Kasha remarqua ce qui semblait être un changement de stratégie de la part de sa camarade. Curieuse, elle attendit de voir, restant dans le paysage sans trop s'approcher tant qu'elle ne savait pas de quoi il s'agissait, puisqu'elles n'étaient pas censées se connaître.

Cependant, lorsqu'elle entendit parler d'enfants enlevés, elle eut beaucoup de mal à se retenir de faire irruption comme une furie pour assaillir la femme de questions. En effet, même si elle n'avait pas les détails, elle savait que toute cette histoire avait débuté avec des enlèvements d'enfants. Peut-être que Kasha avait surestimé la prudence de leurs cibles en partant du principe qu'ils préfèreraient se cacher le temps de se faire oublier... D'un autre côté, elle tenta de se raisonner en se disant que les criminels n'étaient pas rares dans tout lieu rassemblant un nombre important de personnes, les villes en étant évidemment des exemples parfait. Par conséquent, il était possible que ces évènements n'aient rien à voir avec leur mission. Néanmoins, il fallait en avoir le coeur net. Et pour cela, la première étape passait par ne pas effrayer cette mère. Alors, elle fit plusieurs fois le tour du parc, une expression pensive sur le visage, pour deux raisons : elle était réellement en train de réfléchir à sa prochaine action, mais aussi, c'était nécessaire pour le plan qui commençait à se dessiner dans son esprit.

Une fois ses quelques tours terminés, elle s'approcha du groupe, tout en prenant soin de s'assurer que les femmes l'avaient remarquée. La conversation avait certainement évolué entre-temps, elle devrait donc ramener le sujet de manière détournée, pour ne pas passer pour une psychopathe ou autre qualificatif tout aussi élogieux.

Une fois arrivée à leur niveau, elle participa pendant un moment au bavardage habituel durant ce genre de situations, avant de se lancer, hésitante :

- D'ailleurs, j'y pensais, je suis désolée de vous le rappeler, mais je n'ai pas pu m'empêcher de penser à ce que vous avez dit, tout à l'heure, quand je suis passée devant vous... Des enlèvements ? Vraiment ? Êtes-vous sûres que ces enfants ne sont pas simplement allés jouer dans un lieu dont vous n'avez pas connaissance ? Ils pourraient avoir oublié le temps tellement ils s'amusaient...

Elle espérait qu'on la contredise. Elle avait remarqué que c'est lorsqu'on les provoquait que les gens donnaient le plus d'informations utiles. Peut-être que cela se devait simplement au fait que, piqués au vif, ils ne s'embarrassaient plus des règles de la politesse et allaient directement au fait. Et c'est précisément ce qu'elle voulait. Elle voulait qu'elles s'indignent, et que, ce faisant, en guise d'arguments, elles lui donnent une information précieuse dont seule la famille d'une victime pouvait disposer. Dans l'idéal, elle pourrait même rencontrer cette fameuse Jacqueline.

Bon, évidemment, si tel était le cas, il faudrait apaiser les tensions avant de démarrer toute conversation plus sérieuse, mais tout cela se déroulait dans un scénario hypothétique.

S'étant discrètement approchée de Nevaeh, elle lui glissa rapidement à l'oreille :

- Elles pourraient avoir des informations.

Si elle voulait des explications plus approfondies, il faudrait attendre. En effet, Nevaeh s'était présentée comme une nouvelle venue qui ne connaissait personne et Kasha comme une passante un peu indiscrète. Tout signe trop évident de connivence serait suspect.

Pour être honnête, Kasha attendait des informations un peu plus utiles. Les enfants étaient sages, d'accord, mais peut-être auraient-elles pu parler de personnes ayant fréquenté ces fameux enfants un peu plus que nécessaire, qui auraient pu être les responsables... Et elle se voyait mal enfoncer encore plus le clou. Alors qu'elle écoutait tout en essayant de suivre la conversation, Neva la sauva en lui parlant.

- Pour être honnête, je n'habite pas ici. Je suis de passage chez ma jeune soeur, qui n'habite pas non plus dans ce quartier.

Voilà pour l'explication vis-à-vis de son ignorance des faits. Elle savait qu'il ne serait pas crédible de parler d'une personne vivant dans les environs, car, en l'hébergeant, une personne aussi proche qu'un membre de la famille se serait inquiétée pour elle en lui parlant des dangers potentiels. Evidemment, cette soeur n'existait pas. Kasha ne savait rien de sa famille et s'en moquait. Peut-être qu'elle avait réellement une jeune soeur, et si elle existait, peut-être même qu'elle vivait dans cette ville. Mais, outre le fait que ce serait une coïncidence beaucoup trop parfaite, Kasha ne voulait pas de nouvelles de sa famille. Mais elle s'égarait.

Elle voulait réagir quant au fait qu'elle n'avait pas d'enfants, mais, à présent que sa technique rentre-dedans" avait échoué, elle n'osait plus les bousculer de trop. Qui sait, peut-être auraient-elles l'occasion de se recroiser, il ne fallait donc pas complètement détruire toute possibilité de relation positive. Elle opta donc pour la solution la plus simple dans cette situation : les excuses :

- En effet, pardonnez-moi. Ni moi ni ma soeur n'avons d'enfants, je ne sais donc pas comment me comporter auprès d'enfants ou de mères. Je m'en excuse une fois de plus.

Les femmes lui firent des signes de tête qui pouvaient passer pour de l'approbation, faire croire qu'elles acceptaient ses excuses. Mais, mis à part le fait qu'elles n'avaient pas parlé, quelque chose dans leur attitude lui disait qu'elles ne lui avaient pas complètement pardonné. Commençant à désespérer, elle retint un gémissement. Elle avait envie de s'enfuir, mais elle sentait cependant qu'il ne serait pas souhaitable d'abandonner immédiatement les recherches. Elle savait qu'elle tenait peut-être des témoins, il lui fallait trouver un moyen de les interroger sans paraître trop suspecte... D'un autre côté, elle s'était donné un personnage honnête, parfois trop, alors, elle pouvait peut-être tenter quelque chose... Il n'était pas dans son habitude d'être très proactive, y compris lorsqu'elle jouait des rôles, car la plupart étaient faits pour être tenus dans la durée. Alors, ses avatars principaux se contentaient donc d'adopter l'une de ses propres caractéristiques mentales comme trait de caractère principal. Mais là, elle avait créé un personnage très honnête, limite insolent, et réalisait qu'elle était en train de tester ses limites. Ce personnage était trop différent de sa vraie personnalité pour qu'elle soit capable de faire illusion bien longtemps. Elle voulait récolter d'autres informations, mais il faudrait donc faire vite.

Alors, elle tenta quelque chose :

- Ma soeur a récemment rejoint la Garde, et je suis certaine qu'elle serait ravie de vous aider si je lui transmets toutes les informations que vous pourriez me donner au sujet de ces enlèvements.

ça passe ou ça casse. Si les femmes la croyaient, elle pourrait recevoir des informations précieuses. Si elles ne la croyaient pas, ou pire, si elles lui demandaient une preuve, comme le nom de sa soeur ou carrément de la voir, elle aurait du mal à rebondir. Et, dans ce cas, sauf si Nevaeh avait une très bonne idée fulgurante pour les sauver, elle risquait de les mettre dans une situation très compliquée... Bien sûr, il serait toujours temps de leur dire la vérité, qui elles étaient en réalité, mais ensuite, il faudrait justifier le fait de leur avoir menti... Il FALLAIT qu'elles la croient, sans quoi, elle craignait de s'engluer de plus en plus sans jamais pouvoir en sortir...

Oui, elles avaient quelques informations. Elle dirait que ça compenserait son mauvais choix de couverture. Alors que sa partenaire acceptait son offre d'aller chercher l'aide de la Garde, Kasha ne put retenir un soupir de soulagement. Il serait impensable de se faire passer pour quelqu'un d'autre au sein d'une telle institution. Par conséquent, elle pourrait être elle-même, ce qui constituait un répit bienvenu. Elle la suivit jusquà la caserne, ne répondant à la remarque de sa collègue que par un sourire poli. Honnêtement, elle s'en moquait. Elle avait quitté ces femmes, ce qu'elles feraient du reste de leur journée ne la concernait donc plus.

Une fois dans les lieux, Kasha se fit elle aussi contrôler, par un collègue du garde abordé par Nevaeh, et Kasha s'y prêta de bonne grâce. Après avoir lu sa plaque, le garde lui adressa un regard suspicieux. Evidemment. Il avait lu sa spécialisation, elle devait donc lui prouver qu'elle venait bien en tant que Kasha. Et la réponse lui apparut évidente :

- Ne vous en faites pas. Si je n'étais pas Kasha, je n'aurais pas de plaque. La Guilde ne bâcle pas ses contrôles avant de délivrer d'identifications si importante. Et je n'ai pas les compétences nécessaires pour créer un faux, vous pouvez en vérifier l'authenticité.

Son calme et son assurance ne suffirent visiblement pas à le convaincre. En effet, sans un mot, il s'éloigna... Mais sans lui rendre sa plaque. Il allait donc visiblement la faire expertiser. Les gardes avaient sans doute l'habitude des criminels qui leur proposaient de vérifier des faux papiers dans une tentative de les embobiner et ne prenaient probablement désormais plus le risque de laisser quelqu'un avec une telle défense passer entre les mailles du filet. Bien qu'elle ne s'y soit pas attendue, Kasha n'avait rien à cacher, cette fois. Elle suivit donc sa camarade et leur guide en direction du responsable de l'enquête.

Le chemin lui sembla anormalement long. Etait-ce un moyen de tester leur motivation, venant avec la patience, ou l'accès au bureau en question était-il réellement difficile, ce qui ne serait pas étonnant non plus : après tout, elles se trouvaient dans un établissement de la Garde, sur le point de rencontrer quelqu'un de visiblement important pour la Garde locale, il était normal de renforcer la sécurité sur ce point.

Elles finirent néanmoins par arriver devant ce qu'elle supposa être la porte du bureau. Ce n'était pas spécialement impressionnant, elle se serait attendue à plus de faste, mais, d'une manière incompréhensible, Kasha ressentit une pointe de stress, ce qui ne lui était plus arrivé depuis un moment. Pourquoi ? Après tout, elles venaient simplement chercher du soutien dans leur quête, dans le pire des cas, elles essuieraient un refus.

Prise dans ses réflexions, elle avait pris du retard. Elle se hâta donc juste assez pour rattrapper Neva et son guide sans paraître trop manquer de discipline. Elle savait que dans un lieu comme celui-là, il s'agissait en effet de la qualité principalement attendue des personnes qui s'y trouvaient, c'était même probablement un prérequis à l'entrée en ce lieu. D'un autre côté, elles n'avaient fait aucun mystère de leur statut d'aventurières, statut dont les membres n'étaient pas spécialement connus pour leur discipline... Enfin, trêve de pensées parasites, elle risquait d'accumuler les erreurs à force de ne pas faire attention.

Quand elle rejoignit le groupe, la première chose que fit l'homme qui siégait à cette place, après les avoir saluées, fut de lui faire signe.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Madame Shlinma. Votre plaque a été expertisée. Et nous sommes ravis d'apprendre qu'en effet, elle est authentique. Vous pouvez donc venir la reprendre.

Kasha hocha la tête avant d'obéir, tout en se disant qu'ils avaient fait vite... Elle avait plusieurs explications possibles à cela : il était impensable de falsifier une plaque d'aventurier, donc l'expertise avait été expéditive, il n'y avait en fait personne ayant les compétences pour expertiser quoi que ce soit dans ce lieu et cette mise en scène avait simplement eu pour but de lui faire peur dans le but de s'assurer qu'elle se tiendrait à carreaux, ou ce genre de falsifications était plus courant que ce qu'elle pensait, et les gardes ici présents disposaient du personnel et du matériel nécessaires, ainsi qu'une organisation parfaite, qui leur permettait d'être aussi efficaces.

Quelle que soit la raison, qu'elle fasse ou non partie de celles qu'elle avait envisagées, Kasha devait être honnête avec elle-même, elle était quand même soulagée d'avoir récupéré ce qui faisait office de carte d'identité pour elle.
Une fois l'objet récupéré, elle revint au niveau de Nevaeh, pour discuter de ce qu les amenait. Elle s'attendait à ce que ce soit Nevaeh qui prenne la parole en premier, puisque c'était elle qui était là au début de cette histoire. Kasha pourrait ensuite compléter le récit lorsqu'il arriverait au moment où elle entrait en scène.

Résumé:

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