-"Mais tu fais quoi la ? Tu vas pas me dire que tu ranges quand même, hein ? A ton âge et ton niveau de célibat, on sait tous que ranger ça veut juste dire cacher sous les meubles ce qui peut l'être, et sous des tapis ce qui ne peut pas l'être."

L'enchanteur soupire en roulant des yeux, terminant de nettoyer l'intérieur de sa théière personnalisée. En effet, plutôt que de continuer de louer une chambre à l'auberge, ou encore trouver une bâtisse offrant une zone privative pouvant servir d'appartement, il a décidé d'utiliser sa théière fraichement acquise. Après tout, l'espace est tout aussi imposant et agréable, voir même plus. Et c'est justement le manque d'un logement d'étage qui rend le loyer si abordable. Rangeant tout le nécessaire dans un coin reculé de la pièce, il pivote vers la chose venant de parler. Un grimoire avec un étrange visage d'ivoire sculpté sur sa couverture de cuir. L'ouvrage vole au dessus du sol, tournant autour de l'homme sans cesser de remuer les pages d'un air sarcastique et moqueur.

-"Bien sur, je n'ai pas le droit de vouloir garder une chambre en bon état, et j'adore sentir le bouquetin comme la moitié des personnes qui traversent cette ville pour vendre des peaux et de la viande. Rappelle moi déjà pourquoi je t'ai crée, déjà ? J'oublie parfois la raison, vu ton caractère."

Un bruissement de pages se fait entendre, ricanement du papier face à l'homme, suivi de la voix profonde du livre qui rit franchement. Le duo sort de la théière et Almassar vient la ranger dans son bureau, refermant ensuite à clé. C'est désormais sa petite maison et il tente d'en prendre soin. Hélas, ses tracas ne sont pas finis tandis qu'Ivoire reprend la parole.

-"Car tu es seul et sans amis, que tu as besoin de quelqu'un pour égayer ta triste routine. Et car tu es tellement tête en l'air que tu as besoin de moi pour ne pas oublier de prendre ta gourde avant de partir en exploration ! Sans moi, tu ne tiendrais pas un mois seul !"

L'enchanteur soupire de nouveau, se massant quelques secondes les tempes. Profitant du calme de cette journée, il a fait tout son ménage et a terminé de remettre en ordre ce qui devait l'être. A force d'installations et de préparatifs, cette boutique ressemble réellement à quelque chose. Les étagères, armoires et étals sont emplis de divers objets magiques, tous bien sur protégés de vitres fermées à clé. Plus une trace de poussière n'est visible, et la vitrine est pleine à craquer de biens pour attirer l’œil des chalands. Un vrai petit paradis. Couteux, mais rentable.

-"Tais toi, j’attends justement le passage de Sia pour voir où elle en est sur ma commande et passer un peu de temps avec elle. Ça fait longtemps qu'on a pas forcément eut le temps de se poser, avec le travail et le Solstice..."

Le grimoire s'arrête quelques instants, avant de se mettre à tourner sur lui même en laissant échapper un long rire amusé, empli du ton supérieur de quelqu'un qui sait avoir raison et se prépare à l'asséner tel un coup de marteau sur un clou bien placé.

-"Je le savais ! En fait tu fais juste le ménage pour une belle femme ! Tu cherches à la charmer et la séduire, donc tu fais ta cour en essayant de prouver que tu es capable de te débrouiller seul, et donc d'être un parti correct ! Je comprends mieux."

Une main qui claque sur un visage est la seule réponse audible à cette provocation. Almassar secoue la tête, maudissant autant qu'il apprécie la dernière invention de son esprit tortueux. Alors qu'il se préparait à répondre une pique bien sentie tout en terminant de ranger son plan de travail et le préparer aux projets du lendemain, le carillon se fait entendre. La porte est fermée mais pas verrouillée, et il se doute bien que seule Sia peut ainsi se permettre d'entrer en voyant la pancarte "Fermé". Après tout, elle avait dit qu'elle repasserait, et elle connait assez l'enchanteur pour prendre ce genre d'aises. Il présume. Ivoire recule plus rapidement que son propriétaire, et jette un coup d’œil par la porte avant de siffler, appréciateur.

-"Eh beh gamin, c'est une belle plante qui porte une bien jolie fleur que tu vises la ! Rassure moi petit, t'as quand même vérifié que son terreau était humide et correctement hydraté depuis le temps ? Ça serait dommage de se priver de fertiliser son terrain avec ton engrais, vu la parcelle que t'as sous les yeux !"

L'enchanteur rougit, attrapant le premier crayon qui passe à portée pour le lancer sur le provocateur, ce dernier évitant simplement en lévitant sur le coté, sans cesser de ricaner. Cessant de lui prêter attention, Almassar se redresse et se dirige vers la pièce principale, souriant en voyant son amie. Cela ne pouvait être personne d'autre, au vu de la description donnée par ce livre aux paroles plus qu'indécentes.

-"Bonjour Sia, j'espère que tu vas bien ! Ne prête pas trop attention au livre volant, c'est ma dernière invention. Et je ne sais pas si je ne la regrette pas plus encore que je ne l'apprécie..."

Le grimoire trace dans la boutique, faisant exprès de heurter du bas de la couverture l'arrière du crane d'Almassar, avant de se rapprocher de Sia pour commencer à l'examiner, laissant échapper.

-"Ne l'écoute pas, je suis sa bonne étoile ET son âme sœur ! Impossible pour lui de se passer de moi, désormais ... ! Mais dis moi, pourquoi tu es si peu vêtue alors qu'il neige dehors ? Tu as un problème ?"

Oh oui, les présentations entre le grimoire et la forgeronne s'annoncent particulièrement compliquées, voir explosives...

Almassar a le don pour vous confier des défis des plus intéressants. C’est à la fois un génie pour trouver les réponses à des questions difficiles que de vous poser des questions encore plus difficiles. Mais j’apprécie cet enchanteur. Discuter avec lui est toujours agréable, et je ne vois pas le temps passer quand nous nous mettons à refaire le monde et imaginer ensemble des nouveaux objets magiques pouvant être utiles au quotidien. Je ne parle même pas de ses idées pour améliorer mon pouvoir et ce projet de forge mobile qu’il a fait naitre dans mon esprit. Mais aujourd’hui, il m’a posé une demande des plus sérieuses.

J’ai bien compris qu’elle était très importante pour lui, alors dans le but de faire un travail qui compte autant aux yeux de mon ami, je me suis débrouillée pour louer une forge du quartier et me mettre immédiatement au travail. Le plus gros a déjà été fait, et je pourrais m’arrêter ici si je le voulais. L’objet n’est pas difficile à réaliser, mais vu son importance, je tiens à lui accorder plus de temps de d’attention. Alors le plus gros est fait et il ne manque que des finitions pour ajuster le tout.

C’est donc vêtue de ma tenue de forgeronne -un débardeur et un short- que je rejoins la boutique de l’enchanteur à la fin de la journée. Je n’ai pas pris le temps de me changer, prête à repartir travailler tout de suite si besoin. J’ai de toute façon la location de la forge jusqu’au lendemain soir. Je peux très bien travailler toute la nuit et toute la journée de demain sans problème. Lyle m’a habitué à un rythme bien acharné et soutenu. Ici, c’est presque facile. Mon sac sans fond à l’épaule et l’objet demandé dans une main, je pousse la porte de l’échoppe dont le panneau indique « Fermé ».

Je m’attends à voir l’enchanteur débarquer d’un moment à l’autre et entendant un bruit de conversation, je me dirige vers le comptoir. Je me fais alors accueillir par... un grimoire volant ainsi que mon ami. J’inspecte l’étrange objet qu’il me présente comme une de ses créations. Je souffle un rire en inspectant l’étrange grimoire qui se met à parler d’une voix caverneuse. Bien qu’un magnifique motif de visage orne sa couverture, la bouche n’en bouge pas un seul instant. J’arque le sourcil à ses mots, souriant du caractère de l’objet.

« C’est ma tenue de travail. Et Alma est mon client. »

Sans m’en rendre compte, je tends une perche au bouquin qui ne va sûrement pas laisser échapper de telles paroles. En l’ignorant complètement, je pose l’objet que j’ai confectionné devant Almassar.

« J’ai encore les finitions à faire et m’assurer que ton flocon rentre parfaitement dedans, mais le plus gros est fait. Essaye-le, que je puisse ajuster sa taille. »

J’affiche un visage parfaitement sérieux quand je suis concentrée sur mon travail, mais voir ce grimoire virevolter autour de nous sans presque cesser de parler et sortir des réflexions déplacées me fait légèrement tiquer.

« C’est quoi ce bouquin alors ? Une âme artificielle que tu as amélioré ? J’espère qu’au moins il te sert à autre chose que casser les oreilles et faire fuir les clients... »

Un léger sourire étire mes lèvres alors que je fais mine d’ignorer le grimoire, me concentrant uniquement sur mon ami.

L'enchanteur glisse le regard quelques instants sur son amie, qui semble avoir passée une terriblement longue journée au travail. Elle semble mettre tout son cœur dans ce travail qu'il lui a confié il y'a peu, et il ne peut qu'être reconnaissant à la jeune femme de mettre tant d'énergie dans ce projet qui est le sien. Après tout elle aurait pu le laisser attendre, lui dire qu'elle ferait cela plus tard, ou des dizaines de raisons valables. Mais non, elle s'est immédiatement mise au travail pour lui confectionner l'objet de ses rêves. Et si la tache est particulièrement ardue, Sia est clairement à la hauteur. Non, l'homme ne regrette pas un seul instant d'avoir ainsi demandé à la demoiselle de lui faire cet objet qui risque de ne plus le quitter pour longtemps, voir à jamais. Hélas, si Almassar est concentré sur les avancées du travail de la forgeronne, le livre, lui, saisit les perches tendues pour les renvoyer, semblant préparer les jeux d'Aryon, discipline lancer de javelot.

-"Travailler dans une telle tenue ? Et tu fais croire que tu fais de la forge ? Dis tout de suite qu'au lieu de forger des épées, tu moules des lames."

L'enchanteur lui, décide d'effectuer la même stratégie que son amie et ignore totalement Ivoire, qui continue de voltiger dans la pièce. Dès que le bracelet est déposé sur la table, il vient l'examiner sous tous les angles, laissant les doigts se glisser sur les détails et les finitions, un léger sourire venant étirer ses traits. La pulpe de ses phalanges appuie sur le métal froid, alors qu'il ferme légèrement les yeux pour essayer d'imaginer comment faire pulser la magie entre ces alliages, comment optimiser les flux et tirer le maximum de l'objet.

-"C'est déjà de l'excellent travail Sia, je te remercie vraiment du fond du cœur d'autant t'appliquer la dessus, ça compte beaucoup pour moi."

Dès qu'elle lui propose, il vient ouvrir le petit mécanisme avant d'enfiler le brassard à son bras. L'ajustant un peu, il commence à le resserrer pour voir à quel point il est déjà ajusté à ses formes. Ce n'est pas encore parfait, mais ça s'approche assez bien du résultat souhaité. Quelques corrections sont à faire, et il laisse l'experte se charger de les noter pour continuer plus tard. Hélas, le grimoire, n'aimant pas être laissé ainsi de coté, enchaine en se rapprochant du duo.

-"Tu vois gamin, elle se propose même d'ajuster cela à ta taille. Elle a beau faire payer cher ses services, au moins t'as la qualité. Tu choisis bien tes cibles tout de même ! Si tu suis mes conseils, un jour, tu auras assez de charme pour pouvoir en profiter sans même devoir les payer !"

Almassar roule de nouveau des yeux, préférant l'ignorer. Par contre, la question de Sia est pertinente. Tandis qu'il garde le bras tendu pour elle, il vient hausser les épaules, un léger sourire sur les lèvres. Réprimant la pique qu'il a envie d'envoyer à son œuvre, il se concentre sur la demoiselle face à lui.

-"Alors, c'est complexe. En un sens tu peux dire que c'est une âme artificielle sur un chassis volant. Et il sert, quand il le veut. Il sait être d'excellent conseil, c'est aussi un bon pense-bête, et mine de rien, il sait se servir de ses yeux quand il le souhaite. Vois le comme une sorte de familier volant de soutien, avec juste plus de gueule."

Bien sur, que l'on parle de lui ainsi fait sortir de ses gongs Ivoire, qui n'hésite pas à voler de manière agressive entre les deux pour forcer à avoir de l'attention, ses pages tournant rapidement pour provoquer un bruit irritant et de plus en plus rapproché, tel un battement d'ailes d'un papillon particulièrement massif.

-"Petit, je n'ai rien d'un familier, tu ferais bien de ne pas l'oublier la prochaine fois que tu auras besoin d'aide. Et toi, la dépravée qui s'habille comme une forgeronne pour faire sentir à tes clients ta fournaise bouillante et un peu trop humide pour produire un métal de qualité, tu devrais éviter d'user de mots trop compliqués pour toi. Je n'ai rien d'une âme artificielle, rien."

De nouveau, l'enchanteur roule des yeux. En effet, le livre à un caractère de merde. Mais heureusement, il sait se montrer utile... Quand il le veut.

Ce grimoire semble du genre à aimer l’attention et à en être le centre. Ce qui m’encourage à l’ignorer encore plus, me concentrant sur mon ami. J’ignore ses réflexions en levant les yeux au ciel. Je m’occupe plutôt d’observer l’essayage de ma création. Je sors mon carnet et un crayon et note les endroits à ajuster. Le résultat semble déjà prometteur et surtout satisfaire l’enchanteur. Je souris à son compliment.

« C’est normal Alma. Ça semble très important pour toi, et le plus tôt sera le mieux. Et puis, vu le prix que tu es prêt à mettre, je ne vais pas attendre d’avoir une autre disponibilité et risquer qu’une telle occasion me passe sous le nez ! »

Je souffle un petit rire. C’est vrai que je suis bien occupée avec mes entrainements à la forge et le temps que je passe en mission pour la guilde, mais je peux toujours me débrouiller pour me libérer du temps. Notamment pour une personne comme Almassar. Je prends les dernières notes des mesures à ajuster, faisant faire des mouvements à mon ami pour être sûr que l’accessoire ne risque pas de gêner ses mouvements.

Je n’ai pas le temps d’en placer une que le grimoire revient essayer d’attirer notre attention. Je fronce les sourcils à cette nouvelle remarque. L’enchanteur en profite pour me préciser l’origine de ce grimoire. L’idée est intéressante et l’objet semble avoir une certaine utilité... mais son caractère est vraiment à chier. Je pousse un petit soupir, me massant les tempes, hésitant à rétorquer quelque chose à ce bouquin qui me tape déjà sur les nerfs. Il faut alors qu’il en rajoute une couche, et cette fois, je serre la mâchoire. Il remet en question ma qualité de forgeronne sans même avoir regardé mon travail ? Il m’insulte ? Et en plus il me trouve stupide ? Cette fois ça ne passe pas.

Je relève le regard vers le bouquin et vient appuyer un doigt sur sa couverture, affichant un air réellement agacé.

« Alors toi le vieux bouquin qui sent le moisi, tu vas la fermer où je vais me faire un plaisir de t’attraper et d’arracher chacune de tes pages une à une avec une lenteur que tu n’oublieras pas. Et après je ferais brûler chacune d’entre elles sous tes yeux et tu ne pourras rien faire d’autre que les pleurer. De toute façon, tu serais sûrement plus utile si tu avais été créé à partir d’un livre de charme. »

Je reste polie, c’est une création de mon ami, mais il est difficile de rester calme quand on se fait insulter. Je desserre un peu la mâchoire avant de m’installer à nouveau pour inspecter mon travail.

« Et au fait, la dépravée a un nom. C’est Sia. Donc maintenant, si tu es un grimoire civilisé et qui a un peu de politesse, prend au moins la peine de te présenter. Quoique, "le bouquin" t’iras sûrement mieux comme nom. »

J’ignore à nouveau l’ouvrage lévitant, n’écoutant ses remarques que d’une oreille. Je fais à nouveau bouger Almassar et note les derniers détails des corrections que je dois faire. Je le regarde alors de façon plus douce, un léger sourire sur les traits.

« Est-ce que le poids et l’équilibre des métaux te semble bons ? C’est important et je peux encore les corriger. Donc c’est maintenant ou jamais. »

Je m’accoude un peu au comptoir, un air plus détendu sur les traits.

« Et puis vu le prix que tu me payes pour un tel accessoire, je peux au moins me permettre de tout ajuster parfaitement. Et j’espère que tu comptes bien me payer un bon repas ou quelques verres pour que l’on puisse discuter de ma forge. »

Je lui affiche un sourire légèrement complice. Après une telle journée de travail, j’ai bien besoin de me détendre, et je sais que la compagnie de l’enchanteur et agréable. Et puis, on a toujours dit qu’il fallait que l’on se refasse une soirée du genre, même si cette fois je vais y aller plus doucement pour être dans un état convenable pour finir l’objet promis à mon ami.

Un sourire traverse les lèvres d'Almassar aux propos de la forgeronne. En effet, le prix est tout aussi joli que le bracelet. Mais lui même vendant des objets à des prix exorbitants à cause des enchantements entrelacés en leur sein, il comprends mieux que quiconque la valeur d'un bon artisan. Et Sia fait définitivement partie de cette dernière catégorie. Effectuant plusieurs mouvements du bras, avant de même pousser plus loin et entamer toutes sortes de gestes, pour tester la souplesse de son poignet et de son coude avec une telle armature venant le ralentir. La jeune femme verra bien que les gestes lui coutent, et qu'il est loin d'être habitué à porter une telle chose, à avoir un poids différent aux deux bras. Il aurait bien voulu rajouter son commentaire qu'une altercation éclate entre le Grimoire et son amie. C'était prévisible. A cette provocation, Ivoire ouvre les pages et tente de happer le doigt de Sia d'un geste sec pour le lui claquer, telle une porte se refermant trop vite sur sa prise, avant de remonter jusqu'a la hauteur du plafond en riant.

-"Et tu veux faire comment, dépravée ? Sautiller jusqu’à espérer m'attraper ? Prier ton dieu que m'arracher les pages me fasse le moindre effet ? Et un livre de charme, vraiment ? Je prends cela pour un compliment, venant de quelqu'un est obligé de trémousser des hanches et d'être presque totalement déshabillée pour faire de l'effet au moindre homme. Cela ne ferait que prouver que mes mots ont plus de réussite que ton corps !"

Nouveau bruissement de page servant de ricanement. L'enchanteur serre les dents en grognant doucement. Il a beau apprécier le bouquin et connaître ses sautes d'humeur qui sont vite devenues apparentes, il ne comprends pas cette soudaine animosité envers son amie. Mais à peine il entrouvre les lèvres qu'Ivoire enchaine.

-"Je retiens ton nom, dépravée. Peut être qu'un jour tu mériteras que je l'use. Et pour ta gouverne, je m'appelle Grimoire Ivoire. Un illustre nom pour quelqu'un qui va l'être tout autant."

Finalement, l'homme tape du poing sur la table, redressant les yeux sur son invention pour essayer de la calmer un peu. Penchant la tête sur le coté, il laisse siffler entre ses dents, d'une voix bien moins amicale qu'habituellement, presque froide.

-"Ivoire, tu dépasses de loin les bornes. T'as ton caractère et je m'en fiche, mais un peu de respect et de tenue tout de même. Sinon je te jure, je trouve un moyen de te faire taire, pour de bon si nécéssaire."

Outré, le grimoire se laisse échapper un étrange bruit entre ses pages, totalement outré. Il reste à hauteur du plafond, finissant par laisser échapper d'une voix dédaigneuse et vexée.

-"Nul ne reconnait mon art à ma juste valeur. Et votre seule arme est la menace. J'ai compris, vous ne serez pas d'une compagnie agréable aujourd'hui, je m'irais quérir de personnes plus intéressantes spirituellement."

Mais il ne part pas pour autant, se contentant de se taire... Pour le moment. Soupirant de ce silence bien mérité et reposant pour le crane et les oreilles, il peut enfin accorder toute son attention à Sia de nouveau. Quelques gestes de plus sont demandés et Almassar porte la main équipée à son menton, réfléchissant sérieusement à la question.

-"C'est lourd, mais je présume surtout que c'est moi qui manque d'expérience et d'entrainement. Je sais que je ne vais pas couper par de l'exercice physique pour pouvoir le manier correctement. Autrement, sans être parfaitement à ma taille il est déjà très agréable à porter. Je sens son poids, mais il ne m'handicape pas en soi par les mouvements. Pour l'équilibre des métaux, a toi de me dire ce que tu as choisi, c'est surtout ses capacités magiques et sa solidité qui m'intriguent."

Le sourire est échangé, tout aussi complice. Il ne rate pas cette invitation et vient même hocher la tête, appréciateur de l'idée. Cela fait plusieurs mois depuis cette fameuse soirée, et depuis, à aucun moment ils n'ont réellement eut l'occasion de se poser autour d'un verre ou d'un bon repas. Et l'opportunité de discuter plus longuement avec Sia, tant du travail et de leurs projets communs que de ses progrès et de sa forge, ou encore tout simplement de leurs vies ne peut que tenter Almassar. Le sourire sur ses lèvres s'élargit tandis qu'il se redresse, venant lentement retirer le bracelet pour le rendre à la forgeronne.

-"Tu as bien raison, après une telle journée de travail, cela mérite bien un réconfort liquide. Tu veux qu'on retourne à la taverne de la dernière fois, ou tu en connais d'autres lieux intéressants ? Même un bon restaurant si il t'en vient un en tête, je ne connais pas du tout les spécialités locales et je serais pas contre les découvrir."

Après tout, quitte à passer une bonne soirée en agréable compagnie, autant faire ça bien. Et si Ivoire ne parle pas, le bruit qu'il laisse échapper avec ses pages suivies d'un long ricanement veut tout dire. On l'entendrait presque murmurer entre ses appendices de papier "Pense bien à labourer le terrain, c'est important pour des pousses de qualité...".

Le grimoire est particulièrement agaçant, ayant apparemment décidé que lui et moi n’allons pas nous entendre. Je me sens légèrement blessée par ses mots, moi qui ai du mal avec l’apparence de mon corps, trop parfaite et étrange en même temps, attirant facilement les regards pour une raison ou une autre. Je me mords l’intérieur de la joue en baissant un peu le regard, me concentrant sur ma tâche. J’entends le nom du bouquin animé et essaye de le noter dans un coin de mon esprit, son créateur finissant par s’énerver et remettre en place sa création parlante, je ne dis rien de plus. Le livre semble alors vexé, presque boudeur, nous tournant la couverture et ne cherchant plus à discuter.

Almassar et moi nous concentrons donc sur l’objet de magique qu’il m’a fait travailler toute la journée. Je hoche de la tête en écoutant les remarques. Encore trop lourd ? Je grogne légèrement, réfléchissant. Au moins les formes paraissent bonnes et je ne vois pas de problème pour s’adapter à sa morphologie. Je prends de quoi légèrement marquer le métal pour noter les points à ajuster pour ne gêner ni les muscles ni les mouvements du bras, notamment s'il compte vraiment se muscler. Je note aussi les endroits où je peux encore ajuster l'épaisseur et la matière pour l'alléger encore légèrement.

« Bon, comme expliqué, j’ai essayé de te faire un équilibre misant avant tout la solidité et la légèreté. Avec des précieux conseils de ce cher Nerau, j’ai essayé d’ajouter un peu de métal qui a une bonne conduction magique pour renforcer encore l’effet du bracelet. Il y a encore le maillage à faire et le creux pour ton flocon. Retirer de la matière va l’alléger, surtout que le maillage sera moins lourd que l’alliage actuel. Donc il devrait s’alléger d’ici à la fin. Et pour la conduction magique, si tu ne trouves aucune gêne, c’est que c’est bon. Il faudra faire des essais quand le bracelet sera terminé pour voir si tout est bon niveau conduction magique. J’ai peur qu’il ne soit trop fragile magiquement pour le moment. »

Je finis de prendre mes mesures avant de ranger mes outils, mes notes et  le précieux bracelet dans mon sac sans fond. Vient alors le moment de discuter détente. Je rends son sourire complice à mon ami et client, réfléchissant à sa proposition. Je pousse un petit soupir en entendant la remarque du grimoire, essayant d’abord de l’ignorer pour répondre à mon ami.

« Je t’avoue que j’ai très faim. Alors un coin où l’on mange bien et où on en a pour nos cristaux ? On pourra bouger pour boire. La taverne de la dernière fois était sympa, mais il doit y avoir d’autres coins sympas... Je ne suis pas difficile sur la nourriture tant qu’il y a de la quantité. Après une telle journée, je suis affamée. »

Je me relève et essaye de songer aux établissements que je connais, me viens alors une autre chose à laquelle je dois penser.

« Il faut aussi que je trouve un endroit où dormir. Avec tout ce que l’on a fait aujourd’hui, j’ai complètement oublié de penser à cela. Il est un peu tard pour trouver une chambre pour ce soir, mais je devrais pouvoir trouver tout de même... Alors, une bonne auberge ? »

Je souris à mon ami, regardant un instant son grimoire volant avant de revenir vers lui, légèrement gênée.

« Par contre avant qu’on y aille, et si Ivoirounet veut bien éviter de faire une remarque désobligeante là-dessus, j’aimerais pouvoir me changer et me laver un peu. Je ne sais pas si tu as une autre arrière-boutique ou un coin de repos, mais j’aimerais bien pouvoir mettre des vêtements plus chauds pour la soirée et pouvoir un peu chasser l’odeur de transpiration et de métal sur moi... S’il te plait ? »

Je suis presque sûre que le livre ne va pas manquer de me répondre de manière acerbe, mais je me sens réellement gênée de devoir demander cela. Si j’avais déjà pris une chambre avant, j’aurais pu faire un passage par mon auberge pour faire cela, mais j’étais tellement concentrée sur le travail que je l’ai complètement oublié.

Almassar écoute attentivement tout ce que lui explique la forgeronne. Elle est la maîtresse d’œuvre de cet ouvrage, et il ne compte absolument pas l'interrompre ou la contredire. Il essaye au contraire d'assimiler toutes les informations dont elle lui fait part. Poids, conduction renforcée, et surtout le fait qu'il est encore trop fragile pour être réellement essayé. Une fois les vérifications terminées, il vient retirer la pièce et la rendre à sa propriétaire actuelle, tandis qu'Ivoire écoute d'une oreille attentive ce qu'il se passe. Car même si cela ne transparait pas, il partage une partie de la passion de son créateur pour les objets magiques et les enchantements. Est-ce pour les mêmes raisons par contre ? Difficile à dire...

-"Je te remercie, tu sais que tu as toute ma confiance de toute façon. On fera les tests quand tu le jugeras bon. Et pour le poids, je pense que c'est surtout qu'il me manque encore le muscle que je dois travailler et pour lequel tu as justement prévu une marge avec le temps. C'est pas qu'il est trop lourd, c'est simplement moi qui suis trop frêle pour le moment. Je compte bien corriger ça en voyageant plus souvent !"

Puis vient la partie plus agréable de la soirée. Les conversations, la boisson -mais pas en excès, le travail  n'attendra pas le lendemain-, et la nourriture. Écoutant les demandes de Sia, et son besoin impératif d'une chambre, l'enchanteur se frotte la joue et le menton en réfléchissant. Il a eut l'occasion de visiter quelques auberges durant ses voyages avant d'acquérir cette petite boutique. Avec Luz' durant leur expédition il en a aussi côtoyé d'autres. Claquant des doigts, il vient répondre avec un sourire à son amie.

-"J'ai pu tester une auberge avec des chambres vraiment sympathiques, le Yak Argenté. Me demande pas pourquoi ce nom, mais ils avaient toujours ce qu'il fallait, et leurs repas sont bons. Avec un peu de chances ils auront encore des chambres, c'est pas trop loin de l'entrée de la ville en plus."

Puis vient ensuite sa seconde demande, presque gênée. Almassar ne voit vraiment pas en quoi c'est un problème, et il tente de la rassurer en haussant les épaules avec un petit sourire, l'air de dire que ce n'est rien. Hélas, Ivoire ne l'entend pas de cette oreille et son rire revient hanter les oreilles des deux humains, sans même qu'il ne prenne la peine de se retourner.

-"Gamin, c'est ton occasion ! Attire la dans ta théière et ne la relâche pas avant de t'être assuré qu'elle n'en ressorte plus entachée qu'a l'arrivée ! Deviens un homme mon fils, que je sois fier de toi !"

L'homme grogne en se passant la main sur le visage en soupirant, ne relevant même pas. Il rougit même un instant, alors qu'il entrouvre les lèvres pour reprendre, essayant d'effacer la gêne présente.

-"Ivoire est une brute, mais... J'ai pas vraiment d'arrière boutique, elle est assez commode en terme de prix justement pour ça. Et je me suis dis que vu que j'ai une théière j'en ai justement pas besoin. Donc si tu veux, je peux l'installer pour que tu puisses t'y laver et t'y changer tranquillement."

Pourquoi est-il gêné ? Car ils vont devoir être dans la même pièce alors qu'elle va se laver et se changer. Il ne compte pas observer, bien sur, après tout il a lui même à faire. Mais il est vrai que depuis cette nuit ou ils ont dormis ensembles, il ne s'est rien passé de ne serait-ce légèrement discutable. Et Almassar ne peut pas nier, la demoiselle est une belle femme. Bien sur qu'il respectera toujours l'intimité de son amie, et n'ira jamais la reluquer tandis qu'elle a le dos tourné. Mais les mots d'Ivoire le troublent un instant. Finalement il secoue la tête en se reprenant.

-"Et après ça, on va manger un bon morceau pour faire passer la journée de travail. Si ils ont encore une chambre, on t'en récupères une, et on passera une bonne soirée à discuter et boire. Un moment en ta compagnie ne peut qu'être agréable de toute façon !"
-"C'est bien petit, c'est comme ça qu'il faut les prendre. Tu commences par user de ta langue pour la charmer, puis pour la faire crier. Et après elle en redemandera d'elle même."

L'enchanteur cligne des yeux, ne s'attendant clairement pas à cela. Il faisait ce compliment sans aucune arrière pensée, et il finit par rire. C'est tellement gros et direct qu'il ne peut même pas en être gêné. Ignorant Ivoire qui revient à ses affaires, il invite Sia à le suivre dans l'arrière boutique, avant d'installer sa Théière en sautant dedans. Dès que la demoiselle est entrée, il vient la refermer pour empêcher le grimoire de les suivre et préserver l'intimité de la jeune femme. L'intérieur est découpé par des paravents, produisant réellement une sorte de petite entrée qui mène sur un coin salle de bain et un autre chambre. Se dirigeant vers cette dernière, l'enchanteur laisse échapper un :

-"Viens me chercher quand tu as terminé, je t'attendrais en lisant un peu. T'imagines même pas la quantité de travail que j'ai en retard ces derniers temps..."

Le Yak Argenté. Je note le nom de cette auberge qui ne me parlent pas. Il faut dire que j’ai peu eu l’occasion de séjourner dans une auberge de la Forteresse, préférant en général dormir à la forger Obsid. Je hoche de la tête, la proposition semblant sympathique. Avant que je puisse répondre, le grimoire intervient avec un nouveau ricanement salace. Une théière ? De quoi parle-t-il ? Je regarde Almassar sans comprendre, réfléchissant à ses paroles pendant un petit moment. C’est la réaction de l’enchanteur qui me fait réaliser. Je me sens légèrement gênée de cette remarque.

Mon ami parle à nouveau de sa théière et je mets un moment à comprendre de quoi il parle. Une théière enchantée. J’ai vu qu’un stand du festival au Solstice en vendait, mais leur prix exorbitant m’avait refroidi à l’époque. Maintenant, je comprends les paroles du livre, et je ne peux retenir un rougissement. C’est comme s’il disait Almassar de m’inviter dans sa chambre, et même son lit. Je suis à la fois horriblement gênée et exaspérée. J’essaye de passer outre, hochant de la tête pour accepter sa proposition, légèrement rouge de gêne.

Ce n’est pas vraiment l’idée de me changer devant mon ami qui me gêne, mais plutôt ce qu’il peut penser d’une telle vue. Même si je suis loin d’être pudique, j’ai développé une certaine conscience des hommes qui apprécient les corps féminins. Et au vu des paroles d’Ivoire, je comprends bien que l’enchanteur apprécie les femmes. Je ne vais clairement pas m’immiscer dans sa vie privée et lui demander de parler de potentielles conquêtes. Nous ne sommes pas assez proches ou je ne suis pas assez bourrée pour cette discussion. Et même si nous avons eu l’occasion de dormir ensemble à notre rencontre, nous n’avons pas réellement abordé nos vies personnelles. Nous en sommes restés à des discussions plus professionnelles ou tournées sur des sujets concernant des inventions et discussions plus philosophiques.

Il semble que le pauvre homme est aussi gêné des mots de sa création, ayant du mal de réagir avant d’essayer de passer à autre chose. Je hoche à nouveau la tête alors que l’encyclopédie à remarques douteuses continue à faire des allusions dont j’ai bien du mal à comprendre toutes les subtilités. J’ai l’idée générale, mais mon manque d’expérience dans ce domaine -qui se réduit à quelques rares passages de romans- m’empêche de pouvoir tout imaginer. Je rougis à nouveau de gêne, principalement parce que je me sens ridicule de mon ignorance alors que mon ami rit et m’invite à le suivre.

Il pose son petit objet magique au sol, le suivant rapidement. Nous nous retrouvons dans un petit intérieur cosy, bien plus spacieux qu’il n’y parait et surtout, sans ce livre à la langue trop pendue. Je soupire de soulagement de ne plus l’entendre, laissant le maître des lieux me présenter son petit chez lui. Au moins, il y a un minimum d’intimité ici et j’ai de quoi me laver. Avant de me diriger vers l’espace adéquat, je profite que sa création ne puisse nous entendre pour me permettre un commentaire.

« Tes affaires semblent bien fonctionner... »

Je rejoins l’espace de toilette, posant mon sac avant de me déshabiller. Je récupère ensuite du savon et des linges pour commencer à me laver et me débarrasser de l’odeur de la forge. Je profite que nous sommes relativement proches pour essayer de discuter tout en enlevant la poussière qui me recouvrent.

« Et donc, à quoi te sert Ivoire au juste ? Parce qu’il ne semble pas posséder de moyen pour l’éteindre, alors à moins d’un échec dans une de tes expériences que tu veux étudier, je ne comprends pas vraiment son utilité. »

Je me rince et me sèche en vitesse, sortant ensuite mes vêtements que je portais en début de journée, couvrant bien plus de peau et bien plus chauds. Une fois habillée, je sors et rejoins l’enchanteur, légèrement gênée d’être dans son lieu de vie, un endroit qui doit avoir une certaine intimité pour lui.

« En tout cas, c’est vraiment sympa ces théières... J’ai hésité à m’en procurer une, et maintenant je regrette un peu... Il faudra que je voie pour me fournir un truc similaire pour avoir mon petit chez moi un jour... Ç'aurait été pratique avec ma vie d’aventurière et future itinérante. »

J’affiche un petit sourire à mon ami, faisant évidemment référence à nos précédentes idées que l’on a jamais eues l’occasion de plus développer avec l’alcool.

L'enchanteur ne semble absolument pas partager la gêne de son amie à l'idée de lui montrer son chez soi. Certes, c'est sa salle de bain et sa chambre, et donc ? Il n'y a rien de particulièrement compromettant la dedans. Les modifications étant plus que limitées dans cet espace hors des dimensions matérielles habituelles, Sia ne risque pas de faire une rencontre particulière ou qu'elle ne devrait pas. Au pire un savon qui a mal été remis sur son support sera le plus grand affront qu'elle subira. Et même si Almassar apprécie son Grimoire, il ne peut nier que pour une fois, en être séparé ne lui fait pas de mal. Il ne semble pas apprécier la forgeronne, ou force très lourdement pour que l'enchanteur tente quelque chose vis à vis d'elle, et l'homme en est déjà las. Finalement, c'est le commentaire de son amie qui fait émerger de la bulle dans laquelle il était en train de plonger le brun, qui hoche la tête avec un sourire.

-"En ce moment, c'est la folie. Je ne sais même plus où donner de la tête, mais je vais pas me plaindre. Les cristaux sortent encore plus vite qu'ils ne peuvent rentrer, avec des travaux comme celui que je t'ai commandé et ceux que j'effectue en parallèle. Ça arrive à me tenir occupé au moins !"

Quelques paravents sont tout ce qui sépare les deux, bien assez pour protéger la pudeur et en même temps pour leur permettre de converser. La question de Sia est accueillie par un instant de réflexion tandis qu'Almassar se mord la lippe. Il essaye de réfléchir à comment expliquer la présence d'une telle abomination dans sa vie. Mais une abomination qu'il apprécie, au fond, malgré son caractère et son humeur parfois discutables.

-"Initialement, c'était effectivement une expérience pour quelqu'un avec qui je travaille qui possède un problème particulièrement épineux et qui m'a bien retourné le crane durant le mois dernier entier. Puis voyant qu'elle fonctionnait, j'ai décidé d'y ajouter ce qui est devenu Ivoire. Tu sais, malgré son caractère, je l'apprécie."

Puis l'homme soupire un instant avant de reprendre. Si il s'est arrêté, c'est uniquement car il s'est rendu compte de ce qu'il allait dire. Mais trop tard, il a commencé à parler, autant terminer.

-"Et il sait être utile. Dis toi qu'il me sert à la fois de pense bête, de source de conseils et de livre de notes. Il a une mémoire particulièrement tenace, et il sait être de bon guide et de bon avis, quand il le souhaite. Et il m'a déjà plus d'une fois permis d'éviter de faire une erreur dans une préparation en me reprenant à cause de la fatigue."

Il aurait bien rajouté "Et cela me fait quelqu'un avec qui converser pour lutter contre la solitude", mais l'enchanteur préfère pincer les lèvres et se taire avant d'en dire trop. Sia ressort de l'espace pour se laver et alors qu'il se redresse en refermant son livre qu'il vient ranger dans son sac, l'homme hoche vivement.

-"J'avais l'occasion et les moyens, j'ai sauté dessus. Et je t'avoue que je regrette pas mon achat. Juste en pouvant louer cette boutique sans étage vivable, je vais rapidement la rentabiliser. Pareil si je dois voyager, j'aurais toujours une chambre et une salle de bain confortable. Si quelqu'un est blessé, c'est bien de pouvoir le laisser au chaud et le laver proprement aussi pour éviter les infections. Bref, je te conseille chaudement d'en trouver une... Ou de reprendre certains projets que nous avions déjà évoqués."

Bien sur il saisit la perche qu'elle vient lui tendre, elle était trop belle pour ne pas la saisir. Et vu ce qu'il vient de lui donner en cristaux, il a hâte de voir la balle revenir dans son camp avec l'un des nombreux projets ainsi proposés par Sia. Et il aime bien travailler avec elle, aussi. C'est important quand l'on souhaite devenir partenaires commerciaux, non ?

Hochant de nouveau, il guide la jeune femme pour la laisser sortir avant de directement l'accompagner, venant récupérer sa théière qu'il range dans un coin du bureau, à un emplacement habituel. Bien sur, à peine émergés, Ivoire se permet sa petite pique.

-"Gamin, gamin. Je t'avais dis quoi ? Tu n'écoutes pas mes conseils et voila le résultat : tu es bien le premier à inviter une si belle plante chez toi et à la laisser ressortir avec les cheveux et non la lingerie d'humide, et surtout plus habillée qu'a l'arrivée. Ou alors t'as refusé de payer le prix qu'elle demandait ? Je comprends, on préfère toujours quand c'est gratuit."

L'enchanteur roule des yeux, se concentrant sur son amie. A ce stade, même si il est légèrement gêné des paroles de son ouvrage, et surtout des pensées qu'il a pu avoir à l'évocation de la lingerie de la forgeronne, il arrive à les oblitérer bien vite pour s'en amuser.

-"Définitivement, il t'aime bien, il ne te taquinerait pas autant sinon. Et si tu es prête, en route. J'ai déjà hâte de pouvoir manger."

Laissant le soin à son amie de se préparer, il récupère sa veste et son manteau pour rapidement s'en vêtir. Les nuits sont particulièrement froides dans les rues de la ville, et il n'a pas envie de prendre froid. Dès que la demoiselle est prête, il la laisse sortir avant de refermer derrière lui... Hélas accompagné d'Ivoire, qui ne semble pas vouloir rater une miette du spectacle nocturne.

Je suis heureuse de constater que les affaires de mon ami battent leur plein. À vrai dire, je ne me suis jamais trop inquiétée pour lui, Almassar est talentueux, il peut facilement intéresser du monde. Il est passionné et dédie son temps à son travail et à la magie. Il est difficile de le voir faire autre chose, même sur son temps libre.

Il revient un moment sur Ivoire. Une expérience pour un autre projet ? Je deviens curieuse, mais je ne dois pas m’immiscer dans les affaires de mon ami. Il traite parfois des sujets épineux, et je sais bien qu’il doit garder ses secrets pour ne pas s’attirer d’ennuis. Je suis légèrement surprise qu’en revanche l’enchanteur apprécie sa création. Il semble du genre casse-pieds et casse oreilles, je ne serais pas sûre de pouvoir le supporter au quotidien. Je comprends ensuite que le livre magique lui sert de compagnie en plus d’un deuxième cerveau. Il doit trouver une personne qui peut le comprendre avec sa passion dans cette bien étrange création. Je ne dis rien de plus à ce sujet, s’il l’a créée, il a ses raisons et ne souhaite pas les discuter.

« Je ne pense pas que ces petits projets seront les premières choses que je vais te demander si je t’expose des travaux après cette première affaire entre nous. »

Bien que je souhaite évidemment devenir itinérante et que ce projet m’intéresse énormément, d’autres idées me sont venues depuis. J’ai déjà pu échanger avec l’enchanteur et je pense que je vais pouvoir lui confier un nouveau projet. Je garde toutefois ces détails et informations pour moi, j’attendrais d’être avec un bon repas pour les lui exposer.

Nous sortons de la théière et presque immédiatement le livre vient nous rebattre les oreilles avec des commentaires plus que douteux. J’essaye de ne pas réagir à ses sous-entendus, même si j’apprécie Almassar, notre relation ne me donne pas envie de rejoindre sa couche. Je prends cependant un peu mal d’être encore traitée de fille de joie. Je serre la mâchoire avant que mon ami ne fasse un commentaire. Ivoire m’aime bien ? Je lance un regard vers l’objet volant avant de récupérer mes affaires. J’enfile ma cape et suis l’enchanteur vers l’extérieur, rapidement suivi par le livre qui ne semble pas vouloir nous lâcher si facilement.

Je laisse mon ami nous guider à travers le dédale de rues pour nous emmener dans cette fameuse auberge dont il m’a parlé. Je le laisse converser avec son âme artificielle volante et les observe du coin de l’œil. Je me demande sincèrement quel projet peut justifier une telle création, mais je suis obligée de constater qu’il parait réellement apprécier le grimoire. Je souris en les observant, me convainquant d’essayer de faire un effort pour rentrer dans le jeu des répliques désagréables du livre pour réussir à m’en amuser plutôt qu’à m’énerver.

Nous arrivons rapidement devant l’endroit dont il m’a parlé et j’entre pour être accueillie par la chaleur et l’ambiance bonne enfant. Je rejoins l’aubergiste et discute avec lui pour me trouver une chambre. Il faut un peu négocier, mais j’arrive à pouvoir me trouver une chambre pour deux nuits consécutives. Il faudra que je change de pièce entre les deux nuits, mais c’est mieux que rien. Je n’en récupère pas la clé tout de suite, mais remplis les formalités nécessaires avant de retrouver mon ami.

L’avantage quand votre ami enchanteur possède un livre volant ? Au milieu d’une pièce bondée de monde, vous pouvez apercevoir facilement un grimoire qui lévite et insulte qui ose le déranger. Avec une chope de bière dans chaque main, je m’installe en face d’Almassar, un large sourire sur les traits.

« Le repas arrive. Ce n’est pas idéal et je vais devoir payer un supplément, mais j’ai pu avoir une chambre. J’ai bien failli devoir dormir dans les écuries. Ceci sera retenu sur ta note, mon cher. »

J’affiche un air taquin avant de lever ma chope pour que nous trinquions, lançant un petit regard en direction du livre après avoir échangé avec l’homme.

« À notre première affaire alors ? Et à ta rencontre aussi Ivoirounet. »

Le trajet à travers la Forteresse est à la fois calme et empli de surprises. La forgeronne semblant dans ses pensées, ou peut être occupée à songer aux fameux travaux qu'elle pourrait bien lui demander afin de les exposer, Almassar converse avec son grimoire durant le trajet. Et ça parle travail, beaucoup. Quand il n'est pas occupé à insulter la moitié de la création de Lucy, il sait se montrer particulièrement utile. Et avalant une quantité phénoménales d'information, il commence à rapidement pouvoir rattraper l'enchanteur sur ses erreurs d'inattention ou de fatigue. Et si pour le moment, il ne fait pas encore de réel commentaire technique, avec sa vitesse d'apprentissage il est clair que bien rapidement ce sera un assistant à part entière dans le travail de l'enchanteur qui en a bien besoin. Posséder l'équivalent d'un second cerveau qui n'est pas distrait par le travail manuel ou encore des pensées parasite est particulièrement efficace. Si seulement Ivoire possédait un caractère moins acerbe...

Trouver une table n'est pas difficile. Après tout, le grimoire n'hésite pas à utiliser un langage plus proche de celui des marins que d'un être civilisé pour faire un chemin à Almassar, qui finit par s'installer avec un grand soupir le temps que Sia négocie avec l'aubergiste une chambre pour la nuit. Profitant de ce moment de calme, le brun redresse le regard vers sa création qui vole au dessus de la table, attirant son lot de regards.

-"Tu pourrais pas te montrer un peu plus délicat avec Sia tout de même ? C'est une bonne amie, et elle n'a rien fait pour mériter que tu t'acharnes sur elle. Et si j'ai été aussi surpris que toi de ses tenues en un climat aussi froid, j'ai fini par vite l'apprécier, et j'aimerais que vous évitiez de vous entre-tuer d'ici une semaine."
-"Mais justement gamin, je pense à toi. Depuis que je suis la, tu passes toutes tes journées et même ton temps libre soit à travailler, soit à faire des recherches pour ton travail. Tu comptes vivre ta vie quand ? Et surtout, faire autre chose que te perdre dans des livres moins intéressants que moi. Tu vas le regretter à terme, d'avoir abandonné tes belles années pour un travail qui est certes passionnant, mais qui peut attendre."

Almassar aurait bien répliqué, mais voici déjà que la forgeronne revient avec des bières. Ivoire se tait, se contentant de voler dans les airs alors que le jeune homme attrape sa chope pour trinquer avec Sia, soufflant un rire au petit surnom ainsi trouvé au grimoire qui ne laisse même pas le temps à l'enchanteur de répondre, sa voix tonnant au milieu des conversations.

-"Ivoirounet ? Tu oses m’appeler ainsi ? C'est Grimoire Ivoire ! Je sais qu'a force de frapper sur une enclume et du métal, ça a du créer assez de réverbérations pour que ton cerveau se cogne un peu trop contre ton crane, mais je pense que ce n'est tout de même pas trop demander que d'arriver à se souvenir de mon nom !"

Une fois que le tome s'est encore fait remarquer, un soupir échappe des lèvres du chercheur qui prends une bonne gorgée de sa bière avant d'enfin répondre, une fois la tempête retombée.

-"A notre première affaire, en effet. Et espérons-le, à beaucoup d'autres encore. J'ai hâte de voir le résultat final en tout cas, et de pouvoir porter ce bracelet. Quand à la chambre, pas de problème. Tu me rajouteras ça sur la facture finale."

La première chope descends à bon rythme. Certes, ils ne pourront pas finir dans le même état que la dernière fois, mais rien ne leur empêche de se faire tout de même plaisir. Et tandis qu'ils attendent leurs assiettes pour pouvoir attaquer le vrai repas, une tournure de phrase prononcée un peu plus tôt par le charmant pot de fleur vivant se trouvant face à lui fait tiquer Almassar qui redresse la tête.

-"Et en parlant d'affaires justement, parle moi des tiennes ! Si tu parles d'exposer des travaux à moi, c'est que tes idées pour une forge mobile ont avancées, je me trompe ? Dis moi tout, je suis toute ouïe. Tu sais bien que si il te faut quelque chose, je suis la pour te faire du sur-mesure de toute façon."

Et le pire est que l'enchanteur ne dit même pas cela forcément pour se faire des cristaux, non, ça lui ferait simplement sincèrement plaisir de pouvoir aider son amie et l'équiper de nouveaux joujoux magiques.

« Fais donc l’effort de retenir le mien. Je sais bien que pour un livre, c'est difficile d’imprimer un nom aussi simple que le mien. Mais il est encore plus simple que le tien : SIA. S-I-A. Tu ne peux pas te tromper. Ça devrait être dans tes moyens, Ivoirounet ? »

J’affiche un large sourire en sirotant ma bière. Je cherche à provoquer la création de mon ami volontairement. Je ne vais pas rentrer dans son petit jeu, mais plutôt essayer de l’emmener dans le mien. Et après ces quelques provocations insultantes pour sa fierté de grimoire, je me détourne de lui et décide d’ignorer ses prochaines protestations. Je trinque avec Almassar, je ne suis pas là pour m’occuper de son enfant en manque d’attention.

Mon regard remonte sur ce dernier quand il parle de ma forge mobile. Je grimace légèrement avant de secouer la tête négativement. Je prends une nouvelle gorgée avant de poser la choppe et m’emparer de mon sac sans fond. Je farfouille dedans et en sort un carnet que mon ami reconnaîtra peut-être. Je l’ouvre sur nos premiers croquis de l’époque avant de tourner quelques pages et arriver sur de nouveaux dessins. Je lui tends l’objet, le laissant voir mes réflexions. Principalement des désirs de l’installation finale, rien de plus.

« À vrai dire, je bloque légèrement. Je ne sais pas ce qu’il est possible ou non, quelles sont les limites. Si tu pouvais m’aiguiller là-dessus, ça m’aiderait peut-être. »

Imaginer une pièce complète n’est pas facile. Déjà que devoir imaginer ma propre forge idéale sans contrainte est difficile, alors avec de potentielles contraintes magiques, je m’arrache légèrement les cheveux.

« Et je dois avouer qu’avec le travail, j’ai eu peu de temps pour me poser sur ce projet. Après tout, j’ai encore du temps devant moi. Je ne pense pas commencer à envisager cette activité avant le début des beaux jours. J’ai encore plusieurs lunes devant moi. »

Nouvelle gorgée de bière avant qu’une idée ne me vienne.

« Et en fait, j’ai plutôt réfléchi à autre chose dernièrement ! »

Un large sourire vient étirer mes traits. Je récupère à nouveau mon sac, fouillant un moment dedans avant d’en sortir deux objets. Un marteau de forgeron et la meilleure épée que j’ai pu forger. Je les pose sur la table, entre nos chopes. Devant l’air à la fois curieux et interrogateur de mon ami, je ne peux m’empêcher de souffler un léger rire.

« Vois-tu, quand j’ai reçu ton cadeau du Solstice, je venais d’investir moi aussi dans une âme artificielle. Je réfléchissais depuis un moment à acquérir un compagnon. Un familier serait une solution, mais avant cela je voulais tester les âmes artificielles. Je me retrouve avec deux âmes à utiliser. Et après de mûres réflexions, voici les candidats parfaits selon moi. Sauf que je n’ai aucune idée de la manière dont on insère une âme artificielle dans un objet... »

Je le fixe avant de poser deux billes magiques sur la table, les deux âmes que j’ai gardées précieusement tout ce temps. On m’a toujours dit que la procédure était aisée, mais je ne pense pas cela. Et puis, il faut que je leur trouve des noms, non ? Comme pour un familier ? Quel genre d’entretien ça va avoir besoin ? Je suis légèrement confuse et j’espère que l’enchanteur puisse éclairer ma lanterne. En voyant Ivoire, j’imagine qu’il s’y connait plus que moi sur les méthodes pour utiliser ce genre de créations magiques.

Au commentaire de la forgeronne, Ivoire agite ses pages d'un air agacé voir énervé. Finalement, il se contente de tourbillonner sur lui même de façon agacée, un certain mécontentement s'échappant du bruit de ses pages qui se froissent au fur et à mesure de ses péripéties aériennes qui ne manquent pas d'attirer quelques regards. Se sentant un peu trop observé pour son bien, il finit par marmonner entre ses pages d'une voix blasée.

-"Tu verras le jour ou j'aurais mes vrais pouvoirs. Rigolera bien qui rigolera le dernier. Et de nous deux, ça sera pas moi qui risquerait le plus de bruler vif."

Le brun lui préfère laisser un peu le grimoire à ses commentaires pour se concentrer sur son amie aux nombreuses questions. Un de ses sourcils s'arque quand elle lui avoue n'avoir que peu d'idées, avant d'attraper le carnet ainsi tendu pour faire tourner les pages et examiner les différents croquis. Almassar prend le temps de les examiner un par un, essayant de jauger de leur possibilité avant de répondre. Le plus compliqué à décrire sont les limites. Et c'est avec un mouvement d'épaules pour se réveiller comme il se doit et une gorgée de sa bière qu'il s'essaye à cet exercice des plus compliqué.

-"A vrai dire les limites sont bien ce qu'il y'a de plus flou à expliquer. Tu peux avoir presque tout ce que tu le souhaites, tant que tu acceptes ce que cela veut dire. Outre le prix, il y'a une sacrée différence entre des petits "jouets" magiques si l'on peut dire ainsi, et les objets les plus puissants. Je présume que tu souhaites rester dans la première catégorie, donc la principale limitation sera principalement dans le nombre de choses que je pourrais inclure. Tu veux une forge fermée, tout le nécéssaire à l'intérieur. Je pense pas que cela pose problème. Se pose plus la question pour le voyage. Tu veux pouvoir l'emporter, donc elle doit se recharger assez rapidement. Mais de l'autre coté tu dois aussi pouvoir l'avoir assez longtemps pour qu'elle puisse rester active le temps du travail."

A vrai dire, l'homme se parle presque autant pour lui même que pour Sia. Tout en continuant de scruter les croquis, il commence à tisser dans son esprit les possibilités différentes, ce qu'il pense pouvoir faire, comment. Ses lèvres se pincent, son regard se fait plus distant alors qu'il se plonge de plus en plus profondément dans ses pensées. Et ce qui l'en arrache est le bruit sourd d'une couverture de livre s'abattant sur son crane, alors qu'Ivoire vient lui mettre une claque sur la tête.

-"Sors de tes pensées gamin. Que tu arrives pas à la séduire, c'est une chose encore, tu pars pas gagnant, je sais bien. Mais écoute la un peu. Elle te dit que tu as le temps et qu'elle a autre chose à te demander."

Arraché à ses songes, l'enchanteur glisse une main pour se frotter le crane en soupirant doucement, jetant un regard noir à son invention alors qu'il finit de masser la zone impactée. Son regard se pose de nouveau sur la demoiselle face à lui qu'il écoute un peu plus attentivement, soufflant un rire en entendant son projet et surtout dans quels objets elle souhaite intégrer ses nouveaux compagnons. Attrapant les billes entre ses doigts, il les frotte légèrement sans quitter son amie du regard.

-"Tu serais surprise, c'est très facile, c'est un enchantement assez simple. Je pourrais même te le faire la maintenant, si c'est ce que tu souhaites. C'est simplement transférer la magie contenue dans cette bille qui n'est au fond qu'un réceptacle à l'objet de ton choix. Pour le reste, une fois intégrées, tes objets sont les mêmes qu'avant. Tu les entretiens et les répare de la même façon, juste que désormais ils parlent et ils ont une volonté propre. C'est sur que c'est bien plus simple à gérer qu'un familier, même si parfois ils font les mêmes conneries. Vu ce que tu choisis, tu n'as pas trop le risque qu'ils puissent se déplacer par eux même. Par contre, je ne peux te donner aucune garantie sur le caractère qu'auront tes âmes une fois installées."

Comme quoi, toute conversation revient toujours au travail un moment ou l'autre. Mais est-ce si surprenant ? Ils se sont rencontrés en parlant de créer une forge mobile entre deux bières après tout. Heureusement, le fumet de la nourriture qui monte signale au moins que leur repas approche à grand pas.

Un léger rire filtre entre mes lèvres en regardant l’enchanteur et sa création. Les deux font un duo plutôt comique qu’il est agréable d’observer. Ivoire a son caractère, mais j’ai cette impression qu’il a une complicité avec Almassar assez unique. Le grimoire est assez grossier, avec un frac parler pas forcément facile à supporter, mais il semble être un soutien dont a besoin mon ami. Je les observe et écoute, un coude sur la table et la tête dans la paume de ma main, ma chope dans l’autre main. Je pourrais presque ne pas me lasser de les regarder ainsi. Je commence même à penser que le grimoire a un bon fond et le cache juste sous cette couverture détestable.

Le brun finit par revenir sur mes âmes artificielles. J’ai déjà décidé mes objets, mais l’explication qu’il donne me fait encore réfléchir. Il est vrai qu’il n’y a aucune garantie sur le caractère des âmes. Elles peuvent aussi n’avoir rien à voir avec leur objet. C’est une chose plutôt difficile et je me dis que je dois peut-être procéder par étape. Je ne tiens pas à finir avec un exemplaire d’Ivoire à mes côtés. Je récupère une des billes et l’épée, les remettant tous deux dans mon sac. Je reprends ensuite le marteau et l’âme artificielle restante.

« Bon… Le plus simple reste d’essayer. Je vais déjà faire un premier test avec celle-ci et je verrai pour la seconde plus tard. C’est celle que tu m’as offerte, alors j’ai un peu d’espoir. »

J’observe un instant la petite bille en me rappelant la procédure qu’il vient de m’expliquer. Cela me parait bien trop simple, mais je fais confiance au brun. Je pose le marteau sur la table avant de venir mettre la bille à son contact. J’essaye de faire comme Almassar me l’a expliqué, mais je ne ressens rien de particulier. Cela me parait presque étrange qu’il n’y ait pas une formule à utiliser ou une action plus spécifique. Un moment passe et je ne perçois toujours rien. J’ai l’impression d’avoir échoué, récupérant mon marteau pour l’observer sous toutes ses coutures.

« Je crois que ça n’a pas fonctionné…
- Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? »

J’écarquille l’œil en entendant une voix masculine sortir de l’objet. J’ai l’impression qu’il essaye de légèrement se tortiller dans ma main, le bois émettant de légères vibrations sans pour autant réellement se mouvoir.

« Dans quoi est-ce que je suis ? Qui m’a foutu dans un corps aussi rigide ? Je suis un marteau ? SÉRIEUSEMENT ?
- Je crois que j’ai réussi…
- Comment ça réussi ? RÉUSSI ? Tu trouves que j’ai l’air réussi ? Regarde-moi ce corps ! UN DÉSASTRE ! Moi, le grand Hercules, suis désormais coincé dans un objet si vulgaire. Il n’a rien pour mettre en valeur mon charisme. »

Un soupir m’échappe. Je sais que Almassar m’a prévenu sur le caractère des âmes artificielles, mais j’avais un petit espoir.

« Tu avais eu une promotion sur les âmes artificielles caractérielles ? On dirait que celle-ci est aussi détestable qu’Ivoire.
- Détestable ? Moi !? IM-PO-SSI-BLE. Tu m’entends la grognasse ? Je suis le plus doux, le plus beau et le plus charmant de tous. Je suis le merveilleux et inimaginable Hercules. Ta vie avec moi va devenir un véritable cont... »

Je viens placer ma main et mon avant-bras sur le marteau pour en étouffer les bruits. On peut encore entendre une partie des idioties que l’objet déblatère en continu, mais de façon bien plus faible.

« Je te remercie pour ce cadeau, Almassar. Je pense qu’il va juste me falloir un moment pour m’y habituer avant de me décider à utiliser la seconde... »

Il semblerait que la forgeronne souhaite expérimenter toute seule. Fort bien, Almassar l'observe faire en s'installant plus confortablement dans sa chaise, léger sourire en coin et chope en main. Pour une fois que ce n'est pas lui qui travaille ainsi, il observe le miracle de la v... Magie s'accomplir, son regard pétillant d'amusement rivé sur les faits et gestes de son amie. Pendant un moment il ne se passe rien, faisant même douter le chercheur sur la méthode utilisée par la jeune femme. L'âme artificielle était viable, il s'en était assuré auparavant -quel cadeau inutile cela aurait fait autrement-, et pourtant elle ne semble pas vouloir s'éveiller.

Mais finalement, le marteau se décide à prendre vie et donner de la voix pour la première fois. Et quelle voix. L'outil ne semble clairement pas heureux d'avoir été invoqué et il le signale de manière particulièrement verbeuse. L'enchanteur souffle un rire amusé avant de l'étouffer dans une bonne gorgée de bière, roulant des yeux. Il n'est guère surpris du résultat, souvent le fait de se retrouver ainsi enfermé dans un espace si particulier rend à rendre les entités particulièrement excentriques.

-"Même pas, je n'aurais pas osé t'offrir un tel cadeau autrement. Mais j'ai la théorie qu'être conscient et généralement dans un corps à la mobilité et aux possibilités réduites joue sur leur psyché. Après tout, imagine si tu étais enfermé dans quelque chose de rigide, sans possibilité de te déplacer par toi même. Tu aimerais par exemple être une corde, et n'être utilisée que pour pendre des criminels ?"

Hélas, outre la rebuffade d'"Hercules", Ivoire ne semble pas avoir non plus particulièrement aimé ce laïus qu'il trouve particulièrement moralisateur, tandis que ses pages produisent un son froissé et particulièrement outré.

-"Ou peut être que si tu apprenais à mieux t'occuper de nous et nous parler, nous aurions un peu plus de respect pour ta personne ! Non pas que je sois moi même une âme artificielle, mais je reconnais la souffrance que va connaître ce pauvre marteau à être en ta possession pour faire je ne sais quelle tâche déshonorante. "

Néanmoins le marteau lui fait désormais de l'ombre et essaye de contester sa splendeur, et ça, le grimoire ne peut l'accepter. Alors maintenant que son adversaire est rendu muet par sa propre maîtresse, il vient voler au ras de la table, s'arrêtant à quelques centimètres de la nouvelle incarnation pour souffler d'une voix basse.

-"Et toi, piètre copieur de ma grandeur, futile imitation malformée et incapable, je te conseille de te calmer. La seule chaleur que ne connaîtra jamais le bout de ton manche est celle du métal en fusion. Te faire bâillonner ainsi sera la chose la plus proche que tu ne connaîtras jamais de la chaleur d'une amante, habitues-y toi dès maintenant."

Et, fier d'avoir rétabli la hiérarchie qu'il estime vital, le grimoire se redresse, presque fier de voir le marteau essayer de faire entendre sa voix tandis que seuls des bruits étouffés émergent. Almassar finit par rouler les yeux et donner un coup de chope à la couverture de son grimoire pour lui intimer de se calmer.

-"C'est bon Ivoire il a compris, laisse le s'habituer. Toi au moins tu peux voler, ça doit pas être facile pour ce marteau, n'en rajoute pas. Et je suis désolé, j'aurais espéré qu'il ait un caractère plus doux. Mais ça devrait se stabiliser un minimum avec le temps, une fois qu'il se sera habitué à son nouvel état. Autrement, je peux te le récupérer un peu aussi si tu veux du calme, une de plus ou de moins, je m'y suis habitué maintenant."

La conversation allait poursuivre, mais finalement le tavernier arrive avec les deux plats qu'il dépose sur la table, ainsi que deux bières supplémentaires. Son sourcil s'arque un instant en voyant tant d'objets vivants ainsi étalés, avant de simplement finir de revenir à sa routine, après tout, les aventuriers sont choses communes par ici, et même si tous ne portent pas d'âmes artificielles, c'est tout de même un phénomène qui est assez régulier, même si rarement aussi... Intense dans son caractère.

Laissant toutefois cela de coté au moins quelques minutes, l'enchanteur récupère ses couverts pour se préparer à attaquer son repas avec plaisir, observant son amie avec soudainement un air plus sérieux tandis qu'une pensée traverse son esprit.

-"Mais rassure moi, tu ne vas pas finir mon bracelet en utilisant ce marteau tout de même ? Il serait capable de faire exprès de riper pour t'emmerder. Je te conseille de faire attention avant de l'utiliser professionnellement, il risque de te poser quelques soucis sinon vu son caractère. Même Ivoire j'ai attendu un peu avant de réellement m'appuyer dessus."

L’enchanteur semble aussi surpris que moi du caractère de cette âme artificielle. Un soupir m’échappe même si la théorie qu’il expose me parait intéressante. Je devrais réfléchir un peu plus à l’objet à utiliser pour mon autre âme artificielle. Si être dans un matériau qu’il n’est pas possible de faire mouvoir à sa guise rend une âme dans cet état, je dois mieux évaluer mes possibilités. En tout cas, même Ivoire a son mot à dire aux déclarations de mon nouveau compagnon magique. Après avoir eu droit à des remontrances de la part du grimoire, il s’attaque au nouveau venu. Si Almassar ne s’occupait pas de le calmer un peu, j’essaierais sûrement de lui refaire la couverture…

Je soupire en essayant de me détendre, libérant le marteau. Je relève ce dernier, la tête en bas pour essayer de le faire tenir debout sur la table. Il faut commencer sur de bonnes bases.

« Alors enchanté, je suis Sia et c’est mon ami Almassar qui m’a offert l’âme que j’ai inséré dans ce marteau… Tu habites désormais un objet qui a beaucoup de valeur à mes yeux.
- J’espère bien ! C’est le minimum pour un être de ma grandeur !
- Et là, c'est Ivoire, le compagnon volant d’Almassar. »

Je n’ai pas de doute que le grimoire va me reprendre, mais je continue en ignorant la moindre de ses remarques.

« Je suis enchantée de te rencontrer… Quel est ton nom ?
- Hercule le Grand ! Tu as intérêt à retenir ce nom, ma bichette. T’es une bien jolie fleur, mais le monde est un peu à l’envers, non ? »

Clignant de l’œil, j’essaye de comprendre ce que l’objet vient de dire. Je vois son manche essayer de se tortiller, basculant plus ou moins avec difficulté. Alors que je comprends que la tête du marteau doit être le haut de son corps, je le récupère pour le mettre à l’endroit et en équilibre à l’aide d’un pichet.

« C’est mieux ! Ivoire, mon cher, c’est un plaisir de rencontrer un confrère, même si vos pages particulièrement acérées ne peuvent atteindre la grandeur de mon âme. Ce sera un plaisir pour moi de servir à frapper durement et sensuellement qui que ce soit et être utile à ma douce et tendre…
- Tu ne serviras pas à frapper le métal.
- Comment ça ?
- Je ne vais plus t’utiliser pour travailler.
- COMMENT CA ?! »

Un petit silence s’installe autour de la table et je me racle la gorge avant de m’expliquer.

« Tu es un marteau que mon père a conçu quand j’ai commencé…
- Ça oui je sais ! J’ai les souvenirs de cet objet ! Tu m’as utilisé toutes ses années, tu m’as étreint chaudement dans tes mains… Et contre ton corps… Tu m’as même utilisé pour te soulager sexuellement, non ?
- NON !
- Quel dommage…
- C’est parce que je ne peux plus t’utiliser pour travailler que j’ai décidé de te donner une âme ! »

Nouveau silence qui se fera sûrement briser par les moqueries d’Ivoire. Je décide de prendre l’objet à partie, lui expliquant plus en détail la situation pendant que mon ami calme sa création.

« Je t’ai utilisé toutes ces années et t’ai réparé comme j’ai pu, mais des matériaux sont désormais trop abimés. Je pourrais te refaire entièrement, mais tu ne serais plus le même… J’ai donc préféré te donner vie pour que tu puisses continuer de transporter les souvenirs de mes débuts. Est-ce que tu comprends ?
- Je vois... »

Le marteau devient étrangement silencieux, comme en pleine réflexion avec lui-même. Je le laisse à sa méditation, revenant vers Almassar.

« Bon… On dirait que ça devrait aller. Je te rassure, je vais utiliser des outils parfaitement inanimés pour travailler, surtout sur ton bracelet. Et je vais réfléchir un peu plus sur l’objet à utiliser pour ma seconde âme. Ça vaut mieux je pense… Si on mangeait avant que ça ne soit froid ? »

Et c’est sans attendre plus que j’attaque le plat qui nous a été servi.

Si Ivoire possède son caractère, c'est rien à coté de l'humeur libidineuse de ce marteau. A croire que frapper toutes les années sur des plaques de métal chaudes et des pièces à plier de la bonne manière lui a donné gout à ce genre de pratiques. Rien qui ne puisse réellement faire froid aux yeux de l'enchanteur qui ne peut s'empêcher de sourire. Bien sur, le centre de l'attention se déplace vers le Grimoire, qui n'en peut plus de se faire ainsi écorcher son nom et sa grandeur.

-"C'est GRIMOIRE Ivoire ! Tu arriveras bien à le retenir un jour, je te le promet. Quitte à devoir demander à ton marteau de te le tatouer sur la cuisse à grands coups. Et je suis sur que pour une fois, il prendra plaisir à écouter les conseils d'un autre et d'en prendre bonne note."

Vient ensuite le moment difficile ou la fleur doit expliquer à son nouvel ami éternel son but dans la vie. Et a vrai dire, il n'en a pas réellement, de but. Juste être un souvenir vivant de son passé. Effectivement, il y'a de quoi faire un choc, surtout pour une âme qui semble aimer le mouvement et la chaleur des corps à corps ardents. Et si Almassar reste silencieux, son compagnon, lui, ne se prive pas de continuer de saupoudrer l'échange de son poivre verbal, quitte à en devenir un peu trop grinçant.

-"Quand je le disais que c'était une dépravée ! Et en plus avec un complexe sur son paternel, à utiliser un marteau qu'il lui a offert pour soulager ses floraisons féminines naissantes. Courage à toi Hercule, tu risques de voir des choses que tu préfèrerais ignorer de ton vivant. Ou alors profite-en, je me ferais un plaisir de consigner pour toi les aventures d'une débauchée de braise et de baise."

Cette fois, même pour l'homme aux pupilles violines c'en est trop. Il a beau adorer Ivoire, c'est son amie qu'il est en train de maltraiter ainsi. Sa main glisse dans son sac sans fond avant d'en sortir une pierre de feu qu'il frotte entre ses doigts, laissant cette dernière faire naître des étincelles de plus en plus menaçantes, puis une petite flamme qui grandit progressivement. L'enchanteur se redresse, et approche l'engin incendiaire des pages de son livre qui se redresse en secouant les pages pour éloigner la chaleur.

-"C'est bon, tu te calmes ou je vais devoir te bruler et te reconstruire de zéro pour que tu retiennes la leçon ? N'abuse pas trop, Sia reste mon amie, et tu lui dois un minimum de respect."

Le grimoire gnognotte et continue de planer plus haut, dans le silence d'Hercule. Finalement, maintenant que les deux âmes sont enfin plus calmes, au moins pour un temps, ils peuvent attaquer leur repas en de meilleures conditions. L'enchanteur range son cristal dans son sac avant de se saisir de ses couverts et commencer son repas avec appétit. Ça n'a pas encore réellement refroidi, mais quelques minutes de plus auraient effectivement gâchés le plat. Une fois une assez bonne portion descendue, Almassar se permet enfin une petite pause pour revenir à une conversation composée d'autre chose que de bruits de fourchettes.

-"Au fait, je pense en profiter pour partir en montagne durant un petit moment. J'ai quitté la Capitale pour éviter de toujours rester au même endroit et je fais maintenant presque la même chose à la Forteresse. Ça me permettra d'aller chercher des ressources qu'il me manque et de tester tous les nouveaux jouets magiques que j'ai pu me dénicher ces derniers temps. Mais ne t'en fais pas, je ne pars surement pas seul, si jamais les choses tournent mal !"

Et de toute façon, ils ont leurs cristaux de communication pour se parler, si jamais la demoiselle s'inquiète. Même si au fond, pourquoi elle devrait s'inquiéter ? C'est simplement un homme de la Capitale qui a déjà failli mourir dans le froid par une erreur d’inattention, que pourrait-il se passer de si terrible si jamais il partait explorer seul les montagnes à la recherche de ressources ?

J’ignore complètement les commentaires désagréables du grimoire, me concentrant sur mon nouveau compagnon puis sur mon ami. Ce dernier en profite d’ailleurs pour réprimander sa création. Je ne peux me retenir de souffler un léger rire et d’intervenir pour apaiser un peu Almassar.

« Ne t’inquiètes pas, j’ai bien compris que c’est comme ça qu’Ivoirounet montre le fait qu’il m’apprécie. »

J’étire un petit sourire taquin en direction du livre volant qui sera sûrement offusqué de la nouvelle utilisation de ce surnom ridicule. L’enchanteur m’annonce ensuite ses plans alors que je commence à manger. Je manque de m’étouffer avec ma bouchée à sa première phrase avant d’être légèrement rassurée par la suite. Seulement légèrement. Je prends une grande gorgée d’eau pour faire passer mon plat avant de me pencher vers le brun.

« Alors. Ne pars pas seul dans les montagnes. Jamais. Je sais que tu es du genre débrouillard et que tu as Ivoire, mais je suis sérieuse. C’est une zone qui regorge de créatures pouvant défier celles se trouvant de l’autre côté de la frontière. Et prends une carte avec toi. Et une boussole. Ou une carte holographique si tu peux trouver. Et de quoi te chauffer ? Mais tu as ta théière. Je sais que tu n’es pas du genre à te battre, mais prend aussi de quoi te défendre. On ne sait jamais sur quoi tu peux tomber... »

Je me rends alors compte que je materne un peu le pauvre enchanteur. Il n’est pas bête, simplement tête en l’air. Il m’a dit avoir créé son grimoire en partie pour se servir de pense-bête, je me tourne donc vers ce dernier.

« Et toi, Ivoirounet, assure-toi qu’il n’oublie rien et qu’il revienne en vie. Je ne tiens pas à perdre bêtement un ami et bon client. »

Ce point étant fait, je m’installe un peu plus au fond de ma chaise en continuant mon repas. C’est ce moment que mon marteau revient à lui.

« Je sais ! Sia, je vais devenir ton conseiller en amour ! »

Je manque d’à nouveau m’étrangler et le marteau continue dans sa lancée.

« J’ai bien compris que toi et l’autre forgeron, c'est mort. On va te trouver un beau mâle qui voudra bien de toi ! Bon, l’enchanteur là, on va éviter. J’ai pas envie de me coltiner un bouquin désagréable au quotidien. Adam, c’est mort aussi, sauf si tu souhaites changer de sexe. Je vais t’apprendre à draguer ma jolie ! Et le prochain avec qui tu pars en quête ou le prochain noble que tu croises, tu lui mettras le grappin dessus.
- Je pense que ça va aller, Hercules…
- Laisse-moi t’être utile ! »

Je m’apprête à répondre quelque chose, mais la voix suppliante du marteau me brise presque le cœur. Après un soupir, j’abandonne l’idée de lui tenir tête.

« Très bien. Fais ce que tu veux tant que tu ne te brises pas bêtement. »

J’ai l’impression qu’il pourrait se mettre à sautiller de joie si le matériau dans lequel il est le lui permettait. Il n’arrête pas de me remercier alors que je retourne à mon plat, adressant un regard d’exaspération à mon ami. Quelle idée avons-nous eue de donner vie à de tels objets ?

Bien sur la forgeronne s'inquiète immédiatement pour lui, ce qui a un coté à la fois adorable et un peu difficile. L'enchanteur sait très bien qu'il peut être tête en l'air -et heureusement qu'elle n'est pas au courant de son premier incident quand il est sorti, autrement elle serait bien plus difficile-, mais il apprend aussi vite. Néanmoins il sait que tout cela part d'un bon sentiment donc il écoute ses conseils avisés avec un léger sourire, avant de finir par hocher la tête en agitant sa fourchette en l'air pour souligner son propos.

-"Alors j'ai la carte holographique. J'ai la boussole, enfin même deux. J'ai aussi la théière et un paquet d'autres objets. Je sais que la magie ne fait pas tout, mais as-tu vraiment envie que je sorte l'intégralité de mon sac sans fond sur la table en cet instant précis pour que tu t'assures que je parte assez bien équipé ?"

Vient ensuite la question de l'équipement. Sur ce point, il aurait envie de parler et de rajouter quelque chose, car il a fait des efforts de ce coté. Mais c'est la pique de trop pour Ivoire, qui commence à agiter les pages avec assez de force pour faire un courant d'air, proche de l'esclandre en pleine taverne.

-"Ce n'est pas car tu as enfin trouvé le moyen d'enfanter d'une abomination hors-normes sous la forme d'un marteau incestueux que tu peux te permettre d'ainsi insulter mon nom ! Finalement, je comprends pourquoi personne ne veut fertiliser ce champ que tu arroses de cendres et de métal si régulièrement, quand on voit le résultat de ce qu'il en sort. Donc continue de porter des créatures impies et cesse d'ainsi me parler. Mais oui, je le ramènerais en vie, j'en ai besoin aussi."

Almassar cligne des yeux, voyant rouge aux déclarations de son livre. Activant sa pierre il l'approche de la couverture jusqu’à laisser les flammes commencer à la lécher pour qu'Ivoire recule en protestant.

-"Je prends ta défense et toi tu me repousses ainsi ! Je sais que le célibat est difficile à vivre et j'essaye de t'aider, mais je retire ce que j'ai dis ! Quand tu vois son âme artificielle, imagine ce que donnerait un enfant ! Il mangerait le métal et urinerait de l'acide !"

L'enchanteur abandonne, venant simplement l'ignorer après un dernier coup de flammèche sur le livre pour l'inciter à s'en aller plus loin. Il continue à grommeler, attirant quelques regards curieux. Finalement, Almassar revient s'installer pour la fin du discours du marteau, ce qui lui fait étirer un sourire amusé.

-"Je peux te l'assurer, tu vas regretter d'avoir voulue être si tendre avec lui. Je comprends que cet objet tient une place spéciale pour toi et que tu veux le préserver, mais il semblerait que lui n'aura absolument aucune hésitation pour en profiter."

Observant le petit manège entre son amie et sa nouvelle création, l'homme avance dans son propre repas. Ivoire semble occupé au loin, à faire Lucy sait quoi -et le brun préfère ne pas le savoir-, alors que finalement après une bouchée, le regard violacé du chercheur vient chercher celui de la demoiselle.

-"Et désolé pour Ivoire, je sais qu'il abuse. Je l'apprécie beaucoup mais j'ai encore un peu de mal à le tenir, parfois. Tu le verras vite, les âmes artificielles, c'est encore pire qu'un familier. Au moins ces derniers ne peuvent pas parler, donc tu ne sais pas tout ce qu'ils pensent..."

Après avoir confirmé que mon ami est bien équipé pour la montagne, Ivoire ne peut s’empêcher de répondre de manière véhémente. Je m’y attendais, mais je hausse tout de même un peu les sourcils aux obscénités qu’il vient sortir. Décidément, il ne peut se comporter comme une personne décente. Ne me laissant toutefois pas trop perturber, je continue mon repas. Il m’en faudra bien plus pour me détourner de la nourriture. La petite scène continue et Almassar revient réprimander sa création, mon marteau profitant d’ailleurs de cette perche tendue pour répliquer au grimoire.

« PWAHAHAH ! TU PARLES ! Toi ? Un vieux bouquin réussir à apprendre des choses sur la séduction ? Et tu vas faire quoi ? Lui donner des cours sur les choses ennuyeuses que tu as pu voir sur tes étagères poussiéreuses ? Moi, au moins j’ai pu affronter le brasier ardent et je ne risque pas de m’envoler en cendres à la moindre flammèche ! »

Un soupir m’échappe alors que je viens donner un coup au marteau pour qu’il retombe à plat sur la table, un petit « Aie ! » s’échappant de son corps.

« Je crois que tu as raison, je vais devoir être bien plus dure avec lui à l’avenir. Et ne t’inquiète pas pour Ivoirounet, je continuerai à le taquiner tant qu’il ne me montrera pas un minimum de respect ! Je pense que c’est sa manière bien à lui de vouloir te trouver quelqu’un. »

Je récupère une bouchée, me rendant compte que j’aborde peut-être un sujet un peu délicat en parlant ainsi.

« Enfin, je suppose que tu es seul vu ce que dit Ivoire... Sinon je m’excuse pour la personne qui partage ta vie. Devoir supporter une telle création, cette personne a du courage ! »

Je souffle un petit rire et affiche un petit sourire taquin pour essayer de détendre l’atmosphère. De sa place, Hercules reprend la suite de ses idées, cherchant à attirer à nouveau Ivoire vers nous.

« Hey ! Le bouquin ! J’ai une idée ! Et si on collaborait pour que ces deux là aient une chance de s’accoupler un jour ? On a qu’à s’arranger pour qu’ils fassent des essais ensemble et... »

Je viens à nouveau étouffer l’objet avant de le réprimander.

« Maintenant tu te tais. Sinon je te remets dans mon sac sans fond où l’on ne pourra plus t’entendre.
- fonf, faf f fac ! (Non, pas le sac !)
- Alors silence. Montre un minimum de décence, nous sommes en public. »

Libérant à nouveau le marteau et exécutant un petit signe de tête désolé en direction de nos voisins de table qui nous fixe, je retourne à la fin de mon repas et décide de relancer la conversation. J’ai l’impression que quelque part mon ami n’est pas au meilleur de sa forme. Même s’il est énergique, il a cette mine qui dégage une certaine tristesse ou de lassitude.

« Bon, plus sérieusement, je sais qu’on n’est pas du genre à parler de choses personnelles et qu’il nous faudrait sûrement quelques verres pour cela, mais si un jour tu as besoin de papoter, tu sais où me trouver. Et tu as mon numéro cristallique. Je ne refuserai jamais un de tes appels. Enfin sauf si j’entends que c’est Ivoire qui m’appelle... »