Enfin je suis arrivé à la Forteresse, après un voyage plus long que je ne l'aurais aimé. Des climats diamétralement opposés qui s'affrontent durant tout le trajet, pour finalement terminer cette route sous une couche de givre et de brume qui semble infinie tant dans sa masse que sa durée. Vraiment, je suis content d'être enfin à ma destination, de découvrir ce haut lieu de l'ingénierie et de la magie. Bien sur, rien n'est jamais comme on l'espère ou le lit dans les livres, mais pour le moment, je ne peux qu'être ravi de mon arrivée, de tout ce chemin parcouru. Les toits couverts de givre, brillant sous le soleil blafard, les colonnes de fumée venant de cheminées qui s'agitent, et la vue, quelle vue... A s'en damner. Je devais profiter de cette période plus creuse pour pousser mes connaissances du monde, et même si le climat est rude, je suis sur qu'a la fin, je ne serais clairement pas déçu d'avoir fait l'effort de venir dans ce dernier bastion de civilisation avant le grand Nord.


Almassar referme son carnet avec un petit soupir. Bien sur enjoliver les histoires fait partie du métier, et si il pense chaque mot de ce qu'il vient d'ainsi coucher sur ce papier à l'encre de ses pensées, la réalité est un peu moins belle que prévue. Oui, la vue est somptueuse, les majestueuses montagnes offrant un spectacle dont il est difficile de se détourner tant il est prenant, quand l'aube et le crépuscule se glissent sur le monde pour le saluer. Mais la température est glaciale, et même bien habillé l'homme habitué aux climats plus cléments n'est pas dans son meilleur élément. Son regard passe de ses notes à la fenêtre pour se gorger une nouvelle fois de l'activité de cette ville au milieu des glaces éternelles, ne cessant de se surprendre de la résilience humaine. Cet endroit est surement l'un des plus hostiles du continent, et pourtant, une agitation florissante semble la prendre et la parcourir, comme si des températures aussi extrêmes ne faisaient qu'accentuer l'ingéniosité naturelle des siens pour les pousser à se dépasser et survivre.

Et c'est surement vrai, au vu des capacités d'adaptation de l'homme. Finalement, cette Forteresse n'est qu'une preuve de plus de sa possibilité à surmonter toute épreuve et toute difficulté. Perdu dans ses songes concernant son espèce, l'enchanteur ne sent qu'a peine ses doigts gantés glisser sur la couverture de cuir de son carnet pour le refermer, nouer les petits liens permettant de le sceller jusqu’au moment de ses prochaines évasions mentales. Dès son départ de la capitale, Almassar avait décidé qu'il garderait trace de tout son voyage, de tout ce qu'il pouvait y découvrir. Tant pour les compiler plus tard que noter les détails qu'il saurait oublier sous l'excitation de la découverte et le frisson de l'inédit. Des mouvements mécaniques portent le carnet dans sa poche, qu'il referme d'un geste de la main replaçant le bouton. Puis une pensée fait éclater cette bulle mentale dans laquelle il s'est lui même enfermé, un soudain rappel quand à la raison de sa présence en ces sommets de pierre et de roche.

-"C'est pas que, mais la découverte ne va pas se faire au fond d'une chambre !"

S'arrachant lui même un sourire tandis qu'il se parle, le brun bleuté se redresse et récupère son manteau, une sacoche de cuir contenant tout son nécessaire vital comme de quoi noter, sa bourse, quelques recherches personnelles récentes qui peuvent servir si jamais il rencontre quelqu'un avec une demande précise. Si il n'est pas la pour travailler directement mais plutôt étendre son champ des possibles, il ne sera clairement pas contre rester un peu plus longtemps si l'occasion s'y prête. Enfin, pour le moment, il fait surtout claquer la porte de sa chambre sur ses dernières affaires protégées par sa valise, dévalant rapidement l'escalier pour rejoindre la pièce principale de l'auberge, puis l'extérieur. Le froid vient rapidement se saisir de ses extrémités, même protégées ainsi de cuir. Le soleil brille encore dans le ciel, fort heureusement, poursuivant son ascension inarrêtable. Et même malgré cette fraicheur venant peu à peu se saisir de sa peau, de ses muscles et de ses os, l'homme entame sa première exploration de la ville avec une curiosité non feinte, bien décidé à profiter de cette matinée, cette journée. Almassar s'absorbe tellement dans ce qu'il découvre, les premiers éléments qu'il assimile et les bribes d'informations qui ricochent sur son esprit et ses pensées qu'il ne voit pas l'heure tourner, ni même le froid enserrer son corps à travers ses épais vêtements.


Sans même se rendre compte des heures qui défilent, cette passion dévorante, curiosité insatiable fait disparaître la journée entière sous le voile de l'excitation et de la découverte. Quand enfin l'enchanteur  s'arrache à l'étreinte chaleureuse de la science en marche, il se rend compte que le crépuscule darde déjà ses lueurs rosées sur les cimes et les toits. C'est justement ce spectacle, combiné à l'activité crépitante s'apaisant peu à peu pour les heures à venir qui ont permis à l'homme d'émerger. Et avec le reflux de cette mer de pulsions, des vagues de sa passion vient la faim et le froid. La fatigue. Soudainement, il se sent las, comme après une trop longue séance d'enchantement, et ses pensées se peuplent d'images de nourriture et de bière. Heureusement, l'auberge où il réside n'est non loin, du moins pense-il... Quelques minutes seront tout de même nécessaires, et autant de questions posées aux autochtones pour retrouver son chemin. Finalement, les portes entrouvertes de la taverne lui ouvrent les bras, et c'est avec plaisir qu'il s'engouffre dans cette chaleur accueillante aux douces effluves de bière et de gras en train de frire. C'est simple, c'est classique, et c'est exactement ce dont le voyageur à besoin en cet instant tandis qu'il se dirige vers l'aubergiste.

-"Bonsoir, un plat du jour et une bière s'il vous plait."

Almassar souffle sa commande en se frottant les mains pour les réchauffer, s'attirant un sourire amusé de l'homme grisonnant et surement que trop habitué aux spécimens du genre, le cœur ardent mais les os glacés. Les cristaux changent de main et l'enchanteur vient trouver une place aussi proche que possible du feu, s'y laissant tomber en un soupir d'aise bienvenu, laissant une main se perdre dans sa poche pour récupérer son carnet et venir noter ses découvertes de la journée, oubliant une nouvelle fois le monde extérieur, du moins tant qu'on n’interagit pas directement avec lui...

« Gamine, ça suffit. On arrête là pour aujourd'hui. »

La voix du forgeron ainsi que sa main posée sur mon épaule me sort soudainement de ma bulle. Je sens les poils de mon bras et de ma nuque se hérisser en une chair de poule des plus désagréables. Je me dégage de sa prise avec un regard froid, presque mauvais, interrompant ainsi mon travail. Je le regarde sans trop comprendre, encore un peu dans les vapes, le temps que mes idées se remettent en place. Un coup d'œil vers l'extérieur m'indique que le crépuscule pointe déjà. Avec un grognement je me force à m'arrêter pour aujourd'hui, terminant de former la lame que je travaille avec encore quelque coups avant de la refroidir complètement. Je tique légèrement sur la qualité de mon travail, encore insatisfaite de ce résultat. Le patron, un homme bourru d'une cinquantaine d'années vient se saisir de mon travail, l'observant sous toutes les coutures alors que je range mon matériel.

« Tu as du talent pour une jolie fleur. »

Mon regard se durcit à ce nom, amusant le forgeron qui ricane légèrement à ma réaction. Il repose la lame sur l'enclume, croise les bras et me regarde de façon plus sérieuse, abandonnant la moquerie pour redevenir professionnel. Il désigne mon travail d'un mouvement du menton, une certaine impatience pouvant se lire dans son regard.

« Alors ?
- Alors elle est à vous. Ce n'est pas assez bien.
- Je ne vais clairement pas cracher sur une lame de cette qualité. On a un marché après tout, utilise ma forge autant que tu veux tant que je récupère tes "échecs". Je vais me faire un plaisir de revendre des lames faites par l'apprentie de ce cher Obsid. »

Je pince les lèvres, la mâchoire serrée en entendant le nom de mon maître. Je repose mon sac en m'approche de l'homme que je fixe dans les yeux, la colère visible sur mes traits.

« J'ai été claire là-dessus. Je ne veux voir le nom de Lyle nulle part. Ni le mien. Vous mettrez votre sceau sur ces lames et je ne les terminerais pas. »

Il souffle un petit rire et se recule comme s'il abandonnait cette bataille qu'il ne va clairement pas gagner. Nous avons déjà eu cette discussion plus tôt dans la journée, comme à chacun de mes échecs à vrai dire. Déjà plusieurs lames trônent sur la petite table proche de l'enclume que j'emprunte.

Sans un mot de plus, je range mes derniers outils dans mon sac sans fond et le passe à mon épaule. Je me détourne de mon poste de travail et du forgeron qui prend le temps de calmer la chaleur du four pour la nuit. Avant de claquer la porte de la forge, j’entends un « A demain alors ! » du fond de la pièce auquel je ne réponds même pas. Je me concentre sur le bruit de mes pas qui résonne sur la pierre des routes pavées de la Forteresse, la fraicheur formant déjà des petits nuages de brume devant mon visage à chaque fois que j'expire. Rapidement, mon chemin me mène à l'auberge dans laquelle j'ai réservé une chambre pour la semaine. De l'extérieur, j’entends déjà les rires gras et le brouhaha si caractéristique de l'heure du repas.

C'est un comble tout de même de devoir lui mentir...

Je chasse cette pensée en poussant la porte de la taverne. La chaleur ambiante vient agréablement picoter la peau de mon visage et de mes bras nus qui ont été refroidit par l'air frais. J'entends un petit sifflement sur mon passage, j'ignore les regards curieux à la vue de ma fleur ou encore ceux plus lubriques qui détaillent mes formes visibles par ma tenue particulièrement courte et légère pour la saison. Je m'avance vers l'aubergiste qui semble me reconnaître. Difficile de passer inaperçue lorsque l'on est une albinos se promenant en short et débardeur, avec une fleur à la place de l'œil droit et l'odeur du métal et du charbon lui collant à la peau.

« Bonsoir. Votre plat le plus copieux. Et une bière. Et je pourrais avoir de l'eau chaude pour un bain dans ma chambre ? »

L'homme prend ma commande avec un hochement de tête et je lui adresse un petit sourire de remerciement. Je balaie alors la pièce du regard, repérant une place libre près de la cheminée. Sans attendre je vais m'y installer, cherchant à retrouver la chaleur du foyer et ainsi me rappeler l'ambiance de la forge. En me laissant tomber sur ma chaise, je me rends compte qu'un homme est installé à la place en face de la mienne, à la même table. Je ne l'avais pas remarqué, certainement caché par un des clients assis à la table voisine. Dans un coin de ma tête, j’entends les règles de politesse de ma mère. Je me redresse pour m'excuser envers ce client et fais mine de me relever.

« Excusez-moi. Cela vous dérange si je m'installe ici ? Sinon je peux aller à une autre table. »

L'enchanteur griffonne tranquillement sur le papier, cessant parfois pour venir se frotter les mains et se les réchauffer, retirant ses gants en soufflant de sa chaude respiration, avant de reprendre sa routine. Il n'est pas fait pour ce climat, ou plutôt, pas encore habitué et cela se voit. Et comme toujours, il est loin dans ses pensées, très loin. Se créant une bulle tout autour de lui, Almassar semble totalement ignorer le monde extérieur. Les bruits pourtant forts et nombreux de la taverne semblent lui provenir à travers une couche de coton. La chaleur humaine lui est distante. Seules les flammes crépitantes du feu, ce ballet ardent lui permettant d'ainsi réchauffer ses os et ses muscles traversent cette isolation mentale entre l'homme et le monde. Ça, et le bruit de sa plume qui note ses premières observations, ses premières déceptions, joies. Il écrit sa vie dans ce petit carnet, s'y livre à cœur ouvert, totalement absorbé dans cette petite routine qui l'aide à assimiler les nouvelles situations et rencontres. Tellement perdu dans ce monde de mots et d'encre, de flammes et de chaleur qu'il ne remarque même pas la femme qui s'installe face à lui. Ce n'est qu'au moment ou cette beauté d'albâtre surmontée d'une chevelure d'ivoire lui adresse directement la parole qu'il se rend compte de sa présence. Sursautant presque, laissant une légère goutte d'encre maculer ses écrits, le touriste redresse la tête puis le regard tandis que ses lèvres s'étirent en un sourire qui se veut conciliant, chaleureux.

-"Oh bonsoir à vous ! Je m'excuse, je ne vous avais même pas vu, j'étais trop absorbé par mes notes. Non non, surtout ne partez pas, je vous en prie ! Installez vous donc, je n'ai pas besoin de toute cette place."

Tout en finissant de parler il lui indique la place qu'elle s'apprêtait à quitter d'un léger signe de la main, l'incitant à rester. Puis, une fois la première surprise dissipée, Almassar arque un sourcil, clairement surpris par la femme qu'il a en face de lui. L'odeur de suie, de métal chaud et de charbon lui monte aux narines, éveillant en lui d'anciens souvenirs de la forge de son petit village, étirant son sourire de cette douce mémoire. Mais si l'homme considérait l'odeur comme surprenante, presque relaxante, sa vue elle a un tout autre spectacle. Une fleur trônant dans une orbite vide de tout œil, et une tenue des plus légère malgré la fraicheur extérieure. L'enchanteur ne peut s'empêcher de se trouver bien pitoyable, dans sa tenue de voyage de tissu e de cuir, son épais manteau en fourrure posé juste à coté de lui, replié et ses bottes elles aussi rembourrées.

Cet examen visuel dure quelques secondes, sans même qu'il ne se rende réellement compte de ce qu'il fait. Et pourtant dans son regard nulle lubricité, nul jugement. Simplement une certaine curiosité clairement visible à son regard pétillant et sans préjugé. Puis enfin, le vilain curieux semble se rendre compte de ce qu'il est en train de faire et baisse soudainement la tête, les joues rosissant légèrement de gêne, avant de se racler la gorge pour enfin reprendre la parole.

-"Et je suis obligé de m'excuser une nouvelle fois, je ne voulais pas vous détailler d'une telle manière. C'est juste que je viens à peine d'arriver à la Forteresse, et voir quelqu'un capable de survivre à un tel froid avec aussi peu de vêtements m'a proprement surpris."

Pinçant les lèvres, il vient taire la curiosité qui bourdonne à propos de cette fleur qu'il aimerait bien examiner plus en détail. Et si son regard parle clairement pour lui, de ce désir qui en ferait frémir ses doigts d'envie d'apposer leur contact sur ces pétales et en découvrir tous ses secrets, cela ne reste pour l'instant qu'un souhait de plus qu'il ne réalisera pas. Plutôt que de se jeter sur cette nouvelle source d’intérêt, Almassar vient plutôt lui tendre la main par dessus la table après avoir essuyé et déposé sa plume à coté de son carnet

-"Au fait, je m'appelle Almassar, enchanté. Et s'il vous plait, ne me broyez pas la main pour mon regard, j'en ai encore besoin !"

Un petit rire amusé échappe de ses lèvres suite à cette petite blague qu'il tente. Car même si il n'a pas la preuve qu'elle est forgeronne, sa musculature fine mais développée pour sa taille et cette odeur qui plane autour d'eux, tel un nuage portant avec lui le bruit des marteaux frappant le métal pour le modeler parle comme autant de mots. Une fois ces politesses terminées, il récupère sa plume pour la tremper dans l'encrier, retournant à sa précédente occupation. Et pourtant, cela ne l'empêche pas de continuer de parfois observer sa nouvelle voisine de visu, restant ouvert à la conversation si elle le souhaite. Il faut bien être multi taches après tout, surtout quand le repas se fait attendre, le tavernier étant proprement débordé en cette heure où tous souhaitent obtenir leur repas du soir.

Je souris poliment à l'homme me faisant face, me rasseyant à la place qu'il m'indique. J'observe un instant les notes qu'il est en train de rédiger pendant que je m'installe au fond de ma chaise, poussant un petit soupir fatigué et las. Je capte ce regard curieux, je suis presque habituée à le voir chez les gens qui me rencontrent pour la première fois. En général il n'y a que deux choses qui attirent les regards chez moi : les formes de mon corps ou ma fleur. Ici, il semblerait que ça soit la seconde qui intrigue mon compagnon de tablée. Au moins, cela me change des regards lubriques des hommes des tables voisines. Je reporte mon attention sur les flammes dans l'âtre, observant leur douce danse reposante et hypnotisante.

Cette fois, je ne cache pas mon amusement à cette remarque de sa part, arquant doucement un sourcil et étirant un sourire amusé. J'observe l'homme me faisant face, détaillant son équipement ainsi que ses vêtements chauds, bien différents de la tenue légère que je porte. Je souffle un petit rire amusé, me rendant compte d'à quel point les enseignements de mon maître ont influencé ma façon de vivre. Même si nos avis divergent et que notre relation est plutôt difficile dernièrement, je vois bien que les six lunes que j'ai passées à suivre ses instructions et à m'adapter à son rythme ont changé ma façon de faire les choses.

Une relation difficile, oui.

Je souffle doucement en chassant cette pensée, regardant la main tendue avec un petit frisson dans la nuque. Je me redresse et vient saisir sa main pour le saluer, la serrant sans la lui broyer. Malgré ce qu'il dit, je ne suis pas du genre à broyer la main d'un parfait inconnu parce qu'il m'a détaillé ou reluquer. Tant que l'on ne cherche pas à m'embêter, je n'ai aucune raison de m'en prendre à quelqu'un. Encore moins si on ne m'agresse pas. Je sais utiliser mes muscles pour autre chose que simplement battre le métal, mais je n'utilise la violence que lorsque c'est nécessaire.

« Sia. Enchantée. »

Je me réinstalle dans ma chaise, ne cherchant pas à prolonger ce contact physique plus que nécessaire.

« Et vous n'êtes pas le premier à me détailler ainsi, ne vous en faites pas. Disons qu'on s'habitue au climat et que le travail me réchauffe bien assez. Et je sais maîtriser ma force. »

J'étire un petit sourire à ma réponse, essayant de lui montrer que je suis sincère. Je détourne ensuite mon regard vers le brasier, observant les mouvements des flammes en m'y perdant presque. Je suis captivée par ces couleurs rougeâtres et orangées, parfois tirant sur le bleu à leur naissance. Je pourrais rester ainsi pendant des heures, à m'enfermer dans ma bulle en entendant le martellement du métal dans mon esprit, à visualiser ce que je veux forger. Me vient rapidement à l'esprit la lame que je veux forger cette semaine, je vois parfaitement sa forme, les dimensions que je veux lui donner. Vient ensuite le moment où je la forge mentalement, refaisant ma journée dans ma tête en espérant trouve là où j'ai fauté, lister mes erreurs pour ne pas les recommencer.

Je reste ainsi dans ma bulle pendant un moment, jusqu'à ce que la fatigue et la faim me fassent perdre ma concentration. Mes idées dérivent, la couleur des flammes me rappelant rapidement la forge Obsid, cet endroit qui est devenu mon petit cocon. Je visualise aussi la présence de mon maître, le flamboiement de sa chevelure semblable à celui des flammes, ses gestes précis, ses mouvements bien plus fluides et puissants que les miens. Je ferme un instant l'œil en soupirant, chassant le forgeron de mon esprit pour revenir à la réalité. Je ne veux pas penser à lui, je dois éviter de penser à lui. Je sens déjà la colère revenir en moi et je m'en mords l'intérieur de la joue pour essayer de me calmer.

Je me redresse sur ma chaise et lance un regard en direction du tavernier. La faim est de plus en plus présente et je dois avouer que j'ai bien envie de prendre mon bain après cela. J'empeste le charbon, le métal et sûrement la transpiration. Après tout, j'ai passé ma journée à forger, ne m'arrêtant que pour manger un peu à l'heure de midi. J'ai confectionné plusieurs lames sans presque aucune pause, n'arrivant pas à avoir le résultat que je souhaite. Malheureusement, il semblerait que le patron est débordé, enchainant le service de plusieurs boissons et ayant à peine le temps de souffler.

Pour passer le temps, je reporte mon attention sur mon compagnon de tablée. Au milieu des ouvriers et aventuriers, il dénote autant par son allure que son comportement. Je regarde le carnet dont il noircit les pages avec sa plume, attisant légèrement ma curiosité. Je le détaille, essayant de voir à qui j'ai affaire pour m'occuper plus qu'autre chose. J'observe son équipement et constate rapidement qu'il ne s'agit pas d'un aventurier, d'un mercenaire et clairement pas d'un combattant. Je capte alors son regard curieux qui m'observe par moment, plissant légèrement le regard en lui souriant. Mes lèvres s'étirent en un petit sourire alors que je décide d'engager la conversation.

« Alors, qu'est-ce qu'un voyageur comme vous vient faire à la Forteresse ? Pour chercher l'inspiration pour écrire ? »

Almassar voit son sourire s'élargir quand il se rends compte que sa blague semble prendre, au moins assez pour arracher un sourire à sa nouvelle comparse qui parait fort fatiguée et lasse. Tout comme lui, son regard se perd régulièrement dans les flammes et leur ballet rassurant et calme, avant même qu'elle ne vienne lui réponde. Finalement, les premières formalités sont échangées, moyen plutôt neutre d'ouvrir une conversation se finissant sur un léger rire soufflé par l'homme qui entrouvre les lèvres quelques instants, avant de sourire plus largement. Le regard de l'enchanteur se pose sur les tables voisines, les quelques regards lubriques que certains clients viennent poser sur la forgeronne installée face à lui, sur son physique avantageux. Lui même est obligé d'admettre que c'est une belle femme, et dans un accoutrement des plus surprenant pour les lieux. Et hélas pour l'enchanteur, il ne peut s'empêcher de rajouter d'une voix taquine et amusée, qui ne se veut nullement vexante même si les mots eux sont déjà bien plus maladroits pour ne pas dire déplacés.

-"Vous dites vous appeler Sia, mais en apercevant la façon dont la majorité des clients vous dévorent du regard, j'aurais justement dit que vous vous appeliez "Travail", vu comme vous les réchauffez par la simple vue de votre corps."

L'enchanteur continue d'observer sa voisine de tablée, suivant son regard qui est de nouveau attiré sur l'âtre de la cheminée. Il se fait happer à son tour par cette douce danse enflammé, cette étreinte ardente des braises crépitantes laissant monter lumière et chaleur sous la forme de flammes incandescentes. Les secondes s'égrainent lentement, laissant le sablier du temps souffler ses poussières sur le monde, sans même que l'homme ne s'en rende compte, sacrifiant ces particules sans aucune gêne sur l'autel d'une introspection flamboyante.

Mais finalement, contrairement à Sia, il émerge. Ses pupilles se posent sur la demoiselle, ne peuvent s'empêcher de remarquer qu'elle est totalement absorbée par ce spectacle qu'il vient juste de quitter. Entrouvrant les lèvres, il finit par les refermer, comprenant ce besoin de s'isoler du monde extérieur, de lâcher son emprise sur les évènements et juste se laisser porter par ses songes, en une réflexion souvent réparatrice. Sans même imaginer vers quels rivages la forgeronne vogue de cette manière, Almassar en profite pour détailler plus longuement cette fleur, si étrange. Et bien rapidement, ses propres petites manies prennent le dessus et, accompagnement le crépitement des flammes, vient se joindre le grattement d'une plume sur le papier.

Ses premières observations de cet étrange artefact végétal qu'il présume -a tort- magique, sa forme, quelques détails pouvant l'aider à chercher de plus amples informations à son sujet plus tard. Et l'homme doit se mordre la lèvre pour résister à l'envie de se pencher au dessus de la table et effleurer ces pétales pour en comprendre tous les secrets et mystères. La chair blanchit sous ses dents, et heureusement, la demoiselle semble revenir à elle, lui évitant le risque de céder à cette vilaine curiosité qui étreint son imagination. Et ce petit jeu de regards a moitié dérobés tandis qu'il continue de noter reprends, jusqu'au moment où Sia décide d'ouvrir la conversation à son tour. Un sourcil s'arque sur les traits de l'enchanteur, qui sourit plus largement en redressant entièrement le regard vers elle.

-"Alors absolument pas ! Je suis venu ici pour le travail, je suis enchanteur et je n'avais encore jamais eut l'occasion de visiter la région. J'ai donc profité d'une légère baisse dans les commandes et les divers travaux pour explorer le monde un peu plus en profondeur. J'aime l'idée d'explorer le monde, de découvrir de moi même comment fonctionne tout ce que je pourrais être amené à l'utiliser, plutôt qu'a attendre à la capitale que tout m'arrive tout cuit dans la bouche et me satisfaire de la théorie..."

Il va pour parler de nouveau, avant de se mordre la lèvre et de retenir sa passion débordante au sujet de son travail. Il fait des efforts visibles pour noyer ce débit de parole qui menace de briser le barrage de ses dents, capable de l'emporter pour des heures d'une conversation sans fin à propos de chaque petit aspect de ce métier qu'il trouve si passionnant et prenant. C'en serait presque comique, ce petit visage blanchâtre de froid se teinter de rouge, avant qu'il finisse par se détendre en poussant un grognement, détournant le regard vers le tavernier qui semble enfin commencer à s'occuper de préparer la tambouille. Almassar espère bien que c'est pour eux, surtout au vu des grognements que son ventre tente de pousser avant d'enfin poser ses iris de nouveau sur Sia, retenant cet air constipé qui le qualifie si bien en cet instant.

-"Et vous donc, quel métier exercez-vous par ici ? Je présume forgeron, ou un métier lié aux forges, à cette douce odeur de métal qui vous accompagne, mais je suis curieux d'en apprendre plus."

Difficile de se concentrer en même temps sur le tavernier et sur la forgeronne, chacun représentant un point d’intérêt différent. Puis finalement ce premier perds toute trace d'attention quand les écuelles sont livrées à une autre tablée que la leur, un nouveau grognement échappant difficilement de la gorge de l'homme, particulièrement patient, sauf quand il s'agit de manger et qu'il a faim. Pour s'occuper l'esprit, il reprend ses notes, sans cesser de scruter la demoiselle face à lui. A défaut d'avoir un service rapide et agréable, il ne peut nier que la compagnie qui lui est échue en cette soirée l'est déjà beaucoup plus.

Est-ce une tentative d'humour de sa part ? J'ai comme un léger doute. Je ne peux m'empêcher de lancer un regard aux tables voisines, croisant le regard de certains hommes en manque visible de compagnie féminine. Je ne peux m'empêcher de pousser un petit soupir en voyant certains regards lubriques. Je me redresse sur ma chaise et décide d'ignorer ces hommes, me concentrant sur mon interlocuteur. Je l'écoute parler avec un petit sourire, me berçant de ses paroles pour oublier le sujet de mon énervement passager.

Un enchanteur en voyage. Voilà un personnage intéressant. Il me fait tout de suite penser à Vivianne, mais rapidement ses paroles me démontrent qu'il est aussi bien différent d'elle. Il semble avoir cette même curiosité propre aux enchanteurs, cette soif de savoir, d'apprendre et de s'enrichir intellectuellement. Mais là où l'enchanteresse dégageait une certaine assurance et maturité, Almassar semble presque plus candide et il se perd bien plus rapidement dans ce qu'il raconte. Je ne peux m'empêcher de sourire bien plus franchement quand je le vois se retenir de continuer de parler, je suis visiblement amusée par son attitude. Il aurait pu continuer ainsi un moment, je ne l'aurais pas arrêté, me contentant de simplement l'écouter pour passer le temps et essayer d'oublier la faim qui se fait sentir de plus en plus.

Je suis le regard de l'enchanteur vers le tavernier, il semble plus que débordé par la charge de travail ce soir, mais je sais prendre mon mal en patience. En cet instant je suis surtout lasse de ma journée de travail, mon corps fatigué par la quantité d'efforts physiques dont j'ai fait preuve. Mes muscles commencent à tirer au fur et à mesure qu'ils se refroidissent, les premières courbatures se faisant ressentir au niveau des épaules. À force d'exercer ce métier depuis de plusieurs années, j'ai appris à connaître mes limites, à jouer avec et les repousser en suivant ma croissance. Maintenant, j'apprends à endurcir mon corps et affiner mes compétences. Je ferme un instant la paupière, sentant la fatigue doucement me gagner. Une bonne nuit de sommeil sera plus qu'appréciable, c'est certain, mais hors de question de me coucher le ventre vide.

Je fixe à nouveau le jeune homme quand il me pose la question de mon métier. Avant même que je ne lui réponde, il fait déjà les réponses. Je me mets à légèrement rougir à sa remarque sur mon odeur, tentant de renifler mon haut de façon plus ou moins discrète. Cette odeur de métal qu'il décrit, je la connais bien, je m'y suis habituée et je ne la sens même plus avec le temps. J'ai grandi avec et je continue de vivre au contact du feu, du charbon et du métal. Cette odeur me rappelle aussi le rouquin me servant de maître, lui qui arrive encore moins à se débarrasser de cette odeur que moi, comme si sa peau en était imprégnée constamment. Je le chasse à nouveau de mon esprit pour me concentrer sur cette conversation légèrement gênante.

« Il semblerait que j'ai bien besoin d'un bon bain... »

Je souffle un petit rire en notant que je devrais aussi faire une bonne lessive en plus de me laver. Heureusement, j'ai emporté mon net'noix avec moi, il me suffira de réclamer un seau d'eau et en une quinzaine de minutes mes vêtements seront comme neufs et pourront sécher pendant la nuit. Je relève le regard sur Almassar, lui souriant alors que je réponds enfin à sa question.

« Je suis effectivement forgeronne. Plus exactement apprentie forgeronne. Je travaille actuellement sous la tutelle d'un maître-forgeron. »

Enfin, sauf cette semaine.

Je ne ferais pas de commentaires sur le fait que je fais des infidélités à la forge de Lyle, mentant de façon honteuse à mon maître sur les activités que j'exerce cette semaine. Je suis partie en lui donnant l'excuse d'une mission demandant que je quitte la forge pendant plusieurs jours et je profite de sa crédulité et sa confiance pour travailler ailleurs. Le pire étant que je ne fais absolument pas cela pour gagner quelques cristaux supplémentaires...

« En apprendre plus ? »

Je vois que l'enchanteur semble hésiter entre surveiller les allers et venues du tavernier et ce que je raconte. Après une déception quant au service de la nourriture, il semble vouloir plutôt se concentrer sur moi et ce que je peux lui raconter.

« Le métier de forgeron ne doit pas être aussi passionnant que celui d'enchanteur. Je passe mes journées à battre le métal, confectionner des lames et autres armes ou outils à la demande des clients. Un travail assez monotone. Et je suis loin de pouvoir explorer le royaume comme vous. »

Même si en réalité, je voyage bien assez pour mes missions pour la guilde.

Comme souvent, je tais le fait d'être aussi aventurière. Je ne tiens pas à commencer à déballer ma vie au premier venu. Je préfère rester évasive et simplement répondre aux questions qu'il me pose pour ensuite lui adresser mes propres questions et essayer de détourner sa curiosité de ma vie.

« Vous avez décidé de narrer vos aventures et explorations ? »

Je jette un petit coup d'œil vers la plume de l'enchanteur, scrutant un instant son écriture sur le papier, essayant de repérer certains mots qui ont pu être ainsi couché.

La petite blague de l'envouteur semble passée à la trappe vu le regard qu'offre Sia aux tablées alentours par la suite. Elle ne semble pas être une adepte du second degré, ce n'est pas grave... Almassar se dit simplement qu'il ne vas pas cesser d'en faire pour si peu, ce serait dommage de se priver après tout. Cette façon de blaguer de tout est à la fois son moyen d'aller vers les gens comme sa protection, il est plus facile de détourner les sujets qui fâchent avec un peu d'humour plutôt que de les assumer directement. Et rapidement il remarque qu'elle semble amusée de sa façon d'essayer de retenir ses paroles, arquant légèrement un sourcil avant de passer à autre chose, se retenant de peu de pouffer de rire quand il la voit tenter de renifler ses vêtements. Ce n'était pas un reproche, même si l'odeur métallique semble effectivement planer dans son sillon et ne jamais l'abandonner, arrivant même à surplomber les effluves de bière brassées en trop grande quantités et de la tambouille du soir.

Almassar déploie des trésors pour arriver à disperser son attention en plusieurs endroits à la fois. Écoutant la forgeronne, du moins l'apprentie de ses propres mots lui expliquer son quotidien, il continue aussi de noter d'une main rapide. Et Sia pourra surement en comprendre une grande partie, car les notes sont découpées en deux. Une première moitié qui semble posséder un style plus lourd, presque narratif de son voyage et rencontres, geste épique de ses aventures qui ne le sont pas, et une seconde bien plus descriptive et concise, concernant l'aspect technique des objets, enchantements et magies rencontrées. L'aventurière pourra aussi regarder les notes concernant sa fleur, dénotant très clairement la curiosité qu'il éprouve à l'égard de cet étrange végétal.

Puis il ne peut s'empêcher de rire quand elle parle de voyages, finissant par redresser la tête vers elle entièrement. C'est un peu son réflexe, l'écouter en écrivant, et lui accorder toute son attention quand il vient lui répondre. Son sourire est toujours présent, ne semblant jamais quitter son visage, le regard pétillant d'amusement.

-"Vous savez, c'est l'un des premiers vrai long voyage que j'effectue. J'espère justement avoir l'occasion de plus souvent partir de la Capitale à l'avenir, on prends rapidement gout à ce genre de possibilités."

Toujours aucune nouvelle de leurs verres ni de leurs plats qui semblent capturés par un tavernier débordé, dont la présence commence à ne plus intéresser l'enchanteur. Après tout, la nourriture tarde vraiment, assez pour que son ventre grogne sérieusement, lui faisant rouler des yeux. Ainsi trahi sur sa faim par son propre estomac, sans même arriver à se contenir, quelle tristesse. Heureusement que Sia étouffe un peu l'odeur de nourriture, le début de soirée serait vraiment terrible autrement. Son esprit se perds de nouveau quelques secondes sur les cimes qu'il a pu apercevoir à son arrivée, cette ville nichée au milieu des montagnes et des dangers, toutes les découvertes réalisables et surtout toutes celles encore à venir. Puis, il arrive à se concentrer de nouveau sur la forgeronne pour continuer.

-"Et je ne sais pas si l'on peut réellement parler de métier plus passionnant qu'un autre ou non. Après tout ce qui importe c'est que nous il nous passionne, et que l'on aime ce que l'on fait. J'adore mon travail, et c'est pour cela que je m'y immerge tant. Et je suis sur qu'il y'a tout autant à apprendre en forge qu'en enchantement, après tout, il n'y aurait nul besoin de maîtres dans votre domaine autrement."

Enfoncer des portes ouvertes ? Oui, c'est sa spécialité. La dernière question de Sia résonne dans son esprit quelques secondes, tandis qu'il se mordille la lèvre pour chercher comment expliquer ce qu'il fait. Mettant peu à peu de l'ordre dans son esprit, tapote doucement de ses doigts le cuir du carnet, commençant à parler plusieurs fois avant de cesser, semblant avoir du mal d'exprimer réellement ce qu'il pense, avant de finir par se jeter entièrement à l'eau. Et à vrai dire, cette question est bienvenue pour lui, le forçant à réellement mettre le doigt sur le but de ses écrits, surtout la partie plus romancée qui ne lui ressemble habituellement pas.

-"Alors oui... Et non. J'essaye justement de diviser cela en deux parties. J'ai toujours beaucoup écrit, de manière à garder des traces de ce que j'ai pu rencontrer, examiner. Ça me permet d'essayer de les reproduire ou de les améliorer une fois chez moi et dans mon atelier. De l'autre coté je m'essaye tout juste à aussi décrire mes voyages d'une manière un peu plus narrative comme vous l'avez si bien dit. Car peut être de tout cela finira par sortir quelque chose d'utile ou d'intéressant, qui sait ?"

Lui même ne semble pas réellement convaincu de ses derniers mots. Essayer de faire autre chose que du clair et concis, ainsi sortir de sa zone de confort n'est pas aussi facile qu'il aurait pu le présumer. Remplir ce carnet ces dernières semaines de ses écrits chevaleresque d'un voyage ennuyeux à mourir et de plus en plus froid était une bonne occupation, mais maintenant que le vrai travail commence, Almassar en voit de moins en moins l'utilité. Initialement, c'était pour avoir un autre angle de vue sur les évènements, de justement ne pas se limiter aux descriptions techniques et essayer d'englober les choses sous un angle plus vaste, mais force est de constater qu'il est loin d'être une belle plume, considère-il. Ou peut être simplement qu'il n'aime pas les fioritures, il ne sait pas encore le dire.

Finalement, un soupir tranche dans ses réflexions l'emmenant sur une pente glissante et un peu plus douceâtre que la soirée actuelle. Non, il vient à peine d'arriver et ce serait dommage d'ainsi ternir la joie apportée par la fin de ce voyage. Tentant, comme toujours, de tout détourner sur l'humour, il relance finalement d'un ton qui se veut amusé, même si sonnant légèrement faux durant une seconde.


-"Par contre, si le repas ne finit pas par arriver rapidement, je vous jure, enchanteur ou non, je trouve un moyen de transformer la glace en feu et faire cramer cette taverne. Au moins, la viande sera assez cuite pour le repas comme ça !"

Entendre l'enchanteur parler dire qu'il s'agit de son premier vrai voyage en dehors de la Capitale me rappelle soudainement mes propres débuts qui ne sont pourtant pas si loin. Avant de devenir officiellement aventurière j'ai passé de nombreuses lunes à m'entrainer à me battre et à survivre. Alors que Rid se concentrait uniquement à m'apprendre à utiliser mes poings et des armes -sait-il seulement faire autre chose ?- j'ai rencontré Java qui a décidé de m'apprendre bien plus. En voyant que mon imbécile de frère ne sait pas enseigner autre chose que taper de toute sa force, la lieutenante des Belluaires a préféré nous apprendre à utiliser notre corps autrement ainsi que des méthodes pour survivre. Je me rappelle encore ses petits "exercices" en pleine forêt à nous mettre à l'épreuve et nous placer en danger pour nous montrer les dangers qui nous attendent en tant qu'aventurières. Cette époque me semble à la fois terriblement lointaine et proche. Les lunes ont défilé plus vite que je ne l'imaginais, j'ai beaucoup changé et appris depuis, j'ai risqué ma vie plus d'une fois, ayant vu la mort de très près comme l'ayant donné à plusieurs reprises.

Je me redresse et me concentre sur les paroles du jeune homme pour essayer de ne pas penser aux visages des hommes que j'ai dû tuer. Je suis plutôt d'accord avec sa vision des choses, un métier qui passionne et qui nous absorbe complètement, que demander de mieux ? J'ai retrouvé ce plaisir de forger et de m'immerger complètement dans mon travail, de me créer une bulle dans laquelle il est devenu difficile de me tirer. J'esquisse un petit sourire à ses mots. Il est vrai qu'il y a des maîtres forgerons, des personnes dépassant le simple statut de forgerons, des hommes et des femmes menant cet art à un tout autre niveau. Lyle en fait partie, même s'il n'est pas forcément de cet avis. Mes pensées me ramènent à nouveau à lui, malgré moi.

Je pousse un petit soupir, écoutant les paroles de l'enchanteur d'une oreille alors que mon regard déchiffre lentement son écriture. Il dit séparer ses écrits en deux parties, je repère assez facilement la partie plus romancée dont il parle, l'organisation de ses mots semblant légèrement différente. Mon regard est alors plus attiré par l'autre partie, une partie qui me semble plus familière et me rappelant mon propre carnet. Je serais presque tentée de le sortir de mon sac sans fond et m'y plonger à mon tour, ce qui serait arrivé si je n'avais pas trouvé de la compagnie auprès d'Almassar. Je comprends parfaitement ce dont il parle, ayant une habitude similaire avec mes propres notes. Je souffle un petit rire que j'essaye de faire discret, mon regard alternant entre son visage et son carnet.

Je ne relève pas sa réflexion sur la partie plus romancée de ses écrits. Je ne peux pas juger de cela, je n'ai jamais été tenté par l'écriture, me contentant de lire quelques romans d'aventures sur mon temps libre. Mon attention est plutôt portée sur ses notes, finissant par déchiffrer des mots qui semblent décrire ma fleur. Je ne peux m'empêcher d'arquer légèrement un sourcil et de sourire. Ce n'est pas la première fois que je rencontre un enchanteur, Vivianne aussi n'avait pu retenir une certaine curiosité en me voyant la première fois. Contrairement à elle, le jeune homme n'a pas encore osé me poser directement des questions sur l'origine de ce végétal trônant à la place de mon œil droit. Je m'adosse un peu plus à ma chaise en me plongeant dans mes pensées avec un léger sourire.

Ce sont les paroles d'Almassar qui me tire de mes rêveries, clignant légèrement de l'œil quand il parle de tout faire brûler. Je le regarde sans trop comprendre ce trait d'humour, mon esprit trop terre à terre essayant de déchiffrer l'intérêt d'un tel acte. Je réfléchis quelques secondes en fronçant les sourcils, dans une réflexion intense pour comprendre le sens de ces mots. Finalement, j'entrouvre les lèvres pour poser la question qui me brûle les lèvres, mais me ravise au dernier moment. À la place, je me redresse et essaye de prendre un air moins sérieux, affichant un petit sourire.

« Tout brûler risque de rendre la viande moins agréable à déguster... Je vais plutôt essayer de voir si je peux nous récupérer quelque chose à grignoter. »

Je me relève alors, me dirigeant directement vers le tavernier qui semble plus que débordé. Évidemment, mon passage attire à nouveau des regards que j'ignore, je suis bien trop fatiguée et affamée pour vouloir déployer de l'énergie pour ces hommes. Je ne suis pas comme Sofia, je ne cherche pas à défoncer des gueules au premier regard de travers, il est parfois plus simple de laisser faire tant que l'on ne touche qu'avec les yeux. Dès que le tavernier semble avoir deux secondes d'attention pour moi, je me permets de l'interpeller.

« Mon compagnon et moi pourrions avoir au moins nos boissons et de quoi patienter pendant que vous préparer nos repas ? »

Je désigne l'enchanteur d'un geste de la main et offre un petit sourire poli à l'homme ne sachant plus trop où donner de la tête. Après qu'il ait cligné des yeux plusieurs fois, il semble revenir à lui. Il s'excuse plusieurs fois pour le temps de préparation et fini par me tendre deux choppes de bière ainsi qu'une assiette avec des petits biscuits salés. Je récupère le tout en le remerciant et reviens à notre table. Je donne sa bière à l'enchanteur et m'installe à ma place en laissant les biscuits entre nous.

« On a au moins de quoi patienter un peu comme ça. »

J'esquisse un petit sourire tout en laissant l'homme se servir dans les biscuits, relevant simplement ma chope dans sa direction avant de prendre une première gorgée de ma bière. Elle n'est pas trop mal, bien que ça ne soit pas la meilleure que j'ai pu goûter, elle servira bien à me désaltérer et à me détendre un peu. Après un petit soupir de satisfaction en reposant ma boisson devant moi, je ne peux m'empêcher d'enfin poser cette question qui tourne en boucle dans ma tête depuis que j'ai lu ses notes sur ma fleur. J'affiche un large sourire amusé, un éclat curieux dans le regard alors que je pèse mes mots pour essayer de provoquer mon compagnon de tablée.

« Pour un enchanteur, cela m'étonne que vous ne m'ayez pas déjà assailli de questions. »

L'enchanteur est particulièrement expressif, que ce soit de ses mains qui s'agitent quand il parle, effectuant de grands gestes qu'il ne retient nullement -ou qu'il n'arrive à retenir-, ou de son visage qui laisse échapper nombre de ses émotions. Larges sourires ou commissures légèrement relevées en coin, yeux pétillant de curiosité ou d'amusements, rides d'expression qui se plient sur son front et ses sourcils quand il assimile une information. Sa lèvre qu'il mord régulièrement, ou même le pouce qu'il perds souvent pour jouer avec l'ongle et la pulpe de sa phalange. Tant de petits éléments sur lesquels il lâche la bride et qui parlent tout autant que lui, surtout pour Sia qui l'observe ainsi. Il ne semble pas se cacher ou se protéger outre mesure, ne voyant pas ainsi la nécessité de se refermer face à une inconnue dont, pour le moment, il apprécie la compagnie.

Se sentant observé, il redresse la tête et étire un sourire pour la forgeronne, voyant bien que ses écrits et son carnet l'intéresse. Il préfère néanmoins la laisser approcher à son rythme, continuant d'écrire tranquillement, le bruit de cette plume sur le papier contrastant sérieusement avec les sons alentours, les chopes qui claquent le bois, les clients qui parlent -et braillent pour certains- forts, alors que la soirée ne fait que commencer encore. Almassar s'amuse de ce petit jeu ou chacun jauge l'autre en silence, et pourtant sans jugement. Car lui même ne se prive absolument pas de détailler la demoiselle, dont il est obligé de reconnaître une nouvelle fois la beauté, même si il ne s'attarde pas sur ses courbes. Cette fleur attire de plus en plus souvent son regard, l'y magnétisant sans qu'il ne puisse y résister. Oh si des questions il en a nombre, et il compte bien laisser sa passion rapidement s'assouvir, ses mots l'inonder en un torrent de questions infinies. Mais pour l'instant, l'heure est à l'humour plus léger. Et si encore une fois elle ne semble pas totalement saisir la blague, le touriste apprécie au moins son essai pour rebondir dessus, qui lui arrache un sourire à cette réponse pragmatique tandis qu'il hoche la tête pour noter son appréciation du geste. Un petit quelque chose pour grignoter, voila qui est parfait. Et il ne le manque pas de le marquer tandis que la jeune demoiselle se relève.

-"En voici une bonne idée ! Si vous arrivez à adoucir ce pauvre tavernier, je n'aurais absolument rien contre."

Et bien sur, une fois de plus, le regard du chercheur suit Sia dans ses pérégrinations, capte le regard lubrique de certains clients, envieux d'autres qui aimeraient se passer de leurs épaisses tenues pour gérer le froid. Almassar lui même se demande comment elle fait. Certes le travail échauffe le corps et les muscles, l'habitude aide bien, mais pour en arriver à une tenue si légère par une température si froide ? Cela demande clairement un physique hors norme. Ou peut être est-ce l'un des avantages de la fleur qui l'aide à gérer les excès du thermomètre ? Tant de questions qu'il vient rajouter sur son carnet, laissant la jeune femme négocier avec le tavernier. De toute façon, il finit par la perdre de vue dans cette cohue humaine, et il ne voudrait pas être perçu comme il ne sait quoi à ainsi la détailler dans son moindre mouvement.

Le temps que sa comparse négocie leurs bières et quelques apéritifs, lui même se perds de nouveau dans son carnet, tournant les pages pour relire ses précédentes entrées, faire un premier point sur cet évènement. Il a du mal de s'en rendre pleinement compte, mais il est arrivé à sa destination. Ce voyage de presque trois semaines arrive enfin à sa conclusion, et avec ce dernier se ferme un pan de sa vie entière. Si il avait pu faire de petits déplacements, généralement, ils étaient limités à des villages proche de la capitale, un peu comme celui dans lequel il était né. Quelques jours de trajet au grand maximum sur des terrains des plus amicaux et des routes tranquilles. Absolument rien de la taille de ce qu'il vient d'entreprendre avec succès, à sa propre surprise. Et à vrai dire, si l'épuisement obscurcit encore son jugement et le rends aussi sensible émotionnellement, au point d'en questionner ses propres écrits et leurs buts, il ne peut que s'en ravir. Une page de sa jeunesse est fermée, une nouvelle s'ouvre. Et à peine arrivé dans la Forteresse que déjà il souhaite en découvrir, en apprendre et surtout en faire plus. Sa soif d'aventure ressurgissant avec bien plus d'intensité, maintenant qu'il s'était prouvé qu'il était capable de réaliser de telles choses.

Sans même s'en rendre compte, Almassar continuait de lire son carnet, tournant parfois les pages pour annoter quelques détails supplémentaires dont il se souvient à froid dans les interlignes. Finalement, c'est le bruit de la chope posée face à lui qui le sort de ses rêveries, en un clignement des yeux pour s'accrocher au monde matériel une fois de plus. Le sourire revient sur ses traits tandis qu'il se saisit de sa chope, la levant vers Sia pour la saluer.

-"Eh bien félicitations à vous pour avoir su récupérer quelque chose, et santé !"

Une première gorgée, et le breuvage passe tout seul. Il est correct, surtout pour quelque chose qui doit être produit en si grand volume vu l'affluence. Quelques biscuits qui gonflent avec le liquide permettent de tuer temporairement la faim, et enfin vient la question de la forgeronne, faisant arquer un sourcil à l'homme tant elle est directe. Un rire échappe de ses lèvres, franc, durant quelques secondes avant qu'il n'arrive à le taire, scrutant sa partenaire de soirée droit dans les yeux pour venir lui répondre.


-"Oh mais des questions j'en ai des dizaines sur cette fleur. Comment l'avez-vous obtenue, comment elle interagit à votre corps. De quoi se nourrit elle, et si vous arrivez à être en symbiose. Qu'est-ce qu'elle vous apporte et que lui apportez-vous. Bien sur que des dizaines d'interrogations me viennent en tête, et bien plus encore si j'y réfléchissais quelques secondes. J'aimerais pouvoir la détailler, elle comme vous. Vous voir fonctionner ensembles. Mais vous semblez aussi fort fatiguée, pour ne pas dire troublée, et je vous connais à peine Sia. Donc même si oui, je porte un interêt plus que vif à votre personne et ce végétal, j'essaye de me tenir un minimum pour ne pas assaillir ainsi verbalement une inconnue dès son arrivée !"

Il termine avec un nouveau rire. Craquement de biscuits rapidement avalés, deux gorgées de bière. Puis il dépose le tout, reprenant fermement son carnet en main, sur la page consacrée aux premières interrogations concernant la forgeronne à l’œil solaire. Plume en main, il se penche légèrement sur la table, comme si il s'apprêtait à faire une confidence, laissant la pointe fraichement trempée dans l'encre perler juste au dessus du papier, déjà prêt à absorber ses mots et ses réponses, tel un parchemin de mémoire n'attendant qu'une action mécanique pour ainsi graver dans l'histoire ses soupirs de sagesse.


-"Mais vu que vous avez décidée de vous même ouvrir la voie à cette partie de la soirée... Je vous laisse répondre à cette première série de questions ! Je sais bien que d'autres me viendront rapidement en tête. Mais promis, si vous souhaitez cesser ou parler d'autre chose, je n'essayerais pas de piquer votre boisson pour obtenir mes réponses."

Nouveau sourire, signe qu'il blague... N'est-ce pas ? En tout cas, Sia semble avoir ouvert la boite de pandore, et cette dernière sera bien difficile à refermer, au moins tant que le diner ne sera pas la pour les distraire un peu.

J'observe l'enchanteur pendant qu'il rit, m'accoudant à la table, menton dans le creux de la main, petit sourire sur les lèvres en scrutant ses réactions. J'écoute ses paroles en portant ma chope à mes lèvres, affichant un air presque détaché alors que je ne rate pourtant aucune de ses questions, les imprimant dans mon esprit et réfléchissant à la meilleure manière d'y répondre. Je ne peux me retenir d'arquer un sourcil en le regardant par-dessus mon verre quand il parle de mon état. Mon visage se durcit un instant alors que je repose mon breuvage. Je ne pensais pas que l'on pouvait lire en moi à ce point et cela me déplaît visiblement même si je ne dis rien, continuant de l'écouter. Il marque également un point quand il dit ne pas vouloir assaillir verbalement une inconnue qu'il vient de rencontrer. Je suis du genre à ne pas prendre de détour, à aller droit au but et ne pas aimer tourner autour du pot. Je comprends qu'il souhaite être poli et ne pas trop se révéler alors que nous connaissons seulement nos noms et nos métiers respectifs.

Je laisse un de mes doigts jouer avec le bord de ma chope, la pulpe glissant doucement sur tout le pourtour alors que j'observe mon compagnon de tablée, pesant mes mots et réfléchissant à la meilleure manière de répondre à ses questions. Tomber ainsi sur un enchanteur est une bonne opportunité pour moi. Même si je connais déjà Vivianne et que je peux faire affaire avec elle, l'enchanteresse dégage une aura bien plus intimidante que celle d'Almassar. Et puis, pourquoi refuser d'avoir un deuxième enchanteur dans ses contacts ? C'est toujours pratique de pouvoir demander des renseignements pour des objets magiques et pouvoir peut-être commencer à faire des affaires. Je ne vais pas cacher qu'avoir un enchanteur sous la main pour réaliser la forge de mes rêves serait plus qu'intéressant.

J'arque un nouveau sourcil à cette remarque sur ma boisson. Je regarde mon verre puis l'enchanteur sans vraiment comprendre. Je décide alors d'ignorer cette partie de sa remarque et je m'enfonce un peu plus dans mon siège, mains jointes au niveau de mon ventre et le regard légèrement dans le vide alors que je réfléchis. Quand j'ai suffisamment pesé mes mots, je regarde à nouveau l'homme en affichant un petit sourire amical.

« Il est vrai que nous nous connaissons à peine, je n'ai pas pour habitude de prendre des gants avec les gens. Je m'en excuse. »

Mon sourire s'élargit un peu plus alors que je prends une petite pause. Je regarde l'enchanteur qui semble attendre ses réponses avec une certaine impatience qui m'amuse. Je laisse encore un petit temps de pause avant de commencer à répondre.

« Je ne peux répondre qu'à une partie de vos réponses. Simplement que je n'ai pas la réponse aux autres. Je suis née avec cette fleur, elle a toujours fait partie de mon corps. Elle fait partie de mon pouvoir et l'alimente. Grâce à elle, mon corps se régénère à une vitesse inhumaine quand je suis exposée à la lumière. »

Évidemment, j'ai une idée plus précise de comment fonctionne mon pouvoir. Je l'ai testé et j'ai expérimenté avec, n'hésitant pas à maltraiter mon corps jusqu'à atteindre certaines limites. Je n'ai par contre aucune idée de comment cela fonctionne exactement, peut-être même que l'idée que je me suis faite de mon pouvoir est fausse. Je suis moi-même curieuse du fonctionnement de mon corps et j'aimerais en savoir plus, savoir si je peux le manipuler avec une certaine volonté. L'enchanteur qui m'a tatoué semblait dire que oui même s'il n'était pas aussi curieux que cela du fonctionnement de ma fleur et de la symbiose nous liant. Je me redresse un peu pour regarder Almassar dans les yeux.

« À vrai dire, vous pouvez certainement m'en dire plus sur mon pouvoir que je ne peux vous le dire. Je ne suis pas une érudite. Je connais seulement les effets de mon pouvoir, non comment il fonctionne. »

Nouveau sourire alors que je récupère ma chope. L'alcool commence déjà à doucement faire effet, à me détendre et me rendre un peu plus bavarde. Je prends une nouvelle gorgée avant de me remettre au fond de mon siège, bière à la main, attendant la suite des questions de l'enchanteur.

L'homme ne perds rien des réactions de la forgeronne face à lui. Il peut voir qu'au moment ou il évoque son état, sa fatigue et ce qui ressemble à une certaine lassitude, elle se renfrogne pour ne pas dire qu'elle se referme. Notant cela, il vient lui offrir un petit sourire désolé, notant intérieurement de ne plus recommencer. Il n'a pas envie d'ainsi lui rentrer dedans après tout, il apprécie sa compagnie et ce serait dommage d'ainsi la mettre en froid simplement à cause de quelques mots mal placés. Une fois son barrage de question terminé, il prends un peu plus de temps pour noter les expressions que Sia laisse échapper, sa façon d'assimiler le flot de paroles. Saisissant de nouveaux petits biscuits, il vient les croquer pour faire passer le tout avec plus de bière. A ce stade, il va arriver à se couper la faim avec cet apéritif improvisé, ce qui serait dommage.

Saisissant entre ses doigts la chope, il appuie l'ongle contre le bois de son contenant, frottant légèrement le pourtour pour s'occuper les doigts. Rien à noter durant cet instant où la forgeronne semble réfléchir avec elle même. Prenant son mal en patience, il vient prendre une nouvelle gorgée, approchant rapidement la fin de sa boisson. Quelques secondes de calme relatif au milieu de cette taverne, puis enfin elle se ressaisit et commence à parler. Cela fait souffler de rire Almassar qui hausse les épaules.

-"Pas de problèmes, on a chacun notre façon de faire et de voir les choses."

Puis, voyant qu'elle fait une nouvelle pause et se prépare à parler, l'enchanteur dépose sa chope pour se saisir de son carnet et de sa plume. La suite se promet passionnante et en effet, quand elle commence à évoquer ses talents et ses dons, il ne peut s'empêcher de griffonner chacun de ses mots sur le papier, commençant dans un premier temps par faire une retranscription mot pour mot des propos de Sia, avant d'y ajouter ses propres interrogations. Une plante en symbiose avec un humain, une photosynthèse régénératrice. Un pouvoir intéressant de part son coté presque ... Normal. Après tout, c'est simplement un phénomène naturel, mais apporté à un corps humain.

Tout en écrivant, l'homme sent le regard de sa comparse se poser sur lui. Il redresse lentement le regard, sans cesser d'écrire. Certes, ses mots sont un peu plus brouillon et moins précis, mais il arrive tout de même à tenir un rythme correct tandis qu'elle reprend la parole. Almassar est stupéfait de voir l'apprentie ainsi curieuse de son talent, tellement qu'il en cesse d'écrire durant quelques instants. Il pose sa plume, liant ses mains pour les joindre au niveau de son menton et s'appuyer contre, fixant de son regard aux lueurs dorées la femme face à lui, la jaugeant de haut en bas. Elle lui demande quelque chose qui n'est pas facile, et étrangement il a l'impression qu'elle est déjà au courant. Pesant soigneusement ses mots, il s'humecte les lèvres pour enfin lui répondre.

-"Disons qu'a première pensée, je ne suis pas sur de réellement pouvoir vous aider en l'instant présent. Je pourrais surement comprendre comment votre pouvoir fonctionne, mais pour cela il faudrait que je vous examine. Que j'expérimente sur vous pour voir comment interagit cette fleur réellement, et comment son pouvoir affecte votre corps... Et ce qu'il est possible d'en faire."

Gorgée de sa chope, qu'il finit par vider avant de pousser un soupir qui contraste par le léger sourire qui étire les lèvres de l'enchanteur, décidément intéressé par un tel défi offert sur un plateau d'argent. Pour ne pas ainsi la laisser sur une constatation aussi négative et pouvant faire douter de sa curiosité et de sa passion, il reprend bien vite pour éviter de laisser le silence s'enraciner dans leur conversation.

-"A première vue je dirais qu'il s'agit d'une étrange photosynthèse magique. Maintenant, si c'est réellement le cas, cela voudrait dire que la fleur a développé des racines ou quelque chose de similaire à la place des nerfs dans votre œil. Un moyen de vous transmettre cette énergie qu'elle accumule. Si réellement vous êtes curieuse de votre pouvoir et que vous acceptez de me faire confiance à terme,  je pourrais me pencher plus en avant sur votre pouvoir et son fonctionnement. Avec votre accord bien sur."

Il souligne bien ses derniers mots en fixant la forgeronne droit dans les yeux. Oui, il serait prêt à expérimenter et essayer sur elle, mais cela ne serait peut être pas de tout repos. Surtout qu'étant liée à son corps, Almassar n'a aucune idée de ce que des expérimentations sur sa fleur pourraient causer sur le corps de la jeune femme. Et ce serait justement la première chose à essayer, qu'il découvre les limites de ce qu'il peut ainsi infliger à Sia sans la mettre dans une douleur ou un inconfort trop intense. Bien sur, tout cela est noté sur son carnet... Et il ne cherche même pas à le cacher, laissant la demoiselle lire si elle le souhaite, et comprendre réellement ce qu'elle lui demande.

J'écoute l'enchanteur parler et m'exposer ses théories. Je ne le quitte du regard que pour boire ma bière, reportant ensuite mon attention sur lui sans dire un moment, une expression neutre sur le visage. La première partie de sa réponse me fait légèrement arquer un sourcil. Qu'entend-il quand il dit vouloir m'examiner ? Certes je veux en savoir plus sur mes capacités, mais je ne tiens à pas être scrutée comme un quelconque objet magique. Et expérimenter ? Je serre légèrement la mâchoire. Je ne connais pas Almassar, je ne vais pas le laisser m'approcher trop facilement. Je ne sais pas encore si je peux lui faire confiance. Je ne dis rien et le laisse continuer. Une photosynthèse ? Évidemment je me suis renseignée sur les plantes quand j'ai voulu en apprendre plus sur mon pouvoir. Un terme que j'ai croisé à plusieurs reprises dans les livres que j'ai pu lire, même si je ne comprends pas tout des explications scientifiques, j'ai pu en saisir les grandes lignes. Pour le reste, je ne sais pas encore trop quoi en penser.

Je repose ma chope sur la table avant de lancer un regard en direction du tavernier. Il semble s'activer pour préparer les repas et les servir, notre tour ne tardera pas à arriver. Je m'enfonce dans mon siège en reportant mon attention sur le jeune homme, réfléchissant un moment à ses paroles. J'hésite à lui en dire plus. On m'a enseigné de ne pas trop en dire sur mon pouvoir, le garder comme atout. Ai-je suivi ces conseils jusqu'à maintenant ? Pas vraiment. Même si les personnes connaissant les détails de mon pouvoir en dehors de ma famille se comptent avec les doigts d'une seule main, j'ai le défaut de ne pas être très prudente. Je pousse un soupir en me décidant. Si je veux en apprendre plus, je dois arrêter de trop réfléchir.

« Des racines à la place des nerfs... C'est possible. Je peux vous dire que ma fleur n'est pas vraiment un organe de mon corps. Dans le sens où... Je n'ai aucune sensation au toucher dessus, je ne ressens non plus aucune douleur si on essaye de l'abimer. »

Je reprends ma chope et regarde la quantité de liquide restant encore dedans avant de la finir cul sec et la reposer devant moi. Je reporte mon attention sur Almassar et le regarde dans les yeux.

« Je ne sais pas non plus si on peut dire qu'il s'agit d'une véritable plante. Il me semble que normalement ce sont les feuilles qui font de la photosynthèse... Pas les fleurs. »

Évidemment, il peut y avoir des exceptions à cette règle. Après tout, dans notre monde nombre e choses viennent piétiner les règles toutes établies par les différents érudits et scientifiques qui mènent des études poussées.

« En faisant des recherches, j'ai vu qu'elle ressemble à une fleur de Weissium par son apparence, mais elle n'en a pas les capacités spéciales. Je peux aussi vous dire que je peux retirer la fleur de mon orbite et la décrocher sans provoquer aucune douleur. En revanche, elle se met à faner directement. Quand j'enlève ma fleur, il n'y a pas d'orbite vide visible. Aucun trou visible, seulement de la peau qui remplace l'emplacement normal de mon œil. »

Je souffle un petit rire et esquisse un sourire amusé.

« Mais je vais éviter de le faire ici. Dans un lieu public, je veux dire. C'est un peu étrange. »

Je pousse un soupir en réfléchissant. Mon regard se perdant légèrement dans le vide alors que je suis pensive.

« Que dire d'autre... Ah oui. Si je retire ma fleur, elle se met à repousser à son emplacement après quelques jours. J'ai l'impression aussi que ma régénération est meilleure quand il fait beau et chaud. Et un enchanteur m'a fait un tatouage magique qui me permet de puiser dans l'énergie de ma fleur pour soigner certaines de mes blessures. Je n'ai pas vraiment compris toutes ses explications, mais ça fonctionne un peu comme une potion de soin. »

Ma chope maintenant vide, je n'ai plus rien pour m'occuper. Je reporte mon attention sur l'enchanteur en réfléchissant à ce que j'ai pu oublier comme détails. Après tout s'il veut déjà émettre des hypothèses, autant lui donner un maximum d'éléments dès maintenant.

Difficile de lire le visage de la forgeronne désormais. A croire que le commentaire qu'il lui a offert plus tôt l'a vraiment incitée à faire attention à ses expressions faciales. Dommage pour l'enchanteur qui perds ainsi un moyen particulièrement pratique de comprendre de quoi il en retourne, si ses mots touchent juste ou au contraire viennent la vexer. Et il parle, parle, parle, dans ce qui ressemble de plus en plus à un puits sans fond. C'en est presque frustrant d'ainsi exposer idées et théories, pour n'avoir en retour qu'un visage aussi lisse qu'un miroir aussi neutre que l'eau qui dort. Le tavernier et sa promesse culinaire semble même plus intéressant que les propos qu'Almassar tient à la demoiselle à propos de son propre don. Durant quelques instants il aurait presque l'impression de devoir mal prendre cet échange qui, lui semble-il, est tombé dans l'oreille d'une sourde. Mais finalement, elle semblait juste dans ses pensées ou occupée à réfléchir. Son soupir est le prélude de ses premières explications, et pour un moment, c'est à l'homme d'écouter sans rien dire, liant ses doigts quelques secondes avant de reprendre ses notes avec un léger sourire.

Un sourire car il apprécie ainsi discuter pouvoirs, réfléchir, forcer son esprit à une certaine gymnastique. Toujours en apprendre plus ce qu'il existe en ce bas monde et se demander comment l'améliorer, le perfectionner. Et le cas de Sia est des plus intéressants vu qu'elle semble en osmose avec une fleur qui se nourrit de soleil pour lui rendre une capacité de guérison. Définitivement passionnant pour quelqu'un comme lui, qui aimerait bien comprendre le fonctionnement précis... Car si il était possible de le reproduire, ce serait la porte ouverte à de nombreux objets tous plus utiles les uns que les autres. Et pas une seule fois il ne viendra l'interrompre durant tout son laïus, uniquement occupé à écrire et noter. Le bruit de la taverne autour d'eux le berce, et il en oublie presque sa faim et l'aubergiste qui tente de préparer leurs plats tant il est concentré sur sa tache de scribe du moment. Quand enfin la demoiselle à la température corporelle indécente termine ses explications, Almassar est presque encore plus perdu qu'au moment de ses premières questions. Beaucoup d'éléments s'assemblent, mais pour autant ils ne vont pas réellement ensembles. Une fleur qui se gorge de soleil pour offrir une capacité de soin sans user de photosynthèse. Un organe qu'il est possible d'arracher sans douleur, mais qui arrive tout de même à fonctionner. Comme si elle avait simplement été apposée sur sa peau, et interagissait sans en être réellement connectée. De quoi faire froncer les sourcils de l'homme, qui reste quelques secondes silencieux avant de pousser un léger soupir.

-"Dit ainsi, c'est une énigme quasi complète. C'est à croire que votre fleur est une sorte d'organe, d'organisme qui utilise votre corps comme d'un support, et augmente vos capacités de régénération pour vous tenir en vie. Une simple symbiose de dépendances en somme. Elle a besoin de vous vivante car sans votre corps elle flétrit, donc elle fait tout pour vous maintenir dans un état satisfaisant pour son épanouissement."

Tapotement du doigt sur le cuir de la couverture de ce carnet servant définitivement à coucher ses pensées et ses interrogations du jour, morsure de la lèvre pour réfléchir et se concentrer. Du coin de l'oeil il voit le tavernier qui apporte une ligne de plats non loin d'eux, signe que leur délivrance culinaire est proche. Rasséréné par cette vision d'espoir au milieu des ténèbres -oui, la faim qui tenaille son ventre mérite au moins d'être catégorisée comme un drame obscur-, il vient reprendre.

-"Le fait de pouvoir puiser dans son énergie pour se régénérer ne ferait qu'accentuer cela. Je me demande si, laissée assez de temps sans être touchée, elle ne produirait pas quelque chose de nouveau, si elle n'évoluerait pas. Ce n'est qu'une théorie bien sur, et elle peut totalement être fausse. Mais j'ai vraiment l'impression que vous êtes son terreau, en un sens. Ou que votre pouvoir est assez puissant pour nécessiter plus d'énergie que ce que votre propre corps peut produire, et que ce moyen de capter la lumière du soleil est juste un moyen d'obtenir cela."

Le temps qu'il explique cela, une silhouette les suplombe. Celle du tavernier, qui apporte nouvelles chopes ainsi que les plats fumants, chauds, à la douce et agréable odeur. Le tout finit déposé en un instant sur la table, baignant les deux êtres dans un fumet qui pourrait être considéré comme déjà fort agréable au naturel, mais qui, en cet instant de disette, semble encore plus agréable que le plus grand buffet des dieux.

-"Excusez moi pour le retard, avec les compliments de la maison."

Puis, sans demander son reste l'aubergiste part servir d'autres clients affamés tandis que l'enchanteur attrape ses couverts avec un large sourire, ne prenant qu'une seconde pour les politesses avant d'attaquer son plat avec une faim vorace.

-"Et bon appétit à vous !"

Il semblerait que mes explications et descriptions de mon pouvoir ont ajouté de nouvelles questions dans l'esprit d'Almassar. Il semble encore plus intrigué par mon pouvoir. Cela me fait légèrement sourire alors que j'écoute ses théories. La première partie de son explication me semble plutôt logique. Lorsque ma fleur est arrachée ou tombe, je n'ai plus la capacité de me régénérer. Est-ce que je peux encore me soigner volontairement ? Je n'ai pas essayé cela depuis que je me suis faite tatouer. Cela fait un moment que j'ai arrêté d'arracher ma fleur, et je l'économise quand je me soigne. Ma régénération est un atout, et je compte bien le conserver autant que possible. Je joins mes mains devant moi en jouant légèrement avec mes pouces alors que j'écoute la suite. J'écoute son hypothèse en haussant un sourcil. Ma fleur n'est pas tombée depuis plusieurs lunes, voire plusieurs années, et je n'ai observé aucun changement. Est-ce qu'il lui faudrait plus de temps ? Ou que je m'expose encore plus à la lumière ?

Beaucoup de questions me viennent en tête alors que le tavernier arrive avec notre pitance. Je le remercie d'un petit sourire et d'un hochement de tête. Ce dernier a à peine le temps de tourner les talons que déjà mon compagnon pour la soirée se jette sur son plat. Je souffle un rire avant de récupérer mes propres couverts.

« Bon appétit. »

J'attaque à mon tour mon plat. J'ai demandé un plat consistant, et je suis plutôt servie. Une portion généreuse de petites pommes de terres poêlées et revenues dans de la graisse de porc, le tout accompagné de morceaux de lard et de saucisse. Un plat généreux et qui me tiendra bien au ventre. La quantité semble plutôt impressionnante même si je n'ai pas de doute sur ma capacité à finir mon assiette. Peut-être même que je pourrais en demander une seconde... Et un dessert. Oui, un dessert ! Je n'en ai jamais quand je suis chez Lyle, alors autant profiter un peu. Je prends le temps de savourer plusieurs bouchées et de prendre une bonne gorgée de bière avant de reporter mon attention sur l'enchanteur.

« Vos théories sont intéressantes. »

Je pique une pomme de terre que je viens mâcher en réfléchissant aux questions que j'avais en tête avant l'arrivée du tavernier.

« Je ne sais pas si en la laissant ainsi pendant longtemps ferait quelque chose... Il faudrait sûrement plusieurs années ? Plus que ce que j'ai déjà pu faire en tout cas... »

Je réfléchis en prenant une nouvelle bouchée, le regard légèrement dans le vide. Je tapote légèrement ma fourchette sur ma lèvre inférieure.

« Et si je trouvais un moyen de l'exposer à la lumière plus longtemps ? Je veux dire, plus qu'avec un ensoleillement naturel ? Trouver un moyen de l'illuminer la nuit aussi... Ou bien trouver le moyen de lui apporter de l'énergie supplémentaire ? »

Je me perds un peu dans mes pensées et questionnements, oubliant presque mon plat et mon interlocuteur pendant un instant. J'ai tant de questions qui me viennent, de choses que j'ai envie d'essayer désormais. Jusqu'où peut aller mon pouvoir ? Jusqu'où je peux pousser les limites de mon corps. Je reviens alors à moi et me rend compte que je perturbe peut-être le repas de l'enchanteur en le faisant ainsi réfléchir. Me vient alors une autre idée.

« Vous comptez rester à la Forteresse quelque temps ? »

Une question à l'air bien innocente ainsi posée, mais je ne cache pas pour autant l'idée qui me traite derrière la tête. Un petit sourire vient légèrement étirer mes lèvres. Si l'enchanteur compte rester un moment, je pense que l'on va pouvoir discuter plus sérieusement de ses fameuses idées d'expériences qu'il veut mener.

Le repas est divin, comme son odeur le laissait présumer. Si peu de temps après son arrivée et son voyage, c'était pile ce dont il avait besoin. Une viande juteuse et saignante à souhait, des patates légèrement croustillantes et relevées d'un peu d'ail et de sel. Le tout arrosé correctement pour faire descendre le plat sans s'en rendre compte. Malgré sa carrure plutôt classique, il a clairement un appétit assez surprenant. Les voyages tendent à creuser, et l'attente sous les bonnes odeurs n'a fait qu'aiguiser sa faim vorace. Si certaines manières survivent encore, le début de la reprise de Sia est oubliée sous le plat qui diminue rapidement. Finalement, une fois la première bonne moitié avalée, l'enchanteur reprends conscience du monde qui l'entoure. Et si il n'a pas répondu un seul instant, tout ce que la forgeronne lui a dit est resté dans un creux de son esprit. Prenant une nouvelle gorgée de sa bière pour faire une légère pause bien méritée dans ce festin improvisé, il hoche du chef tout en souriant.

-"Ce ne sont que des hypothèses à propos de l'utilité réelle de votre fleur. Bien sur, je peux totalement me tromper et il faut des expérimentations, des essais pour voir de quoi il en retourne vraiment. Elle peut très bien être une excroissance naturelle développée par votre corps pour l'alimenter d'une manière supplémentaire."

La série suivante de Sia est fort intéressante, et il se posait la même question, de manière plus poussée. La lumière du soleil semble avoir un effet, mais d'autres lumières, d'autres sources d'illumination pourraient-elles fonctionner ? Tant de choses à essayer, à expérimenter. Le regard qu'il pose sur la forgeronne cette fois est bien plus curieux, venant la jauger de bas en haut. Essayer d'assembler les petits bouts d'information qu'il a, mâchonnant un nouveau bout de viande en même temps. La fourchette s'agite entre ses doigts alors que son esprit lui s'évade loin, sautant déjà d'idée en idée à la recherche de tests à mettre en place.

-"Ce serait une idée à essayer justement, en effet. Aussi le fait de découvrir si d'autres sources lumineuses que celle du soleil peuvent fonctionner. Les orbes que l'on appelle des lampes magiques, par exemple. Si pour fonctionner cela doit simplement toucher votre corps ou précisément votre fleur."

Et ceci n'est que le premier jet d'interrogations qui traversent l'esprit d'Almassar à toutes les pensées qui se bousculent dans son crane. Tenter de focaliser la lumière du soleil pour voir si la fleur peut brûler ou si au contraire, elle entrerait dans un état de surcharge. A quel point elle influe sur le corps de la forgeronne et ses limites, comment les repousser. Si il était possible de faire bouturer cette chose sur d'autres parties de son corps. Après tout, si vraiment elle est simplement posée sur l’œil, peut être est-ce sa peau et non son orbite vide le réel déclencheur. Tant de possibilités qu'il a envie d'explorer, tant de voies à découvrir et approfondir. Sia a clairement su piquer sa curiosité, et sa demande lui vaut un grand sourire suivi d'un léger rire, une fois qu'il avale la fournée de patates qu'il était en train de gober à grand renfort de dents.

-"Oh je compte y rester surement plusieurs semaines, voir plusieurs mois. J'ai beaucoup de choses à essayer et à apprendre avant de vouloir repartir. A vrai dire, je serais presque tenté de rester jusqu’à travailler assez pour m'acheter un accès aux salles de portails pour me gagner le temps du retour et en faire quelque chose de plus productif."

Car si la fleur est d'origine "classique", il est fort probable que quelque chose dans son fonctionnement lui le soit moins. Après tout, si il est possible de piocher de son énergie via un tatouage pour se régénérer, c'est que bien des mystères restent à résoudre. Et clairement, il a envie d'être celui qui se penche sur cette question alors qu'il finit par poser quelques secondes sa fourchette pour reprendre d'une voix un peu plus calme.

-"Maintenant si vous avez des questions précises, je peux essayer d'y répondre de mon mieux, mais il est clair que vous n'avez pas un don commun, et c'est justement ce qui rend la chose passionnante à examiner."

Son sourire s'élargit, sincère. Oh il ne pense pas à mal quand il dit cela. Jamais il n'oserait aller jusqu’à la disséquer vivante pour expérimenter, il est loin d'être aussi monstrueux. Mais ce serait mentir de nier qu'il est aussi curieux que la détentrice de cet étrange don de ses limites et de comment les repousser...

Je me suis aussi posée la question des orbes magiques, des lampes magiques ou de toutes autres sources lumineuses que l'on peut créer artificiellement. J'ai évidemment expérimenté à hauteur de mes moyens et de mes connaissances, mais tous deux restent très limités. J'aimerais pouvoir rendre mon pouvoir plus flexible, plus simple à utiliser et surtout moins contraignant. Seul un enchanteur peut me permettre d'y arriver. Et quoi de mieux qu'attirer l'attention et la curiosité de l'un d'entre eux ? Évidemment, Almassar n'est pas le premier, mais s'il reste dans les parages pendant quelque temps, je vais pouvoir en discuter avec lui.

Je continue de manger tout en l'écoutant, n'exprimant pas un seul mot tout du long. Je me contente de vider mon assiette et de remplir mon estomac. Quand j'ai terminé, je récupère ma bière et en boit une longue gorgée avant de reposer ma chope sur la table. J'esquisse un petit sourire, l'alcool et le fait d'avoir bien mangé illuminant légèrement mon humeur. Je fixe l'enchanteur avec un sourire taquin.

« Vous voulez faire quelque chose de productif pendant votre séjour ici ? Enfin, en tout cas quelque chose vous faisant gagner quelques cristaux ? »

J'ai plusieurs idées derrière la tête. J'ai besoin de le jauger, de voir si je peux accorder un peu de ma confiance à cet enchanteur, ou non. J'ai aussi envie de voir son niveau, estimer s'il peut m'être utile et m'apporter quelque chose. Je récupère mon sac sans fond et en tire un objet que je pose sur la table, entre l'enchanteur et moi.

« J'aurais plusieurs travaux à vous proposer. Des travaux qui pourraient vous rapporter des cristaux. Vous voyez, je suis forgeronne, mais je ne me contente pas de créer des épées à vendre au premier aventurier qui passe par là. Je cherche à créer des choses plus... fines et utiles. »

Je pousse l'objet vers l'enchanteur pour qu'il puisse l'observer. Il s'agit de mon bracelet de transfert. Un bijou dans lequel j'ai beaucoup investi. Que ce soit les matériaux, les techniques, le temps et les cristaux pour l'enchanter. Il s'agit d'un bracelet au style peu commun, des maillons métalliques et d'un noir profond qui s'enroulent en une longue chaine autour de l'avant-bras et se terminant de chaque bout par la tête d'un serpent. Bien que les maillons indiquent que la chaine peut se mouvoir, elle reste rigide et à la taille de mon avant-bras. N'importe qui regardant ce bracelet pourrait dire qu'il s'agit simplement d'un étrange bijou au style peut commun. Mais pour un enchanteur comme Almassar j'espère qu'il va pouvoir sentir l'enchantement imprégné dedans. J'esquisse un petit sourire avant de continuer, lui faisant un geste de la main pour lui indiquer qu'il peut se saisir de l'objet s'il le désire.

« Il s'agit d'un bijou que j'ai conçu. Mais ce n'est pas qu'un simple bijou. Dites-moi ce que vous pensez de ce bracelet, ce que votre expertise vous dit. En fonction de votre réponse, je pourrais sûrement discuter affaires avec vous. Qu'en dites-vous ? »

Je ne pense qu'il puisse déceler complètement tout le mécanisme derrière cet objet magique. Il a été conçu pour être utilisé dans des cas particuliers, des cas comme mon pouvoir. La magie de soin et de régénération n'est pas la plus commune dans les pouvoirs innés, encore moins l'auto-régénération. Une magie que l'on ne peut transférer à d'autres à moins de trouver le moyen de contourner cette limitation. Cet objet permet ce contournement. Je suis curieuse d'à quel point l'enchanteur en face de moi est capable d'en déceler les mécanismes, des théories qu'il peut me donner ou les commentaires qu'il peut avoir. J'esquisse un sourire tout en m'installant au fond de mon siège, le fixant avec un petit air amusé.

A l'image de la forgeronne, bien rapidement son assiette se retrouve ainsi vide et nettoyée de l'intégralité de son contenu. Après tant d'attente, c'était le strict minimum nécéssaire pour faire passer la faim et embellir son humeur. Et a vrai dire, l'enchanteur serait presque en état de se commander une seconde assiette si son attention et sa curiosité n'était pas ainsi capturée par sa compagnonne de tablée qui commence à le piquer de plus en plus sérieusement quand à ses talents et ses capacités. Quand il aperçoit le sourire de cette dernière, il arque un sourcil, se demandant ce qui l'attend. Plume et carnet sont à portée de main, attendant de voir ce qu'elle peut bien vouloir lui raconter pour prendre un tel air. La question rhétorique le surprend et il reste interdit pendant un instant. Puis, malgré cela, il se décide à répondre sérieusement quand même.

-"Oui, je ne serais absolument pas contre travailler par ici pour me permettre de rester plus longtemps dans la région. A vrai dire, c'est même la quantité de travail que je vais trouver qui risque de décider de la durée de mon séjour, car il est loin d'être gratuit. Donc si des opportunités se présentent, je ne vais clairement pas refuser."

Attrapant sa bière, il vient ensuite écouter ce que la forgeronne a à lui proposer. Deux, trois gorgées suffisent pratiquement à finir sa chope, et il savoure cette légère sensation de fraicheur qui descends dans sa gorge tandis que son regard se met à luire d'un éclat intrigué à l'évocation d'opportunités de travail. Effectivement, travailler avec une forgeronne peut ouvrir de nombreuses portes et un nombre encore plus élevé de possibilités. Surtout si elle souhaite faire plus que de simples épées et boucliers enchantés. Et le bracelet posé sur la table en atteste. Almassar reste sage, se retenant de l'attraper alors qu'il sent déjà quelques effluves magiques à ses narines. Impossible de dire de quoi il s'agit, mais ce n'est pas un simple objet et une magie assez puissante s'en dégage. Les sens à l'affut, il attend que Sia le pousse vers lui avant de s'en saisir d'une main presque fébrile.

Et avant même que la forgeronne ne puisse reprendre la parole, ses doigts explorent déjà les courbes, les formes de cet étrange objet. La pulpe glisse sur la fraicheur métallique, s'imprègne de ses imperfections et de sa texture. Oui, clairement c'est enchanté, il peut le sentir sous ses doigts. La provocation de Sia ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, et il vient lui rendre son sourire taquin, presque provocateur en sifflant entre ses dents d'une voix joueuse.

-"Je sens bien qu'il y'a de la magie la dedans. Laissez moi quelques minutes et je pourrais vous dire de quoi il en retourne. Et je serais curieux d'entendre de quel genre d'affaires vous avez en tête."

Bien sur qu'il est confiant, elle touche à ce qu'il maîtrise le mieux. Ses pupilles se teintent d'une lueur dorée durant quelques instants, puis son regard s'abaisse. Ses mains enserrent le bracelet et s'immobilisent, comme lui tout entier à vrai dire. Une poignée de minutes s'écoulent, durant lesquelles il est ailleurs, absent. Si Sia tente de lui parler, rien ne ressortira de ses lèvres. Il est dans sa bulle, son monde, concentré à laisser son don infuser l'objet et le décortiquer, l'analyser sous tous ses angles. Comme il l'avait deviné, c'est du beau travail, et du particulièrement efficace. La lueur de son regard ne fait que s'accentuer, les fils magiques caressant l'enchantement incrusté pour en apprendre tous les secrets, pour faire chanter ses possibilités. Ce n'est pas quelque chose qui se voit réellement, même si il n'est pas compliqué de comprendre que quelque sorcellerie soit à l’œuvre. C'est difficile d'être si focalisé sur quelque chose, au point que seules ses paupières se meuvent.

Et enfin, une grande inspiration lui échappe, comme si il avait oublié de respirer. Les mains fébriles, il dépose sur la table le bracelet avant de le repousser vers sa propriétaire légitime, penchant la tête avec un sourire qui s'élargit tandis qu'il récupère sa bière pour la finir et enfin donner sa conclusion.

-"Une idée ingénieuse, je dois le reconnaître. User d'un objet pareil pour arriver à transmettre vos capacités de soin temporairement à quelqu'un ? C'est vous transformer pratiquement en potion de soin vivante, au besoin. Surement peu agréable pour quelqu'un qui n'est pas habitué, mais efficace."

Finalement, son sourire s'élargit, ses pupilles pétillant d'un amusement sincère et non feint. Il passe une bonne soirée avec cette forgeronne, clairement. Il ne cherche pas particulièrement à l'impressionner, appréciant simplement un échange avec quelqu'un possédant un pouvoir intéressant et travaillant dans une branche qui l'est tout autant. Après tout, pour un enchanteur, quoi de mieux qu'un forgeron pour fabriquer la majorité des objets qu'il aura besoin d'utiliser ? Bien sur, il fait tout pour cacher le contrecoup de l'utilisation de son don, mais étant déjà assis, un peu de fatigue supplémentaire n'est peut être pas la chose qui saute le plus à l’œil.

-"Maintenant, si j'ai rempli vos conditions, je serais curieux d'entendre ce que vous avez à proposer. Une forgeronne qui parle de faire plus que de simples armes, ma curiosité est toute vôtre. Vous avez déjà des idées en tête que vous aimeriez me partager ?"

Puis, par un coup de chance, le tavernier finit par repasser dans le coin. Se penchant en arrière pour arriver à attirer son attention, l'enchanteur commande deux nouvelles chopes. Quitte à devoir parler travail, autant le faire avec quelque chose à boire...

J'observe l'enchanteur qui est visiblement très curieux de l'objet que je lui montre, mais il semble aussi comme attiré par ce dernier. Certainement comme je le suis quand je vois une magnifique lame que j'ai envie d'inspecter. Je le laisse faire en sirotant ma bière, ne le quittant pas du regard tout le long. Il semble devenir absent, ailleurs, ne réagissant plus et ne bougeant presque plus. Pendant un moment j'ai même l'impression qu'il ne respire plus. Je commence à légèrement m'inquiéter, observant le jeune homme avec un air inquiet.

« Almassar ? »

Aucune réaction de sa part. Je fronce les sourcils en me redressant. Je penche légèrement la tête pour essayer de capter son regard. Rien, l'enchanteur semble complètement ailleurs et ne plus réagir à rien. Je continue de l'observer en attendant simplement qu'il sorte de ce qui semble être une sorte de transe. Je m'accoude à la table en reportant ma chope à mes lèvres, sirotant lentement son contenu jusqu'à la vider complètement, patientant pour que l'enchanteur termine son analyse.

Les minutes s'écoulent lentement, mais finalement le jeune homme revient à lui. Je lui souris alors qu'il finit sa bière et vient ensuite me donner le fruit de son analyse. Je ne peux m'empêcher de souffler un rire quand il me dit que mon idée est ingénieuse. Une potion de soin vivante ? C'est vrai que vu sous cet angle je peux soigner de nombreuses blessures, même si je ne sais pas encore jusqu'à quel point. J'ai aussi le désavantage que ma guérison est plus douloureuse qu'une potion de soin habituelle.

Je reste assez étonnée qu'il ait pu en déceler l'effet complet. Le principe est plutôt simple, un lien physique et magique pour transférer ma capacité. Un objet magique plutôt simple, même si le principe derrière a été plus difficile à appliquer pour la personne ayant besoin d'enchanter ce bracelet. Évidement, je n'ai pas eu cette idée complètement seule. Je souhaitais juste pouvoir transférer ma capacité à quelqu'un d'autre pour qu'il puisse aussi se guérir et régénérer, choisir comment faire cela a été décidé en échangeant avant une personne capable de créer des enchantements.

Je récupère une nouvelle chope de bière que le patron de la taverne nous apporte. Maintenant que j'ai de l'alcool, je peux commencer à exprimer les idées que j'ai derrière la tête. Je fais lentement tourner la bière dans ma chope en commençant à parler, l'air pensive et un peu ailleurs.

« Quand j'ai décidé de redevenir apprentie après avoir quitté la capitale et la forge familiale, mon maître m'a posé cette question "Qu'est-ce que le parfait ?" Une question assez large et à laquelle j'ai continué de réfléchir depuis. La réponse peut être très variable en fonction de la personne, chacun a une vision bien différente du parfait, mais cela varie aussi en fonction du contexte. »

Je prends une gorgée de bière pour adoucir un peu ma gorge. Je n'ai pas l'habitude de beaucoup parler, mais j'ai envie d'expliquer ma vision des choses à Almassar avant de commencer à parler affaires.

« En tant que forgeronne, je souhaite créer des objets parfaits pour mes clients. Et pour cela, je veux créer ceux qui leur correspondent le mieux, qui soient parfait pour ce qu'ils veulent en faire. S'il s'agit d'une arme, qu'elle soit parfaite pour son utilisateur et son style de combat. Si cela doit être plutôt un bijou, qu'il corresponde parfaitement à la morphologie de son utilisateur en plus de son côté esthétique. »

Je relève le regard vers mon interlocuteur avec un petit sourire.

« Mais la forge seule ne permet pas forcément d'arriver à cela. Même le meilleur des forgerons ne peut pas toujours créer la meilleure arme. Il pourra peut-être en faire une, mais ne pourra pas la décliner pour l'adapter à son utilisateur. Je suis d'avis que la magie doit aider à arriver à ce résultat. »

Je prends une nouvelle gorgée de bière avant de poser ma chope et afficher un sourire plus amer en regardant légèrement dans le vide.

« Même si mon maître n'est pas de cet avis, j'estime que même la meilleure des armes qu'un forgeron pourra créer peut devenir encore meilleure si elle est enchantée. Mais je suis incapable de créer des enchantements. Je suis faite pour forger, pas appliquer de la magie ou réfléchir à ses nombreux mécanismes. Tu vois où je veux en venir ? »

L'alcool commence à doucement troubler mes réflexions et paroles, me désinhibant aussi plutôt facilement. Je ne résiste vraiment pas bien à l'alcool et je n'ai clairement pas l'habitude de boire autant. Deux bières est plus que suffisant pour commencer à me faire dire ce que je pense, mais ici j'attaque déjà ma troisième bière.

Les chopes arrivent assez rapidement, et l'enchanteur profite de ce petit moment de calme et de silence dans l'échange pour se rasséréner après l'utilisation de son pouvoir. Remettant de l'ordre dans ses idées, ces dernières fusant encore de cet examen qu'il a réalisé il y'a peu de temps. Il a l'impression que le pouvoir de la forgeronne pourrait être plus, bien plus que cela. Une capacité de soin passive, une possibilité de se régénérer plus activement, c'est excellent mais il a cette sensation que ce don pourrait être plus, tellement plus. Heureusement que le tavernier coupe court à ses songes, qui partent en des directions toujours plus surprenantes. Surtout que Sia reprends la parole, lui offrant une ligne vitale bienvenue pour se concentrer de nouveau sur le monde physique et bien plus pragmatique de l'instant présent. Demain sera bien assez rapidement la pour permettre à Almassar d'imaginer comment améliorer les dons de cette surprenante rencontre -si jamais elle désire effectivement travailler avec lui-.

La jeune femme semble inspirée à raconter son histoire, du moins une partie. Les raisons qui l'ont poussée à partir ici, ses désirs et ses souhaits. Cette fois, la plume n'écrit absolument rien par respect pour elle, préférant enregistrer les paroles dans sa mémoire. L'homme peut voir que la demoiselle se plonge de plus en plus profondément dans son propre passé à l'air absent qui ternit ainsi son regard. Et la nouvelle question métaphorique frappe tout autant Almassar que sa comparse. Essayer de créer le parfait, de le toucher du doigt, c'est un vœux que de nombreux artisans rêvent d'atteindre. Mais comme elle le souligne si bien, il faudrait déjà arriver à le définir, pour le viser.

A aucun moment il ne la coupe durant son explication, la laissant dérouler la trame de son esprit. Peu à peu effectivement cela fait sens. Des objets forgés sur mesure pour viser la perfection de leur domaine souhaité, le tout renforcé ensuite magiquement. Sa seule interaction se résume à quelques hochements de tête, gorgées pour préparer sa gorge au monologue qui va suivre. Il sent bien que le sujet de son maître est plus sensible, que c'est surement un point qui l'affecte en ce moment, surtout vu comme elle ne fait qu'en parler encore et encore, y revenant toujours telle une machine circulaire. Enfin elle termine de parler, terminant sa bière et commandant déjà la petite sœur. Almassar la suit, même si sa chope actuelle n'est pas terminée. Et enfin, il se fait rouler des épaules, posant sa chope et croisant les doigts pour poser le menton contre et reprendre la parole.

-"Il est vrai que la quête de la perfection est une question compliquée. Je pense pour ma part que la perfection n'existe pas. Que sa quête à de l'importance, mais qu'il n'est impossible d'arriver au bout du chemin a moins d'être soi même un dieu. Après tout, on trouvera toujours quelque chose à améliorer, à modifier, à étudier. Ce n'est pas pour autant qu'il ne faut pas chercher à toujours faire mieux pour autant."

Et pourtant la perfection, il aimerait l'atteindre. Pouvoir dire un jour qu'il est l'un des plus grands enchanteurs du royaume, et que l'on fasse appel à lui pour des expérimentations toujours plus poussées, découvrir de nouveaux champs encore inconnus... Mais c'est un doux rêve qu'il est loin de ne serait-ce que toucher du doigt encore. Sa propre seconde bière se termine doucement, et il vient la poser pour continuer.

-"Néanmoins je suis totalement d'accord avec vous. Essayer de faire l'objet le plus parfait possible pour l'utilisation que l'on souhaite en faire est un but louable... Et oui, je vois où vous voulez en venir. Pourquoi se limiter à ses talents de forgeron quand on peut s'assurer que la magie renforce encore l'efficacité de nos créations ? Ce serait dommage de refuser volontairement d'user d'un nouvel outil à disposition alors qu'il peut sublimer une création."

La troisième bière est entamée, le rose lui monte aux joues. Il n'avait même pas fait attention au tutoiement de Sia, mais finit par l'adapter lui même alors qu'il rit doucement, agitant sa chope en récupérant de la seconde main sa plume pour reprendre quelques notes, d'une main légèrement plus tremblante. Si il tient mieux l'alcool que la forgeronne, ce n'est pas forcément de beaucoup. Et cet enchainement rapide pourrait bien rapidement commencer à l'attaquer.

-"Et oui je te suis bien. Tu souhaites quelqu'un qui t'aides à enchanter les objets que tu forges pour leur faire atteindre la perfection. Je n'ai absolument rien contre ça et je considère clairement que travailler avec un forgeron, surtout si il est compétent, ne peut qu'être une bonne chance, tant commercialement que pour les clients. As-tu déjà des idées d'objets que tu souhaiterais enchanter et proposer à la vente ? Je reste surement plusieurs semaines, donc nous avons le temps pour quelques idées."

Son propre sourire revient plus taquin, tandis qu'il tourne de nouveau la page de son carnet, redressant le regard sur la forgeronne pour l'observer droit dans les yeux, prenant un air plus solennel alors qu'il finit par rire légèrement, amusé et taquin.

-"Toutefois, n'oublie pas que même si je serais ravi de travailler avec une forgeronne pour proposer plus d'objets à revendre et trouver un accord commercial qui nous sera tous deux profitables, je n'oublie pas ton œil et ton don sur lequel nous pouvons expérimenter de nombreuses choses si tu cherches à l'améliorer."

Oh oui la soirée -ou les prochaines journées- s'annoncent longues en essais et en découvertes... Comment résister à l'appel de la science quand il sonne d'une telle manière, après tout ? Almassar lui en tout cas ne sait y résister...

J'écoute l'avis de l'enchanteur sans rien dire, hochant simplement de la tête à ses paroles. Des mots très sensés et presque philosophiques. J'étire un petit sourire quand il me dit voir où je veux en venir. Les mots qui suivent me font légèrement réagir, posant ma chope sur la table et prenant un air enjoué.

« C'est exactement ça ! Je me tue à le lui dire, mais cette tête de mule refuse de m'écouter. Soi-disant que la magie, c'est pour les paresseux... »

Je me mets à râler légèrement, l'alcool m'aidant à dire ce que je pense et à ne pas me retenir sur ce qui me contrarie. D'ailleurs j'ai l'impression que le niveau de ma bière descend rapidement dans ma chope. Je me sens légèrement grogner de contrariété en constatant cela, continuant toutefois d'écouter mon interlocuteur. Je relève le regard vers lui en voyant qu'il entame sa nouvelle chope alors que j'ai presque fini la mienne. Peut-être ai-je un peu trop abusé déjà, non ? Cette question dans mon esprit est rapidement chassée par Almassar qui continue.

Je me mets à afficher un large sourire quand il me dit qu'il n'a rien contre le fait de travailler avec moi. Il commence même à me demander si j'ai des idées. À vrai dire je n'ai pas vraiment réfléchi à cela même si j'ai bien des idées.  Je récupère mon sac sans fond et commence à fouiller dedans tout en écoutant le jeune homme continuer de parler. Je lâche un petit rire à sa remarque sur ma fleur. Oh non, je n'oublie pas, loin de là. J'ai même de nombreuses questions et idées là-dessus, ainsi que sûrement des informations à partager. Je sors alors de mon sac sans fond un carnet ainsi qu'un couteau de cuisine que j'ai fait hier. Je pose le tout devant moi.

« Des idées, j'en ai. Une quantité impressionnante. Pas toujours de très bonnes idées, mais j'en ai. »

Je tapote légèrement mon carnet qui a visiblement vécu. Je le traine avec moi depuis une année à peu près. J'en ai bien d'autres du même genre qui eux sont pleins, des carnets que je remplis d'idées et croquis depuis que j'ai commencé à suivre mon père à la forge. Toutefois, je ne l'ouvre pas tout de suite et m'empare plutôt du couteau. C'est un de mes échecs de la semaine, mais la lame se rapproche de ce que je cherche à obtenir. Il n'est pas parfait, mais c'est le modèle qui s'en rapproche le plus selon mes critères.

« Une de mes dernières idées, avoir des couteaux de cuisine qui ne perdent pas leur aiguisage. Certes, ça enlève du travail aux forgerons qui entretiennent les lames de certains cuisiniers ou aubergistes... Mais avec une bonne compensation ça peut être un objet intéressant, pas besoin d'investir dans un aiguiseur fantastique si on ne sait pas faire, et ça libère du temps aux forgerons pour faire mieux que juste aiguiser des couteaux... Donc un enchantement pour conserver l'aiguisage ou protéger le tranchant... Je sais pas ce qui est le mieux, mais tant que ça reste aiguisé ou que l'aiguisage se fait bien plus lent. Tu vois le genre ? »

Je reprends une gorgée de bière en posant le couteau entre nous, laissant le loisir à l'enchanteur de se saisir du couteau s'il en a l'envie. Après tout, je ne lui ai montré que mon bracelet, mais il a le droit d'exiger de voir certaines de mes créations pour juger de lui-même de mon niveau. Il n'y a même pas encore mon sceau sur la lame et je l'utilise peu. Cela m'étonnerait que l'on commence à parler de mon travail. La majorité de mes créations ont été vendu dans la boutique de mon père ou celle de Lyle, je suis pour l'instant une inconnue dans ce domaine.

« Et je n'oublie pas pour ma fleur. D'ailleurs j'ai des tas de questions et d'idées. »

Cette fois, j'ouvre mon carnet après avoir reposé ma chope qui est complètement vide cette fois. J'ouvre l'ouvrage à une page qui semble aléatoire, mais je sais exactement à quelle page l'ouvrir. Sur le papier, de nombreux croquis et commentaires gribouillés dans tous les sens. Je m'efforce de toujours faire des croquis lisibles et clairs, mais mon écriture l'est moins. Je suis du genre à faire des pattes de mouche et à utiliser des abréviations que seule moi utilise. Il est assez difficile de me déchiffrer, mais en général mes croquis parlent d'eux-mêmes. Je tourne le carnet vers l'enchanteur et lui montre une double page où sont dessinés mon tatouage à la nuque, d'autres idées de tatouages, mais aussi des idées d'objets en tous genres comme des bijoux ou des caches œils.

« J'ai déjà un tatouage enchanté dans le dos qui me permet d'utiliser l'énergie de ma fleur à volonté pour guérir des blessures. »

Je pointe alors le croquis en question où des notes sur les limites que j'ai observées de mes capacités sont rédigées.

« Mais j'aimerais aller plus loin. J'aimerais pouvoir me débarrasser de ma fleur si j'en ai besoin. Pouvoir l'enlever et récupérer un œil si possible, mais garder mes capacités. Je sais que c'est beaucoup demandé et la plupart des enchanteurs avec qui j'ai discuté ne voulaient pas se pencher sur la question ou m'extorquer des sommes astronomiques de cristaux pour juste se pencher sur la question sans même me garantir une solution. Alors, ça t'intéresserait de m'étudier pour trouver une réponse à ce problème ? »

J'affiche un petit sourire presque enjoué, une certaine curiosité dans le regard et une légère impatience peu dissimulée. Le rose m'est bien monté aux joues et je me sens motivée et je pourrais même dire que le fait d'ainsi échanger a pour le moment chassé mes idées sombres. Demain je risque d'avoir légèrement mal aux cheveux, mais d'avoir le cœur bien plus léger. D'ailleurs, et si je commandais une nouvelle bière ?