la droite, un petit bar encore vide à cette heure :
- Avant que l’on ne parle affaire, puis-je vous proposer un verre ? Discuter va donner soif et je ne voudrais pas que mes invités aient la gorge sèche.
- Oh, je prendrais bien un petit whiskey
- Parfait, et vous mademoiselle Ahlysh ?
Mettant en pratique sa proposition, il décrocha la demoiselle de son bras pour se glisser derrière le bar, prêt à répondre aux commandes de ses deux invités, servant deux verres de whiskey et préparant celui de la jeune femme également. Il les posa sur le comptoire afin que ses deux invités puissent le récupérer et le contourna pour les rejoindre :
- Très bien, par ici s’il vous plaît
Passant la porte du fond de la salle menant à des bureaux, il ouvrit la première porte sur une petite salle confortablement équipée : quatre fauteuils installés face à face autour d’une table basse. Une moquette rouge atténuant les bruits de pas, des rideaux opaques aux fenêtres tamisant la lumière de l’extérieur et une bibliothèque, purement décorative, sur le fond de la pièce :
- Installez vous je vous prie.
Je prends place sur l'un des fauteuils, ma coupe à la main, féline comme une panthère en chasse. En temps normal, avec des amis, j'aurais probablement pris une bière, un rhum, ou un whiskey comme les deux hommes, que j'aurais avalé à grands éclats de rire. Mais l'ambiance ce soir est plus raffinée, et je suis censée laisser sortir toute cette féminité dont je n'abuse en général pas. C'est un cocktail pétillant et d'un rouge profond comme un ibis que m'a donc servi Ash, le genre de choses que boivent les dames dans les soirées guindées. Espionne, Scribe, mon combat est le même: je me dois de rentrer dans n'importe quel rôle qui me soit assigné. Je suis un caméléon. Enfin... j'essaye.
L'endroit est idéal pour ce genre d'entrevue. L'ambiance est calme, tamisée, l'odeur est douce, ni trop accentuée ni imperceptible, le salon est confortable. Et surtout, on peut parler en toute transparence. Pourtant, on passe quelques longues minutes à parler de la pluie et du beau temps, des dernières rumeurs, du goût exquis de la décoration et de l'alcool, et je sens notre invité pas très à l'aise avec ces banalités. Je souris alors en posant ma main doucement sur son bras.
« Pourquoi ne rentrions-nous pas dans le vif du sujet ? Monsieur Orslan, si votre compagnie nous est tout à fait agréable, nous ne voudrions pas ennuyer et faire perdre du temps à un inventeur prolifique comme vous.
- Cela ne vous avancera pas outre mesure de me brosser dans le sens du poil comme vous le faites... mais continuez, c'est agréable. »
Je souris de plus belle. Il a l'esprit aiguisé d'un aigle, et si l'on doit jouer à la souris et au chat, je ne suis pas certaine que je me retrouve en position de force. Heureusement, je ne suis pas seule, et Ash le connaît un peu mieux que moi. Il saura corriger mes erreurs, avec son regard de lynx, je n'en doute pas.
« Nous appartenons à une organisation qui aimerait beaucoup conclure un contrat avec vous, monsieur, au sujet de l'une de vos inventions en particulier.
- Je me doutais, mais je ne sais pas encore laquelle ? Serait-ce mes fontaines à paillettes ? Je dois vous avertir, j'ai déjà reçu une commande de plusieurs nobles qui veulent les installer dans leurs jardins - il paraitrait qu'ils soient du meilleur ton avec quelques canards et cygnes dans un étang -, je ne peux pas vous faire l'exclusivité dessus. Ou alors vous parlez de mes paravents invisibles ? Ils font un carnage dans les lieux de passe, mais je doute que ce soit l'ambiance de cet endroit, vous êtes plus raffiné que ça, monsieur Soven. »
Il m'amuse. Il sait parfaitement pourquoi il est là, mais nous fait tourner en rond, comme des poulains dans un manège. Mais nous nous devons de garder son rythme et danser sa danse, on le laisse donc continuer un moment alors qu'il nous énumère toutes les inventions loufoques qu'il est allé trouver dans les fins fonds de son esprit ces dernières années.
« ... et enfin, évidemment, ma toute dernière, dont presque personne n'a encore entendu parler, l'enchantement d'invisibilité pour les tatouages ! »
On échange un regard, avec Ash, ce qui ne manque pas d'échapper à notre inventeur alors qu'il sirote son whiskey. Je hoche la tête, laissant la priorité aux propriétaires des lieux pour entamer la négociation, maintenant que nous savons tous de quoi nous allons parler, même le doute n'était pas permis depuis le début. C'est ainsi que débute notre partie d'échecs.
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