Les ruines des corbeaux

Lorsque Ramar entra dans la nacelle avec Valravn, il ne fut pas surpris d’y trouver déjà pléthore de personnes déjà arrivées. Des gardes, à n’en pas douter vu les équipements. Des aventuriers, à n’en pas douter non plus vu leur équipement aussi. D’autres devaient sans doute être des citoyens courageux, se dit-il. Mais en se tournant vers son jeune compagnon pour lui en faire la remarque, il remarqua sa mine lugubre. Il comprit aussitôt ce qu’il allait en être.

Espoir, son familier, sembla aussi avoir compris et même faire le premier pas à sa place. Il quitta doucement les épaules du vagabond pour venir se frotter à Chimère, l’écharpe blanche du jeune aventurier. Il lui fit une petite léchouille, attendrissant fortement l’objet au vu du son qu’elle émit dans l’esprit du jeune homme, avant de retourner sur les épaules de son maître. Ce dernier semblait accablé.

Ce n’est rien, personne ne t’en tiendra rigueur, encore moins moi. Prends soin de toi, Valravn.

Il lui sourit et lui agrippa l’épaule pour l’accompagner dans sa démarche et sa descente de la nacelle. Il lui fit un signe de la tête entendu pour lui souhaiter bonne chance. Il ne doutait pas que ce jeune homme s’en sortirait ailleurs, autrement, mais il était évident désormais que cette mission n’était plus pour lui.

*C’est un gentil garçon, je suis triste pour lui…*

Ramar sourit en reprenant sa place. Elle avait raison, mais il n’y avait aucune raison d’être triste pour lui. Il se sauvait certainement la vie, en partant maintenant, plutôt qu’en désespérant potentiellement sur place. Mais l’aventurier n’eut pas le cœur à répondre ainsi à son amie.


Il attendit encore quelques minutes avant que ses deux compères aventuriers n’arrivent aussi. Le départ fut très rapidement donné alors, il n’eut pas le loisir de les prévenir qu’on leur distribuait un petit sac. Il garda donc le silence, sentant une tension monter dans le ballon tandis qu’un garde leur donnait des informations précieuses, bien que maigres.
Des ruines inexplorées avec une première escouade qui ne donne plus signe de vie. Un environnement inconnu, probablement hostile. Des bêtes en tout cas assez dangereuses. La mission : rapporter des informations.

Une chose apparaissait clairement à Ramar : si ruines il y avait, des êtres doués d’une certaine intelligence y avaient probablement vécu ou y vivaient encore. Devait-il concentrer ses efforts sur la recherche d’une civilisation quelconque, ou sur ce qu’il était advenu de la première escouade, ou encore d’affronter tous les dangers pour les répertorier ? Certainement un peu des trois.

*C’est superbe… Prépare-toi, Ramar.*

Le jeune homme regarda le paysage et, comme Chimère, en fut stupéfait. Jamais il n’avait vu d’étendue de sable aussi gigantesque et magnifique. Il en aurait été subjugué si l’écharpe n’avait pas marqué son impatience de le voir obéir à son conseil en lui titillant sans retenue la tempe.

Oui, c’est bon. chuchota-t-il, doucement agacé.

Il fit l’inventaire de ce qu’il avait reçu et prit avec lui. La pierre de rappel lui était exclue, il risquerait alors de perdre tous ses amis, et il se le refusait. Lorsqu’il la prit dans sa main, il sentit Chimère tressaillir sur ses épaules mais…

*Garde-la, Ramar... C’est grâce à toi que nous pouvons être conscients de nous-mêmes... Si tu meurs… Tu ne nous sauveras pas non plus.*

Ramar frissonna alors même que la température ne faisait que grimper, mais l’émotion qui le gagnait était plus importante. Il regarda à nouveau autour de lui, et fut surpris de voir une jeune femme laisser tomber sa propre pierre de rappel sans non plus en paraître paniquée ou perdue. Il sourit, incrédule mais résigné, en plaçant la petite caillasse dans une poche intérieure de sa tunique. Il rangea aussi l’antidote, la fusée de détresse et la potion de soin à l’abri dans sa ceinture. Il ouvrit sa besace qui fit alors un étrange bruit de plaisir, lui arrachant un sourire.

Ses objets étaient toujours les mêmes, quelle que soit la situation. C’était probablement la raison pour laquelle il réussissait à rester serein en toutes circonstances. Ses amis l’accompagnaient toujours et restaient fidèles à leur personnalité, il ne pouvait en être autrement pour lui aussi alors !

Il retira du sac quelques petits objets : il rangea deux petits silex qui en profitèrent pour se chamailler gentiment dans une poche de son pantalon ainsi qu’une bonne grosse poignée de fruits secs dans l’autre poche. Il plaça de la viande séchée dans une poche intérieure : il ne savait pas combien de temps cela durerait encore, mais il voulait pouvoir se rassasier en cas de besoin. Il fouilla encore dans la besace, au grand bonheur de cette dernière, et en retira sa corde, entraînant son livre avec. Il le rattrapa juste à temps, mais le mal était fait.

*Hola impertinent ! Il n’est pas l’heure de lire ni de me jeter par-dessus bord !*

Non, non, je te range tout de suite…

Il hésita un instant puis remit le livre « La Voyageuse Insatisfaite » dans la besace. Il entreprit ensuite de bien attacher la corde en travers de son plastron. Elle n’était pas forcément longue ni très épaisse, aussi il fit en sorte de bien s’en servir pour maintenir ses poches en place sans que ça ne gêne ses mouvements ni ses armes, tandis qu’elle riait, comme chatouillée de toute part. Son plastron, lui, n’en fut pas très content, mais bon, ce serait peut-être nécessaire. Il finit enfin par accrocher la gourde offerte à sa ceinture aussi et laissa tout le reste dans sa besace qui cessa enfin ses gémissements inappropriés.

*Hé hé, voilà ! Préparé pour l’aventure et trancher des têtes !*

Ramar ne put s’empêcher de rire doucement à l’enthousiasme de Diolime, son épée. Mais il se retint aussitôt de continuer. Vu la tension qui régnait dans la nacelle, c’était peut-être malvenu… Le ballon arrivait, le garde avait terminé ses explications. Devant eux, trois monumentales constructions pyramidales trônaient comme des traces impériales pour rappeler aux petits êtres leur condition de mortel.

Ces pyramides ne pouvaient avoir été construites que par des géants tant leurs dimensions étaient à couper le souffle. Ramar descendit de la nacelle avec les autres mais ne s’aperçut qu’à peine de la chaleur du lieu et de la question que Kell avait posée au garde. Ses chaussures sifflèrent légèrement pour le réveiller de sa torpeur. Elles avaient chaud, il fallait qu’il bouge.

Il prit la gourde fontaine et versa un peu d’eau sur ses chaussures pour les soulager, en étalant le liquide. Il s’en mit aussi un peu dans les cheveux et sur la nuque, tandis que Chimère se déplaça d’elle-même pour en recueillir un peu et se placer comme elle ne l’avait jamais fait encore. Elle prit appui sur l’arrière de son plastron pour ne pas l’encombrer et ne laissa que suffisamment de longueur sur le jeune homme pour lui couvrir la nuque et la tête, à la manière d’un étrange couvre-chef pour le protéger de la forte lumière. Il la remercia d’une caresse puis but à son tour une gorgée avant de ranger la gourde. Il termina en ouvrant autant que possible sa tunique, pour laisser l’air circuler, et en remontant ses manches.

Il se tourna finalement vers ses compagnons et il lui sembla que Leina avait un certain caractère à ne pas négliger. Ses avertissements étaient clairs mais surtout évidents. Il lui apparaissait comme étant une logique de base de faire preuve de la plus grande prudence. Bon, de toute façon, avec son pouvoir, il demandait toujours avant de toucher dans de telles situations, ça lui apportait souvent plus d’informations que la plupart des autres aventuriers… Aussi ne répondit-il pas, ne sachant pas trop comment le faire sans ajouter à sa mauvaise humeur apparente.

*Elle a un sacré caractère, la petite… Je l’aime bien !* commenta Nolune, l’autre épée de Ramar, le faisant sourire.

Sans les attendre, elle prit alors la direction des ruines. Ramar jeta un regard interrogateur à Kell, puis se lança à sa suite pour la rattraper, probablement suivi du jeune aventurier enveloppé dans son tissu probablement magique. Arrivé au niveau de la jeune femme, il fit attention aux alentours. Il savait que ses objets étaient déjà tous aux alertes, ils avaient l’habitude. Grâce à eux, il était souvent le premier au courant lorsqu’un danger apparaissait, mais ça ne l’empêchait pas d’être vigilant lui-même.

Afin de se préparer au mieux, il compléta tout ce qui n’avait pas encore été dit, brièvement.

Leina, tu as raison. Valravn a abandonné avant de partir, mais nous sommes trois aventuriers. Mon pouvoir est de parler avec les objets. Vous aurez peut-être vu que Chimère, mon écharpe, peut même bouger un peu. Je ne suis pas du genre donc à toucher à n’importe quoi sans leur parler. Il jeta un regard à Kell. Je peux vous prévenir de tout ce que les objets me disent, si vous me faites confiance. Mais dans cette mission, on ne sait pas à quoi nous attendre. Pouvons-nous nous faire confiance dès maintenant et passer à l’étape suivante ?

Il ne voulait pas paraître pressant ou abrupt, aussi montra-t-il son visage le plus franc et aimable, mais il visait l’efficacité du groupe. Il leur avait dit l’essentiel sur son pouvoir, il espérait, implicitement dit d’ailleurs, qu’ils en feraient de même. Il compléta ensuite avec tout ce qu’il avait pu déduire pour la suite, sur un ton plus grave.

Ces… monuments pourraient bien abriter une civilisation de géants comme des créatures gigantesques, toujours est-il que la première escouade est soit perdue soit tombée aux mains de ceux qui vivent ici. Tout élément peut m’être utile pour comprendre au mieux ce qu’il y a ici et ce qu’il s’est passé. Et à ce que je sais, le danger peut autant venir de ces ruines que des entrailles de cet océan de sable. Plus vite on aura atteint une quelconque structure dure, plus vite on sera fixé. Et si ça peut nous abriter, je crois qu’on ne va pas cracher dessus…

Il jeta à nouveau un regard aux alentours pour mettre en œuvre son propre conseil, malgré la présence de ses amis qui en faisaient autant en permanence : il savait que joindre le geste à la parole faisait toujours meilleur effet que le contraire. Il continuait à marcher avec eux, vigilant, attentif au moindre signal dans son esprit, attendant leur réponse. Peut-être avaient-ils plus d’informations ou de conseils, tout était bon à prendre pour leur propre sécurité. Cependant, gentiment, comme pour le rassurer, Chimère lui caressa le côté du crâne, à quoi il répondit par un sourire. Le message était passé.