L’écho du combat, de la voix de ses camarades, et de celles des membres du groupe joint par Xylia via son cristal de communication rappelaient son attention à la surface qu’il venait de quitter, mais l’appel de l’inconnu, rempli de mystères à découvrir, était bien plus séduisant et s’imposa rapidement à son esprit. Laissant s’estomper au travers de la dalle le chaos du dessus pour se tourner pleinement vers le monde de secrets nouveaux qui l’attendait, Calixte poursuivit sa fusion étonnamment lente. Jamais il n’avait jusque-là tenté de se fondre dans objet aussi massif, mais l’inquiétude instinctive qui l’avait initialement pris s’érodait déjà pleinement sous le joug de sa curiosité souveraine.

En haut, le timbre enjoué d’une voix aimée imprima un sursaut de surprise et d’hésitation dans sa chair, avant que l’urgence de son entremêlement toujours plus absolu avec la dalle ne chassât distraitement cette enjôleuse mélodie.

Et puis, l’univers sous-jacent s’offrit à lui.

Au-delà de ce qui lui paraissait être un sol d’une épaisseur d’une – voire plusieurs, il n’avait après tout pas l’expérience de ce type de fusion et se trouvait présentement un peu déboussolé – dizaine de mètres, s’ouvrait une cavité aux parois ouvragées par une quelconque conscience intelligente et civilisée, aux allures de cathédrale similaire à celle qu’ils avaient quittée avant de traverser le voile d’obscurité. Quoi qu’aux proportions plus imposantes. Ici et là, des plantes lumineuses, comme celles qu’ils avaient déjà croisées dans les souterrains, diffusaient de douces lueurs baignant la salle d’une atmosphère tamisée. Et sans doute, si l’on s’arrêtait à ces premières découvertes, n’y avait-il là rien de rebutant. Mais même à l’abri de sa fusion, au travers de cet étrange état de transition, l’espion pouvait sentir les crocs acérés d’un effroi bestial ravinant de plus en plus férocement la lisère de sa conscience pour se frayer un intolérable chemin jusqu’à son cœur. Si la pierre avait possédé des glandes sudoripares, nul doute qu’elle se serait couverte de longs sillons de sueurs froides.

Son regard accrocha les reliefs d’une construction à la fois étonnante pour ce genre d’endroit et lui rappelant leur rencontre de plus tôt avec la créature capable d’un certain contrôle mental, et il se demanda s’il s’agissait à nouveau du territoire d’une bête équivalente, voire identique. Mais au centre de ce nid-là, trônait un œuf. La curiosité affleurante de Calixte s’y intéressa immédiatement, mais la terreur toujours plus absolue s’installant dans sa chair lui hurla de ne pas s’attarder davantage. De ne pas tenter de descendre dans la pièce. De ne pas approcher l’intrigant ovale. De faire demi-tour dès que possible et…

Une ombre caressa son champ de vision. Immense, probablement animale – bien que l’instinct de fuite prenant le dessus ne lui en laissa qu’un souvenir imprécis – mortelle. Spectre partiel mais suffisant d’une promesse de supplices, écho macabre d’une symphonie funèbre dont les premières notes suffisaient à tétaniser son âme. Fuyant de tout son être cette présence implacable rappelant celle des créatures de légende, Calixte se recroquevilla au cœur de son abri, activant instinctivement bague et collier jumeau. Et peut-être la pierre trembla-t-elle sous la force de sa terreur, ou peut-être ne fut-ce que l’émoi, intense et violent, qui lui en donna l’impression.

Non, elle trembla bien. Un cri bestial, au diapason de ceux qu’ils avaient perçus le long de leur exploration jusqu’ici, déchira l’espace pour frapper furieusement les parois de la chapelle, faisant vibrer celles-ci comme si elles tressaillaient devant la magnificence de son auteur. Nul doute le hurlement se propagea-t-il encore loin au-delà du nid, portant aux oreilles – et à la chair – de tous ceux qui osaient fouler le sol de l’île volante l’ardeur de son courroux. Mais bien que les notes stridentes lui labourassent l’âme et morcelassent ce qu’il restait de ses songes lucides, elles ravivèrent en Calixte l’instinct de fuite, plus fort que l’abandon terrorisé, et l’espion se remit machinalement en mouvement. Comme un naufragé cherche la bouée à laquelle désespérément se raccrocher pour refaire surface, il actionna son pouvoir pour faire marche arrière, empressé d’émerger de cette dalle à la désagréable sensation de tombeau.

- Luciole ! appela-t-il automatiquement comme se rappelaient à lui des réflexes anciens alors qu’il défusionnait.

Contre son esprit, bien plus net quoi qu’encore vacillant d’une peur s’estompant par à-coups, le flot miroir des émotions de Mélyne le heurta et il accusa à nouveau quelques secondes décontenancées. Au terme de cette expédition, s’ils en réchappaient, il faudrait qu’il se renseigne sur les psychologues pour glooby.

Chassant ces pensées comme les sentiments parasites du familier et les reliquats de sa terreur, il refocalisa son regard sur Zahria, Xylia et Jin, avant de le glisser rapidement sur les autres membres de leur équipe recomposée. A première vue, la créature du niveau inférieur, quoi que particulièrement dangereuse, n’était pas une menace immédiate pour eux. Choisissant ainsi de ne pas déranger les combattants toujours au front, il se tourna vers ceux moins urgemment occupés pour partager ses découvertes. D’ailleurs, puisque l’Anguille semblait toujours en communication cristalique, peut-être valait-il le coup de profiter de ce lien.

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Si les sens de Calixte n’avaient pas été à l’affut, exacerbés par l’ambiance pesante des lieux, le combat faisant rage, et sa dernière rencontre quelque peu perturbante, certainement aurait-il sursauté à l’apparition soudaine de Zahria à ses côtés. A la place, coupé dans le début de son partage d’informations avec Xylia, il accusa un couple de secondes ahuries. Avant de se sentir terriblement sot. De la même manière qu’un enfant appelle ses parents dans l’angoisse irraisonnable de la nuit, avait-il tiré l’Ombre de la bataille sur un élan de confusion temporairement effrayé ? Visiblement, oui.

- Oh heu oui, non, répondit-il bêtement avec une grimace. Pardon. Quand on aura fini ici, il faudra que je vous raconte ce qu’il y a en dessous. Mais ce n’est pas une menace pour tout de suite, choisit-il de livrer, puisqu’après tout la Maître-Espion s’était déjà détournée de son objectif premier et perdrait dans tous les cas ces précieuses secondes. Sois prudent, ajouta-t-il plus fermement comme elle repartait au-devant de la confrontation, du côté du dôme enflammé de Jin.

Ramenant son attention vers l’Anguille et son cristal de communication, l’espion allait reprendre la parole lorsqu’un drôle de bruit s’échappa de l’objet :

- BRRRRABABABABABA !!! fit le cri sur fond de désagréable tempo métallique.

Echangeant un regard interrogateur avec Xylia, Calixte haussa finalement les épaules avant de partager à son amie – et à ceux qui écoutaient, ou pas, de l’autre côté du cristal :

- Sous cette salle, à une… vingtaine ou trentaine de mètres, il y en a une autre qui ressemble à la chapelle d’où on vient. Avec un étrange œuf au milieu, mais surtout férocement gardée. La créature que l’on entend hurler à travers l’île, elle est là-dessous.
- … bien longtemps qu’aucun étranger n’avait foulé ma salle de bal, fit une voix un peu lointaine que le coursier ne reconnut pas.
- Je… n’aurais pas dit que ça ressemble à une salle de bal, commenta-t-il en échangeant un nouveau regard circonspect avec l’Anguille.

Assurément y avait-il là un quiproquo et ne parlaient-ils pas de la même chose. Ce qui n’était pas pour rassurer l’espion quant à la situation du groupe de la lieutenante Anggun ; avec qui était-elle partie en exploration, déjà ?

Une musique lente, majestueuse, rappelant à l’espion certaines mélodies pompeuses résonnant dans les soirées mondaines où chacun devait veiller à l’adresse de son pas comme la droiture de sa posture pour, non seulement trouver grâce aux yeux de l’orgueilleuse société, mais aussi pouvoir prétendre à l’attention d’un bon parti, s’éleva du cristal de communication. Majorant davantage son inquiétude, comme sa curiosité. Instinctivement, son regard glissa le long des murs de la pièce, avant d’atteindre les portes massives à son extrémité. Si Jin semblait toujours affairé avec l’une des sentinelles, Arya paraissait avoir déblayé le reste du passage et s’accordait une pause culinaire bien méritée.

Laissant Xylia à la communication particulière qu’elle entretenait, Calixte traversa la longue salle d’un pas rapide pour approcher l’issue de celle-ci. Etaient-ils loin du groupe de la Belluaire ? Ses doigts se posèrent contre les reliefs ouvragés de l’un des battants, et il fusionna avec celui-ci, curieux d’observer ce qu’il y avait derrière.

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La fusion à travers l’épais battant de la porte lourdement ouvragée fut bien moins pénible que sa traversée récente du socle sur lequel ils évoluaient. Savourant la tranquillité de l’habitude au regard de son expérience curieuse mais effrayante de plus tôt, Calixte se concentra sur le nouveau paysage offert par l’exercice. De nouveau, une salle spacieuse. Plus encore que le grand hall d’où il venait, avec dans le fond, à l’opposé de là où il se trouvait, des reliefs différents avivant son intérêt. Assurément les architectes des lieux avaient-ils souffert d’une certaine mégalomanie.

Prudemment, se séparant de la porte dans laquelle il venait de se couler, le coursier s’aventura dans l’antre de cette nouvelle pièce, ses doigts affleurant toujours l’immense battant au cas où un repli rapide devait être nécessaire. Mais à mesure que les secondes s’égrenèrent, à la fois terriblement lentes et prestes dans cette dissociation de curiosité et d’inquiétude mêlées, force fut de constater que rien, pour l’heure, ne viendrait lui chercher des noises. Et c’était une petite pause appréciable dans l’aventure tumultueuse de leur avancée sur l’île volante, car l’espion savait que Lucy aurait vite fait de se rappeler de lui et de lui faire rouler quelques dés malchanceux pour le précipiter à nouveau dans quelques situations impossibles.

Mpf. Nul, râla bien évidemment Vreneli contre son esprit, acceptant plus difficilement le calme temporaire.

Il avait quitté l’abri de la bille dans laquelle il avait été logé et contemplait avec morosité l’étendue silencieuse leur faisant face. Bien que touché par le hurlement effrayant de la bête qu’ils avaient entrevue dans le sous-sol, le teisheba était d’humeur à retourner en affronter la présence plutôt que d’explorer ces pierres décidemment mortes.

Distraitement, le coursier se demanda quelles limites étaient celles du pouvoir de Ramar et si la porte dans son dos pourrait éventuellement répondre à ses interrogations. Et en parlant de porte…

- Parlescrotumroyal, ahana Calixte en poussant péniblement l’un des hauts battants. Ca pèse un fenrir mort ce truc.

Il sentit la porte s’ouvrir doucement sous ses efforts, ses gonds probablement grippés par un manque d’entretien – séculaire ? millénaire ? – diffusant l’agréable mélodie des grincements en fa majeur.

- Pense qu’y a Soly chérie de l’autre côté, ça va t’motiver, fit joyeusement Apolline qui avait, à un moment ou un autre, retrouvé le chemin de son épaule.
- J’aurais usé de la fusion, commenta-t-il entre deux inspirations difficiles.
- Aha coquin ! En vrai j’suis sûre qu’les tentacules d’l’Arya ils t’ouvrent ça en deux deux, poursuivit songeusement l’âme artificielle. Encore une bonne source d’inspiration pour mes scénarios, ça.
- Si tu le dis, soupira Calixte en se disant qu’il pourrait peut-être utiliser l’un des lourds bouquins de la trousse pour caler le battant.
Devient n’importe quoi, Eli explorer, décida le teisheba contre son esprit.

Dans un grognement d’acquiescement, le coursier regarda la petite nébuleuse s’éloigner à grand renfort de déplacements accélérés magiquement vers l’autre bout de la salle.

- Hé frère, t’sais en fait p’tet ils préfèrent aller voir l’œuf et tout, tu vois ? fit la voix trainante, à moitié étouffée en raison de sa position pour pousser la porte, d’Abdallah. Ca avait l’air mega cool. Genre y avait les plantes avec la lumière, et l’œuf balèze, et la créature marrante…
- … marrante ?
- Elle est certainement incomprise, intervint Apolline avec enthousiasme. Un bisou de nos belles donzelles ou du Soleil de ma vie, et t’vas voir que cette expédition va connaitre une fin que même les hautes instances n’auraient pas espérée dans le recueil tout public des récits de vie Aryonais. Heureusement que j’suis là pour combler ce manque, d’ailleurs. En filigrane.
- Quoi ? … non, et puis comment veux-tu qu’on y redescende. Si je m’amuse à me lyophiliser pour ouvrir cette porte et éviter d’user de la fusion pour faire passer les autres…
- C’est qu’t’as un peu manqué les entrainements du matin avec Val, ouais je sais biquet. ON FAIT UN TROU ? hurla la trousse par-dessus son épaule à l’adresse du reste du groupe maintenant largement visible par l’entrebâillement. J’aime bien les trous.
Marches, intervint la voix de Vreneli contre son esprit depuis le fond de la pièce. Plateau avec truc décorés. Truc qui bouge ? Eli va voir, décida aussi vite le teisheba en poussant encore son exploration.
- Hum, répondit intelligemment Calixte partagé entre l’inquiétude pour son familier, la curiosité, et la douleur d’entendre Apolline crier – à nouveau – à ses compagnons ce qu’ils avaient précédemment observé à une vingtaine de mètres sous leurs pieds.

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