- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
2e lune de la saison douce de l'an 1001

Evelyn revenait d’un aller-retour entre le Village Perché et la Capitale; plus précisément, d’une taverne aux alentours de la Capitale - car il faut bien varier les endroits de beuverie. Boire en compagnie d’inconnus, aux mains parfois baladeuses, à l’humour quelque fois douteux, et chanter à tue-tête avec ses mêmes inconnus des chansons dont on ignore les paroles, tout cela étaient réellement toujours amusant. Cependant, ce n’était pas nouveau. C’était presque routinier. Ce matin-là, en se réveillant dans sa demeure au Village Perché, la chasseuse pensa que la forêt était bien grande, et qu’évidemment elle n’en avait arpenté qu’un faible pourcentage. Et elle pensa qu’elle irait s’aventurer dans l’inconnu, qu’elle irait plonger dans l’inexploré, dans l’insoupçonné.

Les dangers de la chasse étaient toujours imprévisibles, mais Evelyn avait déjà, par le passé, affronté quelques animaux et créatures de la forêt avides de son sang, et elle se savait prête à affronter ce qui croiserait sa route. Une route nouvelle. Elle prendrait le chemin de gauche, au lieu de celui de droite. Puis, elle irait peut-être chasser en montagne, elle irait peut-être pêcher au grand lac.

Rapidement, elle mangea un petit déjeuner. Elle n’avait aucune raison de s’attarder dans sa maison vide et elle se sentait bien seule, dernièrement, sans sa compagne à ses côtés. …Parlant de sa compagne, Evelyn préférait éviter de s’inquiéter inutilement de son absence prolongée – Sofia était sûrement en parfaite santé, toute heureuse, et peut-être même en train de boire en compagnie d'amis aventuriers, à sa guilde. …Sauf qu’imaginer Sofia en train de s’amuser avec d’autres aventuriers, après plus d’un mois d’absence, n’était pas des images réellement réjouissantes pour Evelyn.

Quoi qu’il en soit, la chasseuse quitta sa demeure et emprunta les ponts suspendus en direction du monte-charge, équipée pour une sortie de chasse, son carquois et son arc à sa hanche droite. Non loin du monte-charge, elle accosta un compagnon de beuverie qui passait dans le coin. Evelyn l'aborda, car elle avait une interrogation concernant sa dague, qui affichait une double courbure inquiétante depuis sa dernière utilisation, la veille. Et rapidement, Evelyn ne sut pas comment, sa dague devint le centre d’une petite discussion.

Un premier homme fit des commentaires totalement inutiles; un deuxième homme lui dit que la dague pouvait être réparée; un troisième homme lui dit plutôt d’en acheter une autre et que, ça tombait bien, puisqu’il en vendait; un quatrième homme au sourire charmeur était prêt à lui faire la faveur de lui racheter sa dague. Evelyn ne répondit rien au premier homme, douta que l'arme put être réparée de façon efficace, ne désirait pas acheter une dague bon marché et ne voulait pas la charité! Elle congédia sommairement l’attroupement et décida de reporter le problème à plus tard; sa longue dague de combat pouvait encore lui servir. Elle s’avança et prit place sur le monte-charge, direction le plancher des vaches.

- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
2e lune de la saison douce de l'an 1001

La chasseuse avançait de son habituel pas léger, à grande foulée. La journée était douce, s’annonçait clémente; mais la chasseuse avait également conscience que la météo pouvait être capricieuse. Derrière elle, des bruits captèrent rapidement son attention. Les oiseaux se turent à l’arrivée d’un homme, et la voix de ce dernier s’éleva pour briser le silence :

-Visiblement, nous allons au même endroit mademoiselle, allez vous, vous aussi en direction du terrain de chasse ?

- Je vais là où mes pas me mènent, éluda-t-elle. Elle préférait ne pas s’encombrer d’un compagnon de route bruyant. Même après toutes ses années, la chasseuse n’avait su trouver le compagnon de chasse idéale; elle doutait fortement que ce soit cet homme-là derrière elle.

Toutefois, l’inconnu semblait décider à emprunter le même chemin qu’elle. Ainsi, après plusieurs mètres avec la présence insistante de l’homme, Evelyn s’immobilisa et se retourna pour lui faire face. Elle l’examina sans gêne, passant rapidement son regard de haut en bas, puis de bas en haut, et encra ses yeux bruns dans les yeux bleus de son interlocuteur. Elle avait une expression faciale un peu sévère, c’était son air naturel; un sourire pouvait vite détendre ses traits; elle n’avait pas de raison de sourire pour l’instant. Après avoir détaillé l’homme, Evelyn arriva à une conclusion rapide et lui dit simplement :

- Visiblement, nous ne devrions pas aller au même endroit. C’est pas une balade de plaisance.

Evelyn quant à elle portait son carquois et son arc court à sa hanche droite, une dague endommagée dans un fourreau à sa hanche gauche ainsi qu’une gourde, son sac à dos usé sur les épaules avec tout le nécessaire pour une petite sortie. Elle portait une veste en peau d’animal, ses bras était découverts, laissant voir une protection de cuir à son avant-bras gauche, lequel servait aussi de rangement pour trois couteaux de lancer, elle avait des lunettes qui pendaient à son cou et elle portait des gants, ce qui était toujours idéal lorsque l’on tirait à l’arc.

- C’est un grand arc, dit-elle en désignant de la tête l’arc qui dépassait du dos de l’homme. - V’savez ce qu’on dit? C’pas la taille qui compte, mais comment on s’en sert. Alors, vous savez l’utiliser?

Bien sûr qu’elle jugeait l’inconnu : aucune arme tranchante visible, un équipement qui semblait avoir été acheté spécialement pour la journée, un arc trop grand pour la carrure de l’homme; avait-il seulement la force d'en tirer la corde?

- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
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L’on pouvait se préparer à affronter la mort. Mentalement, pour éviter d’être tétanisé devant elle. Physiquement, pour éviter qu’elle nous surprenne démunit. - Il faut savoir choisir ses combats. L’homme n’avait pas l’allure d’un chasseur. Elle jugeait qu’il devait être davantage à sa place dans quelques soirées mondaines, un verre à la main; elle savait que c’était un jugement facile et rapide, qu’elle ne devait pas le juger à son allure, ni au mauvais agencement de son équipement.

Le plus important était de savoir si l’homme savait se servir de son équipement. Difficilement, lui répondit-il. Apprenait-on à se servir d’une arme en tirant sur des cibles de pailles? Eh bien, oui. Il fallait commencer quelque part. On apprenait à marcher avant d’apprendre à courir. On tirait sur des mannequins de pailles avant de tirer sur quelque chose de vivant, et on tirait pour tuer, afin de sauver sa propre vie ou pour éviter la souffrance d’un animal.

- Rien ne vaut l’expérience de terrain, lui concéda toutefois Evelyn. C’était vrai, quand ledit terrain ne nous tuait pas, pour nous punir de notre inexpérience.
- Le bois ne rend pas les coups, pas plus qu'il nous enseigne la moindre leçon de valeur.
- Pas plus qu’il n’enseigne à se déplacer avec discrétion, commenta-t-elle d’un ton léger. Si l’homme désirait chasser, il allait devoir travailler sur ce point.

L’étranger s’inclina de façon inutile et exagéré; on n’était pas à la cour ici. Se relevant sous le poids de son attirail, il se présenta :

-Liory, pour vous servir madame.

C’était une formule de politesse, mais peut-être fallait-il prendre ces mots à la lettre et accepter que Liory serve Evelyn. La chasseuse pourrait accepter sa présence et lui faire transporter son sac.

- Evelyn, dit-elle dans un simple hochement de tête.

La chasseuse laissa l’homme l’observer à sa guise. Elle était fière de son équipement; son arc était efficace, ses couteaux de lancer parfaitement équilibrés, sa dague glissé dans un fourreau était… abîmée, n’en parlons pas… son sac était usé mais solide, et Evelyn ne s’encombrait pas de superflu; que le strict nécessaire (comme un thermos contenant du vin chaud, un must have).

La taille, plaidait l’homme, compensait pour son manque de précision. À cette formulation, un léger sourire vint détendre les traits d’Evelyn.

- Montrez-moi comment vous le maniez. Elle pointa derrière elle sans se retourner. - L’arbre qui penche sur le sentier à vingt mètres derrière moi. Atteignez la cible et vous pourrez aller dans la même direction que moi. Autrement, aussi charmant puissiez-vous être, vous ne m’êtes d’aucune utilité.

C’était assez direct, mais ainsi était Evelyn : elle n’aimait pas passer par quatre chemins.

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n’entre pas dans la forêt. -
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Evelyn ne perdait pas de temps, non. …Déjà que là, elle en perdait suffisamment juste à parler à Liory. Il fallait déterminer sur le champ si l’homme savait tirer une flèche, avant de lui accorder d’avantage d’attention. De l’avis d’Evelyn, son arc était ridiculement gros et les flèches allaient de pair. Quel style de gibier désirait chasser l’homme? Un gros monstre, de toute évidence… ou bien il souhaitait empaler deux hommes en même temps avec la même flèche.

-Si par vous être d'une quelconque utilité, vous parler de chasser avec vous, alors je pense que je vais m'appliquer.

Evelyn resta de marbre; fallait pas aller trop vite en besogne non plus. Par ‘être d’une quelconque utilité’, Evelyn voulait surtout dire ‘ne pas lui nuire’ et ‘réagir en cas d’agression d’animaux dangereux’.

La chasseuse se décala de quelques pieds et regarda l’homme se mettre en position de tir. Que la position soit parfaite ou ne le soit pas, Evelyn s’y intéressa peu. Elle regarda le lourd projectile fendre l’air et ne pas s’arrêter en percutant l’arbre, mais plutôt passer au travers du tronc, laissant un trou béant derrière lui. …Clairement, ce n’était pas un arc pro-nature.

Evelyn croisa les bras et posa son regard sur Liory, pour apercevoir son sourire; apparemment, il était satisfait. Y’avait pas de quoi sourire, cependant, vu l’état du pauvre arbre. Mais il avait atteint sa cible, elle était prête à lui concéder cette victoire; petite victoire : un tronc, c’était quand même une grosse cible.

-Cette petite démonstration m'assure t'elle une place à vos côté ?

Une place à ses côtés… C’était discutable. Elle pouvait accepter sa présence, oui. Elle ne comptait pas le chasser comme un malpropre. Il lui dit alors que tirer sur une cible inerte ne constituait pas un défi. C’était donc ce que Liory était venu chercher au Village Perché, un défi? Peut-être même un trophée à accrocher sur sa cheminée? La femme lui répondit ainsi :

- Comme vous dites, votre arc compense votre manque de précision. Avec son arc, Evelyn devait faire un tir précis pour tuer. Liory avec son arc géant pouvait certainement viser n’importe quelle partie d’un animal pour l’abattre d’un tir; Liory pouvait se permettre d’être moins précis. La chasseuse précisa toutefois : - Quand on veut tuer, pas quand on désire chasser. Quand on chasse, on vise le cœur, les poumons, on évite de perforer les intestins; on cherche à récupérer la viande et la peau. Il fallait éviter les intestins afin de prévenir la contamination de la viande.

Et en ce qui concernait le tir sur cible inerte, Evelyn ne put s’empêcher ce petit monologue :

- Quand on tir à l’arc, il faut connaître sa portée maximale. Se pratiquer en tirant sur une cible inerte permet de connaitre cette distance. Êtes-vous à l’aise à tirer sur une distance de vingt mètres? Pouvez-vous atteindre une cible de quinze centimètres à tous les coups à cette distance? En déterminant sa portée maximale en condition optimale, sur une cible inerte, on détermine à quelle distance on peut être à l’aise dans une situation de chasse en tenant compte des conditions environnementales.

Evelyn jugeait que l’homme, avec son équipement flambant neuf, acheté pour l’occasion, équipement qui n’avait clairement pas connu la chasse, désirait brûler des étapes. Aller chasser les gros monstres avant d’avoir attrapé son premier lièvre. Savoir tirer à l’arc et savoir chasser étaient deux choses différentes. Que désirait vraiment Liory? Chasser? Abattre une créature vivante? Accrocher une tête d’animal dans sa chambre? Ouais, c’était sûrement ça; pourquoi s’équiper d’un gros arc, sinon? Ce n’était pas chasser qu’il désirait, c’était tuer une grosse cible. Alors, Evelyn l’informa simplement :

- Je ne suis pas guide de chasse, Liory. Je n’amène pas les gens dans la forêt pour leur montrer les meilleurs territoires de Moloch. Je ne les aide pas à rapporter des bois de Fielon.

- Si tu ne peux affronter les loups,
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Liory la détrompa : il ne voulait pas de trophée et il était assez avisé pour comprendre que, sans expérience, il valait mieux ne pas partir en quête. Il s’était entraîné, disait-il, des semaines d’entraînement sur cible inerte. Il arracha un sourire à la chasseuse, lorsqu’il mentionna que « si un dragon de bois inerte venait à se présenter, je pense pouvoir le toucher sans grandes difficultées. » Ce à quoi la femme répondit, sur un ton sérieux, mais pour plaisanter : - Ah c’est une bonne nouvelle, vous m’en voyez rassurée! C’est un véritable fléau dans la forêt, ces maudits dragon de bois!

Elle apprit ainsi que Liory pouvait tirer avec une certaine efficacité jusqu’à une centaine de mètres. L’arc d’Evelyn était un arc court, il n’avait pas la même puissance de tir, ainsi elle pouvait effectuer un tir tendu à une distance de soixante-quinze mètres et un tir en cloche à une distance de cent cinquante mètres. Cependant, en chasse elle évitait de tirer au-dessus de trente mètres; au-delà, le temps que la flèche se rende, l’animal à l’écoute du danger avait le temps de bouger et la flèche risquait de se planter là où Evelyn ne le voulait pas.

Et donc, Liory pouvait tirer jusqu’à cent mètres, dans des conditions idéales, sur des cibles immobiles, avec son gros arc encombrant qu’il devait déplier et ses grosses flèches qui laissaient des trous dans les arbres. Ok. Evelyn se contenta d’un hochement de tête.

-Je ne désir aucunement un guide chasse, j'aimerai apprendre.

Oh? Possiblement un futur élève? Elle l’appellerait « apprenti » et il lui rapporterait de la bière, ferait un feu et préparerait le repas après la chasse.

- S'il faut pour cela chasser un lièvre des forêt, je le ferais, tant que cela puisse se faire avec mon propre arc.

Evelyn haussa alors un sourcil, s’imaginant ce qu’il resterait du pauvre lièvre, après avoir été atteint de l’une de ses flèches. Rien. Il n’en resterait rien! …Mais soudainement, Liory transforma la pointe de sa flèche, modela le métal à sa guise.

Westwood prit un temps de réflexion. C’était un pouvoir qui lui apparaissait bien utile dans la vie de tous les jours. Elle s’imagina avec un tel pouvoir, faire une blague à sa compagne en déformant temporairement l’une de ses lames! Dans la tête de la chasseuse, cette idée était réellement amusante, …mais elle n’était pas certaine qu’une telle blague serait bien accueillit, surtout s’il serait question d’Atropos!

Liory avait le réel désir d’apprendre à se servir de son arc dans des situations réelles pour éviter la mort, la sienne ou celle de ses compagnons de route. Evelyn aimait ce qu’elle entendait; Liory n’était pas un noble touriste à la recherche de sensations fortes.

-Un garde chasse se contenterai de montrer à sa clientèle ce qu'elle veut voir... Dans mon cas, je désir apprendre à voir, peut importe ce que cela pourrait couter.

Oh, si on en était à parler de coût, Evelyn avait une idée de son prix. Elle sortit sa dague de son fourreau et le lui montra, la pointe vers le haut. - Réparer-là, lui dit-elle, et vous pourrez marcher à mes côtés en direction du terrain de chasse. Je vous laisserai même faire le trajet du retour avec moi. Certains en auraient profité, en voyant que Liory avait de l’argent; Evelyn ne voulait pas l’argent de l’homme et cette dague avait de la valeur à ses yeux; d’ailleurs, cette dague lui avait littéralement sauvé la vie à quelques reprises. - Cependant, je ne garantis pas votre sécurité, le prévint-elle.

- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
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- C'est tout ce que vous demandez ?

- C’est tout, répondit-elle face à l’étonnement de l’homme. Elle avait une lame abîmée, il manipulait le métal; il voulait aller sur un terrain de chasse, elle était chasseuse. C’était un échange qu’elle jugeait équitable. Westwood aimait les échanges. De plus, elle avait des besoins bien simples à satisfaire.

- Mais si tel est votre souhait, je pourrais peut être même me permettre une fantaisie dessus ?

- …Vous le pouvez, dit-elle avec circonspection. Evelyn n’était pas certaine d’aimer les surprises, mais l’homme semblait posséder assez de jugeote pour ne pas graver un gloot sur sa lame, ou d’autre fantaisie de la sorte.

Elle regarda le métal de sa lame devenir une sphère et s’en émerveilla intérieurement. Elle trouvait toujours intéressant de découvrir le pouvoir des autres. …Le sien était très utile, lui avait littéralement sauvé la vie à deux reprises, mais disons que son utilisation était limitée, et disons aussi qu’Evelyn préférait ne pas avoir à l’utiliser.

La lame se reforma, identique mais sans les horribles défauts. Le fil de la lame affichait une couleur différente. Lorsque la dague retourna dans ses mains, Evelyn la regarda sous tous les angles, la soupesa par quelques mouvements et jugea du tranchant de l’arme. - À force de m’en servir comme hache… voilà ce qui arrive, informa-t-elle Liory concernant les anciennes courbures, bien que ce détail ne devait pas spécialement intéresser l’homme. – Elle est comme neuve, et même mieux, dit-elle en guise de remerciement avant de ranger sa dague. De son point de vue, Evelyn n’aurait pu souhaiter mieux et elle n’aurait pas eu meilleur résultat chez un forgeron. Elle était donc satisfaite. …Enfin, elle verrait plus tard si finalement elle regrettait ou non la présence de Liory à ses côtés.

Quant à la sécurité, l’homme ne semblait pas s’inquiéter de ne pas avoir de garantie de la part de la chasseuse.

-Allons Evelyn, si vous le faisiez, il y a de forte chance que je n'apprenne strictement rien.
Si vous tenez à chatouiller un fiélon, faites donc, je tacherais de suivre... et de survivre.

- Oh, bien. Dans ce cas, si je trouve des traces de fielon, nous les suivrons. Cela vous changera de vos dragons, lui dit-elle, accompagné d'un clin d’œil, puis elle lui fit signe de reprendre la route. Un chemin qui bifurquait parfois, qui rétrécissait à mesure. Evelyn connaissait-elle le sentier? Oui et non; elle avait un excellent sens de l’orientation. À un moment, la chasseuse s’arrêta. Elle décrocha la gourde à sa ceinture, prit une gorgée, la raccrocha à sa ceinture, d’un court mouvement détacha son arc  de son carquois et le prit dans sa main gauche, puis dit à l’homme :

- Passer donc devant. Vous désirez apprendre à voir, dites-moi ce que vous voyez.

Evelyn laissa Liory passer devant, et d’ailleurs il pouvait y rester. Il y avait des traces au sol, assez fraîche, quelques branches d’arbuste brisées. Est-ce que quelqu’un voulait du porc-becue pour le menu du midi?

- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
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Quand on était mal prit, on prenait ce que l’on avait sous la main; et parfois c’était une dague en guise de hachette. Bien sûr, depuis l’incident, c’était dans les priorités d’Evelyn d’acheter du matériel plus adapté pour couper de gros morceau de bois bien solide. Un léger sourire amusé se dessina aux lèvres de la chasseuse. Liory ne souhaitait pas faire la rencontre d’un fielon. Evelyn non plus, pas d’envie particulière à ce sujet. Elle lui dit quand même : - Mais imaginez que vous surviviez à un fielon. Imaginez l’expérience que vous gagneriez de cette confrontation. Evelyn n’était pas avide d’émotions fortes, elle n’allait pas volontairement entraîner Liory vers un danger inutile. Pas volontairement, mais peut-être involontairement.

La forêt parlait. Il fallait tendre l’oreille. Être attentif aux détails. Savoir reconnaître les indices du passage d’animaux; suivre une piste. Rester à l’affut; ne pas devenir le repas d’un prédateur. Quelques indices plus loin, Liory tomba à genou devant une trace de bonne taille, puis il leva vers la chasseuse de grands yeux, lui disant :

- C'est un trace, de ça j'en suis sur, mais de quoi...

Hm, oui, excellente question. Evelyn garda le silence, attendant de voir si l’homme allait approfondir sa petite piste. …Tiens, maintenant que la femme y pensait, cette scène était plus divertissante qu’elle ne l’aurait cru. Elle lui avait dit « vous pourrez marcher à mes côtés en direction du terrain », mais le temps de quelques heures, elle pouvait aussi jouer le rôle d’instructrice.

- Cela n'avait pas l'air gros... mais c'était pressé, très pressé.

Plusieurs raisons pouvaient justifier cela, alors Evelyn préféra ne pas débattre sur le fait que l’animal était ou non pressé, ou s’il avait seulement voulu se dégourdir les pattes. Elle s’accroupit à côté de l’homme, pour lui faire un cours rapide sur l’empreinte qu’il avait découverte, sabot postérieur, sabot antérieur, gardes du sabot postérieur, et lui montra l’empreinte suivante, plus loin, moins visible, qui quittait le petit sentier pour s’enfoncer dans la nature.

- Suivons cette piste.

Ce n’était pas une proposition. Evelyn quitta le sentier, orienta l’homme vers d’autres traces. Des excréments plusieurs pas plus loin. On perdait les traces sur quelques mètres, puis on les retrouvait près d’un terrain boueux, suivit de traces d’abrasion sur le tronc d’un arbre. L’animal faisait dans les quatre pieds.

Un craquement, pas le premier. Elle jeta un regard en coin à Liory. L’homme était parfaitement… incapable d’éviter les branches mortes sur le sol, apparemment.

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Le vent passa dans les cheveux de la chasseuse, les remua doucement. Elle avançait d’un pas léger, tranquillement, dans les hautes herbes. Elle avait regardé Liory de manière trop sévère, elle le concédait. L’homme avait le pas lourd; normal, pour un citadin. Dans la forêt, il fallait apprendre à se fondre dans l’environnement. Elle admettait que c’était un apprentissage qui pouvait prendre du temps. Elle savait que l’homme ne désirait pas devenir chasseur. Elle comprenait que la forêt était pour l’homme un terrain pour approfondir ses compétences d’archer. Westwood avait appris à être silencieuse pour ne pas effrayer les animaux, elle avait appris à déterminer leur position et à s’approcher face au vent. C’était son métier. C’était de cette façon qu'elle survivait dans la nature et qu’elle mettait de la nourriture dans son assiette. Elle était une excellente archère; elle le savait. Et l’homme avait le potentiel d’être un bon archer; elle n’en doutait pas.

Elle s’approcha, à la mention de son nom. Son pas était un léger bruissement dans l’herbe. Elle s’immobilisa à côté de l’homme. Son regard se posa sur le sanglier mort, puis sur les ossements. Le responsable de ceci était-il un animal territorial, s’il n’avait pas mangé sa proie? Ou le gardait-il pour plus tard? L’odeur qui émanait des lieux était peu appétissante, mais cela ne rebuta pas Evelyn. Elle posa une main sur l’épaule de l’homme, pour le rassurer, et lui dit d’une voix posée :

- Vous devriez garder votre arc en main.

Cet arc trop grand, qu’il devait déplier. Parfois, le temps de prendre un arc à son dos et de le déplier était un temps de trop, parfois cela faisait la différence entre la vie et la mort. Elle attachait souvent son arc à son carquois; elle savait qu’elle pouvait le détacher d’un mouvement rapide. Depuis plusieurs mètres, Evelyn tenait son arc dans sa main gauche, prête à l’utiliser.

Sa main glissa de l’épaule de l’homme et elle s’en alla examiner brièvement une empreinte un peu plus loin. Elle n’avait pas le pouvoir magique de détecter le passage des animaux, elle avait seulement un regard aiguisé par l’expérience.

Elle tourna le regard vers Liory. Un prédateur chassait dans le coin, c’était peut-être dangereux pour l’homme. Evelyn n’hésitait pas à mettre sa vie en danger; elle était plus réticente à mettre la vie des autres en danger.  …D’un autre côté, le novice désirait tester son arme. Et l’arme en question pouvait faire un trou dans un arbre.

Elle fit signe à Liory de passer derrière elle, elle ne voulait lui faire courir aucun risque inutile. Non loin de là, elle contourna une étendue boueuse. Il y avait dans la boue des traces bien visibles, très profondes. Elle aperçut plus loin une étendue d’eau stagnante; ce qui s’apparentait à un marais. Elle fit signe à Liory de s’arrêter et de se mettre à couvert près d’une rangée d’arbre. Elle s’accroupit à côté de l’homme, prit le pouls des lieux, écouta les sons de la nature; il n’y avait aucun chant d’oiseaux.

Elle ouvrit la bouche et hésita avant de lui dire : - Ne bougez pas d’ici. Aurait-il été un chasseur, qu’elle aurait tenu à l’homme un autre discours; mais il n’était pas chasseur. - Je vais inspecter les lieux. …Couvrez mes arrières. Elle n’avait jamais eu besoin que quelqu’un 'couvre ses arrières', mais tant qu’à avoir un arc supplémentaire à son service, autant que cela serve à quelque chose.

Elle quitta l’abri des arbres pour se mettre à découvert. Elle jugeait que la créature devait frôler les deux mètres. Difficile de cacher une telle masse. Elle inspecta les lieux, ce qu’elle jugeait être le nid de la bête.

- Si tu ne peux affronter les loups,
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Evelyn se déplaça, arc à la main, une flèche encochée. Mis à part l’atmosphère lourde qui se dégageait des lieux, il n’y avait aucun danger immédiat. C’était peut-être même le bon moment pour rebrousser chemin, pour changer d’avis et conduire Liory sur un territoire peuplé de petits lièvres; et elle pourrait même leur concocter un petit ragout. Alors qu’elle entretenait cette pensée, son pied droit s’enfonça jusqu’au milieu du mollet dans la boue. Elle s’en extirpa et continua sa progression. La saleté ne la dérangeait pas, cependant elle pensa qu’avoir du Net’spray à sa disposition pourrait lui être bien utile. À défaut d’avoir cet élément magique à porter de main lorsqu’elle se baladait dans les bois, Evelyn recherchait des sources d’eau ou utilisait l’eau de sa gourde fontaine, en guise de nettoyage.

Il n’y avait pas un bruit. Et oui, il y avait de quoi s’en inquiéter. …Puis, il y eut un bruit. Et il y avait également de quoi s’inquiéter. Un bruit, suivit d’une série de bruits qui se rapprochaient de la position de la chasseuse. Evelyn se déplaça alors, pour trouver une position avantageuse, où elle pourrait voir mais ne pourrait pas être vue. En se servant d’un arbre comme bouclier, elle pensa qu’une cape fait d’un tissu caméléon lui serait peut-être utile dans le cadre de son métier.

La créature apparut dans son champ de vision. Un crapaureau, comme elle l’avait imaginé. Une créature dangereuse, si on n’était pas prudent. Mais Evelyn comptait garder ces distances, elle n’avait pas l’intention d’aller le saluer. Elle ira l’admirer de près lorsqu’il aura été abattu.

Elle pensa qu’il serait bon, de temps à autre, d’investir dans des flèches particulières, explosives peut-être? Enfin, à défaut, elle allait faire ce qu’elle faisait toujours : s’arranger avec ce qu’elle avait. Une flèche n’avait pas besoin d’exploser pour causer des dégâts. Elle décida qu’elle allait tirer la première flèche, pour ouvrir le bal, pour attirer l’attention de la créature sur elle et permettre à Liory de tirer depuis sa cachette.

Elle leva son arc, tira d’un tir rapide, expérimenté. La créature avançait d'un pas tranquille, n'ayant pas encore détecté la présence d'intrus sur son territoire. Il bougea soudainement la tête; la flèche d'Evelyn se planta alors non loin de la colonne vertébrale. Alors que cette première flèche était encore en vol, Evelyn avait encoché et tiré une seconde flèche. Ce fut cette flèche qui se planta dans l’œil gauche de la créature. À quelques dizaines de mètres de distance de la créature, les flèches de la chasseuse manquaient de puissance. Cela lui fit penser – pas la première fois qu’elle y pensait – qu’il faudrait qu'elle s’équipe d’un nouvel arc, d’un arc magique qui serait à la hauteur de ses capacités d’archère.

- Si tu ne peux affronter les loups,
n’entre pas dans la forêt. -
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L’arc de Liory brillait par son efficacité. C’était exactement ce qu’il fallait à Evelyn. …Enfin, pas exactement, mais il lui fallait un meilleur arc que celui qu'elle possédait actuellement. C’était maintenant son nouveau but dans la vie; l’un de ses nombreux buts – y’avait être une bonne compagne pour Sofia, puis acquérir un nouvel arc… et puis il allait falloir qu’elle prenne un instant pour y penser; elle aimait vivre simplement, profiter des petites choses de la vie, vivre au jour le jour.

La flèche de Liory fit donc chuter le monstre au sol. Ce dernier ne resta pas couché très longtemps et contre-attaqua aussitôt en sortant la langue en direction de l’apprenti archer. La chasseuse ressentit de la crainte pour l’homme; une peur justifiée.

Il restait dans le carquois d’Evelyn dix-huit flèches, et elle pouvait les tirer en moins d’une minute. Elle n’avait pas l’intention de toutes les utiliser d’un coup, mais elle comptait effectivement décocher une pluie de flèche. Elle pouvait tirer tout en se déplaçant, et cela avec grande facilité. Ce qu’elle fit donc, se rapprochant, traçant son chemin en essayant de poser les pieds sur ce qui lui apparaissait solide, pour ne pas s’embourber. Elle prit position sur un rocher plat et tira une dixième flèche. Elle avait principalement visé les pattes avant; sept flèches avaient atteint cette cible, deux s’étaient plantés dans le tronc et l’un dans un tympan. La créature avait vacillé et chuté vers l’avant. L’instant suivant, elle crachait un jet de bile en direction de la chasseuse, de manière peu précise.

Evelyn effectua un plongeon rapide et atterrit plus loin dans un mélange boueux. Elle essuya d'un bref mouvement la boue sur son visage, et aperçu du coin de l’œil la créature peiner à se relever. Si à cet instant Evelyn devait attribuer des émotions à la créature, elle choisirait la fureur et la douleur, alors que l’animal poussait un étrangement grondement bestial.